Marcel Proust
Sodome et Gomorrhe -- Sodom and Gomorrah [or Cities of the Plain]
Edición bilingüe, français-espagnol, de Miguel Garci-Gomez
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Premièr partie

Première apparition des hommes-femmes, descendants de ceux des habitants de Sodome qui furent épargnés par le feu du ciel.
«La femme aura Gomorrhe
et l′homme aura Sodome.»

ALFRED DE VIGNY.

INTRODUCTION.

Introducing the men-women, descendants of those of the inhabitants of Sodom who were spared by the fire from heaven. .
«La femme aura Gomorrhe
et l′homme aura Sodome.»

Alfred de Vigny.
On sait que bien avant d′aller ce jour-là (le jour où avait lieu la soirée de la princesse de Guermantes) rendre au duc et à la duchesse la visite que je viens de raconter, j′avais épié leur retour et fait, pendant la durée de mon guet, une découverte, concernant particulièrement M. de Charlus, mais si importante en elle-même que j′ai jusqu′ici, jusqu′au moment de pouvoir lui donner la place et l′étendue voulues, différé de la rapporter. J′avais, comme je l′ai dit, délaissé le point de vue merveilleux, si confortablement aménagé au haut de la maison, d′où l′on embrasse les pentes accidentées par où l′on monte jusqu′à l′hôtel de Bréquigny, et qui sont gaiement décorées à l′italienne par le rose campanile de la remise appartenant au marquis de Frécourt. J′avais trouvé plus pratique, quand j′avais pensé que le duc et la duchesse étaient sur le point de revenir, de me poster sur l′escalier. Je regrettais un peu mon séjour d′altitude. Mais à cette heure-là, qui était celle d′après le déjeuner, j′avais moins à regretter, car je n′aurais pas vu, comme le matin, les minuscules personnages de tableaux, que devenaient à distance les valets de pied de l′hôtel de Bréquigny et de Tresmes, faire la lente ascension de la côte abrupte, un plumeau à la main, entre les larges feuilles de mica transparentes qui se détachaient si plaisamment sur les contreforts rouges. A défaut de la contemplation du géologue, j′avais du moins celle du botaniste et regardais par les volets de l′escalier le petit arbuste de la duchesse et la plante précieuse exposés dans la cour avec cette insistance qu′on met à faire sortir les jeunes gens à marier, et je me demandais si l′insecte improbable viendrait, par un hasard providentiel, visiter le pistil offert et délaissé. La curiosité m′enhardissant peu à peu, je descendis jusqu′à la fenêtre du rez-de-chaussée, ouverte elle aussi, et dont les volets n′étaient qu′à moitié clos. J′entendais distinctement, se préparant à partir, Jupien qui ne pouvait me découvrir derrière mon store où je restai immobile jusqu′au moment où je me rejetai brusquement de côté par peur d′être vu de M. de Charlus, lequel, allant chez Mme de Villeparisis, traversait lentement la cour, bedonnant, vieilli par le plein jour, grisonnant. Il avait fallu une indisposition de Mme de Villeparisis (conséquence de la maladie du marquis de Fierbois avec lequel il était personnellement brouillé à mort) pour que M. de Charlus fît une visite, peut-être la première fois de son existence, à cette heure-là. Car avec cette singularité des Guermantes qui, au lieu de se conformer à la vie mondaine, la modifiaient d′après leurs habitudes personnelles (non mondaines, croyaient-ils, et dignes par conséquent qu′on humiliât devant elles cette chose sans valeur, la mondanité— c′est ainsi que Mme de Marsantes n′avait pas de jour, mais recevait tous les matins ses amies, de 10 heures à midi)— le baron, gardant ce temps pour la lecture, la recherche des vieux bibelots, etc . . . ne faisait jamais une visite qu′entre 4 et 6 heures du soir. A 6 heures il allait au Jockey ou se promener au Bois. Au bout d′un instant je fis un nouveau mouvement de recul pour ne pas être vu par Jupien; c′était bientôt son heure de partir au bureau, d′où il ne revenait que pour le dîner, et même pas toujours depuis une semaine que sa nièce était allée avec ses apprenties à la campagne chez une cliente finir une robe. Puis me rendant compte que personne ne pouvait me voir, je résolus de ne plus me déranger de peur de manquer, si le miracle devait se produire, l′arrivée presque impossible à espérer (à travers tant d′obstacles, de distance, de risques contraires, de dangers) de l′insecte envoyé de si loin en ambassadeur à la vierge qui depuis longtemps prolongeait son attente. Je savais que cette attente n′était pas plus passive que chez la fleur mâle, dont les étamines s′étaient spontanément tournées pour que l′insecte pût plus facilement la recevoir; de même la fleur-femme qui était ici, si l′insecte venait, arquerait coquettement ses «styles», et pour être mieux pénétrée par lui ferait imperceptiblement, comme une jouvencelle hypocrite mais ardente, la moitié du chemin. Les lois du monde végétal sont gouvernées elles-mêmes par des lois de plus en plus hautes. Si la visite d′un insecte, c′est-à-dire l′apport de la semence d′une autre fleur, est habituellement nécessaire pour féconder une fleur, c′est que l′autofécondation, la fécondation de la fleur par elle-même, comme les mariages répétés dans une même famille, amènerait la dégénérescence et la stérilité, tandis que le croisement opéré par les insectes donne aux générations suivantes de la même espèce une vigueur inconnue de leurs aînées. Cependant cet essor peut être excessif, l′espèce se développer démesurément; alors, comme une antitoxine défend contre la maladie, comme le corps thyro règle notre embonpoint, comme la défaite vient punir l′orgueil, la fatigue le plaisir, et comme le sommeil repose à son tour de la fatigue, ainsi un acte exceptionnel d′autofécondation vient à point nommé donner son tour de vis, son coup de frein, fait rentrer dans la norme la fleur qui en était exagérément sortie. Mes réflexions avaient suivi une pente que je décrirai plus tard et j′avais déjà tiré de la ruse apparente des fleurs une conséquence sur toute une partie inconsciente de l′oeuvre littéraire, quand je vis M. de Charlus qui ressortait de chez la marquise. Il ne s′était passé que quelques minutes depuis son entrée. Peut-être avait-il appris de sa vieille parente elle-même, ou seulement par un domestique, le grand mieux ou plutôt la guérison complète de ce qui n′avait été chez Mme de Villeparisis qu′un malaise. A ce moment, où il ne se croyait regardé par personne, les paupières baissées contre le soleil, M. de Charlus avait relâché dans son visage cette tension, amorti cette vitalité factice, qu′entretenaient chez lui l′animation de la causerie et la force de la volonté. Pâle comme un marbre, il avait le nez fort, ses traits fins ne recevaient plus d′un regard volontaire une signification différente qui altérât la beauté de leur modelé; plus rien qu′un Guermantes, il semblait déjà sculpté, lui Palamède XV, dans la chapelle de Combray. Mais ces traits généraux de toute une famille prenaient pourtant, dans le visage de M. de Charlus, une finesse plus spiritualisée, plus douce surtout. Je regrettais pour lui qu′il adultérât habituellement de tant de violences, d′étrangetés déplaisantes, de potinages, de dureté, de susceptibilité et d′arrogance, qu′il cachât sous une brutalité postiche l′aménité, la bonté qu′au moment où il sortait de chez Mme de Villeparisis, je voyais s′étaler si naîµ¥ment sur son visage. Clignant des yeux contre le soleil, il semblait presque sourire, je trouvai à sa figure vue ainsi au repos et comme au naturel quelque chose de si affectueux, de si désarmé, que je ne pus m′empêcher de penser combien M. de Charlus eût été fâché s′il avait pu se savoir regardé; car ce à quoi me faisait penser cet homme, qui était si épris, qui se piquait si fort de virilité, à qui tout le monde semblait odieusement efféminé, ce à quoi il me faisait penser tout d′un coup, tant il en avait passagèrement les traits, l′expression, le sourire, c′était à une femme. The reader will remember that, long before going that day (on the evening of which the Princesse de Guermantes was to give her party) to pay the Duke and Duchess the visit which I have just described, I had kept watch for their return and had made, in the course of my vigil, a discovery which, albeit concerning M. de Charlus in particular, was in itself so important that I have until now, until the moment when I could give it the prominence and treat it with the fulness that it demanded, postponed giving any account of it. I had, as I have said, left the marvellous point of vantage, so snugly contrived for me at the top of the house, commanding the broken and irregular slopes leading up to the Hôtel de Bréquigny, and gaily decorated in the Italian manner by the rose-pink campanile of the Marquis de Frécourt′s stables. I had felt it to be more convenient, when I thought that the Duke and Duchess were on the point of returning, to post myself on the staircase. I regretted somewhat the abandonment of my watch-tower. But at that time of day, namely the hour immediately following luncheon, I had less cause for regret, for I should not then have seen, as in the morning, the footmen of the Bréquigny-Tresmes household, converted by distance into minute figures in a picture, make their leisurely ascent of the abrupt precipice, feather-brush in hand, behind the large, transparent flakes of mica which stood out so charmingly upon its ruddy bastions. Failing the geologist′s field of contemplation, I had at least that of the botanist, and was peering through the shutters of the staircase window at the Duchess′s little tree and at the precious plant, exposed in the courtyard with that insistence with which mothers ‘bring out′ their marriageable offspring, and asking myself whether the unlikely insect would come, by a providential hazard, to visit the offered and neglected pistil. My curiosity emboldening me by degrees, I went down to the ground-floor window, which also stood open with its shutters ajar. I could hear distinctly, as he got ready to go out, Jupien who could not detect me behind my blind, where I stood perfectly still until the moment when I drew quickly aside in order not to be seen by M. de Charlus, who, on his way to call upon Mme. de Villeparisis, was slowly crossing the courtyard, a pursy figure, aged by the strong light, his hair visibly grey. Nothing short of an indisposition of Mme. de Villeparisis (consequent on the illness of the Marquis de Fierbois, with whom he personally was at daggers drawn) could have made M. de Charlus pay a call, perhaps for the first time in his life, at that hour of the day. For with that eccentricity of the Guermantes, who, instead of conforming to the ways of society, used to modify them to suit their own personal habits (habits not, they thought, social, and deserving in consequence the abasement before them of that thing of no value, Society — thus it was that Mme. de Marsantes had no regular ‘day,′ but was at home to her friends every morning between ten o′clock and noon), the Baron, reserving those hours for reading, hunting for old curiosities and so forth, paid calls only between four and six in the afternoon. At six o′clock he went to the Jockey Club, or took a stroll in the Bois. A moment later, I again recoiled, in order not to be seen by Jupien. It was nearly time for him to start for the office, from which he would return only for dinner, and not even then always during the last week, his niece and her apprentices having gone to the country to finish a dress there for a customer. Then, realising that no one could see me, I decided not to let myself be disturbed again, for fear of missing, should the miracle be fated to occur, the arrival, almost beyond the possibility of hope (across so many obstacles of distance, of adverse risks, of dangers), of the insect sent from so far as ambassador to the virgin who had so long been waiting for him to appear. I knew that this expectancy was no more passive than in the male flower, whose stamens had spontaneously curved so that the insect might more easily receive their offering; similarly the female flower that stood here, if the insect came, would coquettishly arch her styles; and, to be more effectively penetrated by him, would imperceptibly advance, like a hypocritical but ardent damsel, to meet him half-way. The laws of the vegetable kingdom are themselves governed by other laws, increasingly exalted. If the visit of an insect, that is to say, the transportation of the seed of one flower is generally necessary for the fertilisation of another, that is because autofecundation, the fertilisation of a flower by itself, would lead, like a succession of intermarriages in the same family, to degeneracy and sterility, whereas the crossing effected by the insects gives to the subsequent generations of the same species a vigour unknown to their forebears. This invigoration may, however, prove excessive, the species develop out of all proportion; then, as an anti-toxin protects us against disease, as the thyroid gland regulates our adiposity, as defeat comes to punish pride, fatigue, indulgence, and as sleep in turn depends upon fatigue, so an exceptional act of autofecundation comes at a given point to apply its turn of the screw, its pull on the curb, brings back within normal limits the flower that has exaggerated its transgression of them. My reflexions had followed a tendency which I shall describe in due course, and I had already drawn from the visible stratagems of flowers a conclusion that bore upon a whole unconscious element of literary work, when I saw M. de Charlus coming away from the Marquise. Perhaps he had learned from his elderly relative herself, or merely from a servant, the great improvement, or rather her complete recovery from what had been nothing more than a slight indisposition. At this moment, when he did not suspect that anyone was watching him, his eyelids lowered as a screen against the sun, M. de Charlus had relaxed that tension in his face, deadened that artificial vitality, which the animation of his talk and the force of his will kept in evidence there as a rule. Pale as marble, his nose stood out firmly, his fine features no longer received from an expression deliberately assumed a different meaning which altered the beauty of their modelling; nothing more now than a Guermantes, he seemed already carved in stone, he Palamède the Fifteenth, in their chapel at Combray. These general features of a whole family took on, however, in the face of M. de Charlus a fineness more spiritualised, above all more gentle. I regretted for his sake that he should habitually adulterate with so many acts of violence, offensive oddities, tale-bearings, with such harshness, susceptibility and arrogance, that he should conceal beneath a false brutality the amenity, the kindness which, at the moment of his emerging from Mme. de Villeparisis′s, I could see displayed so innocently upon his face. Blinking his eyes in the sunlight, he seemed almost to be smiling, I found in his face seen thus in repose and, so to speak, in its natural state something so affectionate, so disarmed, that I could not help thinking how angry M. de Charlus would have been could he have known that he was being watched; for what was suggested to me by the sight of this man who was so insistent, who prided himself so upon his virility, to whom all other men seemed odiously effeminate, what he made me suddenly think of, so far had he momentarily assumed her features, expression, smile, was a woman.
J′allais me déranger de nouveau pour qu′il ne pût m′apercevoir; je n′en eus ni le temps, ni le besoin. Que vis-je! Face à face, dans cette cour où ils ne s′étaient certainement jamais rencontrés (M. de Charlus ne venant à l′hôtel Guermantes que dans l′après-midi, aux heures où Jupien était à son bureau), le baron, ayant soudain largement ouvert ses yeux mi-clos, regardait avec une attention extraordinaire l′ancien giletier sur le seuil de sa boutique, cependant que celui-ci, cloué subitement sur place devant M. de Charlus, enraciné comme une plante, contemplait d′un air émerveillé l′embonpoint du baron vieillissant. Mais, chose plus étonnante encore, l′attitude de M. de Charlus ayant changé, celle de Jupien se mit aussitôt, comme selon les lois d′un art secret, en harmonie avec elle. Le baron, qui cherchait maintenant à dissimuler l′impression qu′il avait ressentie, mais qui, malgré son indifférence affectée, semblait ne s′éloigner qu′à regret, allait, venait, regardait dans le vague de la façon qu′il pensait mettre le plus en valeur la beauté de ses prunelles, prenait un air fat, négligent, ridicule. Or Jupien, perdant aussitôt l′air humble et bon que je lui avais toujours connu, avait — en symétrie parfaite avec le baron — redressé la tête, donnait à sa taille un port avantageux, posait avec une impertinence grotesque son poing sur la hanche, faisait saillir son derrière, prenait des poses avec la coquetterie qu′aurait pu avoir l′orchidée pour le bourdon providentiellement survenu. Je ne savais pas qu′il pût avoir l′air si antipathique. Mais j′ignorais aussi qu′il fût capable de tenir à l′improviste sa partie dans cette sorte de scène des deux muets, qui (bien qu′il se trouvât pour la première fois en présence de M. de Charlus) semblait avoir été longuement répétée;-on n′arrive spontanément à cette perfection que quand on rencontre à l′étranger un compatriote, avec lequel alors l′entente se fait d′elle-même, le truchement étant identique, et sans qu′on se soit pourtant jamais vu. I was about to change my position again, so that he should not catch sight of me; I had neither the time nor the need to do so. What did I see? Face to face, in that courtyard where certainly they had never met before (M. de Charlus coming to the Hôtel de Guermantes only in the afternoon, during the time when Jupien was at his office), the Baron, having suddenly opened wide his half-shut eyes, was studying with unusual attention the ex-tailor poised on the threshold of his shop, while the latter, fastened suddenly to the ground before M. de Charlus, taking root in it like a plant, was contemplating with a look of amazement the plump form of the middle-aged Baron. But, more astounding still, M. de Charlus′s attitude having changed, Jupien′s, as though in obedience to the laws of an occult art, at once brought itself into harmony with it. The Baron, who was now seeking to conceal the impression that had been made on him, and yet, in spite of his affectation of indifference, seemed unable to move away without regret, went, came, looked vaguely into the distance in the way which, he felt, most enhanced the beauty of his eyes, assumed a complacent, careless, fatuous air. Meanwhile Jupien, shedding at once the humble, honest expression which I had always associated with him, had — in perfect symmetry with the Baron — thrown up his head, given a becoming tilt to his body, placed his hand with a grotesque impertinence on his hip, stuck out his behind, posed himself with the coquetry that the orchid might have adopted on the providential arrival of the bee. I had not supposed that he could appear so repellent. But I was equally unaware that he was capable of improvising his part in this sort of dumb charade, which (albeit he found himself for the first time in the presence of M. de Charlus) seemed to have been long and carefully rehearsed; one does not arrive spontaneously at that pitch of perfection except when one meets in a foreign country a compatriot with whom an understanding then grows up of itself, both parties speaking the same language, even though they have never seen one another before.
Cette scène n′était, du reste, pas positivement comique, elle était empreinte d′une étrangeté, ou si l′on veut d′un naturel, dont la beauté allait croissant. M. de Charlus avait beau prendre un air détaché, baisser distraitement les paupières, par moments il les relevait et jetait alors sur Jupien un regard attentif. Mais (sans doute parce qu′il pensait qu′une pareille scène ne pouvait se prolonger indéfiniment dans cet endroit, soit pour des raisons qu′on comprendra plus tard, soit enfin par ce sentiment de la brièveté de toutes choses qui fait qu′on veut que chaque coup porte juste, et qui rend si émouvant le spectacle de tout amour), chaque fois que M. de Charlus regardait Jupien, il s′arrangeait pour que son regard fût accompagné d′une parole, ce qui le rendait infiniment dissemblable des regards habituellement dirigés sur une personne qu′on connaît ou qu′on ne connaît pas; il regardait Jupien avec la fixité particulière de quelqu′un qui va vous dire: «Pardonnez-moi mon indiscrétion, mais vous avez un long fil blanc qui pend dans votre dos», ou bien: «Je ne dois pas me tromper, vous devez être aussi de Zurich, il me semble bien vous avoir rencontré souvent chez le marchand d′antiquités.» Telle, toutes les deux minutes, la même question semblait intensément posée à Jupien dans l′oeillade de M. de Charlus, comme ces phrases interrogatives de Beethoven, répétées indéfiniment, à intervalles égaux, et destinées — avec un luxe exagéré de préparations —à amener un nouveau motif, un changement de ton, une «rentrée». Mais justement la beauté des regards de M. de Charlus et de Jupien venait, au contraire, de ce que, provisoirement du moins, ces regards ne semblaient pas avoir pour but de conduire à quelque chose.Cette beauté, c′était la première fois que je voyais le baron et Jupien la manifester. Dans les yeux de l′un et de l′autre, c′était le ciel, non pas de Zurich, mais de quelque cité orientale dont je n′avais pas encore deviné le nom, qui venait de se lever. Quel que fût le point qui pût retenir M. de Charlus et le giletier, leur accord semblait conclu et ces inutiles regards n′être que des préludes rituels, pareils aux fêtes qu′on donne avant un mariage décidé. Plus près de la nature encore — et la multiplicité de ces comparaisons est elle-même d′autant plus naturelle qu′un même homme, si on l′examine pendant quelques minutes, semble successivement un homme, un homme-oiseau ou un homme-insecte, etc. — on eût dit deux oiseaux, le mâle et la femelle, le mâle cherchant à s′avancer, la femelle — Jupien — ne répondant plus par aucun signe à ce manège, mais regardant son nouvel ami sans étonnement, avec une fixité inattentive, jugée sans doute plus troublante et seule utile, du moment que le mâle avait fait les premiers pas, et se contentant de lisser ses plumes. Enfin l′indifférence de Jupien ne parut plus lui suffire; de cette certitude d′avoir conquis à se faire poursuivre et désirer, il n′y avait qu′un pas et Jupien, se décidant à partir pour son travail, sortit par la porte cochère. Ce ne fut pourtant qu′après avoir retourné deux ou trois fois la tête, qu′il s′échappa dans la rue où le baron, tremblant de perdre sa piste (sifflotant d′un air fanfaron, non sans crier un «au revoir» au concierge qui, à demi saoul et traitant des invités dans son arrière-cuisine, ne l′entendit même pas), s′élança vivement pour le rattraper. Au même instant où M. de Charlus avait passé la porte en sifflant comme un gros bourdon, un autre, un vrai celui-là, entrait dans la cour.Qui sait si ce n′était pas celui attendu depuis si longtemps par l′orchidée, et qui venait lui apporter le pollen si rare sans lequel elle resterait vierge? Mais je fus distrait de suivre les ébats de l′insecte, car au bout de quelques minutes, sollicitant davantage mon attention, Jupien (peut-être afin de prendre un paquet qu′il emporta plus tard et que, dans l′émotion que lui avait causée l′apparition de M. de Charlus, il avait oublié, peut-être tout simplement pour une raison plus naturelle), Jupien revint, suivi par le baron. Celui-ci, décidé à brusquer les choses, demanda du feu au giletier, mais observa aussitôt: «Je vous demande du feu, mais je vois que j′ai oublié mes cigares.» Les lois de l′hospitalité l′emportèrent sur les règles de la coquetterie: «Entrez, on vous donnera tout ce que vous voudrez», dit le giletier, sur la figure de qui le dédain fit place à la joie. La porte de la boutique se referma sur eux et je ne pus plus rien entendre. J′avais perdu de vue le bourdon, je ne savais pas s′il était l′insecte qu′il fallait à l′orchidée, mais je ne doutais plus, pour un insecte très rare et une fleur captive, de la possibilité miraculeuse de se conjoindre, alors que M. de Charlus (simple comparaison pour les providentiels hasards, quels qu′ils soient, et sans la moindre prétention scientifique de rapprocher certaines lois de la botanique et ce qu′on appelle parfois fort mal l′homosexualité), qui, depuis des années, ne venait dans cette maison qu′aux heures où Jupien n′y était pas, par le hasard d′une indisposition de Mme de Villeparisis, avait rencontré le giletier et avec lui la bonne fortune réservée aux hommes du genre du baron par un de ces êtres qui peuvent même être, on le verra, infiniment plus jeunes que Jupien et plus beaux, l′homme prédestiné pour que ceux-ci aient leur part de volupté sur cette terre: l′homme qui n′aime que les vieux messieurs. This scene was not, however, positively comic, it was stamped with a strangeness, or if you like a naturalness, the beauty of which steadily increased. M. de Charlus might indeed assume a detached air, indifferently let his eyelids droop; every now and then he raised them, and at such moments turned on Jupien an attentive gaze. But (doubtless because he felt that such a scene could not be prolonged indefinitely in this place, whether for reasons which we shall learn later on, or possibly from that feeling of the brevity of all things which makes us determine that every blow must strike home, and renders so moving the spectacle of every kind of love), each time that M. de Charlus looked at Jupien, he took care that his glance should be accompanied by a spoken word, which made it infinitely unlike the glances we usually direct at a person whom we do or do not know; he stared at Jupien with the peculiar fixity of the person who is about to say to us: “Excuse my taking the liberty, but you have a long white thread hanging down your back,” or else: “Surely I can′t be mistaken, you come from Zurich too; I′m certain I must have seen you there often in the curiosity shop.” Thus, every other minute, the same question seemed to be being intensely put to Jupien in the stare of M. de Charlus, like those questioning phrases of Beethoven indefinitely repeated at regular intervals, and intended — with an exaggerated lavishness of preparation — to introduce a new theme, a change of tone, a ‘reentry.′ On the other hand, the beauty of the reciprocal glances of M. de Charlus and Jupien arose precisely from the fact that they did not, for the moment at least, seem to be intended to lead to anything further. This beauty, it was the first time that I had seen the Baron and Jupien display it. In the eyes of both of them, it was the sky not of Zurich but of some Oriental city, the name of which I had not yet divined, that I saw reflected. Whatever the point might be that held M. de Charlus and the ex-tailor thus arrested, their pact seemed concluded and these superfluous glances to be but ritual preliminaries, like the parties that people give before a marriage which has been definitely ‘arranged.′ Nearer still to nature — and the multiplicity of these analogies is itself all the more natural in that the same man, if we examine him for a few minutes, appears in turn as a man, a man-bird or man-insect, and so forth — one would have called them a pair of birds, the male and the female, the male seeking to make advances, the female — Jupien — no longer giving any sign of response to these overtures, but regarding her new friend without surprise, with an inattentive fixity of gaze, which she doubtless felt to be more disturbing and the only effective method, once the male had taken the first steps, and had fallen back upon preening his feathers. At length Jupien′s indifference seemed to suffice him no longer; from this certainty of having conquered, to making himself be pursued and desired was but the next stage, and Jupien, deciding to go off to his work, passed through the carriage gate. It was only, however, after turning his head two or three times that he escaped into the street towards which the Baron, trembling lest he should lose the trail (boldly humming a tune, not forgetting to fling a ‘Good day′ to the porter, who, half-tipsy himself and engaged in treating a few friends in his back kitchen, did not even hear him), hurried briskly to overtake him. At the same instant, just as M. de Charlus disappeared through the gate humming like a great bumble-bee, another, a real bee this time, came into the courtyard. For all I knew this might be the one so long awaited by the orchid, which was coming to bring it that rare pollen without which it must die a virgin. But I was distracted from following the gyrations of the insect for, a few minutes later, engaging my attention afresh, Jupien (perhaps to pick up a parcel which he did take away with him eventually and so, presumably, in the emotion aroused by the apparition of M. de Charlus, had forgotten, perhaps simply for a more natural reason) returned, followed by the Baron. The latter, deciding to cut short the preliminaries, asked the tailor for a light, but at once observed: “I ask you for a light, but I find that I have left my cigars at home.” The laws of hospitality prevailed over those of coquetry. “Come inside, you shall have everything you require,” said the tailor, on whose features disdain now gave place to joy. The door of the shop closed behind them and I could hear no more. I had lost sight of the bee. I did not know whether he was the insect that the orchid needed, but I had no longer any doubt, in the case of an extremely rare insect and a captive flower, of the miraculous possibility of their conjunction when M. de Charlus (this is simply a comparison of providential hazards, whatever they may be, without the slightest scientific claim to establish a relation between certain laws and what is sometimes, most ineptly, termed homosexuality), who for years past had never come to the house except at hours when Jupien was not there, by the mere accident of Mme. de Villeparisis′s illness had encountered the tailor, and with him the good fortune reserved for men of the type of the Baron by one of those fellow-creatures who may indeed be, as we shall see, infinitely younger than Jupien and better looking, the man predestined to exist in order that they may have their share of sensual pleasure on this earth; the man who cares only for elderly gentlemen.
Ce que je viens de dire d′ailleurs ici est ce que je ne devais comprendre que quelques minutes plus tard, tant adhèrent à la réalité ces propriétés d′être invisible, jusqu′à ce qu′une circonstance l′ait dépouillée d′elles. En tout cas, pour le moment j′étais fort ennuyé de ne plus entendre la conversation de l′ancien giletier et du baron. J′avisai alors la boutique à louer, séparée seulement de celle de Jupien par une cloison extrêmement mince. Je n′avais pour m′y rendre qu′à remonter à notre appartement, aller à la cuisine, descendre l′escalier de service jusqu′aux caves, les suivre intérieurement pendant toute la largeur de la cour, et, arrivé à l′endroit du sous-sol où l′ébéniste, il y a quelques mois encore, serrait ses boiseries, où Jupien comptait mettre son charbon, monter les quelques marches qui accédaient à l′intérieur de la boutique. Ainsi toute ma route se ferait à couvert, je ne serais vu de personne. C′était le moyen le plus prudent. Ce ne fut pas celui que j′adoptai, mais, longeant les murs, je contournai à l′air libre la cour en tâchant de ne pas être vu. Si je ne le fus pas, je pense que je le dois plus au hasard qu′à ma sagesse. Et au fait que j′aie pris un parti si imprudent, quand le cheminement dans la cave était si sûr, je vois trois raisons possibles, à supposer qu′il y en ait une. Mon impatience d′abord. Puis peut-être un obscur ressouvenir de la scène de Montjouvain, caché devant la fenêtre de Mlle Vinteuil. De fait, les choses de ce genre auxquelles j′assistai eurent toujours, dans la mise en scène, le caractère le plus imprudent et le moins vraisemblable, comme si de telles révélations ne devaient être la récompense que d′un acte plein de risques, quoique en partie clandestin. Enfin j′ose à peine, à cause de son caractère d′enfantillage, avouer la troisième raison, qui fut, je crois bien, inconsciemment déterminante. Depuis que pour suivre — et voir se démentir — les principes militaires de Saint–Loup, j′avais suivi avec grand détail la guerre des Boërs, j′avais été conduit à relire d′anciens récits d′explorations, de voyages. Ces récits m′avaient passionné et j′en faisais l′application dans la vie courante pour me donner plus de courage. Quand des crises m′avaient forcé à rester plusieurs jours et plusieurs nuits de suite non seulement sans dormir, mais sans m′étendre, sans boire et sans manger, au moment où l′épuisement et la souffrance devenaient tels que je pensais n′en sortir jamais, je pensais à tel voyageur jeté sur la grève, empoisonné par des herbes malsaines, grelottant de fièvre dans ses vêtements trempés par l′eau de la mer, et qui pourtant se sentait mieux au bout de deux jours, reprenait au hasard sa route, à la recherche d′habitants quelconques, qui seraient peut-être des anthropophages. Leur exemple me tonifiait, me rendait l′espoir, et j′avais honte d′avoir eu un moment de découragement. Pensant aux Boërs qui, ayant en face d′eux des armées anglaises, ne craignaient pas de s′exposer au moment où il fallait traverser, avant de retrouver un fourré, des parties de rase campagne: «Il ferait beau voir, pensai-je, que je fusse plus pusillanime, quand le théâtre d′opérations est simplement notre propre cour, et quand, moi qui me suis battu plusieurs fois en duel sans aucune crainte, au moment de l′affaire Dreyfus, le seul fer que j′aie à craindre est celui du regard des voisins qui ont autre chose à faire qu′à regarder dans la cour.» All that I have just said, however, I was not to understand until several minutes had elapsed; so much is reality encumbered by those properties of invisibility until a chance occurrence has divested it of them. Anyhow, for the moment I was greatly annoyed at not being able to hear any more of the conversation between the ex-tailor and the Baron. I then bethought myself of the vacant shop, separated from Jupien′s only by a partition that was extremely slender. I had, in order to get to it, merely to go up to our flat, pass through the kitchen, go down by the service stair to the cellars, make my way through them across the breadth of the courtyard above, and on coming to the right place underground, where the joiner had, a few months ago, still been storing his timber and where Jupien intended to keep his coal, climb the flight of steps which led to the interior of the shop. Thus the whole of my journey would be made under cover, I should not be seen by anyone. This was the most prudent method. It was not the one that I adopted, but, keeping close to the walls, I made a circuit in the open air of the courtyard, trying not to let myself be seen. If I was not, I owe it more, I am sure, to chance than to my own sagacity. And for the fact that I took so imprudent a course, when the way through the cellar was so safe, I can see three possible reasons, assuming that I had any reason at all. First of all, my impatience. Secondly, perhaps, a dim memory of the scene at Montjouvain, when I stood concealed outside Mlle. Vinteuil′s window. Certainly, the affairs of this sort of which I have been a spectator have always been presented in a setting of the most imprudent and least probable character, as if such revelations were to be the reward of an action full of risk, though in part clandestine. Lastly, I hardly dare, so childish does it appear, to confess the third reason, which was, I am quite sure, unconsciously decisive. Since, in order to follow — and see controverted — the military principles enunciated by Saint-Loup, I had followed in close detail the course of the Boer war, I had been led on from that to read again old accounts of explorations, narratives of travel. These stories had excited me, and I applied them to the events of my daily life to stimulate my courage. When attacks of illness had compelled me to remain for several days and nights on end not only without sleep but without lying down, without tasting food or drink, at the moment when my pain and exhaustion became so intense that I felt that I should never escape from them, I would think of some traveller cast on the beach, poisoned by noxious herbs, shivering with fever in clothes drenched by the salt water, who nevertheless in a day or two felt stronger, rose and went blindly upon his way, in search of possible inhabitants who might, when he came to them, prove cannibals. His example acted on me as a tonic, restored my hope, and I felt ashamed of my momentary discouragement. Thinking of the Boers who, with British armies facing them, were not afraid to expose themselves at the moment when they had to cross, in order to reach a covered position, a tract of open country: “It would be a fine thing,” I thought to myself, “if I were to shew less courage when the theatre of operations is simply the human heart, and when the only steel that I, who engaged in more than one duel without fear at the time of the Dreyfus case, have to fear is that of the eyes of the neighbours who have other things to do besides looking into the courtyard,”
Mais quand je fus dans la boutique, évitant de faire craquer le moins du monde le plancher, en me rendant compte que le moindre craquement dans la boutique de Jupien s′entendait de la mienne, je songeai combien Jupien et M. de Charlus avaient été imprudents et combien la chance les avait servis. But when I was inside the shop, taking care not to let any plank in the floor make the slightest creak, as I found that the least sound in Jupien′s shop could be heard from the other, I thought to myself how rash Jupien and M. de Charlus had been, and how wonderfully fortune had favoured them.
Je n′osais bouger. Le palefrenier des Guermantes, profitant sans doute de leur absence, avait bien transféré dans la boutique où je me trouvais une échelle serrée jusque-là dans la remise. Et si j′y étais monté j′aurais pu ouvrir le vasistas et entendre comme si j′avais été chez Jupien même. Mais je craignais de faire du bruit. Du reste c′était inutile. Je n′eus même pas à regretter de n′être arrivé qu′au bout de quelques minutes dans ma boutique. Car d′après ce que j′entendis les premiers temps dans celle de Jupien et qui ne furent que des sons inarticulés, je suppose que peu de paroles furent prononcées. Il est vrai que ces sons étaient si violents que, s′ils n′avaient pas été toujours repris un octave plus haut par une plainte parallèle, j′aurais pu croire qu′une personne en égorgeait une autre à côté de moi et qu′ensuite le meurtrier et sa victime ressuscitée prenaient un bain pour effacer les traces du crime. J′en conclus plus tard qu′il y a une chose aussi bruyante que la souffrance, c′est le plaisir, surtout quand s′y ajoutent —à défaut de la peur d′avoir des enfants, ce qui ne pouvait être le cas ici, malgré l′exemple peu probant de la Légende dorée — des soucis immédiats de propreté. Enfin au bout d′une demi-heure environ (pendant laquelle je m′étais hissé à pas de loup sur mon échelle afin de voir par le vasistas que je n′ouvris pas), une conversation s′engagea. Jupien refusait avec force l′argent que M. de Charlus voulait lui donner. I did not dare move. The Guermantes groom, taking advantage no doubt of his master′s absence, had, as it happened, transferred to the shop in which I now stood a ladder which hitherto had been kept in the coach-house, and if I had climbed this I could have opened the ventilator above and heard as well as if I had been in Jupien′s shop itself. But I was afraid of making a noise. Besides, it was unnecessary. I had not even cause to regret my not having arrived in the shop until several minutes had elapsed. For from what I heard at first in Jupien′s shop, which was only a series of inarticulate sounds, I imagine that few words had been exchanged. It is true that these sounds were so violent that, if one set had not always been taken up an octave higher by a parallel plaint, I might have thought that one person was strangling another within a few feet of me, and that subsequently the murderer and his resuscitated victim were taking a bath to wash away the traces of the crime. I concluded from this later on that there is another thing as vociferous as pain, namely pleasure, especially when there is added to it — failing the fear of an eventual parturition, which could not be present in this case, despite the hardly convincing example in the Golden Legend — an immediate afterthought of cleanliness. Finally, after about half an hour (during which time I had climbed on tip-toe up my ladder so as to peep through the ventilator which I did not open), a conversation began. Jupien refused with insistence the money that M. de Charlus was pressing upon him.
Au bout d′une demi-heure, M. de Charlus ressortit. «Pourquoi avez-vous votre menton rasé comme cela, dit-il au baron d′un ton de câlinerie. C′est si beau une belle barbe. — Fi! c′est dégoûtant», répondit le baron. Cependant il s′attardait encore sur le pas de la porte et demandait à Jupien des renseignements sur le quartier. «Vous ne savez rien sur le marchand de marrons du coin, pas à gauche, c′est une horreur, mais du côté pair, un grand gaillard tout noir? Et le pharmacien d′en face, il a un cycliste très gentil qui porte ses médicaments.» Ces questions froissèrent sans doute Jupien car, se redressant avec le dépit d′une grande coquette trahie, il répondit: «Je vois que vous avez un coeur d′artichaut.» Proféré d′un ton douloureux, glacial et maniéré, ce reproche fut sans doute sensible à M. de Charlus qui, pour effacer la mauvaise impression que sa curiosité avait produite, adressa à Jupien, trop bas pour que je distinguasse bien les mots, une prière qui nécessiterait sans doute qu′ils prolongeassent leur séjour dans la boutique et qui toucha assez le giletier pour effacer sa souffrance, car il considéra la figure du baron, grasse et congestionnée sous les cheveux gris, de l′air noyé de bonheur de quelqu′un dont on vient de flatter profondément l′amour-propre, et, se décidant à accorder à M. de Charlus ce que celui-ci venait de lui demander, Jupien, après des remarques dépourvues de distinction telles que: «Vous en avez un gros pétard!», dit au baron d′un air souriant, ému, supérieur et reconnaissant: «Oui, va, grand gosse!» “Why do you have your chin shaved like that,” he inquired of the Baron in a cajoling tone. “It′s so becoming, a nice beard.” “Ugh! It′s disgusting,” the Baron replied. Meanwhile he still lingered upon the threshold and plied Jupien with questions about the neighbourhood. “You don′t know anything about the man who sells chestnuts at the corner, not the one on the left, he′s a horror, but the other way, a great, dark fellow? And the chemist opposite, he has a charming cyclist who delivers his parcels.” These questions must have ruffled Jupien, for, drawing himself up with the scorn of a great courtesan who has been forsaken, he replied: “I can see you are completely heartless.” Uttered in a pained, frigid, affected tone, this reproach must have made its sting felt by M. de Charlus, who, to counteract the bad impression made by his curiosity, addressed to Jupien, in too low a tone for me to be able to make out his words, a request the granting of which would doubtless necessitate their prolonging-their sojourn in the shop, and which moved the tailor sufficiently to make-him forget his annoyance, for he studied the Baron′s face, plump and flushed beneath his grey hair, with the supremely blissful air of a person whose self-esteem has just been profoundly flattered, and, deciding to grant M. de Charlus the favour that he had just asked of him, after various remarks lacking in refinement such as: “Aren′t you naughty!” said to the Baron with a smiling, emotional, superior and grateful air: “All right, you big baby, come along!”
«Si je reviens sur la question du conducteur de tramway, reprit M. de Charlus avec ténacité, c′est qu′en dehors de tout, cela pourrait présenter quelque intérêt pour le retour. Il m′arrive en effet, comme le calife qui parcourait Bagdad pris pour un simple marchand, de condescendre à suivre quelque curieuse petite personne dont la silhouette m′aura amusé.» Je fis ici la même remarque que j′avais faite sur Bergotte. S′il avait jamais à répondre devant un tribunal, il userait non de phrases propres à convaincre les juges, mais de ces phrases bergottesques que son tempérament littéraire particulier lui suggérait naturellement et lui faisait trouver plaisir à employer. Pareillement M. de Charlus se servait, avec le giletier, du même langage qu′il eût fait avec des gens du monde de sa coterie, exagérant même ses tics, soit que la timidité contre laquelle il s′efforçait de lutter le poussât à un excessif orgueil, soit que, l′empêchant de se dominer (car on est plus troublé devant quelqu′un qui n′est pas de votre milieu), elle le forçât de dévoiler, de mettre à nu sa nature, laquelle était en effet orgueilleuse et un peu folle, comme disait Mme de Guermantes. «Pour ne pas perdre sa piste, continua-t-il, je saute comme un petit professeur, comme un jeune et beau médecin, dans le même tramway que la petite personne, dont nous ne parlons au féminin que pour suivre la règle (comme on dit en parlant d′un prince: Est-ce que Son Altesse est bien portante). Si elle change de tramway, je prends, avec peut-être les microbes de la peste, la chose incroyable appelée «correspondance», un numéro, et qui, bien qu′on le remette à moi , n′est pas toujours le n° 1! Je change ainsi jusqu′à trois, quatre fois de «voiture». Je m′échoue parfois à onze heures du soir à la gare d′Orléans, et il faut revenir! Si encore ce n′était que de la gare d′Orléans! Mais une fois, par exemple, n′ayant pu entamer la conversation avant, je suis allé jusqu′à Orléans même, dans un de ces affreux wagons où on a comme vue, entre des triangles d′ouvrages dits de «filet», la photographie des principaux chefs-d′oeuvre d′architecture du réseau. Il n′y avait qu′une place de libre, j′avais en face de moi, comme monument historique, une «vue» de la cathédrale d′Orléans, qui est la plus laide de France, et aussi fatigante à regarder ainsi malgré moi que si on m′avait forcé d′en fixer les tours dans la boule de verre de ces porte-plume optiques qui donnent des ophtalmies. Je descendis aux Aubrais en même temps que ma jeune personne qu′hélas, sa famille (alors que je lui supposais tous les défauts excepté celui d′avoir une famille) attendait sur le quai! Je n′eus pour consolation, en attendant le train qui me ramènerait à Paris, que la maison de Diane de Poitiers. Elle a eu beau charmer un de mes ancêtres royaux, j′eusse préféré une beauté plus vivante. C′est pour cela, pour remédier à l′ennui de ces retours seul, que j′aimerais assez connaître un garçon des wagons-lits, un conducteur d′omnibus. Du reste ne soyez pas choqué, conclut le baron, tout cela est une question de genre. Pour les jeunes gens du monde par exemple, je ne désire aucune possession physique, mais je ne suis tranquille qu′une fois que je les ai touchés, je ne veux pas dire matériellement, mais touché leur corde sensible. Une fois qu′au lieu de laisser mes lettres sans réponse, un jeune homme ne cesse plus de m′écrire, qu′il est à ma disposition morale, je suis apaisé, ou du moins je le serais, si je n′étais bientôt saisi par le souci d′un autre. C′est assez curieux, n′est-ce pas? A propos de jeunes gens du monde, parmi ceux qui viennent ici, vous n′en connaissez pas? — Non, mon bébé. Ah! si, un brun, très grand, à monocle, qui rit toujours et se retourne. — Je ne vois pas qui vous voulez dire.» Jupien compléta le portrait, M. de Charlus ne pouvait arriver à trouver de qui il s′agissait, parce qu′il ignorait que l′ancien giletier était une de ces personnes, plus nombreuses qu′on ne croit, qui ne se rappellent pas la couleur des cheveux des gens qu′ils connaissent peu. Mais pour moi, qui savais cette infirmité de Jupien et qui remplaçais brun par blond, le portrait me parut se rapporter exactement au duc de Châtellerault. «Pour revenir aux jeunes gens qui ne sont pas du peuple, reprit le baron, en ce moment j′ai la tête tournée par un étrange petit bonhomme, un intelligent petit bourgeois, qui montre à mon égard une incivilité prodigieuse. Il n′a aucunement la notion du prodigieux personnage que je suis et du microscopique vibrion qu′il figure. Après tout qu′importe, ce petit âne peut braire autant qu′il lui plaît devant ma robe auguste d′évêque. —Évêque! s′écria Jupien qui n′avait rien compris des dernières phrases que venait de prononcer M. de Charlus, mais que le mot d′évêque stupéfia. Mais cela ne va guère avec la religion, dit-il. — J′ai trois papes dans ma famille, répondit M. de Charlus, et le droit de draper en rouge à cause d′un titre cardinalice, la nièce du cardinal mon grand-oncle ayant apporté à mon grand-père le titre de duc qui fut substitué. Je vois que les métaphores vous laissent sourd et l′histoire de France indifférent. Du reste, ajouta-t-il, peut-être moins en manière de conclusion que d′avertissement, cet attrait qu′exercent sur moi les jeunes personnes qui me fuient, par crainte, bien entendu, car seul le respect leur ferme la bouche pour me crier qu′elles m′aiment, requiert-il d′elles un rang social éminent. Encore leur feinte indifférence peut-elle produire malgré cela l′effet directement contraire. Sottement prolongée elle m′écoeure. Pour prendre un exemple dans une classe qui vous sera plus familière, quand on répara mon hôtel, pour ne pas faire de jalouses entre toutes les duchesses qui se disputaient l′honneur de pouvoir me dire qu′elles m′avaient logé, j′allai passer quelques jours à l′«hôtel», comme on dit. Un des garçons d′étage m′était connu, je lui désignai un curieux petit «chasseur» qui fermait les portières et qui resta réfractaire à mes propositions. A la fin exaspéré, pour lui prouver que mes intentions étaient pures, je lui fis offrir une somme ridiculement élevée pour monter seulement me parler cinq minutes dans ma chambre. Je l′attendis inutilement. Je le pris alors en un tel dégoût que je sortais par la porte de service pour ne pas apercevoir la frimousse de ce vilain petit drôle. J′ai su depuis qu′il n′avait jamais eu aucune de mes lettres, qui avaient été interceptées, la première par le garçon d′étage qui était envieux, la seconde par le concierge de jour qui était vertueux, la troisième par le concierge de nuit qui aimait le jeune chasseur et couchait avec lui à l′heure où Diane se levait. Mais mon dégoût n′en a pas moins persisté, et m′apporterait-on le chasseur comme un simple gibier de chasse sur un plat d′argent, je le repousserais avec un vomissement. Mais voilà le malheur, nous avons parlé de choses sérieuses et maintenant c′est fini entre nous pour ce que j′espérais. Mais vous pourriez me rendre de grands services, vous entremettre; et puis non, rien que cette idée me rend quelque gaillardise et je sens que rien n′est fini.» “If I hark back to the question of the tram conductor,” M. de Charlus went on imperturbably, “it is because, apart from anything else, he might offer me some entertainment on my homeward journey. For it falls to my lot, now and then, like the Caliph who used to roam the streets of Bagdad in the guise of a common merchant, to condescend to follow some curious little person whose profile may have taken my fancy.” I made at this point the same observation that I had made on Bergotte. If he should ever have to plead before a bench, he would employ not the sentences calculated to convince his judges, but such Bergottesque sentences as his peculiar literary temperament suggested to him and made him find pleasure in using. Similarly M. de Charlus, in conversing with the tailor, made use of the same language that he would have used to fashionable people of his own set, even exaggerating its eccentricities, whether because the shyness which he was striving to overcome drove him to an excess of pride or, by preventing him from mastering himself (for we are always less at our ease in the company of some one who is not of our station), forced him to unveil, to lay bare his true nature, which was, in fact, arrogant and a trifle mad, as Mme. de Guermantes had remarked. “So as not to lose the trail,” he went on, “I spring like a little usher, like a young and good-looking doctor, into the same car as the little person herself, of whom we speak in the feminine gender only so as to conform with the rules of grammar (as we say, in speaking of a Prince, ‘Is His Highness enjoying her usual health′). If she changes her car, I take, with possibly the germs of the plague, that incredible thing called a ‘transfer,′ a number, and one which, albeit it is presented to me, is not always number one! I change ‘carriages′ in this way as many as three or four times, I end up sometimes at eleven o′clock at night at the Orleans station and have to come home. Still, if it were only the Orleans station! Once, I must tell you, not having managed to get into conversation sooner, I went all the way to Orleans itself, in one of those frightful compartments where one has, to rest one′s eyes upon, between triangles of what is known as ‘string-work,′ photographs of the principal architectural features of the line. There was only one vacant seat; I had in front of me, as an historic edifice, a ‘view′ of the Cathedral of Orleans, quite the ugliest in France, and as tiring a thing to have to stare at in that way against my will as if somebody had forced me to focus its towers in the lens of one of those optical penholders which give one ophthalmia. I got out of the train at Les Aubrais together with my young person, for whom alas his family (when I had imagined him to possess every defect except that of having a family) were waiting on the platform! My sole consolation, as I waited for a train to take me back to Paris, was the house of Diane de Poitiers. She may indeed have charmed one of my royal ancestors, I should have preferred a more living beauty. That is why, as an antidote to the boredom of returning home by myself, I should rather like to make friends with a sleeping-car attendant or the conductor of an omnibus. Now, don′t be shocked,” the Baron wound up, “it is all a question of class. With what you call ‘young gentlemen,′ for instance, I feel no desire actually to have them, but I am never satisfied until I have touched them, I don′t mean physically, but touched a responsive chord. As soon as, instead of leaving my letters unanswered, a young man starts writing to me incessantly, when he is morally at my disposal, I grow calm again, or at least I should grow calm were I not immediately caught by the attraction of another. Rather curious, ain′t it? — Speaking of ‘young gentlemen,′ those that come to the house here, do you know any of them?” “No, baby. Oh, yes, I do, a dark one, very tall, with an eye-glass, who keeps smiling and turning round.” “I don′t know who′ you mean.” Jupien filled in the portrait, but M. de Charlus could not succeed in identifying its subject, not knowing that the ex-tailor was one of those persons, more common than is generally supposed, who never remember the colour of the hair of people they do not know well. But to me, who was aware of this infirmity in Jupien and substituted ‘fair′ for ‘dark,′ the portrait appeared to be an exact description of the Duc de Châtellerault. “To return to young men not of the lower orders,” the Baron went on, “at the present moment my head has been turned by a strange little fellow, an intelligent little cit who shews with regard to myself a prodigious want of civility. He has absolutely no idea of the prodigious personage that I am, and of the microscopic animalcule that he is in comparison. After all, what does it matter, the little ass may bray his head off before my august bishop′s mantle.” “Bishop!” cried Jupien, who had understood nothing of M. de Charlus′s concluding remarks, but was completely taken aback by the word bishop. “But that sort of thing doesn′t go with religion,” he said. “I have three Popes in my family,” replied M. de Charlus, “and enjoy the right to mantle in gules by virtue of a cardinalatial title, the niece of the Cardinal, my great-uncle, having conveyed to my grandfather the title of Duke which was substituted for it. I see, though, that metaphor leaves you deaf and French history cold. Besides,” he added, less perhaps by way of conclusion than as a warning, “this attraction that I feel towards the young people who avoid me, from fear of course, for only their natural respect stops their mouths from crying out to me that they love me, requires in them an outstanding social position. And again, their feint of indifference may produce, in spite of that, the directly opposite effect. Fatuously prolonged, it sickens me. To take an example from a class with which you are more familiar, when they were doing up my Hôtel, so as not to create jealousies among all the duchesses who were vying with one another for the honour of being able to say that they had given me a lodging, I went for a few days to an ‘hotel,′ as they call inns nowadays. One of the bedroom valets I knew, I pointed out to him an interesting little page who used to open and shut the front door, and who remained refractory to my proposals. Finally, losing my temper, in order to prove to him that my intentions were pure, I made him an offer of a ridiculously high sum simply to come upstairs and talk to me for five minutes in my room. I waited for him in vain. I then took such a dislike to him that I used to go out by the service door so as not to see his villainous little mug at the other. I learned afterwards that he had never had any of my notes, which had been intercepted, the first by the bedroom valet, who was jealous, the next by the day porter, who was virtuous, the third by the night porter, who was in love with the little page, and used to couch with him at the hour when Dian rose. But my disgust persisted none the less, and were they to bring me the page, simply like a dish of venison on a silver platter, I should thrust him away with a retching stomach. But there′s the unfortunate part of it, we have spoken of serious matters, and now all is over between us, there can be no more question of what I hoped to secure. But you could render me great services, act as my agent; why no, the mere thought of such a thing restores my vigour, and I can see that all is by no means over.”
Dès le début de cette scène, une révolution, pour mes yeux dessillés, s′était opérée en M. de Charlus, aussi complète, aussi immédiate que s′il avait été touché par une baguette magique. Jusque-là, parce que je n′avais pas compris, je n′avais pas vu. Le vice (on parle ainsi pour la commodité du langage), le vice de chacun l′accompagne à la façon de ce génie qui était invisible pour les hommes tant qu′ils ignoraient sa présence. La bonté, la fourberie, le nom, les relations mondaines, ne se laissent pas découvrir, et on les porte cachés. Ulysse lui-même ne reconnaissait pas d′abord Athéné. Mais les dieux sont immédiatement perceptibles aux dieux, le semblable aussi vite au semblable, ainsi encore l′avait été M. de Charlus à Jupien. Jusqu′ici je m′étais trouvé, en face de M. de Charlus, de la même façon qu′un homme distrait, lequel, devant une femme enceinte dont il n′a pas remarqué la taille alourdie, s′obstine, tandis qu′elle lui répète en souriant: «Oui, je suis un peu fatiguée en ce moment», à lui demander indiscrètement: «Qu′avez-vous donc?» Mais que quelqu′un lui dise: «Elle est grosse», soudain il aperçoit le ventre et ne verra plus que lui. C′est la raison qui ouvre les yeux; une erreur dissipée nous donne un sens de plus. From the beginning of this scene a revolution, in my unsealed eyes, had occurred in M. de Charlus, as complete, as immediate as if he had been touched by a magician′s wand. Until then, because I had not understood, I had not seen. The vice (we use the word for convenience only), the vice of each of us accompanies him through life after the manner of the familiar genius who was invisible to men so long as they were unaware of his presence. Our goodness, our meanness, our name, our social relations do not disclose themselves to the eye, we carry them hidden within us. Even Ulysses did not at once recognise Athena. But the gods are immediately perceptible to one another, as quickly like to like, and so too had M. de Charlus been to Jupien. Until that moment I had been, in the presence of M. de Charlus, in the position of an absent-minded man who, standing before a pregnant woman whose distended outline he has failed to remark, persists, while she smilingly reiterates: “Yes, I am a little tired just now,” in asking her indiscreetly: “Why, what is the matter with you?” But let some one say to him: “She is expecting a child,” suddenly he catches sight of her abdomen and ceases to see anything else. It is the explanation that opens our eyes; the dispelling of an error gives us an additional sense.
Les personnes qui n′aiment pas se reporter comme exemples de cette loi aux messieurs de Charlus de leur connaissance, que pendant bien longtemps elles n′avaient pas soupçonnés, jusqu′au jour où, sur la surface unie de l′individu pareil aux autres, sont venus apparaître, tracés en une encre jusque-là, invisible, les caractères qui composent le mot cher aux anciens Grecs, n′ont, pour se persuader que le monde qui les entoure leur apparaît d′abord nu, dépouillé de mille ornements qu′il offre à de plus instruits, qu′à se souvenir combien de fois, dans la vie, il leur est arrivé d′être sur le point de commettre une gaffe. Rien, sur le visage privé de caractères de tel ou tel homme, ne pouvait leur faire supposer qu′il était précisément le frère, ou le fiancé, ou l′amant d′une femme dont elles allaient dire: «Quel chameau!» Mais alors, par bonheur, un mot que leur chuchote un voisin arrête sur leurs lèvres le terme fatal. Aussitôt apparaissent, comme un Mane, Thecel, Phares , ces mots: il est le fiancé, ou: il est le frère, ou: il est l′amant de la femme qu′il ne convient pas d′appeler devant lui: «chameau». Et cette seule notion nouvelle entraînera tout un regroupement, le retrait ou l′avance de la fraction des notions, désormais complétées, qu′on possédait sur le reste de la famille. En M. de Charlus un autre être avait beau s′accoupler, qui le différenciait des autres hommes, comme dans le centaure le cheval, cet être avait beau faire corps avec le baron, je ne l′avais jamais aperçu. Maintenant l′abstrait s′était matérialisé, l′être enfin compris avait aussitôt perdu son pouvoir de rester invisible, et la transmutation de M. de Charlus en une personne nouvelle était si complète, que non seulement les contrastes de son visage, de sa voix, mais rétrospectivement les hauts et les bas eux-mêmes de ses relations avec moi, tout ce qui avait paru jusque-là incohérent à mon esprit, devenaient intelligibles, se montraient évidents, comme une phrase, n′offrant aucun sens tant qu′elle reste décomposée en lettres disposées au hasard, exprime, si les caractères se trouvent replacés dans l′ordre qu′il faut, une pensée que l′on ne pourra plus oublier. Those of my readers who do not care to refer, for examples of this law, to the Messieurs de Charlus of their acquaintance, whom for long years they had never suspected, until the day when, upon the smooth surface of the individual just like everyone else, there suddenly appeared, traced in an ink hitherto invisible, the characters that compose the word dear to the ancient Greeks, have only, in order to convince themselves that the world which surrounds them appears to them at first naked, bare of a thousand ornaments which it offers to the eyes of others better informed, to remind themselves how many times in the course of their lives they have found themselves on the point of making a blunder. Nothing upon the blank, undocumented face of this man or that could have led them to suppose that he was precisely the brother, or the intended husband, or the lover of a woman of whom they were just going to remark: “What a cow!” But then, fortunately, a word whispered to them by some one standing near arrests the fatal expression on their lips. At once there appear, like a Mané, Tekel, Upharsin, the words: “He is engaged to,” or, “he is the brother of,” or “he is the lover of the woman whom we ought not to describe, in his hearing, as a cow.” And this one new conception will bring about an entire regrouping, thrusting some back, others forward, of the fractional conceptions, henceforward a complete whole, which we possessed of the rest of the family. In M. de Charlus another creature might indeed have coupled itself with him which made him as different from other men as the horse makes the centaur, this creature might indeed have incorporated itself in the Baron, I had never caught a glimpse of it. Now the abstraction had become materialised, the creature at last discerned had lost its power of remaining invisible, and the transformation of M. de Charlus into a new person was so complete that not only the contrasts of his face, of his voice, but, in retrospect, the very ups and downs of his relations with myself, everything that hitherto had seemed to my mind incoherent, became intelligible, brought itself into evidence, just as a sentence which presents no meaning so long as it remains broken up in letters scattered at random upon a table, expresses, if these letters be rearranged in the proper order, a thought which one can never afterwards forget.
De plus je comprenais maintenant pourquoi tout à l′heure, quand je l′avais vu sortir de chez Mme de Villeparisis, j′avais pu trouver que M. de Charlus avait l′air d′une femme: c′en était une! Il appartenait à la race de ces êtres, moins contradictoires qu′ils n′en ont l′air, dont l′idéal est viril, justement parce que leur tempérament est féminin, et qui sont dans la vie pareils, en apparence seulement, aux autres hommes; là où chacun porte, inscrite en ces yeux à travers lesquels il voit toutes choses dans l′univers, une silhouette installée dans la facette de la prunelle, pour eux ce n′est pas celle d′une nymphe, mais d′un éphèbe. Race sur qui pèse une malédiction et qui doit vivre dans le mensonge et le parjure, puisqu′elle sait tenu pour punissable et honteux, pour inavouable, son désir, ce qui fait pour toute créature la plus grande douceur de vivre; qui doit renier son Dieu, puisque, même chrétiens, quand à la barre du tribunal ils comparaissent comme accusés, il leur faut, devant le Christ et en son nom, se défendre comme d′une calomnie de ce qui est leur vie même; fils sans mère, à laquelle ils sont obligés de mentir toute la vie et même à l′heure de lui fermer les yeux; amis sans amitiés, malgré toutes celles que leur charme fréquemment reconnu inspire et que leur coeur souvent bon ressentirait; mais peut-on appeler amitiés ces relations qui ne végètent qu′à la faveur d′un mensonge et d′où le premier élan de confiance et de sincérité qu′ils seraient tentés d′avoir les ferait rejeter avec dégoût, à moins qu′ils n′aient à faire à un esprit impartial, voire sympathique, mais qui alors, égaré à leur endroit par une psychologie de convention, fera découler du vice confessé l′affection même qui lui est la plus étrangère, de même que certains juges supposent et excusent plus facilement l′assassinat chez les invertis et la trahison chez les Juifs pour des raisons tirées du péché originel et de la fatalité de la race. Enfin — du moins selon la première théorie que j′en esquissais alors, qu′on verra se modifier par la suite, et en laquelle cela les eût par-dessus tout fâchés si cette contradiction n′avait été dérobée à leurs yeux par l′illusion même que les faisait voir et vivre — amants à qui est presque fermée la possibilité de cet amour dont l′espérance leur donne la force de supporter tant de risques et de solitudes, puisqu′ils sont justement épris d′un homme qui n′aurait rien d′une femme, d′un homme qui ne serait pas inverti et qui, par conséquent, ne peut les aimer; de sorte que leur désir serait à jamais inassouvissable si l′argent ne leur livrait de vrais hommes, et si l′imagination ne finissait par leur faire prendre pour de vrais hommes les invertis à qui ils se sont prostitués. Sans honneur que précaire, sans liberté que provisoire, jusqu′à la découverte du crime; sans situation qu′instable, comme pour le poète la veille fêté dans tous les salons, applaudi dans tous les théâtres de Londres, chassé le lendemain de tous les garnis sans pouvoir trouver un oreiller où reposer sa tête, tournant la meule comme Samson et disant comme lui: «Les deux sexes mourront chacun de son côté»; exclus même, hors les jours de grande infortune où le plus grand nombre se rallie autour de la victime, comme les Juifs autour de Dreyfus, de la sympathie — parfois de la société— de leurs semblables, auxquels ils donnent le dégoût de voir ce qu′ils sont, dépeint dans un miroir qui, ne les flattant plus, accuse toutes les tares qu′ils n′avaient pas voulu remarquer chez eux-mêmes et qui leur fait comprendre que ce qu′ils appelaient leur amour (et à quoi, en jouant sur le mot, ils avaient, par sens social, annexé tout ce que la poésie, la peinture, la musique, la chevalerie, l′ascétisme, ont pu ajouter à l′amour) découle non d′un idéal de beauté qu′ils ont élu, mais d′une maladie inguérissable; comme les Juifs encore (sauf quelques-uns qui ne veulent fréquenter que ceux de leur race, ont toujours à la bouche les mots rituels et les plaisanteries consacrées) se fuyant les uns les autres, recherchant ceux qui leur sont le plus opposés, qui ne veulent pas d′eux, pardonnant leurs rebuffades, s′enivrant de leurs complaisances; mais aussi rassemblés à leurs pareils par l′ostracisme qui les frappe, l′opprobre où ils sont tombés, ayant fini par prendre, par une persécution semblable à celle d′Israël, les caractères physiques et moraux d′une race, parfois beaux, souvent affreux, trouvant (malgré toutes les moqueries dont celui qui, plus mêlé, mieux assimilé à la race adverse, est relativement, en apparence, le moins inverti, accable qui l′est demeuré davantage) une détente dans la fréquentation de leurs semblables, et même un appui dans leur existence, si bien que, tout en niant qu′ils soient une race (dont le nom est la plus grande injure), ceux qui parviennent à cacher qu′ils en sont, ils les démasquent volontiers, moins pour leur nuire, ce qu′ils ne détestent pas, que pour s′excuser, et allant chercher, comme un médecin l′appendicite, l′inversion jusque dans l′histoire, ayant plaisir à rappeler que Socrate était l′un d′eux, comme les Israélites disent de Jésus, sans songer qu′il n′y avait pas d′anormaux quand l′homosexualité était la norme, pas d′antichrétiens avant le Christ, que l′opprobre seul fait le crime, parce qu′il n′a laissé subsister que ceux qui étaient réfractaires à toute prédication, à tout exemple, à tout châtiment, en vertu d′une disposition innée tellement spéciale qu′elle répugne plus aux autres hommes (encore qu′elle puisse s′accompagner de hautes qualités morales) que de certains vices qui y contredisent, comme le vol, la cruauté, la mauvaise foi, mieux compris, donc plus excusés du commun des hommes; formant une franc-maçonnerie bien plus étendue, plus efficace et moins soupçonnée que celle des loges, car elle repose sur une identité de goûts, de besoins, d′habitudes, de dangers, d′apprentissage, de savoir, de trafic, de glossaire, et dans laquelle les membres mêmes qui souhaitent de ne pas se connaître aussitôt se reconnaissent à des signes naturels ou de convention, involontaires ou voulus, qui signalent un de ses semblables au mendiant dans le grand seigneur à qui il ferme la portière de sa voiture, au père dans le fiancé de sa fille, à celui qui avait voulu se guérir, se confesser, qui avait à se défendre, dans le médecin, dans le prêtre, dans l′avocat qu′il est allé trouver; tous obligés à protéger leur secret, mais ayant leur part d′un secret des autres que le reste de l′humanité ne soupçonne pas et qui fait qu′à eux les romans d′aventure les plus invraisemblables semblent vrais, car dans cette vie romanesque, anachronique, l′ambassadeur est ami du forçat; le prince, avec une certaine liberté d′allures que donne l′éducation aristocratique et qu′un petit bourgeois tremblant n′aurait pas, en sortant de chez la duchesse s′en va conférer avec l′apache; partie réprouvée de la collectivité humaine, mais partie importante, soupçonnée là où elle n′est pas étalée, insolente, impunie là où elle n′est pas devinée; comptant des adhérents partout, dans le peuple, dans l′armée, dans le temple, au bagne, sur le trône; vivant enfin, du moins un grand nombre, dans l′intimité caressante et dangereuse avec les hommes de l′autre race, les provoquant, jouant avec eux à parler de son vice comme s′il n′était pas sien, jeu qui est rendu facile par l′aveuglement ou la fausseté des autres, jeu qui peut se prolonger des années jusqu′au jour du scandale où ces dompteurs sont dévorés; jusque-là obligés de cacher leur vie, de détourner leurs regards d′où ils voudraient se fixer, de les fixer sur ce dont ils voudraient se détourner, de changer le genre de bien des adjectifs dans leur vocabulaire, contrainte sociale légère auprès de la contrainte intérieure que leur vice, ou ce qu′on nomme improprement ainsi, leur impose non plus à l′égard des autres mais d′eux-mêmes, et de façon qu′à eux-mêmes il ne leur paraisse pas un vice. Mais certains, plus pratiques, plus pressés, qui n′ont pas le temps d′aller faire leur marché et de renoncer à la simplification de la vie et à ce gain de temps qui peut résulter de la coopération, se sont fait deux sociétés dont la seconde est composée exclusivement d′êtres pareils à eux. I now understood, moreover, how, earlier in the day, when I had seen him coming away from Mme. de Villeparisis′s, I had managed to arrive at the conclusion that M. de Charlus looked like a woman: he was one! He belonged to that race of beings, less paradoxical than they appear, whose ideal is manly simply because their temperament is feminine and who in their life resemble in appearance only the rest of men; there where each of us carries, inscribed in those eyes through which he beholds everything in the universe, a human outline engraved on the surface of the pupil, for them it is that not of a nymph but of a youth. Race upon which a curse weighs and which must live amid falsehood and perjury, because it knows the world to regard as a punishable and a scandalous, as an inadmissible thing, its desire, that which constitutes for every human creature the greatest happiness in life; which must deny its God, since even Christians, when at the bar of justice they appear and are arraigned, must before Christ and in His Name defend themselves, as from a calumny, from the charge of what to them is life itself; sons without a mother, to whom they are obliged to lie all her life long and even in the hour when they close her dying eyes; friends without friendships, despite all those which their charm, frequently recognised, inspires and their hearts, often generous, would gladly feel; but can we describe as friendship those relations which flourish only by virtue of a lie and from which the first outburst of confidence and sincerity in which they might be tempted to indulge would make them be expelled with disgust, unless they are dealing with an impartial, that is to say a sympathetic mind, which however in that case, misled with regard to them by a conventional psychology, will suppose to spring from the vice confessed the very affection that is most alien to it, just as certain judges assume and are more inclined to pardon murder in inverts and treason in Jews for reasons derived from original sin and racial predestination. And lastly — according at least to the first theory which I sketched in outline at the time and which we shall see subjected to some modification in the sequel, a theory by which this would have angered them above all things, had not the paradox been hidden from their eyes by the very illusion that made them see and live — lovers from whom is always precluded the possibility of that love the hope of which gives them the strength to endure so many risks and so much loneliness, since they fall in love with precisely that type of man who has nothing feminine about him, who is not an invert and consequently cannot love them in return; with the result that their desire would be for ever insatiable did not their money procure for them real men, and their imagination end by making them take for real men the inverts to whom they had prostituted themselves. Their honour precarious, their liberty provisional, lasting only until the discovery of their crime; their position unstable, like that of the poet who one day was feasted at every table, applauded in every theatre in London, and on the next was driven from every lodging, unable to find a pillow upon which to lay his head, turning the mill like Samson and saying like him: “The two sexes shall die, each in a place apart!”; excluded even, save on the days of general disaster when the majority rally round the victim as the Jews rallied round Dreyfus, from the sympathy — at times from the society — of their fellows, in whom they inspire only disgust at seeing themselves as they are, portrayed in a mirror which, ceasing to flatter them, accentuates every blemish that they have refused to observe in themselves, and makes them understand that what they have been calling their love (a thing to which, playing upon the word, they have by association annexed all that poetry, painting, music, chivalry, asceticism have contrived to add to love) springs not from an ideal of beauty which they have chosen but from an incurable malady; like the Jews again (save some who will associate only with others of their race and have always on their lips ritual words and consecrated pleasantries), shunning one another, seeking out those who are most directly their opposite, who do not desire their company, pardoning their rebuffs, moved to ecstasy by their condescension; but also brought into the company of their own kind by the ostracism that strikes them, the opprobrium under which they have fallen, having finally been invested, by a persecution similar to that of Israel, with the physical and moral characteristics of a race, sometimes beautiful, often hideous, finding (in spite of all the mockery with which he who, more closely blended with, better assimilated to the opposing race, is relatively, in appearance, the least inverted, heaps upon him who has remained more so) a relief in frequenting the society of their kind, and even some corroboration of their own life, so much so that, while steadfastly denying that they are a race (the name of which is the vilest of insults), those who succeed in concealing the fact that they belong to it they readily unmask, with a view less to injuring them, though they have no scruple about that, than to excusing themselves; and, going in search (as a doctor seeks cases of appendicitis) of cases of inversion in history, taking pleasure in recalling that Socrates was one of themselves, as the Israelites claim that Jesus was one of them, without reflecting that there were no abnormals when homosexuality was the norm, no anti-Christians before Christ, that the disgrace alone makes the crime because it has allowed to survive only those who remained obdurate to every warning, to every example, to every punishment, by virtue of an innate disposition so peculiar that it is more repugnant to other men (even though it may be accompanied by exalted moral qualities) than certain other vices which exclude those qualities, such as theft, cruelty, breach of faith, vices better understood and so more readily excused by the generality of men; forming a freemasonry far more extensive, more powerful and less suspected than that of the Lodges, for it rests upon an identity of tastes, needs, habits, dangers, apprenticeship, knowledge, traffic, glossary, and one in which the members themselves, who intend not to know one another, recognise one another immediately by natural or conventional, involuntary or deliberate signs which indicate one of his congeners to the beggar in the street, in the great nobleman whose carriage door he is shutting, to the father in the suitor for his daughter′s hand, to him who has sought healing, absolution, defence, in the doctor, the priest, the barrister to whom he has had recourse; all of them obliged to protect their own secret but having their part in a secret shared with the others, which the rest of humanity does not suspect and which means that to them the most wildly improbable tales of adventure seem true, for in this romantic, anachronistic life the ambassador is a bosom friend of the felon, the prince, with a certain independence of action with which his aristocratic breeding has furnished him, and which the trembling little cit would lack, on leaving the duchess′s party goes off to confer in private with the hooligan; a reprobate part of the human whole, but an important part, suspected where it does not exist, flaunting itself, insolent and unpunished, where its existence is never guessed; numbering its adherents everywhere, among the people, in the army, in the church, in the prison, on the throne; living, in short, at least to a great extent, in a playful and perilous intimacy with the men of the other race, provoking them, playing with them by speaking of its vice as of something alien to it; a game that is rendered easy by the blindness or duplicity of the others, a game that may be kept up for years until the day of the scandal, on which these lion-tamers are devoured; until then, obliged to make a secret of their lives, to turn away their eyes from the things on which they would naturally fasten them, to fasten them upon those from which they would naturally turn away, to change the gender of many of the words in their vocabulary, a social constraint, slight in comparison with the inward constraint which their vice, or what is improperly so called, imposes upon them with regard not so much now to others as to themselves, and in such a way that to themselves it does not appear a vice. But certain among them, more practical, busier men who have not the time to go and drive their own bargains, or to dispense with the simplification of life and that saving of time which may result from cooperation, have formed two societies of which the second is composed exclusively of persons similar to themselves.
Cela frappe chez ceux qui sont pauvres et venus de la province, sans relations, sans rien que l′ambition d′être un jour médecin ou avocat célèbre, ayant un esprit encore vide d′opinions, un corps dénué de manières et qu′ils comptent rapidement orner, comme ils achèteraient pour leur petite chambre du quartier latin des meubles d′après ce qu′ils remarqueraient et calqueraient chez ceux qui sont déjà «arrivés» dans la profession utile et sérieuse où ils souhaitent de s′encadrer et de devenir illustres; chez ceux-là, leur goût spécial, hérité à leur insu, comme des dispositions pour le dessin, pour la musique, est peut-être, à la vérité, la seule originalité vivace, despotique — et qui tels soirs les force à manquer telle réunion utile à leur carrière avec des gens dont, pour le reste, ils adoptent les façons de parler, de penser, de s′habiller, de se coiffer. Dans leur quartier, où ils ne fréquentent sans cela que des condisciples, des maîtres ou quelque compatriote arrivé et protecteur, ils ont vite découvert d′autres jeunes gens que le même goût particulier rapproche d′eux, comme dans une petite ville se lient le professeur de seconde et le notaire qui aiment tous les deux la musique de chambre, les ivoires du moyen âge; appliquant à l′objet de leur distraction le même instinct utilitaire, le même esprit professionnel qui les guide dans leur carrière, ils les retrouvent à des séances où nul profane n′est admis, pas plus qu′à celles qui réunissent des amateurs de vieilles tabatières, d′estampes japonaises, de fleurs rares, et où, à cause du plaisir de s′instruire, de l′utilité des échanges et de la crainte des compétitions, règne à la fois, comme dans une bourse aux timbres, l′entente étroite des spécialistes et les féroces rivalités des collectionneurs. Personne d′ailleurs, dans le café où ils ont leur table, ne sait quelle est cette réunion, si c′est celle d′une société de pêche, des secrétaires de rédaction, ou des enfants de l′Indre, tant leur tenue est correcte, leur air réservé et froid, et tant ils n′osent regarder qu′à la dérobée les jeunes gens à la mode, les jeunes «lions» qui, à quelques mètres plus loin, font grand bruit de leurs maîtresses, et parmi lesquels ceux qui les admirent sans oser lever les yeux apprendront seulement vingt ans plus tard, quand les uns seront à la veille d′entrer dans une académie et les autres de vieux hommes de cercle, que le plus séduisant, maintenant un gros et grisonnant Charlus, était en réalité pareil à eux, mais ailleurs, dans un autre monde, sous d′autres symboles extérieurs, avec des signes étrangers, dont la différence les a induits en erreur. Mais les groupements sont plus ou moins avancés; et comme l′«Union des gauches» diffère de la «Fédération socialiste» et telle société de musique Mendelssohnienne de la Schola Cantorum, certains soirs, à une autre table, il y a des extrémistes qui laissent passer un bracelet sous leur manchette, parfois un collier dans l′évasement de leur col, forcent par leurs regards insistants, leurs gloussements, leurs rires, leurs caresses entre eux, une bande de collégiens à s′enfuir au plus vite, et sont servis, avec une politesse sous laquelle couve l′indignation, par un garçon qui, comme les soirs où il sert les dreyfusards, aurait plaisir à aller chercher la police s′il n′avait avantage à empocher les pourboires. This is noticeable in those who are poor and have come up from the country, without friends, with nothing but their ambition to be some day a celebrated doctor or barrister, with a mind still barren of opinions, a person unadorned with manners, which they intend, as soon as possible, to decorate, just as they would buy furniture for their little attic in the Latin quarter, copying whatever they had observed in those who had already ‘arrived′ in the useful and serious profession in which they also intend to establish themselves and to become famous; in these their special taste, unconsciously inherited like a weakness for drawing, for music, a weakness of vision, is perhaps the only living and despotic originality — which on certain evenings compels them to miss some meeting, advantageous to their career, with people whose ways, in other respect, of speaking, thinking, dressing, parting their hair, they have adopted. In their quarter, where otherwise they mix only with their brother students, their teachers or some fellow-provincial who has succeeded and can help them on, they have speedily discovered other young men whom the same peculiar taste attracts to them, as in a small town one sees an intimacy grow up between the assistant master and the lawyer, who are both interested in chamber music or mediaeval ivories; applying to the object of their distraction the same utilitarian instinct, the same professional spirit which guides them in their career, they meet these young men at gatherings to which no profane outsider is admitted any more than to those that bring together collectors of old snuff-boxes, Japanese prints or rare flowers, and at which, what with the pleasure of gaining information, the practical value of making exchanges and the fear of competition, there prevail simultaneously, as in a saleroom of postage stamps, the close cooperation of the specialists and the fierce rivalries of the collectors. No one moreover in the café where they have their table knows what the gathering is, whether it is that of an angling club, of an editorial staff, or of the ‘Sons of the Indre,′ so correct is their attire, so cold and reserved their manner, so modestly do they refrain from anything more than the most covert glances at the young men of fashion, the young ‘lions′ who, a few feet away, are making a great clamour about their mistresses, and among whom those who are admiring them without venturing to raise their eyes will learn only twenty years later, when they themselves are on the eve of admission to the Academy, and the others are middle-aged gentlemen in club windows, that the most seductive among them, now a stout and grizzled Charlus, was in reality akin to themselves, but differently, in another world, beneath other external symbols, with foreign labels, the strangeness of which led them into error. But these groups are at varying stages of advancement; and, just as the ‘Union of the Left′ differs from the ‘Socialist Federation′ or some Mendelssohnian musical club from the Schola Cantorum, on certain evenings, at another table, there are extremists who allow a bracelet to slip down from beneath a cuff, sometimes a necklace to gleam in the gap of a collar, who by their persistent stares, their cooings, their laughter, their mutual caresses, oblige a band of students to depart in hot haste, and are served with a civility beneath which indignation boils by a waiter who, as on the evenings when he has to serve Dreyfusards, would find pleasure in summoning the police did he not find profit in pocketing their gratuities.
C′est à ces organisations professionnelles que l′esprit oppose le goût des solitaires, et sans trop d′artifices d′une part, puisqu′il ne fait en cela qu′imiter les solitaires eux-mêmes qui croient que rien ne diffère plus du vice organisé que ce qui leur paraît à eux un amour incompris, avec quelque artifice toutefois, car ces différentes classes répondent, tout autant qu′à des types physiologiques divers, à des moments successifs d′une évolution pathologique ou seulement sociale. Et il est bien rare en effet qu′un jour ou l′autre, ce ne soit pas dans de telles organisations que les solitaires viennent se fondre, quelquefois par simple lassitude, par commodité (comme finissent ceux qui en ont été le plus adversaires par faire poser chez eux le téléphone, par recevoir les Iéna, ou par acheter chez Potin). Ils y sont d′ailleurs généralement assez mal reçus, car, dans leur vie relativement pure, le défaut d′expérience, la saturation par la rêverie où ils sont réduits, ont marqué plus fortement en eux ces caractères particuliers d′efféminement que les professionnels ont cherché à effacer. Et il faut avouer que chez certains de ces nouveaux venus, la femme n′est pas seulement intérieurement unie à l′homme, mais hideusement visible, agités qu′ils sont dans un spasme d′hystérique, par un rire aigu qui convulse leurs genoux et leurs mains, ne ressemblant pas plus au commun des hommes que ces singes à l′oeil mélancolique et cerné, aux pieds prenants, qui revêtent le smoking et portent une cravate noire; de sorte que ces nouvelles recrues sont jugées, par de moins chastes pourtant, d′une fréquentation compromettante, et leur admission difficile; on les accepte cependant et ils bénéficient alors de ces facilités par lesquelles le commerce, les grandes entreprises, ont transformé la vie des individus, leur ont rendu accessibles des denrées jusque-là trop dispendieuses à acquérir et même difficiles à trouver, et qui maintenant les submergent par la pléthore de ce que seuls ils n′avaient pu arriver à découvrir dans les plus grandes foules. Mais, même avec ces exutoires innombrables, la contrainte sociale est trop lourde encore pour certains, qui se recrutent surtout parmi ceux chez qui la contrainte mentale ne s′est pas exercée et qui tiennent encore pour plus rare qu′il n′est leur genre d′amour. Laissons pour le moment de côté ceux qui, le caractère exceptionnel de leur penchant les faisant se croire supérieurs à elles, méprisent les femmes, font de l′homosexualité le privilège des grands génies et des époques glorieuses, et quand ils cherchent à faire partager leur goût, le font moins à ceux qui leur semblent y être prédisposés, comme le morphinomane fait pour la morphine, qu′à ceux qui leur en semblent dignes, par zèle d′apostolat, comme d′autres prêchent le sionisme, le refus du service militaire, le saint-simonisme, le végétarisme et l′anarchie. Quelques-uns, si on les surprend le matin encore couchés, montrent une admirable tête de femme, tant l′expression est générale et symbolise tout le sexe; les cheveux eux-mêmes l′affirment, leur inflexion est si féminine, déroulés, ils tombent si naturellement en tresses sur la joue, qu′on s′émerveille que la jeune femme, la jeune fille, Galathée qui s′éveille à peine dans l′inconscient de ce corps d′homme où elle est enfermée, ait su si ingénieusement, de soi-même, sans l′avoir appris de personne, profiter des moindres issues de sa prison, trouver ce qui était nécessaire à sa vie. Sans doute le jeune homme qui a cette tête délicieuse ne dit pas: «Je suis une femme.» Même si — pour tant de raisons possibles — il vit avec une femme, il peut lui nier que lui en soit une, lui jurer qu′il n′a jamais eu de relations avec des hommes. Qu′elle le regarde comme nous venons de le montrer, couché dans un lit, en pyjama, les bras nus, le cou nu sous les cheveux noirs. Le pyjama est devenu une camisole de femme, la tête celle d′une jolie Espagnole. La maîtresse s′épouvante de ces confidences faites à ses regards, plus vraies que ne pourraient être des paroles, des actes mêmes, et que les actes mêmes, s′ils ne l′ont déjà fait, ne pourront manquer de confirmer, car tout être suit son plaisir, et si cet être n′est pas trop vicieux, il le cherche dans un sexe opposé au sien. Et pour l′inverti le vice commence, non pas quand il noue des relations (car trop de raisons peuvent les commander), mais quand il prend son plaisir avec des femmes. Le jeune homme que nous venons d′essayer de peindre était si évidemment une femme, que les femmes qui le regardaient avec désir étaient vouées (à moins d′un goût particulier) au même désappointement que celles qui, dans les comédies de Shakespeare, sont déçues par une jeune fille déguisée qui se fait passer pour un adolescent. La tromperie est égale, l′inverti même le sait, il devine la désillusion que, le travestissement ôté, la femme éprouvera, et sent combien cette erreur sur le sexe est une source de fantaisiste poésie. Du reste, même à son exigeante maîtresse, il a beau ne pas avouer (si elle n′est pas gomorrhéenne): «Je suis une femme», pourtant en lui, avec quelles ruses, quelle agilité, quelle obstination de plante grimpante, la femme inconsciente et visible cherche-t-elle l′organe masculin. On n′a qu′à regarder cette chevelure bouclée sur l′oreiller blanc pour comprendre que le soir, si ce jeune homme glisse hors des doigts de ses parents, malgré eux, malgré lui ce ne sera par pour aller retrouver des femmes. Sa maîtresse peut le châtier, l′enfermer, le lendemain l′homme-femme aura trouvé le moyen de s′attacher à un homme, comme le volubilis jette ses vrilles là où se trouve une pioche ou un râteau. Pourquoi, admirant dans le visage de cet homme des délicatesses qui nous touchent, une grâce, un naturel dans l′amabilité comme les hommes n′en ont point, serions-nous désolés d′apprendre que ce jeune homme recherche les boxeurs? Ce sont des aspects différents d′une même réalité. Et même, celui qui nous répugne est le plus touchant, plus touchant que toutes les délicatesses, car il représente un admirable effort inconscient de la nature: la reconnaissance du sexe par lui-même; malgré les duperies du sexe, apparaît la tentative inavouée pour s′évader vers ce qu′une erreur initiale de la société a placé loin de lui. Pour les uns, ceux qui ont eu l′enfance la plus timide sans doute, ils ne se préoccupent guère de la sorte matérielle de plaisir qu′ils reçoivent, pourvu qu′ils puissent le rapporter à un visage masculin. Tandis que d′autres, ayant des sens plus violents sans doute, donnent à leur plaisir matériel d′impérieuses localisations. Ceux-là choqueraient peut-être par leurs aveux la moyenne du monde. Ils vivent peut-être moins exclusivement sous le satellite de Saturne, car pour eux les femmes ne sont pas entièrement exclues comme pour les premiers, à l′égard desquels elles n′existeraient pas sans la conversation, la coquetterie, les amours de tête. Mais les seconds recherchent celles qui aiment les femmes, elles peuvent leur procurer un jeune homme, accroître le plaisir qu′ils ont à se trouver avec lui; bien plus, ils peuvent, de la même manière, prendre avec elles le même plaisir qu′avec un homme. De là vient que la jalousie n′est excitée, pour ceux qui aiment les premiers, que par le plaisir qu′ils pourraient prendre avec un homme et qui seul leur semble une trahison, puisqu′ils ne participent pas à l′amour des femmes, ne l′ont pratiqué que comme habitude et pour se réserver la possibilité du mariage, se représentant si peu le plaisir qu′il peut donner, qu′ils ne peuvent souffrir que celui qu′ils aiment le goûte; tandis que les seconds inspirent souvent de la jalousie par leurs amours avec des femmes. Car dans les rapports qu′ils ont avec elles, ils jouent pour la femme qui aime les femmes le rôle d′une autre femme, et la femme leur offre en même temps à peu près ce qu′ils trouvent chez l′homme, si bien que l′ami jaloux souffre de sentir celui qu′il aime rivé à celle qui est pour lui presque un homme, en même temps qu′il le sent presque lui échapper, parce que, pour ces femmes, il est quelque chose qu′il ne connaît pas, une espèce de femme. Ne parlons pas non plus de ces jeunes fous qui, par une sorte d′enfantillage, pour taquiner leurs amis, choquer leurs parents, mettent une sorte d′acharnement à choisir des vêtements qui ressemblent à des robes, à rougir leurs lèvres et noircir leurs yeux; laissons-les de côté, car ce sont eux qu′on retrouvera, quand ils auront trop cruellement porté la peine de leur affectation, passant toute une vie à essayer vainement de réparer, par une tenue sévère, protestante, le tort qu′ils se sont fait quand ils étaient emportés par le même démon qui pousse des jeunes femmes du faubourg Saint–Germain à vivre d′une façon scandaleuse, à rompre avec tous les usages, à bafouer leur famille, jusqu′au jour où elles se mettent avec persévérance et sans succès à remonter la pente qu′il leur avait paru si amusant de descendre, qu′elles avaient trouvé si amusant, ou plutôt qu′elles n′avaient pas pu s′empêcher de descendre. Laissons enfin pour plus tard ceux qui ont conclu un pacte avec Gomorrhe. Nous en parlerons quand M. de Charlus les connaîtra. Laissons tous ceux, d′une variété ou d′une autre, qui apparaîtront à leur tour, et pour finir ce premier exposé, ne disons un mot que de ceux dont nous avions commencé de parler tout à l′heure, des solitaires. Tenant leur vice pour plus exceptionnel qu′il n′est, ils sont allés vivre seuls du jour qu′ils l′ont découvert, après l′avoir porté longtemps sans le connaître, plus longtemps seulement que d′autres. Car personne ne sait tout d′abord qu′il est inverti, ou poète, ou snob, ou méchant. Tel collégien qui apprenait des vers d′amour ou regardait des images obscènes, s′il se serrait alors contre un camarade, s′imaginait seulement communier avec lui dans un même désir de la femme. Comment croirait-il n′être pas pareil à tous, quand ce qu′il éprouve il en reconnaît la substance en lisant Mme de Lafayette, Racine, Baudelaire, Walter Scott, alors qu′il est encore trop peu capable, de s′observer soi-même pour se rendre compte de ce qu′il ajoute de son cru, et que si le sentiment est le même, l′objet diffère, que ce qu′il désire c′est Rob Roy et non Diana Vernon? Chez beaucoup, par une prudence défensive de l′instinct qui précède la vue plus claire de l′intelligence, la glace et les murs de leur chambre disparaissaient sous des chromos représentant-des actrices; ils font des vers tels que: It is with these professional organisations that the mind contrasts the taste of the solitaries, and in one respect without straining the points of difference, since it is doing no more than copy the solitaries themselves who imagine that nothing differs more widely from organised vice than what appears to them to be a misunderstood love, but with some strain nevertheless, for these different classes correspond, no less than to diverse physiological types, to successive stages in a pathological or merely social evolution. And it is, in fact, very rarely that, one day or another, it is not in some such organisation that the solitaries come to merge themselves, sometimes from simple weariness, or for convenience (just as the people who have been most strongly opposed to such innovations end by having the telephone installed, inviting the Iénas to their parties, or dealing with Potin). They meet there, for that matter, with none too friendly a reception as a rule, for, in their relatively pure lives, their want of experience, the saturation in dreams to which they have been reduced, have branded more strongly upon them those special marks of effeminacy which the professionals have sought to efface. And it must be admitted that, among certain of these newcomers, the woman is not only inwardly united to the man but hideously visible, agitated as one sees them by a hysterical spasm, by a shrill laugh which convulses their knees and hands, looking no more like the common run of men than those monkeys with melancholy, shadowed eyes and prehensile feet who dress up in dinner-jackets and black bow ties; so that these new recruits are judged by others, less chaste for all that themselves, to be compromising associates, and their admission is hedged with difficulties; they are accepted, nevertheless, and they benefit then by those facilities by which commerce, great undertakings have transformed the lives of individuals, and have brought within their reach commodities hitherto too costly to acquire and indeed hard to find, which now submerge them beneath the plethora of what by themselves they had never succeeded in discovering amid the densest crowds. But, even with these innumerable outlets, the burden of social constraint is still too heavy for some, recruited principally among those who have not made a practice of self-control, and who still take to be rarer than it actually is their way of love. Let us leave out of consideration for the moment those who, the exceptional character of their inclinations making them regard themselves as superior to the other sex, look down upon women, make homosexuality the privilege of great genius and of glorious epochs of history, and, when they seek to communicate their taste to others, approach not so much those who seem to them to be predisposed towards it (as the morphino-maniac does with his morphia) as those who seem to them to be worthy of it, from apostolic zeal, just as others preach Zionism, conscientious objection to military service, Saint-Simonism, vegetarianism or anarchy. Here is one who, should we intrude upon him in the morning, still in bed, will present to our gaze an admirable female head, so general is its expression and typical of the sex as a whole; his very hair affirms this, so feminine is its ripple; unbrushed, it falls so naturally in long curls over the cheek that one marvels how the young woman, the girl, the Galatea barely awakened to life, in the unconscious mass of this male body in which she is imprisoned, has contrived so ingeniously by herself, without instruction from anyone, to make use of the narrowest apertures in her prison wall to find what was necessary to her existence. No doubt the young man who sports this delicious head does not say: “I am a woman.” Even if — for any of the countless possible reasons — he lives with a woman, he can deny to her that he is himself one, can swear to her that he has never had intercourse with men. But let her look at him as we have just revealed him, lying back in bed, in pyjamas, his arms bare, his throat and neck bare also beneath the darkness of his hair. The pyjama jacket becomes a woman′s shift, the head that of a pretty Spanish girl. The mistress is astounded by these confidences offered to her gaze, truer than any spoken confidence could be, or indeed any action, which his actions, indeed, if they have not already done so, cannot fail later on to confirm, for every creature follows the line of his own pleasure, and if this creature is not too vicious he will seek it in a sex complementary to his own. And for the invert vice begins, not when he forms relations (for there are all sorts of reasons that may enjoin these), but when he takes his pleasure with women. The young man whom we have been attempting to portray was so evidently a woman that the women who looked upon him with longing were doomed (failing a special taste on their part) to the same disappointment as those who in Shakespeare′s comedies are taken in by a girl in disguise who passes as a youth. The deception is mutual, the invert is himself aware of it, he guesses the disillusionment which, once the mask is removed, the woman will experience, and feels to what an extent this mistake as to sex is a source of poetical imaginings. Besides, even from his exacting mistress, in vain does he keep back the admission (if she, that is to say, be not herself a denizen of Gomorrah): “I am a woman!” when all the time with what stratagems, what agility, what obstinacy as of a climbing plant the unconscious but visible woman in him seeks the masculine organ. We have only to look at that head of curling hair on the white pillow to understand that if, in the evening, this young man slips through his guardians′ fingers, in spite of anything that they, or he himself can do to restrain him, it will not be to go in pursuit of women. His mistress may chastise him, may lock him up; next day, the man-woman will have found some way of attaching himself to a man, as the convolvulus throws out its tendrils wherever it finds a convenient post or rake. Why, when we admire in the face of this person a delicacy that touches our hearts, a gracefulness, a spontaneous affability such as men do not possess, should we be dismayed to learn that this young man runs after boxers? They are different aspects of an identical reality. And indeed, what repels us is the most touching thing of all, more touching than any refinement of delicacy, for it represents an admirable though unconscious effort on the part of nature: the recognition of his sex by itself, in spite of the sexual deception, becomes apparent, the unconfessed attempt to escape from itself towards what an initial error on the part of society has segregated from it. Some, those no doubt who have been most timid in childhood, are scarcely concerned with the material kind of the pleasure they receive, provided that they can associate it with a masculine face. Whereas others, whose sensuality is doubtless more violent, imperiously restrict their material pleasure within certain definite limitations. These live perhaps less exclusively beneath the sway of Saturn′s outrider, since for them women are not entirely barred, as for the former sort, in whose eyes women would have no existence apart from conversation, flirtation, loves not of the heart but of the head. But the second sort seek out those women who love other women; who can procure for them a young man, enhance the pleasure which they feel on finding themselves in his company; better still, they can, in the same fashion, enjoy with such women the same pleasure as with a man. Whence it arises that jealousy is kindled in those who love the first sort only by the pleasure which they may be enjoying with a man, which alone seems to their lovers a betrayal, since these do not participate in the love of women, have practised it only as a habit, and, so as to reserve for themselves the possibility of eventual marriage, representing to themselves so little the pleasure that it is capable of giving that they cannot be distressed by the thought that he whom they love is enjoying that pleasure; whereas the other sort often inspire jealousy by their love-affairs with women. For, in the relations which they have with her, they play, for the woman who loves her own sex, the part of another woman, and she offers them at the same time more or less what they find in other men, so that the jealous friend suffers from the feeling that he whom he loves is riveted to her who is to him almost a man, and at the same time feels his beloved almost escape him because, to these women, he is something which the lover himself cannot conceive, a sort of woman. We need not pause here to consider those young fools who by a sort of arrested development, to tease their friends or to shock their families, proceed with a kind of frenzy to choose clothes that resemble women′s dress, to redden their lips and blacken their eyelashes; we may leave them out of account, for they are those whom we shall find later on, when they have suffered the all too cruel penalty of their affectation, spending what remains of their lifetime in vain attempts to repair by a sternly protestant demeanour the wrong that they did to themselves when they were carried away by the same demon that urges young women of the Faubourg Saint-Germain to live in a scandalous fashion, to set every convention at defiance, to scoff at the entreaties of their relatives, until the day when they set themselves with perseverance but without success to reascend the slope down which it had seemed to them that it would be so amusing to glide, down which they had found it so amusing, or rather had not been able to stop themselves from gliding. Finally, let us leave to a later volume the men who have sealed a pact with Gomorrah. We shall deal with them when M. de Charlus comes to know them. Let us leave out for the present all those, of one sort or another, who will appear each in his turn, and, to conclude this first sketch of the subject, let us say a word only of those whom we began to mention just now, the solitary class. Supposing their vice to be more exceptional than it is, they have retired into solitude from the day on which they discovered it, after having carried it within themselves for a long time without knowing it, for a longer time only than certain other men. For no one can tell at first that he is an invert or a poet or a snob or a scoundrel. The boy who has been reading erotic poetry or looking at indecent pictures, if he then presses his body against a schoolfellow′s, imagines himself only to be communing with him in an identical desire for a woman. How should he suppose that he is not like everybody else when he recognises the substance of what he feels on reading Mme. de Lafayette, Racine, Baudelaire, Walter Scott, at a time when he is still too little capable of observing himself to take into account what he has added from his own store to the picture, and that if the sentiment be the same the object differs, that what he desires is Rob Roy, and not Diana Vernon? With many, by a defensive prudence on the part of the instinct that precedes the clearer vision of the intellect, the mirror and walls of their bedroom vanish beneath a cloud of coloured prints of actresses; they compose poetry such as:
«Je n′aime que Chloé au monde,
elle est divine, elle est blonde,
et d′amour mon coeur s′inonde.»
I love but Chloe in the world,
For Chloe is divine;
Her golden hair is sweetly curled,
For her my heart doth pine.
Faut-il pour cela mettre au commencement de ces vies un goût qu′on ne devait point retrouver chez elles dans la suite, comme ces boucles blondes des enfants qui doivent ensuite devenir les plus bruns? Qui sait si les photographies de femmes ne sont pas un commencement d′hypocrisie, un commencement aussi d′horreur pour les autres invertis? Mais les solitaires sont précisément ceux à qui l′hypocrisie est douloureuse. Peut-être l′exemple des Juifs, d′une colonie différente, n′est-il même pas assez fort pour expliquer combien l′éducation a peu de prise sur eux, et avec quel art ils arrivent à revenir, peut-être pas à quelque chose d′aussi simplement atroce que le suicide où les fous, quelque précaution qu′on prenne, reviennent et, sauvés de la rivière où ils se sont jetés, s′empoisonnent, se procurent un revolver, etc., mais à une vie dont les hommes de l′autre race non seulement ne comprennent pas, n′imaginent pas, haî²³ent les plaisirs nécessaires, mais encore dont le danger fréquent et la honte permanente leur feraient horreur. Peut-être, pour les peindre, faut-il penser sinon aux animaux qui ne se domestiquent pas, aux lionceaux prétendus apprivoisés mais restés lions, du moins aux noirs, que l′existence confortable des blancs désespère et qui préfèrent les risques de la vie sauvage et ses incompréhensibles joies.Quand le jour est venu où ils se sont découverts incapables à la fois de mentir aux autres et de se mentir à soi-même, ils partent vivre à la campagne, fuyant leurs pareils (qu′ils croient peu nombreux) par horreur de la monstruosité ou crainte de la tentation, et le reste de l′humanité par honte. N′étant jamais parvenus à la véritable maturité, tombés dans la mélancolie, de temps à autre, un dimanche sans lune, ils vont faire une promenade sur un chemin jusqu′à un carrefour, où, sans qu′ils se soient dit un mot, est venu les attendre un de leurs amis d′enfance qui habite un château voisin. Et ils recommencent les jeux d′autrefois, sur l′herbe, dans la nuit, sans échanger une parole. En semaine, ils se voient l′un chez l′autre, causent de n′importe quoi, sans une allusion à ce qui s′est passé, exactement comme s′ils n′avaient rien fait et ne devaient rien refaire, sauf, dans leurs rapports, un peu de froideur, d′ironie, d′irritabilité et de rancune, parfois de la haine. Puis le voisin part pour un dur voyage à cheval, et, à mulet, ascensionne des pics, couche dans la neige; son ami, qui identifie son propre vice avec une faiblesse de tempérament, la vie casanière et timide, comprend que le vice ne pourra plus vivre en son ami émancipé, à tant de milliers de mètres au-dessus du niveau de la mer. Et en effet, l′autre se marie. Le délaissé pourtant ne guérit pas (malgré les cas où l′on verra que l′inversion est guérissable). Il exige de recevoir lui-même le matin, dans sa cuisine, la crème fraîche des mains du garçon laitier et, les soirs où des désirs l′agitent trop, il s′égare jusqu′à remettre dans son chemin un ivrogne, jusqu′à arranger la blouse de l′aveugle. Sans doute la vie de certains invertis paraît quelquefois changer, leur vice (comme on dit) n′apparaît plus dans leurs habitudes; mais rien ne se perd: un bijou caché se retrouve; quand la quantité des urines d′un malade diminue, c′est bien qu′il transpire davantage, mais il faut toujours que l′excrétion se fasse. Un jour cet homosexuel perd un jeune cousin et, à son inconsolable douleur, vous comprenez que c′était dans cet amour, chaste peut-être et qui tenait plus à garder l′estime qu′à obtenir la possession, que les désirs avaient passé par virement, comme dans un budget, sans rien changer au total, certaines dépenses sont portées à un autre exercice. Comme il en est pour ces malades chez qui une crise d′urticaire fait disparaître pour un temps leurs indispositions habituelles, l′amour pur à l′égard d′un jeune parent semble, chez l′inverti, avoir momentanément remplacé, par métastase, des habitudes qui reprendront un jour ou l′autre la place du mal vicariant et guéri. Must we on that account attribute to the opening phase of such lives a taste which we shall never find in them later on, like those flaxen ringlets on the heads of children which are destined to change to the darkest brown? Who can tell whether the photographs of women are not a first sign of hypocrisy, a first sign also of horror at other inverts? But the solitary kind are precisely those to whom hypocrisy is painful. Possibly even the example of the Jews, of a different type of colony, is not strong enough to account for the frail hold that their upbringing has upon them, or for the artfulness with which they find their way back (perhaps not to anything so sheerly terrible as the suicide to which maniacs, whatever precautions one may take with them, return, and, pulled out of the river into which they have flung themselves, take poison, procure revolvers, and so forth; but) to a life of which the men of the other race not only do not understand, cannot imagine, abominate the essential pleasures but would be filled with horror by the thought of its frequent danger and everlasting shame. Perhaps, to form a picture of these, we ought to think, if not of the wild animals that never become domesticated, of the lion-cubs said to be tame but lions still at heart, then at least of the Negroes whom the comfortable existence of the white man renders desperately unhappy and who prefer the risks of a life of savagery and its incomprehensible joys. When the day has dawned on which they have discovered themselves to be incapable at once of lying to others and of lying to themselves, they go away to live in the country, shunning the society of their own kind (whom they believe to be few in number) from horror of the monstrosity or fear of the temptation, and that of the rest of humanity from shame. Never having arrived at true maturity, plunged in a constant melancholy, now and again, some Sunday evening when there is no moon, they go for a solitary walk as far as a crossroads where, although not a word has been said, there has come to meet them one of their boyhood′s friends who is living in a house in the neighbourhood. And they begin again the pastimes of long ago, on the grass, in the night, neither uttering a word. During the week, they meet in their respective houses, talk of no matter what, without any allusion to what has occurred between them, exactly as though they had done nothing and were not to do anything again, save, in their relations, a trace of coldness, of irony, of irritability and rancour, at times of hatred. Then the neighbour sets out on a strenuous expedition on horseback, and, on a mule, climbs mountain peaks, sleeps in the snow; his friend, who identifies his own vice with a weakness of temperament, the cabined and timid life, realises that vice can no longer exist in his friend now emancipated, so many thousands of feet above sea-level. And, sure enough, the other takes a wife. And yet the abandoned one is not cured (in spite of the cases in which, as we shall see, inversion is curable). He insists upon going down himself every morning to the kitchen to receive the milk from the hands of the dairyman′s boy, and on the evenings when desire is too strong for him will go out of his way to set a drunkard on the right road or to “adjust the dress” of a blind man. No doubt the life of certain inverts appears at times to change, their vice (as it is called) is no longer apparent in their habits; but nothing is ever lost; a missing jewel turns up again; when the quantity of a sick man′s urine decreases, it is because he is perspiring more freely, but the excretion must invariably occur. One day this homosexual hears of the death of a young cousin, and from his inconsolable grief we learned that it was to this love, chaste possibly and aimed rather at retaining esteem than at obtaining possession, that his desires have passed by a sort of virescence, as, in a budget, without any alteration in the total, certain expenditure is carried under another head. As is the case with invalids in whom a sudden attack of urticaria makes their chronic ailments temporarily disappear, this pure love for a young relative seems, in the invert, to have momentarily replaced, by metastasis, habits that will, one day or another, return to fill the place of the vicarious, cured malady.
Cependant le voisin marié du solitaire est revenu; devant la beauté de la jeune épouse et la tendresse que son mari lui témoigne, le jour où l′ami est forcé de les inviter à dîner, il a honte du passé. Déjà dans une position intéressante, elle doit rentrer de bonne heure, laissant son mari; celui-ci, quand l′heure est venue de rentrer, demande un bout de conduite à son ami, que d′abord aucune suspicion n′effleure, mais qui, au carrefour, se voit renversé sur l′herbe, sans une parole, par l′alpiniste bientôt père. Et les rencontres recommencent jusqu′au jour où vient s′installer non loin de là un cousin de la jeune femme, avec qui se promène maintenant toujours le mari. Et celui-ci, si le délaissé vient le voir et cherche à s′approcher de lui, furibond, le repousse avec l′indignation que l′autre n′ait pas eu le tact de pressentir le dégoût qu′il inspire désormais. Une fois pourtant se présente un inconnu envoyé par le voisin infidèle; mais, trop affairé, le délaissé ne peut le recevoir et ne comprend que plus tard dans quel but l′étranger était venu. Meanwhile the married neighbour of our recluse has returned; before the beauty of the young bride and the demonstrative affection of her, husband, on the day when their friend is obliged to invite them to dinner, he feels ashamed of the past. Already in an interesting condition, she must return home early, leaving her husband behind; he, when the time has come for him to go home also, asks his host to accompany him for part of the way; at first, no suspicion enters his mind, but at the crossroads he finds himself thrown down on the grass, with not a word said, by the mountaineer who is shortly to become a father. And their meetings begin again, and continue until the day when there comes to live not far off a cousin of the young woman, with whom her husband is now constantly to be seen. And he, if the twice-abandoned friend calls in the evening and endeavours to approach him, is furious, and repulses him with indignation that the other has not had the tact to foresee the disgust which he must henceforward inspire. Once, however, there appears a stranger, sent to him by his faithless friend; but being busy at the time, the abandoned one cannot see him, and only afterwards learns with what object his visitor came.
Alors le solitaire languit seul. Il n′a d′autre plaisir que d′aller à la station de bain de mer voisine demander un renseignement à un certain employé de chemin de fer. Mais celui-ci a reçu de l′avancement, est nommé à l′autre bout de la France; le solitaire ne pourra plus aller lui demander l′heure des trains, le prix des premières, et avant de rentrer rêver dans sa tour, comme Grisélidis, il s′attarde sur la plage, telle une étrange Andromède qu′aucun Argonaute ne viendra délivrer, comme une méduse stérile qui périra sur le sable, ou bien il reste paresseusement, avant le départ du train, sur le quai, à jeter sur la foule des voyageurs un regard qui semblera indifférent, dédaigneux ou distrait, à ceux d′une autre race, mais qui, comme l′éclat lumineux dont se parent certains insectes pour attirer ceux de la même espèce, ou comme le nectar qu′offrent certaines fleurs pour attirer les insectes qui les féconderont, ne tromperait pas l′amateur presque introuvable d′un plaisir trop singulier, trop difficile à placer, qui lui est offert, le confrère avec qui notre spécialiste pourrait parler la langue insolite; tout au plus, à celle-ci quelque loqueteux du quai fera-t-il semblant de s′intéresser, mais pour un bénéfice matériel seulement, comme ceux qui au Collège de France, dans la salle où le professeur de sanscrit parle sans auditeur, vont suivre le cours, mais seulement pour se chauffer. Méduse! Orchidée! quand je ne suivais que mon instinct, la méduse me répugnait à Balbec; mais si je savais la regarder, comme Michelet, du point de vue de l′histoire naturelle et de l′esthétique, je voyais une délicieuse girandole d′azur. Ne sont-elles pas, avec le velours transparent de leurs pétales, commes les mauves orchidées de la mer? Comme tant de créatures du règne animal et du règne végétal, comme la plante qui produirait la vanille, mais qui, parce que, chez elle, l′organe mâle est séparé par une cloison de l′organe femelle, demeure stérile si les oiseaux-mouches ou certaines petites abeilles ne transportent le pollen des unes aux autres ou si l′homme ne les féconde artificiellement, M. de Charlus (et ici le mot fécondation doit être pris au sens moral, puisqu′au sens physique l′union du mâle avec le mâle est stérile, mais il n′est pas indifférent qu′un individu puisse rencontrer le seul plaisir qu′il est susceptible de goûter, et «qu′ici-bas tout être» puisse donner à quelqu′un «sa musique, sa flamme ou son parfum»), M. de Charlus était de ces hommes qui peuvent être appelés exceptionnels, parce que, si nombreux soient-ils, la satisfaction, si facile chez d′autres de leurs besoins sexuels, dépend de la coî­£idence de trop de conditions, et trop difficiles à rencontrer. Pour des hommes comme M. de Charlus, et sous la réserve des accommodements qui paraîtront peu à peu et qu′on a pu déjà pressentir, exigés par le besoin de plaisir, qui se résignent à de demi-consentements, l′amour mutuel, en dehors des difficultés si grandes, parfois insurmontables, qu′il rencontre chez le commun des êtres, leur en ajoute de si spéciales, que ce qui est toujours très rare pour tout le monde devient à leur égard à peu près impossible, et que, si se produit pour eux une rencontre vraiment heureuse ou que la nature leur fait paraître telle, leur bonheur, bien plus encore que celui de l′amoureux normal, a quelque chose d′extraordinaire, de sélectionné, de profondément nécessaire. La haine des Capulet et des Montaigu n′était rien auprès des empêchements de tout genre qui ont été vaincus, des éliminations spéciales que la nature a dû faire subir aux hasards déjà peu communs qui amènent l′amour, avant qu′un ancien giletier, qui comptait partir sagement pour son bureau, titube, ébloui, devant un quinquagénaire bedonnant; ce Roméo et cette Juliette peuvent croire à bon droit que leur amour n′est pas le caprice d′un instant, mais une véritable prédestination préparée par les harmonies de leur tempérament, non pas seulement par leur tempérament propre, mais par celui de leurs ascendants, par leur plus lointaine hérédité, si bien que l′être qui se conjoint à eux leur appartient avant la naissance, les a attirés par une force comparable à celle qui dirige les mondes où nous avons passé nos vies antérieures.M. de Charlus m′avait distrait de regarder si le bourdon apportait à l′orchidée le pollen qu′elle attendait depuis si longtemps, qu′elle n′avait chance de recevoir que grâce à un hasard si improbable qu′on le pouvait appeler une espèce de miracle. Mais c′était un miracle aussi auquel je venais d′assister, presque du même genre, et non moins merveilleux. Dès que j′eus considéré cette rencontre de ce point de vue, tout m′y sembla empreint de beauté. Les ruses les plus extraordinaires que la nature a inventées pour forcer les insectes à assurer la fécondation des fleurs, qui, sans eux, ne pourraient pas l′être parce que la fleur mâle y est trop éloignée de la fleur femelle, ou qui, si c′est le vent qui doit assurer le transport du pollen, le rend bien plus facile à détacher de la fleur mâle, bien plus aisé à attraper au passage de la fleur femelle, en supprimant la sécrétion du nectar, qui n′est plus utile puisqu′il n′y a pas d′insectes à attirer, et même l′éclat des corolles qui les attirent, et, pour que la fleur soit réservée au pollen qu′il faut, qui ne peut fructifier qu′en elle, lui fait sécréter une liqueur qui l′immunise contre les autres pollens — ne me semblaient pas plus merveilleuses que l′existence de la sous-variété d′invertis destinée à assurer les plaisirs de l′amour à l′inverti devenant vieux: les hommes qui sont attirés non par tous les hommes, mais — par un phénomène de correspondance et d′harmonie comparable à ceux qui règlent la fécondation des fleurs hétérostylées trimorphes, comme le Lythrum salicoria — seulement par les hommes beaucoup plus âgés qu′eux. De cette sous-variété, Jupien venait de m′offrir un exemple, moins saisissant pourtant que d′autres que tout herborisateur humain, tout botaniste moral, pourra observer, malgré leur rareté, et qui leur présentera un frêle jeune homme qui attendait les avances d′un robuste et bedonnant quinquagénaire, restant aussi indifférent aux avances des autres jeunes gens que restent stériles les fleurs hermaphrodites à court style de la Primula veris tant qu′elles ne sont fécondées que par d′autres Primula veris à court style aussi, tandis qu′elles accueillent avec joie le pollen des Primula veris à long style. Quant à ce qui était de M. de Charlus, du reste, je me rendis compte dans la suite qu′il y avait pour lui divers genres de conjonctions et desquelles certaines, par leur multiplicité, leur instantanéité à peine visible, et surtout le manque de contact entre les deux acteurs, rappelaient plus encore ces fleurs qui dans un jardin sont fécondées par le pollen d′une fleur voisine qu′elles ne toucheront jamais. Il y avait en effet certains êtres qu′il lui suffisait de faire venir chez lui, de tenir pendant quelques heures sous la domination de sa parole, pour que son désir, allumé dans quelque rencontre, fût apaisé. Par simples paroles la conjonction était faite aussi simplement qu′elle peut se produire chez les infusoires. Parfois, ainsi que cela lui était sans doute arrivé pour moi le soir où j′avais été mandé par lui après le dîner Guermantes, l′assouvissement avait lieu grâce à une violente semonce que le baron jetait à la figure du visiteur, comme certaines fleurs, grâce à un ressort, aspergent à distance l′insecte inconsciemment complice et décontenancé. M. de Charlus, de dominé devenu dominateur, se sentait purgé de son inquiétude et calmé, renvoyait le visiteur, qui avait aussitôt cessé de lui paraître désirable. Enfin, l′inversion elle-même, venant de ce que l′inverti se rapproche trop de la femme pour pouvoir avoir des rapports utiles avec elle, se rattache par là à une loi plus haute qui fait que tant de fleurs hermaphrodites restent infécondes, c′est-à-dire à la stérilité de l′auto-fécondation. Il est vrai que les invertis à la recherche d′un mâle se contentent souvent d′un inverti aussi efféminé qu′eux. Mais il suffit qu′ils n′appartiennent pas au sexe féminin, dont ils ont en eux un embryon dont ils ne peuvent se servir, ce qui arrive à tant de fleurs hermaphrodites et même à certains animaux hermaphrodites, comme l′escargot, qui ne peuvent être fécondés par eux-mêmes, mais peuvent l′être par d′autres hermaphrodites. Par là les invertis, qui se rattachent volontiers à l′antique Orient ou à l′âge d′or de la Grèce, remonteraient plus haut encore, à ces époques d′essai où n′existaient ni les fleurs dioî°µes, ni les animaux unisexués, à cet hermaphrodisme initial dont quelques rudiments d′organes mâles dans l′anatomie de la femme et d′organes femelles dans l′anatomie de l′homme semblent conserver la trace.Je trouvais la mimique, d′abord incompréhensible pour moi, de Jupien et de M. de Charlus aussi curieuse que ces gestes tentateurs adressés aux insectes, selon Darwin, non seulement par les fleurs dites composées, haussant les demi-fleurons de leurs capitules pour être vues de plus loin, comme certaine hétérostylée qui retourne ses étamines et les courbe pour frayer le chemin aux insectes, ou qui leur offre une ablution, et tout simplement même aux parfums de nectar, à l′éclat des corolles qui attiraient en ce moment des insectes dans la cour. A partir de ce jour, M. de Charlus devait changer l′heure de ses visites à Mme de Villeparisis, non qu′il ne pût voir Jupien ailleurs et plus commodément, mais parce qu′aussi bien qu′ils l′étaient pour moi, le soleil de l′après-midi et les fleurs de l′arbuste étaient sans doute liés à son souvenir. D′ailleurs, il ne se contenta pas de recommander les Jupien à Mme de Villeparisis, à la duchesse de Guermantes, à toute une brillante clientèle, qui fut d′autant plus assidue auprès de la jeune brodeuse que les quelques dames qui avaient résisté ou seulement tardé furent de la part du baron l′objet de terribles représailles, soit afin qu′elles servissent d′exemple, soit parce qu′elles avaient éveillé sa fureur et s′étaient dressées contre ses entreprises de domination; il rendit la place de Jupien de plus en plus lucrative jusqu′à ce qu′il le prît définitivement comme secrétaire et l′établît dans les conditions que nous verrons plus tard. «Ah! en voilà un homme heureux que ce Jupien», disait Françoise qui avait une tendance à diminuer ou à exagérer les bontés selon qu′on les avait pour elle ou pour les autres. D′ailleurs là, elle n′avait pas besoin d′exagération ni n′éprouvait d′ailleurs d′envie, aimant sincèrement Jupien. «Ah! c′est un si bon homme que le baron, ajoutait-elle, si bien, si dévot, si comme il faut! Si j′avais une fille à marier et que j′étais du monde riche, je la donnerais au baron les yeux fermés. — Mais, Françoise, disait doucement ma mère, elle aurait bien des maris cette fille. Rappelez-vous que vous l′avez déjà promise à Jupien. — Ah! dame, répondait Françoise, c′est que c′est encore quelqu′un qui rendrait une femme bien heureuse. Il y a beau avoir des riches et des pauvres misérables, ça ne fait rien pour la nature. Le baron et Jupien, c′est bien le même genre de personnes.» Then the solitary languishes alone. He has no other diversion than to go to the neighbouring watering-place to ask for some information or other from a certain railwayman there. But the latter has obtained promotion, has been transferred to the other end of the country; the solitary will no longer be able to go and ask him the times of the trains or the price of a first class ticket, and, before retiring to dream, Griselda-like, in his tower, loiters upon the beach, a strange Andromeda whom no Argonaut will come to free, a sterile Medusa that must perish upon the sand, or else he stands idly, until his train starts, upon the platform, casting over the crowd of passengers a gaze that will seem indifferent, contemptuous or distracted to those of another race, but, like the luminous glow with which certain insects bedeck themselves in order to attract others of their species, or like the nectar which certain flowers offer to attract the insects that will fertilise them, would not deceive the almost undiscoverable sharer of a pleasure too singular, too hard to place, which is offered him, the colleague with whom our specialist could converse in the half-forgotten tongue; in which last, at the most, some seedy loafer upon the platform will put up a show of interest, but for pecuniary gain alone, like those people who, at the Collège de France, in the room in which the Professor of Sanskrit lectures without an audience, attend his course but only because the room itself is heated. Medusa! Orchid! When I followed my instinct only, the medusa used to revolt me at Balbec; but if I had the eyes to regard it, like Michelet, from the standpoint of natural history, and aesthetic, I saw an exquisite wheel of azure flame. Are they not, with the transparent velvet of their petals, as it were the mauve orchids of the sea? Like so many creatures of the animal and vegetable kingdoms, like the plant which would produce vanilla but, because in its structure the male organ is divided by a partition from the female, remains sterile unless the humming-birds or certain tiny bees convey the pollen from one to the other, or man fertilises them by artificial means, M. de Charlus (and here the word fertilise must be understood in a moral sense, since in the physical sense the union of male with male is and must be sterile, but it is no small matter that a person may encounter the sole pleasure which he is capable of enjoying, and that every ‘creature here below′ can impart to some other ‘his music, or his fragrance or his flame′), M. de Charlus was one of those men who may be called exceptional, because however many they may be, the satisfaction, so easy in others, of their sexual requirements depends upon the coincidence of too many conditions, and of conditions too difficult to ensure. For men like M. de Charlus (leaving out of account the compromises which will appear in the course of this story and which the reader may already have foreseen, enforced by the need of pleasure which resigns itself to partial acceptations), mutual love, apart from the difficulties, so great as to be almost insurmountable, which it meets in the ordinary man, adds to these others so exceptional that what is always extremely rare for everyone becomes in their case well nigh impossible, and, if there should befall them an encounter which is really fortunate, or which nature makes appear so to them, their good fortune, far more than that of the normal lover, has about it something extraordinary, selective, profoundly necessary. The feud of the Capulets and Montagues was as nothing compared with the obstacles of every sort which must have been surmounted, the special eliminations which nature has had to submit to the hazards, already far from common, which result in love, before a retired tailor, who was intending to set off soberly for his office, can stand quivering in ecstasy before a stoutish man of fifty; this Romeo and this Juliet may believe with good reason that their love is not the caprice of a moment but a true predestination, prepared by the harmonies of their temperaments, and not only by their own personal temperaments but by those of their ancestors, by their most distant strains of heredity, so much so that the fellow creature who is conjoined with them has belonged to them from before their birth, has attracted them by a force comparable to that which governs the worlds on which we passed our former lives. M. de Charlus had distracted me from looking to see whether the bee was bringing to the orchid the pollen it had so long been waiting to receive, and had no chance of receiving save by an accident so unlikely that one might call it a sort of miracle. But this was a miracle also that I had just witnessed, almost of the same order and no less marvellous. As soon as I had considered their meeting from this point of view, everything about it seemed to me instinct with beauty. The most extraordinary devices that nature has invented to compel insects to ensure the fertilisation of flowers which without their intervention could not be fertilised because the male flower is too far away from the female — or when, if it is the wind that must provide for the transportation of the pollen, she makes that pollen so much more simply detachable from the male, so much more easily arrested in its flight by the female flower, by eliminating the secretion of nectar which is no longer of any use since there is no insect to be attracted, and, that the flower may be kept free for the pollen which it needs, which can fructify only in itself, makes it secrete a liquid which renders it immune to all other pollens — seemed to me no more marvellous than the existence of the subvariety of inverts destined to guarantee the pleasures of love to the invert who is growing old: men who are attracted not by all other men, but — by a phenomenon of correspondence and harmony similar to those that precede the fertilisation of heterostyle trimorphous flowers like the lythrum salicoria — only by men considerably older than themselves. Of this subvariety Jupien had just furnished me with an example less striking however than certain others, which every collector of a human herbary, every moral botanist can observe in spite of their rarity, and which will present to the eye a delicate youth who is waiting for the advances of a robust and paunchy quinquagenarian, remaining as indifferent to those of other young men as the hermaphrodite flowers of the short-styled primula veris so long as they are fertilised only by other PrimulaE veris of short style also, whereas they welcome with joy the pollen of the Primula veris with the long styles. As for M. de Charlus′s part in the transaction, I noticed afterwards that there were for him various kinds of conjunction, some of which, by their multiplicity, their almost invisible speed and above all the absence of contact between the two actors, recalled still more forcibly those flowers that in a garden are fertilised by the pollen of a neighbouring flower which they may never touch. There were in fact certain persons whom it was sufficient for him to make come to his house, hold for an hour or two under the domination of his talk, for his desire, quickened by some earlier encounter, to be assuaged. By a simple use of words the conjunction was effected, as simply as it can be among the infusoria. Sometimes, as had doubtless been the case with me on the evening on which I had been summoned by him after the Guermantes dinner-party, the relief was effected by a violent ejaculation which the Baron made in his visitor′s face, just as certain flowers, furnished with a hidden spring, sprinkle from within the unconsciously collaborating and disconcerted insect. M. de Charlus, from vanquished turning victor, feeling himself purged of his uneasiness and calmed, would send away the visitor who had at once ceased to appear to him desirable. Finally, inasmuch as inversion itself springs from the fact that the invert is too closely akin to woman to be capable of having any effective relations with her, it comes under a higher law which ordains that so many hermaphrodite flowers shall remain unfertile, that is to say the law of the sterility of autofecundation. It is true that inverts, in their search for a male person, will often be found to put up with other inverts as effeminate as themselves. But it is enough that they do not belong to the female sex, of which they have in them an embryo which they can put to no useful purpose, such as we find in so many hermaphrodite flowers, and even in certain hermaphrodite animals, such as the snail, which cannot be fertilised by themselves, but can by other hermaphrodites. In this respect the race of inverts, who eagerly connect themselves with Oriental antiquity or the Golden Age in Greece, might be traced back farther still, to those experimental epochs in which there existed neither dioecious plants nor monosexual animals, to that initial hermaphroditism of which certain rudiments of male organs in the anatomy of the woman and of female organs in that of the man seem still to preserve the trace. I found the pantomime, incomprehensible to me at first, of Jupien and M. de Charlus as curious as those seductive gestures addressed, Darwin tells us, to insects not only by the flowers called composite which erect the florets of their capitals so as to be seen from a greater distance, such as a certain heterostyle which turns back its stamens and bends them to open the way for the insect, or offers him an ablution, or, to take an immediate instance, the nectar-fragrance and vivid hue of the corollae that were at that moment attracting insects to our courtyard. From this day onwards M. de Charlus was to alter the time of his visits to Mme. de Villeparisis, not that he could not see Jupien elsewhere and with greater convenience, but because to him just as much as to me the afternoon sunshine and the blossoming plant were, no doubt, linked together in memory. Apart from this, he did not confine himself to recommending the Jupiens to Mme. de Villeparisis, to the Duchesse de Guermantes, to a whole brilliant list of patrons, who were all the more assiduous in their attentions to the young seamstress when they saw that the few ladies who had held out, or had merely delayed their submission, were subjected to the direst reprisals by the Baron, whether in order that they might serve as an example, or because they had aroused his wrath and had stood out against his attempted domination; he made Jupien′s position more and more lucrative, until he definitely engaged him as his secretary and established him in the state in which we shall see him later on. “Ah, now! There is a happy man, if you like, that Jupien,” said Françoise, who had a tendency to minimise or exaggerate people′s generosity according as it was bestowed on herself or on others. Not that, in this instance, she had any need to exaggerate, nor for that matter did she feel any jealousy, being genuinely fond of Jupien. “Oh, he′s such a good man, the Baron,” she went on, “such a well-behaved, religious, proper sort of man. If I had a daughter to marry and was one of the rich myself, I would give her to the Baron with my eyes shut.” “But, Françoise,” my mother observed gently, “she′d be well supplied with husbands, that daughter of yours. Don′t forget you′ve already promised her to Jupien.” “Ah! Lordy, now,” replied Françoise, “there′s another of them that would make a woman happy. It doesn′t matter whether you′re rich or poor, it makes no difference to your nature. The Baron and Jupien, they′re just the same sort of person.”
Au reste j′exagérais beaucoup alors, devant cette révélation première, le caractère électif d′une conjonction si sélectionnée. Certes, chacun des hommes pareils à M. de Charlus est une créature extraordinaire, puisque, s′il ne fait pas de concessions aux possibilités de la vie, il recherche essentiellement l′amour d′un homme de l′autre race, c′est-à-dire d′un homme aimant les femmes (et qui par conséquent ne pourra pas l′aimer); contrairement à ce que je croyais dans la cour, où je venais de voir Jupien tourner autour de M. de Charlus comme l′orchidée faire des avances au bourdon, ces êtres d′exception que l′on plaint sont une foule, ainsi qu′on le verra au cours de cet ouvrage, pour une raison qui ne sera dévoilée qu′à la fin, et se plaignent eux-mêmes d′être plutôt trop nombreux que trop peu. Car les deux anges qui avaient été placés aux portes de Sodome pour savoir si ses habitants, dit la Genèse, avaient entièrement fait toutes ces choses dont le cri était monté jusqu′à l′Éternel, avaient été, on ne peut que s′en réjouir, très mal choisis par le Seigneur, lequel n′eût dû confier la tâche qu′à un Sodomiste. Celui-là, les excuses: «Père de six enfants, j′ai deux maîtresses, etc.» ne lui eussent pas fait abaisser bénévolement l′épée flamboyante et adoucir les sanctions; il aurait répondu: «Oui, et ta femme souffre les tortures de la jalousie. Mais même quand ces femmes n′ont pas été choisies par toi à Gomorrhe, tu passes tes nuits avec un gardeur de troupeaux de l′Hébron.» Et il l′aurait immédiatement fait rebrousser chemin vers la ville qu′allait détruire la pluie de feu et de soufre.Au contraire, on laissa s′enfuir tous les Sodomistes honteux, même si, apercevant un jeune garçon, ils détournaient la tête, comme la femme de Loth, sans être pour cela changés comme elle en statues de sel. De sorte qu′ils eurent une nombreuse postérité chez qui ce geste est resté habituel, pareil à celui des femmes débauchées qui, en ayant l′air de regarder un étalage de chaussures placées derrière une vitrine, retournent la tête vers un étudiant. Ces descendants des Sodomistes, si nombreux qu′on peut leur appliquer l′autre verset de la Genèse: «Si quelqu′un peut compter la poussière de la terre, il pourra aussi compter cette postérité», se sont fixés sur toute la terre, ils ont eu accès à toutes les professions, et entrent si bien dans les clubs les plus fermés que, quand un sodomiste n′y est pas admis, les boules noires y sont en majorité celles de sodomistes, mais qui ont soin d′incriminer la sodomie, ayant hérité le mensonge qui permit à leurs ancêtres de quitter la ville maudite. Il est possible qu′ils y retournent un jour. Certes ils forment dans tous les pays une colonie orientale, cultivée, musicienne, médisante, qui a des qualités charmantes et d′insupportables défauts. On les verra d′une façon plus approfondie au cours des pages qui suivront; mais on a voulu provisoirement prévenir l′erreur funeste qui consisterait, de même qu′on a encouragé un mouvement sioniste, à créer un mouvement sodomiste et à rebâtir Sodome. Or, à peine arrivés, les sodomistes quitteraient la ville pour ne pas avoir l′air d′en être, prendraient femme, entretiendraient des maîtresses dans d′autres cités, où ils trouveraient d′ailleurs toutes les distractions convenables. Ils n′iraient à Sodome que les jours de suprême nécessité, quand leur ville serait vide, par ces temps où la faim fait sortir le loup du bois, c′est-à-dire que tout se passerait en somme comme à Londres, à Berlin, à Rome, à Pétrograd ou à Paris. However, I greatly exaggerated at the time, on the strength of this first revelation, the elective character of so carefully selected a combination. Admittedly, every man of the kind of M. de Charlus is an extraordinary creature since, if he does not make concessions to the possibilities of life, he seeks out essentially the love of a man of the other race, that is to say a man who is a lover of women (and incapable consequently of loving him); in contradiction of what I had imagined in the courtyard, where I had seen Jupien turning towards M. de Charlus like the orchid making overtures to the bee, these exceptional creatures whom we commiserate are a vast crowd, as we shall see in the course of this work, for a reason which will be disclosed only at the end of it, and commiserate themselves for being too many rather than too few. For the two angels who were posted at the gates of Sodom to learn whether its inhabitants (according to Genesis) had indeed done all the things the report of which had ascended to the Eternal Throne must have been, and of this one can only be glad, exceedingly ill chosen by the Lord, Who ought not to have entrusted the task to any but a Sodomite. Such an one the excuses: “Father of six children — I keep two mistresses,” and so forth could never have persuaded benevolently to lower his flaming sword and to mitigate the punishment; he would have answered: “Yes, and your wife lives in a torment of jealousy. But even when these women have not been chosen by you from Gomorrah, you spend your nights with a watcher of flocks upon Hebron.” And he would at once have made him retrace his steps to the city which the rain of fire and brimstone was to destroy. On the contrary, they allowed to escape all the shame-faced Sodomites, even if these, on catching sight of a boy, turned their heads, like Lot′s wife, though without being on that account changed like her into pillars of salt. With the result that they engendered a numerous posterity with whom this gesture has continued to be habitual, like that of the dissolute women who, while apparently studying a row of shoes displayed in a shop window, turn their heads to keep track of a passing student. These descendants of the Sodomites, so numerous that we may apply to them that other verse of Genesis: “If a man can number the dust of the earth, then shall thy seed also be numbered,” have established themselves throughout the entire world; they have had access to every profession and pass so easily into the most exclusive clubs that, whenever a Sodomite fails to secure election, the blackballs are, for the most part, cast by other Sodomites, who are anxious to penalise sodomy, having inherited the falsehood that enabled their ancestors to escape from the accursed city. It is possible that they may return there one day. Certainly they form in every land an Oriental colony, cultured, musical, malicious, which has certain charming qualities and intolerable defects. We shall study them with greater thoroughness in the course of the following pages; but I have thought it as well to utter here a provisional warning against the lamentable error of proposing (just as people have encouraged a Zionist movement) to create a Sodomist movement and to rebuild Sodom. For, no sooner had they arrived there than the Sodomites would leave the town so as not to have the appearance of belonging to it, would take wives, keep mistresses in other cities where they would find, incidentally, every diversion that appealed to them. They would repair to Sodom only on days of supreme necessity, when their own town was empty, at those seasons when hunger drives the wolf from the woods; in other words, everything would go on very much as it does to-day in London, Berlin, Rome, Petrograd or Paris.
En tout cas, ce jour-là, avant ma visite à la duchesse, je ne songeais pas si loin et j′étais désolé d′avoir, par attention à la conjonction Jupien–Charlus, manqué peut-être de voir la fécondation de la fleur par le bourdon. Anyhow, on the day in question, before paying my call on the Duchess, I did not look so far ahead, and I was distressed to find that I had, by my engrossment in the Jupien-Charlus conjunction, missed perhaps an opportunity of witnessing the fertilisation of the blossom by the bee.
Deuxième Partie Cette division en deux parties (Sodome et Gomorrhe I et II) est celle que Marcel Proust a établie pour la première édition de l′ouvrag





Chapitre Premier

M. de Charlus dans le monde. — Un médecin. — Face caractéristique de Mme de Vaugoubert. — Mme d′Arpajon, le jet d′eau d′Hubert Robert et la gaieté du grand-duc Wladimir. — Mme d′Amoncourt de Citri, Mme de Saint–Euverte, etc. — Curieuse conversation entre Swann et le prince de Guermantes. — Albertine au téléphone. — Visites en attendant mon dernier et deuxième séjour à Balbec. — Arrivée à Balbec. — Les intermittences du coeur.

CHAPTER ONE

M. de Charlus in Society. — A physician. — Typical physiognomy of Mme. de Vaugoubert. — Mme. d′Arpajon, the Hubert Robert fountain and the merriment of the Grand Duke Vladimir. — Mmes. d′Amoncourt, de Citri, de Saint-Euverte, etc. — Curious conversation between Swann and the Prince de Guermantes. — Albertine on the telephone. — My social life in the interval before my second and final visit to Balbec. Arrival at Balbec.
Comme je n′étais pas pressé d′arriver à cette soirée des Guermantes où je n′étais pas certain d′être invité, je restais oisif dehors; mais le jour d′été ne semblait pas avoir plus de hâte que moi à bouger. Bien qu′il fût plus de neuf heures, c′était lui encore qui sur la place de la Concorde donnait à l′obélisque de Louqsor un air de nougat rose. Puis il en modifia la teinte et le changea en une matière métallique, de sorte que l′obélisque ne devint pas seulement plus précieux, mais sembla aminci et presque flexible. On s′imaginait qu′on aurait pu tordre, qu′on avait peut-être déjà légèrement faussé ce bijou. La lune était maintenant dans le ciel comme un quartier d′orange pelé délicatement quoique un peu entamé. Mais elle devait plus tard être faite de l′or le plus résistant. Blottie toute seule derrière elle, une pauvre petite étoile allait servir d′unique compagne à la lune solitaire, tandis que celle-ci, tout en protégeant son amie, mais plus hardie et allant de l′avant, brandirait comme une arme irrésistible, comme un symbole oriental, son ample et merveilleux croissant d′or. As I was in no haste to arrive at this party at the Guermantes′, to which I was not certain that I had been invited, I remained sauntering out of doors; but the summer day seemed to be in no greater haste than myself to stir. Albeit it was after nine o′clock, it was still the light of day that on the Place de la Concorde was giving the Luxor obelisk the appearance of being made of pink nougat. Then it diluted the tint and changed the surface to a metallic substance, so that the obelisk not only became more precious but seemed to have grown more slender and almost flexible. You imagined that you might have twisted it in your fingers, had perhaps already slightly distorted its outline. The moon was now in the sky like a section of orange delicately peeled although slightly bruised. But presently she was to be fashioned of the most enduring gold. Sheltering alone behind her, a poor little star was to serve as sole companion to the lonely moon, while she, keeping her friend protected, but bolder and striding ahead, would brandish like an irresistible weapon, like an Oriental symbol, her broad and marvellous crescent of gold.
Devant l′hôtel de la princesse de Guermantes, je rencontrai le duc de Châtellerault; je ne me rappelais plus qu′une demi-heure auparavant me persécutait encore la crainte — laquelle allait du reste bientôt me ressaisir — de venir sans avoir été invité. On s′inquiète, et c′est parfois longtemps après l′heure du danger, oubliée grâce à la distraction, que l′on se souvient de son inquiétude. Je dis bonjour au jeune duc et pénétrai dans l′hôtel. Mais ici il faut d′abord que je note une circonstance minime, laquelle permettra de comprendre un fait qui suivra bientôt. Outside the mansion of the Princesse de Guermantes, I met the Duc de Châtellerault; I no longer remembered that half an hour earlier I had still been persecuted by the fear — which, for that matter, was speedily to grip me again — that I might be entering the house uninvited. We grow uneasy, and it is sometimes long after the hour of danger, which a subsequent distraction has made us forget, that we remember our uneasiness. I greeted the young Duke and made my way into the house. But here I must first of all record a trifling incident, which will enable us to understand something that was presently to occur.
Il y avait quelqu′un qui, ce soir-là comme les précédents, pensait beaucoup au duc de Châtellerault, sans soupçonner du reste qui il était: c′était l′huissier (qu′on appelait dans ce temps-là «l′aboyeur») de Mme de Guermantes. M. de Châtellerault, bien loin d′être un des intimes — comme il était l′un des cousins — de la princesse, était reçu dans son salon pour la première fois. Ses parents, brouillés avec elle depuis dix ans, s′étaient réconciliés depuis quinze jours et, forcés d′être ce soir absents de Paris, avaient chargé leur fils de les représenter. Or, quelques jours auparavant, l′huissier de la princesse avait rencontré dans les Champs–Elysées un jeune homme qu′il avait trouvé charmant mais dont il n′avait pu arriver à établir l′identité. Non que le jeune homme ne se fût montré aussi aimable que généreux. Toutes les faveurs que l′huissier s′était figuré avoir à accorder à un monsieur si jeune, il les avait au contraire reçues. Mais M. de Châtellerault était aussi froussard qu′imprudent; il était d′autant plus décidé à ne pas dévoiler son incognito qu′il ignorait à qui il avait affaire; il aurait eu une peur bien plus grande — quoique mal fondée — s′il l′avait su. Il s′était borné à se faire passer pour un Anglais, et à toutes les questions passionnées de l′huissier, désireux de retrouver quelqu′un à qui il devait tant de plaisir et de largesses, le duc s′était borné à répondre, tout le long de l′avenue Gabriel: «I do not speak french There was one person who, on that evening as on the previous evenings, had been thinking a great deal about the Duc de Châtellerault, without however suspecting who he was: this was the usher (styled at that time the aboyeur) of Mme. de Guermantes. M. de Châtellerault, so far from being one of the Princess′s intimate friends, albeit he was one of her cousins, had been invited to her house for the first time. His parents, who had not been on speaking terms with her for the last ten years, had been reconciled to her within the last fortnight, and, obliged to be out of Paris that evening, had requested their son to fill their place. Now, a few days earlier, the Princess′s usher had met in the Champs-Elysées a young man whom he had found charming but whose identity he had been unable to establish. Not that the young man had not shewn himself as obliging as he had been generous. All the favours that the usher had supposed that he would have to bestow upon so young a gentleman, he had on the contrary received. But M. de Châtellerault was as reticent as he was rash; he was all the more determined not to disclose his incognito since he did not know with what sort of person he was dealing; his fear would have been far greater, although quite unfounded, if he had known. He had confined himself to posing as an Englishman, and to all the passionate questions with which he was plied by the usher, desirous to meet again a person to whom he was indebted for so much pleasure and so ample a gratuity, the Duke had merely replied, from one end of the Avenue Gabriel to the other: “I do not speak French.”
Bien que, malgré tout —à cause de l′origine maternelle de son cousin — le duc de Guermantes affectât de trouver un rien de Courvoisier dans le salon de la princesse de Guermantes–Bavière, on jugeait généralement l′esprit d′initiative et la supériorité intellectuelle de cette dame d′après une innovation qu′on ne rencontrait nulle part ailleurs dans ce milieu. Après le dîner, et quelle que fût l′importance du raout qui devait suivre, les sièges, chez la princesse de Guermantes, se trouvaient disposés de telle façon qu′on formait de petits groupes, qui, au besoin, se tournaient le dos. La princesse marquait alors son sens social en allant s′asseoir, comme par préférence, dans l′un d′eux. Elle ne craignait pas du reste d′élire et d′attirer le membre d′un autre groupe. Si, par exemple, elle avait fait remarquer à M. Detaille, lequel avait naturellement acquiescé, combien Mme de Villemur, que sa place dans un autre groupe faisait voir de dos, possédait un joli cou, la princesse n′hésitait pas à élever la voix: «Madame de Villemur, M. Detaille, en grand peintre qu′il est, est en train d′admirer votre cou.» Mme de Villemur sentait là une invite directe à la conversation; avec l′adresse que donne l′habitude du cheval, elle faisait lentement pivoter sa chaise selon un arc de trois quarts de cercle et, sans déranger en rien ses voisins, faisait presque face à la princesse.«Vous ne connaissez pas M. Detaille? demandait la maîtresse de maison, à qui l′habile et pudique conversion de son invitée ne suffisait pas. — Je ne le connais pas, mais je connais ses oeuvres», répondait Mme de Villemur, d′un air respectueux, engageant, et avec un à-propos que beaucoup enviaient, tout en adressant au célèbre peintre, que l′interpellation n′avait pas suffi à lui présenter d′une manière formelle, un imperceptible salut. «Venez, monsieur Detaille, disait la princesse, je vais vous présenter à Mme de Villemur.» Celle-ci mettait alors autant d′ingéniosité à faire une place à l′auteur du Rêve que tout à l′heure à se tourner vers lui. Et la princesse s′avançait une chaise pour elle-même; elle n′avait en effet interpellé Mme de Villemur que pour avoir un prétexte de quitter le premier groupe où elle avait passé les dix minutes de règle, et d′accorder une durée égale de présence au second. En trois quarts d′heure, tous les groupes avaient reçu sa visite, laquelle semblait n′avoir été guidée chaque fois que par l′improviste et les prédilections, mais avait surtout pour but de mettre en relief avec quel naturel «une grande dame sait recevoir». Mais maintenant les invités de la soirée commençaient d′arriver et la maîtresse de maison s′était assise non loin de l′entrée — droite et fière, dans sa majesté quasi royale, les yeux flambant par leur incandescence propre — entre deux Altesses sans beauté et l′ambassadrice d′Espagne. Albeit, in spite of everything — remembering his cousin Gilbert′s maternal ancestry — the Duc de Guermantes pretended to find a touch of Courvoisier in the drawing-room of the Princesse de Guermantes-Bavière, the general estimate of that lady′s initiative spirit and intellectual superiority was based upon an innovation that was to be found nowhere else in her set. After dinner, however important the party that was to follow, the chairs, at the Princesse de Guermantes′s, were arranged in such a way as to form little groups, in which people might have to turn their backs upon one another. The Princess then displayed her social sense by going to sit down, as though by preference, in one of these. Not that she was afraid to pick out and attract to herself a member of another group. If, for instance, she had remarked to M. Détaille, who naturally agreed with her, on the beauty of Mme. de Villemur′s neck, of which that lady′s position in another group made her present a back view, the Princess did not hesitate to raise her voice: “Madame de Villemur, M. Détaille, with his wonderful painter′s eye, has just been admiring your neck.” Mme. de Villemur interpreted this as a direct invitation to join in the conversation; with the agility of a practiced horsewoman, she made her chair rotate slowly through three quadrants of a circle, and, without in the least disturbing her neighbours, came to rest almost facing the Princess. “You don′t know M. Détaille?” exclaimed their hostess, for whom her guest′s nimble and modest tergiversation was not sufficient. “I do not know him, but I know his work,” replied Mme. de Villemur, with a respectful, engaging air, and a promptitude which many of the onlookers envied her, addressing the while to the celebrated painter whom this invocation had not been sufficient to introduce to her in a formal manner, an imperceptible bow. “Come, Monsieur Détaille,” said the Princess, “let me introduce you to Mme. de Villemur.” That lady thereupon shewed as great ingenuity in making room for the creator of the Dream as she had shewn a moment earlier in wheeling round to face him. And the Princess drew forward a chair for herself; she had indeed invoked Mme. de Villemur only to have an excuse for quitting the first group, in which she had spent the statutory ten minutes, and bestowing a similar allowance of her time upon the second. In three quarters of an hour, all the groups had received a visit from her, which seemed to have been determined in each instance by impulse and predilection, but had the paramount object of making it apparent how naturally “a great lady knows how to entertain.” But now the guests for the party were beginning to arrive, and the lady of the house was seated not far from the door — erect and proud in her semi-regal majesty, her eyes ablaze with their own incandescence — between two unattractive Royalties and the Spanish Ambassadress.
Je faisais la queue derrière quelques invités arrivés plus tôt que moi. J′avais en face de moi la princesse, de laquelle la beauté ne me fait pas seule sans doute, entre tant d′autres, souvenir de cette fête-là. Mais ce visage de la maîtresse de maison était si parfait, était frappé comme une si belle médaille, qu′il a gardé pour moi une vertu commémorative. La princesse avait l′habitude de dire à ses invités, quand elle les rencontrait quelques jours avant une de ses soirées: «Vous viendrez, n′est-ce pas?» comme si elle avait un grand désir de causer avec eux. Mais comme, au contraire, elle n′avait à leur parler de rien, dès qu′ils arrivaient devant elle, elle se contentait, sans se lever, d′interrompre un instant sa vaine conversation avec les deux Altesses et l′ambassadrice et de remercier en disant: «C′est gentil d′être venu», non qu′elle trouvât que l′invité eût fait preuve de gentillesse en venant, mais pour accroître encore la sienne; puis aussitôt le rejetant à la rivière, elle ajoutait: «Vous trouverez M. de Guermantes à l′entrée des jardins», de sorte qu′on partait visiter et qu′on la laissait tranquille. A certains même elle ne disait rien, se contentant de leur montrer ses admirables yeux d′onyx, comme si on était venu seulement à une exposition de pierres précieuses. I stood waiting behind a number of guests who had arrived before me. Facing me was the Princess, whose beauty is probably not the only thing, where there were so many beauties, that reminds me of this party. But the face of my hostess was so perfect; stamped like so beautiful a medal, that it has retained a commemorative force in my mind. The Princess was in the habit of saying to her guests when she met them a day or two before one of her parties: “You will come, won′t you?” as though she felt a great desire to talk to them. But as, on the contrary, she had nothing to talk to them about, when they entered her presence she contented herself, without rising, with breaking off for an instant her vapid conversation with the two Royalties and the Ambassadress and thanking them with: “How good of you to have come,” not that she thought that the guest had shewn his goodness by coming, but to enhance her own; then, at once dropping him back into the stream, she would add: “You will find M. de Guermantes by the garden door,” so that the guest proceeded on his way and ceased to bother her. To some indeed she said nothing, contenting herself with shewing them her admirable onyx eyes, as though they had come merely to visit an exhibition of precious stones.
La première personne à passer avant moi était le duc de Châtellerault. The person immediately in front of me was the Duc de Châtellerault.
Ayant à répondre à tous les sourires, à tous les bonjours de la main qui lui venaient du salon, il n′avait pas aperçu l′huissier. Mais dès le premier instant l′huissier l′avait reconnu. Cette identité qu′il avait tant désiré d′apprendre, dans un instant il allait la connaître. En demandant à son «Anglais» de l′avant-veille quel nom il devait annoncer, l′huissier n′était pas seulement ému, il se jugeait indiscret, indélicat. Il lui semblait qu′il allait révéler à tout le monde (qui pourtant ne se douterait de rien) un secret qu′il était coupable de surprendre de la sorte et d′étaler publiquement. En entendant la réponse de l′invité: «Le duc de Châtellerault», il se sentit troublé d′un tel orgueil qu′il resta un instant muet. Le duc le regarda, le reconnut, se vit perdu, cependant que le domestique, qui s′était ressaisi et connaissait assez son armorial pour compléter de lui-même une appellation trop modeste, hurlait avec l′énergie professionnelle qui se veloutait d′une tendresse intime: «Son Altesse Monseigneur le duc de Châtellerault!» Mais c′était maintenant mon tour d′être annoncé. Absorbé dans la contemplation de la maîtresse de maison, qui ne m′avait pas encore vu, je n′avais pas songé aux fonctions, terribles pour moi — quoique d′une autre façon que pour M. de Châtellerault — de cet huissier habillé de noir comme un bourreau, entouré d′une troupe de valets aux livrées les plus riantes, solides gaillards prêts à s′emparer d′un intrus et à le mettre à la porte. L′huissier me demanda mon nom, je le lui dis aussi machinalement que le condamné à mort se laisse attacher au billot. Il leva aussitôt majestueusement la tête et, avant que j′eusse pu le prier de m′annoncer à mi-voix pour ménager mon amour-propre si je n′étais pas invité, et celui de la princesse de Guermantes si je l′étais, il hurla les syllabes inquiétantes avec une force capable d′ébranler la voûte de l′hôtel. Having to respond to all the smiles, all the greetings waved to him from inside the drawing-room, he had not noticed the usher. But from the first moment the usher had recognised him. The identity of this stranger, which he had so ardently desired to learn, in another minute he would know. When he asked his ‘Englishman′ of the other evening what name he was to announce, the usher was not merely stirred, he considered that he was being indiscreet, indelicate. He felt that he was about to reveal to the whole world (which would, however, suspect nothing) a secret which it was criminal of him to force like this and to proclaim in public. Upon hearing the guest′s reply: “Le duc de Châtellerault,” he felt such a burst of pride that he remained for a moment speechless. The Duke looked at him, recognised him, saw himself ruined, while the servant, who had recovered his composure and was sufficiently versed in heraldry to complete for himself an appellation that was too modest, shouted with a professional vehemence softened by an emotional tenderness: “Son Altesse Monseigneur le duc de Châtellerault!” But it was now my turn to be announced. Absorbed in contemplation of my hostess, who had not yet seen me, I had not thought of the function — terrible to me, although not in the same sense as to M. de Châtellerault — of this usher garbed in black like a headsman, surrounded by a group of lackeys in the most cheerful livery, lusty fellows ready to seize hold of an intruder and cast him out of doors. The usher asked me my name, I told him it as mechanically as the condemned man allows himself to be strapped to the block. At once he lifted his head majestically and, before I could beg him to announce me in a lowered tone so as to spare my own feelings if I were not invited and those of the Princesse de Guermantes if I were, shouted the disturbing syllables with a force capable of bringing down the roof.
L′illustre Huxley (celui dont le neveu occupe actuellement une place prépondérante dans le monde de la littérature anglaise) raconte qu′une de ses malades n′osait plus aller dans le monde parce que souvent, dans le fauteuil même qu′on lui indiquait d′un geste courtois, elle voyait assis un vieux monsieur. Elle était bien certaine que, soit le geste inviteur, soit la présence du vieux monsieur, était une hallucination, car on ne lui aurait pas ainsi désigné un fauteuil déjà occupé. Et quand Huxley, pour la guérir, la força à retourner en soirée, elle eut un instant de pénible hésitation en se demandant si le signe aimable qu′on lui faisait était la chose réelle, ou si, pour obéir à une vision inexistante, elle allait en public s′asseoir sur les genoux d′un monsieur en chair et en os. Sa brève incertitude fut cruelle. Moins peut-être que la mienne. A partir du moment où j′avais perçu le grondement de mon nom, comme le bruit préalable d′un cataclysme possible, je dus, pour plaider en tout cas ma bonne foi et comme si je n′étais tourmenté d′aucun doute, m′avancer vers la princesse d′un air résolu. The famous Huxley (whose grandson occupies an unassailable position in the English literary world of to-day) relates that one of his patients dared not continue to go into society because often, on the actual chair that was pointed out to her with a courteous gesture, she saw an old gentleman already seated. She could be quite certain that either the gesture of invitation or the old gentleman′s presence was a hallucination, for her hostess would not have offered her a chair that was already occupied. And when Huxley, to cure her, forced her to reappear in society, she felt a moment of painful hesitation when she asked herself whether the friendly sign that was being made to her was the real thing, or, in obedience to a non-existent vision, she was about to sit down in public upon the knees of a gentleman in flesh and blood. Her brief uncertainty was agonising. Less so perhaps than mine. From the moment at which I had taken in the sound of my name, like the rumble that warns us of a possible cataclysm, I was bound, to plead my own good faith in either event, and as though I were not tormented by any doubt, to advance towards the Princess with a resolute air.
Elle m′aperçut comme j′étais à quelques pas d′elle et, ce qui ne me laissa plus douter que j′avais été victime d′une machination, au lieu de rester assise comme pour les autres invités, elle se leva, vint à moi. Une seconde après, je pus pousser le soupir de soulagement de la malade d′Huxley quand, ayant pris le parti de s′asseoir dans le fauteuil, elle le trouva libre et comprit que c′était le vieux monsieur qui était une hallucination. La princesse venait de me tendre la main en souriant. Elle resta quelques instants debout, avec le genre de grâce particulier à la stance de Malherbe qui finit ainsi: She caught sight of me when I was still a few feet away and (to leave me in no doubt that I was the victim of a conspiracy), instead of remaining seated, as she had done for her other guests, rose and came towards me. A moment later, I was able to heave the sigh of relief of Huxley′s patient, when, having made up her mind to sit down on the chair, she found it vacant and realised that it was the old gentleman that was a hallucination. The Princess had just held out her hand to me with a smile. She remained standing for some moments with the kind of charm enshrined in the verse of Malherbe which ends:
Et pour leur faire honneur les Anges se lever. “To do them honour all the angels rise.”
Elle s′excusa de ce que la duchesse ne fût pas encore arrivée, comme si je devais m′ennuyer sans elle. Pour me dire ce bonjour, elle exécuta autour de moi, en me tenant la main, un tournoiement plein de grâce, dans le tourbillon duquel je me sentais emporté. Je m′attendais presque à ce qu′elle me remît alors, telle une conductrice de cotillon, une canne à bec d′ivoire, ou une montre-bracelet. Elle ne me donna à vrai dire rien de tout cela, et comme si au lieu de danser le boston elle avait plutôt écouté un sacro-saint quatuor de Beethoven dont elle eût craint de troubler les sublimes accents, elle arrêta là la conversation, ou plutôt ne la commença pas et, radieuse encore de m′avoir vu entrer, me fit part seulement de l′endroit où se trouvait le prince. She apologised because the Duchess had not yet come, as though I must be bored there without her. In order to give me this greeting, she wheeled round me, holding me by the hand, in a graceful revolution by the whirl of which I felt myself carried off my feet. I almost expected that she would next offer me, like the leader of a cotillon, an ivory-headed cane or a watch-bracelet. She did not, however, give me anything of the sort, and as though, instead of dancing the boston, she had been listening to a sacred quartet by Beethoven the sublime strains of which she was afraid of interrupting, she cut short the conversation there and then, or rather did not begin it, and, still radiant at having seen me come in, merely informed me where the Prince was to be found.
Je m′éloignai d′elle et n′osai plus m′en rapprocher, sentant qu′elle n′avait absolument rien à me dire et que, dans son immense bonne volonté, cette femme merveilleusement haute et belle, noble comme l′étaient tant de grandes dames qui montèrent si fièrement à l′échafaud, n′aurait pu, faute d′oser m′offrir de l′eau de mélisse, que me répéter ce qu′elle m′avait déjà dit deux fois: «Vous trouverez le prince dans le jardin.» Or, aller auprès du prince, c′était sentir renaître sous une autre forme mes doutes. I moved away from her and did not venture to approach her again, feeling that she had absolutely nothing to say to me and that, in her vast kindness, this woman marvellously tall and handsome, noble as were so many great ladies who stepped so proudly upon the scaffold, could only, short of offering me a draught of honeydew, repeat what she had already said to me twice: “You will find the Prince in the garden.” Now, to go in search of the Prince was to feel my doubts revive in a fresh form.
En tout cas fallait-il trouver quelqu′un qui me présentât. On entendait, dominant toutes les conversations, l′intarissable jacassement de M. de Charlus, lequel causait avec Son Excellence le duc de Sidonia, dont il venait de faire la connaissance. De profession à profession, on se devine, et de vice à vice aussi. M. de Charlus et M. de Sidonia avaient chacun immédiatement flairé celui de l′autre, et qui, pour tous les deux, était, dans le monde, d′être monologuistes, au point de ne pouvoir souffrir aucune interruption. Ayant jugé tout de suite que le mal était sans remède, comme dit un célèbre sonnet, ils avaient pris la détermination, non de se taire, mais de parler chacun sans s′occuper de ce que dirait l′autre. Cela avait réalisé ce bruit confus, produit dans les comédies de Molière par plusieurs personnes qui disent ensemble des choses différentes. Le baron, avec sa voix éclatante, était du reste certain d′avoir le dessus, de couvrir la voix faible de M. de Sidonia; sans décourager ce dernier pourtant car, lorsque M. de Charlus reprenait un instant haleine, l′intervalle était rempli par le susurrement du grand d′Espagne qui avait continué imperturbablement son discours. J′aurais bien demandé à M. de Charlus de me présenter au prince de Guermantes, mais je craignais (avec trop de raison) qu′il ne fût fâché contre moi. J′avais agi envers lui de la façon la plus ingrate en laissant pour la seconde fois tomber ses offres et en ne lui donnant pas signe de vie depuis le soir où il m′avait si affectueusement reconduit à la maison. Et pourtant je n′avais nullement comme excuse anticipée la scène que je venais de voir, cet après-midi même, se passer entre Jupien et lui. Je ne soupçonnais rien de pareil. Il est vrai que peu de temps auparavant, comme mes parents me reprochaient ma paresse et de n′avoir pas encore pris la peine d′écrire un mot à M. de Charlus, je leur avais violemment reproché de vouloir me faire accepter des propositions déshonnêtes. Mais seuls la colère, le désir de trouver la phrase qui pouvait leur être le plus désagréable m′avaient dicté cette réponse mensongère. En réalité, je n′avais rien imaginé de sensuel, ni même de sentimental, sous les offres du baron. J′avais dit cela à mes parents comme une folie pure. Mais quelquefois l′avenir habite en nous sans que nous le sachions, et nos paroles qui croient mentir dessinent une réalité prochaine. In any case I should have to find somebody to introduce me. One could hear, above all the din of conversation, the interminable chatter of M. de Charlus, talking to H. E. the Duke of Sidonia, whose acquaintance he had just made. Members of the same profession find one another out, and so it is with a common vice. M. de Charlus and M. de Sidonia had each of them immediately detected the other′s vice, which was in both cases that of soliloquising in society, to the extent of not being able to stand any interruption. Having decided at once that, in the words of a famous sonnet, there was ‘no help,′ they had made up their minds not to be silent but each to go on talking without any regard to what the other might say. This had resulted in the confused babble produced in Molière′s comedies by a number of people saying different things simultaneously. The Baron, with his deafening voice, was moreover certain of keeping the upper hand, of drowning the feeble voice of M. de Sidonia; without however discouraging him, for, whenever M. de Charlus paused for a moment to breathe, the interval was filled by the murmurs of the Grandee of Spain who had imperturbably continued his discourse. I could easily have asked M. de Charlus to introduce me to the Prince de Guermantes, but I feared (and with good reason) that he might be cross with me. I had treated him in the most ungrateful fashion by letting his offer pass unheeded for the second time and by never giving him a sign of my existence since the evening when he had so affectionately escorted me home. And yet I could not plead the excuse of having anticipated the scene which I had just witnessed, that very afternoon, enacted by himself and Jupien. I suspected nothing of the sort. It is true that shortly before this, when my parents reproached me with my laziness and with not having taken the trouble to write a line to M. de Charlus, I had violently reproached them with wishing me to accept a degrading proposal. But anger alone, and the desire to hit upon the expression that would be most offensive to them had dictated this mendacious retort. In reality, I had imagined nothing sensual, nothing sentimental even, underlying the Baron′s offers. I had said this to my parents with entire irresponsibility. But sometimes the future is latent in us without our knowledge, and our words which we suppose to be false forecast an imminent reality.
M. de Charlus m′eût sans doute pardonné mon manque de reconnaissance. Mais ce qui le rendait furieux, c′est que ma présence ce soir chez la princesse de Guermantes, comme depuis quelque temps chez sa cousine, paraissait narguer la déclaration solennelle: «On n′entre dans ces salons-là que par moi.» Faute grave, crime peut-être inexpiable, je n′avais pas suivi la voie hiérarchique. M. de Charlus savait bien que les tonnerres qu′il brandissait contre ceux qui ne se pliaient pas à ses ordres, ou qu′il avait pris en haine, commençaient à passer, selon beaucoup de gens, quelque rage qu′il y mît, pour des tonnerres en carton, et n′avaient plus la force de chasser n′importe qui de n′importe où. Mais peut-être croyait-il que son pouvoir amoindri, grand encore, restait intact aux yeux des novices tels que moi. Aussi ne le jugeai-je pas très bien choisi pour lui demander un service dans une fête où ma présence seule semblait un ironique démenti à ses prétentions. M. de Charlus would doubtless have forgiven me my want of gratitude. But what made him furious was that my presence this evening at the Princesse de Guermantes′s, as for some time past at her cousin′s, seemed to be a defiance of his solemn declaration: “There is no admission to those houses save through me.” A grave fault, a crime that was perhaps inexpiable, I had not followed the conventional path. M. de Charlus knew well that the thunderbolts which he hurled at those who did not comply with his orders, or to whom he had taken a dislike, were beginning to be regarded by many people, however furiously he might brandish them, as mere pasteboard, and had no longer the force to banish anybody from anywhere. But he believed perhaps that his diminished power, still considerable, remained intact in the eyes of novices like myself. And so I did not consider it well advised to ask a favour of him at a party at which the mere fact of my presence seemed an ironical denial of his pretentions.
Je fus à ce moment arrêté par un homme assez vulgaire, le professeur E . . . Il avait été surpris de m′apercevoir chez les Guermantes. Je ne l′étais pas moins de l′y trouver, car jamais on n′avait vu, et on ne vit dans la suite, chez la princesse, un personnage de sa sorte. Il venait de guérir le prince, déjà administré, d′une pneumonie infectieuse, et la reconnaissance toute particulière qu′en avait pour lui Mme de Guermantes était cause qu′on avait rompu avec les usages et qu′on l′avait invité. Comme il ne connaissait absolument personne dans ces salons et ne pouvait y rôder indéfiniment seul, comme un ministre de la mort, m′ayant reconnu, il s′était senti, pour la première fois de sa vie, une infinité de choses à me dire, ce qui lui permettait de prendre une contenance, et c′était une des raisons pour lesquelles il s′était avancé vers moi. Il y en avait une autre. Il attachait beaucoup d′importance à ne jamais faire d′erreur de diagnostic. Or son courrier était si nombreux qu′il ne se rappelait pas toujours très bien, quand il n′avait vu qu′une fois un malade, si la maladie avait bien suivi le cours qu′il lui avait assigné. On n′a peut-être pas oublié qu′au moment de l′attaque de ma grand′mère, je l′avais conduite chez lui le soir où il se faisait coudre tant de décorations. Depuis le temps écoulé, il ne se rappelait plus le faire-part qu′on lui avait envoyé à l′époque. «Madame votre grand′mère est bien morte, n′est-ce pas? me dit-il d′une voix où une quasi-certitude calmait une légère appréhension. Ah! En effet! Du reste dès la première minute où je l′ai vue, mon pronostic avait été tout à fait sombre, je me souviens très bien.» I was buttonholed at that moment by a man of a distinctly common type, Professor E——. He had been surprised to see me at the Guermantes′. I was no less surprised to see him there, for nobody had ever seen before or was ever to see again a person of his sort at one of the Princess′s parties. He had just succeeded in curing the Prince, after the last rites had been administered, of a septic pneumonia, and the special gratitude that Mme. de Guermantes felt towards him was the reason for her thus departing from custom and inviting him to her house. As he knew absolutely nobody in the rooms, and could not wander about there indefinitely by himself, like a minister of death, having recognised me, he had discovered, for the first time in his life, that he had an infinite number of things to say to me, which enabled him to assume an air of composure, and this was one of the reasons for his advancing upon me. There was also another. He attached great importance to his never being mistaken in his diagnoses. Now his correspondence was so numerous that he could not always bear in mind, when he had seen a patient once only, whether the disease had really followed the course that he had traced for it. The reader may perhaps remember that, immediately after my grandmother′s stroke, I had taken her to see him, on the afternoon when he was having all his decorations stitched to his coat. After so long an interval, he no longer remembered the formal announcement which had been sent to him at the time. “Your grandmother is dead, isn′t she?” he said to me in a voice in which a semi-certainty calmed a slight apprehension. “Ah! Indeed! Well, from the moment I saw her my prognosis was extremely grave, I remember it quite well.”
C′est ainsi que le professeur E . . . apprit ou rapprit la mort de ma grand′mère, et, je dois le dire à sa louange, qui est celle du corps médical tout entier, sans manifester, sans éprouver peut-être de satisfaction. Les erreurs des médecins sont innombrables. Ils pèchent d′habitude par optimisme quant au régime, par pessimisme quant au dénouement. «Du vin? en quantité modérée cela ne peut vous faire du mal, c′est en somme un tonifiant . . . Le plaisir physique? après tout c′est une fonction. Je vous le permets sans abus, vous m′entendez bien. L′excès en tout est un défaut.» Du coup, quelle tentation pour le malade de renoncer à ces deux résurrecteurs, l′eau et la chasteté. En revanche, si l′on a quelque chose au coeur, de l′albumine, etc., on n′en a pas pour longtemps. Volontiers, des troubles graves, mais fonctionnels, sont attribués à un cancer imaginé. Il est inutile de continuer des visites qui ne sauraient enrayer un mal inéluctable. Que le malade, livré à lui-même, s′impose alors un régime implacable, et ensuite guérisse ou tout au moins survive, le médecin, salué par lui avenue de l′Opéra quand il le croyait depuis longtemps au Père-Lachaise, verra dans ce coup de chapeau un geste de narquoise insolence. Une innocente promenade effectuée à son nez et à sa barbe ne causerait pas plus de colère au président d′assises qui, deux ans auparavant, a prononcé contre le badaud, qui semble sans crainte, une condamnation à mort. Les médecins (il ne s′agit pas de tous, bien entendu, et nous n′omettons pas, mentalement, d′admirables exceptions) sont en général plus mécontents, plus irrités de l′infirmation de leur verdict que joyeux de son exécution. C′est ce qui explique que le professeur E . . ., quelque satisfaction intellectuelle qu′il ressentît sans doute à voir qu′il ne s′était pas trompé, sut ne me parler que tristement du malheur qui nous avait frappés. Il ne tenait pas à abréger la conversation, qui lui fournissait une contenance et une raison de rester. Il me parla de la grande chaleur qu′il faisait ces jours-ci, mais, bien qu′il fût lettré et eût pu s′exprimer en bon français, il me dit: «Vous ne souffrez pas de cette hyperthermie?» C′est que la médecine a fait quelques petits progrès dans ses connaissances depuis Molière, mais aucun dans son vocabulaire. Mon interlocuteur ajouta: «Ce qu′il faut, c′est éviter les sudations que cause, surtout dans les salons surchauffés, un temps pareil. Vous pouvez y remédier, quand vous rentrez et avez envie de boire, par la chaleur» (ce qui signifie évidemment des boissons chaudes). It was thus that Professor E—— learned or recalled the death of my grandmother, and (I must say this to his credit, which is that of the medical profession as a whole), without displaying, without perhaps feeling, any satisfaction. The mistakes made by doctors are innumerable. They err habitually on the side of optimism as to treatment, of pessimism as to the outcome. “Wine? In moderation, it can do you no harm, it is always a tonic. . . . Sexual enjoyment? After all it is a natural function. I allow you to use, but not to abuse it, you understand. Excess in anything is wrong.” At once, what a temptation to the patient to renounce those two life-givers, water and chastity. If, on the other hand, he has any trouble with his heart, albumen, and so forth, it never lasts for long. Disorders that are grave but purely functional are at once ascribed to an imaginary cancer. It is useless to continue visits which are powerless to eradicate an incurable malady. Let the patient, left to his own devices, thereupon subject himself to an implacable regime, and in time recover, or merely survive, and the doctor, to whom he touches his hat in the Avenue de l′Opéra, when he supposed him to have long been lying in Père Lachaise, will interpret the gesture as an act of insolent defiance. An innocent stroll, taken beneath his nose and venerable beard, would arouse no greater wrath in the Assize Judge who, two years earlier, had sentenced the rascal, now passing him with apparent impunity, to death. Doctors (we do not here include them all, of course, and make a mental reservation of certain admirable exceptions), are in general more displeased, more irritated by the quashing of their sentence than pleased by its execution. This explains why Professor E— — despite the intellectual satisfaction that he doubtless felt at finding that he had not been mistaken, was able to speak to me only with regret of the blow that had fallen upon us. He was in no hurry to cut short the conversation, which kept him in countenance and gave him a reason for remaining. He spoke to me of the great heat through which we were passing, but, albeit he was a well-read man and capable of expressing himself in good French, said to me: “You are none the worse for this hyperthermia?” The fact is that medicine has made some slight advance in knowledge since Molière′s days, but none in its vocabulary. My companion went on: “The great thing is to avoid the sudations that are caused by weather like this, especially in superheated rooms. You can remedy them, when you go home and feel thirsty, by the application of heat” (by which he apparently meant hot drinks).
A cause de la façon dont était morte ma grand′mère, le sujet m′intéressait et j′avais lu récemment dans un livre d′un grand savant que la transpiration était nuisible aux reins en faisant passer par la peau ce dont l′issue est ailleurs. Je déplorais ces temps de canicule par lesquels ma grand′mère était morte et n′étais pas loin de les incriminer. Je n′en parlai pas au docteur E . . ., mais de lui-même il me dit: «L′avantage de ces temps très chauds, où la transpiration est très abondante, c′est que le rein en est soulagé d′autant.» La médecine n′est pas une science exacte. Owing to the circumstances of my grandmother′s death, the subject interested me, and I had recently read in a book by a great specialist that perspiration was injurious to the kidneys, by making moisture pass through the skin when its proper outlet was elsewhere. I thought with regret of those dog-days at the time of my grandmother′s death, and was inclined to blame them for it. I did not mention this to Dr. E— — but of his own accord he said to me: “The advantage of this very hot weather in which perspiration is abundant is that the kidney is correspondingly relieved.” Medicine is not an exact science.
Accroché à moi, le professeur E . . . ne demandait qu′à ne pas me quitter. Mais je venais d′apercevoir, faisant à la princesse de Guermantes de grandes révérences de droite et de gauche, après avoir reculé d′un pas, le marquis de Vaugoubert. M. de Norpois m′avait dernièrement fait faire sa connaissance et j′espérais que je trouverais en lui quelqu′un qui fût capable de me présenter au maître de maison. Les proportions de cet ouvrage ne me permettent pas d′expliquer ici à la suite de quels incidents de jeunesse M. de Vaugoubert était un des seuls hommes du monde (peut-être le seul) qui se trouvât ce qu′on appelle à Sodome être «en confidences» avec M. de Charlus. Mais si notre ministre auprès du roi Théodose avait quelques-uns des mêmes défauts que le baron, ce n′était qu′à l′état de bien pâle reflet. C′était seulement sous une forme infiniment adoucie, sentimentale et niaise qu′il présentait ces alternances de sympathie et de haine par où le désir de charmer, et ensuite la crainte —également imaginaire — d′être, sinon méprisé, du moins découvert, faisait passer le baron. Rendues ridicules par une chasteté, un «platonisme» (auxquels en grand ambitieux il avait, dès l′âge du concours, sacrifié tout plaisir), par sa nullité intellectuelle surtout, ces alternances, M. de Vaugoubert les présentait pourtant. Mais tandis que chez M. de Charlus les louanges immodérées étaient clamées avec un véritable éclat d′éloquence, et assaisonnées des plus fines, des plus mordantes railleries et qui marquaient un homme à jamais, chez M. de Vaugoubert, au contraire, la sympathie était exprimée avec la banalité d′un homme de dernier ordre, d′un homme du grand monde, et d′un fonctionnaire, les griefs (forgés généralement de toutes pièces comme chez le baron) par une malveillance sans trêve mais sans esprit et qui choquait d′autant plus qu′elle était d′habitude en contradiction avec les propos que le ministre avait tenus six mois avant et tiendrait peut-être à nouveau dans quelque temps: régularité dans le changement qui donnait une poésie presque astronomique aux diverses phases de la vie de M. de Vaugoubert, bien que sans cela personne moins que lui ne fît penser à un astre. Keeping me engaged in talk, Professor E—— asked only not to be forced to leave me. But I had just seen, making a series of sweeping bows to right and left of the Princesse de Guermantes, stepping back a pace first, the Marquis de Vaugoubert. M. de Norpois had recently introduced me to him and I hoped that I might find in him a person capable of introducing me to our host. The proportions of this work do not permit me to explain here in consequence of what incidents in his youth M. de Vaugoubert was one of the few men (possibly the only man) in society who happened to be in what is called at Sodom the “confidence” of M. de Charlus. But, if our Minister to the Court of King Theodosius had certain defects in common with the Baron, they were only a very pale reflexion. It was merely in an infinitely softened, sentimental and simple form that he displayed those alternations of affection and hatred through which the desire to attract, and then the fear — equally imaginary — of being, if not scorned, at any rate unmasked, made the Baron pass. Made ridiculous by a chastity, a ‘platonicism′ (to which as a man of keen ambition he had, from the moment of passing his examination, sacrificed all pleasure), above all by his intellectual nullity, these alternations M. de Vaugoubert did, nevertheless, display. But whereas in M. de Charlus the immoderate praises were proclaimed with a positive burst of eloquence, and seasoned with the subtlest, the most mordant banter which marked a man for ever, by M. de Vaugoubert, on the other hand, the affection was expressed with the banality of a man of the lowest intelligence, and of a public official, the grievances (worked up generally into a complete indictment, as with the Baron) by a malevolence which, though relentless, was at the same time spiritless, and was all the more startling inasmuch as it was invariably a direct contradiction of what the Minister had said six months earlier and might soon perhaps be saying again: a regularity of change which gave an almost astronomic poetry to the various phases of M. de Vaugoubert′s life, albeit apart from this nobody was ever less suggestive of a star.
Le bonsoir qu′il me rendit n′avait rien de celui qu′aurait eu M. de Charlus. A ce bonsoir M. de Vaugoubert, outre les mille façons qu′il croyait celles du monde et de la diplomatie, donnait un air cavalier, fringant, souriant, pour sembler, d′une part, ravi de l′existence — alors qu′il remâchait intérieurement les déboires d′une carrière sans avancement et menacée d′une mise à la retraite — d′autre part, jeune, viril et charmant, alors qu′il voyait et n′osait même plus aller regarder dans sa glace les rides se figer aux entours d′un visage qu′il eût voulu garder plein de séductions. Ce n′est pas qu′il eût souhaité des conquêtes effectives, dont la seule pensée lui faisait peur à cause du qu′en-dira-t-on, des éclats, des chantages. Ayant passé d′une débauche presque infantile à la continence absolue datant du jour où il avait pensé au quai d′Orsay et voulu faire une grande carrière, il avait l′air d′une bête en cage, jetant dans tous les sens des regards qui exprimaient la peur, l′appétence et la stupidité. La sienne était telle qu′il ne réfléchissait pas que les voyous de son adolescence n′étaient plus des gamins et que, quand un marchand de journaux lui criait en plein nez: La Presse ! plus encore que de désir il frémissait d′épouvante, se croyant reconnu et dépisté. The greeting that he gave me had nothing in common with that which I should have received from M. de Charlus. To this greeting M. de Vaugoubert, apart from the thousand mannerisms which he supposed to be indicative of good breeding and diplomacy, imparted a cavalier, brisk, smiling air, which should make him seem on the one hand to be rejoicing at being alive — at a time when he was inwardly chewing the mortification of a career with no prospect of advancement and with the threat of enforced retirement — and on the other hand young, virile and charming, when he could see and no longer ventured to go and examine in the glass the lines gathering upon a face which he would have wished to keep full of seduction. Not that he would have hoped for effective conquests, the mere thought of which filled him with terror on account of what people would say, scandals, blackmail. Having passed from an almost infantile corruption to an absolute continence dating from the day on which his thoughts had turned to the Quai d′Orsay and he had begun to plan a great career for himself, he had the air of a caged animal, casting in every direction glances expressive of fear, appetite and stupidity. This last was so dense that he did not reflect that the street-arabs of his adolescence were boys no longer, and when a newsvendor bawled in his face: “La Presse!” even more than with longing he shuddered with terror, imagining himself recognised and denounced.
Mais à défaut des plaisirs sacrifiés à l′ingratitude du quai d′Orsay, M. de Vaugoubert — et c′est pour cela qu′il aurait voulu plaire encore — avait de brusques élans de coeur. Dieu sait de combien de lettres il assommait le ministère (quelles ruses personnelles il déployait, combien de prélèvements il opérait sur le crédit de Mme de Vaugoubert qu′à cause de sa corpulence, de sa haute naissance, de son air masculin, et surtout à cause de la médiocrité du mari, on croyait douée de capacités éminentes et remplissant les vraies fonctions de ministre) pour faire entrer sans aucune raison valable un jeune homme dénué de tout mérite dans le personnel de la légation. Il est vrai que quelques mois, quelques années après, pour peu que l′insignifiant attaché parût, sans l′ombre d′une mauvaise intention, avoir donné des marques de froideur à son chef, celui-ci se croyant méprisé ou trahi mettait la même ardeur hystérique à le punir que jadis à le combler. Il remuait ciel et terre pour qu′on le rappelât, et le directeur des Affaires politiques recevait journellement une lettre: «Qu′attendez-vous pour me débarrasser de ce lascar-là. Dressez-le un peu, dans son intérêt. Ce dont il a besoin c′est de manger un peu de vache enragée.» Le poste d′attaché auprès du roi Théodose était à cause de cela peu agréable. Mais pour tout le reste, grâce à son parfait bon sens d′homme du monde, M. de Vaugoubert était un des meilleurs agents du Gouvernement français à l′étranger. Quand un homme prétendu supérieur, jacobin, qui était savant en toutes choses, le remplaça plus tard, la guerre ne tarda pas à éclater entre la France et le pays dans lequel régnait le roi. But in default of the pleasures sacrificed to the ingratitude of the Quai d′Orsay, M. de Vaugoubert — and it was for this that he was anxious still to attract — was liable to sudden stirrings of the heart. Heaven knows with how many letters he would overwhelm the Ministry (what personal ruses he would employ, the drafts that he made upon the credit of Mme. de Vaugoubert, who, on account of her corpulence, her exalted birth, her masculine air, and above all the mediocrity of her husband, was reputed to be endowed with eminent capacities and to be herself for all practical purposes the Minister), to introduce without any valid reason a young man destitute of all merit into the staff of the Legation. It is true that a few months, a few years later, the insignificant attaché had only to appear, without the least trace of any hostile intention, to have shown signs of coldness towards his chief for the latter, supposing himself scorned or betrayed, to devote the same hysterical ardour to punishing him with which he had showered favours upon him in the past. He would move heaven and earth to have him recalled and the Director of Political Affairs would receive a letter daily: “Why don′t you hurry up and rid me of that lascar. Give him a dressing down in his own interest. What he needs is a slice of humble pie.” The post of attaché at the court of King Theodosius was on this account far from enjoyable. But in all other respects, thanks to his perfect common sense as a man of the world, M. de Vaugoubert was one of the best representatives of the French Government abroad. When a man who was reckoned a superior person, a Jacobin, with an expert knowledge of all subjects, replaced him later on, it was not long before war broke out between France and the country over which that monarch reigned.
M. de Vaugoubert comme M. de Charlus n′aimait pas dire bonjour le premier. L′un et l′autre préféraient «répondre», craignant toujours les potins que celui auquel ils eussent sans cela tendu la main avait pu entendre sur leur compte depuis qu′ils ne l′avaient vu. Pour moi, M. de Vaugoubert n′eut pas à se poser la question, j′étais en effet allé le saluer le premier, ne fût-ce qu′à cause de la différence d′âge. Il me répondit d′un air émerveillé et ravi, ses deux yeux continuant à s′agiter comme s′il y avait eu de la luzerne défendue à brouter de chaque côté. Je pensai qu′il était convenable de solliciter de lui ma présentation à Mme de Vaugoubert avant celle au prince, dont je comptais ne lui parler qu′ensuite. L′idée de me mettre en rapports avec sa femme parut le remplir de joie pour lui comme pour elle et il me mena d′un pas délibéré vers la marquise. Arrivé devant elle et me désignant de la main et des yeux, avec toutes les marques de considération possibles, il resta néanmoins muet et se retira au bout de quelques secondes, d′un air frétillant, pour me laisser seul avec sa femme. Celle-ci m′avait aussitôt tendu la main, mais sans savoir à qui cette marque d′amabilité s′adressait, car je compris que M. de Vaugoubert avait oublié comment je m′appelais, peut-être même ne m′avait pas reconnu et, n′ayant pas voulu, par politesse, me l′avouer, avait fait consister la présentation en une simple pantomine. Aussi je n′étais pas plus avancé; comment me faire présenter au maître de la maison par une femme qui ne savait pas mon nom? De plus, je me voyais forcé de causer quelques instants avec Mme de Vaugoubert. Et cela m′ennuyait à deux points de vue. Je ne tenais pas à m′éterniser dans cette fête car j′avais convenu avec Albertine (je lui avais donné une loge pour Phèdre ) qu′elle viendrait me voir un peu avant minuit. Certes je n′étais nullement épris d′elle; j′obéissais en la faisant venir ce soir à un désir tout sensuel, bien qu′on fût à cette époque torride de l′année où la sensualité libérée visite plus volontiers les organes du goût, recherche surtout la fraîcheur. Plus que du baiser d′une jeune fille elle a soif d′une orangeade, d′un bain, voire de contempler cette lune épluchée et juteuse qui désaltérait le ciel. Mais pourtant je comptais me débarrasser, aux côtés d′Albertine — laquelle du reste me rappelait la fraîcheur du flot — des regrets que ne manqueraient pas de me laisser bien des visages charmants (car c′était aussi bien une soirée de jeunes filles que de dames que donnait la princesse). D′autre part, celui de l′imposante Mme de Vaugoubert, bourbonien et morose, n′avait rien d′attrayant. M. de Vaugoubert, like M. de Charlus, did not care to be the first to give a greeting. Each of them preferred to ‘respond,′ being constantly afraid of the gossip which the person to whom otherwise they might have offered their hand might have heard about them since their last meeting. In my case, M. de Vaugoubert had no need to ask himself this question, I had as a matter of fact gone up of my own accord to greet him, if only because of the difference in our ages. He replied with an air of wonder and delight, his eyes continuing to stray as though there had been a patch of clover on either side of me upon which he was forbidden to graze. I felt that it would be more becoming to ask him to introduce me to Mme. de Vaugoubert, before effecting that introduction to the Prince which I decided not to mention to him until afterwards. The idea of making me acquainted with his wife seemed to fill him with joy, for his own sake as well as for hers, and he led me at a solemn pace towards the Marquise. Arriving in front of her, and indicating me with his hand and eyes, with every conceivable mark of consideration, he nevertheless remained silent and withdrew after a few moments, in a sidelong fashion, leaving me alone with his wife. She had at once given me her hand, but without knowing to whom this token of friendship was addressed, for I realised that M. de Vaugoubert had forgotten my name, perhaps even had failed to recognise me, and being unwilling, from politeness, to confess his ignorance had made the introduction consist in a mere dumb show. And so I was no further advanced; how was I to get myself introduced to my host by a woman who did not know my name? Worse still, I found myself obliged to remain for some moments talking to Mme. de Vaugoubert. And this annoyed me for two reasons. I had no wish to remain all night at this party, for I had arranged with Albertine (I had given her a box for Phèdre) that she was to pay me a visit shortly before midnight. Certainly I was not in the least in love with her; I was yielding, in making her come this evening, to a wholly sensual desire, albeit we were at that torrid period of the year when sensuality, evaporating, visits more readily the organ of taste, seeks above all things coolness. More than for the kiss of a girl, it thirsts for orangeade, for a cold bath, or even to gaze at that peeled and juicy moon which was quenching the thirst of heaven. I counted however upon ridding myself, in Albertine′s company — which, moreover, reminded me of the coolness of the sea — of the regret that I should not fail to feel for many charming faces (for it was a party quite as much for girls as for married women that the Princess was giving. On the other hand, the face of the imposing Mme. de Vaugoubert, Bourbonian and morose, was in no way attractive).
On disait au ministère, sans y mettre ombre de malice, que, dans le ménage, c′était le mari qui portait les jupes et la femme les culottes. Or il y avait plus de vérité là dedans qu′on ne le croyait. Mme de Vaugoubert, c′était un homme. Avait-elle toujours été ainsi, ou était-elle devenue ce que je la voyais, peu importe, car dans l′un et l′autre cas on a affaire à l′un des plus touchants miracles de la nature et qui, le second surtout, font ressembler le règne humain au règne des fleurs. Dans la première hypothèse: — si la future Mme de Vaugoubert avait toujours été aussi lourdement hommasse — la nature, par une ruse diabolique et bienfaisante, donne à la jeune fille l′aspect trompeur d′un homme. Et l′adolescent qui n′aime pas les femmes et veut guérir trouve avec joie ce subterfuge de découvrir une fiancée qui lui représente un fort aux halles. Dans le cas contraire, si la femme n′a d′abord pas les caractères masculins, elle les prend peu à peu, pour plaire à son mari, même inconsciemment, par cette sorte de mimétisme qui fait que certaines fleurs se donnent l′apparence des insectes qu′elles veulent attirer. Le regret de ne pas être aimée, de ne pas être homme la virilise. Même en dehors du cas qui nous occupe, qui n′a remarqué combien les couples les plus normaux finissent par se ressembler, quelquefois même par interchanger leurs qualités? Un ancien chancelier allemand, le prince de Bulow, avait épousé une Italienne. A la longue, sur le Pincio, on remarqua combien l′époux germanique avait pris de finesse italienne, et la princesse italienne de rudesse allemande. Pour sortir jusqu′à un point excentrique des lois que nous traçons, chacun connaît un éminent diplomate français dont l′origine n′était rappelée que par son nom, un des plus illustres de l′Orient. En mûrissant, en vieillissant, s′est révélé en lui l′Oriental qu′on n′avait jamais soupçonné, et en le voyant on regrette l′absence du fez qui le compléterait. People said at the Ministry, without any suggestion of malice, that in their household it was the husband who wore the petticoats and the wife the trousers. Now there was more truth in this saying than was supposed. Mme. de Vaugoubert was really a man. Whether she had always been one, or had grown to be as I saw her, matters little, for in either case we have to deal with one of the most touching miracles of nature which, in the latter alternative especially, makes the human kingdom resemble the kingdom of flowers. On the former hypothesis — if the future Mme. de Vaugoubert had always been so clumsily manlike — nature, by a fiendish and beneficent ruse, bestows on the girl the deceiving aspect of a man. And the youth who has no love for women and is seeking to be cured greets with joy this subterfuge of discovering a bride who figures in his eyes as a market porter. In the alternative case, if the woman has not originally these masculine characteristics, she adopts them by degrees, to please her husband, and even unconsciously, by that sort of mimicry which makes certain flowers assume the appearance of the insects which they seek to attract. Her regret that she is not loved, that she is not a man, virilises her. Indeed, quite apart from the case that we are now considering, who has not remarked how often the most normal couples end by resembling each other, at times even by an exchange of qualities? A former German Chancellor, Prince von Bùlow, married an Italian. In the course of time, on the Pincio, it was remarked how much the Teutonic husband had absorbed of Italian delicacy, and the Italian Princess of German coarseness. To turn aside to a point without the province of the laws which we are now tracing, everyone knows an eminent French diplomat, whose origin was at first suggested only by his name, one of the most illustrious in the East. As he matured, as he grew old, there was revealed in him the Oriental whom no one had ever suspected, and now when we see him we regret the absence of the fez that would complete the picture.
Pour en revenir à des moeurs fort ignorées de l′ambassadeur dont nous venons d′évoquer la silhouette ancestralement épaissie, Mme de Vaugoubert réalisait le type, acquis ou prédestiné, dont l′image immortelle est la princesse Palatine, toujours en habit de cheval et ayant pris de son mari plus que la virilité, épousant les défauts des hommes qui n′aiment pas les femmes, dénonçant dans ses lettres de commère les relations qu′ont entre eux tous les grands seigneurs de la cour de Louis XIV. Une des causes qui ajoutent encore à l′air masculin des femmes telles que Mme de Vaugoubert est que l′abandon où elles sont laissées par leur mari, la honte qu′elles en éprouvent, flétrissent peu à peu chez elles tout ce qui est de la femme. Elles finissent par prendre les qualités et les défauts que le mari n′a pas. Au fur et à mesure qu′il est plus frivole, plus efféminé, plus indiscret, elles deviennent comme l′effigie sans charme des vertus que l′époux devrait pratiquer. To revert to habits completely unknown to the ambassador whose profile, coarsened by heredity, we have just recalled, Mme. de Vaugoubert realised the acquired or predestined type, the immortal example of which is the Princess Palatine, never out of a riding habit, who, having borrowed from her husband more than his virility, championing the defects of the men who do not care for women, reports in her familiar correspondence the mutual relations of all the great noblemen of the court of Louis XIV. One of the reasons which enhance still farther the masculine air of women like Mme. de Vaugoubert is that the neglect which they receive from their husbands, the shame that they feel at such neglect, destroy in them by degrees everything that is womanly. They end by acquiring both the good and the bad qualities which their husbands lack. The more frivolous, effeminate, indiscreet their husbands are, the more they grow into the effigy, devoid of charm, of the virtues which their husbands ought to practise.
Des traces d′opprobre, d′ennui, d′indignation, ternissaient le visage régulier de Mme de Vaugoubert. Hélas, je sentais qu′elle me considérait avec intérêt et curiosité comme un de ces jeunes hommes qui plaisaient à M. de Vaugoubert, et qu′elle aurait tant voulu être maintenant que son mari vieillissant préférait la jeunesse. Elle me regardait avec l′attention de ces personnes de province qui, dans un catalogue de magasin de nouveautés, copient la robe tailleur si seyante à la jolie personne dessinée (en réalité la même à toutes les pages, mais multipliée illusoirement en créatures différentes grâce à la différence des poses et à la variété des toilettes.) L′attrait végétal qui poussait vers moi Mme de Vaugoubert était si fort qu′elle alla jusqu′à m′empoigner le bras pour que je la conduisisse boire un verre d′orangeade. Mais je me dégageai en alléguant que moi, qui allais bientôt partir, je ne m′étais pas fait présenter encore au maître de la maison. Traces of abasement, boredom, indignation, marred the regular features of Mme. de Vaugoubert. Alas, I felt that she was regarding me with interest and curiosity as one of those young men who appealed to M. de Vaugoubert, and one of whom she herself would so much have liked to be, now that her husband, growing old, shewed a preference for youth. She was gazing at me with the close attention shewn by provincial ladies who from an illustrated catalogue copy the tailor-made dress so becoming to the charming person in the picture (actually, the same person on every page, but deceptively multiplied into different creatures, thanks to the differences of pose and the variety of attire). The instinctive attraction which urged Mme. de Vaugoubert towards me was so strong that she went the length of seizing my arm, so that I might take her to get a glass of orangeade. But I released myself, alleging that I must presently be going, and had not yet been introduced to our host.
La distance qui me séparait de l′entrée des jardins où il causait avec quelques personnes n′était pas bien grande. Mais elle me faisait plus peur que si pour la franchir il eût fallu s′exposer à un feu continu. Beaucoup de femmes par qui il me semblait que j′eusse pu me faire présenter étaient dans le jardin où, tout en feignant une admiration exaltée, elles ne savaient pas trop que faire. Les fêtes de ce genre sont en général anticipées. Elles n′ont guère de réalité que le lendemain, où elles occupent l′attention des personnes qui n′ont pas été invitées. Un véritable écrivain, dépourvu du sot amour-propre de tant de gens de lettres, si, lisant l′article d′un critique qui lui a toujours témoigné la plus grande admiration, il voit cités les noms d′auteurs médiocres mais pas le sien, n′a pas le loisir de s′arrêter à ce qui pourrait être pour lui un sujet d′étonnement, ses livres le réclament. Mais une femme du monde n′a rien à faire, et en voyant dans le Figaro : «Hier le prince et la princesse de Guermantes ont donné une grande soirée, etc.», elle s′exclame: «Comment! j′ai, il y a trois jours, causé une heure avec Marie Gilbert sans qu′elle m′en dise rien!» et elle se casse la tête pour savoir ce qu′elle a pu faire aux Guermantes. Il faut dire qu′en ce qui concernait les fêtes de la princesse, l′étonnement était quelquefois aussi grand chez les invités que chez ceux qui ne l′étaient pas. Car elles explosaient au moment où on les attendait le moins, et faisaient appel à des gens que Mme de Guermantes avait oubliés pendant des années. Et presque tous les gens du monde sont si insignifiants que chacun de leurs pareils ne prend, pour les juger, que la mesure de leur amabilité, invité les chérit, exclu les déteste. Pour ces derniers, si, en effet, souvent la princesse, même s′ils étaient de ses amis, ne les conviait pas, cela tenait souvent à sa crainte de mécontenter «Palamède» qui les avait excommuniés. Aussi pouvais-je être certain qu′elle n′avait pas parlé de moi à M. de Charlus, sans quoi je ne me fusse pas trouvé là. Il s′était maintenant accoudé devant le jardin, à côté de l′ambassadeur d′Allemagne, à la rampe du grand escalier qui ramenait dans l′hôtel, de sorte que les invités, malgré les trois ou quatre admiratrices qui s′étaient groupées autour du baron et le masquaient presque, étaient forcés de venir lui dire bonsoir. Il y répondait en nommant les gens par leur nom. Et on entendait successivement: «Bonsoir, monsieur du Hazay, bonsoir madame de La Tour du Pin–Verclause, bonsoir madame de La Tour du Pin–Gouvernet, bonsoir Philibert, bonsoir ma chère Ambassadrice, etc.» Cela faisait un glapissement continu qu′interrompaient des recommandations bénévoles ou des questions (desquelles il n′écoutait pas la réponse), et que M. de Charlus adressait d′un ton radouci, factice afin de témoigner l′indifférence, et bénin: «Prenez garde que la petite n′ait pas froid, les jardins c′est toujours un peu humide. Bonsoir madame de Brantes. Bonsoir madame de Mecklembourg. Est-ce que la jeune fille est venue? A-t-elle mis la ravissante robe rose? Bonsoir Saint-Géran.» Certes il y avait de l′orgueil dans cette attitude. M. de Charlus savait qu′il était un Guermantes occupant une place prépondérante dans cette fête. Mais il n′y avait pas que de l′orgueil, et ce mot même de fête évoquait, pour l′homme aux dons esthétiques, le sens luxueux, curieux, qu′il peut avoir si cette fête est donnée non chez des gens du monde, mais dans un tableau de Carpaccio ou de Véronèse. Il est même plus probable que le prince allemand qu′était M. de Charlus devait plutôt se représenter la fête qui se déroule dans Tannhâuser , et lui-même comme le Margrave, ayant, à l′entrée de la Warburg, une bonne parole condescendante pour chacun des invités, tandis que leur écoulement dans le château ou le parc est salué par la longue phrase, cent fois reprise, de la fameuse «Marche». This distance between me and the garden door where he stood talking to a group of people was not very great. But it alarmed me more than if, in order to cross it, I should have to expose myself to a continuous hail of fire. A number of women from whom I felt that I might be able to secure an introduction were in the garden, where, while feigning an ecstatic admiration, they were at a loss for an occupation. Parties of this sort are as a rule premature. They have little reality until the following day, when they occupy the attention of the people who were not invited. A real author, devoid of the foolish self-esteem of so many literary people, if, when he reads an article by a critic who has always expressed the greatest admiration for his works, he sees the names of various inferior writers mentioned, but not his own, has no time to stop and consider what might be to him a matter for astonishment: his books are calling him. But a society woman has nothing to do and, on seeing in the Figaro: “Last night the Prince and Princesse de Guermantes gave a large party,” etc., exclaims: “What! Only three days ago I talked to Marie-Gilbert for an hour, and she never said a word about it!” and racks her brains to discover how she can have offended the Guermantes. It must be said that, so far as the Princess′s parties were concerned, the astonishment was sometimes as great among those who were invited as among those who were not. For they would burst forth at the moment when one least expected them, and summoned in people whose existence Mme. de Guermantes had forgotten for years. And almost all the people in society are so insignificant that others of their sort adopt, in judging them, only the measure of their social success, cherish them if they are invited, if they are omitted detest them. As to the latter, if it was the fact that the Princess often, even when they were her friends, did not invite them, that was often due to her fear of annoying ‘Palamède,′ who had excommunicated them. And so I might be certain that she had not spoken of me to M. de Charlus, for otherwise I should not have found myself there. He meanwhile was posted between the house and the garden, by the side of the German Ambassador, leaning upon the balustrade of the great staircase which led from the garden to the house, so that the other guests, in spite of the three or four feminine admirers who were grouped round the Baron and almost concealed him, were obliged to greet him as they passed. He responded by naming each of them in turn. And one heard an incessant: “Good evening, Monsieur du Hazay, good evening, Madame de la Tour du Pin-Verclause, good evening, Madame de la Tour du Pin-Gouvernet, good evening, Philibert, good evening, my dear Ambassadress,” and so on. This created a continuous barking sound, interspersed with benevolent suggestions or inquiries (to the answers to which he paid no attention), which M. de Charlus addressed to them in a tone softened, artificial to shew his indifference, and benign: “Take care the child doesn′t catch cold, it is always rather damp in the gardens. Good evening, Madame de Brantes. Good evening, Madame de Mecklembourg. Have you brought your daughter? Is she wearing that delicious pink frock? Good evening, Saint-Geran.” Certainly there was an element of pride in this attitude, for M. de Charlus was aware that he was a Guermantes, and that he occupied a supreme place at this party. But there was more in it than pride, and the very word fête suggested, to the man with aesthetic gifts, the luxurious, curious sense that it might bear if this party were being given not by people in contemporary society but in a painting by Carpaccio or Veronese. It is indeed highly probable that the German Prince that M. de Charlus was must rather have been picturing to himself the reception that occurs in Tannhäuser, and himself as the Margrave, standing at the entrance to the Warburg with a kind word of condescension for each of his guests, while their procession into the castle or the park is greeted by the long phrase, a hundred times renewed, of the famous March.
Il fallait pourtant me décider. Je reconnaissais bien sous les arbres des femmes avec qui j′étais plus ou moins lié, mais elles semblaient transformées parce qu′elles étaient chez la princesse et non chez sa cousine, et que je les voyais assises non devant une assiette de Saxe mais sous les branches d′un marronnier. L′élégance du milieu n′y faisait rien. Eût-elle été infiniment moindre que chez «Oriane», le même trouble eût existé en moi. Que l′électricité vienne à s′éteindre dans notre salon et qu′on doive la remplacer par des lampes à huile, tout nous paraît changé. Je fus tiré de mon incertitude par Mme de Souvré. «Bonsoir, me dit-elle en venant à moi. Y a-t-il longtemps que vous n′avez vu la duchesse de Guermantes?» Elle excellait à donner à ce genre de phrases une intonation qui prouvait qu′elle ne les débitait pas par bêtise pure comme les gens qui, ne sachant pas de quoi parler, vous abordent mille fois en citant une relation commune, souvent très vague. Elle eut au contraire un fin fil conducteur du regard qui signifiait: «Ne croyez pas que je ne vous aie pas reconnu. Vous êtes le jeune homme que j′ai vu chez la duchesse de Guermantes. Je me rappelle très bien.» Malheureusement cette protection qu′étendait sur moi cette phrase d′apparence stupide et d′intention délicate était extrêmement fragile et s′évanouit aussitôt que je voulus en user. Madame de Souvré avait l′art, s′il s′agissait d′appuyer une sollicitation auprès de quelqu′un de puissant, de paraître à la fois aux yeux du solliciteur le recommander, et aux yeux du haut personnage ne pas recommander ce solliciteur, de manière que ce geste à double sens lui ouvrait un crédit de reconnaissance envers ce dernier sans lui créer aucun débit vis-à-vis de l′autre. Encouragé par la bonne grâce de cette dame à lui demander de me présenter à M. de Guermantes, elle profita d′un moment où les regards du maître de maison n′étaient pas tournés vers nous, me prit maternellement par les épaules et, souriant à la figure détournée du prince qui ne pouvait pas la voir, elle me poussa vers lui d′un mouvement prétendu protecteur et volontairement inefficace qui me laissa en panne presque à mon point de départ. Telle est la lâcheté des gens du monde. I must, however, make up my mind. I could distinguish beneath the trees various women with whom I was more or less closely acquainted, but they seemed transformed because they were at the Princess′s and not at her cousin′s, and because I saw them seated not in front of Dresden china plates but beneath the boughs of a chestnut. The refinement of their setting mattered nothing. Had it been infinitely less refined than at Oriane′s, I should have felt the same uneasiness. When the electric light in our drawing-room fails, and we are obliged to replace it with oil lamps, everything seems altered. I was recalled from my uncertainty by Mme. de Souvré. “Good evening,” she said as she approached me. “Have you seen the Duchesse de Guermantes lately?” She excelled in giving to speeches of this sort an intonation which proved that she was not uttering them from sheer silliness, like people who, not knowing what to talk about, come up to you a thousand times over to mention some bond of common acquaintance, often extremely slight. She had on the contrary a fine conducting wire in her glance which signified: “Don′t suppose for a moment that I haven′t recognised you. You are the young man I met at the Duchesse de Guermantes. I remember quite well.” Unfortunately, this protection, extended over me by this phrase, stupid in appearance but delicate in intention, was extremely fragile, and vanished as soon as I tried to make use of it. Madame de Souvré had the art, if called upon to convey a request to some influential person, of appearing at the same time, in the petitioner′s eyes, to be recommending him, and in those of the influential person not to be recommending the petitioner, so that her ambiguous gesture opened a credit balance of gratitude to her with the latter without placing her in any way in debt to the former. Encouraged by this lady′s civilities to ask her to introduce me to M. de Guermantes, I found that she took advantage of a moment when our host was not looking in our direction, laid a motherly hand on my shoulder, and, smiling at the averted face of the Prince who was unable to see her, thrust me towards him with a gesture of feigned protection, but deliberately ineffective, which left me stranded almost at my starting point. Such is the cowardice of people in society.
Celle d′une dame qui vint me dire bonjour en m′appelant par mon nom fut plus grande encore. Je cherchais à retrouver le sien tout en lui parlant; je me rappelais très bien avoir dîné avec elle, je me rappelais des mots qu′elle avait dits. Mais mon attention, tendue vers la région intérieure où il y avait ces souvenirs d′elle, ne pouvait y découvrir ce nom. Il était là pourtant. Ma pensée avait engagé comme une espèce de jeu avec lui pour saisir ses contours, la lettre par laquelle il commençait, et l′éclairer enfin tout entier. C′était peine perdue, je sentais à peu près sa masse, son poids, mais pour ses formes, les confrontant au ténébreux captif blotti dans la nuit intérieure, je me disais: «Ce n′est pas cela.» Certes mon esprit aurait pu créer les noms les plus difficiles. Par malheur il n′avait pas à créer mais à reproduire. Toute action de l′esprit est aisée si elle n′est pas soumise au réel. Là, j′étais forcé de m′y soumettre. Enfin d′un coup le nom vint tout entier: «Madame d′Arpajon.» J′ai tort de dire qu′il vint, car il ne m′apparut pas, je crois, dans une propulsion de lui-même. Je ne pense pas non plus que les légers et nombreux souvenirs qui se rapportaient à cette dame, et auxquels je ne cessais de demander de m′aider (par des exhortations comme celle-ci: «Voyons, c′est cette dame qui est amie de Mme de Souvré, qui éprouve à l′endroit de Victor Hugo une admiration si naîµ¥, mêlée de tant d′effroi et d′horreur»), je ne crois pas que tous ces souvenirs, voletant entre moi et son nom, aient servi en quoi que ce soit à le renflouer. Dans ce grand «cache-cache» qui se joue dans la mémoire quand on veut retrouver un nom, il n′y a pas une série d′approximations graduées. On ne voit rien, puis tout d′un coup apparaît le nom exact et fort différent de ce qu′on croyait deviner. Ce n′est pas lui qui est venu à nous. Non, je crois plutôt qu′au fur et à mesure que nous vivons, nous passons notre temps à nous éloigner de la zone où un nom est distinct, et c′est par un exercice de ma volonté et de mon attention, qui augmentait l′acuité de mon regard intérieur, que tout d′un coup j′avais percé la demi-obscurité et vu clair. En tout cas, s′il y a des transitions entre l′oubli et le souvenir, alors ces transitions sont inconscientes. Car les noms d′étape par lesquels nous passons, avant de trouver le nom vrai, sont, eux, faux, et ne nous rapprochent en rien de lui. Ce ne sont même pas à proprement parler des noms, mais souvent de simples consonnes et qui ne se retrouvent pas dans le nom retrouvé. D′ailleurs ce travail de l′esprit passant du néant à la réalité est si mystérieux, qu′il est possible, après tout, que ces consonnes fausses soient des perches préalables, maladroitement tendues pour nous aider à nous accrocher au nom exact. «Tout ceci, dira le lecteur, ne nous apprend rien sur le manque de complaisance de cette dame; mais puisque vous vous êtes si longtemps arrêté, laissez-moi, monsieur l′auteur, vous faire perdre une minute de plus pour vous dire qu′il est fâcheux que, jeune comme vous l′étiez (ou comme était votre héros s′il n′est pas vous), vous eussiez déjà si peu de mémoire, que de ne pouvoir vous rappeler le nom d′une dame que vous connaissiez fort bien.» C′est très fâcheux en effet, monsieur le lecteur. Et plus triste que vous croyez quand on y sent l′annonce du temps où les noms et les mots disparaîtront de la zone claire de la pensée, et où il faudra, pour jamais, renoncer à se nommer à soi-même ceux qu′on a le mieux connus. C′est fâcheux en effet qu′il faille ce labeur dès la jeunesse pour retrouver des noms qu′on connaît bien. Mais si cette infirmité ne se produisait que pour des noms à peine connus, très naturellement oubliés, et dont on ne voulût pas prendre la fatigue de se souvenir, cette infirmité-là ne serait pas sans avantages. «Et lequels, je vous prie?» Hé, monsieur, c′est que le mal seul fait remarquer et apprendre et permet de décomposer les mécanismes que sans cela on ne connaîtrait pas. Un homme qui chaque soir tombe comme une masse dans son lit et ne vit plus jusqu′au moment de s′éveiller et de se lever, cet homme-là songera-t-il jamais à faire, sinon de grandes découvertes, au moins de petites remarques sur le sommeil? A peine sait-il s′il dort. Un peu d′insomnie n′est pas inutile pour apprécier le sommeil, projeter quelque lumière dans cette nuit. Une mémoire sans défaillance n′est pas un très puissant excitateur à étudier les phénomènes de mémoire. «Enfin, Mme d′Arpajon vous présenta-t-elle au prince?» Non, mais taisez-vous et laissez-moi reprendre mon récit. That of a lady who came to greet me, addressing me by my name, was greater still. I tried to recall her own name as I talked to her; I remembered quite well having met her at dinner, I could remember things that she had said. But my attention, concentrated upon the inward region in which these memories of her lingered, was unable to discover her name there. It was there, nevertheless. My thoughts began playing a sort of game with it to grasp its outlines, its initial letter, and so finally to bring the whole name to light. It was labour in vain, I could more or less estimate its mass, its weight, but as for its forms, confronting them with the shadowy captive lurking in the inward night, I said to myself: “It is not that.” Certainly my mind would have been capable of creating the most difficult names. Unfortunately, it had not to create but to reproduce. All action by the mind is easy, if it is not subjected to the test of reality. Here, I was forced to own myself beaten. Finally, in a flash, the name came back to me as a whole: ‘Madame d′Arpajon.′ I am wrong in saying that it came, for it did not, I think, appear to me by a spontaneous propulsion. I do not think either that the many slight memories which associated me with the lady, and to which I did not cease to appeal for help (by such exhortations as: “Come now, it is the lady who is a friend of Mme. de Souvré, who feels for Victor Hugo so artless an admiration, mingled with so much alarm and horror,”)— I do not believe that all these memories, hovering between me and her name, served in any way to bring it to light. In that great game of hide and seek which is played in our memory when we seek to recapture a name, there is not any series of gradual approximations. We see nothing, then suddenly the name appears in its exact form and very different from what we thought we could make out. It is not the name that has come to us. No, I believe rather that, as we go on living, we pass our time in keeping away from the zone in which a name is distinct, and it was by an exercise of my will and attention which increased the acuteness of my inward vision that all of a sudden I had pierced the semi-darkness and seen daylight. In any case, if there are transitions between oblivion and memory, then, these transitions are unconscious. For the intermediate names through which we pass, before finding the real name, are themselves false, and bring us nowhere nearer to it. They are not even, properly speaking, names at all, but often mere consonants which are not to be found in the recaptured name. And yet, this operation of the mind passing from a blank to reality is so mysterious, that it is possible after all that these false consonants are really handles, awkwardly held out to enable us to seize hold of the correct name. “All this,” the reader will remark, “tells us nothing as to the lady′s failure to oblige; but since you have made so long a digression, allow me, gentle author, to waste another moment of your time in telling you that it is a pity that, young as you were (or as your hero was, if he be not yourself), you had already so feeble a memory that you could not recall the name of a lady whom you knew quite well.” It is indeed a pity, gentle reader. And sadder than you think when one feels the time approaching when names and words will vanish from the clear zone of consciousness, and when one must for ever cease to name to oneself the people whom one has known most intimately. It is indeed a pity that one should require this effort, when one is still young, to recapture names which one knows quite well. But if this infirmity occurred only in the case of names barely known, quite naturally forgotten, names which one would not take the trouble to remember, the infirmity would not be without its advantages. “And what are they, may I ask?” Well, Sir, that the malady alone makes us remark and apprehend, and allows us to dissect the mechanism of which otherwise we should know nothing. A man who, night after night, falls like a lump of lead upon his bed, and ceases to live until the moment when he wakes and rises, will such a man ever dream of making, I do not say great discoveries, but even minute observations upon sleep? He barely knows that he does sleep. A little insomnia is not without its value in making us appreciate sleep, in throwing a ray of light upon that darkness. A memory without fault is not a very powerful incentive to studying the phenomena of memory. “In a word, did Mme. d′Arpajon introduce you to the Prince?” No, but be quiet and let me go on with my story.
Mme d′Arpajon fut plus lâche encore que Mme de Souvré, mais sa lâcheté avait plus d′excuses. Elle savait qu′elle avait toujours eu peu de pouvoir dans la société. Ce pouvoir avait été encore affaibli par la liaison qu′elle avait eue avec le duc de Guermantes; l′abandon de celui-ci y porta le dernier coup. La mauvaise humeur que lui causa ma demande de me présenter au Prince détermina chez elle un silence qu′elle eut la naîµ¥té de croire un semblant de n′avoir pas entendu ce que j′avais dit. Elle ne s′aperçut même pas que la colère lui faisait froncer les sourcils. Peut-être au contraire s′en aperçut-elle, ne se soucia pas de la contradiction, et s′en servit pour la leçon de discrétion qu′elle pouvait me donner sans trop de grossièreté, je veux dire une leçon muette et qui n′était pas pour cela moins éloquente. Mme. d′Arpajon was even more cowardly than Mme. de Souvré, but there was more excuse for her cowardice. She knew that she had always had very little influence in society. This influence, such as it was, had been reduced still farther by her connexion with the Duc de Guermantes; his desertion of her dealt it the final blow. The resentment which she felt at my request that she should introduce me to the Prince produced a silence which, she was artless enough to suppose, conveyed the impression that she had not heard what I said. She was not even aware that she was knitting her brows with anger. Perhaps, on the other hand, she was aware of it, did not bother about the inconsistency, and made use of it for the lesson which she was thus able to teach me without undue rudeness; I mean a silent lesson, but none the less eloquent for that.
D′ailleurs, Mme d′Arpajon était fort contrariée; beaucoup de regards s′étant levés vers un balcon Renaissance à l′angle duquel, au lieu des statues monumentales qu′on y avait appliquées si souvent à cette époque, se penchait, non moins sculpturale qu′elles, la magnifique duchesse de Surgis-le-Duc, celle qui venait de succéder à Mme d′Arpajon dans le coeur de Basin de Guermantes. Sous le léger tulle blanc qui la protégeait de la fraîcheur nocturne on voyait, souple, son corps envolé de Victoire. Je n′avais plus recours qu′auprès de M. de Charlus, rentré dans une pièce du bas, laquelle accédait au jardin. J′eus tout le loisir (comme il feignait d′être absorbé dans une partie de whist simulée qui lui permettait de ne pas avoir l′air de voir les gens) d′admirer la volontaire et artiste simplicité de son frac qui, par des riens qu′un couturier seul eût discernés, avait l′air d′une «Harmonie» noir et blanc de Whistler; noir, blanc et rouge plutôt, car M. de Charlus portait, suspendue à un large cordon au jabot de l′habit, la croix en émail blanc, noir et rouge de Chevalier de l′Ordre religieux de Malte. A ce moment la partie du baron fut interrompue par Mme de Gallardon, conduisant son neveu, le vicomte de Courvoisier, jeune homme d′une jolie figure et d′un air impertinent: «Mon cousin, dit Mme de Gallardon, permettez-moi de vous présenter mon neveu Adalbert. Adalbert, tu sais, le fameux oncle Palamède dont tu entends toujours parler. — Bonsoir, madame de Gallardon», répondit M. de Charlus. Et il ajouta sans même regarder le jeune homme: «Bonsoir, Monsieur», d′un air bourru et d′une voix si violemment impolie, que tout le monde en fut stupéfait. Peut-être M. de Charlus, sachant que Mme de Gallardon avait des doutes sur ses moeurs et n′avait pu résister une fois au plaisir d′y faire une allusion, tenait-il à couper court à tout ce qu′elle aurait pu broder sur un accueil aimable fait à son neveu, en même temps qu′à faire une retentissante profession d′indifférence à l′égard des jeunes gens; peut-être n′avait-il pas trouvé que ledit Adalbert eût répondu aux paroles de sa tante par un air suffisamment respectueux; peut-être, désireux de pousser plus tard sa pointe avec un aussi agréable cousin, voulait-il se donner les avantages d′une agression préalable, comme les souverains qui, avant d′engager une action diplomatique, l′appuient d′une action militaire. Apart from this, Mme. d′Arpajon was extremely annoyed; many eyes were raised in the direction of a renaissance balcony at the corner of which, instead of one of those monumental statues which were so often used as ornaments at that period, there leaned, no less sculptural than they, the magnificent Marquise de Surgis-le-Duc, who had recently succeeded Mme. d′Arpajon in the heart of Basin de Guermantes. Beneath the flimsy white tulle which protected her from the cool night air, one saw the supple form of a winged victory. I had no recourse left save to M. de Charlus, who had withdrawn to a room downstairs which opened on the garden. I had plenty of time (as he was pretending to be absorbed in a fictitious game of whist which enabled him to appear not to notice people) to admire the deliberate, artistic simplicity of his evening coat which, by the merest trifles which only a tailor′s eye could have picked out, had the air of a ‘Harmony in Black and White′ by Whistler; black, white and red, rather, for M. de Charlus was wearing, hanging from a broad ribbon pinned to the lapel of his coat, the Cross, in white, black and red enamel, of a Knight of the religious Order of Malta. At that moment the Baron′s game was interrupted by Mme. de Gallardon, leading her nephew, the Vicomte de Courvoisier, a young man with an attractive face and an impertinent air. “Cousin,” said Mme. de Gallardon, “allow me to introduce my nephew Adalbert. Adalbert, you remember the famous Palamède of whom you have heard so much.” “Good evening, Madame de Gallardon,” M. de Charlus replied. And he added, without so much as a glance at the young man: “Good evening, Sir,” with a truculent air and in a tone so violently discourteous that everyone in the room was stupefied. Perhaps M. de Charlus, knowing that Mme. de Gallardon had her doubts as to his morals and guessing that she had not been able to resist, for once in a way, the temptation to allude to them, was determined to nip in the bud any scandal that she might have embroidered upon a friendly reception of her nephew, making at the same time a resounding profession of indifference with regard to young men in general; perhaps he had not considered that the said Adalbert had responded to his aunt′s speech with a sufficiently respectful air; perhaps, desirous of making headway in time to come with so attractive a cousin, he chose to give himself the advantage of a preliminary assault, like those sovereigns who, before engaging upon diplomatic action, strengthen it by an act of war.
Il n′était pas aussi difficile que je le croyais que M. de Charlus accédât à ma demande de me présenter. D′une part, au cours de ces vingt dernières années, ce Don Quichotte s′était battu contre tant de moulins à vent (souvent des parents qu′il prétendait s′être mal conduits à son égard), il avait avec tant de fréquence interdit «comme une personne impossible à recevoir» d′être invité chez tels ou telles Guermantes, que ceux-ci commençaient à avoir peur de se brouiller avec tous les gens qu′ils aimaient, de se priver, jusqu′à leur mort, de la fréquentation de certains nouveaux venus dont ils étaient curieux, pour épouser les rancunes tonnantes mais inexpliquées d′un beau-frère ou cousin qui aurait voulu qu′on abandonnât pour lui femme, frère, enfants. Plus intelligent que les autres Guermantes, M. de Charlus s′apercevait qu′on ne tenait plus compte de ses exclusives qu′une fois sur deux, et, anticipant l′avenir, craignant qu′un jour ce fût de lui qu′on se privât, il avait commencé à faire la part du feu, à baisser, comme on dit, ses prix. De plus, s′il avait la faculté de donner pour des mois, des années, une vie identique à un être détesté—à celui-là il n′eût pas toléré qu′on adressât une invitation, et se serait plutôt battu comme un portefaix avec une reine, la qualité de ce qui lui faisait obstacle ne comptant plus pour lui — en revanche il avait de trop fréquentes explosions de colère pour qu′elles ne fussent pas assez fragmentaires. «L′imbécile, le méchant drôle! on va vous remettre cela à sa place, le balayer dans l′égout où malheureusement il ne sera pas inoffensif pour la salubrité de la ville», hurlait-il, même seul chez lui, à la lecture d′une lettre qu′il jugeait irrévérente, ou en se rappelant un propos qu′on lui avait redit. Mais une nouvelle colère contre un second imbécile dissipait l′autre, et pour peu que le premier se montrât déférent, la crise occasionnée par lui était oubliée, n′ayant pas assez duré pour faire un fond de haine où construire. Aussi, peut-être eusse-je — malgré sa mauvaise humeur contre moi — réussi auprès de lui quand je lui demandai de me présenter au Prince, si je n′avais pas eu la malheureuse idée d′ajouter par scrupule, et pour qu′il ne pût pas me supposer l′indélicatesse d′être entré à tout hasard en comptant sur lui pour me faire rester: «Vous savez que je les connais très bien, la Princesse a été très gentille pour moi. — Hé bien, si vous les connaissez, en quoi avez-vous besoin de moi pour vous présenter», me répondit-il d′un ton claquant, et, me tournant le dos, il reprit sa partie feinte avec le Nonce, l′ambassadeur d′Allemagne et une personnage que je ne connaissais pas. It was not so difficult as I supposed to secure M. de Charlus′s consent to my request that he should introduce me to the Prince de Guermantes. For one thing, in the course of the last twenty years, this Don Quixote had tilted against so many windmills (often relatives who, he imagined, had behaved badly to him), he had so frequently banned people as being ‘impossible to have in the house′ from being invited by various male or female Guermantes, that these were beginning to be afraid of quarrelling with all the people they knew and liked, of condemning themselves to a lifelong deprivation of the society of certain newcomers whom they were curious to meet, by espousing the thunderous but unexplained rancours of a brother-in-law or cousin who expected them to abandon for his sake, wife, brother, children. More intelligent than the other Guermantes, M. de Charlus realised that people were ceasing to pay any attention, save once in a while, to his veto, and, looking to the future, fearing lest one day it might be with his society that they would dispense, he had begun to make allowances, to reduce, as the saying is, his terms. Furthermore, if he had the faculty of ascribing for months, for years on end, an identical life to a detested person — to such an one he would not have tolerated their sending an invitation, and would have fought, rather, like a trooper, against a queen, the status of the person who stood in his way ceasing to count for anything in his eyes; on the other hand, his explosions of wrath were too frequent not to be somewhat fragmentary. “The imbecile, the rascal! We shall have to put him in his place, sweep him into the gutter, where unfortunately he will not be innocuous to the health of the town,” he would scream, even when he was alone in his own room, while reading a letter that he considered irreverent, or upon recalling some remark that had been repeated to him. But a fresh outburst against a second imbecile cancelled the first, and the former victim had only to shew due deference for the crisis that he had occasioned to be forgotten, it not having lasted long enough to establish a foundation of hatred upon which to build. And so, I might perhaps — despite his ill-humour towards me — have been successful when I asked him to introduce me to the Prince, had I not been so ill-inspired as to add, from a scruple of conscience, and so that he might not suppose me guilty of the indelicacy of entering the house at a venture, counting upon him to enable me to remain there: “You are aware that I know them quite well, the Princess has been very kind to me.” “Very well, if you know them, why do you need me to introduce you?” he replied in a sharp tone, and, turning his back, resumed his make-believe game with the Nuncio, the German Ambassador and another personage whom I did not know by sight.
Alors, du fond de ces jardins où jadis le duc d′Aiguillon faisait élever les animaux rares, vint jusqu′à moi, par les portes grandes ouvertes, le bruit d′un reniflement qui humait tant d′élégances et n′en voulait rien laisser perdre. Le bruit se rapprocha, je me dirigeai à tout hasard dans sa direction, si bien que le mot «bonsoir» fut susurré à mon oreille par M. de Bréauté, non comme le son ferrailleux et ébréché d′un couteau qu′on repasse pour l′aiguiser, encore moins comme le cri du marcassin dévastateur des terres cultivées, mais comme la voix d′un sauveur possible. Moins puissant que Mme de Souvré, mais moins foncièrement atteint qu′elle d′inserviabilité, beaucoup plus à l′aise avec le Prince que ne l′était Mme d′Arpajon, se faisant peut-être des illusions sur ma situation dans le milieu des Guermantes, ou peut-être la connaissant mieux que moi, j′eus pourtant, les premières secondes, quelque peine à capter son attention, car, les papilles du nez frétillantes, les narines dilatées, il faisait face de tous côtés, écarquillant curieusement son monocle comme s′il s′était trouvé devant cinq cents chefs-d′oeuvre. Mais ayant entendu ma demande, il l′accueillit avec satisfaction, me conduisit vers le Prince et me présenta à lui d′un air friand, cérémonieux et vulgaire, comme s′il lui avait passé, en les recommandant, une assiette de petits fours. Autant l′accueil du duc de Guermantes était, quand il le voulait, aimable, empreint de camaraderie, cordial et familier, autant je trouvai celui du Prince compassé, solennel, hautain. Il me sourit à peine, m′appela gravement: «Monsieur». J′avais souvent entendu le duc se moquer de la morgue de son cousin. Mais aux premiers mots qu′il me dit et qui, par leur froideur et leur sérieux faisaient le plus entier contraste avec le langage de Basin, je compris tout de suite que l′homme foncièrement dédaigneux était le duc qui vous parlait dès la première visite de «pair à compagnon», et que des deux cousins celui qui était vraiment simple c′était le Prince. Je trouvai dans sa réserve un sentiment plus grand, je ne dirai pas d′égalité, car ce n′eût pas été concevable pour lui, au moins de la considération qu′on peut accorder à un inférieur, comme il arrive dans tous les milieux fortement hiérarchisés, au Palais par exemple, dans une Faculté, où un procureur général ou un «doyen» conscients de leur haute charge cachent peut-être plus de simplicité réelle et, quand on les connaît davantage, plus de bonté, de simplicité vraie, de cordialité, dans leur hauteur traditionnelle que de plus modernes dans l′affectation de la camaraderie badine. «Est-ce que vous comptez suivre la carrière de monsieur votre père», me dit-il d′un air distant, mais d′intérêt. Je répondis sommairement à sa question, comprenant qu′il ne l′avait posée que par bonne grâce, et je m′éloignai pour le laisser accueillir les nouveaux arrivants. Then, from the depths of those gardens where in days past the Duc d′Aiguillon used to breed rare animals, there came to my ears, through the great, open doors, the sound of a sniffing nose that was savouring all those refinements and determined to miss none of them. The sound approached, I moved at a venture in its direction, with the result that the words good evening were murmured in my ear by M. de Bréauté, not like the rusty metallic-sound of a knife being sharpened on a grindstone, even less like the cry of the wild boar, devastator of tilled fields, but like the voice of a possible saviour. Less influential than Mme. de Souvré, but less deeply ingrained than she with the incapacity to oblige, far more at his ease with the Prince than was Mme. d′Arpajon, entertaining some illusion perhaps as to my position in the Guermantes set, or perhaps knowing more about it than myself, I had nevertheless for the first few moments some difficulty in arresting his attention, for, with fluttering, distended nostrils, he was turning in every direction, inquisitively protruding his monocle, as though he found himself face to face with five hundred matchless works of art. But, having heard my request, he received it with satisfaction, led me towards the Prince and presented me to him with a relishing, ceremonious, vulgar air, as though he had been handing him, with a word of commendation, a plate of cakes. Just as the greeting of the Duc de Guermantes was, when he chose, friendly, instinct with good fellowship, cordial and familiar, so I found that of the Prince stiff, solemn, haughty. He barely smiled at me, addressed me gravely as ‘Sir.′ I had often heard the Duke make fun of his cousin′s stiffness. But from the first words that he addressed to me, which by their cold and serious tone formed the most entire contrast with the language of Basin, I realised at once that the fundamentally disdainful man was the Duke, who spoke to you at your first meeting with him as ‘man to man,′ and that, of the two cousins, the one who was really simple was the Prince. I found in his reserve a stronger feeling, I do not say of equality, for that would have been inconceivable to him, but at least of the consideration which one may shew for an inferior, such as may be found in all strongly hierarchical societies; in the Law Courts, for instance, in a Faculty, where a public prosecutor or dean, conscious of their high charge, conceal perhaps more genuine simplicity, and, when you come to know them better, more kindness, true simplicity, cordiality, beneath their traditional aloofness than the more modern brethren beneath their jocular affectation of comradeship. “Do you intend to follow the career of Monsieur, your father?” he said to me with a distant but interested air. I answered his question briefly, realising that he had asked it only out of politeness, and moved away to allow him to greet the fresh arrivals.
J′aperçus Swann, voulus lui parler, mais à ce moment je vis que le prince de Guermantes, au lieu de recevoir sur place le bonsoir du mari d′Odette, l′avait aussitôt, avec la puissance d′une pompe aspirante, entraîné avec lui au fond du jardin, même, dirent certaines personnes, «afin de le mettre à la porte». I caught sight of Swann, and meant to speak to him, but at that moment I saw that the Prince de Guermantes, instead of waiting where he was to receive the greeting of Odette′s husband, had immediately, with the force of a suction pump, carried him off to the farther end of the garden, in order, as some said, ‘to shew him the door.′
Tellement distrait dans le monde que je n′appris que le surlendemain, par les journaux, qu′un orchestre tchèque avait joué toute la soirée et que, de minute en minute, s′étaient succédé les feux de Bengale, je retrouvai quelque faculté d′attention à la pensée d′aller voir le célèbre jet d′eau d′Hubert Robert. So entirely absorbed in the company that I did not learn until two days later, from the newspapers, that a Czech orchestra had been playing throughout the evening, and that Bengal lights had been burning in constant succession, I recovered some power of attention with the idea of going to look at the celebrated fountain of Hubert Robert.
Dans une clairière réservée par de beaux arbres dont plusieurs étaient aussi anciens que lui, planté à l′écart, on le voyait de loin, svelte, immobile, durci, ne laissant agiter par la brise que la retombée plus légère de son panache pâle et frémissant. Le XVIIIe siècle avait épuré l′élégance de ses lignes, mais, fixant le style du jet, semblait en avoir arrêté la vie; à cette distance on avait l′impression de l′art plutôt que la sensation de l′eau. Le nuage humide lui-même qui s′amoncelait perpétuellement à son faîte gardait le caractère de l′époque comme ceux qui dans le ciel s′assemblent autour des palais de Versailles. Mais de près on se rendait compte que, tout en respectant, comme les pierres d′un palais antique, le dessin préalablement tracé, c′était des eaux toujours nouvelles qui, s′élançant et voulant obéir aux ordres anciens de l′architecte, ne les accomplissaient exactement qu′en paraissant les violer, leurs mille bonds épars pouvant seuls donner à distance l′impression d′un unique élan. Celui-ci était en réalité aussi souvent interrompu que l′éparpillement de la chute, alors que, de loin, il m′avait paru infléchissable, dense, d′une continuité sans lacune. D′un peu près, on voyait que cette continuité, en apparence toute linéaire, était assurée à tous les points de l′ascension du jet, partout où il aurait dû se briser, par l′entrée en ligne, par la reprise latérale d′un jet parallèle qui montait plus haut que le premier et était lui-même, à une plus grande hauteur, mais déjà fatigante pour lui, relevé par un troisième. De près, des gouttes sans force retombaient de la colonne d′eau en croisant au passage leurs soeurs montantes, et, parfois déchirées, saisies dans un remous de l′air troublé par ce jaillissement sans trêve, flottaient avant d′être chavirées dans le bassin. Elles contrariaient de leurs hésitations, de leur trajet en sens inverse, et estompaient de leur molle vapeur la rectitude et la tension de cette tige, portant au-dessus de soi un nuage oblong fait de mille gouttelettes, mais en apparence peint en brun doré et immuable, qui montait, infrangible, immobile, élancé et rapide, s′ajouter aux nuages du ciel. Malheureusement un coup de vent suffisait à l′envoyer obliquement sur la terre; parfois même un simple jet désobéissant divergeait et, si elle ne s′était pas tenue à une distance respectueuse, aurait mouillé jusqu′aux moelles la foule imprudente et contemplative. In a clearing surrounded by fine trees several of which were as old as itself, set in a place apart, one could see it in the distance, slender, immobile, stiffened, allowing the breeze to stir only the lighter fall of its pale and quivering plume. The eighteenth century had refined the elegance of its lines, but, by fixing the style of the jet, seemed to have arrested its life; at this distance one had the impression of a work of art rather than the sensation of water. The moist cloud itself that was perpetually gathering at its crest preserved the character of the period like those that in the sky assemble round the palaces of Versailles. But from a closer view one realised that, while it respected, like the stones of an ancient palace, the design traced for it beforehand, it was a constantly changing stream of water that, springing upwards and seeking to obey the architect′s traditional orders, performed them to the letter only by seeming to infringe them, its thousand separate bursts succeeding only at a distance in giving the impression of a single flow. This was in reality as often interrupted as the scattering of the fall, whereas from a distance it had appeared to me unyielding, solid, unbroken in its continuity. From a little nearer, one saw that this continuity, apparently complete, was assured, at every point in the ascent of the jet, wherever it must otherwise have been broken, by the entering into line, by the lateral incorporation of a parallel jet which mounted higher than the first and was itself, at an altitude greater but already a strain upon its endurance, relieved by a third. Seen close at hand, drops without strength fell back from the column of water crossing on their way their climbing sisters and, at times, torn, caught in an eddy of the night air, disturbed by this ceaseless flow, floated awhile before being drowned in the basin. They teased with their hesitations, with their passage in the opposite direction, and blurred with their soft vapour the vertical tension of that stem, bearing aloft an oblong cloud composed of a thousand tiny drops, but apparently painted in an unchanging, golden brown which rose, unbreakable, constant, urgent, swift, to mingle with the clouds in the sky. Unfortunately, a gust of wind was enough to scatter it obliquely on the ground; at times indeed a single jet, disobeying its orders, swerved and, had they not kept a respectful distance, would have drenched to their skins the incautious crowd of gazers.
Un de ces petits accidents, qui ne se produisaient guère qu′au moment où la brise s′élevait, fut assez désagréable. On avait fait croire à Mme d′Arpajon que le duc de Guermantes — en réalité non encore arrivé—était avec Mme de Surgis dans les galeries de marbre rose où on accédait par la double colonnade, creusée à l′intérieur, qui s′élevait de la margelle du bassin. Or, au moment où Mme d′Arpajon allait s′engager dans l′une des colonnades, un fort coup de chaude brise tordit le jet d′eau et inonda si complètement la belle dame que, l′eau dégoulinante de son décolletage dans l′intérieur de sa robe, elle fut aussi trempée que si on l′avait plongée dans un bain. Alors, non loin d′elle, un grognement scandé retentit assez fort pour pouvoir se faire entendre à toute une armée et pourtant prolongé par période comme s′il s′adressait non pas à l′ensemble, mais successivement à chaque partie des troupes; c′était le grand-duc Wladimir qui riait de tout son coeur en voyant l′immersion de Mme d′Arpajon, une des choses les plus gaies, aimait-il à dire ensuite, à laquelle il eût assisté de toute sa vie. Comme quelques personnes charitables faisaient remarquer au Moscovite qu′un mot de condoléances de lui serait peut-être mérité et ferait plaisir à cette femme qui, malgré sa quarantaine bien sonnée, et tout en s′épongeant avec son écharpe, sans demander le secours de personne, se dégageait malgré l′eau qui souillait malicieusement la margelle de la vasque, le Grand–Duc, qui avait bon coeur, crut devoir s′exécuter et, les derniers roulements militaires du rire à peine apaisés, on entendit un nouveau grondement plus violent encore que l′autre. «Bravo, la vieille!» s′écriait-il en battant des mains comme au théâtre. Mme d′Arpajon ne fut pas sensible à ce qu′on vantât sa dextérité aux dépens de sa jeunesse. Et comme quelqu′un lui disait, assourdi par le bruit de l′eau, que dominait pourtant le tonnerre de Monseigneur: «Je crois que Son Altesse Impériale vous a dit quelque chose», «Non! c′était à Mme de Souvré», répondit-elle. One of these little accidents, which could scarcely occur save when the breeze freshened for a moment, was distinctly unpleasant. Somebody had told Mme. d′Arpajon that the Duc de Guermantes, who as a matter of fact had not yet arrived, was with Mme. de Surgis in one of the galleries of pink marble to which one ascended by the double colonnade, hollowed out of the wall, which rose from the brink of the fountain. Now, just as Mme. d′Arpajon was making for one of these staircases, a strong gust of warm air made the jet of water swerve and inundated the fair lady so completely that, the water streaming down from her open bosom inside her dress, she was soaked as if she had been plunged into a bath. Whereupon, a few feet away, a rhythmical roar resounded, loud enough to be heard by a whole army, and at the same time protracted in periods as though it were being addressed not to the army as a whole but to each unit in turn; it was the Grand Duke Vladimir, who was laughing wholeheartedly upon seeing the immersion of Mme. d′Arpajon, one of the funniest sights, as he was never tired of repeating afterwards, that he had ever seen in his life. Some charitable persons having suggested to the Muscovite that a word of sympathy from himself was perhaps deserved and would give pleasure to the lady who, notwithstanding her tale of forty winters fully told, wiping herself with her scarf, without appealing to anyone for help, was stepping clear in spite of the water that was maliciously spilling over the edge of the basin, the Grand Duke, who had a kind heart, felt that he must say a word in season, and, before the last military tattoo of his laughter had altogether subsided, one heard a fresh roar, more vociferous even than the last. “Bravo, old girl!” he cried, clapping his hands as though at the theatre. Mme. d′Arpajon was not at all pleased that her dexterity should be commended at the expense of her youth. And when some one remarked to her, in a voice drowned by the roar of the water, over which nevertheless rose the princely thunder: “I think His Imperial Highness said something to you.” “No! It was to Mme. de Souvré,” was her reply.
Je traversai les jardins et remontai l′escalier où l′absence du Prince, disparu à l′écart avec Swann, grossissait autour de M. de Charlus la foule des invités, de même que, quand Louis XIV n′était pas à Versailles, il y avait plus de monde chez Monsieur, son frère. Je fus arrêté au passage par le baron, tandis que derrière moi deux dames et un jeune homme s′approchaient pour lui dire bonjour. I passed through the gardens and returned by the stair, upon which the absence of the Prince, who had vanished with Swann, enlarged the crowd of guests round M. de Charlus, just as, when Louis XIV was not at Versailles, there was a more numerous attendance upon Monsieur, his brother. I was stopped on my way by the Baron, while behind me two ladies and a young man came up to greet him.
«C′est gentil de vous voir ici», me dit-il, en me tendant la main. «Bonsoir madame de la Trémoe, bonsoir ma chère Herminie.» Mais sans doute le souvenir de ce qu′il m′avait dit sur son rôle de chef dans l′hôtel Guermantes lui donnait le désir de paraître éprouver à l′endroit de ce qui le mécontentait, mais qu′il n′avait pu empêcher, une satisfaction à laquelle son impertinence de grand seigneur et son égaillement d′hystérique donnèrent immédiatement une forme d′ironie excessive: «C′est gentil, reprit-il, mais c′est surtout bien drôle.» Et il se mit à pousser des éclats de rire qui semblèrent à la fois témoigner de sa joie et de l′impuissance où la parole humaine était de l′exprimer. Cependant que certaines personnes, sachant combien il était à la fois difficile d′accès et propre aux «sorties» insolentes, s′approchaient avec curiosité et, avec un empressement presque indécent, prenaient leurs jambes à leur cou. «Allons, ne vous fâchez pas, me dit-il, en me touchant doucement l′épaule, vous savez que je vous aime bien. Bonsoir Antioche, bonsoir Louis–René. Avez-vous été voir le jet d′eau? me demanda-t-il sur un ton plus affirmatif que questionneur. C′est bien joli, n′est-ce pas? C′est merveilleux. Cela pourrait être encore mieux, naturellement, en supprimant certaines choses, et alors il n′y aurait rien de pareil, en France. Mais tel que c′est, c′est déjà parmi les choses les mieux. Bréauté vous dira qu′on a eu tort de mettre des lampions, pour tâcher de faire oublier que c′est lui qui a eu cette idée absurde. Mais, en somme, il n′a réussi que très peu à enlaidir. C′est beaucoup plus difficile de défigurer un chef-d′oeuvre que de le créer. Nous nous doutions du reste déjà vaguement que Bréauté était moins puissant qu′Hubert Robert.» “It is nice to see you here,” he said to me, as he held out his hand. “Good evening, Madame de la Trémoe, good evening, my dear Herminie.” But doubtless the memory of what he had said to me as to his own supreme position in the Hôtel Guermantes made him wish to appear to be feeling, with regard to a matter which annoyed him but which he had been unable to prevent, a satisfaction which his high-and-mighty impertinence and his hysterical excitement immediately invested in a cloak of exaggerated irony. “It is nice,” he repeated, “but it is, really, very odd.” And he broke into peals of laughter which appeared to be indicative at once of his joy and of the inadequacy of human speech to express it. Certain persons, meanwhile, who knew both how difficult he was of access and how prone to insolent retorts, had been drawn towards us by curiosity, and, with an almost indecent haste, took to their heels. “Come, now, don′t be cross,” he said to me, patting me gently on the shoulder, “you know that I am your friend. Good evening, Antioche, good evening, Louis-René. Have you been to look at the fountain?” he asked me in a tone that was affirmative rather than questioning. “It is quite pretty, ain′t it? It is marvellous. It might be made better still, naturally, if certain things were removed, and then there would be nothing like it in France. But even as it stands, it is quite one of the best things. Bréauté will tell you that it was a mistake to put lamps round it, to try and make people forget that it was he who was responsible for that absurd idea. But after all he has only managed to spoil it a very little. It is far more difficult to deface a great work of art than to create one. Not that we had not a vague suspicion all the time that Bréauté was not quite a match for Hubert Robert.”
Je repris la file des visiteurs qui entraient dans l′hôtel. «Est-ce qu′il y a longtemps que vous avez vu ma délicieuse cousine Oriane?» me demanda la Princesse qui avait depuis peu déserté son fauteuil à l′entrée, et avec qui je retournais dans les salons. «Elle doit venir ce soir, je l′ai vue cet après-midi, ajouta la maîtresse de maison. Elle me l′a promis. Je crois du reste que vous dînez avec nous deux chez la reine d′Italie, à l′ambassade, jeudi. Il y aura toutes les Altesses possibles, ce sera très intimidant.» Elles ne pouvaient nullement intimider la princesse de Guermantes, de laquelle les salons en foisonnaient et qui disait: «Mes petits Cobourg» comme elle eût dit: «Mes petits chiens». Aussi, Mme de Guermantes dit-elle: «Ce sera très intimidant», par simple bêtise, qui, chez les gens du monde, l′emporte encore sur la vanité. A l′égard de sa propre généalogie, elle en savait moins qu′un agrégé d′histoire. Pour ce qui concernait ses relations, elle tenait à montrer qu′elle connaissait les surnoms qu′on leur avait donnés. M′ayant demandé si je dînais la semaine suivante chez la marquise de la Pommelière, qu′on appelait souvent «la Pomme», la Princesse, ayant obtenu de moi une réponse négative, se tut pendant quelques instants. Puis, sans aucune autre raison qu′un étalage voulu d′érudition involontaire, de banalité et de conformité à l′esprit général, elle ajouta: «C′est une assez agréable femme, la Pomme!» I drifted back into the stream of guests who were entering the house. “Have you seen my delicious cousin Oriane lately?” I was asked by the Princess who had now deserted her post by the door and with whom I was making my way back to the rooms. “She′s sure to be here to-night, I saw her this afternoon,” my hostess added. “She promised me to come. I believe too that you will be dining with us both to meet the Queen of Italy, at the Embassy, on Thursday. There are to be all the Royalties imaginable, it will be most alarming.” They could not in any way alarm the Princesse de Guermantes, whose rooms swarmed with them, and who would say: ‘My little Coburgs′ as she might have said ‘my little dogs.′ And so Mme. de Guermantes said: “It will be most alarming,” out of sheer silliness, which, among people in society, overrides even their vanity. With regard to her own pedigree, she knew less than a passman in history. As for the people of her circle, she liked to shew that she knew the nicknames with which they had been labelled. Having asked me whether I was dining, the week after, with the Marquise de la Pommelière, who was often called ‘la Pomme,′ the Princess, having elicited a reply in the negative, remained silent for some moments. Then, without any other motive than a deliberate display of instinctive erudition, banality, and conformity to the prevailing spirit, she added: “She′s not a bad sort, the Pomme!”
Tandis que la Princesse causait avec moi, faisaient précisément leur entrée le duc et la duchesse de Guermantes! Mais je ne pus d′abord aller au-devant d′eux, car je fus happé au passage par l′ambassadrice de Turquie, laquelle, me désignant la maîtresse de maison que je venais de quitter, s′écria en m′empoignant par le bras: «Ah! quelle femme délicieuse que la Princesse! Quel être supérieur à tous! Il me semble que si j′étais un homme, ajouta-t-elle, avec un peu de bassesse et de sensualité orientales, je vouerais ma vie à cette céleste créature.» Je répondis qu′elle me semblait charmante en effet, mais que je connaissais plus sa cousine la duchesse. «Mais il n′y a aucun rapport, me dit l′ambassadrice. Oriane est une charmante femme du monde qui tire son esprit de Mémé et de Babal, tandis que Marie–Gilbert, c′est quelqu′un While the Princess was talking to me, it so happened that the Duc and Duchesse de Guermantes made their entrance. But I could not go at once to greet them, for I was waylaid by the Turkish Ambassadress, who, pointing to our hostess whom I had just left, exclaimed as she seized me by the arm: “Ah! What a delicious woman the Princess is! What a superior being! I feel sure that, if I were a man,” she went on, with a trace of Oriental servility and sensuality, “I would give my life for that heavenly creature.” I replied that I did indeed find her charming, but that I knew her cousin, the Duchess, better. “But there is no comparison,” said the Ambassadress. “Oriane is a charming society woman who gets her wit from Même and Babal, whereas Marie-Gilbert is somebody.”
Je n′aime jamais beaucoup qu′on me dise ainsi sans réplique ce que je dois penser des gens que je connais. Et il n′y avait aucune raison pour que l′ambassadrice de Turquie eût sur la valeur de la duchesse de Guermantes un jugement plus sûr que le mien. D′autre part, ce qui expliquait aussi mon agacement contre l′ambassadrice, c′est que les défauts d′une simple connaissance, et même d′un ami, sont pour nous de vrais poisons, contre lesquels nous sommes heureusement «mithridatés». I never much like to be told like this, without a chance to reply, what I ought to think about people whom I know. And there was no reason why the Turkish Ambassadress should be in any way better qualified than myself to judge of the worth of the Duchesse de Guermantes. On the other hand (and this explained also my annoyance with the Ambassadress), the defects of a mere acquaintance, and even of a friend, are to us real poisons, against which we are fortunately ‘mithridated.′
Mais, sans apporter le moindre appareil de comparaison scientifique et parler d′anaphylaxie, disons qu′au sein de nos relations amicales ou purement mondaines, il y a une hostilité momentanément guérie, mais récurrente, par accès. Habituellement on souffre peu de ces poisons tant que les gens sont «naturels». En disant «Babal», «Mémé», pour désigner des gens qu′elle ne connaissait pas, l′ambassadrice de Turquie suspendait les effets du «mithridatisme» qui, d′ordinaire, me la rendait tolérable. Elle m′agaçait, ce qui était d′autant plus injuste qu′elle ne parlait pas ainsi pour faire mieux croire qu′elle était intime de «Mémé», mais à cause d′une instruction trop rapide qui lui faisait nommer ces nobles seigneurs selon ce qu′elle croyait la coutume du pays. Elle avait fait ses classes en quelques mois et n′avait pas suivi la filière. Mais en y réfléchissant je trouvais à mon déplaisir de rester auprès de l′ambassadrice une autre raison. Il n′y avait pas si longtemps que chez «Oriane» cette même personnalité diplomatique m′avait dit, d′un air motivé et sérieux, que la princesse de Guermantes lui était franchement antipathique. Je crus bon de ne pas m′arrêter à ce revirement: l′invitation à la fête de ce soir l′avait amené. L′ambassadrice était parfaitement sincère en me disant que la princesse de Guermantes était une créature sublime. Elle l′avait toujours pensé. Mais n′ayant jamais été jusqu′ici invitée chez la princesse, elle avait cru devoir donner à ce genre de non-invitation la forme d′une abstention volontaire par principes. Maintenant qu′elle avait été conviée et vraisemblablement le serait désormais, sa sympathie pouvait librement s′exprimer. Il n′y a pas besoin, pour expliquer les trois quarts des opinions qu′on porte sur les gens, d′aller jusqu′au dépit amoureux, jusqu′à l′exclusion du pouvoir politique. Le jugement reste incertain: une invitation refusée ou reçue le détermine. Au reste, l′ambassadrice de Turquie, comme disait la princesse de Guermantes qui passa avec moi l′inspection des salons, «faisait bien». Elle était surtout fort utile. Les étoiles véritables du monde sont fatiguées d′y paraître. Celui qui est curieux de les apercevoir doit souvent émigrer dans un autre hémisphère, où elles sont à peu près seules. Mais les femmes pareilles à l′ambassadrice ottomane, toutes récentes dans le monde, ne laissent pas d′y briller pour ainsi dire partout à la fois. Elles sont utiles à ces sortes de représentations qui s′appellent une soirée, un raout, et où elles se feraient traîner, moribondes, plutôt que d′y manquer. Elles sont les figurantes sur qui on peut toujours compter, ardentes à ne jamais manquer une fête. Aussi, les sots jeunes gens, ignorant que ce sont de fausses étoiles, voient-ils en elles les reines du chic, tandis qu′il faudrait une leçon pour leur expliquer en vertu de quelles raisons Mme Standish, ignorée d′eux et peignant des coussins, loin du monde, est au moins une aussi grande dame que la duchesse de Doudeauville. But, without applying any standard of scientific comparison and talking of anaphylaxis, let us say that, at the heart of our friendly or purely social relations, there lurks a hostility momentarily cured but recurring by fits and starts. As a rule, we suffer little from these poisons, so long as people are ‘natural.′ By saying ‘Babal′ and ‘Mémé′ to indicate people with whom she was not acquainted, the Turkish Ambassadress suspended the effects of the ‘mithridatism′ which, as a rule, made me find her tolerable. She annoyed me, which was all the more unfair, inasmuch as she did not speak like this to make me think that she was an intimate friend of ‘Mémé,′ but owing to a too rapid education which made her name these noble lords according to what she believed to be the custom of the country. She had crowded her course into a few months, and had not picked up the rules. But, on thinking it over, I found another reason for my disinclination to remain in the Ambassadress′s company. It was not so very long since, at Oriane′s, this same diplomatic personage had said to me, with a purposeful and serious air, that she found the Princesse de Guermantes frankly antipathetic. I felt that I need not stop to consider this change of front: the invitation to the party this evening had brought it about. The Ambassadress was perfectly sincere when she told me that the Princesse de Guermantes was a sublime creature. She had always thought so. But, having never before been invited to the Princess′s house, she had felt herself bound to give this non-invitation the appearance of a deliberate abstention on principle. Now that she had been asked, and would presumably continue to be asked in the future, she could give free expression to her feelings. There is no need, in accounting for three out of four of the opinions that we hold about other people, to go so far as crossed love or exclusion from public office. Our judgment remains uncertain: the withholding or bestowal of an invitation determines it. Anyhow, the Turkish Ambassadress, as the Baronne de Guermantes remarked while making a tour of inspection through the rooms with me, ‘was all right.′ She was, above all, extremely useful. The real stars of society are tired of appearing there. He who is curious to gaze at them must often migrate to another hemisphere, where they are more or less alone. But women like the Ottoman Ambassadress, of quite recent admission to society, are never weary of shining there, and, so to speak, everywhere at once. They are of value at entertainments of the sort known as soirée or rout, to which they would let themselves be dragged from their deathbeds rather than miss one. They are the supers upon whom a hostess can always count, determined never to miss a party. And so, the foolish young men, unaware that they are false stars, take them for the queens of fashion, whereas it would require a formal lecture to explain to them by virtue of what reasons Mme. Standish, who, her existence unknown to them, lives remote from the world, painting cushions, is at least as great a lady as the Duchesse de Doudeauville.
Dans l′ordinaire de la vie, les yeux de la duchesse de Guermantes étaient distraits et un peu mélancoliques, elle les faisait briller seulement d′une flamme spirituelle chaque fois qu′elle avait à dire bonjour à quelque ami; absolument comme si celui-ci avait été quelque mot d′esprit, quelque trait charmant, quelque régal pour délicats dont la dégustation a mis une expression de finesse et de joie sur le visage du connaisseur. Mais pour les grandes soirées, comme elle avait trop de bonjours à dire, elle trouvait qu′il eût été fatigant, après chacun d′eux, d′éteindre à chaque fois la lumière. Tel un gourmet de littérature, allant au théâtre voir une nouveauté d′un des maîtres de la scène, témoigne sa certitude de ne pas passer une mauvaise soirée en ayant déjà, tandis qu′il remet ses affaires à l′ouvreuse, sa lèvre ajustée pour un sourire sagace, son regard avivé pour une approbation malicieuse; ainsi c′était dès son arrivée que la duchesse allumait pour toute la soirée. Et tandis qu′elle donnait son manteau du soir, d′un magnifique rouge Tiepolo, lequel laissa voir un véritable carcan de rubis qui enfermait son cou, après avoir jeté sur sa robe ce dernier regard rapide, minutieux et complet de couturière qui est celui d′une femme du monde, Oriane s′assura du scintillement de ses yeux non moins que de ses autres bijoux. Quelques «bonnes langues» comme M. de Janville eurent beau se précipiter sur le duc pour l′empêcher d′entrer: «Mais vous ignorez donc que le pauvre Mama est à l′article de la mort? On vient de l′administrer. — Je le sais, je le sais, répondit M. de Guermantes en refoulant le fâcheux pour entrer. Le viatique a produit le meilleur effet», ajouta-t-il en souriant de plaisir à la pensée de la redoute à laquelle il était décidé de ne pas manquer après la soirée du prince. «Nous ne voulions pas qu′on sût que nous étions rentrés», me dit la duchesse. Elle ne se doutait pas que la princesse avait d′avance infirmé cette parole en me racontant qu′elle avait vu un instant sa cousine qui lui avait promis de venir. Le duc, après un long regard dont pendant cinq minutes il accabla sa femme: «J′ai raconté à Oriane les doutes que vous aviez.» Maintenant qu′elle voyait qu′ils n′étaient pas fondés et qu′elle n′avait aucune démarche à faire pour essayer de les dissiper, elle les déclara absurdes, me plaisanta longuement. «Cette idée de croire que vous n′étiez pas invité! Et puis, il y avait moi. Croyez-vous que je n′aurais pas pu vous faire inviter chez ma cousine?» Je dois dire qu′elle fit souvent, dans la suite, des choses bien plus difficiles pour moi; néanmoins je me gardai de prendre ses paroles dans ce sens que j′avais été trop réservé. Je commençais à connaître l′exacte valeur du langage parlé ou muet de l′amabilité aristocratique, amabilité heureuse de verser un baume sur le sentiment d′infériorité de ceux à l′égard desquels elle s′exerce, mais pas pourtant jusqu′au point de la dissiper, car dans ce cas elle n′aurait plus de raison d′être. «Mais vous êtes notre égal, sinon mieux», semblaient, par toutes leurs actions, dire les Guermantes; et ils le disaient de la façon la plus gentille que l′on puisse imaginer, pour être aimés, admirés, mais non pour être crus; qu′on démêlât le caractère fictif de cette amabilité, c′est ce qu′ils appelaient être bien élevés; croire l′amabilité réelle, c′était la mauvaise éducation. Je reçus du reste à peu de temps de là une leçon qui acheva de m′enseigner, avec la plus parfaite exactitude, l′extension et les limites de certaines formes de l′amabilité aristocratique. C′était à une matinée donnée par la duchesse de Montmorency pour la reine d′Angleterre; il y eut une espèce de petit cortège pour aller au buffet, et en tête marchait la souveraine ayant à son bras le duc de Guermantes. J′arrivai à ce moment-là. De sa main libre, le duc me fit au moins à quarante mètres de distance mille signes d′appel et d′amitié, et qui avaient l′air de vouloir dire que je pouvais m′approcher sans crainte, que je ne serais pas mangé tout cru à la place des sandwichs. Mais moi, qui commençais à me perfectionner dans le langage des cours, au lieu de me rapprocher même d′un seul pas, à mes quarante mètres de distance je m′inclinai profondément, mais sans sourire, comme j′aurais fait devant quelqu′un que j′aurais à peine connu, puis continuai mon chemin en sens opposé. J′aurais pu écrire un chef-d′oeuvre, les Guermantes m′en eussent moins fait d′honneur que de ce salut. Non seulement il ne passa pas inaperçu aux yeux du duc, qui ce jour-là pourtant eut à répondre à plus de cinq cents personnes, mais à ceux de la duchesse, laquelle, ayant rencontré ma mère, le lui raconta en se gardant bien de lui dire que j′avais eu tort, que j′aurais dû m′approcher. Elle lui dit que son mari avait été émerveillé de mon salut, qu′il était impossible d′y faire tenir plus de choses. On ne cessa de trouver à ce salut toutes les qualités, sans mentionner toutefois celle qui avait paru la plus précieuse, à savoir qu′il avait été discret, et on ne cessa pas non plus de me faire des compliments dont je compris qu′ils étaient encore moins une récompense pour le passé qu′une indication pour l′avenir, à la façon de celle délicatement fournie à ses élèves par le directeur d′un établissement d′éducation: «N′oubliez pas, mes chers enfants, que ces prix sont moins pour vous que pour vos parents, afin qu′ils vous renvoient l′année prochaine.» C′est ainsi que Mme de Marsantes, quand quelqu′un d′un monde différent entrait dans son milieu, vantait devant lui les gens discrets «qu′on trouve quand on va les chercher et qui se font oublier le reste du temps», comme on prévient, sous une forme indirecte, un domestique qui sent mauvais que l′usage des bains est parfait pour la santé. In the ordinary course of life, the eyes of the Duchesse de Guermantes were absent and slightly melancholy, she made them sparkle with a flame of wit only when she had to say how-d′ye-do to a friend; precisely as though the said friend had been some witty remark, some charming touch, some titbit for delicate palates, the savour of which has set on the face of the connoisseur an expression of refined joy. But upon big evenings, as she had too many greetings to bestow, she decided that it would be tiring to have to switch off the light after each. Just as an ardent reader, when he goes to the theatre to see a new piece by one of the masters of the stage, testifies to his certainty that he is not going to spend a dull evening by having, while he hands his hat and coat to the attendant, his lip adjusted in readiness for a sapient smile, his eye kindled for a sardonic approval; similarly it was at the moment of her arrival that the Duchess lighted up for the whole evening. And while she was handing over her evening cloak, of a magnificent Tiepolo red, exposing a huge collar of rubies round her neck, having cast over her gown that final rapid, minute and exhaustive dressmaker′s glance which is also that of a woman of the world, Oriane made sure that her eyes, just as much as her other jewels, were sparkling. In vain might sundry ‘kind friends′ such as M. de Janville fling themselves upon the Duke to keep him from entering: “But don′t you know that poor Mama is at his last gasp? He had had the Sacraments.” “I know, I know,” answered M. de Guermantes, thrusting the tiresome fellow aside in order to enter the room. “The viaticum has acted splendidly,” he added, with a smile of pleasure at the thought of the ball which he was determined not to miss after the Prince′s party. “We did not want people to know that we had come back,” the Duchess said to me. She never suspected that the Princess had already disproved this statement by telling me that she had seen her cousin for a moment, who had promised to come. The Duke, after a protracted stare with which he proceeded to crush his wife for the space of five minutes, observed: “I told Oriane about your misgivings.” Now that she saw that they were unfounded, and that she herself need take no action in the attempt to dispel them, she pronounced them absurd, and continued to chaff me about them. “The idea of supposing that you were not invited! Besides, wasn′t I there? Do you suppose that I should be unable to get you an invitation to my cousin′s house?” I must admit that frequently, after this, she did things for me that were far more difficult; nevertheless, I took care not to interpret her words in the sense that I had been too modest. I was beginning to learn the exact value of the language, spoken or mute, of aristocratic affability, an affability that is happy to shed balm upon the sense of inferiority in those persons towards whom it is directed, though not to the point of dispelling that sense, for in that case it would no longer have any reason to exist. “But you are our equal, if not our superior,” the Guermantes seemed, in all their actions, to be saying; and they said it in the most courteous fashion imaginable, to be loved, admired, but not to be believed; that one should discern the fictitious character of this affability was what they called being well-bred; to suppose it to be genuine, a sign of ill-breeding. I was to receive, as it happened, shortly after this, a lesson which gave me a full and perfect understanding of the extent and limitations of certain forms of aristocratic affability. It was at an afternoon party given by the Duchesse de Montmorency to meet the Queen of England; there was a sort of royal procession to the buffet, at the head of which walked Her Majesty on the arm of the Duc de Guermantes. I happened to arrive at that moment. With his disengaged hand the Duke conveyed to me, from a distance of nearly fifty yards, a thousand signs of friendly invitation, which appeared to mean that I need not be afraid to approach, that I should not be devoured alive instead of the sandwiches. But I, who was becoming word-perfect in the language of the court, instead of going even one step nearer, keeping my fifty yards′ interval, made a deep bow, but without smiling, the sort of bow that I should have made to some one whom I scarcely knew, then proceeded in the opposite direction. Had I written a masterpiece, the Guermantes would have given me less credit for it than I earned by that bow. Not only did it not pass unperceived by the Duke, albeit he had that day to acknowledge the greetings of more than five hundred people, it caught the eye of the Duchess, who, happening to meet my mother, told her of it, and, so far from suggesting that I had done wrong, that I ought to have gone up to him, said that her husband had been lost in admiration of my bow, that it would have been impossible for anyone to put more into it. They never ceased to find in that bow every possible merit, without however mentioning that which had seemed the most priceless of all, to wit that it had been discreet, nor did they cease either to pay me compliments which I understood to be even less a reward for the past than a hint for the future, after the fashion of the hint delicately conveyed to his pupils by the headmaster of a school: “Do not forget, my boys, that these prizes are intended not so much for you as for your parents, so that they may send you back next term.” So it was that Mme. de Marsantes, when some one from a different world entered her circle, would praise in his hearing the discreet people whom “you find at home when you go to see them, and who at other times let you forget their existence,” as one warns by an indirect allusion a servant who has an unpleasant smell, that the practice of taking a bath is beneficial to the health.
Pendant que, avant même qu′elle eût quitté le vestibule, je causais avec Mme de Guermantes, j′entendis une voix d′une sorte qu′à l′avenir je devais, sans erreur possible, discerner. C′était, dans le cas particulier, celle de M. de Vaugoubert causant avec M. de Charlus. Un clinicien n′a même pas besoin que le malade en observation soulève sa chemise ni d′écouter la respiration, la voix suffit. Combien de fois plus tard fus-je frappé dans un salon par l′intonation ou le rire de tel homme, qui pourtant copiait exactement le langage de sa profession ou les manières de son milieu, affectant une distinction sévère ou une familière grossièreté, mais dont la voix fausse me suffisait pour apprendre: «C′est un Charlus», à mon oreille exercée, comme le diapason d′un accordeur. A ce moment tout le personnel, d′une ambassade passa, lequel salua M. de Charlus. Bien que ma découverte du genre de maladie en question datât seulement du jour même (quand j′avais aperçu M. de Charlus et Jupien), je n′aurais pas eu besoin, pour donner un diagnostic, de poser des questions, d′ausculter. Mais M. de Vaugoubert causant avec M. de Charlus parut incertain. Pourtant il aurait dû savoir à quoi s′en tenir après les doutes de l′adolescence. L′inverti se croit seul de sa sorte dans l′univers; plus tard seulement, il se figure — autre exagération — que l′exception unique, c′est l′homme normal. Mais, ambitieux et timoré, M. de Vaugoubert ne s′était pas livré depuis bien longtemps à ce qui eût été pour lui le plaisir. La carrière diplomatique avait eu sur sa vie l′effet d′une entrée dans les ordres. Combinée avec l′assiduité à l′Ecole des Sciences politiques, elle l′avait voué depuis ses vingt ans à la chasteté du chrétien. Aussi, comme chaque sens perd de sa force et de sa vivacité, s′atrophie quand il n′est plus mis en usage, M. de Vaugoubert, de même que l′homme civilisé qui ne serait plus capable des exercices de force, de la finesse d′oude l′homme des cavernes, avait perdu la perspicacité spéciale qui se trouvait rarement en défaut chez M. de Charlus; et aux tables officielles, soit à Paris, soit à l′étranger, le ministre plénipotentiaire n′arrivait même plus à reconnaître ceux qui, sous le déguisement de l′uniforme, étaient au fond ses pareils. Quelques noms que prononça M. de Charlus, indigné si on le citait pour ses goûts, mais toujours amusé de faire connaître ceux des autres, causèrent à M. de Vaugoubert un étonnement délicieux. Non qu′après tant d′années il songeât à profiter d′aucune aubaine. Mais ces révélations rapides, pareilles à celles qui dans les tragédies de Racine apprennent à Athalie et à Abner que Joas est de la race de David, qu′Esther assise dans la pourpre a des parents youpins, changeant l′aspect de la légation de X . . . ou tel service du Ministère des Affaires étrangères, rendaient rétrospectivement ces palais aussi mystérieux que le temple de Jérusalem ou la salle du trône de Suse. Pour cette ambassade dont le jeune personnel vint tout entier serrer la main de M. de Charlus, M. de Vaugoubert prit l′air émerveillé d′Élise s′écriant dans Esther : Ciel! quel nombreux essaim d′innocentes beautés
S′offre à mes yeux en foule et sort de tous côtés! Quelle aimable pudeur sur leur visage est peinte! Puis désireux d′être plus «renseigné», il jeta en souriant à M. de Charlus un regard niaisement interrogateur et concupiscent: «Mais voyons, bien entendu», dit M. de Charlus, de l′air docte d′un érudit parlant à un ignare. Aussitôt M. de Vaugoubert (ce qui agaça beaucoup M. de Charlus) ne détacha plus ses yeux de ces jeunes secrétaires, que l′ambassadeur de X . . . en France, vieux cheval de retour, n′avait pas choisis au hasard. M. de Vaugoubert se taisait, je voyais seulement ses regards. Mais, habitué dès mon enfance à prêter, même à ce qui est muet, le langage des classiques, je faisais dire aux yeux de M. de Vaugoubert les vers par lesquels Esther explique à Élise que Mardochée a tenu, par zèle pour sa religion, à ne placer auprès de la Reine que des filles qui y appartinssent.
While, before she had even left the entrance hall, I was talking to Mme. de Guermantes, I could hear a voice of a sort which, for the future, I was to be able to classify without the possibility of error. It was, in this particular instance, the voice of M. de Vaugoubert talking to M. de Charlus. A skilled physician need not even make his patient unbutton his shirt, nor listen to his breathing, the sound of his voice is enough. How often, in time to come, was my ear to be caught in a drawing-room by the intonation or laughter of some man, who, for all that, was copying exactly the language of his profession or the manners of his class, affecting a stern aloofness or a coarse familiarity, but whose artificial voice was enough to indicate: ‘He is a Charlus′ to my trained ear, like the note of a tuning fork. At that moment the entire staff of one of the Embassies went past, pausing to greet M. de Charlus. For all that my discovery of the sort of malady in question dated only from that afternoon (when I had surprised M. de Charlus with Jupien) I should have had no need, before giving a diagnosis, to put questions, to auscultate. But M. de Vaugoubert, when talking to M. de Charlus, appeared uncertain. And yet he must have known what was in the air after the doubts of his adolescence. The invert believes himself to be the only one of his kind in the universe; it is only in later years that he imagines — another exaggeration — that the unique exception is the normal man. But, ambitious and timorous, M. de Vaugoubert had not for many years past surrendered himself to what would to him have meant pleasure. The career of diplomacy had had the same effect upon his life as a monastic profession. Combined with his assiduous fréquentation of the School of Political Sciences, it had vowed him from his twentieth year to the chastity of a professing Christian. And so, as each of our senses loses its strength and vivacity, becomes atrophied when it is no longer exercised, M. de Vaugoubert, just as the civilised man is no longer capable of the feats of strength, of the acuteness of hearing of the cave-dweller, had lost that special perspicacy which was rarely at fault in M. de Charlus; and at official banquets, whether in Paris or abroad, the Minister Plenipotentiary was no longer capable of identifying those who, beneath the disguise of their uniform, were at heart his congeners. Certain names mentioned by M. de Charlus, indignant if he himself was cited for his peculiarities, but always delighted to give away those of other people, caused M. de Vaugoubert an exquisite surprise. Not that, after all these years, he dreamed of profiting by any windfall. But these rapid revelations, similar to those which in Racine′s tragedies inform Athalie and Abner that Joas is of the House of David, that Esther, enthroned in the purple, comes of a Yiddish stock, changing the aspect of the X—— Legation, or of one or another department of the Ministry of Foreign Affairs, rendered those palaces as mysterious, in retrospect, as the Temple of Jerusalem or the Throne-room at Susa. At the sight of the youthful staff of this Embassy advancing in a body to shake hands with M. de Charlus, M. de Vaugoubert assumed the astonished air of Elise exclaiming, in Esther: “Great heavens! What a swarm of innocent beauties issuing from all sides presents itself to my gaze! How charming a modesty is depicted on their faces!” Then, athirst for more definite information, he cast at M. de Charlus a smiling glance fatuously interrogative and concupiscent. “Why, of course they are,” said M. de Charlus with the knowing air of a learned man speaking to an ignoramus. From that instant M. de Vaugoubert (greatly to the annoyance of M. de Charlus) could not tear his eyes from these young secretaries whom the X—— Ambassador to France, an old stager, had not chosen blindfold. M. de Vaugoubert remained silent, I could only watch his eyes. But, being accustomed from my childhood to apply, even to what is voiceless, the language of the classics, I made M. de Vaugoubert′s eyes repeat the lines in which Esther explains to Elise that Mardochée, in his zeal for his religion, has made it a rule that only those maidens who profess it shall be employed about the Queen′s person.
Cependant son amour pour notre nation
A peuplé ce palais de filles de Sion,
Jeunes et tendres fleurs par le sort agitées,
Sous un ciel étranger comme moi transplantées
Dans un lieu séparé de profanes témoins,
Il (l′excellent ambassadeur) met à les former son étude et ses soins.
“And now his love for our nation has peopled this palace with daughters of Sion, young and tender flowers wafted by fate, transplanted like myself beneath a foreign sky. In a place set apart from profane eyes, he” (the worthy Ambassador) “devotes his skill and labour to shaping them.”
Enfin M. de Vaugoubert parla, autrement que par ses regards. «Qui sait, dit-il avec mélancolie, si, dans le pays où je réside, la même chose n′existe pas. — C′est probable, répondit M. de Charlus, à commencer par le roi Théodose, bien que je ne sache rien de positif sur lui. — Oh! pas du tout! — Alors il n′est pas permis d′en avoir l′air à ce point-là. Et il fait des petites manières. Il a le genre «ma chère», le genre que je déteste le plus. Je n′oserais pas me montrer avec lui dans la rue. Du reste, vous devez bien le connaître pour ce qu′il est, il est connu comme le loup blanc. — Vous vous trompez tout à fait sur lui. Il est du reste charmant. Le jour où l′accord avec la France a été signé, le Roi m′a embrassé. Je n′ai jamais été si ému. — C′était le moment de lui dire ce que vous désiriez. — Oh! mon Dieu, quelle horreur, s′il avait seulement un soupçon! Mais je n′ai pas de crainte à cet égard.» Paroles que j′entendis, car j′étais peu éloigné, et qui firent que je me récitai mentalement:
At length M. de Vaugoubert spoke, otherwise than with his eyes. “Who knows,” he said sadly, “that in the country where I live the same thing does not exist also?” “It is probable,” replied M. de Charlus, “starting with King Theodosius, not that I know anything definite about him.” “Oh, dear, no! Nothing of that sort!” “Then he has no right to look it so completely. Besides, he has all the little tricks. He had that ‘my dear′ manner, which I detest more than anything in the world. I should never dare to be seen walking in the street with him. Anyhow, you must know what he is, they all call him the White Wolf.” “You are entirely mistaken about him. He is quite charming, all the same. The day on which the agreement with France was signed, the King kissed me. I have never been so moved.” “That was the moment to tell him what you wanted.” “Oh, good heavens! What an idea! If he were even to suspect such a thing! But I have no fear in that direction.” A conversation which I could hear, for I was standing close by, and which made me repeat to myself:
Le Roi jusqu′à ce jour ignore qui je suis,
Et ce secret toujours tient ma langue enchaînée.
“The King unto this day knows not who I am,
and this secret keeps my tongue still enchained.”
Ce dialogue, moitié muet, moitié parlé, n′avait duré que peu d′instants, et je n′avais encore fait que quelques pas dans les salons avec la duchesse de Guermantes quand une petite dame brune, extrêmement jolie, l′arrêta: This dialogue, half mute, half spoken, had lasted but a few moments, and I had barely entered the first of the drawing-rooms with the Duchesse de Guermantes when a little dark lady, extremely pretty, stopped her.
«Je voudrais bien vous voir. D′Annunzio vous a aperçue d′une loge, il a écrit à la princesse de T . . . une lettre où il dit qu′il n′a jamais rien vu de si beau. Il donnerait toute sa vie pour dix minutes d′entretien avec vous. En tout cas, même si vous ne pouvez pas ou ne voulez pas, la lettre est en ma possession. Il faudrait que vous me fixiez un rendez-vous. Il y a certaines choses secrètes que je ne puis dire ici. Je vois que vous ne me reconnaissez pas, ajouta-t-elle en s′adressant à moi; je vous ai connu chez la princesse de Parme (chez qui je n′étais jamais allé). L′empereur de Russie voudrait que votre père fût envoyé à Pétersbourg. Si vous pouviez venir mardi, justement Isvolski sera là, il en parlerait avec vous. J′ai un cadeau à vous faire, chérie, ajouta-t-elle en se tournant vers la duchesse, et que je ne ferais à personne qu′à vous. Les manuscrits de trois pièces d′Ibsen, qu′il m′a fait porter par son vieux garde-malade. J′en garderai une et vous donnerai les deux autres.» “I′ve been looking for you everywhere. D′Annunzio saw you from a box in the theatre, he has written the Princesse de T—— a letter in which he says that he never saw anything so lovely. He would give his life for ten minutes′ conversation with you. In any case, even if you can′t or won′t, the letter is in my possession. You must fix a day to come and see me. There are some secrets which I cannot tell you here. I see you don′t remember me,” she added, turning to myself; “I met you at the Princesse de Parme′s” (where I had never been). “The Emperor of Russia is anxious for your father to be sent to Petersburg. If you could come in on Monday, Isvolski himself will be there, he will talk to you about it. I have a present for you, my dear,” she went on, returning to the Duchess, “which I should not dream of giving to anyone but you. The manuscripts of three of Ibsen′s plays, which he sent to me by his old attendant. I shall keep one and give you the other two.”
Le duc de Guermantes n′étais pas enchanté de ces offres. Incertain si Ibsen ou d′Annunzio étaient morts ou vivants, il voyait déjà des écrivains, des dramaturges allant faire visite à sa femme et la mettant dans leurs ouvrages. Les gens du monde se représentent volontiers les livres comme une espèce de cube dont une face est enlevée, si bien que l′auteur se dépêche de «faire entrer» dedans les personnes qu′il rencontre. C′est déloyal évidemment, et ce ne sont que des gens de peu. Certes, ce ne serait pas ennuyeux de les voir «en passant», car grâce à eux, si on lit un livre ou un article, on connaît «le dessous des cartes», on peut «lever les masques». Malgré tout, le plus sage est de s′en tenir aux auteurs morts. M. de Guermantes trouvait seulement «parfaitement convenable» le monsieur qui faisait la nécrologie dans le Gaulois. Celui-là, du moins, se contentait de citer le nom de M. de Guermantes en tête des personnes remarquées «notamment» dans les enterrements où le duc s′était inscrit. Quand ce dernier préférait que son nom ne figurât pas, au lieu de s′inscrire il envoyait une lettre de condoléances à la famille du défunt en l′assurant de ses sentiments bien tristes. Que si cette famille faisait mettre dans le journal: «Parmi les lettres reçues, citons celle du duc de Guermantes, etc.», ce n′était pas la faute de l′échotier, mais du fils, frère, père de la défunte, que le duc qualifiait d′arrivistes, et avec qui il était désormais décidé à ne plus avoir de relations (ce qu′il appelait, ne sachant pas bien le sens des locutions, «avoir maille à partir»). Toujours est-il que les noms d′Ibsen et d′Annunzio, et leur survivance incertaine, firent se froncer les sourcils du duc, qui n′était pas encore assez loin de nous pour ne pas avoir entendu les amabilités diverses de Mme Timoléon d′Amoncourt. C′était une femme charmante, d′un esprit, comme sa beauté, si ravissant, qu′un seul des deux eût réussi à plaire. Mais, née hors du milieu où elle vivait maintenant, n′ayant aspiré d′abord qu′à un salon littéraire, amie successivement — nullement amante, elle était de moeurs fort pures — et exclusivement de chaque grand écrivain qui lui donnait tous ses manuscrits, écrivait des livres pour elle, le hasard l′ayant introduite dans le faubourg Saint–Germain, ces privilèges littéraires l′y servirent. Elle avait maintenant une situation à n′avoir pas à dispenser d′autres grâces que celles que sa présence répandait. Mais habituée jadis à l′entregent, aux manèges, aux services à rendre, elle y persévérait bien qu′ils ne fussent plus nécessaires. Elle avait toujours un secret d′État à vous révéler, un potentat à vous faire connaître, une aquarelle de maître à vous offrir. Il y avait bien dans tous ces attraits inutiles un peu de mensonge, mais il faisaient de sa vie une comédie d′une complication scintillante et il était exact qu′elle faisait nommer des préfets et des généraux. The Duc de Guermantes was not overpleased by these offers. Uncertain whether Ibsen and D′Annunzio were dead or alive, he could see in his mind′s eye a tribe of authors, playwrights, coming to call upon his wife and putting her in their works. People in society are too apt to think of a book as a sort of cube one side of which has been removed, so that the author can at once ‘put in′ the people he meets. This is obviously disloyal, and authors are a pretty low class. Certainly, it would not be a bad thing to meet them once in a way, for thanks to them, when one reads a book or an article, one can ‘read between the lines,′ ‘unmask′ the characters. After all, though, the wisest thing is to stick to dead authors. M. de Guermantes considered ‘quite all right′ only the gentleman who did the funeral notices in the Gaulois. He, at any rate, confined himself to including M. de Guermantes among the people ‘conspicuous by their presence′ at funerals at which the Duke had given his name. When he preferred that his name should not appear, instead of giving it, he sent a letter of condolence to the relatives of the deceased, assuring them of his deep and heartfelt sympathy. If, then, the family sent to the paper “among the letters received, we may mention one from the Duc de Guermantes,” etc., this was the fault not of the ink-slinger but of the son, brother, father of the deceased whom the Duke thereupon described as upstarts, and with whom he decided for the future to have no further dealings (what he called, not being very well up in the meaning of such expressions, ‘having a crow to pick′). In any event, the names of Ibsen and D′Annunzio, and his uncertainty as to their survival, brought a frown to the brows of the Duke, who was not far enough away from us to escape hearing the various blandishments of Mme. Timoléon d′Amoncourt. This was a charming woman, her wit, like her beauty, so entrancing that either of them by itself would have made her shine. But, born outside the world in which she now lived, having aspired at first merely to a literary salon, the friend successively — and nothing more than a friend, for her morals were above reproach — and exclusively of every great writer, who gave her all his manuscripts, wrote books for her, chance having once introduced her into the Faubourg Saint-Germain, these literary privileges were of service to her there. She had now an established position, and no longer needed to dispense other graces than those that were shed by her presence. But, accustomed in times past to act as go-between, to render services, she persevered in them even when they were no longer necessary. She had always a state secret to reveal to you, a potentate whom you must meet, a water colour by a master to present to you. There was indeed in all these superfluous attractions a trace of falsehood, but they made her life a comedy that scintillated with complications, and it was no exaggeration to say that she appointed prefects and generals.
Tout en marchant à côté de moi, la duchesse de Guermantes laissait la lumière azurée de ses yeux flotter devant elle, mais dans le vague, afin d′éviter les gens avec qui elle ne tenait pas à entrer en relations, et dont elle devinait parfois, de loin, l′écueil menaçant. Nous avancions entre une double haie d′invités, lesquels, sachant qu′ils ne connaîtraient jamais «Oriane», voulaient au moins, comme une curiosité, la montrer à leur femme: «Ursule, vite, vite, venez voir Madame de Guermantes qui cause avec ce jeune homme.» Et on sentait qu′il ne s′en fallait pas de beaucoup pour qu′ils fussent montés sur des chaises, pour mieux voir, comme à la revue du juillet ou au Grand Prix. Ce n′est pas que la duchesse de Guermantes eût un salon plus aristocratique que sa cousine. Chez la première fréquentaient des gens que la seconde n′eût jamais voulu inviter, surtout à cause de son mari. Jamais elle n′eût reçu Mme Alphonse de Rothschild, qui, intime amie de Mme de la Trémoe et de Mme de Sagan, comme Oriane elle-même, fréquentait beaucoup chez cette dernière. Il en était encore de même du baron Hirsch, que le prince de Galles avait amené chez elle, mais non chez la princesse à qui il aurait déplu, et aussi de quelques grandes notoriétés bonapartistes ou même républicaines, qui intéressaient la duchesse mais que le prince, royaliste convaincu, n′eût pas voulu recevoir. Son antisémitisme, étant aussi de principe, ne fléchissait devant aucune élégance, si accréditée fût-elle, et s′il recevait Swann dont il était l′ami de tout temps, étant d′ailleurs le seul des Guermantes qui l′appelât Swann et non Charles, c′est que, sachant que la grand′mère de Swann, protestante mariée à un juif, avait été la maîtresse du duc de Berri, il essayait, de temps en temps, de croire à la légende qui faisait du père de Swann un fils naturel du prince. Dans cette hypothèse, laquelle était d′ailleurs fausse, Swann, fils d′un catholique, fils lui-même d′un Bourbon et d′une catholique, n′avait rien que de chrétien. As she strolled by my side, the Duchesse de Guermantes allowed the azure light of her eyes to float in front of her, but vaguely, so as to avoid the people with whom she did not wish to enter into relations, whose presence she discerned at times, like a menacing reef in the distance. We advanced between a double hedge of guests, who, conscious that they would never come to know ‘Oriane,′ were anxious at least to point her out, as a curiosity, to their wives: “Quick, Ursule, come and look at Madame de Guermantes talking to that young man.” And one felt that in another moment they would be clambering upon the chairs, for a better view, as at the Military Review on the 14th of July, or the Grand Prix. Not that the Duchesse de Guermantes had a more aristocratic salon than her cousin. The former′s was frequented by people whom the latter would never have been willing to invite, principally on account of her husband. She would never have been at home to Mme. Alphonse de Rothschild, who, an intimate friend of Mme. de la Trémoe and of Mme. de Sagan, as was Oriane herself, was constantly to be seen in the house of the last-named. It was the same with Baron Hirsch, whom the Prince of Wales had brought to see her, but not to the Princess, who would not have approved of him, and also with certain outstandingly notorious Bonapartists or even Republicans, whom the Duchess found interesting but whom the Prince, a convinced Royalist, would not have allowed inside his house. His anti-semitism also being founded on principle did not yield before any social distinction, however strongly accredited, and if he was at home to Swann, whose friend he had been since their boyhood, being, however, the only one of the Guermantes who addressed him as Swann and not as Charles, this was because, knowing that Swann′s grandmother, a Protestant married to a Jew, had been the Duc de Berri′s mistress, he endeavoured, from time to time, to believe in the legend which made out Swann′s father to be a natural son of that Prince. By this hypothesis, which incidentally was false, Swann, the son of a Catholic father, himself the son of a Bourbon by a Catholic mother, was a Christian to his finger-tips.
«Comment, vous ne connaissez pas ces splendeurs», me dit la duchesse, en me parlant de l′hôtel où nous étions. Mais après avoir célébré le «palais» de sa cousine, elle s′empressa d′ajouter qu′elle préférait mille fois «son humble trou». «Ici, c′est admirable pour visiter. Mais je mourrais de chagrin s′il me fallait rester à coucher dans des chambres où ont eu lieu tant d′événements historiques. Ça me ferait l′effet d′être restée après la fermeture, d′avoir été oubliée, au château de Blois, de Fontainebleau ou même au Louvre, et d′avoir comme seule ressource contre la tristesse de me dire que je suis dans la chambre où a été assassiné Monaldeschi. Comme camomille, c′est insuffisant. Tiens, voilà Mme de Saint–Euverte. Nous avons dîné tout à l′heure chez elle. Comme elle donne demain sa grande machine annuelle, je pensais qu′elle serait allée se coucher. Mais elle ne peut pas rater une fête. Si celle-ci avait eu lieu à la campagne, elle serait montée sur une tapissière plutôt que de ne pas y être allée.» “What, you don′t know these glories?” said the Duchess, referring to the rooms through which we were moving. But, having given its due meed of praise to her cousin′s ‘palace,′ she hastened to add that she a thousand times preferred her own ‘humble den.′ “This is an admirable house to visit. But I should die of misery if I had to stay behind and sleep in rooms that have witnessed so many historic events. It would give me the feeling of having been left after closing-time, forgotten, in the Château of Blois, or Fontainebleau, or even the Louvre, with no antidote to my depression except to tell myself that I was in the room in which Monaldeschi was murdered. As a sedative, that is not good enough. Why, here comes Mme. de Saint-Euverte. We′ve just been dining with her. As she is giving her great annual beanfeast to-morrow, I supposed she would be going straight to bed. But she can never miss a party. If this one had been in the country, she would have jumped on a lorry rather than not go to it.”
En réalité, Mme de Saint–Euverte était venue, ce soir, moins pour le plaisir de ne pas manquer une fête chez les autres que pour assurer le succès de la sienne, recruter les derniers adhérents, et en quelque sorte passer in extremis la revue des troupes qui devaient le lendemain évoluer brillamment à sa garden-party. Car, depuis pas mal d′années, les invités des fêtes Saint–Euverte n′étaient plus du tout les mêmes qu′autrefois. Les notabilités féminines du milieu Guermantes, si clairsemées alors, avaient — comblées de politesses par la maîtresse de la maison — amené peu à peu leurs amies. En même temps, par un travail parallèlement progressif, mais en sens inverse, Mme de Saint–Euverte avait d′année en année réduit le nombre des personnes inconnues au monde élégant. On avait cessé de voir l′une, puis l′autre. Pendant quelque temps fonctionna le système des «fournées», qui permettait, grâce à des fêtes sur lesquelles on faisait le silence, de convier les réprouvés à venir se divertir entre eux, ce qui dispensait de les inviter avec les gens de bien. De quoi pouvaient-ils se plaindre? N′avaient-ils pas panem et circenses, des petits fours et un beau programme musical? Aussi, en symétrie en quelque sorte avec les deux duchesses en exil, qu′autrefois, quand avait débuté le salon Saint–Euverte, on avait vues en soutenir, comme deux cariatides, le faîte chancelant, dans les dernières années on ne distingua plus, mêlées au beau monde, que deux personnes hétérogènes: la vieille Mme de Cambremer et la femme à belle voix d′un architecte à laquelle on était souvent obligé de demander de chanter. Mais ne connaissant plus personne chez Mme de Saint–Euverte, pleurant leurs compagnes perdues, sentant qu′elles gênaient, elles avaient l′air prêtes à mourir de froid comme deux hirondelles qui n′ont pas émigré à temps. Aussi l′année suivante ne furent-elles pas invitées; Mme de Franquetot tenta une démarche en faveur de sa cousine qui aimait tant la musique. Mais comme elle ne put pas obtenir pour elle une réponse plus explicite que ces mots: «Mais on peut toujours entrer écouter de la musique si ça vous amuse, ça n′a rien de criminel!» Mme de Cambremer ne trouva pas l′invitation assez pressante et s′abstint. As a matter of fact, Mme. de Saint-Euverte had come this evening, less for the pleasure of not missing another person′s party than in order to ensure the success of her own, recruit the latest additions to her list, and, so to speak, hold an eleventh hour review of the troops who were on the morrow to perform such brilliant evolutions at her garden party. For, in the long course of years, the guests at the Saint-Euverte parties had almost entirely changed. The female celebrities of the Guermantes world, formerly so sparsely scattered, had — loaded with attentions by their hostess — begun gradually to bring their friends. At the same time, by an enterprise equally progressive, but in the opposite direction, Mme. de Saint-Euverte had, year by year, reduced the number of persons unknown to the world of fashion. You had ceased to see first one of them, then another. For some time the ‘batch′ system was in operation, which enabled her, thanks to parties over which a veil of silence was drawn, to summon the inéligibles separately to entertain one another, which dispensed her from having to invite them with the nice people. What cause had they for complaint? Were they not given (panem et circenses) light refreshments and a select musical programme? And so, in a kind of symmetry with the two exiled duchesses whom, in years past, when the Saint-Euverte salon was only starting, one used to see holding up, like a pair of Caryatides, its unstable crest, in these later years one could distinguish, mingling with the fashionable throng, only two heterogeneous persons, old Mme. de Cambremer and the architect′s wife with a fine voice who was always having to be asked to sing. But, no longer knowing anybody at Mme. de Saint-Euverte′s, bewailing their lost comrades, feeling that they were in the way, they stood about with a frozen-to-death air, like two swallows that have not migrated in time. And so, the following year, they were not invited; Mme. de Franquetot made an attempt on behalf of her cousin, who was so fond of music. But as she could obtain for her no more explicit reply than the words: “Why, people can always come in and listen to music, if they like; there is nothing criminal about that!” Mme. de Cambremer did not find the invitation sufficiently pressing, and abstained.
Une telle transmutation, opérée par Mme de Saint–Euverte, d′un salon de lépreux en un salon de grandes dames (la dernière forme, en apparence ultra-chic, qu′il avait prise), on pouvait s′étonner que la personne qui donnait le lendemain la fête la plus brillante de la saison eût eu besoin de venir la veille adresser un suprême appel à ses troupes. Mais c′est que la prééminence du salon Saint–Euverte n′existait que pour ceux dont la vie mondaine consiste seulement à lire le compte rendu des matinées et soirées, dans le Gaulois ou le Figaro, sans être jamais allés à aucune. A ces mondains qui ne voient le monde que par le journal, l′énumération des ambassadrices d′Angleterre, d′Autriche, etc.; des duchesses d′Uzès, de La Trémoe, etc., etc., suffisait pour qu′ils s′imaginassent volontiers le salon Saint–Euverte comme le premier de Paris, alors qu′il était un des derniers. Non que les comptes rendus fussent mensongers. La plupart des personnes citées avaient bien été présentes. Mais chacune était venue à la suite d′implorations, de politesses, de services, et en ayant le sentiment d′honorer infiniment Mme de Saint–Euverte. De tels salons, moins recherchés que fuis, et où on va pour ainsi dire en service commandé, ne font illusion qu′aux lectrices de «Mondanités». Elles glissent sur une fête vraiment élégante, celle-là où la maîtresse de la maison, pouvant avoir toutes les duchesses, lesquelles brûlent d′être «parmi les élus», ne demandent qu′à deux ou trois, et ne font pas mettre le nom de leurs invités dans le journal. Aussi ces femmes, méconnaissant ou dédaignant le pouvoir qu′a pris aujourd′hui la publicité, sont-elles élégantes pour la reine d′Espagne, mais, méconnues de la foule, parce que la première sait et que la seconde ignore qui elles sont. Such a transformation having been effected by Mme. de Saint-Euverte, from a leper hospice to a gathering of great ladies (the latest form, apparently in the height of fashion, that it had assumed), it might seem odd that the person who on the following day was to give the most brilliant party of the season should need to appear overnight to address a last word of command to her troops. But the fact was that the pre-eminence of Mme. de Saint-Euverte′s drawing-room existed only for those whose social life consists entirely in reading the accounts of afternoon and evening parties in the Gaulois or Figaro, without ever having been present at one. To these worldlings who see the world only as reflected in the newspapers, the enumeration of the British, Austrian, etc., Ambassadresses, of the Duchesses d′Uzès, de la Trémoe, etc., etc., was sufficient to make them instinctively imagine the Saint-Euverte drawing-room to be the first in Paris, whereas it was among the last. Not that the reports were mendacious. The majority of the persons mentioned had indeed been present. But each of them had come in response to entreaties, civilities, services, and with the sense of doing infinite honour to Mme. de Saint-Euverte. Such drawing-rooms, shunned rather than sought after, to which people are so to speak roped in, deceive no one but the fair readers of the ‘Society′ column. They pass over a really fashionable party, the sort at which the hostess, who could have had all the duchesses in existence, they being athirst to be ‘numbered among the elect,′ invites only two or three and does not send any list of her guests to the papers. And so these hostesses, ignorant or contemptuous of the power that publicity has acquired to-day, are considered fashionable by the Queen of Spain but are overlooked by the crowd, because the former knows and the latter does not know who they are.
Mme de Saint–Euverte n′était pas de ces femmes, et en bonne butineuse elle venait cueillir pour le lendemain tout ce qui était invité. M. de Charlus ne l′était pas, il avait toujours refusé d′aller chez elle. Mais il était brouillé avec tant de gens, que Mme de Saint–Euverte pouvait mettre cela sur le compte du caractère. Mme. de Saint-Euverte was not one of these women, and, with an eye to the main chance, had come to gather up for the morrow everyone who had been invited. M. de Charlus was not among these, he had always refused to go to her house. But he had quarrelled with so many people that Mme. de Saint-Euverte might put this down to his peculiar nature.
Certes, s′il n′y avait eu là qu′Oriane, Mme de Saint–Euverte eût pu ne pas se déranger, puisque l′invitation avait été faite de vive voix, et d′ailleurs acceptée avec cette charmante bonne grâce trompeuse dans l′exercice de laquelle triomphent ces académiciens de chez lesquels le candidat sort attendri et ne doutant pas qu′il peut compter sur leur voix. Mais il n′y avait pas qu′elle. Le prince d′Agrigente viendrait-il? Et Mme de Durfort? Aussi, pour veiller au grain, Mme de Saint–Euverte avait-elle cru plus expédient de se transporter elle-même; insinuante avec les uns, impérative avec les autres, pour tous elle annonçait à mots couverts d′inimaginables divertissements qu′on ne pourrait revoir une seconde fois, et à chacun promettait qu′il trouverait chez elle la personne qu′il avait le désir, ou le personnage qu′il avait le besoin de rencontrer. Et cette sorte de fonction dont elle était investie pour une fois dans l′année — telles certaines magistratures du monde antique — de personne qui donnera le lendemain la plus considérable garden-party de la saison lui conférait une autorité momentanée. Ses listes étaient faites et closes, de sorte que, tout en parcourant les salons de la princesse avec lenteur pour verser successivement dans chaque oreille: «Vous ne m′oublierez pas demain», elle avait la gloire éphémère de détourner les yeux, en continuant à sourire, si elle apercevait un laideron à éviter ou quelque hobereau qu′une camaraderie de collège avait fait admettre chez «Gilbert», et duquel la présence à sa garden-party n′ajouterait rien. Elle préférait ne pas lui parler pour pouvoir dire ensuite: «J′ai fait mes invitations verbalement, et malheureusement je ne vous ai pas rencontré.» Ainsi elle, simple Saint–Euverte, faisait-elle de ses yeux fureteurs un «tri» dans la composition de la soirée de la princesse. Et elle se croyait, en agissant ainsi, une vraie duchesse de Guermantes. Assuredly, if it had been only Oriane, Mme. de Saint-Euverte need not have put herself to the trouble, for the invitation had been given by word of mouth, and, what was more, accepted with that charming, deceiving grace in the exercise of which those Academicians are unsurpassed from whose door the candidate emerges with a melting heart, never doubting that he can count upon their support. But there were others as well. The Prince d′Agrigente, would he come? And Mme. de Durfort? And so, with an eye to business, Mme. de Saint-Euverte had thought it expedient to appear on the scene in person. Insinuating with some, imperative with others, to all alike she hinted in veiled words at inconceivable attractions which could never be seen anywhere again, and promised each that he should find at her party the person he most wished, or the personage he most wanted to meet. And this sort of function with which she was invested on one day in the year — like certain public offices in the ancient world — of the person who is to give on the morrow the biggest garden-party of the season conferred upon her a momentary authority. Her lists were made up and closed, so that while she wandered slowly through the Princess′s rooms to drop into one ear after another: “You won′t forget about me to-morrow,” she had the ephemeral glory of turning away her eyes, while continuing to smile, if she caught sight of some horrid creature who was to be avoided or some country squire for whom the bond of a schoolboy friendship had secured admission to Gilbert′s, and whose presence at her garden-party would be no gain. She preferred not to speak to him, so as to be able to say later on: “I issued my invitations verbally, and unfortunately I didn′t see you anywhere.” And so she, a mere Saint-Euverte, set to work with her gimlet eyes to pick and choose among the guests at the Princess′s party. And she imagined herself, in so doing, to be every inch a Duchesse de Guermantes.
Il faut dire que celle-ci n′avait pas non plus tant qu′on pourrait croire la liberté de ses bonjours et de ses sourires. Pour une part, sans doute, quand elle les refusait, c′était volontairement: «Mais elle m′embête, disait-elle, est-ce que je vais être obligée de lui parler de sa soirée pendant une heure?» It must be admitted that the latter lady had not, either, whatever one might suppose, the unrestricted use of her greetings and smiles. To some extent, no doubt, when she withheld them, it was deliberately. “But the woman bores me to tears,” she would say, “am I expected to talk to her about her party for the next hour?”
On vit passer une duchesse fort noire, que sa laideur et sa bêtise, et certains écarts de conduite, avaient exilée non de la société, mais de certaines intimités élégantes. «Ah! susurra Mme de Guermantes, avec le coup d′oeil exact et désabusé du connaisseur à qui on montre un bijou faux, on reçoit ça ici!» Sur la seule vue de la dame à demi tarée, et dont la figure était encombrée de trop de grains de poils noirs, Mme de Guermantes cotait la médiocre valeur de cette soirée. Elle avait été élevée, mais avait cessé toutes relations avec cette dame; elle ne répondit à son salut que par un signe de tête des plus secs. «Je ne comprends pas, me dit-elle, comme pour s′excuser, que Marie–Gilbert nous invite avec toute cette lie. On peut dire qu′il y en a ici de toutes les paroisses. C′était beaucoup mieux arrangé chez Mélanie Pourtalès. Elle pouvait avoir le Saint–Synode et le Temple de l′Oratoire si ça lui plaisait, mais, au moins, on ne nous faisait pas venir ces jours-là.» Mais pour beaucoup, c′était par timidité, peur d′avoir une scène de son mari, qui ne voulait pas qu′elle reçût des artistes, etc. (Marie–Gilbert en protégeait beaucoup, il fallait prendre garde de ne pas être abordée par quelque illustre chanteuse allemande), par quelque crainte aussi à l′égard du nationalisme qu′en tant que, détenant, comme M. de Charlus, l′esprit des Guermantes, elle méprisait au point de vue mondain (on faisait passer maintenant, pour glorifier l′état-major, un général plébéien avant certains ducs) mais auquel pourtant, comme elle se savait cotée mal pensante, elle faisait de larges concessions, jusqu′à redouter d′avoir à tendre la main à Swann dans ce milieu antisémite. A cet égard elle fut vite rassurée, ayant appris que le Prince n′avait pas laissé entrer Swann et avait eu avec lui «une espèce d′altercation». Elle ne risquait pas d′avoir à faire publiquement la conversation avec «pauvre Charles» qu′elle préférait chérir dans le privé. A duchess of swarthy complexion went past, whom her ugliness and stupidity, and certain irregularities of behaviour, had exiled not from society as a whole but from certain small and fashionable circles. “Ah!” murmured Mme. de Guermantes, with the sharp, unerring glance of the connoisseur who is shewn a false jewel, “so they have that sort here?” By the mere sight of this semi-tarnished lady, whose face was burdened with a surfeit of moles from which black hairs sprouted, Mme. de Guermantes gauged the mediocre importance of this party. They had been brought up together, but she had severed all relations with the lady; and responded to her greeting only with the curtest little nod. “I cannot understand,” she said to me, “how Marie-Gilbert can invite us with all that scum. You might say there was a deputation of paupers from every parish. Mélanie Pourtalès arranged things far better. She could have the Holy Synod and the Oratoire Chapel in her house if she liked, but at least she didn′t invite us on the same day.” But, in many cases, it was from timidity, fear of a scene with her husband, who did not like her to entertain artists and such like (Marie-Gilbert took a kindly interest in dozens of them, you had to take care not to be accosted by some illustrious German diva), from some misgivings, too, with regard to Nationalist feeling, which, inasmuch as she was endowed, like M. de Charlus, with the wit of the Guermantes, she despised from the social point of view (people were now, for the greater glory of the General Staff, sending a plebeian general in to dinner before certain dukes), but to which, nevertheless, as she knew that she was considered unsound in her views, she made liberal concessions, even dreading the prospect of having to offer her hand to Swann in these anti-semitic surroundings. With regard to this, her mind was soon set at rest, for she learned that the Prince had refused to have Swann in the house, and had had ‘a sort of an altercation′ with him. There was no risk of her having to converse in public with ‘poor Charles,′ whom she preferred to cherish in private.
— Et qu′est-ce encore que celle-là? s′écria Mme de Guermantes en voyant une petite dame l′air un peu étrange, dans une robe noire tellement simple qu′on aurait dit une malheureuse, lui faire, ainsi que son mari, un grand salut. Elle ne la reconnut pas et, ayant de ces insolences, se redressa comme offensée, et regarda sans répondre, d′un air étonné: «Qu′est-ce que c′est que cette personne, Basin?» demanda-t-elle d′un air étonné, pendant que M. de Guermantes, pour réparer l′impolitesse d′Oriane, saluait la dame et serrait la main du mari. «Mais, c′est Mme de Chaussepierre, vous avez été très impolie. — Je ne sais pas ce que c′est Chaussepierre. — Le neveu de la vieille mère Chanlivault. — Je ne connais rien de tout ça. Qui est la femme, pourquoi me salue-t-elle? — Mais, vous ne connaissez que ça, c′est la fille de Mme de Charleval, Henriette Montmorency. — Ah! mais j′ai très bien connu sa mère, elle était charmante, très spirituelle. Pourquoi a-t-elle épousé tous ces gens que je ne connais pas? Vous dites qu′elle s′appelle Mme de Chaussepierre?» dit-elle en épelant ce dernier mot d′un air interrogateur et comme si elle avait peur de se tromper. Le duc lui jeta un regard dur. «Cela n′est pas si ridicule que vous avez l′air de croire de s′appeler Chaussepierre! Le vieux Chaussepierre était le frère de la Charleval déjà nommée, de Mme de Sennecour et de la vicomtesse du Merlerault. Ce sont des gens bien. — Ah! assez, s′écria la duchesse qui, comme une dompteuse, ne voulait jamais avoir l′air de se laisser intimider par les regards dévorants du fauve. Basin, vous faites ma joie. Je ne sais pas où vous avez été dénicher ces noms, mais je vous fais tous mes compliments. Si j′ignorais Chaussepierre, j′ai lu Balzac, vous n′êtes pas le seul, et j′ai même lu Labiche. J′apprécie Chanlivault, je ne hais pas Charleval, mais j′avoue que du Merlerault est le chef-d′oeuvre. Du reste, avouons que Chaussepierre n′est pas mal non plus. Vous avez collectionné tout ça, ce n′est pas possible. Vous qui voulez faire un livre, me dit-elle, vous devriez retenir Charleval et du Merlerault. Vous ne trouverez pas mieux. — Il se fera faire tout simplement procès, et il ira en prison; vous lui donnez de très mauvais conseils, Oriane. — J′espère pour lui qu′il a à sa disposition des personnes plus jeunes s′il a envie de demander de mauvais conseils, et surtout de les suivre. Mais s′il ne veut rien faire de plus mal qu′un livre!» Assez loin de nous, une merveilleuse et fière jeune femme se détachait doucement dans une robe blanche, toute en diamants et en tulle. Madame de Guermantes la regarda qui parlait devant tout un groupe aimanté par sa grâce. «Votre soeur est partout la plus belle; elle est charmante ce soir», dit-elle, tout en prenant une chaise, au prince de Chimay qui passait. Le colonel de Froberville (il avait pour oncle le général du même nom) vint s′asseoir à côté de nous, ainsi que M. de Bréauté, tandis que M. de Vaugoubert, se dandinant (par un excès de politesse qu′il gardait même quand il jouait au tennis où, à force de demander des permissions aux personnages de marque avant d′attraper la balle, il faisait inévitablement perdre la partie à son camp), retournait auprès de M. de Charlus (jusque-là quasi enveloppé par l′immense jupe de la comtesse Molé, qu′il faisait profession d′admirer entre toutes les femmes), et, par hasard, au moment où plusieurs membres d′une nouvelle mission diplomatique à Paris saluaient le baron. A la vue d′un jeune secrétaire à l′air particulièrement intelligent, M. de Vaugoubert fixa sur M. de Charlus un sourire où s′épanouissait visiblement une seule question. M. de Charlus eût peut-être volontiers compromis quelqu′un, mais se sentir, lui, compromis par ce sourire partant d′un autre et qui ne pouvait avoir qu′une signification, l′exaspéra. «Je n′en sais absolument rien, je vous prie de garder vos curiosités pour vous-même. Elles me laissent plus que froid. Du reste, dans le cas particulier, vous faites un impair de tout premier ordre. Je crois ce jeune homme absolument le contraire.» Ici, M. de Charlus, irrité d′avoir été dénoncé par un sot, ne disait pas la vérité. Le secrétaire eût, si le baron avait dit vrai, fait exception dans cette ambassade. Elle était, en effet, composée de personnalités fort différentes, plusieurs extrêmement médiocres, en sorte que, si l′on cherchait quel avait pu être le motif du choix qui s′était porté sur elles, on ne pouvait découvrir que l′inversion. En mettant à la tête de ce petit Sodome diplomatique un ambassadeur aimant au contraire les femmes avec une exagération comique de compère de revue, qui faisait manoeuvrer en règle son bataillon de travestis, on semblait avoir obéi à la loi des contrastes. Malgré ce qu′il avait sous les yeux, il ne croyait pas à l′inversion. Il en donna immédiatement la preuve en mariant sa soeur à un chargé d′affaires qu′il croyait bien faussement un coureur de poules. Dès lors il devint un peu gênant et fut bientôt remplacé par une Excellence nouvelle qui assura l′homogénéité de l′ensemble. D′autres ambassades cherchèrent à rivaliser avec celle-là, mais elles ne purent lui disputer le prix (comme au concours général, où un certain lycée l′a toujours) et il fallut que plus de dix ans se passassent avant que, des attachés hétérogènes s′étant introduits dans ce tout si parfait, une autre pût enfin lui arracher la funeste palme et marcher en tête. “And who in the world is that?” Mme. de Guermantes exclaimed, upon seeing a little lady with a slightly lost air, in a black gown so simple that you would have taken her for a pauper, greet her, as did also the lady′s husband, with a sweeping bow. She did not recognise the lady and, in her insolent way, drew herself up as though offended and stared at her without responding. “Who is that person, Basin?” she asked with an air of astonishment, while M. de Guermantes, to atone for Oriane′s impoliteness, was bowing to the lady and shaking hands with her husband. “Why, it is Mme. de Chaussepierre, you were most impolite.” “I have never heard of anybody called Chaussepierre.” “Old mother Chanlivault′s nephew.” “I haven′t the faintest idea what you′re talking about. Who is the woman, and why does she bow to me?” “But you know her perfectly, she′s Mme. de Charleval′s daughter, Henriette Montmorency.” “Oh, but I knew her mother quite well, she was charming, extremely intelligent. What made her go and marry all these people I never heard of? You say that she calls herself Mme. de Chaussepierre?” she said, isolating each syllable of the name with a questioning air, and as though she were afraid of making a mistake. “It is not so ridiculous as you appear to think, to call oneself Chaussepierre! Old Chaussepierre was the brother of the aforesaid Chanlivault, of Mme. de Sennecour and of the Vicomtesse de Merlerault. They′re a good family.” “Oh, do stop,” cried the Duchess, who, like a lion-tamer, never cared to appear to be allowing herself to be intimidated by the devouring glare of the animal. “Basin, you are the joy of my life. I can′t imagine where you picked up those names, but I congratulate you on them. If I did not know Chaussepierre, I have at least read Balzac, you are not the only one, and I have even read Labiche. I can appreciate Chanlivault, I do not object to Charleval, but I must confess that Merlerault is a masterpiece. However, let us admit that Chaussepierre is not bad either. You must have gone about collecting them, it′s not possible. You mean to write a book,” she turned to myself, “you ought to make a note of Charleval and Merlerault. You will find nothing better.” “He will find himself in the dock, and will go to prison; you are giving him very bad advice, Oriane.” “I hope, for his own sake, that he has younger people than me at his disposal if he wishes to ask for bad advice; especially if he means to follow it. But if he means to do nothing worse than write a book!” At some distance from us, a wonderful, proud young woman stood out delicately from the throng in a white dress, all diamonds and tulle. Madame de Guermantes watched her talking to a whole group of people fascinated by her grace. “Your sister is the belle of the ball, as usual; she is charming to-night,” she said, as she took a chair, to the Prince de Chimay who went past. Colonel de Froberville (the General of that name was his uncle) came and sat down beside us, as did M. de Bréauté, while M. de Vaugoubert, after hovering about us (by an excess of politeness which he maintained even when playing tennis when, by dint of asking leave of the eminent personages present before hitting the ball, he invariably lost the game for his partner) returned to M. de Charlus (until that moment almost concealed by the huge skirt of the Comtesse Mole, whom he professed to admire above all other women), and, as it happened, at the moment when several members of the latest diplomatic mission to Paris were greeting the Baron. At the sight of a young secretary with a particularly intelligent air, M. de Vaugoubert fastened on M. de Charlus a smile upon which there bloomed visibly one question only. M. de Charlus would, no doubt, readily have compromised some one else, but to feel himself compromised by this smile formed on another person′s lips, which, moreover, could have but one meaning, exasperated him. “I know absolutely nothing about the matter, I beg you to keep your curiosity to yourself. It leaves me more than cold. Besides, in this instance, you are making a mistake of the first order. I believe this young man to be absolutely the opposite.” Here M. de Charlus, irritated at being thus given away by a fool, was not speaking the truth. The secretary would, had the Baron been correct, have formed an exception to the rule of his Embassy. It was, as a matter of fact, composed of widely different personalities, many of them extremely second-rate, so that, if one sought to discover what could have been the motive of the selection that had brought them together, the only one possible seemed to be inversion. By setting at the head of this little diplomatic Sodom an Ambassador who on the contrary ran after women with the comic exaggeration of an old buffer in a revue, who made his battalion of male impersonators toe the line, the authorities seemed to have been obeying the law of contrasts. In spite of what he had beneath his nose, he did not believe in inversion. He gave an immediate proof of this by marrying his sister to a Chargé d′Affaires whom he believed, quite mistakenly, to be a womaniser. After this he became rather a nuisance and was soon replaced by a fresh Excellency who ensured the homogeneity of the party. Other Embassies sought to rival this one, but could never dispute the prize (as in the matriculation examinations, where a certain school always heads the list), and more than ten years had to pass before, heterogeneous attachés having been introduced into this too perfect whole, another might at last wrest the grim trophy from it and march at the head.
Rassurée sur la crainte d′avoir à causer avec Swann, Mme de Guermantes n′éprouvait plus que de la curiosité au sujet de la conversation qu′il avait eue avec le maître de maison. «Savez-vous à quel sujet? demanda le duc à M. de Bréauté. — J′ai entendu dire, répondit celui-ci, que c′était à propos d′un petit acte que l′écrivain Bergotte avait fait représenter chez eux. C′était ravissant, d′ailleurs. Mais il paraît que l′acteur s′était fait la tête de Gilbert, que, d′ailleurs, le sieur Bergotte aurait voulu en effet dépeindre. — Tiens, cela m′aurait amusée de voir contrefaire Gilbert, dit la duchesse en souriant rêveusement. — C′est sur cette petite représentation, reprit M. de Bréauté en avançant sa mâchoire de rongeur, que Gilbert a demandé des explications à Swann, qui s′est contenté de répondre, ce que tout le monde trouva très spirituel: «Mais, pas du tout, cela ne vous ressemble en rien, vous êtes bien plus ridicule que ça!» Il paraît, du reste, reprit M. de Bréauté, que cette petite pièce était ravissante. Mme Molé y était, elle s′est énormément amusée. — Comment, Mme Molé va là? dit la duchesse étonnée. Ah! c′est Mémé qui aura arrangé cela. C′est toujours ce qui finit par arriver avec ces endroits-là. Tout le monde, un beau jour, se met à y aller, et moi, qui me suis volontairement exclue par principe, je me trouve seule à m′ennuyer dans mon coin.» Déjà, depuis le récit que venait de leur faire M. de Bréauté, la duchesse de Guermantes (sinon sur le salon Swann, du moins sur l′hypothèse de rencontrer Swann dans un instant) avait, comme on voit, adopté un nouveau point de vue. «L′explication que vous nous donnez, dit à M. de Bréauté le colonel de Froberville, est de tout point controuvée. J′ai mes raisons pour le savoir. Le Prince a purement et simplement fait une algarade à Swann et lui a fait assavoir, comme disaient nos pères, de ne plus avoir à se montrer chez lui, étant donné les opinions qu′il affiche. Et, selon moi, mon oncle Gilbert a eu mille fois raison, non seulement de faire cette algarade, mais aurait dû en finir il y a plus de six mois avec un dreyfusard avéré.» Reassured as to her fear of having to talk to Swann, Mme. de Guermantes felt now merely curious as to the subject of the conversation he had had with their host. “Do you know what it was about?” the Duke asked M. de Bréauté. “I did hear,” the other replied, “that it was about a little play which the writer Bergotte produced at their house. It was a delightful show, as it happens. But it seems the actor made up as Gilbert, whom, as it happens, Master Bergotte had intended to take off.” “Oh, I should have loved to see Gilbert taken off,” said the Duchess, with a dreamy smile. “It was about this little performance,” M. de Bréauté went on, thrusting forward his rodent jaw, “that Gilbert demanded an explanation from Swann, who merely replied what everyone thought very witty: ‘Why, not at all, it wasn′t the least bit like you, you are far funnier!′ It appears, though,” M. de Bréauté continued, “that the little play was quite delightful. Mme. Molé was there, she was immensely amused.” “What, does Mme. Molé go there?” said the Duchess in astonishment. “Ah! That must be Mémé‘s doing. That is what always happens, in the end, to that sort of house. One fine day everybody begins to flock to it, and I, who have deliberately remained aloof, upon principle, find myself left to mope alone in my corner.” Already, since M. de Bréauté‘s speech, the Duchesse de Guermantes (with regard if not to Swann′s house, at least to the hypothesis of encountering him at any moment) had, as we see, adopted a fresh point of view. “The explanation that you have given us,” said Colonel de Froberville to M. de Bréauté, “is entirely unfounded. I have good reason to know. The Prince purely and simply gave Swann a dressing down and would have him to know, as our forebears used to say, that he was not to shew his face in the house again, seeing the opinions he flaunts. And, to my mind, my uncle Gilbert was right a thousand times over, not only in giving Swann a piece of his mind, he ought to have finished six months ago with an out-and-out Dreyfusard.”
Le pauvre M. de Vaugoubert, devenu cette fois-ci de trop lambin joueur de tennis une inerte balle de tennis elle-même qu′on lance sans ménagements, se trouva projeté vers la duchesse de Guermantes, à laquelle il présenta ses hommages. Il fut assez mal reçu, Oriane vivant dans la persuasion que tous les diplomates — ou hommes politiques — de son monde étaient des nigauds. Poor M. de Vaugoubert, changed now from a too cautious tennis-player to a mere inert tennis ball which is tossed to and fro without compunction, found himself projected towards the Duchesse de Guermantes to whom he made obeisance. He was none too well received, Oriane living in the belief that all the diplomats — or politicians — of her world were nincompoops.
M. de Froberville avait forcément bénéficié de la situation de faveur qui depuis peu était faite aux militaires dans la société. Malheureusement, si la femme qu′il avait épousée était parente très véritable des Guermantes, c′en était une aussi extrêmement pauvre, et comme lui-même avait perdu sa fortune, ils n′avaient guère de relations et c′étaient de ces gens qu′on laissait de côté, hors des grandes occasions, quand ils avaient la chance de perdre ou de marier un parent. Alors, ils faisaient vraiment partie de la communion du grand monde, comme les catholiques de nom qui ne s′approchent de la sainte Table qu′une fois l′an. Leur situation matérielle eût même été malheureuse si Mme de Saint–Euverte, fidèle à l′affection qu′elle avait eue pour feu le général de Froberville, n′avait pas aidé de toutes façons le ménage, donnant des toilettes et des distractions aux deux petites filles. Mais le colonel, qui passait pour un bon garçon, n′avait pas l′âme reconnaissante. Il était envieux des splendeurs d′une bienfaitrice qui les célébrait elle-même sans trêve et sans mesure. La garden-party était pour lui, sa femme et ses enfants, un plaisir merveilleux qu′ils n′eussent pas voulu manquer pour tout l′or du monde, mais un plaisir empoisonné par l′idée des joies d′orgueil qu′en tirait Mme de Saint–Euverte. L′annonce de cette garden-party dans les journaux qui, ensuite, après un récit détaillé, ajoutaient machiavéliquement: «Nous reviendrons sur cette belle fête», les détails complémentaires sur les toilettes, donnés pendant plusieurs jours de suite, tout cela faisait tellement mal aux Froberville, qu′eux, assez sevrés de plaisirs et qui savaient pouvoir compter sur celui de cette matinée, en arrivaient chaque année à souhaiter que le mauvais temps en gênât la réussite, à consulter le baromètre et à anticiper avec délices les prémices d′un orage qui pût faire rater la fête. M. de Froberville had greatly benefited by the social privileges that had of late been accorded to military men. Unfortunately, if the wife of his bosom was a quite authentic relative of the Guermantes, she was also an extremely poor one, and, as he himself had lost his fortune, they went scarcely anywhere, and were the sort of people who were apt to be overlooked except on great occasions, when they had the good fortune to bury or marry a relative. Then, they did really enter into communion with the world of fashion, like those nominal Catholics who approach the holy table but once in the year. Their material situation would indeed have been deplorable had not Mme. de Saint-Euverte, faithful to her affection for the late General de Froberville, done everything to help the household, providing frocks and entertainments for the two girls. But the Colonel, though generally considered a good fellow, had not the spirit of gratitude. He was envious of the splendours of a benefactress who extolled them herself without pause or measure. The annual garden party was for him, his wife and children a marvellous pleasure which they would not have missed for all the gold in the world, but a pleasure poisoned by the thought of the joys of satisfied pride that Mme. de Saint-Euverte derived from it. The accounts of this garden party in the newspapers, which, after giving detailed reports, would add with Machiavellian guile: “We shall refer again to this brilliant gathering,” the complementary details of the women′s costume, appearing for several days in succession, all this was so obnoxious to the Frobervilles, that they, cut off from most pleasures and knowing that they could count upon the pleasure of this one afternoon, were moved every year to hope that bad weather would spoil the success of the party, to consult the barometer and to anticipate with ecstasy the threatenings of a storm that might ruin everything.
— Je ne discuterai pas politique avec vous, Froberville, dit M. de Guermantes, mais, pour ce qui concerne Swann, je peux dire franchement que sa conduite à notre égard a été inqualifiable. Patronné jadis dans le monde par nous, par le duc de Chartres, on me dit qu′il est ouvertement dreyfusard. Jamais je n′aurais cru cela de lui, de lui un fin gourmet, un esprit positif, un collectionneur, un amateur de vieux livres, membre du Jockey, un homme entouré de la considération générale, un connaisseur de bonnes adresses qui nous envoyait le meilleur porto qu′on puisse boire, un dilettante, un père de famille. Ah! j′ai été bien trompé. Je ne parle pas de moi, il est convenu que je suis une vieille bête, dont l′opinion ne compte pas, une espèce de va-nu-pieds, mais rien que pour Oriane, il n′aurait pas dû faire cela, il aurait dû désavouer ouvertement les Juifs et les sectateurs du condamné. “I shall not discuss politics with you, Froberville,” said M. de Guermantes, “but, so far as Swann is concerned, I can tell you frankly that his conduct towards ourselves has been beyond words. Introduced into society, in the past, by ourselves, by the Duc de Chartres, they tell me now that he is openly a Dreyfusard. I should never have believed it of him, an epicure, a man of practical judgment, a collector, who goes in for old books, a member of the Jockey, a man who enjoys the respect of all that know him, who knows all the good addresses, and used to send us the best port wine you could wish to drink, a dilettante, the father of a family. Oh! I have been greatly deceived. I do not complain for myself, it is understood that I am only an old fool, whose opinion counts for nothing, mere rag tag and bobtail, but if only for Oriane′s sake, he ought to have openly disavowed the Jews and the partisans of the man Dreyfus.
«Oui, après l′amitié que lui a toujours témoignée ma femme, reprit le duc, qui considérait évidemment que condamner Dreyfus pour haute trahison, quelque opinion qu′on eût dans son for intérieur sur sa culpabilité, constituait une espèce de remerciement pour la façon dont on avait été reçu dans le faubourg Saint–Germain, il aurait dû se désolidariser. Car, demandez à Oriane, elle avait vraiment de l′amitié pour lui.» La duchesse, pensant qu′un ton ingénu et calme donnerait une valeur plus dramatique et sincère à ses paroles, dit d′une voix d′écolière, comme laissant sortir simplement la vérité de sa bouche et en donnant seulement à ses yeux une expression un peu mélancolique: «Mais c′est vrai, je n′ai aucune raison de cacher que j′avais une sincère affection pour Charles! — Là, vous voyez, je ne lui fais pas dire. Et après cela, il pousse l′ingratitude jusqu′à être dreyfusard!» “Yes, after the friendship my wife has always shewn him,” went on the Duke, who evidently considered that to denounce Dreyfus as guilty of high treason, whatever opinion one might hold in one′s own conscience as to his guilt, constituted a sort of thank-offering for the manner in which one had been received in the Faubourg Saint-Germain, “he ought to have disassociated himself. For, you can ask Oriane, she had a real friendship for him.” The Duchess, thinking that an ingenuous, calm tone would give a more dramatic and sincere value to her words, said in a schoolgirl voice, as though she were simply letting the truth fall from her lips, merely giving a slightly melancholy expression to her eyes: “It is quite true, I have no reason to conceal the fact that I did feel a sincere affection for Charles!” “There, you see, I don′t have to make her say it. And after that, he carries his ingratitude to the point of being a Dreyfusard!”
«A propos de dreyfusards, dis-je, il paraît que le prince Von l′est — Ah! vous faites bien de me parler de lui, s′écria M. de Guermantes, j′allais oublier qu′il m′a demandé de venir dîner lundi. Mais, qu′il soit dreyfusard ou non, cela m′est parfaitement égal puisqu′il est étranger. Je m′en fiche comme de colin-tampon. Pour un Français, c′est autre chose. Il est vrai que Swann est juif. Mais jusqu′à ce jour — excusez-moi, Froberville — j′avais eu la faiblesse de croire qu′un juif peut être Français, j′entends un juif honorable, homme du monde. Or Swann était cela dans toute la force du terme. Hé bien! il me force à reconnaître que je me suis trompé, puisqu′il prend parti pour ce Dreyfus (qui, coupable ou non, ne fait nullement partie de son milieu, qu′il n′aurait jamais rencontré) contre une société qui l′avait adopté, qui l′avait traité comme un des siens. Il n′y a pas à dire, nous nous étions tous portés garants de Swann, j′aurais répondu de son patriotisme comme du mien. Ah! il nous récompense bien mal. J′avoue que de sa part je ne me serais jamais attendu à cela. Je le jugeais mieux. Il avait de l′esprit (dans son genre, bien entendu). Je sais bien qu′il avait déjà fait l′insanité de son honteux mariage. Tenez, savez-vous quelqu′un à qui le mariage de Swann a fait beaucoup de peine? C′est à ma femme. Oriane a souvent ce que j′appellerai une affectation d′insensibilité. Mais au fond, elle ressent avec une force extraordinaire.» Mme de Guermantes, ravie de cette analyse de son caractère, l′écoutait d′un air modeste mais ne disait pas un mot, par scrupule d′acquiescer à l′éloge, surtout par peur de l′interrompre. M. de Guermantes aurait pu parler une heure sur ce sujet qu′elle eût encore moins bougé que si on lui avait fait de la musique. «Hé bien! je me rappelle, quand elle a appris le mariage de Swann, elle s′est sentie froissée; elle a trouvé que c′était mal de quelqu′un à qui nous avions témoigné tant d′amitié. Elle aimait beaucoup Swann; elle a eu beaucoup de chagrin. N′est-ce pas Oriane?» Mme de Guermantes crut devoir répondre à une interpellation aussi directe sur un point de fait qui lui permettrait, sans en avoir l′air, de confirmer des louanges qu′elle sentait terminées. D′un ton timide et simple, et un air d′autant plus appris qu′il voulait paraître «senti», elle dit avec une douceur réservée: «C′est vrai, Basin ne se trompe pas. — Et pourtant ce n′était pas encore la même chose. Que voulez-vous, l′amour est l′amour quoique, à mon avis, il doive rester dans certaines bornes. J′excuserais encore un jeune homme, un petit morveux, se laissant emballer par les utopies. Mais Swann, un homme intelligent, d′une délicatesse éprouvée, un fin connaisseur en tableaux, un familier du duc de Chartres, de Gilbert lui-même!» Le ton dont M. de Guermantes disait cela était d′ailleurs parfaitement sympathique, sans ombre de la vulgarité qu′il montrait trop souvent. Il parlait avec une tristesse légèrement indignée, mais tout en lui respirait cette gravité douce qui fait le charme onctueux et large de certains personnages de Rembrandt, le bourgmestre Six par exemple. On sentait que la question de l′immoralité de la conduite de Swann dans l′Affaire ne se posait même pas pour le duc, tant elle faisait peu de doute; il en ressentait l′affliction d′un père voyant un de ses enfants, pour l′éducation duquel il a fait les plus grands sacrifices, ruiner volontairement la magnifique situation qu′il lui a faite et déshonorer, par des frasques que les principes ou les préjugés de la famille ne peuvent admettre, un nom respecté. Il est vrai que M. de Guermantes n′avait pas manifesté autrefois un étonnement aussi profond et aussi douloureux quand il avait appris que Saint–Loup était dreyfusard. Mais d′abord il considérait son neveu comme un jeune homme dans une mauvaise voie et de qui rien, jusqu′à ce qu′il se soit amendé, ne saurait étonner, tandis que Swann était ce que M. de Guermantes appelait «un homme pondéré, un homme ayant une position de premier ordre». Ensuite et surtout, un assez long temps avait passé pendant lequel, si, au point de vue historique, les événements avaient en partie semblé justifier la thèse dreyfusiste, l′opposition antidreyfusarde avait redoublé de violence, et de purement politique d′abord était devenue sociale. C′était maintenant une question de militarisme, de patriotisme, et les vagues de colère soulevées dans la société avaient eu le temps de prendre cette force qu′elles n′ont jamais au début d′une tempête. «Voyez-vous, reprit M. de Guermantes, même au point de vue de ses chers juifs, puisqu′il tient absolument à les soutenir, Swann a fait une boulette d′une portée incalculable. Il prouve qu′ils sont en quelque sorte forcés de prêter appui à quelqu′un de leur race, même s′ils ne le connaissent pas. C′est un danger public. Nous avons évidemment été trop coulants, et la gaffe que commet Swann aura d′autant plus de retentissement qu′il était estimé, même reçu, et qu′il était à peu près le seul juif qu′on connaissait. On se dira: Ab uno disce omnes.» (La satisfaction d′avoir trouvé à point nommé, dans sa mémoire, une citation si opportune éclaira seule d′un orgueilleux sourire la mélancolie du grand seigneur trahi.) “Talking of Dreyfusards,” I said, “it appears, Prince Von is one.” “Ah, I am glad you reminded me of him,” exclaimed M. de Guermantes, “I was forgetting that he had asked me to dine with him on Monday. But whether he is a Dreyfusard or not is entirely immaterial, since he is a foreigner. I don′t give two straws for his opinion. With a Frenchman, it is another matter. It is true that Swann is a Jew. But, until to-day — forgive me, Froberville — I have always been foolish enough to believe that a Jew can be a Frenchman, that is to say, an honourable Jew, a man of the world. Now, Swann was that in every sense of the word. Ah, well! He forces me to admit that I have been mistaken, since he has taken the side of this Dreyfus (who, guilty or not, never moved in his world, he cannot ever have met him) against a society that had adopted him, had treated him as one of ourselves. It goes without saying, we were all of us prepared to vouch for Swann, I would have answered for his patriotism as for my own. Ah! He is rewarding us very badly: I must confess that I should never have expected such a thing from him. I thought better of him. He was a man of intelligence (in his own line, of course). I know that he had already made that insane, disgraceful marriage. By which token, shall I tell you some one who was really hurt by Swann′s marriage: my wife. Oriane often has what I might call an affectation of insensibility. But at heart she feels things with extraordinary keenness.” Mme. de Guermantes, delighted by this analysis of her character, listened to it with a modest air but did not utter a word, from a scrupulous reluctance to acquiesce in it, but principally from fear of cutting it short. M. de Guermantes might have gone on talking for an hour on this subject, she would have sat as still, or even stiller than if she had been listening to music. “Very well! I remember, when she heard of Swann′s marriage, she felt hurt; she considered that it was wrong in a person to whom we had given so much friendship. She was very fond of Swann; she was deeply grieved. Am I not right, Oriane?” Mme. de Guermantes felt that she ought to reply to so direct a challenge, upon a point of fact, which would allow her, unobtrusively, to confirm the tribute which, she felt, had come to an end. In a shy and simple tone, and with an air all the more studied in that it sought to shew genuine ‘feeling,′ she said with a meek reserve, “It is true, Basin is quite right.” “Still, that was not quite the same. After all, love is love, although, in my opinion, it ought to confine itself within certain limits. I might excuse a young fellow, a mere boy, for letting himself be caught by an infatuation. But Swann, a man of intelligence, of proved refinement, a good judge of pictures, an intimate friend of the Duc de Chartres, of Gilbert himself!” The tone in which M. de Guermantes said this was, for that matter, quite inoffensive, without a trace of the vulgarity which he too often shewed. He spoke with a slightly indignant melancholy, but everything about him was steeped in that gentle gravity which constitutes the broad and unctuous charm of certain portraits by Rembrandt, that of the Burgomaster Six, for example. One felt that the question of the immorality of Swann′s conduct with regard to ‘the Case′ never even presented itself to the Duke, so confident was he of the answer; it caused him the grief of a father who sees one of his sons, for whose education he has made the utmost sacrifices, deliberately ruin the magnificent position he has created for him and dishonour, by pranks which the principles or prejudices of his family cannot allow, a respected name. It is true that M. de Guermantes had not displayed so profound and pained an astonishment when he learned that Saint-Loup was a Dreyfusard. But, for one thing, he regarded his nephew as a young man gone astray, as to whom nothing, until he began to mend his ways, could be surprising, whereas Swann was what M. de Guermantes called ‘a man of weight, a man occupying a position in the front rank.′ Moreover and above all, a considerable interval of time had elapsed during which, if, from the historical point of view, events had, to some extent, seemed to justify the Dreyfusard argument, the anti-Dreyfusard opposition had doubled its violence, and, from being purely political, had become social. It was now a question of militarism, of patriotism, and the waves of anger that had been stirred up in society had had time to gather the force which they never have at the beginning of a storm. “Don′t you see,” M. de Guermantes went on, “even from the point of view of his beloved Jews, since he is absolutely determined to stand by them, Swann has made a blunder of an incalculable magnitude. He has shewn that they are to some extent forced to give their support to anyone of their own race, even if they do not know him personally. It is a public danger. We have evidently been too easy going, and the mistake Swann is making will create all the more stir since he was respected, not to say received, and was almost the only Jew that anyone knew. People will say: Ab uno disce omnes.” (His satisfaction at having hit, at the right moment, in his memory, upon so apt a quotation, alone brightened with a proud smile the melancholy of the great nobleman conscious of betrayal.)
J′avais grande envie de savoir ce qui s′était exactement passé entre le Prince et Swann et de voir ce dernier, s′il n′avait pas encore quitté la soirée. «Je vous dirai, me répondit la duchesse, à qui je parlais de ce désir, que moi je ne tiens pas excessivement à le voir parce qu′il paraît, d′après ce qu′on m′a dit tout à l′heure chez Mme de Saint–Euverte, qu′il voudrait avant de mourir que je fasse la connaissance de sa femme et de sa fille. Mon Dieu, ce me fait une peine infinie qu′il soit malade, mais d′abord j′espère que ce n′est pas aussi grave que ça. Et puis enfin ce n′est tout de même pas une raison, parce que ce serait vraiment trop facile. Un écrivain sans talent n′aurait qu′à dire: «Votez pour moi à l′Académie parce que ma femme va mourir et que je veux lui donner cette dernière joie.» Il n′y aurait plus de salons si on était obligé de faire la connaissance de tous les mourants. Mon cocher pourrait me faire valoir: «Ma fille est très mal, faites-moi recevoir chez la princesse de Parme.» J′adore Charles, et cela me ferait beaucoup de chagrin de lui refuser, aussi est-ce pour cela que j′aime mieux éviter qu′il me le demande. J′espère de tout mon coeur qu′il n′est pas mourant, comme il le dit, mais vraiment, si cela devait arriver, ce ne serait pas le moment pour moi de faire la connaissance de ces deux créatures qui m′ont privée du plus agréable de mes amis pendant quinze ans, et qu′il me laisserait pour compte une fois que je ne pourrais même pas en profiter pour le voir lui, puisqu′il serait mort!» I was longing to know what exactly had happened between the Prince and Swann, and to catch the latter, if he had not already gone home. “I don′t mind telling you,” the Duchess answered me when I spoke to her of this desire, “that I for my part am not overanxious to see him, because it appears, by what I was told just now at Mme. de Saint-Euverte′s, that he would like me before he dies to make the acquaintance of his wife and daughter. Good heavens, it distresses me terribly that he should be ill, but, I must say, I hope it is not so serious as all that. And besides, it is not really a reason at all, because if it were it would be so childishly simple. A writer with no talent would have only to say: ‘Vote for me at the Academy because my wife is dying and I wish to give her this last happiness.′ There would be no more entertaining if one was obliged to make friends with all the dying people. My coachman might come to me with: ‘My daughter is seriously ill, get me an invitation to the Princesse de Parme′s.′ I adore Charles, and I should hate having to refuse him, and so that is why I prefer to avoid the risk of his asking me. I hope with all my heart that he is not dying, as he says, but really, if it has to happen, it would not be the moment for me to make the acquaintance of those two creatures who have deprived me of the most amusing of my friends for the last fifteen years, with the additional disadvantage that I should not even be able to make use of their society to see him, since he would be dead!”
Mais M. de Bréauté n′avait cessé de ruminer le démenti que lui avait infligé le colonel de Froberville. — Je ne doute pas de l′exactitude de votre récit, mon cher ami, dit-il, mais je tenais le mien de bonne source. C′est le prince de La Tour d′Auvergne qui me l′avait narré. Meanwhile M. de Bréauté had not ceased to ruminate the contradiction of his story by Colonel de Froberville. “I do not question the accuracy of your version, my dear fellow,” he said, “but I had mine from a good source. It was the Prince de la Tour d′Auvergne who told me.”
— Je m′étonne qu′un savant comme vous dise encore le prince de La Tour d′Auvergne, interrompit le duc de Guermantes, vous savez qu′il ne l′est pas le moins du monde. Il n′y a plus qu′un seul membre de cette famille: c′est l′oncle d′Oriane, le duc de Bouillon. “I am surprised that an educated man like yourself should still say ‘Prince de la Tour d′Auvergne,′” the Duc de Guermantes broke in, “you know that he is nothing of the kind. There is only one member of that family left. Oriane′s uncle, the Duc de Bouillon.”
— Le frère de Mme de Villeparisis? demandai-je, me rappelant que celle-ci était une demoiselle de Bouillon. — Parfaitement. Oriane, Mme de Lambresac vous dit bonjour. En effet, on voyait par moments se former et passer comme une étoile filante un faible sourire destiné par la duchesse de Lambresac à quelque personne qu′elle avait reconnue. Mais ce sourire, au lieu de se préciser en une affirmation active, en un langage muet mais clair, se noyait presque aussitôt en une sorte d′extase idéale qui ne distinguait rien, tandis que la tête s′inclinait en un geste de bénédiction béate rappelant celui qu′incline vers la foule des communiantes un prélat un peu ramolli. Mme de Lambresac ne l′était en aucune façon. Mais je connaissais déjà ce genre particulier de distinction désuète. A Combray et à Paris, toutes les amies de ma grand′mère avaient l′habitude de saluer, dans une réunion mondaine, d′un air aussi séraphique que si elles avaient aperçu quelqu′un de connaissance à l′église, au moment de l′Élévation ou pendant un enterrement, et lui jetaient mollement un bonjour qui s′achevait en prière. Or, une phrase de M. de Guermantes allait compléter le rapprochement que je faisais. «Mais vous avez vu le duc de Bouillon, me dit M. de Guermantes. Il sortait tantôt de ma bibliothèque comme vous y entriez, un monsieur court de taille et tout blanc.» C′était celui que j′avais pris pour un petit bourgeois de Combray, et dont maintenant, à la réflexion, je dégageais la ressemblance avec Mme de Villeparisis. La similitude des saluts évanescents de la duchesse de Lambresac avec ceux des amies de ma grand′mère avait commencé de m′intéresser en me montrant que dans les milieux étroits et fermés, qu′ils soient de petite bourgeoisie ou de grandes noblesse, les anciennes manières persistent, nous permettant comme à un archéologue de retrouver ce que pouvait être l′éducation et la part d′âme qu′elle reflète, au temps du vicomte d′Arlincourt et de Lo Puget. Mieux maintenant la parfaite conformité d′apparence entre un petit bourgeois de Combray de son âge et le duc de Bouillon me rappelait (ce qui m′avait déjà tant frappé quand j′avais vu le grand-père maternel de Saint–Loup, le duc de La Rochefoucauld, sur un daguerréotype où il était exactement pareil comme vêtements, comme air et comme façons à mon grand-oncle) que les différences sociales, voire individuelles, se fondent à distance dans l′uniformité d′une époque. La vérité est que la ressemblance des vêtements et aussi la réverbération par le visage de l′esprit de l′époque tiennent, dans une personne, une place tellement plus importante que sa caste, en occupent une grande seulement dans l′amour-propre de l′intéressé et l′imagination des autres, que, pour se rendre compte qu′un grand seigneur du temps de Louis–Philippe est moins différent d′un bourgeois du temps de Louis–Philippe que d′un grand seigneur du temps de Louis XV, il n′est pas nécessaire de parcourir les galeries du Louvre. “The brother of Mme. de Villeparisis?” I asked, remembering that she had been Mlle. de Bouillon. “Precisely. Oriane, Mme. de Lambresac is bowing to you.” And indeed, one saw at certain moments form and fade like a shooting star a faint smile directed by the Duchesse de Lambresac at somebody whom she had recognised. But this smile, instead of taking definite shape in an active affirmation, in a language mute but clear, was drowned almost immediately in a sort of ideal ecstasy which expressed nothing, while her head drooped in a gesture of blissful benediction, recalling the inclination towards the crowd of communicants of the head of a somewhat senile prelate. There was not the least trace of senility about Mme. de Lambresac. But I was acquainted already with this special type of old-fashioned distinction. At Combray and in Paris, all my grandmother′s friends were in the habit of greeting one another at a social gathering with as seraphic an air as if they had caught sight of some one of their acquaintance in church, at the moment of the Elevation or during a funeral, and were casting him a gentle ‘Good morning′ which ended in prayer. At this point a remark made by M. de Guermantes was to complete the likeness that I was tracing. “But you have seen the Duc de Bouillon,” he said to me. “He was just going out of my library this afternoon as you came in, a short person with white hair.” It was the person whom I had taken for a man of business from Combray, and yet, now that I came to think it over, I could see the resemblance to Mme. de Villeparisis. The similarity between the evanescent greetings of the Duchesse de Lambresac and those of my grandmother′s friends had first aroused my interest, by shewing me how in all narrow and exclusive societies, be they those of the minor gentry or of the great nobility, the old manners persist, allowing us to recapture, like an archaeologist, what might have been the standard of upbringing, and the side of life which it reflects, in the days of the Vicomte d′Arlincourt and Lo Puget. Better still now, the perfect conformity in appearance between a man of business from Combray of his generation and the Duc de Bouillon reminded me of what had already struck me so forcibly when I had seen Saint-Loup′s maternal grandfather, the Duc de La Rochefoucauld, in a daguerreotype in which he was exactly similar, in dress, air and manner, to my great-uncle, that social, and even individual differences are merged when seen from a distance in the uniformity of an epoch. The truth is that the similarity of dress, and also the reflexion, from a person′s face, of the spirit of his age occupy so much more space than his caste, which bulks largely only in his own self-esteem and the imagination of other people, that in order to discover that a great nobleman of the time of Louis Philippe differs less from a citizen of the time of Louis Philippe than from a great nobleman of the time of Louis XV, it is not necessary to visit the galleries of the Louvre.
A ce moment, un musicien bavarois à grands cheveux, que protégeait la princesse de Guermantes, salua Oriane. Celle-ci répondit par une inclinaison de tête, mais le duc, furieux de voir sa femme dire bonsoir à quelqu′un qu′il ne connaissait pas, qui avait une touche singulière, et qui, autant que M. de Guermantes croyait le savoir, avait fort mauvaise réputation, se retourna vers sa femme d′un air interrogateur et terrible, comme s′il disait: «Qu′est-ce que c′est que cet ostrogoth-là?» La situation de la pauvre Mme de Guermantes était déjà assez compliquée, et si le musicien eût eu un peu pitié de cette épouse martyre, il se serait au plus vite éloigné. Mais, soit désir de ne pas rester sur l′humiliation qui venait de lui être infligée en public, au milieu des plus vieux amis du cercle du duc, desquels la présence avait peut-être bien motivé un peu sa silencieuse inclinaison, et pour montrer que c′était à bon droit, et non sans la connaître, qu′il avait salué Mme de Guermantes, soit obéissant à l′inspiration obscure et irrésistible de la gaffe qui le poussa — dans un moment où il eût dû se fier plutôt à l′esprit —à appliquer la lettre même du protocole, le musicien s′approcha davantage de Mme de Guermantes et lui dit: «Madame la duchesse, je voudrais solliciter l′honneur d′être présenté au duc.» Mme de Guermantes était bien malheureuse. Mais enfin, elle avait beau être une épouse trompée, elle était tout de même la duchesse de Guermantes et ne pouvait avoir l′air d′être dépouillée de son droit de présenter à son mari les gens qu′elle connaissait. «Basin, dit-elle, permettez-moi de vous présenter M. d′Herweck.» At that moment, a Bavarian musician with long hair, whom the Princesse de Guermantes had taken under her wing, bowed to Oriane. She responded with an inclination of her head, but the Duke, furious at seeing his wife bow to a person whom he did not know, who had a curious style, and, so far as M. de Guermantes understood, an extremely bad reputation, turned upon his wife with a terrible inquisitorial air, as much as to say: “Who in the world is that Ostrogoth?” Poor Mme. de Guermantes′s position was already distinctly complicated, and if the musician had felt a little pity for this martyred wife, he would have made off as quickly as possible. But, whether from a desire not to remain under the humiliation that had just been inflicted on him in public, before the eyes of the Duke′s oldest and most intimate friends, whose presence there had perhaps been responsible to some extent for his silent bow, and to shew that it was on the best of grounds and not without knowing her already that he had greeted the Duchesse de Guermantes, or else in obedience to the obscure but irresistible impulse to commit a blunder which drove him — at a moment when he ought to have trusted to the spirit — to apply the whole letter of the law, the musician came closer to Mme. de Guermantes and said to her: “Madame la Duchesse, I should like to request the honour of being presented to the Duke.” Mme. de Guermantes was indeed in a quandary. But after all, she might well be a forsaken wife, she was still Duchesse de Guermantes and could not let herself appear to have forfeited the right to introduce to her husband the people whom she knew. “Basin,” she said, “allow me to present to you M. d′Herweck.”
— Je ne vous demande pas si vous irez demain chez Mme de Saint–Euverte, dit le colonel de Froberville à Mme de Guermantes pour dissiper l′impression pénible produite par la requête intempestive de M. d′Herweck. Tout Paris y sera. Cependant, se tournant d′un seul mouvement et comme d′une seule pièce vers le musicien indiscret, le duc de Guermantes, faisant front, monumental, muet, courroucé, pareil à Jupiter tonnant, resta immobile ainsi quelques secondes, les yeux flambant de colère et d′étonnement, ses cheveux crespelés semblant sortir d′un cratère. Puis, comme dans l′emportement d′une impulsion qui seule lui permettait d′accomplir la politesse qui lui était demandée, et après avoir semblé par son attitude de défi attester toute l′assistance qu′il ne connaissait pas le musicien bavarois, croisant derrière le dos ses deux mains gantées de blanc, il se renversa en avant et asséna au musicien un salut si profond, empreint de tant de stupéfaction et de rage, si brusque, si violent, que l′artiste tremblant recula tout en s′inclinant pour ne pas recevoir un formidable coup de tête dans le ventre. «Mais c′est que justement je ne serai pas à Paris, répondit la duchesse au colonel de Froberville. Je vous dirai (ce que je ne devrais pas avouer) que je suis arrivée à mon âge sans connaître les vitraux de Montfort-l′Amaury. C′est honteux, mais c′est ainsi. Alors pour réparer cette coupable ignorance, je me suis promis d′aller demain les voir.» M. de Bréauté sourit finement. Il comprit en effet que, si la duchesse avait pu rester jusqu′à son âge sans connaître les vitraux de Montfort-l′Amaury, cette visite artistique ne prenait pas subitement le caractère urgent d′une intervention «à chaud» et eût pu sans péril, après avoir été différée pendant plus de vingt-cinq ans, être reculée de vingt-quatre heures. Le projet qu′avait formé la duchesse était simplement le décret rendu, dans la manière des Guermantes, que le salon Saint–Euverte n′était décidément pas une maison vraiment bien, mais une maison où on vous invitait pour se parer de vous dans le compte rendu du Gaulois, une maison qui décernerait un cachet de suprême élégance à celles, ou, en tout cas, à celle, si elle n′était qu′une, qu′on n′y verrait pas. Le délicat amusement de M. de Bréauté, doublé de ce plaisir poétique qu′avaient les gens du monde à voir Mme de Guermantes faire des choses que leur situation moindre ne leur permettait pas d′imiter, mais dont la vision seule leur causait le sourire du paysan attaché à sa glèbe qui voit des hommes plus libres et plus fortunés passer au-dessus de sa tête, ce plaisir délicat n′avait aucun rapport avec le ravissement dissimulé, mais éperdu, qu′éprouva aussitôt M. de Froberville. “I need not ask whether you are going to Madame de Saint-Euverte′s to-morrow,” Colonel de Froberville said to Mme. de Guermantes, to dispel the painful impression produced by M. d′Herweck′s ill-timed request. “The whole of Paris will be there.” Meanwhile, turning with a single movement and as though he were carved out of a solid block towards the indiscreet musician, the Duc de Guermantes, fronting his suppliant, monumental, mute, wroth, like Jupiter Tonans, remained motionless like this for some seconds, his eyes ablaze with anger and astonishment, his waving locks seeming to issue from a crater. Then, as though carried away by an impulse which alone enabled him to perform the act of politeness that was demanded of him, and after appearing by his attitude of defiance to be calling the entire company to witness that he did not know the Bavarian musician, clasping his white-gloved hands behind his back, he jerked his body forward and bestowed upon the musician a bow so profound, instinct with such stupefaction and rage, so abrupt, so violent, that the trembling artist recoiled, stooping as he went, so as not to receive a formidable butt in the stomach. “Well, the fact is, I shall not be in Paris,” the Duchess answered Colonel de Froberville. “I may as well tell you (though I ought to be ashamed to confess such a thing) that I have lived all these years without seeing the windows at Montfort-l′Amaury. It is shocking, but there it is. And so, to make amends for my shameful ignorance, I decided that I would go and see them to-morrow.” M. de Bréauté smiled a subtle smile. He quite understood that, if the Duchess had been able to live all these years without seeing the windows at Montfort-l′Amaury, this artistic excursion did not all of a sudden take on the urgent character of an expedition ‘hot-foot′ and might without danger, after having been put off for more than twenty-five years, be retarded for twenty-four hours. The plan that the Duchess had formed was simply the Guermantes way of issuing the decree that the Saint-Euverte establishment was definitely not a ‘really nice′ house, but a house to which you were invited that you might be utilised afterwards in the account in the Gaulois, a house that would set the seal of supreme smartness upon those, or at any rate upon her (should there be but one) who did not go to it. The delicate amusement of M. de Bréauté, enhanced by that poetical pleasure which people in society felt when they saw Mme. de Guermantes do things which their own inferior position did not allow them to imitate, but the mere sight of which brought to their lips the smile of the peasant thirled to the soil when he sees freer and more fortunate men pass by above his head, this delicate pleasure could in no way be compared with the concealed but frantic ecstasy that was at once felt by M. de Froberville.
Les efforts que faisait M. de Froberville pour qu′on n′entendît pas son rire l′avaient fait devenir rouge comme un coq, et malgré cela c′est en entrecoupant ses mots de hoquets de joie qu′il s′écria d′un ton miséricordieux: «Oh! pauvre tante Saint–Euverte, elle va en faire une maladie! Non! la malheureuse femme ne va pas avoir sa duchesse; quel coup! mais il y a de quoi la faire crever!» ajouta-t-il, en se tordant de rire. Et dans son ivresse il ne pouvait s′empêcher de faire des appels de pieds et de se frotter les mains. Souriant d′un oeil et d′un seul coin de la bouche à M. de Froberville dont elle appréciait l′intention aimable, mais moins tolérable le mortel ennui, Mme de Guermantes finit par se décider à le quitter. The efforts that this gentleman was making so that people should not hear his laughter had made him turn as red as a turkey-cock, in spite of which it was only with a running interruption of hiccoughs of joy that he exclaimed in a pitying tone: “Oh! Poor Aunt Saint-Euverte, she will take to her bed! No! The unhappy woman is not to have her Duchess, what a blow, why, it is enough to kill her!” he went on, convulsed with laughter. And in his exhilaration he could not help stamping his feet and rubbing his hands. Smiling out of one eye and with the corner of her lips at M. de Froberville, whose amiable intention she appreciated, but found the deadly boredom of his society quite intolerable, Mme. de Guermantes decided finally to leave him.
«Écoutez, je vais être obligée de vous dire bonsoir», lui dit-elle en se levant, d′un air de résignation mélancolique, et comme si ç‘avait été pour elle un malheur. Sous l′incantation de ses yeux bleus, sa voix doucement musicale faisait penser à la plainte poétique d′une fée. «Basin veut que j′aille voir un peu Marie.» En réalité, elle en avait assez d′entendre Froberville, lequel ne cessait plus de l′envier d′aller à Montfort-l′Amaury quand elle savait fort bien qu′il entendait parler de ces vitraux pour la première fois, et que, d′autre part, il n′eût pour rien au monde lâché la matinée Saint–Euverte. «Adieu, je vous ai à peine parlé; c′est comme ça dans le monde, on ne se voit pas, on ne dit pas les choses qu′on voudrait se dire; du reste, partout, c′est la même chose dans la vie. Espérons qu′après la mort ce sera mieux arrangé. Au moins on n′aura toujours pas besoin de se décolleter. Et encore qui sait? On exhibera peut-être ses os et ses vers pour les grandes fêtes. Pourquoi pas? Tenez, regardez la mère Rampillon, trouvez-vous une très grande différence entre ça et un squelette en robe ouverte? Il est vrai qu′elle a tous les droits, car elle a au moins cent ans. Elle était déjà un des monstres sacrés devant lesquels je refusais de m′incliner quand j′ai fait mes débuts dans le monde. Je la croyais morte depuis très longtemps; ce qui serait d′ailleurs la seule explication du spectacle qu′elle nous offre. C′est impressionnant et liturgique. C′est du «Campo–Santo»! La duchesse avait quitté Froberville; il se rapprocha: «Je voudrais vous dire un dernier mot.» Un peu agacée: «Qu′est-ce qu′il y a encore?» lui dit-elle avec hauteur. Et lui, ayant craint qu′au dernier moment elle ne se ravisât pour Montfort-l′Amaury: «Je n′avais pas osé vous en parler à cause de Mme de Saint–Euverte, pour ne pas lui faire de peine, mais puisque vous ne comptez pas y aller, je puis vous dire que je suis heureux pour vous, car il y a de la rougeole chez elle! — Oh! Mon Dieu! dit Oriane qui avait peur des maladies. Mais pour moi ça ne fait rien, je l′ai déjà eue. On ne peut pas l′avoir deux fois. — Ce sont les médecins qui disent ça; je connais des gens qui l′ont eue jusqu′à quatre. Enfin, vous êtes avertie.» Quant à lui, cette rougeole fictive, il eût fallu qu′il l′eût réellement et qu′elle l′eût cloué au lit pour qu′il se résignât à manquer la fête Saint–Euverte attendue depuis tant de mois. Il aurait le plaisir d′y voir tant d′élégances! le plaisir plus grand d′y constater certaines choses ratées, et surtout celui de pouvoir longtemps se vanter d′avoir frayé avec les premières et, en les exagérant ou en les inventant, de déplorer les secondes. “Listen, I shall be obliged to bid you good night,” she said to him as she rose with an air of melancholy resignation, and as though it had been a bitter grief to her. Beneath the magic spell of her blue eyes her gently musical voice made one think of the poetical lament of a fairy. “Basin wants me to go and talk to Marie for a little.” In reality, she was tired of listening to Froberville, who did not cease to envy her her going to Montfort-l′Amaury, when she knew quite well that he had never heard of the windows before in his life, nor for that matter would he for anything in the world have missed going to the Saint-Euverte party. “Good-bye, I′ve barely said a word to you, it is always like that at parties, we never see the people, we never say the things we should like to say, but it is the same everywhere in this life. Let us hope that when we are dead things will be better arranged. At any rate, we shall not always be having to put on low dresses. And yet, one never knows. We may perhaps have to display our bones and worms on great occasions. Why not? Look, there goes old Rampillon, do you see any great difference between her and a skeleton in an open dress? It is true that she has every right to look like that, for she must be at least a hundred. She was already one of those sacred monsters before whom I refused to bow the knee when I made my first appearance in society. I thought she had been dead for years; which for that matter would be the only possible explanation of the spectacle she presents. It is impressive and liturgical; quite Camposanto!” The Duchess had moved away from Froberville; he came after her: “Just one word in your ear.” Slightly annoyed: “Well, what is it now?” she said to him stiffly. And he, having been afraid lest, at the last moment, she might change her mind about Montfort-l′Amaury: “I did not like to mention it for Mme. de Saint-Euverte′s sake, so as not to get her into trouble, but since you don′t intend to be there, I may tell you that I am glad for your sake, for she has measles in the house!” “Oh, good gracious!” said Oriane, who had a horror of illnesses. “But that wouldn′t matter to me, I′ve had them already. You can′t get them twice.” “So the doctors say; I know people who′ve had them four times. Anyhow, you are warned.” As for himself, these fictitious measles would have needed to attack him in reality and to chain him to his bed before he would have resigned himself to missing the Saint-Euverte party to which he had looked forward for so many months. He would have the pleasure of seeing so many smart people there! The still greater pleasure of remarking that certain things had gone wrong, and the supreme pleasures of being able for long afterwards to boast that he had mingled with the former and, while exaggerating or inventing them, of deploring the latter.
Je profitai de ce que la duchesse changeait de place pour me lever aussi afin d′aller vers le fumoir m′informer de Swann. «Ne croyez pas un mot de ce qu′a raconté Babal, me dit-elle. Jamais la petite Molé ne serait allée se fourrer là dedans. On nous dit ça pour nous attirer. Ils ne reçoivent personne et ne sont invités nulle part. Lui-même l′avoue: «Nous restons tous les deux seuls au coin de notre feu.» Comme il dit toujours nous, non pas comme le roi, mais pour sa femme, je n′insiste pas. Mais je suis très renseignée», ajouta la duchesse. Elle et moi nous croisâmes deux jeunes gens dont la grande et dissemblable beauté tirait d′une même femme son origine. C′étaient les deux fils de Mme de Surgis, la nouvelle maîtresse du duc de Guermantes. Ils resplendissaient des perfections de leur mère, mais chacun d′une autre. En l′un avait passé, ondoyante en un corps viril, la royale prestance de Mme de Surgis, et la même pâleur ardente, roussâtre et sacrée affluait aux joues marmoréennes de la mère et de ce fils; mais son frère avait reçu le front grec, le nez parfait, le cou de statue, les yeux infinis; ainsi faite de présents divers que la déesse avait partagés, leur double beauté offrait le plaisir abstrait de penser que la cause de cette beauté était en dehors d′eux; on eût dit que les principaux attributs de leur mère s′étaient incarnés en deux corps différents; que l′un des jeunes gens était la stature de sa mère et son teint, l′autre son regard, comme les êtres divins qui n′étaient que la force et la beauté de Jupiter ou de Minerve. Pleins de respect pour M. de Guermantes, dont ils disaient: «C′est un grand ami de nos parents», l′aîné cependant crut qu′il était prudent de ne pas venir saluer la duchesse dont il savait, sans en comprendre peut-être la raison, l′inimitié pour sa mère, et à notre vue il détourna légèrement la tête. Le cadet, qui imitait toujours son frère, parce qu′étant stupide et, de plus, myope, il n′osait pas avoir d′avis personnel, pencha la tête selon le même angle, et ils se glissèrent tous deux vers la salle de jeux, l′un derrière l′autre, pareils à deux figures allégoriques. I took advantage of the Duchess′s moving to rise also in order to make my way to the smoking-room and find out the truth about Swann. “Do not believe a word of what Babal told us,” she said to me. “Little Molé would never poke her nose into a place like that. They tell us that to draw us. Nobody ever goes to them and they are never asked anywhere either. He admits it himself: ‘We spend the evenings alone by our own fireside.′ As he always says we, not like royalty, but to include his wife, I do not press him. But I know all about it,” the Duchess added. We passed two young men whose great and dissimilar beauty took its origin from one and the same woman. They were the two sons of Mme. de Surgis, the latest mistress of the Duc de Guermantes. Both were resplendent with their mother′s perfections, but each in his own way. To one had passed, rippling through a virile body, the royal presence of Mme. de Surgis and the same pallor, ardent, flushed and sacred, flooded the marble cheeks of mother and son; but his brother had received the Grecian brow, the perfect nose, the statuesque throat, the eyes of infinite depth; composed thus of separate gifts, which the goddess had shared between them, their twofold beauty offered one the abstract pleasure of thinking that the cause of that beauty was something outside themselves; one would have said that the principal attributes of their mother were incarnate in two different bodies; that one of the young men was his mother′s stature and her complexion, the other her gaze, like those divine beings who were no more than the strength and beauty of Jupiter or Minerva. Full of respect for M. de Guermantes, of whom they said: “He is a great friend of our parents,” the elder nevertheless thought that it would be wiser not to come up and greet the Duchess, of whose hostility towards his mother he was aware, though without perhaps understanding the reason for it, and at the sight of us he slightly averted his head. The younger, who copied his brother in everything, because, being stupid and short-sighted to boot, he did not venture to own a personal opinion, inclined his head at the same angle, and the pair slipped past us towards the card-room, one behind the other, like a pair of allegorical figures.
Au moment d′arriver à cette salle, je fus arrêté par la marquise de Citri, encore belle mais presque l′écume aux dents. D′une naissance assez noble, elle avait cherché et fait un brillant mariage en épousant M. de Citri, dont l′arrière-grand′mère était Aumale–Lorraine. Mais aussitôt cette satisfaction éprouvée, son caractère négateur lui avait fait prendre les gens du grand monde en une horreur qui n′excluait pas absolument la vie mondaine. Non seulement, dans une soirée, elle se moquait de tout le monde, mais cette moquerie avait quelque chose de si violent que le rire même n′était pas assez âpre et se changeait en guttural sifflement: «Ah! me dit-elle, en me montrant la duchesse de Guermantes qui venait de me quitter et qui était déjà un peu loin, ce qui me renverse c′est qu′elle puisse mener cette vie-là.» Cette parole était-elle d′une sainte furibonde, et qui s′étonne que les Gentils ne viennent pas d′eux-mêmes à la vérité, ou bien d′une anarchiste en appétit de carnage? En tout cas, cette apostrophe était aussi peu justifiée que possible. D′abord, la «vie que menait» Mme de Guermantes différait très peu (à l′indignation près) de celle de Mme de Citri. Mme de Citri était stupéfaite de voir la duchesse capable de ce sacrifice mortel: assister à une soirée de Marie–Gilbert. Il faut dire, dans le cas particulier, que Mme de Citri aimait beaucoup la princesse, qui était en effet très bonne, et qu′elle savait en se rendant à sa soirée lui faire grand plaisir. Aussi avait-elle décommandé, pour venir à cette fête, une danseuse à qui elle croyait du génie et qui devait l′initier aux mystères de la chorégraphie russe. Une autre raison qui ôtait quelque valeur à la rage concentrée qu′éprouvait Mme de Citri en voyant Oriane dire bonjour à tel ou telle invité est que Mme de Guermantes, bien qu′à un état beaucoup moins avancé, présentait les symptômes du mal qui ravageait Mme de Citri. On a, du reste, vu qu′elle en portait les germes de naissance. Enfin, plus intelligente que Mme de Citri, Mme de Guermantes aurait eu plus de droits qu′elle à ce nihilisme (qui n′était pas que mondain), mais il est vrai que certaines qualités aident plutôt à supporter les défauts du prochain qu′elles ne contribuent à en faire souffrir; et un homme de grand talent prêtera d′habitude moins d′attention à la sottise d′autrui que ne ferait un sot. Nous avons assez longuement décrit le genre d′esprit de la duchesse pour convaincre que, s′il n′avait rien de commun avec une haute intelligence, il était du moins de l′esprit, de l′esprit adroit à utiliser (comme un traducteur) différentes formes de syntaxe. Or, rien de tel ne semblait qualifier Mme de Citri à mépriser des qualités tellement semblables aux siennes. Elle trouvait tout le monde idiot, mais dans sa conversation, dans ses lettres, se montrait plutôt inférieure aux gens qu′elle traitait avec tant de dédain. Elle avait, du reste, un tel besoin de destruction que, lorsqu′elle eut à peu près renoncé au monde, les plaisirs qu′elle rechercha alors subirent l′un après l′autre son terrible pouvoir dissolvant. Après avoir quitté les soirées pour des séances de musique, elle se mit à dire: «Vous aimez entendre cela, de la musique? Ah! mon Dieu, cela dépend des moments. Mais ce que cela peut être ennuyeux! Ah! Beethoven, la barbe!» Pour Wagner, puis pour Franck, pour Debussy, elle ne se donnait même pas la peine de dire «la barbe» mais se contentait de faire passer sa main, comme un barbier, sur son visage. Just as I reached this room, I was stopped by the Marquise de Citri, still beautiful but almost foaming at the mouth. Of decently noble birth, she had sought and made a brilliant match in marrying M. de Citri, whose great-grandmother had been an Aumale-Lorraine. But no sooner had she tasted this satisfaction than her natural cantankerousness gave her a horror of people in society which did not cut her off absolutely from social life. Not only, at a party, did she deride everyone present, her derision of them was so violent that mere laughter was not sufficiently bitter, and changed into a guttural hiss. “Ah!” she said to me, pointing to the Duchesse de Guermantes who had now left my side and was already some way off, “what defeats me is that she can lead this sort of existence.” Was this the speech of a righteously indignant Saint, astonished that the Gentiles did not come of their own accord to perceive the Truth, or that of an anarchist athirst for carnage? In any case there could be no possible justification for this apostrophe. In the first place, the ‘existence led′ by Mme. de Guermantes differed hardly perceptibly (except in indignation) from that led by Mme. de Citri. Mme. de Citri was stupefied when she saw the Duchess capable of that mortal sacrifice: attendance at one of Marie-Gilbert′s parties. It must be said in this particular instance that Mme. de Citri was genuinely fond of the Princess, who was indeed the kindest of women, and knew that, by attending her party, she was giving her great pleasure. And so she had put off, in order to come to the party, a dancer whom she regarded as a genius, and who was to have initiated her into the mysteries of Russian choreography. Another reason which to some extent stultified the concentrated rage which Mme. de Citri felt on seeing Oriane greet one or other of the guests was that Mme. de Guermantes, albeit at a far less advanced stage, shewed the symptoms of the malady that was devouring Mme. de Citri. We have seen, moreover, that she had carried the germs of it from her birth. In fact, being more intelligent than Mme. de Citri, Mme. de Guermantes would have had better right than she to this nihilism (which was more than merely social), but it is true that certain good qualities help us rather to endure the defects of our neighbour than they make us suffer from them; and a man of great talent will normally pay less attention to other people′s folly than would a fool. We have already described at sufficient length the nature of the Duchess′s wit to convince the reader that, if it had nothing in common with great intellect, it was at least wit, a wit adroit in making use (like a translator) of different grammatical forms. Now nothing of this sort seemed to entitle Mme. de Citri to look down upon qualities so closely akin to her own. She found everyone idiotic, but in her conversation, in her letters, shewed herself distinctly inferior to the people whom she treated with such disdain. She had moreover such a thirst for destruction that, when she had almost given up society, the pleasures that she then sought were subjected, each in turn, to her terrible disintegrating force. After she had given up parties for musical evenings, she used to say: “You like listening to that sort of thing, to music? Good gracious, it all depends on what it is. It can be simply deadly! Oh! Beethoven! What a bore!” With Wagner, then with Franck, Debussy, she did not even take the trouble to say the word barbe, but merely passed her hand over her face with a tonsorial gesture.
Bientôt, ce qui fut ennuyeux, ce fut tout. «C′est si ennuyeux les belles choses! Ah! les tableaux, c′est à vous rendre fou . . . Comme vous avez raison, c′est si ennuyeux d′écrire des lettres!» Finalement ce fut la vie elle-même qu′elle nous déclara une chose rasante, sans qu′on sût bien où elle prenait son terme de comparaison. Presently, everything became boring. “Beautiful things are such a bore. Oh! Pictures! They′re enough to drive one mad. How right you are, it is such a bore having to write letters!” Finally it was life itself that she declared to be rasante, leaving her hearers to wonder where she applied the term.
Je ne sais si c′est à cause de ce que la duchesse de Guermantes, le premier soir que j′avais dîné chez elle, avait dit de cette pièce, mais la salle de jeux ou fumoir, avec son pavage illustré, ses trépieds, ses figures de dieux et d′animaux qui vous regardaient, les sphinx allongés aux bras des sièges, et surtout l′immense table en marbre ou en mosaî°µe émaillée, couverte de signes symboliques plus ou moins imités de l′art étrusque et égyptien, cette salle de jeux me fit l′effet d′une véritable chambre magique. Or, sur un siège approché de la table étincelante et augurale, M. de Charlus, lui, ne touchant à aucune carte, insensible à ce qui se passait autour de lui, incapable de s′apercevoir que je venait d′entrer, semblait précisément un magicien appliquant toute la puissance de sa volonté et de son raisonnement à tirer un horoscope. Non seulement comme à une Pythie sur son trépied les yeux lui sortaient de la tête, mais, pour que rien ne vînt le distraire des travaux qui exigeaient la cessation des mouvements les plus simples, il avait (pareil à un calculateur qui ne veut rien faire d′autre tant qu′il n′a pas résolu son problème) posé auprès de lui le cigare qu′il avait un peu auparavant dans la bouche et qu′il n′avait plus la liberté d′esprit nécessaire pour fumer. En apercevant les deux divinités accroupies que portait à ses bras le fauteuil placé en face de lui, on eût pu croire que le baron cherchait à découvrir l′énigme du sphinx, si ce n′avait pas été plutôt celle d′un jeune et vivant Oedipe, assis précisément dans ce fauteuil, où il s′était installé pour jouer. Or, la figure à laquelle M. de Charlus appliquait, et avec une telle contention, toutes ses facultés spirituelles, et qui n′était pas, à vrai dire, de celles qu′on étudie d′habitude more geometrico, c′était celle que lui proposaient les lignes de la figure du jeune marquis de Surgis; elle semblait, tant M. de Charlus était profondément absorbé devant elle, être quelque mot en losange, quelque devinette, quelque problème d′algèbre dont il eût cherché à percer l′énigme ou à dégager la formule. Devant lui les signes sibyllins et les figures inscrites sur cette table de la Loi semblaient le grimoire qui allait permettre au vieux sorcier de savoir dans quel sens s′orientaient les destins du jeune homme. Soudain, il s′aperçut que je le regardais, leva la tête comme s′il sortait d′un rêve et me sourit en rougissant. A ce moment l′autre fils de Mme de Surgis vint auprès de celui qui jouait, regarder ses cartes. Quand M. de Charlus eut appris de moi qu′ils étaient frères, son visage ne put dissimuler l′admiration que lui inspirait une famille créatrice de chefs-d′oeuvre aussi splendides et aussi différents. Et ce qui eût ajouté à l′enthousiasme du baron, c′est d′apprendre que les deux fils de Mme de Surgis-le-Duc n′étaient pas seulement de la même mère mais du même père. Les enfants de Jupiter sont dissemblables, mais cela vient de ce qu′il épousa d′abord Métis, dans le destin de qui il était de donner le jour à de sages enfants, puis Thémis, et ensuite Eurynome, et Mnemosyne, et Leto, et en dernier lieu seulement Junon. Mais d′un seul père Mme de Surgis avait fait naître deux fils qui avaient reçu des beautés d′elle, mais des beautés différentes. I do not know whether it was the effect of what the Duchesse de Guermantes, on the evening when I first dined at her house, had said of this interior, but the card — or smoking-room, with its pictorial floor, its tripods, its figures of gods and animals that gazed at you, the sphinxes stretched out along the arms of the chairs, and most of all the huge table, of marble or enamelled mosaic, covered with symbolical signs more or less imitated from Etruscan and Egyptian art, gave me the impression of a magician′s cell. And, on a chair drawn up to the glittering, augural table, M. de Charlus, in person, never touching a card, unconscious of what was going on round about him, incapable of observing that I had entered the room, seemed precisely a magician applying all the force of his will and reason to drawing a horoscope. Not only that, but, like the eyes of a Pythian on her tripod, his eyes were starting from his head, and that nothing might distract him from labours which required the cessation of the most simple movements, he had (like a calculator who will do nothing else until he has solved his problem) laid down beside him the cigar which he had previously been holding between his lips, but had no longer the necessary detachment of mind to think of smoking. Seeing the two crouching deities borne upon the arms of the chair that stood facing him, one might have thought that the Baron was endeavouring to solve the enigma of the Sphinx, had it not been that, rather, of a young and living Oedipus, seated in that very armchair, where he had come to join in the game. Now, the figure to which M. de Charlus was applying with such concentration all his mental powers, and which was not, to tell the truth, one of the sort that are commonly studied more geometrico, was that of the proposition set him by the lineaments of the young Comte de Surgis; it appeared, so profound was M. de Charlus′s absorption in front of it, to be some rebus, some riddle, some algebraical problem, of which he must try to penetrate the mystery or to work out the formula. In front of him the sibylline signs and the figures inscribed upon that Table of the Law seemed the gramarye which would enable the old sorcerer to tell in what direction the young man′s destiny was shaping. Suddenly he became aware that I was watching him, raised his head as though he were waking from a dream, smiled at me and blushed. At that moment Mme. de Surgis′s other son came up behind the one who was playing, to look at his cards. When M. de Charlus had learned from me that they were brothers, his features could not conceal the admiration that he felt for a family which could create masterpieces so splendid and so diverse. And what added to the Baron′s enthusiasm was the discovery that the two sons of Mme. de Surgis-le-Duc were sons not only of the same mother but of the same father. The children of Jupiter are dissimilar, but that is because he married first Metis, whose destiny was to bring into the world wise children, then Themis, and after her Eurynome, and Mnemosyne, and Leto, and only as a last resort Juno. But to a single father Mme. de Surgis had borne these two sons who had each received beauty from her, but a different beauty.
J′eus enfin le plaisir que Swann entrât dans cette pièce, qui était fort grande, si bien qu′il ne m′aperçut pas d′abord. Plaisir mêlé de tristesse, d′une tristesse que n′éprouvaient peut-être pas les autres invités, mais qui chez eux consistait dans cette espèce de fascination qu′exercent les formes inattendues et singulières d′une mort prochaine, d′une mort qu′on a déjà, comme dit le peuple, sur le visage. Et c′est avec une stupéfaction presque désobligeante, où il entrait de la curiosité indiscrète, de la cruauté, un retour à la fois quiet et soucieux (mélange à la fois de suave mari magno et de memento quia pulvis, eût dit Robert), que tous les regards s′attachèrent à ce visage duquel la maladie avait si bien rongé les joues, comme une lune décroissante, que, sauf sous un certain angle, celui sans doute sous lequel Swann se regardait, elles tournaient court comme un décor inconsistant auquel une illusion d′optique peut seule ajouter l′apparence de l′épaisseur. Soit à cause de l′absence de ces joues qui n′étaient plus là pour le diminuer, soit que l′artériosclérose, qui est une intoxication aussi, le rougît comme eût fait l′ivrognerie, ou le déformât comme eût fait la morphine, le nez de polichinelle de Swann, longtemps résorbé dans un visage agréable, semblait maintenant énorme, tuméfié, cramoisi, plutôt celui d′un vieil Hébreu que d′un curieux Valois. D′ailleurs peut-être chez lui, en ces derniers jours, la race faisait-elle apparaître plus accusé le type physique qui la caractérise, en même-temps que le sentiment d′une solidarité morale avec les autres Juifs, solidarité que Swann semblait avoir oubliée toute sa vie, et que, greffées les unes sur les autres, la maladie mortelle, l′affaire Dreyfus, la propagande antisémite, avaient réveillée. Il y a certains Israélites, très fins pourtant et mondains délicats, chez lesquels restent en réserve et dans la coulisse, afin de faire leur entrée à une heure donnée de leur vie, comme dans une pièce, un mufle et un prophète. Swann était arrivé à l′âge du prophète. Certes, avec sa figure d′où, sous l′action de la maladie des segments entiers avaient disparu, comme dans un bloc de glace qui fond et dont des pans entiers sont tombés, il avait bien changé. Mais je ne pouvais m′empêcher d′être frappé combien davantage il avait changé par rapport à moi. Cet homme, excellent, cultivé, que j′étais bien loin d′être ennuyé de rencontrer, je ne pouvais arriver à comprendre comment j′avais pu l′ensemencer autrefois d′un mystère tel que son apparition dans les Champs–Elysées me faisait battre le coeur au point que j′avais honte de m′approcher de sa pèlerine doublée de soie; qu′à la porte de l′appartement où vivait un tel être, je ne pouvais sonner sans être saisi d′un trouble et d′un effroi infinis; tout cela avait disparu, non seulement de sa demeure mais de sa personne, et l′idée de causer avec lui pouvait m′être agréable ou non, mais n′affectait en quoi que ce fût mon système nerveux. I had at length the pleasure of seeing Swann come into this room, which was very big, so big that he did not at first catch sight of me. A pleasure mingled with sorrow, with a sorrow which the other guests did not, perhaps, feel, their feeling consisting rather in that sort of fascination which is exercised by the strange and unexpected forms of an approaching death, a death that a man already has, in the popular saying, written on his face. And it was with a stupefaction that was almost offensive, into which entered indiscreet curiosity, cruelty, a scrutiny at once quiet and anxious (a blend of suave mari magno and memento quia pulvis, Robert would have said), that all eyes were fastened upon that face the cheeks of which had been so eaten away by disease, like a waning moon, that, except at a certain angle, the angle doubtless at which Swann looked at himself, they stopped short like a flimsy piece of scenery to which only an optical illusion can add the appearance of solidity. Whether because of the absence of those cheeks, no longer there to modify it, or because arteriosclerosis, which also is a form of intoxication, had reddened it, as would drunkenness, or deformed it, as would morphine, Swann′s punchinello nose, absorbed for long years in an attractive face, seemed now enormous, tumid, crimson, the nose of an old Hebrew rather than of a dilettante Valois. Perhaps too in him, in these last days, the race was making appear more pronounced the physical type that characterises it, at the same time as the sentiment of a moral solidarity with the rest of the Jews, a solidarity which Swann seemed to have forgotten throughout his life, and which, one after another, his mortal illness, the Dreyfus case and the anti-semitic propaganda had revived. There are certain Israelites, superior people for all that and refined men of the world, in whom there remain in reserve and in the wings, ready to enter at a given moment in their lives, as in a play, a bounder and a prophet. Swann had arrived at the age of the prophet. Certainly, with his face from which, by the action of his disease, whole segments had vanished, as when a block of ice melts and slabs of it fall off bodily, he had greatly altered. But I could not help being struck by the discovery how far more he had altered in relation to myself. This man, excellent, cultivated, whom I was far from annoyed at meeting, I could not bring myself to understand how I had been able to invest him long ago in a mystery so great that his appearance in the Champs-Elysées used to make my heart beat so violently that I was too bashful to approach his silk-lined cape, that at the door of the flat in which such a being dwelt I could not ring the bell without being overcome by boundless emotion and dismay; all this had vanished not only from his home, but from his person, and the idea of talking to him might or might not be agreeable to me, but had no effect whatever upon my nervous system.
Et, de plus, combien il était changé depuis cet après-midi même où je l′avais rencontré— en somme quelques heures auparavant — dans le cabinet du duc de Guermantes. Avait-il vraiment eu une scène avec le Prince et qui l′avait bouleversé? La supposition n′était pas nécessaire. Les moindres efforts qu′on demande à quelqu′un qui est très malade deviennent vite pour lui un surmenage excessif. Pour peu qu′on l′expose, déjà fatigué, à la chaleur d′une soirée, sa mine se décompose et bleuit comme fait en moins d′un jour une poire trop mûre, ou du lait près de tourner. De plus, la chevelure de Swann était éclaircie par places, et, comme disait Mme de Guermantes, avait besoin du fourreur, avait l′air camphrée, et mal camphrée. J′allais traverser le fumoir et parler à Swann quand malheureusement une main s′abattit sur mon épaule: And besides, how he had altered since that very afternoon, when I had met him — after all, only a few hours earlier — in the Duc de Guermantes′s study. Had he really had a scene with the Prince, and had it left him crushed? The supposition was not necessary. The slightest efforts that are demanded of a person who is very ill quickly become for him an excessive strain. He has only to be exposed, when already tired, to the heat of a crowded drawing-room, for his countenance to decompose and turn blue, as happens in a few hours with an overripe pear or milk that is ready to turn. Besides, Swann′s hair was worn thin in patches, and, as Mme. de Guermantes remarked, needed attention from the furrier, looked as if it had been camphored, and camphored badly. I was just crossing the room to speak to Swann when unfortunately a hand fell upon my shoulder.
«Bonjour, mon petit, je suis à Paris pour quarante-huit heures. J′ai passé chez toi, on m′a dit que tu étais ici, de sorte que c′est toi qui vaut à ma tante l′honneur de ma présence à sa fête.» C′était Saint–Loup. Je lui dis combien je trouvais la demeure belle. «Oui, ça fait assez monument historique. Moi, je trouve ça assommant. Ne nous mettons pas près de mon oncle Palamède, sans cela nous allons être happés. Comme Mme Molé (car c′est elle qui tient la corde en ce moment) vient de partir, il est tout désemparé. Il paraît que c′était un vrai spectacle, il ne l′a pas quittée d′un pas, il ne l′a laissée que quand il l′a eu mise en voiture. Je n′en veux pas à mon oncle, seulement je trouve drôle que mon conseil de famille, qui s′est toujours montré si sévère pour moi, soit composé précisément des parents qui ont le plus fait la bombe, à commencer par le plus noceur de tous, mon oncle Charlus, qui est mon subrogé tuteur, qui a eu autant de femmes que don Juan, et qui à son âge ne dételle pas. Il a été question à un moment qu′on me nomme un conseil judiciaire. Je pense que, quand tous ces vieux marcheurs se réunissaient pour examiner la question et me faisaient venir pour me faire de la morale, et me dire que je faisais de la peine à ma mère, ils ne devaient pas pouvoir se regarder sans rire. Tu examineras la composition du conseil, on a l′air d′avoir choisi exprès ceux qui ont le plus retroussé de jupons.» En mettant à part M. de Charlus, au sujet duquel l′étonnement de mon ami ne me paraissait pas plus justifié, mais pour d′autres raisons et qui devaient d′ailleurs se modifier plus tard dans mon esprit, Robert avait bien tort de trouver extraordinaire que des leçons de sagesse fussent données à un jeune homme par des parents qui ont fait les fous, ou le font encore. “Hallo, old boy, I am in Paris for forty-eight hours. I called at your house, they told me you were here, so that it is to you that my aunt is indebted for the honour of my company at her party.” It was Saint-Loup. I told him how greatly I admired the house. “Yes, it makes quite a historic edifice. Personally, I think it appalling. We mustn′t go near my uncle Palamède, or we shall be caught. Now that Mme. Molé has gone (for it is she that is ruling the roost just now), he is quite at a loose end. It seems it was as good as a play, he never let her out of his sight for a moment, and only left her when he had put her safely into her carriage. I bear my uncle no ill will, only I do think it odd that my family council, which has always been so hard on me, should be composed of the very ones who have led giddy lives themselves, beginning with the giddiest of the lot, my uncle Charlus, who is my official guardian, has had more women than Don Juan, and is still carrying on in spite of his age. There was a talk at one time of having me made a ward of court. I bet, when all those gay old dogs met to consider the question, and had me up to preach to me and tell me that I was breaking my mother′s heart, they dared not look one another in the face for fear of laughing. Just think of the fellows who formed the council, you would think they had deliberately chosen the biggest womanisers.” Leaving out of account M. de Charlus, with regard to whom my friend′s astonishment no longer seemed to me to be justified, but for different reasons, and reasons which, moreover, were afterwards to undergo modification in my mind, Robert was quite wrong in finding it extraordinary that lessons in worldly wisdom should be given to a young man by people who had done foolish things, or were still doing them.
Quand l′atavisme, les ressemblances familiales seraient seules en cause, il est inévitable que l′oncle qui fait la semonce ait à peu près les mêmes défauts que le neveu qu′on l′a chargé de gronder. L′oncle n′y met d′ailleurs aucune hypocrisie, trompé qu′il est par la faculté qu′ont les hommes de croire, à chaque nouvelle circonstance, qu′il s′agit «d′autre chose», faculté qui leur permet d′adopter des erreurs artistiques, politiques, etc., sans s′apercevoir que ce sont les mêmes qu′ils ont prises pour des vérités, il y a dix ans, à propos d′une autre école de peinture qu′ils condamnaient, d′une autre affaire politique qu′ils croyaient mériter leur haine, dont ils sont revenus, et qu′ils épousent sans les reconnaître sous un nouveau déguisement. D′ailleurs, même si les fautes de l′oncle sont différentes de celles du neveu, l′hérédité peut n′en être pas moins, dans une certaine mesure, la loi causale, car l′effet ne ressemble pas toujours à la cause, comme la copie à l′original, et même, si les fautes de l′oncle sont pires, il peut parfaitement les croire moins graves. Even if we take into account only atavism, family likenesses, it is inevitable that the uncle who delivers the lecture should have more or less the same faults as the nephew whom he has been deputed to scold. Nor is the uncle in the least hypocritical in so doing, taken in as he is by the faculty that people have of believing, in every fresh experience, that ‘this is quite different,′ a faculty which allows them to adopt artistic, political and other errors without perceiving that they are the same errors which they exposed, ten years ago, in another school of painters, whom they condemned, another political affair which, they considered, merited a loathing that they no longer feel, and espouse those errors without recognising them in a fresh disguise. Besides, even if the faults of the uncle are different from those of the nephew, heredity may none the less be responsible, for the effect does not always resemble the cause, as a copy resembles its original, and even if the uncle′s faults are worse, he may easily believe them to be less serious.
Quand M. de Charlus venait de faire des remontrances indignées à Robert, qui d′ailleurs ne connaissait pas les goûts véritables de son oncle, à cette époque-là, et même si c′eût encore été celle où le baron flétrissait ses propres goûts, il eût parfaitement pu être sincère, en trouvant, du point de vue de l′homme du monde, que Robert était infiniment plus coupable que lui. Robert n′avait-il pas failli, au moment où son oncle avait été chargé de lui faire entendre raison, se faire mettre au ban de son monde? ne s′en était-il pas fallu de peu qu′il ne fût blackboulé au Jockey? n′était-il pas un objet de risée par les folles dépenses qu′il faisait pour une femme de la dernière catégorie, par ses amitiés avec des gens, auteurs, acteurs, juifs, dont pas un n′était du monde, par ses opinions qui ne se différenciaient pas de celles des traîtres, par la douleur qu′il causait à tous les siens? En quoi cela pouvait-il se comparer, cette vie scandaleuse, à celle de M. de Charlus qui avait su, jusqu′ici, non seulement garder, mais grandir encore sa situation de Guermantes, étant dans la société un être absolument privilégié, recherché, adulé par la société la plus choisie, et qui, marié à une princesse de Bourbon, femme éminente, avait su la rendre heureuse, avait voué à sa mémoire un culte plus fervent, plus exact qu′on n′a l′habitude dans le monde, et avait ainsi été aussi bon mari que bon fils! When M. de Charlus made indignant remonstrances to Robert, who moreover was unaware of his uncle′s true inclinations, at that time, and indeed if it had still been the time when the Baron used to scarify his own inclinations, he might perfectly well have been sincere in considering, from the point of view of a man of the world, that Robert was infinitely more to blame than himself. Had not Robert, at the very moment when his uncle had been deputed to make him listen to reason, come within an inch of getting himself ostracised by society, had he not very nearly been blackballed at the Jockey, had he not made himself a public laughing stock by the vast sums that he threw away upon a woman of the lowest order, by his friendships with people — authors, actors, Jews — not one of whom moved in society, by his opinions, which were indistinguishable from those held by traitors, by the grief he was causing to all his relatives? In what respect could it be compared, this scandalous existence, with that of M. de Charlus who had managed, so far, not only to retain but to enhance still further his position as a Guermantes, being in society an absolutely privileged person, sought after, adulated in the most exclusive circles, and a man who, married to a Bourbon Princess, a woman of eminence, had been able to ensure her happiness, had shewn a devotion to her memory more fervent, more scrupulous than is customary in society, and had thus been as good a husband as a son!
«Mais es-tu sûr que M. de Charlus ait eu tant de maîtresses?» demandai-je, non certes dans l′intention diabolique de révéler à Robert le secret que j′avais surpris, mais agacé cependant de l′entendre soutenir une erreur avec tant de certitude et de suffisance. Il se contenta de hausser les épaules en réponse à ce qu′il croyait de ma part de la naîµ¥té. «Mais d′ailleurs, je ne l′en blâme pas, je trouve qu′il a parfaitement raison.» Et il commença à m′esquisser une théorie qui lui eût fait horreur à Balbec (où il ne se contentait pas de flétrir les séducteurs, la mort lui paraissant le seul châtiment proportionné au crime). C′est qu′alors il était encore amoureux et jaloux. Il alla jusqu′à me faire l′éloge des maisons de passe. «Il n′y a que là qu′on trouve chaussure à son pied, ce que nous appelons au régiment son gabarit.» Il n′avait plus pour ce genre d′endroits le dégoût qui l′avait soulevé à Balbec quand j′avais fait allusion à eux, et, en l′entendant maintenant, je lui dis que Bloch m′en avait fait connaître, mais Robert me répondit que celle où allait Bloch devait être «extrêmement purée, le paradis du pauvre». «Ça dépend, après tout: où était-ce?» Je restai dans le vague, car je me rappelai que c′était là, en effet, que se donnait pour un louis cette Rachel que Robert avait tant aimée. «En tout cas, je t′en ferai connaître de bien mieux, où il va des femmes épatantes.» En m′entendant exprimer le désir qu′il me conduisît le plus tôt possible dans celles qu′il connaissait et qui devaient, en effet, être bien supérieures à la maison que m′avait indiquée Bloch, il témoigna d′un regret sincère de ne le pouvoir pas cette fois puisqu′il repartait le lendemain. «Ce sera pour mon prochain séjour, dit-il. Tu verras, il y a même des jeunes filles, ajouta-t-il d′un air mystérieux. Il y a une petite demoiselle de . . . je crois d′Orgeville, je te dirai exactement, qui est la fille de gens tout ce qu′il y a de mieux; la mère est plus ou moins née La Croix-l′Evêque, ce sont des gens du gratin, même un peu parents, sauf erreur, à ma tante Oriane. Du reste, rien qu′à voir la petite, on sent que c′est la fille de gens bien (je sentis s′étendre un instant sur la voix de Robert l′ombre du génie des Guermantes qui passa comme un nuage, mais à une grande hauteur et ne s′arrêta pas). Ça m′a tout l′air d′une affaire merveilleuse. Les parents sont toujours malades et ne peuvent s′occuper d′elle. Dame, la petite se désennuie, et je compte sur toi pour lui trouver des distractions, à cette enfant! — Oh! quand reviendras-tu? — Je ne sais pas; si tu ne tiens pas absolument à des duchesses (le titre de duchesse étant pour l′aristocratie le seul qui désigne un rang particulièrement brillant, comme on dirait, dans le peuple, des princesses), dans un autre genre il y a la première femme de chambre de Mme Putbus.» “But are you sure that M. de Charlus has had all those mistresses?” I asked, not, of course, with any diabolical intent of revealing to Robert the secret that I had surprised, but irritated, nevertheless, at hearing him maintain an erroneous theory with so much certainty and assurance. He merely shrugged his shoulders in response to what he took for ingenuousness on my part. “Not that I blame him in the least, I consider that he is perfectly right.” And he began to sketch in outline a theory of conduct that would have horrified him at Balbec (where he was not content with denouncing seducers, death seeming to him then the only punishment adequate to their crime). Then, however, he had still been in love and jealous. He went so far as to sing me the praises of houses of assignation. “They′re the only places where you can find a shoe to fit you, sheath your weapon, as we say in the regiment.” He no longer felt for places of that sort the disgust that had inflamed him at Balbec when I made an allusion to them, and, hearing what he now said, I told him that Bloch had introduced me to one, but Robert replied that the one which Bloch frequented must be “extremely mixed, the poor man′s paradise! — It all depends, though: where is it?” I remained vague, for I had just remembered that it was the same house at which one used to have for a louis that Rachel whom Robert had so passionately loved. “Anyhow, I can take you to some far better ones, full of stunning women.” Hearing me express the desire that he would take me as soon as possible to the ones he knew, which must indeed be far superior to the house to which Bloch had taken me, he expressed a sincere regret that he could not, on this occasion, as he would have to leave Paris next day. “It will have to be my next leave,” he said. “You′ll see, there are young girls there, even,” he added with an air of mystery. “There is a little Mademoiselle de . . . I think it′s d′Orgeville, I can let you have the exact name, who is the daughter of quite tip-top people; her mother was by way of being a La Croix-l′Evêque, and they′re a really decent family, in fact they′re more or less related, if I′m not mistaken, to my aunt Oriane. Anyhow, you have only to see the child, you can tell at once that she comes of decent people” (I could detect, hovering for a moment over Robert′s voice, the shadow of the genius of the Guermantes, which passed like a cloud, but at a great height and without stopping). “It seems to me to promise marvellous developments. The parents are always ill and can′t look after her. Gad, the child must have some amusement, and I count upon you to provide it!” “Oh! When are you coming back?” “I don′t know, if you don′t absolutely insist upon Duchesses” (Duchess being in aristocracy the only title that denotes a particularly brilliant rank, as the lower orders talk of ‘Princesses′), “in a different class of goods, there is Mme. Putbus′s maid.”
A ce moment, Mme de Surgis entra dans le salon de jeu pour chercher ses fils. En l′apercevant, M. de Charlus alla à elle avec une amabilité dont la marquise fut d′autant plus agréablement surprise, que c′est une grande froideur qu′elle attendait du baron, lequel s′était posé de tout temps comme le protecteur d′Oriane et, seul de la famille — trop souvent complaisante aux exigences du duc à cause de son héritage et par jalousie à l′égard de la duchesse — tenait impitoyablement à distance les maîtresses de son frère. Aussi Mme de Surgis eût-elle fort bien compris les motifs de l′attitude qu′elle redoutait chez le baron, mais ne soupçonna nullement ceux de l′accueil tout opposé qu′elle reçut de lui. Il lui parla avec admiration du portrait que Jacquet avait fait d′elle autrefois. Cette admiration s′exalta même jusqu′à un enthousiasme qui, s′il était en partie intéressé pour empêcher la marquise de s′éloigner de lui, pour «l′accrocher», comme Robert disait des armées ennemies dont on veut forcer les effectifs à rester engagés sur un certain point, était peut-être aussi sincère. Car si chacun se plaisait à admirer dans les fils le port de reine et les yeux de Mme de Surgis, le baron pouvait éprouver un plaisir inverse, mais aussi vif, à retrouver ces charmes réunis en faisceau chez leur mère, comme en un portrait qui n′inspire pas lui-même de désirs, mais nourrit, de l′admiration esthétique qu′il inspire, ceux qu′il réveille. Ceux-ci venaient rétrospectivement donner un charme voluptueux au portrait de Jacquet lui-même, et en ce moment le baron l′eût volontiers acquis pour étudier en lui la généalogie physiologique des deux jeunes Surgis. At this moment, Mme. de Surgis entered the room in search of her sons. As soon as he saw her M. de Charlus went up to her with a friendliness by which the Marquise was all the more agreeably surprised, in that an icy frigidity was what she had expected from the Baron, who had always posed as Oriane′s protector and alone of the family — the rest being too often inclined to forgive the Duke his irregularities by the glamour of his position and their own jealousy of the Duchess — kept his brother′s mistresses pitilessly at a distance. And so Mme. de Surgis had fully understood the motives of the attitude that she dreaded to find in the Baron, but never for a moment suspected those of the wholly different welcome that she did receive from him. He spoke to her with admiration of the portrait that Jacquet had painted of her years before. This admiration waxed indeed to an enthusiasm which, if it was partly deliberate, with the object of preventing the Marquise from going away, of ‘hooking′ her, as Robert used to say of enemy armies when you seek to keep their effective strength engaged at one point, might also be sincere. For, if everyone was delighted to admire in her sons the regal bearing and eyes of Mme. de Surgis, the Baron could taste an inverse but no less keen pleasure in finding those charms combined in the mother, as in a portrait which does not by itself excite desire, but feeds with the aesthetic admiration that it does excite the desires that it revives. These came now to give, in retrospect, a voluptuous charm to Jacquet′s portrait itself, and at that moment the Baron would gladly have purchased it to study upon its surface the physiognomic pedigree of the two young Surgis.
«Tu vois que je n′exagérais pas, me dit Robert. Regarde un peu l′empressement de mon oncle auprès de Mme de Surgis. Et même, là, cela m′étonne. Si Oriane le savait elle serait furieuse. Franchement il y a assez de femmes sans aller juste se précipiter sur celle-là», ajouta-t-il; comme tous les gens qui ne sont pas amoureux, il s′imaginait qu′on choisit la personne qu′on aime après mille délibérations et d′après des qualités et convenances diverses. Du reste, tout en se trompant sur son oncle, qu′il croyait adonné aux femmes, Robert, dans sa rancune, parlait de M. de Charlus avec trop de légèreté. On n′est pas toujours impunément le neveu de quelqu′un. C′est très souvent par son intermédiaire qu′une habitude héréditaire est transmise tôt ou tard. On pourrait faire ainsi toute une galerie de portraits, ayant le titre de la comédie allemande Oncle et neveu, où l′on verrait l′oncle veillant jalousement, bien qu′involontairement, à ce que son neveu finisse par lui ressembler. “You see, I wasn′t exaggerating,” Robert said in my ear. “Just look at the way my uncle is running after Mme. de Surgis. Though I must say, that does surprise me. If Oriane knew, she would be furious. Really, there are enough women in the world without his having to go and sprawl over that one,” he went on; like everybody who is not in love, he imagined that one chose the person whom one loved after endless deliberations and on the strength of various qualities and advantages. Besides, while completely mistaken about his uncle, whom he supposed to be devoted to women, Robert, in his rancour, spoke too lightly of M. de Charlus. We are not always somebody′s nephew with impunity. It is often through him that a hereditary habit is transmitted to us sooner or later. We might indeed arrange a whole gallery of portraits, named like the German comedy: Uncle and Nephew, in which we should see the uncle watching jealously, albeit unconsciously, for his nephew to end by becoming like himself.
J′ajouterai même que cette galerie serait incomplète si l′on n′y faisait pas figurer les oncles qui n′ont aucune parenté réelle, n′étant que les oncles de la femme du neveu. Les Messieurs de Charlus sont, en effet, tellement persuadés d′être les seuls bons maris, en plus les seuls dont une femme ne soit pas jalouse, que généralement, par affection pour leur nièce, ils lui font épouser aussi un Charlus. Ce qui embrouille l′écheveau des ressemblances. Et à l′affection pour la nièce se joint parfois de l′affection aussi pour son fiancé. De tels mariages ne sont pas rares, et sont souvent ce qu′on appelle heureux. I go so far as to say that this gallery would be incomplete were we not to include in it the uncles who are not really related by blood, being the uncles only of their nephews′ wives. The Messieurs de Charlus are indeed so convinced that they themselves are the only good husbands, what is more the only husbands of whom their wives are not jealous, that generally, out of affection for their niece, they make her marry another Charlus. Which tangles the skein of family likenesses. And, to affection for the niece, is added at times affection for her betrothed as well. Such marriages are not uncommon, and are often what are called happy.
— De quoi parlions-nous? Ah! de cette grande blonde, la femme de chambre de Mme Putbus. Elle aime aussi les femmes, mais je pense que cela t′est égal; je peux te dire franchement, je n′ai jamais vu créature aussi belle. — Je me l′imagine assez Giorgione? — Follement Giorgione! Ah! si j′avais du temps à passer à Paris, ce qu′il y a de choses magnifiques à faire! Et puis, on passe à une autre. Car pour l′amour, vois-tu, c′est une bonne blague, j′en suis bien revenu. Je m′aperçus bientôt, avec surprise, qu′il n′était pas moins revenu de la littérature, alors que c′était seulement des littérateurs qu′il m′avait paru désabusé à notre dernière rencontre (c′est presque tous fripouille et Cie, m′avait-il dit, ce qui se pouvait expliquer par sa rancune justifiée à l′endroit de certains amis de Rachel. Ils lui avaient en effet persuadé qu′elle n′aurait jamais de talent si elle laissait «Robert, homme d′une autre race», prendre de l′influence sur elle, et avec elle se moquaient de lui, devant lui, dans les dîners qu′il leur donnait). Mais en réalité l′amour de Robert pour les Lettres n′avait rien de profond, n′émanait pas de sa vraie nature, il n′était qu′un dérivé de son amour pour Rachel, et il s′était effacé de celui-ci, en même temps que son horreur des gens de plaisir et que son respect religieux pour la vertu des femmes. “What were we talking about? Oh yes, that big, fair girl, Mme. Putbus′s maid. She goes with women too, but I don′t suppose you mind that, I can tell you frankly, I have never seen such a gorgeous creature.” “I imagine her rather Giorgione?” “Wildly Giorgione! Oh, if I only had a little time in Paris, what wonderful things there are to be done! And then, one goes on to the next. For love is all rot, mind you, I′ve finished with all that.” I soon discovered, to my surprise, that he had equally finished with literature, whereas it was merely with regard to literary men that he had struck me as being disillusioned at our last meeting. (“They′re practically all a pack of scoundrels,” he had said to me, a saying that might be explained by his justified resentment towards certain of Rachel′s friends. They had indeed persuaded her that she would never have any talent if she allowed ‘Robert, scion of an alien race′ to acquire an influence over her, and with her used to make fun of him, to his face, at the dinners to which he entertained them.) But in reality Robert′s love of Letters was in no sense profound, did not spring from his true nature, was only a by-product of his love of Rachel, and he had got rid of it, at the same time as of his horror of voluptuaries and his religious respect for the virtue of women.
«Comme ces deux jeunes gens ont un air étrange! Regardez cette curieuse passion du jeu, marquise», dit M. de Charlus, en désignant à Mme de Surgis ses deux fils, comme s′il ignorait absolument qui ils étaient, «ce doivent être deux Orientaux, ils ont certains traits caractéristiques, ce sont peut-être des Turcs», ajouta-t-il, à la fois pour confirmer encore sa feinte innocence, témoigner d′une vague antipathie, qui, quand elle ferait place ensuite à l′amabilité, prouverait que celle-ci s′adresserait seulement à la qualité de fils de Mme de Surgis, n′ayant commencé que quand le baron avait appris qui ils étaient. Peut-être aussi M. de Charlus, de qui l′insolence était un don de nature qu′il avait joie à exercer, profitait-il de la minute pendant laquelle il était censé ignorer qui était le nom de ces deux jeunes gens pour se divertir aux dépens de Mme de Surgis et se livrer à ses railleries coutumières, comme Scapin met à profit le déguisement de son maître pour lui administrer des volées de coups de bâton. “There is something very strange about those two young men. Look at that curious passion for gambling, Marquise,” said M. de Charlus, drawing Mme. de Surgis′s attention to her own sons, as though he were completely unaware of their identity. “They must be a pair of Orientals, they have certain characteristic features, they are perhaps Turks,” he went on, so as both to give further support to his feint of innocence and to exhibit a vague antipathy, which, when in due course it gave place to affability, would prove that the latter was addressed to the young men solely in their capacity as sons of Mme. de Surgis, having begun only when the Baron discovered who they were. Perhaps too M. de Charlus, whose insolence was a natural gift which he delighted in exercising, took advantage of the few moments in which he was supposed not to know the name of these two young men to have a little fun at Mme. de Surgis′s expense, and to indulge in his habitual sarcasm, as Scapin takes advantage of his master′s disguise to give him a sound drubbing.
«Ce sont mes fils», dit Mme de Surgis, avec une rougeur qu′elle n′aurait pas eue si elle avait été plus fine sans être plus vertueuse. Elle eût compris alors que l′air d′indifférence absolue ou de raillerie que M. de Charlus manifestait à l′égard d′un jeune homme n′était pas plus sincère que l′admiration toute superficielle qu′il témoignait à une femme n′exprimait le vrai fond de sa nature. Celle à qui il pouvait tenir indéfiniment les propos les plus complimenteurs aurait pu être jalouse du regard que, tout en causant avec elle, il lançait à un homme qu′il feignait ensuite de n′avoir pas remarqué. Car ce regard-là était un regard autre que ceux que M. de Charlus avait pour les femmes; un regard particulier, venu des profondeurs, et qui, même dans une soirée, ne pouvait s′empêcher d′aller naîµ¥ment aux jeunes gens, comme les regards d′un couturier qui décèlent sa profession par la façon immédiate qu′ils ont de s′attacher aux habits. “They are my sons,” said Mme. de Surgis, with a blush which would not have coloured her cheeks had she been more discerning, without necessarily being more virtuous. She would then have understood that the air of absolute indifference or of sarcasm which M. de Charlus displayed towards a young man was no more sincere than the wholly superficial admiration which he shewed for a woman, did not express his true nature. The woman to whom he could go on indefinitely paying the prettiest compliments might well be jealous of the look which, while talking to her, he shot at a man whom he would pretend afterwards not to have noticed. For that look was not of the sort which M. de Charlus kept for women; a special look, springing from the depths, which even at a party could not help straying innocently in the direction of the young men, like the look in a tailor′s eye which betrays his profession by immediately fastening upon your attire.
«Oh! comme c′est curieux», répondit non sans insolence M. de Charlus, en ayant l′air de faire faire à sa pensée un long trajet pour l′amener à une réalité si différente de celle qu′il feignait d′avoir supposée. «Mais je ne les connais pas», ajouta-t-il, craignant d′être allé un peu loin dans l′expression de l′antipathie et d′avoir paralysé ainsi chez la marquise l′intention de lui faire faire leur connaissance. «Est-ce que vous voudriez me permettre de vous les présenter? demanda timidement Mme de Surgis. — Mais, mon Dieu! comme vous penserez, moi, je veux bien, je ne suis pas peut-être un personnage bien divertissant pour d′aussi jeunes gens», psalmodia M. de Charlus avec l′air d′hésitation et de froideur de quelqu′un qui se laisse arracher une politesse. “Oh, how very strange!” replied M. de Charlus, not without insolence, as though his mind had to make a long journey to arrive at a reality so different from what he had pretended to suppose. “But I don′t know them!” he added, fearing lest he might have gone a little too far in the expression of his antipathy, and have thus paralysed the Marquise′s intention to let him make their acquaintance. “Would you allow me to introduce them to you?” Mme. de Surgis inquired timidly. “Why, good gracious, just as you please, I shall be delighted, I am perhaps not very entertaining company for such young people,” M. de Charlus intoned with the air of hesitation and coldness of a person who is letting himself be forced into an act of politeness.
«Arnulphe, Victurnien, venez vite», dit Mme de Surgis. Victurnien se leva avec décision. Arnulphe, sans voir plus loin que son frère, le suivit docilement. “Arnulphe, Victurnien, come here at once,” said Mme. de Surgis. Victurnien rose with decision. Arnulphe, though he could not see where his brother was going, followed him meekly.
— Voilà le tour des fils, maintenant, me dit Robert. C′est à mourir de rire. Jusqu′au chien du logis, il s′efforce de complaire. C′est d′autant plus drôle que mon oncle déteste les gigolos. Et regarde comme il les écoute avec sérieux. Si c′était moi qui avais voulu les lui présenter, ce qu′il m′aurait envoyé dinguer. Écoute, il va falloir que j′aille dire bonjour à Oriane. J′ai si peu de temps à passer à Paris que je veux tâcher de voir ici tous les gens à qui j′aurais été sans cela mettre des cartes. “It′s the sons′ turn, now,” muttered Saint-Loup. “It′s enough to make one die with laughing. He tries to curry favour with every one, down to the dog in the yard. It is all the funnier, as my uncle detests pretty boys. And just look how seriously he is listening to them. If it had been I who tried to introduce them to him, he would have given me what for. Listen, I shall have to go and say how d′ye do to Oriane. I have so little time in Paris that I want to try and see all the people here that I ought to leave cards on.”
— Comme ils ont l′air bien élevés, comme ils ont de jolies manières, était en train de dire M. de Charlus. — Vous trouvez? répondait Mme de Surgis ravie. “What a well-bred air they have, what charming manners,” M. de Charlus was saying. “You think so?” Mme. de Surgis replied, highly delighted.
Swann m′ayant aperçu s′approcha de Saint–Loup et de moi. La gaieté juive était chez Swann moins fine que les plaisanteries de l′homme du monde. «Bonsoir, nous dit-il. Mon Dieu! tous trois ensemble, on va croire à une réunion de syndicat. Pour un peu on va chercher où est la caisse!» Il ne s′était pas aperçu que M. de Beauserfeuil était dans son dos et l′entendait. Le général fronça involontairement les sourcils. Nous entendions la voix de M. de Charlus tout près de nous: «Comment? vous vous appelez Victurnien, comme dans le Cabinet des Antiques», disait le baron pour prolonger la conversation avec les deux jeunes gens. «De Balzac, oui», répondit l′aîné des Surgis, qui n′avait jamais lu une ligne de ce romancier mais à qui son professeur avait signalé, il y avait quelques jours, la similitude de son prénom avec celui de d′Esgrignon. Mme de Surgis était ravie de voir son fils briller et de M. de Charlus extasié devant tant de science. Swann having caught sight of me came over to Saint-Loup and myself. His Jewish gaiety was less refined than his witticisms as a man of the world. “Good evening,” he said to us. “Heavens! All three of us together, people will think it is a meeting of the Syndicate. In another minute they′ll be looking for the safe!” He had not observed that M. de Beaucerfeuil was just behind his back and could hear what he said. The General could not help wincing. We heard the voice of M. de Charlus close beside us: “What, you are called Victurnien, after the Cabinet des Antiques,” the Baron was saying, to prolong his conversation with the two young men. “By Balzac, yes,” replied the elder Surgis, who had never read a line of that novelist′s work, but to whom his tutor had remarked, a few days earlier, upon the similarity of his Christian name and d′Esgrignon′s. Mme. de Surgis was delighted to see her son shine, and at M. de Charlus′s ecstasy before such a display of learning.
— Il paraît que Loubet est en plein pour nous, de source tout à fait sûre, dit à Saint–Loup, mais cette fois à voix plus basse pour ne pas être entendu du général, Swann pour qui les relations républicaines de sa femme devenaient plus intéressantes depuis que l′affaire Dreyfus était le centre de ses préoccupations. Je vous dis cela parce que je sais que vous marchez à fond avec nous. “It appears that Loubet is entirely on our side, I have it from an absolutely trustworthy source,” Swann informed Saint-Loup, but this time in a lower tone so as not to be overheard by the General. Swann had begun to find his wife′s Republican connexions more interesting now that the Dreyfus case had become his chief preoccupation. “I tell you this because I know that your heart is with us.”
— Mais, pas tant que ça; vous vous trompez complètement, répondit Robert. C′est une affaire mal engagée dans laquelle je regrette bien de m′être fourré. Je n′avais rien à voir là dedans. Si c′était à recommencer, je m′en tiendrais bien à l′écart. Je suis soldat et avant tout pour l′armée. Si tu restes un moment avec M. Swann, je te retrouverai tout à l′heure, je vais près de ma tante. “Not quite to that extent; you are entirely mistaken,” was Robert′s answer. “It′s a bad business, and I′m sorry I ever had a finger in it. It was no affair of mine. If it were to begin over again, I should keep well clear of it. I am a soldier, and my first duty is to support the Army. If you will stay with M. Swann for a moment, I shall be back presently, I must go and talk to my aunt.”
Mais je vis que c′était avec Mlle d′Ambressac qu′il allait causer et j′éprouvai du chagrin à la pensée qu′il m′avait menti sur leurs fiançailles possibles. Je fus rasséréné quand j′appris qu′il lui avait été présenté une demi-heure avant par Mme de Marsantes, gui désirait ce mariage, les Ambressac étant très riches. But I saw that it was with Mlle. d′Ambresac that he went to talk, and was distressed by the thought that he had lied to me about the possibility of their engagement. My mind was set at rest when I learned that he had been introduced to her half an hour earlier by Mme. de Marsantés, who was anxious for the marriage, the Ambresacs being extremely rich.
«Enfin, dit M. de Charlus à Mme de Surgis, je trouve un jeune homme instruit, qui a lu, qui sait ce que c′est que Balzac. Et cela me fait d′autant plus de plaisir de le rencontrer là où c′est devenu le plus rare, chez un des mes pairs, chez un des nôtres», ajouta-t-il en insistant sur ces mots. Les Guermantes avaient beau faire semblant de trouver tous les hommes pareils, dans les grandes occasions où ils se trouvaient avec des gens «nés», et surtout moins bien «nés», qu′ils désiraient et pouvaient flatter, ils n′hésitaient pas à sortir les vieux souvenirs de famille. «Autrefois, reprit le baron, aristocrates voulait dire les meilleurs, par l′intelligence, par le coeur. Or, voilà le premier d′entre nous que je vois sachant ce que c′est que Victurnien d′Esgrignon. J′ai tort de dire le premier. Il y a aussi un Polignac et un Montesquiou, ajouta M. de Charlus qui savait que cette double assimilation ne pouvait qu′enivrer la marquise. D′ailleurs vos fils ont de qui tenir, leur grand-père maternel avait une collection célèbre du XVIIIe siècle. Je vous montrerai la mienne si vous voulez me faire le plaisir de venir déjeuner un jour, dit-il au jeune Victurnien. Je vous montrerai une curieuse édition du Cabinet des Antiques avec des corrections de la main de Balzac. Je serai charmé de confronter ensemble les deux Victurnien.» “At last,” said M. de Charlus to Mme. de Surgis, “I find a young man with some education, who has read, who knows what is meant by Balzac. And it gives me all the more pleasure to meet him where that sort of thing has become most rare, in the house of one of my peers, one of ourselves,” he added, laying stress upon the words. It was all very well for the Guermantes to profess to regard all men as equal; on the great occasions when they found themselves among people who were ‘born,′ especially if they were not quite so well born as themselves, whom they were anxious and able to flatter, they did not hesitate to trot out old family memories. “At one time,” the Baron went on, “the word aristocrat meant the best people, in intellect, in heart. Now, here is the first person I find among ourselves who has ever heard of Victurnien d′Esgrignon. I am wrong in saying the first. There are also a Polignac and a Montesquieu,” added M. de Charlus, who knew that this twofold association must inevitably thrill the Marquise. “However, your sons have every reason to be learned, their maternal grandfather had a famous collection of eighteenth century stuff. I will shew you mine if you will do me the pleasure of coming to luncheon with me one day,” he said to the young Victurnien. “I can shew you an interesting edition of the Cabinet des Antiques with corrections in Balzac′s own hand. I shall be charmed to bring the two Victurniens face to face.”
Je ne pouvais me décider à quitter Swann. Il était arrivé à ce degré de fatigue où le corps d′un malade n′est plus qu′une cornue où s′observent des réactions chimiques. Sa figure se marquait de petits points bleu de Prusse, qui avaient l′air de ne pas appartenir au monde vivant, et dégageait ce genre d′odeur qui, au lycée, après les «expériences», rend si désagréable de rester dans une classe de «Sciences». Je lui demandai s′il n′avait pas eu une longue conversation avec le prince de Guermantes et s′il ne voulait pas me raconter ce qu′elle avait été. — Si, me dit-il, mais allez d′abord un moment avec M. de Charlus et Mme de Surgis, je vous attendrai ici. I could not bring myself to leave Swann. He had arrived at that stage of exhaustion in which a sick man′s body becomes a mere retort in which we study chemical reactions. His face was mottled with tiny spots of Prussian blue, which seemed not to belong to the world of living things, and emitted the sort of odour which, at school, after the ‘experiments,′ makes it so unpleasant to have to remain in a ‘science′ classroom. I asked him whether he had not had a long conversation with the Prince de Guermantes and if he would tell me what it had been about. “Yes,” he said, “but go for a moment first with M. de Charlus and Mme. de Surgis, I shall wait for you here.”
En effet, M. de Charlus ayant proposé à Mme de Surgis de quitter cette pièce trop chaude et d′aller s′asseoir un moment avec elle, dans une autre, n′avait pas demandé aux deux fils de venir avec leur mère, mais à moi. De cette façon, il se donnait l′air, après les avoir amorcés, de ne pas tenir aux deux jeunes gens. Il me faisait de plus une politesse facile, Mme de Surgis-le-Duc étant assez mal vue. Indeed, M. de Charlus, having suggested to Mme. de Surgis that they should leave this room which was too hot, and go and sit for a little in another, had invited not the two sons to accompany their mother, but myself. In this way he made himself appear, after he had successfully hooked them, to have lost all interest in the two young men. He was moreover paying me an inexpensive compliment, Mme. de Surgis being in distinctly bad odour.
Malheureusement, à peine étions-nous assis dans une baie sans dégagements, que Mme de Saint–Euverte, but des quolibets du baron, vint à passer. Elle, peut-être pour dissimuler, ou dédaigner ouvertement les mauvais sentiments qu′elle inspirait à M. de Charlus, et surtout montrer qu′elle était intime avec une dame qui causait si familièrement avec lui, dit un bonjour dédaigneusement amical à la célèbre beauté, laquelle lui répondit, tout en regardant du coin de l′oeil M. de Charlus avec un sourire moqueur. Mais la baie était si étroite que Mme de Saint–Euverte, quand elle voulut, derrière nous, continuer de quêter ses invités du lendemain, se trouva prise et ne put facilement se dégager, moment précieux dont M. de Charlus, désireux de faire briller sa verve insolente aux yeux de la mère des deux jeunes gens, se garda bien de ne pas profiter. Une niaise question que je lui posai sans malice lui fournit l′occasion d′un triomphal couplet dont la pauvre de Saint–Euverte, quasi immobilisée derrière nous, ne pouvait guère perdre un mot. — Croyez-vous que cet impertinent jeune homme, dit-il en me désignant à Mme de Surgis, vient de me demander, sans le moindre souci qu′on doit avoir de cacher ces sortes de besoins, si j′allais chez Mme de Saint–Euverte, c′est-à-dire, je pense, si j′avais la colique. Je tâcherais en tout cas de m′en soulager dans un endroit plus confortable que chez une personne qui, si j′ai bonne mémoire, célébrait son centenaire quand je commençai à aller dans le monde, c′est-à-dire pas chez elle. Et pourtant, qui plus qu′elle serait intéressante à entendre? Que de souvenirs historiques, vus et vécus du temps du Premier Empire et de la Restauration, que d′histoires intimes aussi qui n′avaient certainement rien de «Saint», mais devaient être très «Vertes», si l′on en croit la cuisse restée légère de la vénérable gambadeuse. Ce qui m′empêcherait de l′interroger sur ces époques passionnantes, c′est la sensibilité de mon appareil olfactif. La proximité de la dame suffit. Je me dis tout d′un coup: «Oh! mon Dieu, on a crevé ma fosse d′aisances», c′est simplement la marquise qui, dans quelque but d′invitation, vient d′ouvrir la bouche. Et vous comprenez que si j′avais le malheur d′aller chez elle, la fosse d′aisances se multiplierait en un formidable tonneau de vidange. Elle porte pourtant un nom mystique qui me fait toujours penser avec jubilation, quoiqu′elle ait passé depuis longtemps la date de son jubilé, à ce stupide vers dit «déliquescent»: «Ah! verte, combien verte était mon âme ce jour-là . . . » Mais il me faut une plus propre verdure. On me dit que l′infatigable marcheuse donne des «garden-parties», moi j′appellerais ça «des invites à se promener dans les égouts». Est-ce que vous allez vous crotter là? demanda-t-il à Mme de Surgis, qui cette fois se trouva ennuyée. Car voulant feindre de n′y pas aller, vis-à-vis du baron, et sachant qu′elle donnerait des jours de sa propre vie plutôt que de manquer la matinée Saint–Euverte, elle s′en tira par une moyenne, c′est-à-dire l′incertitude. Cette incertitude prit une forme si bêtement dilettante et si mesquinement couturière, que M. de Charlus, ne craignant pas d′offenser Mme de Surgis, à laquelle pourtant il désirait plaire, se mit à rire pour lui montrer que «ça ne prenait pas». Unfortunately, no sooner had we sat down in an alcove from which there was no way of escape than Mme. de Saint-Euverte, a butt for the Baron′s jibes, came past. She, perhaps to mask or else openly to shew her contempt for the ill will which she inspired in M. de Charlus, and above all to shew that she was on intimate terms with a woman who was talking so familiarly to him, gave a disdainfully friendly greeting to the famous beauty, who acknowledged it, peeping out of the corner of her eye at M. de Charlus with a mocking smile. But the alcove was so narrow that Mme. de Saint-Euverte, when she tried to continue, behind our backs, her canvass of her guests for the morrow, found herself a prisoner, and had some difficulty in escaping, a precious moment which M. de Charlus, anxious that his insolent wit should shine before the mother of the two young men, took good care not to let slip. A silly question which I had put to him, without malice aforethought, gave him the opportunity for a hymn of triumph of which the poor Saint-Euverte, almost immobilised behind us, could not have lost a word. “Would you believe it, this impertinent young man,” he said, indicating me to Mme. de Surgis, “asked me just now, without any sign of that modesty which makes us keep such expeditions private, if I was going to Mme. de Saint-Euverte′s, which is to say, I suppose, if I was suffering from the colic. I should endeavour, in any case, to relieve myself in some more comfortable place than the house of a person who, if my memory serves me, was celebrating her centenary when I first began to go about town, though not, of course, to her house. And yet who could be more interesting to listen to? What a host of historic memories, seen and lived through in the days of the First Empire and the Restoration, and secret history too, which could certainly have nothing of the ‘saint′ about it, but must be decidedly ‘verdant′ if we are to judge by the amount of kick still left in the old trot′s shanks. What would prevent me from questioning her about those passionate times is the acuteness of my olfactory organ. The proximity of the lady is enough. I say to myself all at once: oh, good lord, some one has broken the lid of my cesspool, when it is simply the Marquise opening her mouth to emit some invitation. And you can understand that if I had the misfortune to go to her house, the cesspool would be magnified into a formidable sewage-cart. She bears a mystic name, though, which has always made me think with jubilation, although she has long since passed the date of her jubilee, of that stupid line of poetry called deliquescent: ‘Ah, green, how green my soul was on that day. . . . ′ But I require a cleaner sort of verdure. They tell me that the indefatigable old streetwalker gives ‘garden-parties,′ I should describe them as ‘invitations to explore the sewers.′ Are you going to wallow there?” he asked Mme. de Surgis, who this time was annoyed. Wishing to pretend for the Baron′s benefit that she was not going, and knowing that she would give days of her life rather than miss the Saint-Euverte party, she got out of it by taking a middle course, that is to say uncertainty. This uncertainty took so clumsily amateurish, so sordidly material a form, that M. de Charlus, with no fear of offending Mme. de Surgis, whom nevertheless he was anxious to please, began to laugh to shew her that ‘it cut no ice with him.′
— J′admire toujours les gens qui font des projets, dit-elle; je me décommande souvent au dernier moment. Il y a une question de robe d′été qui peut changer les choses. J′agirai sous l′inspiration du moment. “I always admire people who make plans,” she said; “I often change mine at the last moment. There is a question of a summer frock which may alter everything. I shall act upon the inspiration of the moment.”
Pour ma part, j′étais indigné de l′abominable petit discours que venait de tenir M. de Charlus. J′aurais voulu combler de biens la donneuse de garden-parties. Malheureusement dans le monde, comme dans le monde politique, les victimes sont si lâches qu′on ne peut pas en vouloir bien longtemps aux bourreaux. Mme de Saint–Euverte, qui avait réussi à se dégager de la baie dont nous barrions l′entrée, frôla involontairement le baron en passant, et, par un réflexe de snobisme qui annihilait chez elle toute colère, peut-être même dans l′espoir d′une entrée en matière d′un genre dont ce ne devait pas être le premier essai: «Oh! pardon, monsieur de Charlus, j′espère que je ne vous ai pas fait mal», s′écria-t-elle comme si elle s′agenouillait devant son maître. Celui-ci ne daigna répondre autrement que par un large rire ironique et concéda seulement un «bonsoir», qui, comme s′il s′apercevait seulement de la présence de la marquise une fois qu′elle l′avait salué la première, était une insulte de plus. Enfin, avec une platitude suprême, dont je souffris pour elle, Mme de Saint–Euverte s′approcha de moi et, m′ayant pris à l′écart, me dit à l′oreille: «Mais, qu′ai-je fait à M. de Charlus? On prétend qu′il ne me trouve pas assez chic pour lui», dit-elle, en riant à gorge déployée. Je restai sérieux. D′une part, je trouvais stupide qu′elle eût l′air de se croire ou de vouloir faire croire que personne n′était, en effet, aussi chic qu′elle. D′autre part, les gens qui rient si fort de ce qu′ils disent, et qui n′est pas drôle, nous dispensent par là, en prenant à leur charge l′hilarité, d′y participer. For my part, I was furious at the abominable little speech that M. de Charlus had just made. I would have liked to shower blessings upon the giver of garden-parties. Unfortunately, in the social as in the political world, the victims are such cowards that one cannot for long remain indignant with their tormentors. Mme. de Saint-Euverte, who had succeeded in escaping from the alcove to which we were barring the entry, brushed against the Baron inadvertently as she passed him, and, by a reflex action of snobbishness which wiped out all her anger, perhaps even in the hope of securing an opening, at which this could not be the first attempt, exclaimed: “Oh! I beg your pardon, Monsieur de Charlus, I hope I did not hurt you,” as though she were kneeling before her lord and master. The latter did not deign to reply save by a broad ironical smile, and conceded only a “Good evening,” which, uttered as though he were only now made aware of the Marquise′s presence after she had greeted him, was an insult the more. Lastly, with a supreme want of spirit which pained me for her sake, Mme. de Saint-Euverte came up to me and, drawing me aside, said in my ear: “Tell me, what have I done to offend M. de Charlus? They say that he doesn′t consider me smart enough for him,” she said, laughing from ear to ear. I remained serious. For one thing, I thought it stupid of her to appear to believe or to wish other people to believe that nobody, really, was as smart as herself. For another thing, people who laugh so heartily at what they themselves have said, when it is not funny, dispense us accordingly, by taking upon themselves the responsibility for the mirth, from joining in it.
— D′autres assurent qu′il est froissé que je ne l′invite pas. Mais il ne m′encourage pas beaucoup. Il a l′air de me bouder (l′expression me parut faible). Tâchez de le savoir et venez me le dire demain. Et s′il a des remords et veut vous accompagner, amenez-le. A tout péché miséricorde. Cela me ferait même assez plaisir, à cause de Mme de Surgis que cela ennuierait. Je vous laisse carte blanche. Vous avez le flair le plus fin de toutes ces choses-là et je ne veux pas avoir l′air de quémander des invités. En tout cas, sur vous, je compte absolument. “Other people assure me that he is cross because I do not invite him. But he does not give me much encouragement. He seems to avoid me.” (This expression struck me as inadequate.) “Try to find out, and come and tell me to-morrow. And if he feels remorseful and wishes to come too, bring him. I shall forgive and forget. Indeed, I shall be quite glad to see him, because it will annoy Mme. de Surgis. I give you a free hand. You have the most perfect judgment in these matters and I do not wish to appear to be begging my guests to come. In any case, I count upon you absolutely.”
Je songeai que Swann devait se fatiguer à m′attendre. Je ne voulais pas, du reste, rentrer trop tard à cause d′Albertine, et, prenant congé de Mme de Surgis et de M. de Charlus, j′allai retrouver mon malade dans la salle de jeux. Je lui demandai si ce qu′il avait dit au Prince dans leur entretien au jardin était bien ce que M. de Bréauté (que je ne lui nommai pas) nous avait rendu et qui était relatif à un petit acte de Bergotte. Il éclata de rire: «Il n′y a pas un mot de vrai, pas un seul, c′est entièrement inventé et aurait été absolument stupide. Vraiment c′est inouퟣette génération spontanée de l′erreur. Je ne vous demande pas qui vous a dit cela, mais ce serait vraiment curieux, dans un cadre aussi délimité que celui-ci, de remonter de proche en proche pour savoir comment cela s′est formé. Du reste, comment cela peut-il intéresser les gens, ce que le Prince m′a dit? Les gens sont bien curieux. Moi, je n′ai jamais été curieux, sauf quand j′ai été amoureux et quand j′ai été jaloux. Et pour ce que cela m′a appris! Êtes-vous jaloux?» Je dis à Swann que je n′avais jamais éprouvé de jalousie, que je ne savais même pas ce que c′était. «Hé bien! je vous en félicite. Quand on l′est un peu, cela n′est pas tout à fait désagréable, à deux points de vue. D′une part, parce que cela permet aux gens qui ne sont pas curieux de s′intéresser à la vie des autres personnes, ou au moins d′une autre. Et puis, parce que cela fait assez bien sentir la douceur de posséder, de monter en voiture avec une femme, de ne pas la laisser aller seule. Mais cela, ce n′est que dans les tout premiers débuts du mal ou quand la guérison est presque complète. Dans l′intervalle, c′est le plus affreux des supplices. Du reste, même les deux douceurs dont je vous parle, je dois vous dire que je les ai peu connues; la première, par la faute de ma nature qui n′est pas capable de réflexions très prolongées; la seconde, à cause des circonstances, par la faute de la femme, je veux dire des femmes, dont j′ai été jaloux. Mais cela ne fait rien. Même quand on ne tient plus aux choses, il n′est pas absolument indifférent d′y avoir tenu, parce que c′était toujours pour des raisons qui échappaient aux autres. Le souvenir de ces sentiments-là, nous sentons qu′il n′est qu′en nous; c′est en nous qu′il faut rentrer pour le regarder. Ne vous moquez pas trop de ce jargon idéaliste, mais ce que je veux dire, c′est que j′ai beaucoup aimé la vie et que j′ai beaucoup aimé les arts. Hé bien! maintenant que je suis un peu trop fatigué pour vivre avec les autres, ces anciens sentiments si personnels à moi, que j′ai eus, me semblent, ce qui est la manie de tous les collectionneurs, très précieux. Je m′ouvre à moi-même mon coeur comme une espèce de vitrine, je regarde un à un tant d′amours que les autres n′auront pas connus. Et de cette collection à laquelle je suis maintenant plus attaché encore qu′aux autres, je me dis, un peu comme Mazarin pour ses livres, mais, du reste, sans angoisse aucune, que ce sera bien embêtant de quitter tout cela. Mais venons à l′entretien avec le Prince, je ne le raconterai qu′à une seule personne, et cette personne, cela va être vous.» J′étais gêné, pour l′entendre, par la conversation que, tout près de nous, M. de Charlus, revenu dans la salle de jeux, prolongeait indéfiniment. «Et vous lisez aussi? Qu′est-ce que vous faites?» demanda-t-il au comte Arnulphe, qui ne connaissait même pas le nom de Balzac. Mais sa myopie, comme il voyait tout très petit, lui donnait l′air de voir très loin, de sorte que, rare poésie en un sculptural dieu grec, dans ses prunelles s′inscrivaient comme de distantes et mystérieuses étoiles. It occurred to me that Swann must be getting tired of waiting for me. I did not wish, moreover, to be too late in returning home, because of Albertine, and, taking leave of Mme. de Surgis and M. de Charlus, I went in search of my sick man in the card-room. I asked him whether what he had said to the Prince in their conversation in the garden was really what M. de Bréauté (whom I did not name) had reported to us, about a little play by Bergotte. He burst out laughing: “There is not a word of truth in it, not one, it is entirely made up and would have been an utterly stupid thing to say. Really, it is unheard of, this spontaneous generation of falsehood. I do not ask who it was that told you, but it would be really interesting, in a field as limited as this, to work back from one person to another and find out how the story arose. Anyhow, what concern can it be of other people, what the Prince said to me? People are very inquisitive. I have never been inquisitive, except when I was in love, and when I was jealous. And a lot I ever learned! Are you jealous?” I told Swann that I had never experienced jealousy, that I did not even know what it was. “Indeed! I congratulate you. A little jealousy is not at all a bad thing, from two points of view. For one thing, because it enables people who are not inquisitive to take an interest in the lives of others, or of one other at any rate. And besides, it makes one feel the pleasure of possession, of getting into a carriage with a woman, of not allowing her to go about by herself. But that occurs only in the very first stages of the disease, or when the cure is almost complete. In the interval, it is the most agonising torment. However, even the two pleasures I have mentioned, I must own to you that I have tasted very little of them: the first, by the fault of my own nature, which is incapable of sustained reflexion; the second, by force of circumstances, by the fault of the woman, I should say the women, of whom I have been jealous. But that makes no difference. Even when one is no longer interested in things, it is still something to have been interested in them; because it was always for reasons which other people did not grasp. The memory of those sentiments is, we feel, to be found only in ourselves; we must go back into ourselves to study it. You mustn′t laugh at this idealistic jargon, what I mean to say is that I have been very fond of life and very fond of art. Very well! Now that I am a little too weary to live with other people, those old sentiments, so personal and individual, that I felt in the past, seem to me — it is the mania of all collectors — very precious. I open my heart to myself like a sort of showcase, and examine one by one ever so many love affairs of which the rest of the world can have known nothing. And of this collection, to which I am now even more attached than to my others, I say to myself, rather as Mazarin said of his library, but still without any keen regret, that it will be very tiresome to have to leave it all. But, to come back to my conversation with the Prince, I shall repeat it to one person only, and that person is going to be yourself.” My attention was distracted by the conversation that M. de Charlus, who had returned to the card-room, was prolonging indefinitely close beside us. “And are you a reader too? What do you do?” he asked Comte Arnulphe, who had never heard even the name of Balzac. But his short-sightedness, as he saw everything very small, gave him the appearance of seeing to great distances, so that, rare poetry in a sculptural Greek god, there seemed to be engraved upon his pupils remote, mysterious stars.
«Si nous allions faire quelques pas dans le jardin, monsieur», dis-je à Swann, tandis que le comte Arnulphe, avec une voix zézayante qui semblait indiquer que son développement, au moins mental, n′était pas complet, répondait à M. de Charlus avec une précision complaisante et naîµ¥: «Oh! moi, c′est plutôt le golf, le tennis, le ballon, la course à pied, surtout le polo.» Telle Minerve, s′étant subdivisée, avait cessé, dans certaine cité, d′être la déesse de la Sagesse et avait incarné une part d′elle-même en une divinité purement sportive, hippique, «Athénè Hippia». Et il allait aussi à Saint–Moritz faire du ski, car Pallas Tritogeneia fréquente les hauts sommets et rattrape les cavaliers. «Ah!» répondit M. de Charlus, avec le sourire transcendant de l′intellectuel qui ne prend même pas la peine de dissimuler qu′il se moque, mais qui, d′ailleurs, se sent si supérieur aux autres et méprise tellement l′intelligence de ceux qui sont le moins bêtes, qu′il les différencie à peine de ceux qui le sont le plus, du moment qu′ils peuvent lui être agréables d′une autre façon. En parlant à Arnulphe, M. de Charlus trouvait qu′il lui conférait par là même une supériorité que tout le monde devait envier et reconnaître. «Non, me répondit Swann, je suis trop fatigué pour marcher, asseyons-nous plutôt dans un coin, je ne tiens plus debout.» C′était vrai, et pourtant, commencer à causer lui avait déjà rendu une certaine vivacité. C′est que dans la fatigue la plus réelle il y a, surtout chez les gens nerveux, une part qui dépend de l′attention et qui ne se conserve que par la mémoire. On est subitement las dès qu′on craint de l′être, et pour se remettre de sa fatigue, il suffit de l′oublier. Certes, Swann n′était pas tout à fait de ces infatigables épuisés qui, arrivés défaits, flétris, ne se tenant plus, se raniment dans la conversation comme une fleur dans l′eau et peuvent pendant des heures puiser dans leurs propres paroles des forces qu′ils ne transmettent malheureusement pas à ceux qui les écoutent et qui paraissent de plus en plus abattus au fur et à mesure que le parleur se sent plus réveillé. Mais Swann appartenait à cette forte race juive, à l′énergie vitale, à la résistance à la mort de qui les individus eux-mêmes semblent participer. Frappés chacun de maladies particulières, comme elle l′est, elle-même, par la persécution, ils se débattent indéfiniment dans des agonies terribles qui peuvent se prolonger au delà de tout terme vraisemblable, quand déjà on ne voit plus qu′une barbe de prophète surmontée d′un nez immense qui se dilate pour aspirer les derniers souffles, avant l′heure des prières rituelles, et que commence le défilé ponctuel des parents éloignés s′avançant avec des mouvements mécaniques, comme sur une frise assyrienne. “Suppose we took a turn in the garden, Sir,” I said to Swann, while Comte Arnulphe, in a lisping voice which seemed to indicate that mentally at least his development was incomplete, replied to M. de Charlus with an artlessly obliging precision: “I, oh, golf chiefly, tennis, football, running, polo I′m really keen on.” So Minerva, being subdivided, ceased in certain cities to be the goddess of wisdom, and incarnated part of herself in a purely sporting, horse-loving deity, Athene Hippia. And he went to Saint Moritz also to ski, for Pallas Trilogeneia frequents the high peaks and outruns swift horsemen. “Ah!” replied M. de Charlus with the transcendent smile of the intellectual who does not even take the trouble to conceal his derision, but, on the other hand, feels himself so superior to other people and so far despises the intelligence of those who are the least stupid, that he barely differentiates between them and the most stupid, the moment they can be attractive to him in some other way. While talking to Arnulphe, M. de Charlus felt that by the mere act of addressing him he was conferring upon him a superiority which everyone else must recognise and envy. “No,” Swann replied, “I am too tired to walk about, let us sit down somewhere in a corner, I cannot remain on my feet any longer.” This was true, and yet the act of beginning to talk had already given him back a certain vivacity. This was because, in the most genuine exhaustion, there is, especially in neurotic people, an element that depends upon attracting their attention and is kept going only by an act of memory. We at once feel tired as soon as we are afraid of feeling tired, and, to throw off our fatigue, it suffices us to forget about it. To be sure, Swann was far from being one of those indefatigable invalids who, entering a room worn out and ready to drop, revive in conversation like a flower in water and are able for hours on end to draw from their own words a reserve of strength which they do not, alas, communicate to their hearers, who appear more and more exhausted the more the talker comes back to life. But Swann belonged to that stout Jewish race, in whose vital energy, its resistance to death, its individual members seem to share. Stricken severally by their own diseases, as it is stricken itself by persecution, they continue indefinitely to struggle against terrible suffering which may be prolonged beyond every apparently possible limit, when already one sees nothing more than a prophet′s beard surmounted by a huge nose which dilates to inhale its last breath, before the hour strikes for the ritual prayers and the punctual procession begins of distant relatives advancing with mechanical movements, as upon an Assyrian frieze.
Nous allâmes nous asseoir, mais, avant de s′éloigner du groupe que M. de Charlus formait avec les deux jeunes Surgis et leur mère, Swann ne put s′empêcher d′attacher sur le corsage de celle-ci de longs regards de connaisseur dilatés et concupiscents. Il mit son monocle pour mieux apercevoir, et, tout en me parlant, de temps à autre il jetait un regard vers la direction de cette dame. — Voici mot pour mot, me dit-il, quand nous fûmes assis, ma conversation avec le Prince, et si vous vous rappelez ce que je vous ai dit tantôt, vous verrez pourquoi je vous choisis pour confident. Et puis aussi, pour une autre raison que vous saurez un jour. «Mon cher Swann, m′a dit le prince de Guermantes, vous m′excuserez si j′ai paru vous éviter depuis quelque temps. (Je ne m′en étais nullement aperçu, étant malade et fuyant moi-même tout le monde.) D′abord, j′avais entendu dire, et je prévoyais bien que vous aviez, dans la malheureuse affaire qui divise le pays, des opinions entièrement opposées aux miennes. Or, il m′eût été excessivement pénible que vous les professiez devant moi. Ma nervosité était si grande que, la Princesse ayant entendu, il y a deux ans, son beau-frère le grand-duc de Hesse dire que Dreyfus était innocent, elle ne s′était pas contentée de relever le propos avec vivacité, mais ne me l′avait pas répété pour ne pas me contrarier. Presque à la même époque, le prince royal de Suède était venu à Paris et, ayant probablement entendu dire que l′impératrice Eugénie était dreyfusiste, avait confondu avec la Princesse (étrange confusion, vous l′avouerez, entre une femme du rang de ma femme et une Espagnole, beaucoup moins bien née qu′on ne dit, et mariée à un simple Bonaparte) et lui avait dit: «Princesse, je suis doublement heureux de vous voir, car je sais que vous avez les mêmes idées que moi sur l′affaire Dreyfus, ce qui ne m′étonne pas puisque Votre Altesse est bavaroise.» Ce qui avait attiré au Prince cette réponse: «Monseigneur, je ne suis plus qu′une princesse française, et je pense comme tous mes compatriotes.» Or, mon cher Swann, il y a environ un an et demi, une conversation que j′eus avec le général de Beauserfeuil me donna le soupçon que, non pas une erreur, mais de graves illégalités, avaient été commises dans la conduite du procès.» We went to sit down, but, before moving away from the group formed by M. de Charlus with the two young Surgis and their mother, Swann could not resist fastening upon the lady′s bosom the slow expansive concupiscent gaze of a connoisseur. He put up his monocle, for a better view, and, while he talked to me, kept glancing in the direction of the lady. “This is, word for word,” he said to me when we were seated, “my conversation with the Prince, and if you remember what I said to you just now, you will see why I choose you as my confidant. There is another reason as well, which you shall one day learn. —‘My dear Swann,′ the Prince de Guermantes said to me, ‘you must forgive me if I have appeared to be avoiding you for some time past.′ (I had never even noticed it, having been ill and avoiding society myself.) ‘In the first place, I had heard it said that, as I fully expected, in the unhappy affair which is splitting the country in two your views were diametrically opposed to mine. Now, it would have been extremely painful to me to have to hear you express them. So sensitive were my nerves that when the Princess, two years ago, heard her brother-in-law, the Grand Duke of Hesse, say that Dreyfus was innocent, she was not content with promptly denying the assertion but refrained from repeating it to me in order not to upset me. About the same time, the Crown Prince of Sweden came to Paris and, having probably heard some one say that the Empress Eugénie was a Dreyfusist, confused her with the Princess (a strange confusion, you will admit, between a woman of the rank of my wife and a Spaniard, a great deal less well born than people make out, and married to a mere Bonaparte), and said to her: Princess, I am doubly glad to meet you, for I know that you hold the same view as myself of the Dreyfus case, which does not surprise me since Your Highness is Bavarian. Which drew down upon the Prince the answer: Sir, I am nothing now but a French Princess, and I share the views of all my fellow-countrymen. Now, my dear Swann, about eighteen months ago, a conversation I had with General de Beaucerfeuil made me suspect that not an error, but grave illegalities had been committed in the procedure of the trial.′”
Nous fûmes interrompus (Swann ne tenait pas à ce qu′on entendît son récit) par la voix de M. de Charlus qui, sans se soucier de nous, d′ailleurs, passait en reconduisant Mme de Surgis et s′arrêta pour tâcher de la retenir encore, soit à cause de ses fils, ou de ce désir qu′avaient les Guermantes de ne pas voir finir la minute actuelle, lequel les plongeait dans une sorte d′anxieuse inertie. Swann m′apprit à ce propos, un peu plus tard, quelque chose qui ôta, pour moi, au nom de Surgis-le-Duc toute la poésie que je lui avais trouvée. La marquise de Surgis-le-Duc avait une beaucoup plus grande situation mondaine, de beaucoup plus belles alliances que son cousin, le comte de Surgis qui, pauvre, vivait dans ses terres. Mais le mot qui terminait le titre, «le Duc», n′avait nullement l′origine que je lui prêtais et qui m′avait fait le rapprocher, dans mon imagination, de Bourg-l′Abbé, Bois-le-Roi, etc. We were interrupted (Swann did not wish people to overhear his story) by the voice of M. de Charlus who (without, as it happened, paying us the slightest attention) came past escorting Mme. de Surgis, and stopped in the hope of detaining her for a moment longer, whether on account of her sons or from that reluctance common to all the Guermantes to bring anything to an end, which kept them plunged in a sort of anxious inertia. Swann informed me, in this connexion, a little later, of something that stripped the name Surgis-le-Duc, for me, of all the poetry that I had found in it. The Marquise de Surgis-le-Duc boasted a far higher social position, far finer connexions by marriage than her cousin the Comte de Surgis, who had no money and lived on his estate in the country. But the words that ended her title “le Duc” had not at all the origin which I ascribed to them, and which had made me associate it in my imagination with Bourg-l′Abbé, Bois-le-Roi, etc.
Tout simplement, un comte de Surgis avait épousé, pendant la Restauration, la fille d′un richissime industriel M. Leduc, ou Le Duc, fils lui-même d′un fabricant de produits chimiques, l′homme le plus riche de son temps, et qui était pair de France. Le roi Charles X avait créé, pour l′enfant issu de ce mariage, le marquisat de Surgis-le-Duc, le marquisat de Surgis existant déjà dans la famille. L′adjonction du nom bourgeois n′avait pas empêché cette branche de s′allier, à cause de l′énorme fortune, aux premières familles du royaume. Et la marquise actuelle de Surgis-le-Duc, d′une grande naissance, aurait pu avoir une situation de premier ordre. Un démon de perversité l′avait poussée, dédaignant la situation toute faite, à s′enfuir de la maison conjugale, à vivre de la façon la plus scandaleuse. Puis, le monde dédaigné par elle à vingt ans, quand il était à ses pieds, lui avait cruellement manqué à trente, quand, depuis dix ans, personne, sauf de rares amies fidèles, ne la saluait plus, et elle avait entrepris de reconquérir laborieusement, pièce par pièce, ce qu′elle possédait en naissant (aller et retour qui ne sont pas rares). All that had happened was that a Comte de Surgis had married, during the Restoration, the daughter of an immensely rich industrial magnate, M. Leduc, or Le Duc, himself the son of a chemical manufacturer, the richest man of his day, and a Peer of France. King Charles X had created for the son born of this marriage the Marquisate of Surgis-le-Duc, a Marquisate of Surgis existing already in the family. The addition of the plebeian surname had not prevented this branch from allying itself, on the strength of its enormous fortune, with the first families of the realm. And the present Marquise de Surgis-le-Duc, herself of exalted birth, might have moved in the very highest circles. A demon of perversity had driven her, scorning the position ready made for her, to flee from the conjugal roof, to live a life of open scandal. Whereupon the world which she had scorned at twenty, when it was at her feet, had cruelly failed her at thirty, when, after ten years, everybody, except a few faithful friends, had ceased to bow to her, and she set to work to reconquer laboriously, inch by inch, what she had possessed as a birthright. (An outward and return journey which are not uncommon.)
Quant aux grands seigneurs ses parents, reniés jadis par elle, et qui l′avaient reniée à leur tour, elle s′excusait de la joie qu′elle aurait à les ramener à elle sur des souvenirs d′enfance qu′elle pourrait évoquer avec eux. Et en disant cela, pour dissimuler son snobisme, elle mentait peut-être moins qu′elle ne croyait. «Basin, c′est toute ma jeunesse!» disait-elle le jour où il lui était revenu. Et, en effet, c′était un peu vrai. Mais elle avait mal calculé en le choisissant comme amant. Car toutes les amies de la duchesse de Guermantes allaient prendre parti pour elle, et ainsi Mme de Surgis redescendrait pour la deuxième fois cette pente qu′elle avait eu tant de peine à remonter. «Hé bien! était en train de lui dire M. de Charlus, qui tenait à prolonger l′entretien, vous mettrez mes hommages au pied du beau portrait. Comment va-t-il? Que devient-il? — Mais, répondit Mme de Surgis, vous savez que je ne l′ai plus: mon mari n′en a pas été content. — Pas content! d′un des chefs-d′oeuvre de notre époque, égal à la duchesse de Châteauroux de Nattier et qui, du reste, ne prétendait pas à fixer une moins majestueuse et meurtrière déesse! Oh! le petit col bleu! C′est-à-dire que jamais Ver Meer n′a peint une étoffe avec plus de maîtrise, ne le disons pas trop haut pour que Swann ne s′attaque pas à nous dans l′intention de venger son peintre favori, le maître de Delft.» La marquise, se retournant, adressa un sourire et tendit la main à Swann qui s′était soulevé pour la saluer. Mais presque sans dissimulation, soit qu′une vie déjà avancée lui en eût ôté la volonté morale par l′indifférence à l′opinion, ou le pouvoir physique par l′exaltation du désir et l′affaiblissement des ressorts qui aident à le cacher, dès que Swann eut, en serrant la main de la marquise, vu sa gorge de tout près et de haut, il plongea un regard attentif, sérieux, absorbé, presque soucieux, dans les profondeurs du corsage, et ses narines, que le parfum de la femme grisait, palpitèrent comme un papillon prêt à aller se poser sur la fleur entrevue. Brusquement il s′arracha au vertige qui l′avait saisi, et Mme de Surgis elle-même, quoique gênée, étouffa une respiration profonde, tant le désir est parfois contagieux. «Le peintre s′est froissé, dit-elle à M. de Charlus, et l′a repris. On avait dit qu′il était maintenant chez Diane de Saint–Euverte. — Je ne croirai jamais, répliqua le baron, qu′un chef-d′oeuvre ait si mauvais goût.» As for the great nobles, her kinsmen, whom she had disowned in the past, and who in their turn had now disowned her, she found an excuse for the joy that she would feel in gathering them again to her bosom in the memories of childhood that they would be able to recall. And in so saying, to cloak her snobbishness, she was perhaps less untruthful than she supposed. “Basin is all my girlhood!” she said on the day on which he came back to her. And as a matter of fact there was a grain of truth in the statement. But she had miscalculated when she chose him for her lover. For all the women friends of the Duchesse de Guermantes were to rally round her, and so Mme. de Surgis must descend for the second time that slope up which she had so laboriously toiled. “Well!” M. de Charlus was saying to her, in his attempt to prolong the conversation. “You will lay my tribute at the feet of the beautiful portrait. How is it? What has become of it?” “Why,” replied Mme. de Surgis, “you know I haven′t got it now; my husband wasn′t pleased with it.” “Not pleased! With one of the greatest works of art of our time, equal to Nattier′s Duchesse de Châteauroux, and, moreover, perpetuating no less majestic and heart-shattering a goddess. Oh! That little blue collar! I swear, Vermeer himself never painted a fabric more consummately, but we must not say it too loud or Swann will fall upon us to avenge his favourite painter, the Master of Delft.” The Marquise, turning round, addressed a smile and held out her hand to Swann, who had risen to greet her. But almost without concealment, whether in his declining days he had lost all wish for concealment, by indifference to opinion, or the physical power, by the excitement of his desire and the weakening of the control that helps us to conceal it, as soon as Swann, on taking the Marquise′s hand, saw her bosom at close range and from above, he plunged an attentive, serious, absorbed, almost anxious gaze into the cavity of her bodice, and his nostrils, drugged by the lady′s perfume, quivered like the wings of a butterfly about to alight upon a half-hidden flower. He checked himself abruptly on the edge of the precipice, and Mme. de Surgis herself, albeit annoyed, stifled a deep sigh, so contagious can desire prove at times. “The painter was cross,” she said to M. de Charlus, “and took it back. I have heard that it is now at Diane de Saint-Euverte′s.” “I decline to believe,” said the Baron, “that a great picture can have such bad taste.”
— Il lui parle de son portrait. Moi, je lui en parlerais aussi bien que Charlus, de ce portrait, me dit Swann, affectant un ton traînard et voyou et suivant des yeux le couple qui s′éloignait. Et cela me ferait sûrement plus de plaisir qu′à Charlus, ajouta-t-il. Je lui demandais si ce qu′on disait de M. de Charlus était vrai, en quoi je mentais doublement, car si je ne savais pas qu′on eût jamais rien dit, en revanche je savais fort bien depuis tantôt que ce que je voulais dire était vrai. Swann haussa les épaules, comme si j′avais proféré une absurdité. “He is talking to her about her portrait. I could talk to her about that portrait just as well as Charlus,” said Swann, affecting a drawling, slangy tone as he followed the retreating couple with his gaze. “And I should certainly enjoy talking about it more than Charlus,” he added. I asked him whether the things that were said about M. de Charlus were true, in doing which I was lying twice over, for, if I had no proof that anybody ever had said anything, I had on the other hand been perfectly aware for some hours past that what I was hinting at was true. Swann shrugged his shoulders, as though I had suggested something quite absurd.
— C′est-à-dire que c′est un ami délicieux. Mais ai-je besoin d′ajouter que c′est purement platonique. Il est plus sentimental que d′autres, voilà tout; d′autre part, comme il ne va jamais très loin avec les femmes, cela a donné une espèce de crédit aux bruits insensés dont vous voulez parler. Charlus aime peut-être beaucoup ses amis, mais tenez pour assuré que cela ne s′est jamais passé ailleurs que dans sa tête et dans son coeur. Enfin, nous allons peut-être avoir deux secondes de tranquillité. Donc, le prince de Guermantes continua: «Je vous avouerai que cette idée d′une illégalité possible dans la conduite du procès m′était extrêmement pénible à cause du culte que vous savez que j′ai pour l′armée; j′en reparlai avec le général, et je n′eus plus, hélas! aucun doute à cet égard. Je vous dirai franchement que, dans tout cela, l′idée qu′un innocent pourrait subir la plus infamante des peines ne m′avait même pas effleuré. Mais par cette idée d′illégalité, je me mis à étudier ce que je n′avais pas voulu lire, et voici que des doutes, cette fois non plus sur l′illégalité mais sur l′innocence, vinrent me hanter. Je ne crus pas en devoir parler à la Princesse. Dieu sait qu′elle est devenue aussi Française que moi. Malgré tout, du jour où je l′ai épousée, j′eus tant de coquetterie à lui montrer dans toute sa beauté notre France, et ce que pour moi elle a de plus splendide, son armée, qu′il m′était trop cruel de lui faire part de mes soupçons qui n′atteignaient, il est vrai, que quelques officiers. Mais je suis d′une famille de militaires, je ne voulais pas croire que des officiers pussent se tromper. J′en reparlai encore à Beauserfeuil, il m′avoua que des machinations coupables avaient été ourdies, que le bordereau n′était peut-être pas de Dreyfus, mais que la preuve éclatante de sa culpabilité existait. C′était la pièce Henry. Et quelques jours après, on apprenait que c′était un faux. Dès lors, en cachette de la Princesse, je me mis à lire tous les jours le Siècle, l′Aurore; bientôt je n′eus plus aucun doute, je ne pouvais plus dormir. Je m′ouvris de mes souffrances morales à notre ami, l′abbé Poiré, chez qui je rencontrai avec étonnement la même conviction, et je fis dire par lui des messes à l′intention de Dreyfus, de sa malheureuse femme et de ses enfants. Sur ces entrefaites, un matin que j′allais chez la Princesse, je vis sa femme de chambre qui cachait quelque chose qu′elle avait dans la main. Je lui demandai en riant ce que c′était, elle rougit et ne voulut pas me le dire. J′avais la plus grande confiance dans ma femme, mais cet incident me troubla fort (et sans doute aussi la Princesse à qui sa camériste avait dû le raconter), car ma chère Marie me parla à peine pendant le déjeuner qui suivit. Je demandai ce jour-là à l′abbé Poiré s′il pourrait dire le lendemain ma messe pour Dreyfus.» Allons, bon! s′écria Swann à mi-voix en s′interrompant. Je levai la tête et vis le duc de Guermantes qui venait à nous. «Pardon de vous déranger, mes enfants. Mon petit, dit-il en s′adressant à moi, je suis délégué auprès de vous par Oriane. Marie et Gilbert lui ont demandé de rester à souper à leur table avec cinq ou six personnes seulement: la princesse de Hesse, Mme de Ligne, Mme de Tarente, Mme de Chevreuse, la duchesse d′Arenberg. Malheureusement, nous ne pouvons pas rester, parce que nous allons à une espèce de petite redoute.» J′écoutais, mais chaque fois que nous avons quelque chose à faire à un moment déterminé, nous chargeons nous-mêmes un certain personnage habitué à ce genre de besogne de surveiller l′heure et de nous avertir à temps. Ce serviteur interne me rappela, comme je l′en avais prié il y a quelques heures, qu′Albertine, en ce moment bien loin de la pensée, devait venir chez moi aussitôt après le théâtre. Aussi, je refusai le souper. Ce n′est pas que je ne me plusse chez la princesse de Guermantes. Ainsi les hommes peuvent avoir plusieurs sortes de plaisirs. Le véritable est celui pour lequel ils quittent l′autre. Mais ce dernier, s′il est apparent, ou même seul apparent, peut donner le change sur le premier, rassure ou dépiste les jaloux, égare le jugement du monde. Et pourtant, il suffirait pour que nous le sacrifiions à l′autre d′un peu de bonheur ou d′un peu de souffrance. Parfois un troisième ordre de plaisirs plus graves, mais plus essentiels, n′existe pas encore pour nous chez qui sa virtualité ne se traduit qu′en éveillant des regrets, des découragements. Et c′est à ces plaisirs-là pourtant que nous nous donnerons plus tard. Pour en donner un exemple tout à fait secondaire, un militaire en temps de paix sacrifiera la vie mondaine à l′amour, mais la guerre déclarée (et sans qu′il soit même besoin de faire intervenir l′idée d′un devoir patriotique), l′amour à la passion, plus forte que l′amour, de se battre. Swann avait beau dire qu′il était heureux de me raconter son histoire, je sentais bien que sa conversation avec moi, à cause de l′heure tardive, et parce qu′il était trop souffrant, était une de ces fatigues dont ceux qui savent qu′ils se tuent par les veilles, par les excès, ont en rentrant un regret exaspéré, pareil à celui qu′ont de la folle dépense qu′ils viennent encore de faire les prodigues, qui ne pourront pourtant pas s′empêcher le lendemain de jeter l′argent par les fenêtres. A partir d′un certain degré d′affaiblissement, qu′il soit causé par l′âge ou par la maladie, tout plaisir pris aux dépens du sommeil, en dehors des habitudes, tout dérèglement, devient un ennui. Le causeur continue à parler par politesse, par excitation, mais il sait que l′heure où il aurait pu encore s′endormir est déjà passée, et il sait aussi les reproches qu′il s′adressera au cours de l′insomnie et de la fatigue qui vont suivre. Déjà, d′ailleurs, même le plaisir momentané a pris fin, le corps et l′esprit sont trop démeublés de leurs forces pour accueillir agréablement ce qui paraît un divertissement à votre interlocuteur. Ils ressemblent à un appartement un jour de départ ou de déménagement, où ce sont des corvées que les visites que l′on reçoit assis sur des malles, les yeux fixés sur la pendule. “It′s quite true that he′s a charming friend. But, need I add, his friendship is purely platonic. He is more sentimental than other men, that is all; on the other hand, as he never goes very far with women, that has given a sort of plausibility to the idiotic rumours to which you refer. Charlus is perhaps greatly attached to his men friends, but you may be quite certain that the attachment is only in his head and in his heart. At last, we may perhaps be left in peace for a moment. Well, the Prince de Guermantes went on to say: ‘I don′t mind telling you that this idea of a possible illegality in the procedure of the trial was extremely painful to me, because I have always, as you know, worshipped the army; I discussed the matter again with the General, and, alas, there could be no two ways of looking at it. I don′t mind telling you frankly that, all this time, the idea that an innocent man might be undergoing the most degrading punishment had never even entered my mind. But, starting from this idea of illegality, I began to study what I had always declined to read, and then the possibility not, this time, of illegal procedure but of the prisoner′s innocence began to haunt me. I did not feel that I could talk about it to the Princess. Heaven knows that she has become just as French as myself. You may say what you like, from the day of our marriage, I took such pride in shewing her our country in all its beauty, and what to me is the most splendid thing in it, our Army, that it would have been too painful to me to tell her of my suspicions, which involved, it is true, a few officers only. But I come of a family of soldiers, I did not like to think that officers could be mistaken. I discussed the case again with Beaucerfeuil, he admitted that there had been culpable intrigues, that the bordereau was possibly not in Dreyfus′s writing, but that an overwhelming proof of his guilt did exist. This was the Henry document. And, a few days later, we learned that it was a forgery. After that, without letting the Princess see me, I began to read the Siècle and the Aurore every day; soon I had no doubt left, it kept me awake all night. I confided my distress to our friend, the abbé Poiré, who, I was astonished to find, held the same conviction, and I got him to say masses for the intention of Dreyfus, his unfortunate wife and their children. Meanwhile, one morning as I was going to the Princess′s room, I saw her maid trying to hide something from me that she had in her hand. I asked her, chaffingly, what it was, she blushed and refused to tell me. I had the fullest confidence in my wife, but this incident disturbed me considerably (and the Princess too, no doubt, who must have heard of it from her woman), for my dear Marie barely uttered a word to me that day at luncheon. I asked the abbé Poiré whether he could say my mass for Dreyfus on the following morning. . . . ′ And so much for that!” exclaimed Swann, breaking off his narrative. I looked up, and saw the Duc de Guermantes bearing down upon us. “Forgive me for interrupting you, boys. My lad,” he went on, addressing myself, “I am instructed to give you a message from Oriane. Marie and Gilbert have asked her to stay and have supper at their table with only five or six other people: the Princess of Hesse, Mme. de Ligné, Mme. de Tarente, Mme. de Chevreuse, the Duchesse d′Arenberg. Unfortunately, we can′t wait, we are going on to a little ball of sorts.” I was listening, but whenever we have something definite to do at a given moment, we depute a certain person who is accustomed to that sort of duty to keep an eye on the clock and warn us in time. This indwelling servant reminded me, as I had asked him to remind me a few hours before, that Albertine, who at the moment was far from my thoughts, was to come and see me immediately after the theatre. And so I declined the invitation to supper. This does not mean that I was not enjoying myself at the Princesse de Guermantes′s. The truth is that men can have several sorts of pleasure. The true pleasure is that for which they abandon the other. But the latter, if it is apparent, or rather if it alone is apparent, may put people off the scent of the other, reassure or mislead the jealous, create a false impression. And yet, all that is needed to make us sacrifice it to the other is a little happiness or a little suffering. Sometimes a third order of pleasures, more serious but more essential, does not yet exist for us, in whom its potential existence is indicated only by its arousing regrets, discouragement. And yet it is to these pleasures that we shall devote ourselves in time to come. To give an example of quite secondary importance, a soldier in time of peace will sacrifice a social existence to love, but, once war is declared (and without there being any need to introduce the idea of a patriotic duty), will sacrifice love to the passion, stronger than love, for fighting. It was all very well Swann′s saying that he enjoyed telling me his story, I could feel that his conversation with me, because of the lateness of the hour, and because he himself was too ill, was one of those fatigues at which those who know that they are killing themselves by sitting up late, by overexerting themselves, feel when they return home an angry regret, similar to that felt at the wild extravagance of which they have again been guilty by the spendthrifts who will not, for all that, be able to restrain themselves to-morrow from throwing money out of the windows. After we have passed a certain degree of enfeeblement, whether it be caused by age or by ill health, all pleasure taken at the expense of sleep, in departure from our habits, every breach of the rules becomes a nuisance. The talker continues to talk, out of politeness, from excitement, but he knows that the hour at which he might still have been able to go to sleep has already passed, and he knows also the reproaches that he will heap upon himself during the insomnia and fatigue that must ensue. Already, moreover, even the momentary pleasure has come to an end, body and brain are too far drained of their strength to welcome with any readiness what seems to the other person entertaining. They are like a house on the morning before a journey or removal, where visitors become a perfect plague, to be received sitting upon locked trunks, with our eyes on the clock.
— Enfin seuls, me dit-il; je ne sais plus où j′en suis. N′est-ce pas, je vous ai dit que le Prince avait demandé à l′abbé Poiré s′il pourrait faire dire sa messe pour Dreyfus. «Non, me répondit l′abbé (je vous dis «me», me dit Swann, parce que c′est le Prince qui me parle, vous comprenez?) car j′ai une autre messe qu′on m′a chargé de dire également ce matin pour lui. — Comment, lui dis-je, il y a un autre catholique que moi qui est convaincu de son innocence? — Il faut le croire. — Mais la conviction de cet autre partisan doit être moins ancienne que la mienne. — Pourtant, ce partisan me faisait déjà dire des messes quand vous croyiez encore Dreyfus coupable. — Ah! je vois bien que ce n′est pas quelqu′un de notre milieu. — Au contraire! — Vraiment, il y a parmi nous des dreyfusistes? Vous m′intriguez; j′aimerais m′épancher avec lui, si je le connais, cet oiseau rare. — Vous le connaissez. — Il s′appelle? — La princesse de Guermantes.» Pendant que je craignais de froisser les opinions nationalistes, la foi française de ma chère femme, elle, avait eu peur d′alarmer mes opinions religieuses, mes sentiments patriotiques. Mais, de son côté, elle pensait comme moi, quoique depuis plus longtemps que moi. Et ce que sa femme de chambre cachait en entrant dans sa chambre, ce qu′elle allait lui acheter tous les jours, c′était l′Aurore. Mon cher Swann, dès ce moment je pensai au plaisir que je vous ferais en vous disant combien mes idées étaient sur ce point parentes des vôtres; pardonnez-moi de ne l′avoir pas fait plus tôt. Si vous vous reportez au silence que j′avais gardé vis-à-vis de la Princesse, vous ne serez pas étonné que penser comme vous m′eût alors encore plus écarté de vous que penser autrement que vous. Car ce sujet m′était infiniment pénible à aborder. Plus je crois qu′une erreur, que même des crimes ont été commis, plus je saigne dans mon amour de l′armée. J′aurais pensé que des opinions semblables aux miennes étaient loin de vous inspirer la même douleur, quand on m′a dit l′autre jour que vous réprouviez avec force les injures à l′armée et que les dreyfusistes acceptassent de s′allier à ses insulteurs. Cela m′a décidé, j′avoue qu′il m′a été cruel de vous confesser ce que je pense de certains officiers, peu nombreux heureusement, mais c′est un soulagement pour moi de ne plus avoir à me tenir loin de vous et surtout que vous sentiez bien que, si j′avais pu être dans d′autres sentiments, c′est que je n′avais pas un doute sur le bien-fondé du jugement rendu. Dès que j′en eus un, je ne pouvais plus désirer qu′une chose, la réparation de l′erreur.» Je vous avoue que ces paroles du prince de Guermantes m′ont profondément ému. Si vous le connaissiez comme moi, si vous saviez d′où il a fallu qu′il revienne pour en arriver là, vous auriez de l′admiration pour lui, et il en mérite. D′ailleurs, son opinion ne m′étonne pas, c′est une nature si droite!Swann oubliait que, dans l′après-midi, il m′avait dit au contraire que les opinions en cette affaire Dreyfus étaient commandées par l′atavisme. Tout au plus avait-il fait exception pour l′intelligence, parce que chez Saint–Loup elle était arrivée à vaincre l′atavisme et à faire de lui un dreyfusard. Or, il venait de voir que cette victoire avait été de courte durée et que Saint–Loup avait passé dans l′autre camp. C′était donc maintenant à la droiture du coeur qu′il donnait le rôle dévolu tantôt à l′intelligence. En réalité, nous découvrons toujours après coup que nos adversaires avaient une raison d′être du parti où ils sont et qui ne tient pas à ce qu′il peut y avoir de juste dans ce parti, et que ceux qui pensent comme nous c′est que l′intelligence, si leur nature morale est trop basse pour être invoquée, ou leur droiture, si leur pénétration est faible, les y a contraints. “At last we are alone,” he said; “I quite forget where I was. Oh yes, I had just told you, hadn′t I, that the Prince asked the abbé Poiré if he could say his mass next day for Dreyfus. ‘No, the abbé informed me′ (I say me to you,” Swann explained to me, “because it is the Prince who is speaking, you understand?), ‘for I have another mass that I have been asked to say for him to-morrow as well. — What, I said to him, is there another Catholic as well as myself who is convinced of his innocence? — It appears so. — But this other supporter′s conviction must be of more recent growth than mine. — Maybe, but this other was making me say masses when you still believed Dreyfus guilty. — Ah, I can see that it is not anyone in our world. — On the contrary! — Indeed! There are Dreyfusists among us, are there? You intrigue me; I should like to unbosom myself to this rare bird, if I know him. — You do know him. — His name? — The Princesse de Guermantes. While I was afraid of shocking the Nationalist opinions, the French faith of my dear wife, she had been afraid of alarming my religious opinions, my patriotic sentiments. But privately she had been thinking as I did, though for longer than I had. And what her maid had been hiding as she went into her room, what she went out to buy for her every morning, was the Aurore. My dear Swann, from that moment I thought of the pleasure that I should give you when I told you how closely akin my views upon this matter were to yours; forgive me for not having done so sooner. If you bear in mind that I had never said a word to the Princess, it will not surprise you to be told that thinking the same as yourself must at that time have kept me farther apart from you than thinking differently. For it was an extremely painful topic for me to approach. The more I believe that an error, that crimes even have been committed, the more my heart bleeds for the Army. It had never occurred to me that opinions like mine could possibly cause you similar pain, until I was told the other day that you were emphatically protesting against the insults to the Army and against the Dreyfusists for consenting to ally themselves with those who insulted it. That settled it, I admit that it has been most painful for me to confess to you what I think of certain officers, few in number fortunately, but it is a relief to me not to have to keep at arms′ length from you any longer, and especially that you should quite understand that if I was able to entertain other sentiments, it was because I had not a shadow of doubt as to the soundness of the verdict. As soon as my doubts began, I could wish for only one thing, that the mistake should be rectified.′ I must tell you that this speech of the Prince de Guermantes moved me profoundly. If you knew him as I do, if you could realise the distance he has had to traverse in order to reach his present position, you would admire him as he deserves. Not that his opinion surprises me, his is such a straightforward nature!” Swann was forgetting that in the afternoon he had on the contrary told me that people′s opinions as to the Dreyfus case were dictated by atavism. At the most he had made an exception in favour of intelligence, because in Saint-Loup it had managed to overcome atavism and had made a Dreyfusard of him. Now he had just seen that this victory had been of short duration and that Saint-Loup had passed into the opposite camp. And so it was to straightforwardness now that he assigned the part which had previously devolved upon intelligence. In reality we always discover afterwards that our adversaries had a reason for being on the side they espoused, which has nothing to do with any element of right that there may be on that side, and that those who think as we do do so because their intelligence, if their moral nature is too base to be invoked, or their straightforwardness, if their penetration is feeble, has compelled them.
Swann trouvait maintenant indistinctement intelligents ceux qui étaient de son opinion, son vieil ami le prince de Guermantes, et mon camarade Bloch qu′il avait tenu à l′écart jusque-là, et qu′il invita à déjeuner. Swann intéressa beaucoup Bloch en lui disant que le prince de Guermantes était dreyfusard. «Il faudrait lui demander de signer nos listes pour Picquart; avec un nom comme le sien, cela ferait un effet formidable.» Mais Swann, mêlant à son ardente conviction d′Israélite la modération diplomatique du mondain, dont il avait trop pris les habitudes pour pouvoir si tardivement s′en défaire, refusa d′autoriser Bloch à envoyer au Prince, même comme spontanément, une circulaire à signer. «Il ne peut pas faire cela, il ne faut pas demander l′impossible, répétait Swann. Voilà un homme charmant qui a fait des milliers de lieues pour venir jusqu′à nous. Il peut nous être très utile. S′il signait votre liste, il se compromettrait simplement auprès des siens, serait châtié à cause de nous, peut-être se repentirait-il de ses confidences et n′en ferait-il plus.» Bien plus, Swann refusa son propre nom. Il le trouvait trop hébraî°µe pour ne pas faire mauvais effet. Et puis, s′il approuvait tout ce qui touchait à la révision, il ne voulait être mêlé en rien à la campagne antimilitariste. Il portait, ce qu′il n′avait jamais fait jusque-là, la décoration qu′il avait gagnée comme tout jeune mobile, en 0, et ajouta à son testament un codicille pour demander que, contrairement à ses dispositions précédentes, des honneurs militaires fussent rendus à son grade de chevalier de la Légion d′honneur. Ce qui assembla, autour de l′église de Combray tout un escadron de ces cavaliers sur l′avenir desquels pleurait autrefois Françoise, quand elle envisageait la perspective d′une guerre. Bref Swann refusa de signer la circulaire de Bloch, de sorte que, s′il passait pour un dreyfusard enragé aux yeux de beaucoup, mon camarade le trouva tiède, infecté de nationalisme, et cocardier. Swann me quitta sans me serrer la main pour ne pas être obligé de faire des adieux dans cette salle où il avait trop d′amis, mais il me dit: «Vous devriez venir voir votre amie Gilberte. Elle a réellement grandi et changé, vous ne la reconnaîtriez pas. Elle serait si heureuse!» Je n′aimais plus Gilberte. Elle était pour moi comme une morte qu′on a longtemps pleurée, puis l′oubli est venu, et, si elle ressuscitait, elle ne pourrait plus s′insérer dans une vie qui n′est plus faite pour elle. Je n′avais plus envie de la voir ni même cette envie de lui montrer que je ne tenais pas à la voir et que chaque jour, quand je l′aimais, je me promettais de lui témoigner quand je ne l′aimerais plus. Swann now found equally intelligent anybody who was of his opinion, his old friend the Prince de Guermantes and my schoolfellow Bloch, whom previously he had avoided and whom he now invited to luncheon. Swann interested Bloch greatly by telling him that the Prince de Guermantes was a Dreyfusard. “We must ask him to sign our appeal for Picquart; a name like his would have a tremendous effect.” But Swann, blending with his ardent conviction as an Israelite the diplomatic moderation of a man of the world, whose habits he had too thoroughly acquired to be able to shed them at this late hour, refused to allow Bloch to send the Prince a circular to sign, even on his own initiative. “He cannot do such a thing, we must not expect the impossible,” Swann repeated. “There you have a charming man who has travelled thousands of miles to come over to our side. He can be very useful to us. If he were to sign your list, he would simply be compromising himself with his own people, would be made to suffer on our account, might even repent of his confidences and not confide in us again.” Nor was this all, Swann refused his own signature. He felt that his name was too Hebraic not to create a bad effect. Besides, even if he approved of all the attempts to secure a fresh trial, he did not wish to be mixed up in any way in the antimilitarist campaign. He wore, a thing he had never done previously, the decoration he had won as a young militiaman, in ‘70, and added a codicil to his will asking that, contrary to his previous dispositions, he might be buried with the military honours due to his rank as Chevalier of the Legion of Honour. A request which assembled round the church of Combray a whole squadron of those troopers over whose fate Françoise used to weep in days gone by, when she envisaged the prospect of a war. In short, Swann refused to sign Bloch′s circular, with the result that, if he passed in the eyes of many people as a fanatical Dreyfusard, my friend found him lukewarm, infected with Nationalism, and a militarist. Swann left me without shaking hands so as not to be forced into a general leave-taking in this room which swarmed with his friends, but said to me: “You ought to come and see your friend Gilberte. She has really grown up now and altered, you would not know her. She would be so pleased!” I was no longer in love with Gilberte. She was for me like a dead person for whom one has long mourned, then forgetfulness has come, and if she were to be resuscitated, she could no longer find any place in a life which has ceased to be fashioned for her. I had no desire now to see her, not even that desire to shew her that I did not wish to see her which, every day, when I was in love with her, I vowed to myself that I would flaunt before her, when I should be in love with her no longer.
Aussi, ne cherchant plus qu′à me donner, vis-à-vis de Gilberte, l′air d′avoir désiré de tout mon coeur la retrouver et d′en avoir été empêché par des circonstances dites «indépendantes de ma volonté» et qui ne se produisent en effet, au moins avec une certaine suite, que quand la volonté ne les contrecarre pas, bien loin d′accueillir avec réserve l′invitation de Swann, je ne le quittai pas qu′il ne m′eût promis d′expliquer en détail à sa fille les contretemps qui m′avaient privé, et me priveraient encore, d′aller la voir. «Du reste, je vais lui écrire tout à l′heure en rentrant, ajoutai-je. Mais dites-lui bien que c′est une lettre de menaces, car, dans un mois ou deux, je serai tout à fait libre, et alors qu′elle tremble, car je serai chez vous aussi souvent même qu′autrefois.» And so, seeking now only to give myself, in Gilberte′s eyes, the air of having longed with all my heart to meet her again and of having been prevented by circumstances of the kind called “beyond our control” albeit they only occur, with any certainty at least, when we have done nothing to prevent them, so far from accepting Swann′s invitation with reserve, I would not let him go until he had promised to explain in detail to his daughter the mischances that had prevented and would continue to prevent me from going to see her. “Anyhow, I am going to write to her as soon as I go home,” I added. “But be sure you tell her it will be a threatening letter, for in a month or two I shall be quite free, and then let her tremble, for I shall be coming to your house as regularly as in the old days.”
Avant de laisser Swann, je lui dis un mot de sa santé. «Non, ça ne va pas si mal que ça, me répondit-il. D′ailleurs, comme je vous le disais, je suis assez fatigué et accepte d′avance avec résignation ce qui peut arriver. Seulement, j′avoue que ce serait bien agaçant de mourir avant la fin de l′affaire Dreyfus. Toutes ces canailles-là ont plus d′un tour dans leur sac. Je ne doute pas qu′ils soient finalement vaincus, mais enfin ils sont très puissants, ils ont des appuis partout. Dans le moment où ça va le mieux, tout craque. Je voudrais bien vivre assez pour voir Dreyfus réhabilité et Picquart colonel.» Before parting from Swann, I said a word to him about his health. “No, it is not as bad as all that,” he told me. “Still, as I was saying, I am quite worn out, and I accept with resignation whatever may be in store for me. Only, I must say that it would be most annoying to die before the end of the Dreyfus case. Those scoundrels have more than one card up their sleeves. I have no doubt of their being defeated in the end, but still they are very powerful, they have supporters everywhere. Just as everything is going on splendidly, it all collapses. I should like to live long enough to see Dreyfus rehabilitated and Picquart a colonel.”
Quand Swann fut parti, je retournai dans le grand salon où se trouvait cette princesse de Guermantes avec laquelle je ne savais pas alors que je dusse être un jour si lié. La passion qu′elle eut pour M. de Charlus ne se découvrit pas d′abord à moi. Je remarquai seulement que le baron, à partir d′une certaine époque et sans être pris contre la princesse de Guermantes d′aucune de ces inimitiés qui chez lui n′étonnaient pas, tout en continuant à avoir pour elle autant, plus d′affection peut-être encore, paraissait mécontent et agacé chaque fois qu′on lui parlait d′elle. Il ne donnait plus jamais son nom dans la liste des personnes avec qui il désirait dîner. When Swann had left, I returned to the great drawing-room in which was to be found that Princesse de Guermantes with whom I did not then know that I was one day to be so intimate. Her passion for M. de Charlus did not reveal itself to me at first. I noticed only that the Baron, after a certain date, and without having taken one of those sudden dislikes, which were not surprising in him, to the Princesse de Guermantes, while continuing to feel for her just as strong an affection, a stronger affection perhaps than ever, appeared worried and annoyed whenever anyone mentioned her name to him. He never included it now in his list of the people whom he wished to meet at dinner.
Il est vrai qu′avant cela j′avais entendu un homme du monde très méchant dire que la Princesse était tout à fait changée, qu′elle était amoureuse de M. de Charlus, mais cette médisance m′avait paru absurde et m′avait indigné. J′avais bien remarqué avec étonnement que, quand je racontais quelque chose qui me concernait, si au milieu intervenait M. de Charlus, l′attention de la Princesse se mettait aussitôt à ce cran plus serré qui est celui d′un malade qui, nous entendant parler de nous, par conséquent, d′une façon distraite et nonchalante, reconnaît tout d′un coup qu′un nom est celui du mal dont il est atteint, ce qui à la fois l′intéresse et le réjouit. Telle, si je lui disais: «Justement M. de Charlus me racontait . . . », la Princesse reprenait en mains les rênes détendues de son attention. Et une fois, ayant dit devant elle que M. de Charlus avait en ce moment un assez vif sentiment pour une certaine personne, je vis avec étonnement s′insérer dans les yeux de la Princesse ce trait différent et momentané qui trace dans les prunelles comme le sillon d′une fêlure et qui provient d′une pensée que nos paroles, à leur insu, ont agitée en l′être à qui nous parlons, pensée secrète qui ne se traduira pas par des mots, mais qui montera, des profondeurs remuées par nous, à la surface un instant altérée du regard. Mais si mes paroles avaient ému la Princesse, je n′avais pas soupçonné de quelle façon. It is true that before this time I had heard an extremely malicious man about town say that the Princess had completely changed, that she was in love with M. de Charlus, but this slander had appeared to me absurd and had made me angry. I had indeed remarked with astonishment that, when I was telling her something that concerned myself, if M. de Charlus′s name cropped up in the middle, the Princess immediately screwed up her attention to the narrower focus of a sick man who, hearing us talk about ourselves, and listening, in consequence, in a careless and distracted fashion, suddenly realises that a name we have mentioned is that of the disease from which he is suffering, which at once interests and delights him. So, if I said to her: “Why, M. de Charlus told me . . . ” the Princess at once gathered up the slackened reins of her attention. And having on one occasion said in her hearing that M. de Charlus had at that moment a warm regard for a certain person, I was astonished to see appear in the Princess′s eyes that momentary change of colour, like the line of a fissure in the pupil, which is due to a thought which our words have unconsciously aroused in the mind of the person to whom we are talking, a secret thought that will not find expression in words, but will rise from the depths which we have stirred to the surface — altered for an instant — of his gaze. But if my remark had moved the Princess, I did not then suspect in what fashion.
D′ailleurs peu de temps après, elle commença à me parler de M. de Charlus, et presque sans détours. Si elle faisait allusion aux bruits que de rares personnes faisaient courir sur le baron, c′était seulement comme à d′absurdes et infâmes inventions. Mais, d′autre part, elle disait: «Je trouve qu′une femme qui s′éprendrait d′un homme de l′immense valeur de Palamède devrait avoir assez de hauteur de vues, assez de dévouement, pour l′accepter et le comprendre en bloc, tel qu′il est, pour respecter sa liberté, ses fantaisies, pour chercher seulement à lui aplanir les difficultés et à le consoler de ses peines.» Or, par ces propos pourtant si vagues, la princesse de Guermantes révélait ce qu′elle cherchait à magnifier, de la même façon que faisait parfois M. de Charlus lui-même. N′ai-je pas entendu à plusieurs reprises ce dernier dire à des gens qui jusque-là étaient incertains si on le calomniait ou non: «Moi, qui ai eu bien des hauts et bien des bas dans ma vie, qui ai connu toute espèce de gens, aussi bien des voleurs que des rois, et même je dois dire, avec une légère préférence pour les voleurs, qui ai poursuivi la beauté sous toutes ses formes, etc . . . », et par ces paroles qu′il croyait habiles, et en démentant des bruits dont on ne soupçonnait pas qu′ils eussent couru (ou pour faire à la vérité, par goût, par mesure, par souci de la vraisemblance une part qu′il était seul à juger minime), il ôtait leurs derniers doutes sur lui aux uns, inspirait leurs premiers à ceux qui n′en avaient pas encore. Car le plus dangereux de tous les recels, c′est celui de la faute elle-même dans l′esprit du coupable. La connaissance permanente qu′il a d′elle l′empêche de supposer combien généralement elle est ignorée, combien un mensonge complet serait aisément cru, et, en revanche, de se rendre compte à quel degré de vérité commence pour les autres, dans des paroles qu′il croit innocentes, l′aveu. Et d′ailleurs il aurait eu de toute façon bien tort de chercher à le taire, car il n′y a pas de vices qui ne trouvent dans le grand monde des appuis complaisants, et l′on a vu bouleverser l′aménagement d′un château pour faire coucher une soeur près de sa soeur dès qu′on eut appris qu′elle ne l′aimait pas qu′en soeur. Mais ce qui me révéla tout d′un coup l′amour de la Princesse, ce fut un fait particulier et sur lequel je n′insisterai pas ici, car il fait partie du récit tout autre où M. de Charlus laissa mourir une reine plutôt que de manquer le coiffeur qui devait le friser au petit fer pour un contrôleur d′omnibus devant lequel il se trouva prodigieusement intimidé. Cependant, pour en finir avec l′amour de la Princesse, disons quel rien m′ouvrit les yeux. J′étais, ce jour-là, seul en voiture avec elle. Au moment où nous passions devant une poste, elle fit arrêter. Elle n′avait pas emmené de valet de pied. Elle sorti à demi une lettre de son manchon et commença le mouvement de descendre pour la mettre dans la boîte. Je voulus l′arrêter, elle se débattit légèrement, et déjà nous nous rendions compte l′un et l′autre que notre premier geste avait été, le sien compromettant en ayant l′air de protéger un secret, le mien indiscret en m′opposant à cette protection. Ce fut elle qui se ressaisit le plus vite. Devenant subitement très rouge, elle me donna la lettre, je n′osai plus ne pas la prendre, mais, en la mettant dans la boîte, je vis, sans le vouloir, qu′elle était adressée à M. de Charlus. Anyhow, shortly after this, she began to talk to me about M. de Charlus, and almost without ambiguity. If she made any allusion to the rumours which a few people here and there were spreading about the Baron, it was merely as though to absurd and scandalous inventions. But, on the other hand, she said: “I feel that any woman who fell in love with a man of such priceless worth as Palamède ought to have sufficient breadth of mind, enough devotion, to accept him and understand him as a whole, for what he is, to respect his freedom, humour his fancies, seek only to smooth out his difficulties and console him in his griefs.” Now, by such a speech, vague as it was, the Princesse de Guermantes revealed the weakness of the character she was seeking to extol, just as M. de Charlus himself did at times. Have I not heard him, over and again, say to people who until then had been uncertain whether or not he was being slandered: “I, who have climbed many hills and crossed many valleys in my life, who have known all manner of people, burglars as well as kings, and indeed, I must confess, with a slight preference for the burglars, who have pursued beauty in all its forms,” and so forth; and by these words which he thought adroit, and in contradicting rumours the currency of which no one suspected (or to introduce, from inclination, moderation, love of accuracy, an element of truth which he was alone in regarding as insignificant), he removed the last doubts of some of his hearers, inspired others, who had not yet begun to doubt him, with their first. For the most dangerous of all forms of concealment is that of the crime itself in the mind of the guilty party. His permanent consciousness of it prevents him from imagining how generally it is unknown, how readily a complete lie would be accepted, and on the other hand from realising at what degree of truth other people will detect, in words which he believes to be innocent, a confession. Not that he would not be entirely wrong in seeking to hush it up, for there is no vice that does not find ready support in the best society, and one has seen a country house turned upside down in order that two sisters might sleep in adjoining rooms as soon as their hostess learned that theirs was a more than sisterly affection. But what revealed to me all of a sudden the Princess′s love was a trifling incident upon which I shall not dwell here, for it forms part of quite another story, in which M. de Charlus allowed a Queen to die rather than miss an appointment with the hairdresser who was to singe his hair for the benefit of an omnibus conductor who filled him with alarm. However, to be done with the Princess′s love, let us say what the trifle was that opened my eyes. I was, on the day in question, alone with her in her carriage. As we were passing a post office she stopped the coachman. She had come out without a footman. She half drew a letter from her muff and was preparing to step down from the carriage to put it into the box. I tried to stop her, she made a show of resistance, and we both realised that our instinctive movements had been, hers compromising, in appearing to be guarding a secret, mine indiscreet, in attempting to pass that guard. She was the first to recover. Suddenly turning very red, she gave me the letter. I no longer dared not to take it, but, as I slipped it into the box, I could not help seeing that it was addressed to M. de Charlus.
Pour revenir en arrière et à cette première soirée chez la princesse de Guermantes, j′allai lui dire adieu, car son cousin et sa cousine me ramenaient et étaient fort pressés, M. de Guermantes voulait cependant dire au revoir à son frère. Mme de Surgis ayant eu le temps, dans une porte, de dire au duc que M. de Charlus avait été charmant pour elle et pour ses fils, cette grande gentillesse de son frère, et la première que celui-ci eût eue dans cet ordre d′idées, toucha profondément Basin et réveilla chez lui des sentiments de famille qui ne s′endormaient jamais longtemps. Au moment où nous disions adieu à la Princesse, il tint, sans dire expressément ses remerciements à M. de Charlus, à lui exprimer sa tendresse, soit qu′il eût en effet peine à la contenir, soit pour que le baron se souvînt que le genre d′actions qu′il avait eu ce soir ne passait pas inaperçu aux yeux d′un frère, de même que, dans le but de créer pour l′avenir des associations de souvenirs salutaires, on donne du sucre à un chien qui a fait le beau. «Hé bien! petit frère, dit le duc en arrêtant M. de Charlus et en le prenant tendrement sous le bras, voilà comment on passe devant son aîné sans même un petit bonjour. Je ne te vois plus, Mémé, et tu ne sais pas comme cela me manque. En cherchant de vieilles lettres j′en ai justement retrouvé de la pauvre maman qui sont toutes si tendres pour toi. — Merci, Basin, répondit M. de Charlus d′une voix altérée, car il ne pouvait jamais parler sans émotion de leur mère. — Tu devrais te décider à me laisser t′installer un pavillon à Guermantes, reprit le duc.» «C′est gentil de voir les deux frères si tendres l′un avec l′autre, dit la Princesse à Oriane. — Ah! ça, je ne crois pas qu′on puisse trouver beaucoup de frères comme cela. Je vous inviterai avec lui, me promit-elle. Vous n′êtes pas mal avec lui? . . . Mais qu′est-ce qu′ils peuvent avoir à se dire», ajouta-t-elle d′un ton inquiet, car elle entendait imparfaitement leurs paroles. Elle avait toujours eu une certaine jalousie du plaisir que M. de Guermantes éprouvait à causer avec son frère d′un passé à distance duquel il tenait un peu sa femme. Elle sentait que, quand ils étaient heureux d′être ainsi l′un près de l′autre et que, ne retenant plus son impatiente curiosité, elle venait se joindre à eux, son arrivée ne leur faisait pas plaisir. Mais, ce soir, à cette jalousie habituelle s′en ajoutait une autre. Car si Mme de Surgis avait raconté à M. de Guermantes les bontés qu′avait eues son frère, afin qu′il l′en remerciât, en même temps des amies dévouées du couple Guermantes avaient cru devoir prévenir la duchesse que la maîtresse de son mari avait été vue en tête à tête avec le frère de celui-ci. Et Mme de Guermantes en était tourmentée. «Rappelle-toi comme nous étions heureux jadis à Guermantes, reprit le duc en s′adressant à M. de Charlus. Si tu y venais quelquefois l′été, nous reprendrions notre bonne vie. Te rappelles-tu le vieux père Courveau: «Pourquoi est-ce que Pascal est troublant? parce qu′il est trou . . . trou . . . — blé», prononça M. de Charlus comme s′il répondait encore à son professeur. —«Et pourquoi est-ce que Pascal est troublé? parce qu′il est trou . . . parce qu′il est trou . . . — Blanc. — Très bien, vous serez reçu, vous aurez certainement une mention, et Mme la duchesse vous donnera un dictionnaire chinois.» Si je me rappelle, mon petit Mémé! Et la vieille potiche que t′avait rapportée Hervey de Saint–Denis, je la vois encore. Tu nous menaçais d′aller passer définitivement ta vie en Chine tant tu étais épris de ce pays; tu aimais déjà faire de longues vadrouilles. Ah! tu as été un type spécial, car on peut dire qu′en rien tu n′as jamais eu les goûts de tout le monde . . . » Mais à peine avait-il dit ces mots que le duc piqua ce qu′on appelle un soleil, car il connaissait, sinon les moeurs, du moins la réputation de son frère. Comme il ne lui en parlait jamais, il était d′autant plus gêné d′avoir dit quelque chose qui pouvait avoir l′air de s′y rapporter, et plus encore d′avoir paru gêné. Après une seconde de silence: «Qui sait, dit-il pour effacer ses dernières paroles, tu étais peut-être amoureux d′une Chinoise avant d′aimer tant de blanches et de leur plaire, si j′en juge par une certaine dame à qui tu as fait bien plaisir ce soir en causant avec elle. Elle a été ravie de toi.» Le duc s′était promis de ne pas parler de Mme de Surgis, mais, au milieu du désarroi que la gaffe qu′il avait faite venait de jeter dans ses idées, il s′était jeté sur la plus voisine, qui était précisément celle qui ne devait pas paraître dans l′entretien, quoiqu′elle l′eût motivé. To return to this first evening at the Princesse de Guermantes′s, I went to bid her good-night, for her cousins, who had promised to take me home, were in a hurry to be gone. M. de Guermantes wished, however, to say good-bye to his brother, Mme. de Surgis having found time to mention to the Duke as she left that M. de Charlus had been charming to her and to her sons. This great courtesy on his brother′s part, the first moreover that he had ever shewn in that line, touched Basin deeply and aroused in him old family sentiments which were never asleep for long. At the moment when we were saying good-bye to the Princess he was attempting, without actually thanking M. de Charlus, to give expression to his fondness for him, whether because he really found a difficulty in controlling it or in order that the Baron might remember that actions of the sort that he had performed this evening did not escape the eyes of a brother, just as, with the object of creating a chain of pleasant associations in the future, we give sugar to a dog that has done its trick. “Well, little brother!” said the Duke, stopping M. de Charlus and taking him lovingly by the arm, “so this is how one walks past one′s elders and betters without so much as a word. I never see you now, Mémé, and you can′t think how I miss you. I was turning over some old letters just now and came upon some from poor Mamma, which are all so full of love for you.” “Thank you, Basin,” replied M. de Charlus in a broken voice, for he could never speak without emotion of their mother. “You must make up your mind to let me fix up bachelor quarters for you at Guermantes,” the Duke went on. “It is nice to see the two brothers so affectionate towards each other,” the Princess said to Oriane. “Yes, indeed! I don′t suppose you could find many brothers like that. I shall invite you to meet him,” she promised me. “You′ve not quarrelled with him? . . . But what can they be talking about?” she added in an anxious tone, for she could catch only an occasional word of what they were saying. She had always felt a certain jealousy of the pleasure that M. de Guermantes found in talking to his brother of a past from which he was inclined to keep his wife shut out. She felt that, when they were happy at being together like this, and she, unable to restrain her impatient curiosity, came and joined them, her coming did not add to their pleasure. But this evening, this habitual jealousy was reinforced by another. For if Mme. de Surgis had told M. de Guermantes how kind his brother had been to her so that the Duke might thank his brother, at the same time certain devoted female friends of the Guermantes couple had felt it their duty to warn the Duchess that her husband′s mistress had been seen in close conversation with his brother. And this information was torture to Mme. de Guermantes. “Think of the fun we used to have at Guermantes long ago,” the Duke went on. “If you came down sometimes in summer we could take up our old life again. Do you remember old Father Courveau: ‘Why is Pascal vexing? Because he is vec . . . vec . . . ′” “Said!” put in M. de Charlus as though he were still answering his tutor′s question. “And why is Pascal vexed; because he is vec . . . because he is vec . . . Sing! Very good, you will pass, you are certain to be mentioned, and Madame la Duchesse will give you a Chinese dictionary.” “How it all comes back to me, young Même, and the old china vase Hervey brought you from Saint-Denis, I can see it now. You used to threaten us that you would go and spend your life in China, you were so fond of the country; even then you used to love wandering about all night. Ah! You were a peculiar type, for I can honestly say that never in anything did you have the same tastes as other people. . . . ” But no sooner had he uttered these words than the Duke flamed up, as the saying is, for he was aware of his brother′s reputation, if not of his actual habits. As he never made any allusion to them before his brother, he was all the more annoyed at having said something which might be taken to refer to them, and more still at having shewn his annoyance. After a moment′s silence: “Who knows,” he said, to cancel the effect of his previous speech, “you were perhaps in love with a Chinese girl, before loving so many white ones and finding favour with them, if I am to judge by a certain lady to whom you have given great pleasure this evening by talking to her. She was delighted with you.” The Duke had vowed that he would not mention Mme. de Surgis, but, in the confusion that the blunder he had just made had wrought in his ideas, he had fallen upon the first that occurred to him, which happened to be precisely the one that ought not to have appeared in the conversation, although it had started it.
Mais M. de Charlus avait remarqué la rougeur de son frère. Et, comme les coupables qui ne veulent pas avoir l′air embarrassé qu′on parle devant eux du crime qu′ils sont censés ne pas avoir commis et croient devoir prolonger une conversation périlleuse: «J′en suis charmé, lui répondit-il, mais je tiens à revenir sur ta phrase précédente, qui me semble profondément vraie. Tu disais que je n′ai jamais eu les idées de tout le monde; comme c′est juste! tu disais que j′avais des goûts spéciaux. — Mais non», protesta M. de Guermantes, qui, en effet, n′avait pas dit ces mots et ne croyait peut-être pas chez son frère à la réalité de ce qu′ils désignent. Et, d′ailleurs, se croyait-il le droit de le tourmenter pour des singularités qui en tout cas étaient restées assez douteuses ou assez secrètes pour ne nuire en rien à l′énorme situation du baron? Bien plus, sentant que cette situation de son frère allait se mettre au service de ses maîtresses, le duc se disait que cela valait bien quelques complaisances en échange; eût-il à ce moment connu quelque liaison «spéciale» de son frère que, dans l′espoir de l′appui que celui-ci lui prêterait, espoir uni au pieux souvenir du temps passé, M. de Guermantes eût passé dessus, fermant les yeux sur elle, et au besoin prêtant la main. «Voyons, Basin; bonsoir, Palamède, dit la duchesse qui, rongée de rage et de curiosité, n′y pouvait plus tenir, si vous avez décidé de passer la nuit ici, il vaut mieux que nous restions à souper. Vous nous tenez debout, Marie et moi, depuis une demi-heure.» Le duc quitta son frère après une significative étreinte et nous descendîmes tous trois l′immense escalier de l′hôtel de la Princesse. But M. de Charlus had observed his brother′s blush. And, like guilty persons who do not wish to appear embarrassed that you should talk in their presence of the crime which they are supposed not to have committed, and feel that they ought to prolong a dangerous conversation: “I am charmed to hear it,” he replied, “but I should like to go back to what you were saying before, which struck me as being profoundly true. You were saying that I never had the same ideas as other people, how right you are, you said that I had peculiar tastes.” “No,” protested M. de Guermantes who, as a matter of fact, had not used those words, and may not have believed that their meaning was applicable to his brother. Besides, what right had he to bully him about eccentricities which in any case were vague enough or secret enough to have in no way impaired the Baron′s tremendous position in society? What was more, feeling that the resources of his brother′s position were about to be placed at the service of his mistresses, the Duke told himself that this was well worth a little tolerance in exchange; had he at that moment known of some “peculiar” intimacy of his brother, M. de Guermantes would, in the hope of the support that the other was going to give him, have passed it over, shutting his eyes to it, and if need be lending a hand. “Come along, Basin; good night, Palamède,” said the Duchess, who, devoured by rage and curiosity, could endure no more, “if you have made up your minds to spend the night here, we might just as well have stayed to supper. You have been keeping Marie and me standing for the last half-hour.” The Duke parted from his brother after a significant pressure of his hand, and the three of us began to descend the immense staircase of the Princess′s house.
Des deux côtés, sur les marches les plus hautes, étaient répandus des couples qui attendaient que leur voiture fût avancée. Droite, isolée, ayant à ses côtés son mari et moi, la duchesse se tenait à gauche de l′escalier, déjà enveloppée dans son manteau à la Tiepolo, le col enserré dans le fermoir de rubis, dévorée des yeux par des femmes, des hommes, qui cherchaient à surprendre le secret de son élégance et de sa beauté. Attendant sa voiture sur le même degré de l′escalier que Mme de Guermantes, mais à l′extrémité opposée, Mme de Gallardon, qui avait perdu depuis longtemps tout espoir d′avoir jamais la visite de sa cousine, tournait le dos pour ne pas avoir l′air de la voir, et surtout pour ne pas offrir la preuve que celle-ci ne la saluait pas. Mme de Gallardon était de fort méchante humeur parce que des messieurs qui étaient avec elle avaient cru devoir lui parler d′Oriane: «Je ne tiens pas du tout à la voir, leur avait-elle répondu, je l′ai, du reste, aperçue tout à l′heure, elle commence à vieillir; il paraît qu′elle ne peut pas s′y faire. Basin lui-même le dit. Et dame! je comprends ça, parce que, comme elle n′est pas intelligente, qu′elle est méchante comme une teigne et qu′elle a mauvaise façon, elle sent bien que, quand elle ne sera plus belle, il ne lui restera rien du tout.» On either side of us, on the topmost steps, were scattered couples who were waiting for their carriages to come to the door. Erect, isolated, flanked by her husband and myself, the Duchess kept to the left of the staircase, already wrapped in her Tiepolo cloak, her throat clasped in its band of rubies, devoured by the eyes of women and men alike, who sought to divine the secret of her beauty and distinction. Waiting for her carriage upon the same step of the stair as Mme. de Guermantes, but at the opposite side of it, Mme. de Gallardon, who had long abandoned all hope of ever receiving a visit from her cousin, turned her back so as not to appear to have seen her, and, what was more important, so as not to furnish a proof of the fact that the other did not greet her. Mme. de Gallardon was in an extremely bad temper because some gentlemen in her company had taken it upon themselves to speak to her of Oriane: “I have not the slightest desire to see her,” she had replied to them, “I did see her, as a matter of fact, just now, she is beginning to shew her age; it seems she can′t get over it. Basin says so himself. And, good lord, I can understand that, for, as she has no brains, is as mischievous as a weevil, and has shocking manners, she must know very well that, once her looks go, she will have nothing left to fall back upon.”
J′avais mis mon pardessus, ce que M. de Guermantes, qui craignait les refroidissements, blâma, en descendant avec moi, à cause de la chaleur qu′il faisait. Et la génération de nobles qui a plus ou moins passé par Monseigneur Dupanloup parle un si mauvais français (excepté les Castellane), que le duc exprima ainsi sa pensée: «Il vaut mieux ne pas être couvert avant d′aller dehors, du moins en thèse générale.» Je revois toute cette sortie, je revois, si ce n′est pas à tort que je le place sur cet escalier, portrait détaché de son cadre, le prince de Sagan, duquel ce dut être la dernière soirée mondaine, se découvrant pour présenter ses hommages à la duchesse, avec une si ample révolution du chapeau haut de forme dans sa main gantée de blanc, qui répondait au gardénia de la boutonnière, qu′on s′étonnait que ce ne fût pas un feutre à plume de l′ancien régime, duquel plusieurs visages ancestraux étaient exactement reproduits dans celui de ce grand seigneur. Il ne resta qu′un peu de temps auprès d′elle, mais ses poses, même d′un instant, suffisaient à composer tout un tableau vivant et comme une scène historique. D′ailleurs, comme il est mort depuis, et que je ne l′avais de son vivant qu′aperçu, il est tellement devenu pour moi un personnage d′histoire, d′histoire mondaine du moins, qu′il m′arrive de m′étonner en pensant qu′une femme, qu′un homme que je connais sont sa soeur et son neveu. I had put on my greatcoat, for which M. de Guermantes, who dreaded chills, reproached me, as we went down together, because of the heated atmosphere indoors. And the generation of noblemen which more or less passed through the hands of Mgr. Dupanloup speaks such bad French (except the Castellane brothers) that the Duke expressed what was in his mind thus: “It is better not to put on your coat before going out of doors, at least as a general rule.” I can see all that departing crowd now, I can see, if I be not mistaken in placing him upon that staircase, a portrait detached from its frame, the Prince de Sagan, whose last appearance in society this must have been, baring his head to offer his homage to the Duchess, with so sweeping a revolution of his tall hat in his white-gloved hand (harmonising with the gardenia in his buttonhole), that one felt surprised that it was not a plumed felt hat of the old regime, several ancestral faces from which were exactly reproduced in the face of this great gentleman. He stopped for but a short time in front of her, but even his momentary attitudes were sufficient to compose a complete tableau vivant, and, as it were, an historical scene. Moreover, as he has since then died, and as I never had more than a glimpse of him in his lifetime, he has so far become for me a character in history, social history at least, that I am quite astonished when I think that a woman and a man whom I know are his sister and nephew.
Pendant que nous descendions l′escalier, le montait, avec un air de lassitude qui lui seyait, une femme qui paraissait une quarantaine d′années bien qu′elle eût davantage. C′était la princesse d′Orvillers, fille naturelle, disait-on, du duc de Parme, et dont la douce voix se scandait d′un vague accent autrichien. Elle s′avançait, grande, inclinée, dans une robe de soie blanche à fleurs, laissant battre sa poitrine délicieuse, palpitante et fourbue, à travers un harnais de diamants et de saphirs. Tout en secouant la tête comme une cavale de roi qu′eût embarrassée son licol de perles, d′une valeur inestimable et d′un poids incommode, elle posait çà et là ses regards doux et charmants, d′un bleu qui, au fur et à mesure qu′il commençait à s′user, devenait plus caressant encore, et faisait à la plupart des invités qui s′en allaient un signe de tête amical. «Vous arrivez à une jolie heure, Paulette! dit la duchesse. — Ah! j′ai un tel regret! Mais vraiment il n′y a pas eu la possibilité matérielle», répondit la princesse d′Orvillers qui avait pris à la duchesse de Guermantes ce genre de phrases, mais y ajoutait sa douceur naturelle et l′air de sincérité donné par l′énergie d′un accent lointainement tudesque dans une voix si tendre. Elle avait l′air de faire allusion à des complications de vie trop longues à dire, et non vulgairement à des soirées, bien qu′elle revînt en ce moment de plusieurs. Mais ce n′était pas elles qui la forçaient de venir si tard. Comme le prince de Guermantes avait pendant de longues années empêché sa femme de recevoir Mme d′Orvillers, celle-ci, quand l′interdit fut levé, se contenta de répondre aux invitations, pour ne pas avoir l′air d′en avoir soif, par des simples cartes déposées. Au bout de deux ou trois ans de cette méthode, elle venait elle-même, mais très tard, comme après le théâtre. De cette façon, elle se donnait l′air de ne tenir nullement à la soirée, ni à y être vue, mais simplement de venir faire une visite au Prince et à la Princesse, rien que pour eux, par sympathie, au moment où, les trois quarts des invités déjà partis, elle «jouirait mieux d′eux». While we were going downstairs, there came up, with an air of weariness that became her, a woman who appeared to be about forty, but was really older. This was the Princesse d′Orvillers, a natural daughter, it was said, of the Duke of Parma, whose pleasant voice rang with a vaguely Austrian accent. She advanced, tall, stooping, in a gown of white flowered silk, her exquisite, throbbing, cankered bosom heaving beneath a harness of diamonds and sapphires. Tossing her head like a royal palfrey embarrassed by its halter of pearls, of an incalculable value but an inconvenient weight, she let fall here and there a gentle, charming gaze, of an azure which, as time began to fade it, became more caressing than ever, and greeted most of the departing guests with a friendly nod. “You choose a nice time to arrive, Paulette!” said the Duchess. “Yes, I am so sorry! But really it was a physical impossibility,” replied the Princesse d′Orvillers, who had acquired this sort of expression from the Duchesse de Guermantes, but added to it her own natural sweetness and the air of sincerity conveyed by the force of a remotely Teutonic accent in so tender a voice. She appeared to be alluding to complications of life too elaborate to be related, and not merely to evening parties, although she had just come on from a succession of these. But it was not they that obliged her to come so late. As the Prince de Guermantes had for many years forbidden his wife to receive Mme. d′Orvillers, that lady, when the ban was withdrawn, contented herself with replying to the other′s invitations, so as not to appear to be thirsting after them, by simply leaving cards. After two or three years of this method, she came in person, but very late, as though after the theatre. In this way she gave herself the appearance of attaching no importance to the party, nor to being seen at it, but simply of having come to pay the Prince and Princess a visit, for their own sakes, because she liked them, at an hour when, the great majority of their guests having already gone, she would “have them more to herself.”
«Oriane est vraiment tombée au dernier degré, ronchonna Mme de Gallardon. Je ne comprends pas Basin de la laisser parler à Mme d′Orvillers. Ce n′est pas M. de Gallardon qui m′eût permis cela.» Pour moi, j′avais reconnu en Mme d′Orvillers la femme qui, près de l′hôtel Guermantes, me lançait de longs regards langoureux, se retournait, s′arrêtait devant les glaces des boutiques. Mme de Guermantes me présenta, Mme d′Orvillers fut charmante, ni trop aimable, ni piquée. Elle me regarda comme tout le monde, de ses yeux doux . . . Mais je ne devais plus jamais, quand je la rencontrerais, recevoir d′elle une seule de ces avances où elle avait semblé s′offrir. Il y a des regards particuliers et qui ont l′air de vous reconnaître, qu′un jeune homme ne reçoit jamais de certaines femmes — et de certains hommes — que jusqu′au jour où ils vous connaissent et apprennent que vous êtes l′ami de gens avec qui ils sont liés aussi. “Oriane has really sunk very low,” muttered Mme. de Gallardon. “I cannot understand Basin′s allowing her to speak to Mme. d′Orvillers. I am sure M. de Gallardon would never have allowed me.” For my part, I had recognised in Mme. d′Orvillers the woman who, outside the Hôtel Guermantes, used to cast languishing glances at me, turn round, stop and gaze into shop windows. Mme. de Guermantes introduced me, Mme. d′Orvillers was charming, neither too friendly nor annoyed. She gazed at me as at everyone else out of her gentle eyes. . . . But I was never again, when I met her, to receive from her one of those overtures with which she had seemed to be offering herself. There is a special kind of glance, apparently of recognition, which a young man never receives from certain women — nor from certain men — after the day on which they have made his acquaintance and have learned that he is the friend of people with whom they too are intimate.
On annonça que la voiture était avancée. Mme de Guermantes prit sa jupe rouge comme pour descendre et monter en voiture, mais, saisie peut-être d′un remords, ou du désir de faire plaisir et surtout de profiter de la brièveté que l′empêchement matériel de le prolonger imposait à un acte aussi ennuyeux, elle regarda Mme de Gallardon; puis, comme si elle venait seulement de l′apercevoir, prise d′une inspiration, elle retraversa, avant de descendre, toute la longueur du degré et, arrivée à sa cousine ravie, lui tendit la main. «Comme il y a longtemps», lui dit la duchesse qui, pour ne pas avoir à développer tout ce qu′était censé contenir de regrets et de légitimes excuses cette formule, se tourna d′un air effrayé vers le duc, lequel, en effet, descendu avec moi vers la voiture, tempêtait en voyant que sa femme était partie vers Mme de Gallardon et interrompait la circulation des autres voitures. «Oriane est tout de même encore bien belle! dit Mme de Gallardon. Les gens m′amusent quand ils disent que nous sommes en froid; nous pouvons, pour des raisons où nous n′avons pas besoin de mettre les autres, rester des années sans nous voir, nous avons trop de souvenirs communs pour pouvoir jamais être séparées, et, au fond, elle sait bien qu′elle m′aime plus que tant des gens qu′elle voit tous les jours et qui ne sont pas de son rang.» Mme de Gallardon était en effet comme ces amoureux dédaignés qui veulent à toute force faire croire qu′ils sont plus aimés que ceux que choie leur belle. Et (par les éloges que, sans souci de la contradiction avec ce qu′elle avait dit peu avant, elle prodigua en parlant de la duchesse de Guermantes) elle prouva indirectement que celle-ci possédait à fond les maximes qui doivent guider dans sa carrière une grande élégante laquelle, dans le moment même où sa plus merveilleuse toilette excite, à côté de l′admiration, l′envie, doit savoir traverser tout un escalier pour la désarmer. «Faites au moins attention de ne pas mouiller vos souliers» (il avait tombé une petite pluie d′orage), dit le duc, qui était encore furieux d′avoir attendu. We were told that the carriage was at the door. Mme. de Guermantes gathered up her red skirt as though to go downstairs and get into the carriage, but, seized perhaps by remorse, or by the desire to give pleasure, and above all to profit by the brevity which the material obstacle to prolonging it imposed upon so boring an action, looked at Mme. de Gallardon; then, as though she had only just caught sight of her, acting upon a sudden inspiration, before going down tripped across the whole width of the step and, upon reaching her delighted cousin, held out her hand. “Such a long time,” said the Duchess who then, so as not to have to develop all the regrets and legitimate excuses that this formula might be supposed to contain, turned with a look of alarm towards the Duke, who as a matter of fact, having gone down with me to the carriage, was storming with rage when he saw that his wife had gone over to Mme. de Gallardon and was holding up the stream of carriages behind. “Oriane is still very good looking, after all!” said Mme. de Gallardon. “People amuse me when they say that we have quarrelled; we may (for reasons which we have no need to tell other people) go for years without seeing one another, we have too many memories in common ever to be separated, and in her heart she must know that she cares far more for me than for all sorts of people whom she sees every day and who are not of her rank.” Mme. de Gallardon was in fact like those scorned lovers who try desperately to make people believe that they are better loved than those, whom their fair one cherishes. And (by the praises which, without heeding their contradiction of what she had been saying a moment earlier, she now lavished in speaking of the Duchesse de Guermantes) she proved indirectly that the other was thoroughly conversant with the maxims that ought to guide in her career a great lady of fashion who, at the selfsame moment when her most marvellous gown is exciting an admiration not unmixed with envy, must be able to cross the whole width of a staircase to disarm it. “Do at least take care not to wet your shoes” (a brief but heavy shower of rain had fallen), said the Duke, who was still furious at having been kept waiting.
Pendant le retour, à cause de l′exigueacute; du coupé, les souliers rouges se trouvèrent forcément peu éloignés des miens, et Mme de Guermantes, craignant même qu′ils ne les eussent touchés, dit au duc: «Ce jeune homme va être obligé de me dire comme je ne sais plus quelle caricature: «Madame, dites-moi tout de suite que vous m′aimez, mais ne me marchez pas sur les pieds comme cela.» Ma pensée d′ailleurs était assez loin de Mme de Guermantes. Depuis que Saint–Loup m′avait parlé d′une jeune fille de grande naissance qui allait dans une maison de passe et de la femme de chambre de la baronne Putbus, c′était dans ces deux personnes que, faisant bloc, s′étaient résumés les désirs que m′inspiraient chaque jour tant de beautés de deux classes, d′une part les vulgaires et magnifiques, les majestueuses femmes de chambre de grande maison enflées d′orgueil et qui disent «nous» en parlant des duchesses, d′autre part ces jeunes filles dont il me suffisait parfois, même sans les avoir vues passer en voiture ou à pied, d′avoir lu le nom dans un compte rendu de bal pour que j′en devinsse amoureux et qu′ayant consciencieusement cherché dans l′annuaire des châteaux où elles passaient l′été (bien souvent en me laissant égarer par un nom similaire) je rêvasse tour à tour d′aller habiter les plaines de l′Ouest, les dunes du Nord, les bois de pins du Midi. Mais j′avais beau fondre toute la matière charnelle la plus exquise pour composer, selon l′idéal que m′en avait tracé Saint–Loup, la jeune fille légère et la femme de chambre de Mme Putbus, il manquait à mes deux beautés possédables ce que j′ignorerais tant que je ne les aurais pas vues: le caractère individuel. Je devais m′épuiser vainement à rechercher à me figurer, pendant les mois où j′eusse préféré une femme de chambre, celle de Mme Putbus. Mais quelle tranquillité, après avoir été perpétuellement troublé par mes désirs inquiets pour tant d′êtres fugitifs dont souvent je ne savais même pas le nom, qui étaient en tout cas si difficiles à retrouver, encore plus à connaître, impossibles peut-être à conquérir, d′avoir prélevé sur toute cette beauté éparse, fugitive, anonyme, deux spécimens de choix munis de leur fiche signalétique et que j′étais du moins certain de me procurer quand je le voudrais. Je reculais l′heure de me mettre à ce double plaisir, comme celle du travail, mais la certitude de l′avoir quand je voudrais me dispensait presque de le prendre, comme ces cachets soporifiques qu′il suffit d′avoir à la portée de la main pour n′avoir pas besoin d′eux et s′endormir. Je ne désirais dans l′univers que deux femmes dont je ne pouvais, il est vrai, arriver à me représenter le visage, mais dont Saint–Loup m′avait appris les noms et garanti la complaisance. De sorte que, s′il avait par ses paroles de tout à l′heure fourni un rude travail à mon imagination, il avait par contre procuré une appréciable détente, un repos durable à ma volonté. On our homeward drive, in the confined space of the coupé, the red shoes were of necessity very close to mine, and Mme. de Guermantes, fearing that she might actually have touched me, said to the Duke: “This young man will have to say to me, like the person in the caricature: ‘Madame, tell me at once that you love me, but don′t tread on my feet like that.′” My thoughts, however, were far from Mme. de Guermantes. Ever since Saint-Loup had spoken to me of a young girl of good family who frequented a house of ill-fame, and of the Baroness Putbus′s maid, it was in these two persons that were coalesced and embodied the desires inspired in me day by day by countless beauties of two classes, on the one hand the plebeian and magnificent, the majestic lady′s maids of great bouses, swollen with pride and saying ‘we′ when they spoke of Duchesses, on the other hand those girls of whom it was enough for me sometimes, without even having seen them go past in carriages or on foot, to have read the names in the account of a ball for me to fall in love with them and, having conscientiously searched the year-book for the country houses in which they spent the summer (as often as not letting myself be led astray by a similarity of names), to dream alternately of going to live amid the plains of the West, the sandhills of the North, the pine-forests of the South. But in vain might I fuse together all the most exquisite fleshly matter to compose, after the ideal outline traced for me by Saint-Loup, the young girl of easy virtue and Mme. Putbus′s maid, my two possessible beauties still lacked what I should never know until I had seen them: individual character. I was to wear myself out in seeking to form a mental picture, during the months in which I would have preferred a lady′s maid, of the maid of Mme. Putbus. But what peace of mind after having been perpetually troubled by my restless desires, for so many fugitive creatures whose very names I often did not know, who were in any case so hard to find again, harder still to become acquainted with, impossible perhaps to captivate, to have subtracted from all that scattered, fugitive, anonymous beauty, two choice specimens duly labelled, whom I was at least certain of being able to procure when I chose. I kept putting off the hour for devoting myself to this twofold pleasure, as I put off that for beginning to work, but the certainty of having it whenever I chose dispensed me almost from the necessity of taking it, like those soporific tablets which one has only to have within reach of one′s hand not to need them and to fall asleep. In the whole universe I desired only two women, of whose faces I could not, it is true, form any picture, but whose names Saint-Loup had told me and had guaranteed their consent. So that, if he had, by what he had said this evening, set my imagination a heavy task, he had at the same time procured an appreciable relaxation, a prolonged rest for my will.
«Hé bien! me dit la duchesse, en dehors de vos bals, est-ce que je ne peux vous être d′aucune utilité? Avez-vous trouvé un salon où vous aimeriez que je vous présente?» Je lui répondis que je craignais que le seul qui me fît envie ne fût trop peu élégant pour elle. «Qui est-ce?» demanda-t-elle d′une voix menaçante et rauque, sans presque ouvrir la bouche. «La baronne Putbus.» Cette fois-ci elle feignit une véritable colère. «Ah! non, ça, par exemple, je crois que vous vous fichez de moi. Je ne sais même pas par quel hasard je sais le nom de ce chameau. Mais c′est la lie de la société. C′est comme si vous me demandiez de vous présenter à ma mercière. Et encore non, car ma mercière est charmante. Vous êtes un peu fou, mon pauvre petit. En tout cas, je vous demande en grâce d′être poli avec les personnes à qui je vous ai présenté, de leur mettre des cartes, d′aller les voir et de ne pas leur parler de la baronne Putbus, qui leur est inconnue.» Je demandai si Mme d′Orvillers n′était pas un peu légère. «Oh! pas du tout, vous confondez, elle serait plutôt bégueule. N′est-ce pas, Basin? — Oui, en tout cas je ne crois pas qu′il y ait jamais rien à dire sur elle», dit le duc. “Well!” said the Duchess to me, “apart from your balls, can′t I be of any use to you? Have you found a house where you would like me to introduce you?” I replied that I was afraid the only one that tempted me was hardly fashionable enough for her. “Whose is that?” she asked in a hoarse and menacing voice, scarcely opening her lips. “Baroness Putbus.” This time she pretended to be really angry. “No, not that! I believe you′re trying to make a fool of me. I don′t even know how I come to have heard the creature′s name. But she is the dregs of society. It′s just as though you were to ask me for an introduction to my milliner. And worse than that, for my milliner is charming. You are a little bit cracked, my poor boy. In any case, I beg that you will be polite to the people to whom I have introduced you, leave cards on them, and go and see them, and not talk to them about Baroness Putbus of whom they have never heard.” I asked whether Mme. d′Orvillers was not inclined to be flighty. “Oh, not in the least, you are thinking of some one else, why, she′s rather a prude, if anything. Ain′t she, Basin?” “Yes, in any case I don′t think there has ever been anything to be said about her,” said the Duke.
«Vous ne voulez pas venir avec nous à la redoute? me demanda-t-il. Je vous prêterais un manteau vénitien et je sais quelqu′un à qui cela ferait bougrement plaisir, à Oriane d′abord, cela ce n′est pas peine de le dire; mais à la princesse de Parme. Elle chante tout le temps vos louanges, elle ne jure que par vous. Vous avez la chance — comme elle est un peu mûre — qu′elle soit d′une pudicité absolue. Sans cela elle vous aurait certainement pris comme sigisbée, comme on disait dans ma jeunesse, une espèce de cavalier servant.» “You won′t come with us to the ball?” he asked me. “I can lend you a Venetian cloak and I know some one who will be damned glad to see you there — Oriane for one, that I needn′t say — but the Princesse de Parme. She′s never tired of singing your praises, and swears by you alone. It′s fortunate for you — since she is a trifle mature — that she is the model of virtue. Otherwise she would certainly have chosen you as a sigisbée, as it was called in my young days, a sort of cavalière servente.”
Je ne tenais pas à la redoute, mais au rendez-vous avec Albertine. Aussi je refusai. La voiture s′était arrêtée, le valet de pied demanda la porte cochère, les chevaux piaffèrent jusqu′à ce qu′elle fût ouverte toute grande, et la voiture s′engagea dans la cour. «A la revoyure, me dit le duc. — J′ai quelquefois regretté de demeurer aussi près de Marie, me dit la duchesse, parce que, si je l′aime beaucoup, j′aime un petit peu moins la voir. Mais je n′ai jamais regretté cette proximité autant que ce soir puisque cela me fait rester si peu avec vous. — Allons, Oriane, pas de discours.» La duchesse aurait voulu que j′entrasse un instant chez eux. Elle rit beaucoup, ainsi que le duc, quand je dis que je ne pouvais pas parce qu′une jeune fille devait précisément venir me faire une visite maintenant. «Vous avez une drôle d′heure pour recevoir vos visites, me dit-elle. I was interested not in the ball but in my appointment with Albertine. And so I refused. The carriage had stopped, the footman was shouting for the gate to be opened, the horses pawing the ground until it was flung apart and the carriage passed into the courtyard. “Till we meet again,” said the Duke. “I have sometimes regretted living so close to Marie,” the Duchess said to me, “because I may be very fond of her, but I am not quite so fond of her company. But have never regretted it so much as to-night, since it has allowed me so little of yours.” “Come, Oriane, no speechmaking.” The Duchess would have liked me to come inside for a minute. She laughed heartily, as did the Duke, when I said that I could not because I was expecting a girl to call at any moment. “You choose a funny time to receive visitors,” she said to me.
— Allons, mon petit, dépêchons-nous, dit M. de Guermantes à sa femme. Il est minuit moins le quart et le temps de nous costumer . . . » Il se heurta devant sa porte, sévèrement gardée par elles, aux deux dames à canne qui n′avaient pas craint de descendre nuitamment de leur cime afin d′empêcher un scandale. «Basin, nous avons tenu à vous prévenir, de peur que vous ne soyez vu à cette redoute: le pauvre Amanien vient de mourir, il y a une heure.» Le duc eut un instant d′alarme. Il voyait la fameuse redoute s′effondrer pour lui du moment que, par ces maudites montagnardes, il était averti de la mort de M. d′Osmond. Mais il se ressaisit bien vite et lança aux deux cousines ce mot où il faisait entrer, avec la détermination de ne pas renoncer à un plaisir, son incapacité d′assimiler exactement les tours de la langue française: «Il est mort! Mais non, on exagère, on exagère!» Et sans plus s′occuper des deux parentes qui, munies de leurs alpenstocks, allaient faire l′ascension dans la nuit, il se précipita aux nouvelles en interrogeant son valet de chambre: “Come along, my child, there is no time to waste,” said M. de Guermantes to his wife. “It is a quarter to twelve, and time we were dressed. . . . ” He came in collision, outside his front door which they were grimly guarding, with the two ladies of the walking-sticks, who had not been afraid to descend at dead of night from their mountain-top to prevent a scandal. “Basin, we felt we must warn you, in case you were seen at that ball: poor Amanien has just passed away, an hour ago.” The Duke felt a momentary alarm. He saw the delights of the famous ball snatched from him as soon as these accursed mountaineers had informed him of the death of M. d′Osmond. But he quickly recovered himself and flung at his cousins a retort into which he introduced, with his determination not to forego a pleasure, his incapacity to assimilate exactly the niceties of the French language: “He is dead! No, no, they exaggerate, they exaggerate!” And without giving a further thought to his two relatives who, armed with their alpenstocks, were preparing to make their nocturnal ascent, he fired off a string of questions at his valet:
«Mon casque est bien arrivé? — Oui, monsieur le duc. — Il y a bien un petit trou pour respirer? Je n′ai pas envie d′être asphyxié, que diable! — Oui, monsieur le duc. — Ah! tonnerre de Dieu, c′est un soir de malheur. Oriane, j′ai oublié de demander à Babal si les souliers à la poulaine étaient pour vous! — Mais, mon petit, puisque le costumier de l′Opéra-Comique est là, il nous le dira. Moi, je ne crois pas que ça puisse aller avec vos éperons. — Allons trouver le costumier, dit le duc. Adieu, mon petit, je vous dirais bien d′entrer avec nous pendant que nous essaierons, pour vous amuser. Mais nous causerions, il va être minuit et il faut que nous n′arrivions pas en retard pour que la fête soit complète.» “Are you sure my helmet has come?” “Yes, Monsieur le Duc.” “You′re sure there′s a hole in it I can breathe through? I don′t want to be suffocated, damn it!” “Yes, Monsieur le Duc.” “Oh, thunder of heaven, this is an unlucky evening. Oriane, I forgot to ask Babal whether the shoes with pointed toes were for you!” “But, my dear, the dresser from the Opéra-Comique is here, he will tell us. I don′t see how they could go with your spurs.” “Let us go and find the dresser,” said the Duke. “Good-bye, my boy, I should ask you to come in while we are trying on, it would amuse you. But we should only waste time talking, it is nearly midnight and we must not be late in getting there or we shall spoil the set.”
Moi aussi j′étais pressé de quitter M. et Mme de Guermantes au plus vite. Phèdre finissait vers onze heures et demie. Le temps de venir, Albertine devait être arrivée. J′allai droit à Françoise: «Mlle Albertine est là? — Personne n′est venu.» I too was in a hurry to get away from M. and Mme. de Guermantes as quickly as possible. Phèdre finished at about half past eleven. Albertine must have arrived by now. I went straight to Françoise: “Is Mlle. Albertine in the house?” “No one has called.”
Mon Dieu, cela voulait-il dire que personne ne viendrait! J′étais tourmenté, la visite d′Albertine me semblant maintenant d′autant plus désirable qu′elle était moins certaine. Good God, that meant that no one would call! I was in torment, Albertine′s visit seeming to me now all the more desirable, the less certain it had become.
Françoise était ennuyée aussi, mais pour une tout autre raison. Elle venait d′installer sa fille à table pour un succulent repas. Mais en m′entendant venir, voyant le temps lui manquer pour enlever les plats et disposer des aiguilles et du fil comme s′il s′agissait d′un ouvrage et non d′un souper: Elle vient de prendre une cuillère de soupe, me dit Françoise, je l′ai forcée de sucer un peu de carcasse», pour diminuer ainsi jusqu′à rien le souper de sa fille, et comme si ç‘avait été coupable qu′il fût copieux. Même au déjeuner ou au dîner, si je commettais la faute d′entrer dans la cuisine, Françoise faisait semblant qu′on eût fini et s′excusait même en disant: «J′avais voulu manger un morceau ou une bouchée.» Mais on était vite rassuré en voyant la multitude des plats qui couvraient la table et que Françoise, surprise par mon entrée soudaine, comme un malfaiteur qu′elle n′était pas, n′avait pas eu le temps de faire disparaître. Puis elle ajouta: «Allons, va te coucher, tu as assez travaillé comme cela aujourd′hui (car elle voulait que sa fille eût l′air non seulement de ne nous coûter rien, de vivre de privations, mais encore de se tuer au travail pour nous). Tu ne fais qu′encombrer la cuisine et surtout gêner Monsieur qui attend de la visite. Allons, monte», reprit-elle, comme si elle était obligée d′user de son autorité pour envoyer coucher sa fille qui, du moment que le souper était raté, n′était plus là que pour la frime et, si j′étais resté cinq minutes encore, eût d′elle-même décampé. Et se tournant vers moi, avec ce beau français populaire et pourtant un peu individuel qui était le sien: «Monsieur ne voit pas que l′envie de dormir lui coupe la figure.» J′étais resté ravi de ne pas avoir à causer avec la fille de Françoise. Françoise was cross too, but for quite a different reason. She had just installed her daughter at the table for a succulent repast. But, on hearing me come in, and seeing that there was not time to whip away the dishes and put out needles and thread as though it were a work party and not a supper party: “She has just been taking a spoonful of soup,” Françoise explained to me, “I forced her to gnaw a bit of bone,” to reduce thus to nothing her daughter′s supper, as though the crime lay in its abundance. Even at luncheon or dinner, if I committed the error of entering the kitchen, Françoise would pretend that they had finished, and would even excuse herself with “I just felt I could eat a scrap,” or ‘a mouthful.′ But I was speedily reassured on seeing the multitude of the plates that covered the table, which Françoise, surprised by my sudden entry, like a thief in the night which she was not, had not had time to conjure out of sight. Then she added: “Go along to your bed now, you have done enough work today” (for she wished to make it appear that her daughter not only cost us nothing, lived by privations, but was actually working herself to death in our service). “You are only crowding up the kitchen, and disturbing Master, who is expecting a visitor. Go on, upstairs,” she repeated, as though she were obliged to use her authority to send her daughter to bed, who, the moment supper was out of the question, remained in the kitchen only for appearance′s sake, and if I had stayed five minutes longer would have withdrawn of her own accord. And turning to me, in that charming popular and yet, somehow, personal French which was her spoken language: “Master doesn′t see that her face is just cut in two with want of sleep.” I remained, delighted at not having to talk to Françoise′s daughter.
J′ai dit qu′elle était d′un petit pays qui était tout voisin de celui de sa mère, et pourtant différent par la nature du terrain, les cultures, le patois, par certaines particularités des habitants, surtout. Ainsi la «bouchère» et la nièce de Françoise s′entendaient fort mal, mais avaient ce point commun, quand elles partaient faire une course, de s′attarder des heures «chez la soeur» ou «chez la cousine», étant d′elles-mêmes incapables de terminer une conversation, conversation au cours de laquelle le motif qui les avait fait sortir s′évanouissait au point que si on leur disait à leur retour: «Hé bien, M. le marquis de Norpois sera-t-il visible à six heures un quart», elles ne se frappaient même pas le front en disant: «Ah! j′ai oublié», mais: «Ah! je n′ai pas compris que monsieur avait demandé cela, je croyais qu′il fallait seulement lui donner le bonjour.» Si elles «perdaient la boule» de cette façon pour une chose dite une heure auparavant, en revanche il était impossible de leur ôter de la tête ce qu′elles avaient une fois entendu dire par la soeur ou par la cousine. Ainsi, si la bouchère avait entendu dire que les Anglais nous avaient fait la guerre en 70 en même temps que les Prussiens, et que j′eusse eu beau expliquer que ce fait était faux, toutes les trois semaines la bouchère me répétait au cours d′une conversation: «C′est cause à cette guerre que les Anglais nous ont faite en 70 en même temps que les Prussiens. — Mais je vous ai dit cent fois que vous vous trompez.» Elle répondait, ce qui impliquait que rien n′était ébranlé dans sa conviction: «En tout cas, ce n′est pas une raison pour leur en vouloir. Depuis 70, il a coulé de l′eau sous les ponts, etc.» Une autre fois, prônant une guerre avec l′Angleterre, que je désapprouvais, elle disait: «Bien sûr, vaut toujours mieux pas de guerre; mais puisqu′il le faut, vaut mieux y aller tout de suite. Comme l′a expliqué tantôt la soeur, depuis cette guerre que les Anglais nous ont faite en 70, les traités de commerce nous ruinent. Après qu′on les aura battus, on ne laissera plus entrer en France un seul Anglais sans payer trois cents francs d′entrée, comme nous maintenant pour aller en Angleterre.» I have said that she came from a small village which was quite close to her mother′s, and yet different from it in the nature of the soil, its cultivation, in dialect; above all in certain characteristics of the inhabitants. Thus the ‘butcheress′ and Françoise′s niece did not get on at all well together, but had this point in common, that, when they went out on an errand, they would linger for hours at ‘the sister′s′ or ‘the cousin′s,′ being themselves incapable of finishing a conversation, in the course of which the purpose with which they had set out faded so completely from their minds that, if we said to them on their return: “Well! Will M. le Marquis de Norpois be at home at a quarter past six?” they did not even beat their brows and say: “Oh, I forgot all about it,” but “Oh! I didn′t understand that Master wanted to know that, I thought I had just to go and bid him good day.” If they ‘lost their heads′ in this manner about a thing that had been said to them an hour earlier, it was on the other hand impossible to get out of their heads what they had once heard said, by ‘the′ sister or cousin. Thus, if the butcheress had heard it said that the English made war upon us in ‘70 at the same time as the Prussians, and I had explained to her until I was tired that this was not the case, every three weeks the butcheress would repeat to me in the course of conversation: “It′s all because of that war the English made on us in ‘70, with the Prussians.” “But I′ve told you a hundred times that you are wrong.”— She would then answer, implying that her conviction was in no way shaken: “In any case, that′s no reason for wishing them any harm. Plenty of water has run under the bridges since ‘70,” and so forth. On another occasion, advocating a war with England which I opposed, she said: “To be sure, it′s always better not to go to war; but when you must, it′s best to do it at once. As the sister was explaining just now, ever since that war the English made on us in ‘70, the commercial treaties have ruined us. After we′ve beaten them, we won′t allow one Englishman into France, unless he pays three hundred francs to come in, as we have to pay now to land in England.”
Tel était, en dehors de beaucoup d′honnêteté et, quand ils parlaient, d′une sourde obstination à ne pas se laisser interrompre, à reprendre vingt fois là où ils en étaient si on les interrompait, ce qui finissait par donner à leurs propos la solidité inébranlable d′une fugue de Bach, le caractère des habitants dans ce petit pays qui n′en comptait pas cinq cents et que bordaient ses châtaigniers, ses saules, ses champs de pommes de terre et de betteraves. Such was, in addition to great honesty and, when they were speaking, an obstinate refusal to allow any interruption, going back twenty times over to the point at which they had been interrupted, which ended by giving to their talk the unshakable solidity of a Bach fugue, the character of the inhabitants of this tiny village which did not boast five hundred, set among its chestnuts, its willows, and its fields of potatoes and beetroot.
La fille de Françoise, au contraire, parlait, se croyant une femme d′aujourd′hui et sortie des sentiers trop anciens, l′argot parisien et ne manquait aucune des plaisanteries adjointes. Françoise lui ayant dit que je venais de chez une princesse: «Ah! sans doute une princesse à la noix de coco.» Voyant que j′attendais une visite, elle fit semblant de croire que je m′appelais Charles. Je lui répondis naîµ¥ment que non, ce qui lui permit de placer: «Ah! je croyais! Et je me disais Charles attend (charlatan).» Ce n′était pas de très bon goût. Mais je fus moins indifférent lorsque, comme consolation du retard d′Albertine, elle me dit: «Je crois que vous pouvez l′attendre à perpète. Elle ne viendra plus. Ah! nos gigolettes d′aujourd′hui!» Françoise′s daughter, on the other hand, spoke (regarding herself as an up-to-date woman who had got out of the old ruts) Parisian slang and was well versed in all the jokes of the day. Françoise having told her that I had come from the house of a Princess: “Oh, indeed! The Princess of Brazil, I suppose, where the nuts come from.” Seeing that I was expecting a visitor, she pretended to suppose that my name was Charles. I replied innocently that it was not, which enabled her to get in: “Oh, I thought it was! And I was just saying to myself, Charles attend (charlatan).” This was not in the best of taste. But I was less unmoved when, to console me for Albertine′s delay, she said to me: “I expect you′ll go on waiting till doomsday. She′s never coming. Oh! Those modern flappers!”
Ainsi son parler différait de celui de sa mère; mais, ce qui est plus curieux, le parler de sa mère n′était pas le même que celui de sa grand′mère, native de Bailleau-le-Pin, qui était si près du pays de Françoise. Pourtant les patois différaient légèrement comme les deux paysages. Le pays de la mère de Françoise, en pente et descendant à un ravin, était fréquenté par les saules. Et, très loin de là, au contraire, il y avait en France une petite région où on parlait presque tout à fait le même patois qu′à Méséglise. J′en fis la découverte en même temps que j′en éprouvai l′ennui. En effet, je trouvai une fois Françoise en grande conversation avec une femme de chambre de la maison, qui était de ce pays et parlait ce patois. Elles se comprenaient presque, je ne les comprenais pas du tout, elles le savaient et ne cessaient pas pour cela, excusées, croyaient-elles, par la joie d′être payses quoique nées si loin l′une de l′autre, de continuer à parler devant moi cette langue étrangère, comme lorsqu′on ne veut pas être compris. Ces pittoresques études de géographie linguistique et de camaraderie ancillaire se poursuivirent chaque semaine dans la cuisine, sans que j′y prisse aucun plaisir. And so her speech differed from her mother′s; but, what is more curious, her mother′s speech was not the same as that of her grandmother, a native of Bailleau-le-Pin, which was so close to Françoise′s village. And yet the dialects differed slightly, like the scenery. Françoise′s mother′s village, scrambling down a steep bank into a ravine, was overgrown with willows. And, miles away from either of them, there was, on the contrary, a small district of France where the people spoke almost precisely the same dialect as at Méséglise. I made this discovery only to feel its drawbacks. In fact, I once came upon Françoise eagerly conversing with a neighbour′s housemaid, who came from this village and spoke its dialect. They could more or less understand one another, I did not understand a word, they knew this but did not however cease (excused, they felt, by the joy of being fellow-countrywomen although born so far apart) to converse in this strange tongue in front of me, like people who do not wish to be understood. These picturesque studies in linguistic geography and comradeship belowstairs were continued weekly in the kitchen, without my deriving any pleasure from them.
Comme, chaque fois que la porte cochère s′ouvrait, la concierge appuyait sur un bouton électrique qui éclairait l′escalier, et comme il n′y avait pas de locataires qui ne fussent rentrés, je quittai immédiatement la cuisine et revins m′asseoir dans l′antichambre, épiant, là où la tenture un peu trop étroite, qui ne couvrait pas complètement la porte vitrée de notre appartement, laissait passer la sombre raie verticale faite par la demi-obscurité de l′escalier. Si tout d′un coup cette raie devenait d′un blond doré, c′est qu′Albertine viendrait d′entrer en bas et serait dans deux minutes près de moi; personne d′autre ne pouvait plus venir à cette heure-là. Et je restais, ne pouvant détacher mes yeux de la raie qui s′obstinait à demeurer sombre; je me penchais tout entier pour être sûr de bien voir; mais j′avais beau regarder, le noir trait vertical, malgré mon désir passionné, ne me donnait pas l′enivrante allégresse que j′aurais eue si je l′avais vu changé, par un enchantement soudain et significatif, en un lumineux barreau d′or. C′était bien de l′inquiétude pour cette Albertine à laquelle je n′avais pas pensé trois minutes pendant la soirée Guermantes! Mais, réveillant les sentiments d′attente jadis éprouvés à propos d′autres jeunes filles, surtout de Gilberte, quand elle tardait à venir, la privation possible d′un simple plaisir physique me causait une cruelle souffrance morale. Since, whenever the outer gate opened, the doorkeeper pressed an electric button which lighted the stairs, and since all the occupants of the building had already come in, I left the kitchen immediately and went to sit down in the hall, keeping watch, at a point where the curtains did not quite meet over the glass panel of the outer door, leaving visible a vertical strip of semi-darkness on the stair. If, all of a sudden, this strip turned to a golden yellow, that would mean that Albertine had just entered the building and would be with me in a minute; nobody else could be coming at that time of night. And I sat there, unable to take my eyes from the strip which persisted in remaining dark; I bent my whole body forward to make certain of noticing any change; but, gaze as I might, the vertical black band, despite my impassioned longing, did not give me the intoxicating delight that I should have felt had I seen it changed by a sudden and significant magic to a luminous bar of gold. This was a great to do to make about that Albertine to whom I had not given three minutes′ thought during the Guermantes party! But, reviving my feelings when in the past I had been kept waiting by other girls, Gilberte especially, when she delayed her coming, the prospect of having to forego a simple bodily pleasure caused me an intense mental suffering.
Il me fallut rentrer dans ma chambre. Françoise m′y suivit. Elle trouvait, comme j′étais revenu de ma soirée, qu′il était inutile que je gardasse la rose que j′avais à la boutonnière et vint pour me l′enlever. Son geste, en me rappelant qu′Albertine pouvait ne plus venir, et en m′obligeant aussi à confesser que je désirais être élégant pour elle, me causa une irritation qui fut redoublée du fait qu′en me dégageant violemment, je froissai la fleur et que Françoise me dit: «Il aurait mieux valu me la laisser ôter plutôt que non pas la gâter ainsi.» D′ailleurs, ses moindres paroles m′exaspéraient. Dans l′attente, on souffre tant de l′absence de ce qu′on désire qu′on ne peut supporter une autre présence. I was obliged to retire to my room. Françoise followed me. She felt that, as I had come away from my party, there was no point in my keeping the rose that I had in my buttonhole, and approached to take it from me. Her action, by reminding me that Albertine was perhaps not coming, and by obliging me also to confess that I wished to look smart for her benefit, caused an irritation that was increased by the fact that, in tugging myself free, I crushed the flower and Françoise said to me: “It would have been better to let me take it than to go and spoil it like that.” But anything that she might say exasperated me. When we are kept waiting, we suffer so keenly from the absence of the person for whom we are longing that we cannot endure the presence of anyone else.
Françoise sortie de la chambre, je pensai que, si c′était pour en arriver maintenant à avoir de la coquetterie à l′égard d′Albertine, il était bien fâcheux que je me fusse montré tant de fois à elle si mal rasé, avec une barbe de plusieurs jours, les soirs où je la laissais venir pour recommencer nos caresses. Je sentais qu′insoucieuse de moi, elle me laissait seul. Pour embellir un peu ma chambre, si Albertine venait encore, et parce que c′était une des plus jolies choses que j′avais, je remis, pour la première fois depuis des années, sur la table qui était auprès de mon lit, ce portefeuille orné de turquoises que Gilberte m′avait fait faire pour envelopper la plaquette de Bergotte et que, si longtemps, j′avais voulu garder avec moi pendant que je dormais, à côté de la bille d′agate. D′ailleurs, autant peut-être qu′Albertine, toujours pas venue, sa présence en ce moment dans un «ailleurs» qu′elle avait évidemment trouvé plus agréable, et que je ne connaissais pas, me causait un sentiment douloureux qui, malgré ce que j′avais dit, il y avait à peine une heure, à Swann, sur mon incapacité d′être jaloux, aurait pu, si j′avais vu mon amie à des intervalles moins éloignés, se changer en un besoin anxieux de savoir où, avec qui, elle passait son temps. Je n′osais pas envoyer chez Albertine, il était trop tard, mais dans l′espoir que, soupant peut-être avec des amies, dans un café, elle aurait l′idée de me téléphoner, je tournai le commutateur et, rétablissant la communication dans ma chambre, je la coupai entre le bureau de postes et la loge du concierge à laquelle il était relié d′habitude à cette heure-là. Avoir un récepteur dans le petit couloir où donnait la chambre de Françoise eût été plus simple, moins dérangeant, mais inutile. Les progrès de la civilisation permettent à chacun de manifester des qualités insoupçonnées ou de nouveaux vices qui les rendent plus chers ou plus insupportables à leurs amis. C′est ainsi que la découverte d′Edison avait permis à Françoise d′acquérir un défaut de plus, qui était de se refuser, quelque utilité, quelque urgence qu′il y eût, à se servir du téléphone. Elle trouvait le moyen de s′enfuir quand on voulait le lui apprendre, comme d′autres au moment d′être vaccinés. Aussi le téléphone était-il placé dans ma chambre, et, pour qu′il ne gênât pas mes parents, sa sonnerie était remplacée par un simple bruit de tourniquet. De peur de ne pas l′entendre, je ne bougeais pas. Mon immobilité était telle que, pour la première fois depuis des mois, je remarquai le tic tac de la pendule. Françoise vint arranger des choses. When Françoise had left my room, it occurred to me that, if it only meant that now I wanted to look my best before Albertine, it was a pity that I had so many times let her see me unshaved, with several days′ growth of beard, on the evenings when I let her come in to renew our caresses. I felt that she took no interest in me and was giving me the cold shoulder. To make my room look a little brighter, in case Albertine should still come, and because it was one of the prettiest things that I possessed, I set out, for the first time for years, on the table by my bed, the turquoise-studded cover which Gilberte had had made for me to hold Bergotte′s pamphlet, and which, for so long a time, I had insisted on keeping by me while I slept, with the agate marble. Besides, as much perhaps as Albertine herself, who still did not come, her presence at that moment in an ‘alibi′ which she had evidently found more attractive, and of which I knew nothing, gave me a painful feeling which, in spite of what I had said, barely an hour before, to Swann, as to my incapacity for being jealous, might, if I had seen my friend at less protracted intervals, have changed into an anxious need to know where, with whom, she was spending her time. I dared not send round to Albertine′s house, it was too late, but in the hope that, having supper perhaps with some other girls, in a café, she might take it into her head to telephone to me, I turned the switch and, restoring the connexion to my own room, cut it off between the post office and the porter′s lodge to which it was generally switched at that hour. A receiver in the little passage on which Françoise′s room opened would have been simpler, less inconvenient, but useless. The advance of civilisation enables each of us to display unsuspected merits or fresh defects which make him dearer or more insupportable to his friends. Thus Dr. Bell′s invention had enabled Françoise to acquire an additional defect, which was that of refusing, however important, however urgent the occasion might be, to make use of the telephone. She would manage to disappear whenever anybody was going to teach her how to use it, as people disappear when it is time for them to be vaccinated. And so the telephone was installed in my bedroom, and, that it might not disturb my parents, a rattle had been substituted for the bell. I did not move, for fear of not hearing it sound. So motionless did I remain that, for the first time for months, I noticed the tick of the clock. Françoise came in to make the room tidy.
Elle causait avec moi, mais je détestais cette conversation, sous la continuité uniformément banale de laquelle mes sentiments changeaient de minute en minute, passant de la crainte à l′anxiété; de l′anxiété à la déception complète. Différent des paroles vaguement satisfaites que je me croyais obligé de lui adresser, je sentais mon visage si malheureux que je prétendis que je souffrais d′un rhumatisme pour expliquer le désaccord entre mon indifférence simulée et cette expression douloureuse; puis je craignais que les paroles prononcées, d′ailleurs à mi-voix, par Françoise (non à cause d′Albertine, car elle jugeait passée depuis longtemps l′heure de sa venue possible) risquassent de m′empêcher d′entendre l′appel sauveur qui ne viendrait plus. Enfin Françoise alla se coucher; je la renvoyai avec une rude douceur, pour que le bruit qu′elle ferait en s′en allant ne couvrit pas celui du téléphone. Et je recommençai à écouter, à souffrir; quand nous attendons, de l′oreille qui recueille les bruits à l′esprit qui les dépouille et les analyse, et de l′esprit au coeur à qui il transmet ses résultats, le double trajet est si rapide que nous ne pouvons même pas percevoir sa durée, et qu′il semble que nous écoutions directement avec notre coeur. She began talking to me, but I hated her conversation, beneath the uniformly trivial continuity of which my feelings were changing from one minute to another, passing from fear to anxiety; from anxiety to complete disappointment. Belying the words of vague satisfaction which I thought myself obliged to address to her, I could feel that my face was so wretched that I pretended to be suffering from rheumatism, to account for the discrepancy between my feigned indifference and my woebegone expression; besides, I was afraid that her talk, which, for that matter, Françoise carried on in an undertone (not on account of Albertine, for she considered that all possibility of her coming was long past), might prevent me from hearing the saving call which now would not sound. At length Françoise went off to bed; I dismissed her with an abrupt civility, so that the noise she made in leaving the room should not drown that of the telephone. And I settled down again to listen, to suffer; when we are kept waiting, from the ear which takes in sounds to the mind which dissects and analyses them, and from the mind to the heart, to which it transmits its results, the double journey is so rapid that we cannot even detect its course, and imagine that we have been listening directly with our heart.
J′étais torturé par l′incessante reprise du désir toujours plus anxieux, et jamais accompli, d′un bruit d′appel; arrivé au point culminant d′une ascension tourmentée dans les spirales de mon angoisse solitaire, du fond du Paris populeux et nocturne approché soudain de moi, à côté de ma bibliothèque, j′entendis tout à coup, mécanique et sublime, comme dans Tristan l′écharpe agitée ou le chalumeau du pâtre, le bruit de toupie du téléphone. Je m′élançai, c′était Albertine. «Je ne vous dérange pas en vous téléphonant à une pareille heure? — Mais non . . . », dis-je en comprimant ma joie, car ce qu′elle disait de l′heure indue était sans doute pour s′excuser de venir dans un moment, si tard, non parce qu′elle n′allait pas venir. «Est-ce que vous venez? demandai-je d′un ton indifférent. — Mais . . . non, si vous n′avez pas absolument besoin de moi.» I was tortured by the incessant recurrence of my longing, ever more anxious and never to be gratified, for the sound of a call; arrived at the culminating point of a tortuous ascent through the coils of my lonely anguish, from the heart of the populous, nocturnal Paris that had suddenly come close to me, there beside my bookcase, I heard all at once, mechanical and sublime, like, in Tristan, the fluttering veil or the shepherd′s pipe, the purr of the telephone. I sprang to the instrument, it was Albertine. “I′m not disturbing you, ringing you up at this hour?” “Not at all . . . ” I said, restraining my joy, for her remark about the lateness of the hour was doubtless meant as an apology for coming, in a moment, so late, and did not mean that she was not coming. “Are you coming round?” I asked in a tone of indifference. “Why . . . no, unless you absolutely must see me.”
Une partie de moi à laquelle l′autre voulait se rejoindre était en Albertine. Il fallait qu′elle vînt, mais je ne le lui dis pas d′abord; comme nous étions en communication, je me dis que je pourrais toujours l′obliger, à la dernière seconde, soit à venir chez moi, soit à me laisser courir chez elle. «Oui, je suis près de chez moi, dit-elle, et infiniment loin de chez vous; je n′avais pas bien lu votre mot. Je viens de le retrouver et j′ai eu peur que vous ne m′attendiez.» Je sentais qu′elle mentait, et c′était maintenant, dans ma fureur, plus encore par besoin de la déranger que de la voir que je voulais l′obliger à venir. Mais je tenais d′abord à refuser ce que je tâcherais d′obtenir dans quelques instants. Mais où était-elle? À ses paroles se mêlaient d′autres sons: la trompe d′un cycliste, la voix d′une femme qui chantait, une fanfare lointaine retentissaient aussi distinctement que la voix chère, comme pour me montrer que c′était bien Albertine dans son milieu actuel qui était près de moi en ce moment, comme une motte de terre avec laquelle on a emporté toutes les graminées qui l′entourent. Les mêmes bruits que j′entendais frappaient aussi son oreille et mettaient une entrave à son attention: détails de vérité, étrangers au sujet, inutiles en eux-mêmes, d′autant plus nécessaires à nous révéler l′évidence du miracle; traits sobres et charmants, descriptifs de quelque rue parisienne, traits perçants aussi et cruels d′une soirée inconnue qui, au sortir de Phèdre, avaient empêché Albertine de venir chez moi. «Je commence par vous prévenir que ce n′est pas pour que vous veniez, car, à cette heure-ci, vous me gêneriez beaucoup . . ., lui dis-je, je tombe de sommeil. Et puis, enfin, mille complications. Je tiens à vous dire qu′il n′y avait pas de malentendu possible dans ma lettre. Vous m′avez répondu que c′était convenu. Alors, si vous n′aviez pas compris, qu′est-ce que vous entendiez par là? — J′ai dit que c′était convenu, seulement je ne me souvenais plus trop de ce qui était convenu. Mais je vois que vous êtes fâché, cela m′ennuie. Je regrette d′être allée à Phèdre. Si j′avais su que cela ferait tant d′histoires . . . ajouta-t-elle, comme tous les gens qui, en faute pour une chose, font semblant de croire que c′est une autre qu′on leur reproche. — Phèdre n′est pour rien dans mon mécontentement, puisque c′est moi qui vous ai demandé d′y aller. — Alors, vous m′en voulez, c′est ennuyeux qu′il soit trop tard ce soir, sans cela je serais allée chez vous, mais je viendrai demain ou après-demain, pour m′excuser. — Oh! non, Albertine, je vous en prie, après m′avoir fait perdre une soirée, laissez-moi au moins la paix les jours suivants. Je ne serai pas libre avant une quinzaine de jours ou trois semaines. Écoutez, si cela vous ennuie que nous restions sur une impression de colère, et, au fond, vous avez peut-être raison, alors j′aime encore mieux, fatigue pour fatigue, puisque je vous ai attendue jusqu′à cette heure-ci et que vous êtes encore dehors, que vous veniez tout de suite, je vais prendre du café pour me réveiller. — Ce ne serait pas possible de remettre cela à demain? parce que la difficulté . . . » En entendant ces mots d′excuse, prononcés comme si elle n′allait pas venir, je sentis qu′au désir de revoir la figure veloutée qui déjà à Balbec dirigeait toutes mes journées vers le moment où, devant la mer mauve de septembre, je serais auprès de cette fleur rose, tentait douloureusement de s′unir un élément bien différent. Ce terrible besoin d′un être, à Combray, j′avais appris à le connaître au sujet de ma mère, et jusqu′à vouloir mourir si elle me faisait dire par Françoise qu′elle ne pourrait pas monter. Cet effort de l′ancien sentiment, pour se combiner et ne faire qu′un élément unique avec l′autre, plus récent, et qui, lui, n′avait pour voluptueux objet que la surface colorée, la rose carnation d′une fleur de plage, cet effort aboutit souvent à ne faire (au sens chimique) qu′un corps nouveau, qui peut ne durer que quelques instants. Ce soir-là, du moins, et pour longtemps encore, les deux éléments restèrent dissociés. Mais déjà, aux derniers mots entendus au téléphone, je commençai à comprendre que la vie d′Albertine était située (non pas matériellement sans doute) à une telle distance de moi qu′il m′eût fallu toujours de fatigantes explorations pour mettre la main sur elle, mais, de plus, organisée comme des fortifications de campagne et, pour plus de sûreté, de l′espèce de celles que l′on a pris plus tard l′habitude d′appeler camouflées. Albertine, au reste, faisait, à un degré plus élevé de la société, partie de ce genre de personnes à qui la concierge promet à votre porteur de faire remettre la lettre quand elle rentrera — jusqu′au jour où vous vous apercevez que c′est précisément elle, la personne rencontrée dehors et à laquelle vous vous êtes permis d′écrire, qui est la concierge. De sorte qu′elle habite bien — mais dans la loge — le logis qu′elle vous a indiqué (lequel, d′autre part, est une petite maison de passe dont la concierge est la maquerelle)— et qu′elle donne comme adresse un immeuble où elle est connue par des complices qui ne vous livreront pas son secret, d′où on lui fera parvenir vos lettres, mais où elle n′habite pas, où elle a tout au plus laissé des affaires. Existences disposées sur cinq ou six lignes de repli, de sorte que, quand on veut voir cette femme, ou savoir, on est venu frapper trop à droite, ou trop à gauche, ou trop en avant, ou trop en arrière, et qu′on peut pendant des mois, des années, tout ignorer. Pour Albertine, je sentais que je n′apprendrais jamais rien, qu′entre la multiplicité entremêlée des détails réels et des faits mensongers je n′arriverais jamais à me débrouiller. Et que ce serait toujours ainsi, à moins que de la mettre en prison (mais on s′évade) jusqu′à la fin. Ce soir-là, cette conviction ne fit passer à travers moi qu′une inquiétude, mais où je sentais frémir comme une anticipation de longues souffrances. Part of me which the other part sought to join was in Albertine. It was essential that she come, but I did not tell her so at first; now that we were in communication, I said to myself that I could always oblige her at the last moment either to come to me or to let me hasten to her. “Yes, I am near home,” she said, “and miles away from you; I hadn′t read your note properly. I have just found it again and was afraid you might be waiting up for me.” I felt sure that she was lying, and it was now, in my fury, from a desire not so much to see her as to upset her plans that I determined to make her come. But I felt it better to refuse at first what in a few moments I should try to obtain from her. But where was she? With the sound of her voice were blended other sounds: the braying of a bicyclist′s horn, a woman′s voice singing, a brass band in the distance rang out as distinctly as the beloved voice, as though to shew me that it was indeed Albertine in her actual surroundings who was beside me at that moment, like a clod of earth with which we have carried away all the grass that was growing from it. The same sounds that I heard were striking her ear also, and were distracting her attention: details of truth, extraneous to the subject under discussion, valueless in themselves, all the more necessary to our perception of the miracle for what it was; elements sober and charming, descriptive of some street in Paris, elements heart-rending also and cruel of some unknown festivity which, after she came away from Phèdre, had prevented Albertine from coming to me. “I must warn you first of all that I don′t in the least want you to come, because, at this time of night, it will be a frightful nuisance . . . ” I said to her, “I′m dropping with sleep. Besides, oh, well, there are endless complications. I am bound to say that there was no possibility of your misunderstanding my letter. You answered that it was all right. Very well, if you hadn′t understood, what did you mean by that?” “I said it was all right, only I couldn′t quite remember what we had arranged. But I see you′re cross with me, I′m sorry. I wish now I′d never gone to Phèdre. If I′d known there was going to be all this fuss about it . . . ” she went on, as people invariably do when, being in the wrong over one thing, they pretend to suppose that they are being blamed for another. “I am not in the least annoyed about Phèdre, seeing it was I that asked you to go to it.” “Then you are angry with me; it′s a nuisance it′s so late now, otherwise I should have come to you, but I shall call tomorrow or the day after and make it up.” “Oh, please, Albertine, I beg of you not to, after making me waste an entire evening, the least you can do is to leave me in peace for the next few days. I shan′t be free for a fortnight or three weeks. Listen, if it worries you to think that we seem to be parting in anger, and perhaps you are right, after all, then I greatly prefer, all things considered, since I have been waiting for you all this time and you have not gone home yet, that you should come at once. I shall take a cup of coffee to keep myself awake.” “Couldn′t you possibly put it off till tomorrow? Because the trouble is. . . . ” As I listened to these words of deprecation, uttered as though she did not intend to come, I felt that, with the longing to see again the velvet-blooming face which in the past, at Balbec, used to point all my days to the moment when, by the mauve September sea, I should be walking by the side of that roseate flower, a very different element was painfully endeavouring to combine. This terrible need of a person, at Combray I had learned to know it in the case of my mother, and to the pitch of wanting to die if she sent word to me by Françoise that she could not come upstairs. This effort on the part of the old sentiment, to combine and form but a single element with the other, more recent, which had for its voluptuous object only the coloured surface, the rosy complexion of a flower of the beach, this effort results often only in creating (in the chemical sense) a new body, which can last for but a few moments. This evening, at any rate, and for long afterwards, the two elements remained apart. But already, from the last words that had reached me over the telephone, I was beginning to understand that Albertine′s life was situated (not in a material sense, of course) at so great a distance from mine that I should always have to make a strenuous exploration before I could lay my hand on her, and, what was more, organised like a system of earthworks, and, for greater security, after the fashion which, at a later period, we learned to call camouflaged. Albertine, in fact, belonged, although at a slightly higher social level, to that class of persons to whom their door-keeper promises your messenger that she will deliver your letter when she comes in (until the day when you realise that it is precisely she, the person whom you met out of doors, and to whom you have allowed yourself to write, who is the door-keeper. So that she does indeed live (but in the lodge, only) at the address she has given you, which for that matter is that of a private brothel, in which the door-keeper acts as pander), or who gives as her address a house where she is known to accomplices who will not betray her secret to you, from which your letters will be forwarded to her, but in which she does not live, keeps at the most a few articles of toilet. Lives entrenched behind five or six lines of defence, so that when you try to see the woman, or to find out about her, you invariably arrive too far to the right, or to the left, or too early, or too late, and may remain for months on end, for years even, knowing nothing. About Albertine, I felt that I should never find out anything, that, out of that tangled mass of details of fact and falsehood, I should never unravel the truth: and that it would always be so, unless I were to shut her up in prison (but prisoners escape) until the end. This evening, this conviction gave me only a vague uneasiness, in which however I could detect a shuddering anticipation of long periods of suffering to come.
— Mais non, répondis-je, je vous ai déjà dit que je ne serais pas libre avant trois semaines, pas plus demain qu′un autre jour. — Bien, alors . . . je vais prendre le pas de course . . . c′est ennuyeux, parce que je suis chez une amie qui . . . (Je sentais qu′elle n′avait pas cru que j′accepterais sa proposition de venir, laquelle n′était donc pas sincère, et je voulais la mettre au pied du mur.)— Qu′est-ce que ça peut peut me faire, votre amie? venez ou ne venez pas, c′est votre affaire, ce n′est pas moi qui vous demande de venir, c′est vous qui me l′avez proposé. — Ne vous fâchez pas, je saute dans un fiacre et je serai chez vous dans dix minutes. Ainsi, de ce Paris des profondeurs nocturnes duquel avait déjà émané jusque dans ma chambre, mesurant le rayon d′action d′un être lointain, une voix qui allait surgir et apparaître, après cette première annonciation, c′était cette Albertine que j′avais connue jadis sous le ciel de Balbec, quand les garçons du Grand-Hôtel, en mettant le couvert, étaient aveuglés par la lumière du couchant, que, les vitres étant entièrement tirées, les souffles imperceptibles du soir passaient librement de la plage, où s′attardaient les derniers promeneurs, à l′immense salle à manger où les premiers dîneurs n′étaient pas assis encore, et que dans la glace placée derrière le comptoir passait le reflet rouge de la coque et s′attardait longtemps le reflet gris de la fumée du dernier bateau pour Rivebelle. Je ne me demandais plus ce qui avait pu mettre Albertine en retard, et quand Françoise entra dans ma chambre me dire: «Mademoiselle Albertine est là», si je répondis sans même bouger la tête, ce fut seulement par dissimulation: «Comment mademoiselle Albertine vient-elle aussi tard!» Mais levant alors les yeux sur Françoise comme dans une curiosité d′avoir sa réponse qui devait corroborer l′apparente sincérité de ma question, je m′aperçus, avec admiration et fureur, que, capable de rivaliser avec la Berma elle-même dans l′art de faire parler les vêtements inanimés et les traits du visage, Françoise avait su faire la leçon à son corsage, à ses cheveux dont les plus blancs avaient été ramenés à la surface, exhibés comme un extrait de naissance, à son cou courbé par la fatigue et l′obéissance. Ils la plaignaient d′avoir été tirée du sommeil et de la moiteur du lit, au milieu de la nuit, à son âge, obligée de se vêtir quatre à quatre, au risque de prendre une fluxion de poitrine. Aussi, craignant d′avoir eu l′air de m′excuser de la venue tardive d′Albertine: «En tout cas, je suis bien content qu′elle soit venue, tout est pour le mieux», et je laissai éclater ma joie profonde. Elle ne demeura pas longtemps sans mélange, quand j′eus entendu la réponse de Françoise. Celle-ci, sans proférer aucune plainte, ayant même l′air d′étouffer de son mieux une toux irrésistible, et croisant seulement sur elle son châle comme si elle avait froid, commença par me raconter tout ce qu′elle avait dit à Albertine, n′ayant pas manqué de lui demander des nouvelles de sa tante. «Justement j′y disais, monsieur devait avoir crainte que mademoiselle ne vienne plus, parce que ce n′est pas une heure pour venir, c′est bientôt le matin. Mais elle devait être dans des endroits qu′elle s′amusait bien car elle ne m′a pas seulement dit qu′elle était contrariée d′avoir fait attendre monsieur, elle m′a répondu d′un air de se fiche du monde: «Mieux vaut tard que jamais!» Et Françoise ajouta ces mots qui me percèrent le coeur: «En parlant comme ça elle s′est vendue. Elle aurait peut-être bien voulu se cacher mais . . . » “No,” I replied, “I told you a moment ago that I should not be free for the next three weeks — no more to-morrow than any other day.” “Very well, in that case . . . I shall come this very instant . . . it′s a nuisance, because I am at a friend′s house, and she. . . . ” I saw that she had not believed that I would accept her offer to come, which therefore was not sincere, and I decided to force her hand. “What do you suppose I care about your friend, either come or don′t, it′s for you to decide, it wasn′t I that asked you to come, it was you who suggested it to me.” “Don′t be angry with me, I am going to jump into a cab now and shall be with you in ten minutes.” And so from that Paris out of whose murky depths there had already emanated as far as my room, delimiting the sphere of action of an absent person, a voice which was now about to emerge and appear, after this preliminary announcement, it was that Albertine whom I had known long ago beneath the sky of Balbec, when the waiters of the Grand Hotel, as they laid the tables, were blinded by the glow of the setting sun, when, the glass having been removed from all the windows, every faintest murmur of the evening passed freely from the beach where the last strolling couples still lingered, into the vast dining-room in which the first diners had not yet taken their places, and, across the mirror placed behind the cashier′s desk, there passed the red reflexion of the hull, and lingered long after it the grey reflexion of the smoke of the last steamer for Rivebelle. I no longer asked myself what could have made Albertine late, and, when Françoise came into my room to inform me: “Mademoiselle Albertine is here,” if I answered without even turning my head, that was only to conceal my emotion: “What in the world makes Mademoiselle Albertine come at this time of night!” But then, raising my eyes to look at Françoise, as though curious to hear her answer which must corroborate the apparent sincerity of my question, I perceived, with admiration and wrath, that, capable of rivalling Berma herself in the art of endowing with speech inanimate garments and the lines of her face, Françoise had taught their part to her bodice, her hair — the whitest threads of which had been brought to the surface, were displayed there like a birth-certificate — her neck bowed by weariness and obedience. They commiserated her for having been dragged from her sleep and from her warm bed, in the middle of the night, at her age, obliged to bundle into her clothes in haste, at the risk of catching pneumonia. And so, afraid that I might have seemed to be apologising for Albertine′s late arrival: “Anyhow, I′m very glad she has come, it′s just what I wanted,” and I gave free vent to my profound joy. It did not long remain unclouded, when I had heard Françoise′s reply. Without uttering a word of complaint, seeming indeed to be doing her best to stifle an irrepressible cough, and simply folding her shawl over her bosom as though she were feeling cold, she began by telling me everything that she had said to Albertine, whom she had not forgotten to ask after her aunt′s health. “I was just saying, Monsieur must have been afraid that Mademoiselle was not coming, because this is no time to pay visits, it′s nearly morning. But she must have been in some place where she was enjoying herself, because she never even said as much as that she was sorry she had kept Monsieur waiting, she answered me with a devil-may-care look, ‘Better late than never!′” And Françoise added, in words that pierced my heart: “When she spoke like that she gave herself away. She would have liked to hide what she was thinking, perhaps, but. . . . ”
Je n′avais pas de quoi être bien étonné. Je viens de dire que Françoise rendait rarement compte, dans les commissions qu′on lui donnait, sinon de ce qu′elle avait dit et sur quoi elle s′étendait volontiers, du moins de la réponse attendue. Mais, si par exception elle nous répétait les paroles que nos amis avaient dites, si courtes qu′elles fussent, elle s′arrangerait généralement, au besoin grâce à l′expression, au ton dont elle assurait qu′elles avaient été accompagnées, à leur donner quelque chose de blessant. À la rigueur, elle acceptait d′avoir subi d′un fournisseur chez qui nous l′avions envoyée une avanie, d′ailleurs probablement imaginaire, pourvu que, s′adressant à elle qui nous représentait, qui avait parlé en notre nom, cette avanie nous atteignît par ricochet. Il n′eût resté qu′à lui répondre qu′elle avait mal compris, qu′elle était atteinte de délire de persécution et que tous les commerçants n′étaient pas ligués contre elle. D′ailleurs leurs sentiments m′importaient peu. Il n′en était pas de même de ceux d′Albertine. Et en me redisant ces mots ironiques: «Mieux vaut tard que jamais!» Françoise m′évoqua aussitôt les amis dans la société desquels Albertine avait fini sa soirée, s′y plaisant donc plus que dans la mienne. «Elle est comique, elle a un petit chapeau plat, avec ses gros yeux, ça lui donne un drôle d′air, surtout avec son manteau qu′elle aurait bien fait d′envoyer chez l′estoppeuse car il est tout mangé. Elle m′amuse», ajouta, comme se moquant d′Albertine, Françoise, qui partageait rarement mes impressions mais éprouvait le besoin de faire connaître les siennes. Je ne voulais même pas avoir l′air de comprendre que ce rire signifiait le dédain de la moquerie, mais, pour rendre coup pour coup, je répondis à Françoise, bien que je ne connusse pas le petit chapeau dont elle parlait: «Ce que vous appelez «petit chapeau plat» est quelque chose de simplement ravissant . . . — C′est-à-dire que c′est trois fois rien», dit Françoise en exprimant, franchement cette fois, son véritable mépris. Alors (d′un ton doux et ralenti pour que ma réponse mensongère eût l′air d′être l′expression non de ma colère mais de la vérité, en ne perdant pas de temps cependant, pour ne pas faire attendre Albertine), j′adressai à Françoise ces paroles cruelles: «Vous êtes excellente, lui dis-je mielleusement, vous êtes gentille, vous avez mille qualités, mais vous en êtes au même point que le jour où vous êtes arrivée à Paris, aussi bien pour vous connaître en choses de toilette que pour bien prononcer les mots et ne pas faire de cuirs.» Et ce reproche était particulièrement stupide, car ces mots français que nous sommes si fiers de prononcer exactement ne sont eux-mêmes que des «cuirs» faits par des bouches gauloises qui prononçaient de travers le latin ou le saxon, notre langue n′étant que la prononciation défectueuse de quelques autres. I had no cause for astonishment. I said, a few pages back, that Françoise rarely paid attention, when she was sent with a message, if not to what she herself had said, which she would willingly relate in detail, at any rate to the answer that we were awaiting. But if, making an exception, she repeated to us the things that our friends had said, however short they might be, she generally arranged, appealing if need be to the expression, the tone that, she assured us, had accompanied them, to make them in some way or other wounding. At a pinch, she would bow her head beneath an insult (probably quite imaginary) which she had received from a tradesman to whom we had sent her, provided that, being addressed to her as our representative, who was speaking in our name, the insult might indirectly injure us. The only thing would have been to tell her that she had misunderstood the man, that she was suffering from persecution mania and that the shopkeepers were not at all in league against her. However, their sentiments affected me little. It was a very different matter, what Albertine′s sentiments were. And, as she repeated the ironical words: “Better late than never!” Françoise at once made me see the friends in whose company Albertine had finished the evening, preferring their company, therefore, to mine. “She′s a comical sight, she has a little flat hat on, with those big eyes of hers, it does make her look funny, especially with her cloak which she did ought to have sent to the amender′s, for it′s all in holes. She amuses me,” added, as though laughing at Albertine, Françoise who rarely shared my impressions, but felt a need to communicate her own. I refused even to appear to understand that this laugh was indicative of scorn, but, to give tit for tat, replied, although I had never seen the little hat to which she referred: “What you call a ‘little flat hat′ is a simply charming. . . . ” “That is to say, it′s just nothing at all,” said Françoise, giving expression, frankly this time, to her genuine contempt. Then (in a mild and leisurely tone so that my mendacious answer might appear to be the expression not of my anger but of the truth), wasting no time, however, so as not to keep Albertine waiting, I heaped upon Françoise these cruel words: “You are excellent,” I said to her in a honeyed voice, “you are kind, you have a thousand merits, but you have never learned a single thing since the day when you first came to Paris, either about ladies′ clothes or about how to pronounce words without making silly blunders.” And this reproach was particularly stupid, for those French words which we are so proud of pronouncing accurately are themselves only blunders made by the Gallic lips which mispronounced Latin or Saxon, our language being merely a defective pronunciation of several others.
Le génie linguistique à l′état vivant, l′avenir et le passé du français, voilà ce qui eût dû m′intéresser dans les fautes de Françoise. L′«estoppeuse» pour la «stoppeuse» n′était-il pas aussi curieux que ces animaux survivants des époques lointaines, comme la baleine ou la girafe, et qui nous montrent les états que la vie animale a traversés? «Et, ajoutai-je, du moment que depuis tant d′années vous n′avez pas su apprendre, vous n′apprendrez jamais. Vous pouvez vous en consoler, cela ne vous empêche pas d′être une très brave personne, de faire à merveille le boeuf à la gelée, et encore mille autres choses. Le chapeau que vous croyez simple est copié sur un chapeau de la princesse de Guermantes, qui a coûté cinq cents francs. Du reste, je compte en offrir prochainement un encore plus beau à Mlle Albertine.» Je savais que ce qui pouvait le plus ennuyer Françoise c′est que je dépensasse de l′argent pour des gens qu′elle n′aimait pas. Elle me répondit par quelques mots que rendit peu intelligibles un brusque essoufflement. Quand j′appris plus tard qu′elle avait une maladie de coeur, quel remords j′eus de ne m′être jamais refusé le plaisir féroce et stérile de riposter ainsi à ses paroles! Françoise détestait, du reste, Albertine parce que, pauvre, Albertine ne pouvait accroître ce que Françoise considérait comme mes supériorités. Elle souriait avec bienveillance chaque fois que j′étais invité par Mme de Villeparisis. En revanche elle était indignée qu′Albertine ne pratiquât pas la réciprocité. J′en étais arrivé à être obligé d′inventer de prétendus cadeaux faits par celle-ci et à l′existence desquels Françoise n′ajouta jamais l′ombre de foi. Ce manque de réciprocité la choquait surtout en matière alimentaire. Qu′Albertine acceptât des dîners de maman, si nous n′étions pas invités chez Mme Bontemps (laquelle pourtant n′était pas à Paris la moitié du temps, son mari acceptant des «postes» comme autrefois quand il avait assez du ministère), cela lui paraissait, de la part de mon amie, une indélicatesse qu′elle flétrissait indirectement en récitant ce dicton courant à Combray: The genius of language in a living state, the future and past of French, that is what ought to have interested me in Françoise′s mistakes. Her ‘amender′ for ‘mender′ was not so curious as those animals that survive from remote ages, such as the whale or the giraffe, and shew us the states through which animal life has passed. “And,” I went on, “since you haven′t managed to learn in all these years, you never will. But don′t let that distress you, it doesn′t prevent you from being a very good soul, and making spiced beef with jelly to perfection, and lots of other things as well. The hat that you think so simple is copied from a hat belonging to the Princesse de Guermantes which cost five hundred francs. However, I mean to give Mlle. Albertine an even finer one very soon.” I knew that what would annoy Françoise more than anything was the thought of my spending money upon people whom she disliked. She answered me in a few words which were made almost unintelligible by a sudden attack of breathlessness. When I discovered afterwards that she had a weak heart, how remorseful I felt that I had never denied myself the fierce and sterile pleasure of making these retorts to her speeches. Françoise detested Albertine, moreover, because, being poor, Albertine could not enhance what Françoise regarded as my superior position. She smiled benevolently whenever I was invited by Mme. de Villeparisis. On the other hand, she was indignant that Albertine did not practice reciprocity. It came to my being obliged to invent fictitious presents which she was supposed to have given me, in the existence of which Françoise never for an instant believed. This want of reciprocity shocked her most of all in the matter of food. That Albertine should accept dinners from Mamma, when we were not invited to Mme. Bontemps′s (who for that matter spent half her time out of Paris, her husband accepting ‘posts′ as in the old days when he had had enough of the Ministry), seemed to her an indelicacy on the part of my friend which she rebuked indirectly by repeating a saying current at Combray:
«Mangeons mon pain,
— Je le veux bien.
— Mangeons le tien.
— Je n′ai plus faim.»
“Let′s eat my bread.”
“Ay, that′s the stuff.”
“Let′s eat thy bread.”
“I′ve had enough.”
Je fis semblant d′être contraint d′écrire, «À qui écriviez-vous? me dit Albertine en entrant. —À une jolie amie à moi, à Gilberte Swann. Vous ne la connaissez pas? — Non.» Je renonçai à poser à Albertine des questions sur sa soirée, je sentais que je lui ferais des reproches et que nous n′aurions plus le temps, vu l′heure qu′il était, de nous réconcilier suffisamment pour passer aux baisers et aux caresses. Aussi ce fut par eux que je voulais dès la première minute commencer. D′ailleurs, si j′étais un peu calmé, je ne me sentais pas heureux. La perte de toute boussole, de toute direction, qui caractérise l′attente persiste encore après l′arrivée de l′être attendu, et, substituée en nous au calme à la faveur duquel nous nous peignions sa venue comme un tel plaisir, nous empêche d′en goûter aucun. Albertine était là: mes nerfs démontés, continuant leur agitation, l′attendaient encore. «Je veux prendre un bon baiser, Albertine. — Tant que vous voudrez», me dit-elle avec toute sa bonté. Je ne l′avais jamais vue aussi jolie. «Encore un? — Mais vous savez que ça me fait un grand, grand plaisir. — Et à moi encore mille fois plus, me répondit-elle. Oh! le joli portefeuille que vous avez là! — Prenez-le, je vous le donne en souvenir. — Vous êtes trop gentil . . . » On serait à jamais guéri du romanesque si l′on voulait, pour penser à celle qu′on aime, tâcher d′être celui qu′on sera quand on ne l′aimera plus. Le portefeuille, la bille d′agate de Gilberte, tout cela n′avait reçu jadis son importance que d′un état purement inférieur, puisque maintenant c′était pour moi un portefeuille, une bille quelconques. I pretended that I was obliged to write a letter. “To whom were you writing?” Albertine asked me as she entered the room. “To a pretty little friend of mine, Gilberte Swann. Don′t you know her?” “No.” I decided not to question Albertine as to how she had spent the evening, I felt that I should only find fault with her and that we should not have any time left, seeing how late it was already, to be reconciled sufficiently to pass to kisses and caresses. And so it was with these that I chose to begin from the first moment. Besides, if I was a little calmer, I was not feeling happy. The loss of all orientation, of all sense of direction that we feel when we are kept waiting, still continues, after the coming of the person awaited, and, taking the place, inside us, of the calm spirit in which we were picturing her coming as so great a pleasure, prevents us from deriving any from it. Albertine was in the room: my unstrung nerves, continuing to flutter, were still expecting her. “I want a nice kiss, Albertine.” “As many as you like,” she said to me in her kindest manner. I had never seen her looking so pretty. “Another?” “Why, you know it′s a great, great pleasure to me.” “And a thousand times greater to me,” she replied. “Oh! What a pretty book-cover you have there!” “Take it, I give it to you as a keepsake.” “You are too kind. . . . ” People would be cured for ever of romanticism if they could make up their minds, in thinking of the girl they love, to try to be the man they will be when they are no longer in love with her. Gilberte′s book-cover, her agate marble, must have derived their importance in the past from some purely inward distinction, since now they were to me a book-cover, a marble like any others.
Je demandai à Albertine si elle voulait boire. «Il me semble que je vois là des oranges et de l′eau, me dit-elle. Ce sera parfait.» Je pus goûter ainsi, avec ses baisers, cette fraîcheur qui me paraissait supérieure à eux chez la princesse de Guermantes. Et l′orange pressée dans l′eau semblait me livrer, au fur et à mesure que je buvais, la vie secrète de son mûrissement, son action heureuse contre certains états de ce corps humain qui appartient à un règne si différent, son impuissance à le faire vivre, mais en revanche les jeux d′arrosage par où elle pouvait lui être favorable, cent mystères dévoilés par le fruit à ma sensation, nullement à mon intelligence. I asked Albertine if she would like something to drink. “I seem to see oranges over there and water,” she said. “That will be perfect.” I was thus able to taste with her kisses that refreshing coolness which had seemed to me to be better than they, at the Princesse de Guermantes′s. And the orange squeezed into the water seemed to yield to me, as I drank, the secret life of its ripening growth, its beneficent action upon certain states of that human body which belongs to so different a kingdom, its powerlessness to make that body live, but on the other hand the process of irrigation by which it was able to benefit it, a hundred mysteries concealed by the fruit from my senses, but not from my intellect.
Albertine partie, je me rappelai que j′avais promis à Swann d′écrire à Gilberte et je trouvai plus gentil de le faire tout de suite. Ce fut sans émotion, et comme mettant la dernière ligne à un ennuyeux devoir de classe, que je traçai sur l′enveloppe le nom de Gilberte Swann dont je couvrais jadis mes cahiers pour me donner l′illusion de correspondre avec elle. C′est que, si, autrefois, ce nom-là, c′était moi qui l′écrivais, maintenant la tâche en avait été dévolue par l′habitude à l′un de ces nombreux secrétaires qu′elle s′adjoint. Celui-là pouvait écrire le nom de Gilberte avec d′autant plus de calme que, placé récemment chez moi par l′habitude, récemment entré à mon service, il n′avait pas connu Gilberte et savait seulement, sans mettre aucune réalité sous ces mots, parce qu′il m′avait entendu parler d′elle, que c′était une jeune fille de laquelle j′avais été amoureux. When Albertine had gone, I remembered that I had promised Swann that I would write to Gilberte, and courtesy, I felt, demanded that I should do so at once. It was without emotion and as though drawing a line at the foot of a boring school essay, that I traced upon the envelope the name Gilberte Swann, with which at one time I used to cover my exercise-books to give myself the illusion that I was corresponding with her. For if, in the past, it had been I who wrote that name, now the task had been deputed by Habit to one of the many secretaries whom she employs. He could write down Gilberte′s name with all the more calm, in that, placed with me only recently by Habit, having but recently entered my service, he had never known Gilberte, and knew only, without attaching any reality to the words, because he had heard me speak of her, that she was a girl with whom I had once been in love.
Je ne pouvais l′accuser de sécheresse. L′être que j′étais maintenant vis-à-vis d′elle était le «témoin» le mieux choisi pour comprendre ce qu′elle-même avait été. Le portefeuille, la bille d′agate, étaient simplement redevenus pour moi à l′égard d′Albertine ce qu′ils avaient été pour Gilberte, ce qu′ils eussent été pour tout être qui n′eût pas fait jouer sur eux le reflet d′une flamme intérieure. Mais maintenant un nouveau trouble était en moi qui altérait à son tour la puissance véritable des choses et des mots. Et comme Albertine me disait, pour me remercier encore: «J′aime tant les turquoises!» je lui répondis: «Ne laissez pas mourir celles-là», leur confiant ainsi comme à des pierres l′avenir de notre amitié qui pourtant n′était pas plus capable d′inspirer un sentiment à Albertine qu′il ne l′avait été de conserver celui qui m′unissait autrefois à Gilberte. I could not accuse her of hardness. The person that I now was in relation to her was the clearest possible proof of what she herself had been: the book-cover, the agate marble had simply become for me in relation to Albertine what they had been for Gilberte, what they would have been to anybody who had not suffused them with the glow of an internal flame. But now I felt a fresh disturbance which in its turn destroyed the very real power of things and words. And when Albertine said to me, in a further outburst of gratitude: “I do love turquoises!” I answered her: “Do not let them die,” entrusting to them as to some precious jewel the future of our friendship which however was no more capable of inspiring a sentiment in Albertine than it had been of preserving the sentiment that had bound me in the past to Gilberte.
Il se produisit à cette époque un phénomène qui ne mérite d′être mentionné que parce qu′il se retrouve à toutes les périodes importantes de l′histoire. Au moment même où j′écrivais à Gilberte, M. de Guermantes, à peine rentré de la redoute, encore coiffé de son casque, songeait que le lendemain il serait bien forcé d′être officiellement en deuil, et décida d′avancer de huit jours la cure d′eaux qu′il devait faire. Quand il en revint trois semaines après (et pour anticiper, puisque je viens seulement de finir ma lettre à Gilberte), les amis du duc qui l′avaient vu, si indifférent au début, devenir un antidreyfusard forcené, restèrent muets de surprise en l′entendant (comme si la cure n′avait pas agi seulement sur la vessie) leur répondre: «Hé bien, le procès sera révisé et il sera acquitté; on ne peut pas condamner un homme contre lequel il n′y a rien. Avez-vous jamais vu un gaga comme Froberville? Un officier préparant les Français à la boucherie, pour dire la guerre! Étrange époque!» Or, dans l′intervalle, le duc de Guermantes avait connu aux eaux trois charmantes dames (une princesse italienne et ses deux belles-soeurs). En les entendant dire quelques mots sur les livres qu′elles lisaient, sur une pièce qu′on jouait au Casino, le duc avait tout de suite compris qu′il avait affaire à des femmes d′une intellectualité supérieure et avec lesquelles, comme il le disait, il n′était pas de force. Il n′en avait été que plus heureux d′être invité à jouer au bridge par la princesse. There appeared about this time a phenomenon which deserves mention only because it recurs in every important period of history. At the same moment when I was writing to Gilberte, M. de Guermantes, just home from his ball, still wearing his helmet, was thinking that next day he would be compelled to go into formal mourning, and decided to proceed a week earlier to the cure that he had been ordered to take. When he returned from it three weeks later (to anticipate for a moment, since I am still finishing my letter to Gilberte), those friends of the Duke who had seen him, so indifferent at the start, turn into a raving anti-Dreyfusard, were left speechless with amazement when they heard him (as though the action of the cure had not been confined to his bladder) answer: “Oh, well, there′ll be a fresh trial and he′ll be acquitted; you can′t sentence a fellow without any evidence against him. Did you ever see anyone so gaga as Forcheville? An officer, leading the French people to the shambles, heading straight for war. Strange times we live in.” The fact was that, in the interval, the Duke had met, at the spa, three charming ladies (an Italian princess and her two sisters-in-law). After hearing them make a few remarks about the books they were reading, a play that was being given at the Casino, the Duke had at once understood that he was dealing with women of superior intellect, by whom, as he expressed it, he would be knocked out in the first round. He was all the more delighted to be asked to play bridge by the Princess.
Mais à peine arrivé chez elle, comme il lui disait, dans la ferveur de son antidreyfusisme sans nuances: «Hé bien, on ne nous parle plus de la révision du fameux Dreyfus», sa stupéfaction avait été grande d′entendre la princesse et ses belles-soeurs dire: «On n′en a jamais été si près. On ne peut pas retenir au bagne quelqu′un qui n′a rien fait. — Ah? Ah?», avait d′abord balbutié le duc, comme à la découverte d′un sobriquet bizarre qui eût été en usage dans cette maison pour tourner en ridicule quelqu′un qu′il avait cru jusque-là intelligent. Mais au bout de quelques jours, comme, par lâcheté et esprit d′imitation, on crie: «Eh! là, Jojotte», sans savoir pourquoi, à un grand artiste qu′on entend appeler ainsi, dans cette maison, le duc, encore tout gêné par la coutume nouvelle, disait cependant: «En effet, s′il n′y a rien contre lui!» Les trois charmantes dames trouvaient qu′il n′allait pas assez vite et le rudoyaient un peu: «Mais, au fond, personne d′intelligent n′a pu croire qu′il y eût rien.» Chaque fois qu′un fait «écrasant» contre Dreyfus se produisait et que le duc, croyant que cela allait convertir les trois dames charmantes, venait le leur annoncer, elles riaient beaucoup et n′avaient pas de peine, avec une grande finesse de dialectique, à lui montrer que l′argument était sans valeur et tout à fait ridicule. Le duc était rentré à Paris dreyfusard enragé. Et certes nous ne prétendons pas que les trois dames charmantes ne fussent pas, dans ce cas-là, messagères de vérité. Mais il est à remarquer que tous les dix ans, quand on a laissé un homme rempli d′une conviction véritable, il arrive qu′un couple intelligent, ou une seule dame charmante, entrent dans sa société et qu′au bout de quelques mois on l′amène à des opinions contraires. Et sur ce point il y a beaucoup de pays qui se comportent comme l′homme sincère, beaucoup de pays qu′on a laissés remplis de haine pour un peuple et qui, six mois après, ont changé de sentiment et renversé leurs alliances. But, the moment he entered her sitting room, as he began, in the fervour of his double-dyed anti-Dreyfusism: “Well, we don′t hear very much more of the famous Dreyfus and his appeal,” his stupefaction had been great when he heard the Princess and her sisters-in-law say: “It′s becoming more certain every day. They can′t keep a man in prison who has done nothing.” “Eh? Eh?” the Duke had gasped at first, as at the discovery of a fantastic nickname employed in this household to turn to ridicule a person whom he had always regarded as intelligent. But, after a few days, as, from cowardice and the spirit of imitation, we shout ‘Hallo, Jojotte′ without knowing why at a great artist whom we hear so addressed by the rest of the household, the Duke, still greatly embarrassed by the novelty of this attitude, began nevertheless to say: “After all, if there is no evidence against him.” The three charming ladies decided that he was not progressing rapidly enough and began to bully him: “But really, nobody with a grain of intelligence can ever have believed for a moment that there was anything.” Whenever any revelation came out that was ‘damning′ to Dreyfus, and the Duke, supposing that now he was going to convert the three charming ladies, came to inform them of it, they burst out laughing and had no difficulty in proving to him, with great dialectic subtlety, that his argument was worthless and quite absurd. The Duke had returned to Paris a frantic Dreyfusard. And certainly we do not suggest that the three charming ladies were not, in this instance, messengers of truth. But it is to be observed that, every ten years or so, when we have left a man filled with a genuine conviction, it so happens that an intelligent couple, or simply a charming lady, come in touch with him and after a few months he is won over to the opposite camp. And in this respect there are plenty of countries that behave like the sincere man, plenty of countries which we have left full of hatred for another race, and which, six months later, have changed their attitude and broken off all their alliances.
Je ne vis plus de quelque temps Albertine, mais continuai, à défaut de Mme de Guermantes qui ne parlait plus à mon imagination, à voir d′autres fées et leurs demeures, aussi inséparables d′elles que du mollusque qui la fabriqua et s′en abrite la valve de nacre ou d′émail, ou la tourelle à créneaux de son coquillage. Je n′aurais pas su classer ces dames, la difficulté du problème étant aussi insignifiante et impossible non seulement à résoudre mais à poser. Avant la dame il fallait aborder le féerique hôtel. Or l′une recevait toujours après déjeuner, les mois d′été; même avant d′arriver chez elle, il avait fallu faire baisser la capote du fiacre, tant tapait dur le soleil, dont le souvenir, sans que je m′en rendisse compte, allait entrer dans l′impression totale. Je croyais seulement aller au Cours-la-Reine; en réalité, avant d′être arrivé dans la réunion dont un homme pratique se fût peut-être moqué, j′avais, comme dans un voyage à travers l′Italie, un éblouissement, des délices, dont l′hôtel ne serait plus séparé dans ma mémoire. De plus, à cause de la chaleur de la maison et de l′heure, la dame avait clos hermétiquement les volets dans les vastes salons rectangulaires du rez-de-chaussée où elle recevait. Je reconnaissais mal d′abord la maîtresse de maison et ses visiteurs, même la duchesse de Guermantes, qui de sa voix rauque me demandait de venir m′asseoir auprès d′elle, dans un fauteuil de Beauvais représentant l′Enlèvement d′Europe. Puis je distinguais sur les murs les vastes tapisseries du XVIIIe siècle représentant des vaisseaux aux mâts fleuris de roses trémières, au-dessous desquels je me trouvais comme dans le palais non de la Seine mais de Neptune, au bord du fleuve Océan, où la duchesse de Guermantes devenait comme une divinité des eaux. Je n′en finirais pas si j′énumérais tous les salons différents de celui-là. Cet exemple suffit à montrer que je faisais entrer dans mes jugements mondains des impressions poétiques que je ne faisais jamais entrer en ligne de compte au moment de faire le total, si bien que, quand je calculais les mérites d′un salon, mon addition n′était jamais juste. I ceased for some time to see Albertine, but continued, failing Mme. de Guermantes who no longer spoke to my imagination, to visit other fairies and their dwellings, as inseparable from themselves as is from the mollusc that fashioned it and takes shelter within it the pearly or enamelled valve or crenellated turret of its shell. I should not have been able to classify these ladies, the difficulty being that the problem was so vague in its terms and impossible not merely to solve but to set. Before coming to the lady, one had first to approach the faery mansion. Now as one of them was always at home after luncheon in the summer months, before I reached her house I was obliged to close the hood of my cab, so scorching were the sun′s rays, the memory of which was, without my realising it, to enter into my general impression. I supposed that I was merely being driven to the Cours-la-Reine; in reality, before arriving at the gathering which a man of wider experience would perhaps have despised, I received, as though on a journey through Italy, a delicious, dazzled sensation from which the house was never afterwards to be separated in my memory. What was more, in view of the heat of the season and the hour, the lady had hermetically closed the shutters of the vast rectangular saloons on the ground floor in which she entertained her friends. I had difficulty at first in recognising my hostess and her guests, even the Duchesse de Guermantes, who in her hoarse voice bade me come and sit down next to her, in a Beauvais armchair illustrating the Rape of Europa. Then I began to make out on the walls the huge eighteenth century tapestries representing vessels whose masts were hollyhocks in blossom, beneath which I sat as though in the palace not of the Seine but of Neptune, by the brink of the river Oceanus, where the Duchesse de Guermantes became a sort of goddess of the waters. I should never stop if I began to describe all the different types of drawing-room. This example is sufficient to shew that I introduced into my social judgments poetical impressions which I never included among the items when I came to add up the sum, so that, when I was calculating the importance of a drawing-room, my total was never correct.
Certes ces causes d′erreur étaient loin d′être les seules, mais je n′ai plus le temps, avant mon départ pour Balbec (où, pour mon malheur, je vais faire un second séjour qui sera aussi le dernier), de commencer des peintures du monde qui trouveront leur place bien plus tard. Disons seulement qu′à cette première fausse raison (ma vie relativement frivole et qui faisait supposer l′amour du monde) de ma lettre à Gilberte et du retour aux Swann qu′elle semblait indiquer, Odette aurait pu en ajouter tout aussi inexactement une seconde. Je n′ai imaginé jusqu′ici les aspects différents que le monde prend pour une même personne qu′en supposant que la même dame qui ne connaissait personne va chez tout le monde, et que telle autre qui avait une position dominante est délaissée, on est tenté d′y voir uniquement de ces hauts et bas, purement personnels, qui de temps à autre amènent dans une même société, à la suite de spéculations de bourse, une ruine retentissante ou un enrichissement inespéré. Or ce n′est pas seulement cela. Dans une certaine mesure, les manifestations mondaines — fort inférieures aux mouvements artistiques, aux crises politiques, à l′évolution qui porte le goût public vers le théâtre d′idées, puis vers la peinture impressionniste, puis vers la musique allemande et complexe, puis vers la musique russe et simple, ou vers les idées sociales, les idées de justice, la réaction religieuse, le sursaut patriotique — en sont cependant le reflet lointain, brisé, incertain, trouble, changeant. De sorte que même les salons ne peuvent être dépeints dans une immobilité statique qui a pu convenir jusqu′ici à l′étude des caractères, lesquels devront, eux aussi, être comme entraînés dans un mouvement quasi historique. Le goût de nouveauté qui porte les hommes du monde plus ou moins sincèrement avides de se renseigner sur l′évolution intellectuelle à fréquenter les milieux où ils peuvent suivre celle-ci, leur fait préférer d′habitude quelque maîtresse de maison jusque-là inédite, qui représente encore toutes fraîches les espérances de mentalité supérieure si fanées et défraîchies chez les femmes qui ont exercé depuis longtemps le pouvoir mondain, et lesquelles, comme ils en connaissent le fort et le faible, ne parlent plus à leur imagination. Et chaque époque se trouve ainsi personnifiée dans des femmes nouvelles, dans un nouveau groupe de femmes, qui, rattachées étroitement à ce qui pique à ce moment-là les curiosités les plus neuves, semblent, dans leur toilette, apparaître seulement, à ce moment-là, comme une espèce inconnue née du dernier déluge, beautés irrésistibles de chaque nouveau Consulat, de chaque nouveau Directoire. Mais très souvent la maîtresse de maison nouvelle est tout simplement comme certains hommes d′État dont c′est le premier ministère, mais qui, depuis quarante ans, frappaient à toutes les portes sans se les voir ouvrir, des femmes qui n′étaient pas connues de la société mais n′en recevaient pas moins, depuis fort longtemps, et faute de mieux, quelques «rares intimes». Certes, ce n′est pas toujours le cas, et quand, avec l′efflorescence prodigieuse des ballets russes, révélatrice coup sur coup de Bakst, de Nijinski, de Benoist, du génie de Stravinski, la princesse Yourbeletieff, jeune marraine de tous ces grands hommes nouveaux, apparut portant sur la tête une immense aigrette tremblante inconnue des Parisiennes et qu′elles cherchèrent toutes à imiter, on put croire que cette merveilleuse créature avait été apportée dans leurs innombrables bagages, et comme leur plus précieux trésor, par les danseurs russes; mais quand à côté d′elle, dans son avant-scène, nous verrons, à toutes les représentations des «Russes», siéger comme une véritable fée, ignorée jusqu′à ce jour de l′aristocratie, Mme Verdurin, nous pourrons répondre aux gens du monde qui crurent aisément Mme Verdurin fraîchement débarquée avec la troupe de Diaghilew, que cette dame avait déjà existé dans des temps différents, et passé par divers avatars dont celui-là ne différait qu′en ce qu′il était le premier qui amenait enfin, désormais assuré, et en marche d′un pas de plus en plus rapide, le succès si longtemps et si vainement attendu par la Patronne. Pour Mme Swann, il est vrai, la nouveauté qu′elle représentait n′avait pas le même caractère collectif. Son salon s′était cristallisé autour d′un homme, d′un mourant, qui avait presque tout d′un coup passé, aux moments où son talent s′épuisait, de l′obscurité à la grande gloire. L′engouement pour les oeuvres de Bergotte était immense. Il passait toute la journée, exhibé, chez Mme Swann, qui chuchotait à un homme influent: «Je lui parlerai, il vous fera un article.» Il était, du reste, en état de le faire, et même un petit acte pour Mme Swann. Plus près de la mort, il allait un peu moins mal qu′au temps où il venait prendre des nouvelles de ma grand′mère. C′est que de grandes douleurs physiques lui avaient imposé un régime. La maladie est le plus écouté des médecins: à la bonté, au savoir on ne fait que promettre; on obéit à la souffrance. Certainly, these were by no means the only sources of error, but I have no time left now, before my departure for Balbec (where to my sorrow I am going to make a second stay which will also be my last), to start upon a series of pictures of society which will find their place in due course. I need here say only that to this first erroneous reason (my relatively frivolous existence which made people suppose that I was fond of society) for my letter to Gilberte, and for that reconciliation with the Swann family to which it seemed to point, Odette might very well, and with equal inaccuracy, have added a second. I have suggested hitherto the different aspects that the social world assumes in the eyes of a single person only by supposing that, if a woman who, the other day, knew nobody now goes everywhere, and another who occupied a commanding position is ostracised, one is inclined to regard these changes merely as those purely personal ups and downs of fortune which from time to time bring about in a given section of society, in consequence of speculations on the stock exchange, a crashing downfall or enrichment beyond the dreams of avarice. But there is more in it than that. To a certain extent social manifestations (vastly less important than artistic movements, political crises, the evolution that sweeps the public taste in the direction of the theatre of ideas, then of impressionist painting, then of music that is German and complicated, then of music that is Russian and simple, or of ideas of social service, justice, religious reaction, patriotic outbursts) are nevertheless an echo of them, remote, broken, uncertain, disturbed, changing. So that even drawing-rooms cannot be portrayed in a static immobility which has been conventionally employed up to this point for the study of characters, though these too must be carried along in an almost historical flow. The thirst for novelty that leads men of the world who are more or less sincere in their eagerness for information as to intellectual evolution to frequent the circles in which they can trace its development makes them prefer as a rule some hostess as yet undiscovered, who represents still in their first freshness the hopes of a superior culture so faded and tarnished in the women who for long years have wielded the social sceptre and who, having no secrets from these men, no longer appeal to their imagination. And every age finds itself personified thus in fresh women, in a fresh group of women, who, closely adhering to whatever may at that moment be the latest object of interest, seem, in their attire, to be at that moment making their first public appearance, like an unknown species, born of the last deluge, irresistible beauties of each new Consulate, each new Directory. But very often the new hostess is simply like certain statesmen who may be in office for the first time but have for the last forty years been knocking at every door without seeing any open, women who were not known in society but who nevertheless had been receiving, for years past, and failing anything better, a few ‘chosen friends′ from its ranks. To be sure, this is not always the case, and when, with the prodigious flowering of the Russian Ballet, revealing one after another Bakst, Nijinski, Benoist, the genius of Stravinski, Princess Yourbeletieff, the youthful sponsor of all these new great men, appeared bearing on her head an immense, quivering egret, unknown to the women of Paris, which they all sought to copy, one might have supposed that this marvellous creature had been imported in their innumerable baggage, and as their most priceless treasure, by the Russian dancers; but when presently, by her side, in her stage box, we see, at every performance of the ‘Russians,′ seated like a true fairy godmother, unknown until that moment to the aristocracy, Mme. Verdurin, we shall be able to tell the society people who naturally supposed that Mme. Verdurin had recently entered the country with Diaghileff′s troupe, that this lady had already existed in different periods, and had passed through various avatars of which this is remarkable only in being the first that is bringing to pass at last, assured henceforth, and at an increasingly rapid pace, the success so long awaited by the Mistress. In Mme. Swann′s case, it is true, the novelty she represented had not the same collective character. Her drawing-room was crystallised round a man, a dying man, who had almost in an instant passed, at the moment when his talent was exhausted, from obscurity to a blaze of glory. The passion for Bergotte′s works was unbounded. He spent the whole day, on show, at Mme. Swann′s, who would whisper to some influential man: “I shall say a word to him, he will write an article for you.” He was, for that matter, quite capable of doing so and even of writing a little play for Mme. Swann. A stage nearer to death, he was not quite so feeble as at the time when he used to come and inquire after my grandmother. This was because intense physical suffering had enforced a regime on him. Illness is the doctor to whom we pay most heed: to kindness, to knowledge we make promises only; pain we obey.
Certes, le petit clan des Verdurin avait actuellement un intérêt autrement vivant que le salon légèrement nationaliste, plus encore littéraire, et avant tout bergottique, de Mme Swann. Le petit clan était en effet le centre actif d′une longue crise politique arrivée à son maximum d′intensité: le dreyfusisme. Mais les gens du monde étaient pour la plupart tellement antirévisionnistes, qu′un salon dreyfusien semblait quelque chose d′aussi impossible qu′à une autre époque un salon communard. La princesse de Caprarola, qui avait fait la connaissance de Mme Verdurin à propos d′une grande exposition qu′elle avait organisée, avait bien été rendre à celle-ci une longue visite, dans l′espoir de débaucher quelques éléments intéressants du petit clan et de les agréger à son propre salon, visite au cours de laquelle la princesse (jouant au petit pied la duchesse de Guermantes) avait pris la contre-partie des opinions reçues, déclaré les gens de son monde idiots, ce que Mme Verdurin avait trouvé d′un grand courage. Mais ce courage ne devait pas aller plus tard jusqu′à oser, sous le feu des regards de dames nationalistes, saluer Mme Verdurin aux courses de Balbec. Pour Mme Swann, les antidreyfusards lui savaient, au contraire, gré d′être «bien pensante», ce à quoi, mariée à un juif, elle avait un mérite double. Néanmoins les personnes qui n′étaient jamais allées chez elle s′imaginaient qu′elle recevait seulement quelques Israélites obscurs et des élèves de Bergotte. On classe ainsi des femmes, autrement qualifiées que Mme Swann, au dernier rang de l′échelle sociale, soit à cause de leurs origines, soit parce qu′elles n′aiment pas les dîners en ville et les soirées où on ne les voit jamais, ce qu′on suppose faussement dû à ce qu′elles n′auraient pas été invitées, soit parce qu′elles ne parlent jamais de leurs amitiés mondaines mais seulement de littérature et d′art, soit parce que les gens se cachent d′aller chez elles, ou que, pour ne pas faire d′impolitesse aux autres, elles se cachent de les recevoir, enfin pour mille raisons qui achèvent de faire de telle ou telle d′entre elles aux yeux de certains, la femme qu′on ne reçoit pas. Il en était ainsi pour Odette. Mme d′Épinoy, à l′occasion d′un versement qu′elle désirait pour la «Patrie française», ayant eu à aller la voir, comme elle serait entrée chez sa mercière, convaincue d′ailleurs qu′elle ne trouverait que des visages, non pas même méprisés mais inconnus, resta clouée sur la place quand la porte s′ouvrit, non sur le salon qu′elle supposait, mais sur une salle magique où, comme grâce à un changement à vue dans une féerie, elle reconnut dans des figurantes éblouissantes, à demi étendues sur des divans, assises sur des fauteuils, appelant la maîtresse de maison par son petit nom, les altesses, les duchesses qu′elle-même, la princesse d′Épinoy, avait grand′peine à attirer chez elle, et auxquelles en ce moment, sous les yeux bienveillants d′Odette, le marquis du Lau, le comte Louis de Turenne, le prince Borghèse, le duc d′Estrées, portant l′orangeade et les petits fours, servaient de panetiers et d′échansons. La princesse d′Épinoy, comme elle mettait, sans s′en rendre compte, la qualité mondaine à l′intérieur des êtres, fut obligée de désincarner Mme Swann et de la réincarner en une femme élégante. L′ignorance de la vie réelle que mènent les femmes qui ne l′exposent pas dans les journaux tend ainsi sur certaines situations (et contribue par là à diversifier les salons) un voile de mystère. Pour Odette, au commencement, quelques hommes de la plus haute société, curieux de connaître Bergotte, avaient été dîner chez elle dans l′intimité. Elle avait eu le tact, récemment acquis, de n′en pas faire étalage, ils trouvaient là, souvenir peut-être du petit noyau dont Odette avait gardé, depuis le schisme, les traditions, le couvert mis, etc.Odette les emmenait avec Bergotte, que cela achevait d′ailleurs de tuer, aux «première» intéressantes. Ils parlèrent d′elle à quelques femmes de leur monde capables de s′intéresser à tant de nouveauté. Elles étaient persuadées qu′Odette, intime de Bergotte, avait plus ou moins collaboré à ses oeuvres, et la croyaient mille fois plus intelligente que les femmes les plus remarquables du faubourg, pour la même raison qu′elles mettaient tout leur espoir politique en certains républicains bon teint comme M. Doumer et M. Deschanel, tandis qu′elles voyaient la France aux abîmes si elle était confiée au personnel monarchiste qu′elles recevaient à dîner, aux Charette, aux Doudeauville, etc. Ce changement de la situation d′Odette s′accomplissait de sa part avec une discrétion qui la rendait plus sûre et plus rapide, mais ne la laissait nullement soupçonner du public enclin à s′en remettre aux chroniques du Gaulois, des progrès ou de la décadence d′un salon, de sorte qu′un jour, à une répétition générale d′une pièce de Bergotte donnée dans une salle des plus élégantes au bénéfice d′une oeuvre de charité, ce fut un vrai coup de théâtre quand on vit dans la loge de face, qui était celle de l′auteur, venir s′asseoir à côté de Mme Swann, Mme de Marsantes et celle qui, par l′effacement progressif de la duchesse de Guermantes (rassasiée d′honneur, et s′annihilant par moindre effort), était en train de devenir la lionne, la reine du temps, la comtesse Molé. «Quand nous ne nous doutions pas même qu′elle avait commencé à monter, se dit-on d′Odette, au moment où on vit entrer la comtesse Molé dans la loge, elle a franchi le dernier échelon.» It is true that the Verdurins and their little clan had at this time a far more vital interest than the drawing-room, faintly nationalist, more markedly literary, and pre-eminently Bergottic, of Mme. Swann. The little clan was in fact the active centre of a long political crisis which had reached its maximum of intensity: Dreyfusism. But society people were for the most part so violently opposed to the appeal that a Dreyfusian house seemed to them as inconceivable a thing as, at an earlier period, a Communard house. The Principessa di Caprarola, who had made Mme. Verdurin′s acquaintance over a big exhibition which she had organised, had indeed been to pay her a long call, in the hope of seducing a few interesting specimens of the little clan and incorporating them in her own drawing-room, a call in the course of which the Princess (playing the Duchesse de Guermantes in miniature) had made a stand against current ideas, declared that the people in her world were idiots, all of which, thought Mme. Verdurin, shewed great courage. But this courage was not, in the sequel, to go the length of venturing, under fire of the gaze of nationalist ladies, to bow to Mme. Verdurin at the Balbec races. With Mme. Swann, on the contrary, the anti-Dreyfusards gave her credit for being ‘sound,′ which, in a woman married to a Jew, was doubly meritorious. Nevertheless, the people who had never been to her house imagined her as visited only by a few obscure Israelites and disciples of Bergotte. In this way we place women far more outstanding than Mme. Swann on the lowest rung of the social ladder, whether on account of their origin, or because they do not care about dinner parties and receptions at which we never see them, and suppose this, erroneously, to be due to their not having been invited, or because they never speak of their social connexions, but only of literature and art, or because people conceal the fact that they go to their houses, or they, to avoid impoliteness to yet other people, conceal the fact that they open their doors to these, in short for a thousand reasons which, added together, make of one or other of them in certain people′s eyes, the sort of woman whom one does not know. So it was with Odette. Mme. d′Epinoy, when busy collecting some subscription for the ‘Patrie Française,′ having been obliged to go and see her, as she would have gone to her dressmaker, convinced moreover that she would find only a lot of faces that were not so much impossible as completely unknown, stood rooted to the ground when the door opened not upon the drawing-room she imagined but upon a magic hall in which, as in the transformation scene of a pantomime, she recognised in the dazzling chorus, half reclining upon divans, seated in armchairs, addressing their hostess by her Christian name, the royalties, the duchesses, whom she, the Princesse d′Epinoy, had the greatest difficulty in enticing into her own drawing-room, and to whom at that moment, beneath the benevolent eyes of Odette, the Marquis du Lau, Comte Louis de Turenne, Prince Borghese, the Duc d′Estrées, carrying orangeade and cakes, were acting as cupbearers and henchmen. The Princesse d′Epinoy, as she instinctively made people′s social value inherent in themselves, was obliged to disincarnate Mme. Swann and reincarnate her in a fashionable woman. Our ignorance of the real existence led by the women who do not advertise it in the newspapers draws thus over certain situations (thereby helping to differentiate one house from another) a veil of mystery. In Odette′s case, at the start, a few men of the highest society, anxious to meet Bergotte, had gone to dine, quite quietly, at her house. She had had the tact, recently acquired, not to advertise their presence, they found when they went there, a memory perhaps of the little nucleus, whose traditions Odette had preserved in spite of the schism, a place laid for them at table, and so forth. Odette took them with Bergotte (whom these excursions, incidentally, finished off) to interesting first nights. They spoke of her to various women of their own world who were capable of taking an interest in such a novelty. These women were convinced that Odette, an intimate friend of Bergotte, had more or less collaborated in his works, and believed her to be a thousand times more intelligent than the most outstanding women of the Faubourg, for the same reason that made them pin all their political faith to certain Republicans of the right shade such as M. Doumer and M. Deschanel, whereas they saw France doomed to destruction were her destinies entrusted to the Monarchy men who were in the habit of dining with them, men like Charette or Doudeauville. This change in Odette′s status was carried out, so far as she was concerned, with a discretion that made it more secure and more rapid but allowed no suspicion to filter through to the public that is prone to refer to the social columns of the Gaulois for evidence as to the advance or decline of a house, with the result that one day, at the dress rehearsal of a play by Bergotte, given in one of the most fashionable theatres in aid of a charity, the really dramatic moment was when people saw enter the box opposite, which was that reserved for the author, and sit down by the side of Mme. Swann, Mme. de Marsantes and her who, by the gradual self-effacement of the Duchesse de Guermantes (glutted with fame, and retiring to save the trouble of going on), was on the way to becoming the lion, the queen of the age, Comtesse Mole. “We never even supposed that she had begun to climb,” people said of Odette as they saw Comtesse Molé enter her box, “and look, she has reached the top of the ladder.”
De sorte que Mme Swann pouvait croire que c′était par snobisme que je me rapprochais de sa fille. So that Mme. Swann might suppose that it was from snobbishness that I was taking up again with her daughter.
Odette, malgré ses brillantes amies, n′écouta pas moins la pièce avec une extrême attention, comme si elle eût été là seulement pour l′entendre, de même que jadis elle traversait le Bois par hygiène et pour faire de l′exercice. Des hommes qui étaient jadis moins empressés autour d′elle vinrent au balcon, dérangeant tout le monde, se suspendre à sa main pour approcher le cercle imposant dont elle était environnée. Elle, avec un sourire plutôt encore d′amabilité que d′ironie, répondait patiemment à leurs questions, affectant plus de calme qu′on n′aurait cru, et qui était peut-être sincère, cette exhibition n′étant que l′exhibition tardive d′une intimité habituelle et discrètement cachée. Derrière ces trois dames attirant tous les yeux était Bergotte entouré par le prince d′Agrigente, le comte Louis Turenne, et le marquis de Bréauté. Et il est aisé de comprendre que, pour des hommes qui étaient reçus partout et qui ne pouvaient plus attendre une surélévation que de recherches d′originalité, cette démonstration de leur valeur, qu′ils croyaient faire en se laissant attirer par une maîtresse de maison réputée de haute intellectualité et auprès de qui ils s′attendaient à rencontrer tous les auteurs dramatiques et tous les romanciers en vogue, était plus excitante et vivante que ces soirées chez la princesse de Guermantes, lesquelles, sans aucun programme et attrait nouveau, se succédaient depuis tant d′années, plus ou moins pareilles à celle que nous avons si longuement décrite. Dans ce grand monde-là, celui des Guermantes, d′où la curiosité se détournait un peu, les modes intellectuelles nouvelles ne s′incarnaient pas en divertissements à leur image, comme en ces bluettes de Bergotte écrites pour Mme Swann, comme en ces véritables séances de salut public (si le monde avait pu s′intéresser à l′affaire Dreyfus) où chez Mme Verdurin se réunissaient Picquart, Clemenceau, Zola, Reinach et Labori. Odette, notwithstanding her brilliant escort, listened with close attention to the play, as though she had come there solely to see it performed, just as in the past she used to walk across the Bois for her health, as a form of exercise. Men who in the past had shewn less interest in her came to the edge of the box, disturbing the whole audience, to reach up to her hand and so approach the imposing circle that surrounded her. She, with a smile that was still more friendly than ironical, replied patiently to their questions, affecting greater calm than might have been expected, a calm which was, perhaps, sincere, this exhibition being only the belated revelation of a habitual and discreetly hidden intimacy. Behind these three ladies to whom every eye was drawn was Bergotte flanked by the Prince d′Agrigente, Comte Louis de Turenne, and the Marquis de Bréauté. And it is easy to understand that, to men who were received everywhere and could not expect any further advancement save as a reward for original research, this demonstration of their merit which they considered that they were making in letting themselves succumb to a hostess with a reputation for profound intellectuality, in whose house they expected to meet all the dramatists and novelists of the day, was more exciting, more lively than those evenings at the Princesse de Guermantes′s, which, without any change of programme or fresh attraction, had been going on year after year, all more or less like the one we have described in such detail. In that exalted sphere, the sphere of the Guermantes, in which people were beginning to lose interest, the latest intellectual fashions were not incarnate in entertainments fashioned in their image, as in those sketches that Bergotte used to write for Mme. Swann, or those positive committees of public safety (had society been capable of taking an interest in the Dreyfus case) at which, in Mme. Verdurin′s drawing-room, used to assemble Picquart, Clemenceau, Zola, Reinach and Labori.
Gilberte servait aussi à la situation de sa mère, car un oncle de Swann venait de laisser près de quatre-vingts millions à la jeune fille, ce qui faisait que le faubourg Saint–Germain commençait à penser à elle. Le revers de la médaille était que Swann, d′ailleurs mourant, avait des opinions dreyfusistes, mais cela même ne nuisait pas à sa femme et même lui rendait service. Cela ne lui nuisait pas parce qu′on disait: «Il est gâteux, idiot, on ne s′occupe pas de lui, il n′y a que sa femme qui compte et elle est charmante.» Mais même le dreyfusisme de Swann était utile à Odette. Livrée à elle-même, elle se fût peut-être laissé aller à faire aux femmes chics des avances qui l′eussent perdue. Tandis que les soirs où elle traînait son mari dîner dans le faubourg Saint–Germain, Swann, restant farouchement dans son coin, ne se gênait pas, s′il voyait Odette se faire présenter à quelque dame nationaliste, de dire à haute voix: «Mais voyons, Odette, vous êtes folle. Je vous prie de rester tranquille. Ce serait une platitude de votre part de vous faire présenter à des antisémites. Je vous le défends.» Les gens du monde après qui chacun court ne sont habitués ni à tant de fierté ni à tant de mauvaise éducation. Pour la première fois ils voyaient quelqu′un qui se croyait «plus» qu′eux. On se racontait ces grognements de Swann, et les cartes cornées pleuvaient chez Odette. Quand celle-ci était en visite chez Mme d′Arpajon, c′était un vif et sympathique mouvement de curiosité. «Ça ne vous a pas ennuyée que je vous l′aie présentée, disait Mme d′Arpajon. Elle est très gentille. C′est Marie de Marsantes qui me l′a fait connaître. — Mais non, au contraire, il paraît qu′elle est tout ce qu′il y a de plus intelligente, elle est charmante. Je désirais au contraire la rencontrer; dites-moi donc où elle demeure.» Mme d′Arpajon disait à Mme Swann qu′elle s′était beaucoup amusée chez elle l′avant-veille et avait lâché avec joie pour elle Mme de Saint–Euverte. Et c′était vrai, car préférer Mme Swann, c′était montrer qu′on était intelligent, comme d′aller au concert au lieu d′aller à un thé. Mais quand Mme de Saint–Euverte venait chez Mme d′Arpajon en même temps qu′Odette, comme Mme de Saint–Euverte était très snob et que Mme d′Arpajon, tout en la traitant d′assez haut, tenait à ses réceptions, Mme d′Arpajon ne présentait pas Odette pour que Mme de Saint–Euverte ne sût pas qui c′était. La marquise s′imaginait que ce devait être quelque princesse qui sortait très peu pour qu′elle ne l′eût jamais vue, prolongeait sa visite, répondait indirectement à ce que disait Odette, mais Mme d′Arpajon restait de fer. Et quand Mme de Saint–Euverte, vaincue, s′en allait: «Je ne vous ai pas présentée, disait la maîtresse de maison à Odette, parce qu′on n′aime pas beaucoup aller chez elle et elle invite énormément; vous n′auriez pas pu vous en dépêtrer. — Oh! cela ne fait rien», disait Odette avec un regret. Mais elle gardait l′idée qu′on n′aimait pas aller chez Mme de Saint–Euverte, ce qui, dans une certaine mesure, était vrai, et elle en concluait qu′elle avait une situation très supérieure à Mme de Saint–Euverte bien que celle-ci en eût une très grande, et Odette encore aucune. Gilberte, too, helped to strengthen her mother′s position, for an uncle of Swann had just left nearly twenty-four million francs to the girl, which meant that the Faubourg Saint-Germain was beginning to take notice of her. The reverse of the medal was that Swann (who, however, was dying) held Dreyfusard opinions, though this as a matter of fact did not injure his wife, but was actually of service to her. It did not injure her because people said: “He is dotty, his mind has quite gone, nobody pays any attention to him, his wife is the only person who counts and she is charming.” But even Swann′s Dreyfusism was useful to Odette. Left to herself, she would quite possibly have allowed herself to make advances to fashionable women which would have been her undoing. Whereas on the evenings when she dragged her husband out to dine in the Faubourg Saint-Germain, Swann, sitting sullenly in his corner, would not hesitate, if he saw Odette seeking an introduction to some Nationalist lady, to exclaim aloud: “Really, Odette, you are mad. Why can′t you keep yourself to yourself. It is idiotic of you to get yourself introduced to anti-Semites, I forbid you.” People in society whom everyone else runs after are not accustomed either to such pride or to such ill-breeding. For the first time they beheld some one who thought himself ‘superior′ to them. The fame of Swann′s mutterings was spread abroad, and cards with turned-down corners rained upon Odette. When she came to call upon Mme. d′Arpajon there was a brisk movement of friendly curiosity. “You didn′t mind my introducing her to you,” said Mme. d′Arpajon. “She is so nice. It was Marie de Marsantes that told me about her.” “No, not at all, I hear she′s so wonderfully clever, and she is charming. I had been longing to meet her; do tell me where she lives.” Mme. d′Arpajon told Mme. Swann that she had enjoyed herself hugely at the latter′s house the other evening, and had joyfully forsaken Mme. de Saint-Euverte for her. And it was true, for to prefer Mme. Swann was to shew that one was intelligent, like going to concerts instead of to tea-parties. But when Mme. de Saint-Euverte called on Mme. d′Arpajon at the same time as Odette, as Mme. de Saint-Euverte was a great snob and Mme. d′Arpajon, albeit she treated her without ceremony, valued her invitations, she did not introduce Odette, so that Mme. de Saint-Euverte should not know who it was. The Marquise imagined that it must be some Princess who never went anywhere, since she had never seen her before, prolonged her call, replied indirectly to what Odette was saying, but Mme. d′Arpajon remained adamant. And when Mme. Saint-Euverte owned herself defeated and took her leave: “I did not introduce you,” her hostess told Odette, “because people don′t much care about going to her parties and she is always inviting one; you would never hear the last of her.” “Oh, that is all right,” said Odette with a pang of regret. But she retained the idea that people did not care about going to Mme. de Saint-Euverte′s, which was to a certain extent true, and concluded that she herself held a position in society vastly superior to Mme. de Saint-Euverte′s, albeit that lady held a very high position, and Odette, so far, had none at all.
Elle ne s′en rendait pas compte, et bien que toutes les amies de Mme de Guermantes fussent liées avec Mme d′Arpajon, quand celle-ci invitait Mme Swann, Odette disait d′un air scrupuleux: «Je vais chez Mme d′Arpajon, mais vous allez me trouver bien vieux jeu; cela me choque, à cause de Mme de Guermantes (qu′elle ne connaissait pas du reste). Les hommes distingués pensaient que le fait que Mme Swann connût peu de gens du grand monde tenait à ce qu′elle devait être une femme supérieure, probablement une grande musicienne, et que ce serait une espèce de titre extramondain, comme pour un duc d′être docteur ès sciences, que d′aller chez elle. Les femmes complètement nulles étaient attirées vers Odette par une raison contraire; apprenant qu′elle allait au concert Colonne et se déclarait wagnérienne, elles en concluaient que ce devait être une «farceuse», et elles étaient fort allumées par l′idée de la connaître. Mais peu assurées dans leur propre situation, elles craignaient de se compromettre en public en ayant l′air liées avec Odette, et, si dans un concert de charité elles apercevaient Mme Swann, elles détournaient la tête, jugeant impossible de saluer, sous les yeux de Mme de Rochechouart, une femme qui était bien capable d′être allée à Bayreuth — ce qui voulait dire faire les cent dix-neuf coups. Chaque personne en visite chez une autre devenait différente. Sans parler des métamorphoses merveilleuses qui s′accomplissaient ainsi chez les fées, dans le salon de Mme Swann, M. de Bréauté, soudain mis en valeur par l′absence des gens qui l′entouraient d′habitude, par l′air de satisfaction qu′il avait de se trouver là aussi bien que si, au lieu d′aller à une fête, il avait chaussé des besicles pour s′enfermer à lire la Revue des Deux–Mondes, par le rite mystérieux qu′il avait l′air d′accomplir en venant voir Odette, M. de Bréauté lui-même semblait un homme nouveau. J′aurais beaucoup donné pour voir quelles altérations la duchesse de Montmorency–Luxembourg aurait subies dans ce milieu nouveau. That made no difference to her, and, albeit all Mme. de Guermantes′s friends were friends also of Mme. d′Arpajon, whenever the latter invited Mme. Swann, Odette would say with an air of compunction: “I am going to Mme. d′Arpajon′s; you will think me dreadfully old-fashioned, I know, but I hate going, for Mme. de Guermantes′s sake” (whom, as it happened, she had never met). The distinguished men thought that the fact that Mme. Swann knew hardly anyone in good society meant that she must be a superior woman, probably a great musician, and that it would be a sort of extra distinction, as for a Duke to be a Doctor of Science, to go to her house. The completely unintelligent women were attracted by Odette for a diametrically opposite reason; hearing that she attended the Colonne concerts and professed herself a Wagnerian, they concluded from this that she must be ‘rather a lark,′ and were greatly excited by the idea of getting to know her. But, being themselves none too firmly established, they were afraid of compromising themselves in public if they appeared to be on friendly terms with Odette, and if, at a charity concert, they caught sight of Mme. Swann, would turn away their heads, deeming it impossible to bow, beneath the very nose of Mme. de Rochechouart, to a woman who was perfectly capable of having been to Bayreuth, which was as good as saying that she would stick at nothing. Everybody becomes different upon entering another person′s house. Not to speak of the marvellous metamorphoses that were accomplished thus in the faery palaces, in Mme. Swann′s drawing-room, M. de Bréauté, acquiring a sudden importance from the absence of the people by whom he was normally surrounded, by his air of satisfaction at finding himself there, just as if instead of going out to a party he had slipped on his spectacles to shut himself up in his study and read the Revue des Deux Mondes, the mystic rite that he appeared to be performing in coming to see Odette, M. de Bréauté himself seemed another man. I would have given anything to see what alterations the Duchesse de Montmorency-Luxembourg would undergo in this new environment.
Mais elle était une des personnes à qui jamais on ne pourrait présenter Odette. Mme de Montmorency, beaucoup plus bienveillante pour Oriane que celle-ci n′était pour elle, m′étonnait beaucoup en me disant à propos de Mme de Guermantes: «Elle connaît des gens d′esprit, tout le monde l′aime, je crois que, si elle avait eu un peu plus d′esprit de suite, elle serait arrivée à se faire un salon. La vérité est qu′elle n′y tenait pas, elle a bien raison, elle est heureuse comme cela, recherchée de tous.» Si Mme de Guermantes n′avait pas un «salon», alors qu′est-ce que c′était qu′un «salon»? La stupéfaction où me jetèrent ces paroles n′était pas plus grande que celle que je causai à Mme de Guermantes en lui disant que j′aimais bien aller chez Mme de Montmorency. Oriane la trouvait une vieille crétine. «Encore moi, disait-elle, j′y suis forcée, c′est ma tante; mais vous! Elle ne sait même pas attirer les gens agréables.» Mme de Guermantes ne se rendait pas compte que les gens agréables me laissaient froid, que quand elle me disait «salon Arpajon» je voyais un papillon jaune, et «salon Swann» (Mme Swann était chez elle l′hiver de 6 à 7) un papillon noir aux ailes feutrées de neige. Encore ce dernier salon, qui n′en était pas un, elle le jugeait, bien qu′inaccessible pour elle, excusable pour moi, à cause des «gens d′esprit». Mais Mme de Luxembourg! Si j′eusse déjà «produit» quelque chose qui eût été remarqué, elle eût conclu qu′une part de snobisme peut s′allier au talent. Et je mis le comble à sa déception; je lui avouai que je n′allais pas chez Mme de Montmorency (comme elle croyait) pour «prendre des notes» et «faire une étude». Mme de Guermantes ne se trompait, du reste, pas plus que les romanciers mondains qui analysent cruellement du dehors les actes d′un snob ou prétendu tel, mais ne se placent jamais à l′intérieur de celui-ci, à l′époque où fleurit dans l′imagination tout un printemps social. Moi-même, quand je voulus savoir quel si grand plaisir j′éprouvais à aller chez Mme de Montmorency, je fus un peu désappointé. Elle habitait, dans le faubourg Saint–Germain, une vieille demeure remplie de pavillons que séparaient de petits jardins. Sous la voûte, une statuette, qu′on disait de Falconet, représentait une Source d′où, du reste, une humidité perpétuelle suintait. Un peu plus loin la concierge, toujours les yeux rouges, soit chagrin, soit neurasthénie, soit migraine, soit rhume, ne vous répondait jamais, vous faisait un geste vague indiquant que la duchesse était là et laissait tomber de ses paupières quelques gouttes au-dessus d′un bol rempli de «ne m′oubliez pas». Le plaisir que j′avais à voir la statuette, parce qu′elle me faisait penser à un petit jardinier en plâtre qu′il y avait dans un jardin de Combray, n′était rien auprès de celui que me causait le grand escalier humide et sonore, plein d′échos, comme celui de certains établissements de bains d′autrefois, aux vases remplis de cinéraires — bleu sur bleu — dans l′antichambre, et surtout le tintement de la sonnette, qui était exactement celui de la chambre d′Eulalie. Ce tintement mettait le comble à mon enthousiasme, mais me semblait trop humble pour que je le pusse expliquer à Mme de Montmorency, de sorte que cette dame me voyait toujours dans un ravissement dont elle ne devina jamais la cause. But she was one of the people who could never be induced to meet Odette. Mme. de Montmorency, a great deal kinder to Oriane than Oriane was to her, surprised me greatly by saying, with regard to Mme. de Guermantes: “She knows some quite clever people, everybody likes her, I believe that if she had just had a slightly more coherent mind, she would have succeeded in forming a salon. The fact is, she never bothered about it, she is quite right, she is very well off as she is, with everybody running after her.” If Mme. de Guermantes had not a ‘salon,′ what in the world could a ‘salon′ be? The stupefaction in which this speech plunged me was no greater than that which I caused Mme. de Guermantes when I told her that I should like to be invited to Mme. de Montmorency′s. Oriane thought her an old idiot. “I go there,” she said, “because I′m forced to, she′s my aunt, but you! She doesn′t even know how to get nice people to come to her house.” Mme. de Guermantes did not realise that nice people left me cold, that when she spoke to me of the Arpajon drawing-room I saw a yellow butterfly, and the Swann drawing-room (Mme. Swann was at home in the winter months between 6 and 7) a black butterfly, its wings powdered with snow. Even this last drawing-room, which was not a ‘salon′ at all, she considered, albeit out of bounds for herself, permissible to me, on account of the ‘clever people′ to be found there. But Mme. de Luxembourg! Had I already produced something that had attracted attention, she would have concluded that an element of snobbishness may be combined with talent. But I put the finishing touch to her disillusionment; I confessed to her that I did not go to Mme. de Montmorency′s (as she supposed) to ‘take notes′ and ‘make a study.′ Mme. de Guermantes was in this respect no more in error than the social novelists who analyse mercilessly from outside the actions of a snob or supposed snob, but never place themselves in his position, at the moment when a whole social springtime is bursting into blossom in his imagination. I myself, when I sought to discover what was the great pleasure that I found in going to Mme. de Montmorency′s, was somewhat taken aback. She occupied, in the Faubourg Saint-Germain, an old mansion ramifying into pavilions which were separated by small gardens. In the outer hall a statuette, said to be by Falconnet, represented a spring which did, as it happened, exude a perpetual moisture. A little farther on the doorkeeper, her eyes always red, whether from grief or neurasthenia, a headache or a cold in the head, never answered your inquiry, waved her arm vaguely to indicate that the Duchess was at home, and let a drop or two trickle from her eyelids into a bowl filled with forget-me-nots. The pleasure that I felt on seeing the statuette, because it reminded me of a ‘little gardener′ in plaster that stood in one of the Combray gardens, was nothing to that which was given me by the great staircase, damp and resonant, full of echoes, like the stairs in certain old-fashioned bathing establishments, with the vases filled with cinerarias — blue against blue — in the entrance hall and most of all the tinkle of the bell, which was exactly that of the bell in Eulalie′s room. This tinkle raised my enthusiasm to a climax, but seemed to me too humble a matter for me to be able to explain it to Mme. de Montmorency, with the result that she invariably saw me in a state of rapture of which she might never guess the cause.
LES INTERMITTENCES DU COEUR THE HEART′S INTERMISSIONS
Ma seconde arrivée à Balbec fut bien différente de la première. Le directeur était venu en personne m′attendre à Pont-à-Couleuvre, répétant combien il tenait à sa clientèle titrée, ce qui me fit craindre qu′il m′anoblît jusqu′à ce que j′eusse compris que, dans l′obscurité de sa mémoire grammaticale, titrée signifiait simplement attitrée. Du reste, au fur et à mesure qu′il apprenait de nouvelles langues, il parlait plus mal les anciennes. Il m′annonça qu′il m′avait logé tout en haut de l′hôtel. «J′espère, dit-il, que vous ne verrez pas là un manque d′impolitesse, j′étais ennuyé de vous donner une chambre dont vous êtes indigne, mais je l′ai fait rapport au bruit, parce que comme cela vous n′aurez personne au-dessus de vous pour vous fatiguer le trépan (pour tympan). Soyez tranquille, je ferai fermer les fenêtres pour qu′elles ne battent pas. Là-dessus je suis intolérable», ces mots n′exprimant pas sa pensée, laquelle était qu′on le trouverait toujours inexorable à ce sujet, mais peut-être bien celle de ses valets d′étage. Les chambres étaient d′ailleurs celles du premier séjour. Elles n′étaient pas plus bas, mais j′avais monté dans l′estime du directeur. Je pourrais faire faire du feu si cela me plaisait (car sur l′ordre des médecins, j′étais parti dès Pâques), mais il craignait qu′il n′y eût des «fixures» dans le plafond. «Surtout attendez toujours pour allumer une flambée que la précédente soit consommée (pour consumée). Car l′important c′est d′éviter de ne pas mettre le feu à la cheminée, d′autant plus que, pour égayer un peu, j′ai fait placer dessus une grande postiche en vieux Chine, que cela pourrait abîmer.» My second arrival at Balbec was very different from the other. The manager had come in person to meet me at Pont-a-Couleuvre, reiterating how greatly he valued his titled patrons, which made me afraid that he had ennobled me, until I realised that, in the obscurity of his grammatical memory, titré meant simply attitré, or accredited. In fact, the more new languages he learned the worse he spoke the others. He informed me that he had placed me at the very top of the hotel. “I hope,” he said, “that you will not interpolate this as a want of discourtesy, I was sorry to give you a room of which you are unworthy, but I did it in connexion with the noise, because in that room you will not have anyone above your head to disturb your trapanum (tympanum). Don′t be alarmed, I shall have the windows closed, so that they shan′t bang. Upon that point, I am intolerable” (the last word expressing not his own thought, which was that he would always be found inexorable in that respect, but, quite possibly, the thoughts of his underlings). The rooms were, as it proved, those we had had before. They were no humbler, but I had risen in the manager′s esteem. I could light a fire if I liked (for, by the doctors′ orders, I had left Paris at Easter), but he was afraid there might be ‘fixtures′ in the ceiling. “See that you always wait before alighting a fire until the preceding one is extenuated” (extinct). “The important thing is to take care not to avoid setting fire to the chimney, especially as, to cheer things up a bit, I have put an old china pottage on the mantelpiece which might become insured.”
Il m′apprit avec beaucoup de tristesse la mort du bâtonnier de Cherbourg: «C′était un vieux routinier», dit-il (probablement pour roublard) et me laissa entendre que sa fin avait été avancée par une vie de déboires, ce qui signifiait de débauches. «Déjà depuis quelque temps je remarquais qu′après le dîner il s′accroupissait dans le salon (sans doute pour s′assoupissait). Les derniers temps, il était tellement changé que, si l′on n′avait pas su que c′était lui, à le voir il était à peine reconnaissant» (pour reconnaissable sans doute). He informed me with great sorrow of the death of the leader of the Cherbourg bar. “He was an old retainer,” he said (meaning probably ‘campaigner′) and gave me to understand that his end had been hastened by the quickness, otherwise the fastness, of his life. “For some time past I noticed that after dinner he would take a doss in the reading-room” (take a doze, presumably). “The last times, he was so changed that if you hadn′t known who it was, to look at him, he was barely recognisant” (presumably, recognisable).
Compensation heureuse: le premier président de Caen venait de recevoir la «cravache» de commandeur de la Légion d′honneur. «Sûr et certain qu′il a des capacités, mais paraît qu′on la lui a donnée surtout à cause de sa grande «impuissance». On revenait du reste sur cette décoration dans l′Écho de Paris de la veille, dont le directeur n′avait encore lu que «le premier paraphe» (pour paragraphe). La politique de M. Caillaux y était bien arrangée. «Je trouve du reste qu′ils ont raison, dit-il. Il nous met trop sous la coupole de l′Allemagne» (sous la coupe). Comme ce genre de sujet, traité par un hôtelier, me paraissait ennuyeux, je cessai d′écouter. Je pensais aux images qui m′avaient décidé de retourner à Balbec. Elles étaient bien différentes de celles d′autrefois, la vision que je venais chercher était aussi éclatante que la première était brumeuse; elles ne devaient pas moins me décevoir. Les images choisies par le souvenir sont aussi arbitraires, aussi étroites, aussi insaisissables, que celles que l′imagination avait formées et la réalité détruites. Il n′y a pas de raison pour qu′en dehors de nous, un lieu réel possède plutôt les tableaux de la mémoire que ceux du rêve. Et puis, une réalité nouvelle nous fera peut-être oublier, détester même les désirs à cause desquels nous étions partis. A happy compensation: the chief magistrate of Caen had just received his ‘bags′ (badge) as Commander of the Legion of Honour. “Surely to goodness, he has capacities, but seems they gave him it principally because of his general ‘impotence.′” There was a mention of this decoration, as it happened, in the previous day′s Echo de Paris, of which the manager had as yet read only ‘the first paradox′ (meaning paragraph). The paper dealt admirably with M. Caillaux′s policy. “I consider, they′re quite right,” he said. “He is putting us too much under the thimble of Germany” (under the thumb). As the discussion of a subject of this sort with a hotel-keeper seemed to me boring, I ceased to listen. I thought of the visual images that had made me decide to return to Balbec. They were very different from those of the earlier time, the vision in quest of which I came was as dazzlingly clear as the former had been clouded; they were to prove deceitful nevertheless. The images selected by memory are as arbitrary, as narrow, as intangible as those which imagination had formed and reality has destroyed. There is no reason why, existing outside ourselves, a real place should conform to the pictures in our memory rather than to those in our dreams. And besides, a fresh reality will perhaps make us forget, detest even, the desires that led us forth upon our journey.
Ceux qui m′avaient fait partir pour Balbec tenaient en partie à ce que les Verdurin des invitations de qui je n′avais jamais profité, et qui seraient certainement heureux de me recevoir si j′allais, à la campagne, m′excuser de n′avoir jamais pu leur faire une visite à Paris, sachant que plusieurs fidèles passeraient les vacances sur cette côte, et ayant, à cause de cela, loué pour toute la saison un des châteaux de M. de Cambremer (la Raspelière), y avaient invité Mme Putbus. Le soir où je l′avais appris (à Paris), j′envoyai, en véritable fou, notre jeune valet de pied s′informer si cette dame emmènerait à Balbec sa camériste. Il était onze heures du soir. Le concierge mit longtemps à ouvrir et, par miracle, n′envoya pas promener mon messager, ne fit pas appeler la police, se contenta de le recevoir très mal, tout en lui fournissant le renseignement désiré. Il dit qu′en effet la première femme de chambre accompagnerait sa maîtresse, d′abord aux eaux en Allemagne, puis à Biarritz, et, pour finir, chez Mme Verdurin. Dès lors j′avais été tranquille et content d′avoir ce pain sur la planche. J′avais pu me dispenser de ces poursuites dans les rues où j′étais dépourvu auprès des beautés rencontrées de cette lettre d′introduction que serait auprès du «Giorgione» d′avoir dîné le soir même, chez les Verdurin, avec sa maîtresse. D′ailleurs elle aurait peut-être meilleure idée de moi encore en sachant que je connaissais, non seulement les bourgeois locataires de la Raspelière mais ses propriétaires, et surtout Saint–Loup qui, ne pouvant me recommander à distance à la femme de chambre (celle-ci ignorant le nom de Robert), avait écrit pour moi une lettre chaleureuse aux Cambremer. Il pensait qu′en dehors de toute l′utilité dont ils me pourraient être, Mme de Cambremer la belle-fille, née Legrandin, m′intéresserait en causant avec moi. «C′est une femme intelligente, m′avait-il assuré. Elle ne te dira pas des choses définitives (les choses «définitives» avaient été substituées aux choses «sublimes» par Robert qui modifiait, tous les cinq ou six ans, quelques-unes de ses expressions favorites tout en conservant les principales), mais c′est une nature, elle a une personnalité, de l′intuition; elle jette à propos la parole qu′il faut. De temps en temps elle est énervante, elle lance des bêtises pour «faire gratin», ce qui est d′autant plus ridicule que rien n′est moins élégant que les Cambremer, elle n′est pas toujours à la page, mais, somme toute, elle est encore dans les personnes les plus supportables à fréquenter.» Those that had led me forth to Balbec sprang to some extent from my discovery that the Verdurins (whose invitations I had invariably declined, and who would certainly be delighted to see me, if I went to call upon them in the country with apologies for never having been able to call upon them in Paris), knowing that several of the faithful would be spending the holidays upon that part of the coast, and having, for that reason, taken for the whole season one of M. de Cambremer′s houses (la Raspelière), had invited Mme. Putbus to stay with them. The evening on which I learned this (in Paris) I lost my head completely and sent our young footman to find out whether the lady would be taking her Abigail to Balbec with her. It was eleven o′clock. Her porter was a long time in opening the front door, and, for a wonder, did not send my messenger packing, did not call the police, merely gave him a dressing down, but with it the information that I desired. He said that the head lady′s maid would indeed be accompanying her mistress, first of all to the waters in Germany, then to Biarritz, and at the end of the season to Mme. Verdurin′s. From that moment my mind had been at rest, and glad to have this iron in the fire, I had been able to dispense with those pursuits in the streets, in which I had not that letter of introduction to the beauties I encountered which I should have to the ‘Giorgione′ in the fact of my having dined that very evening, at the Verdurins′, with her mistress. Besides, she might form a still better opinion of me perhaps when she learned that I knew not merely the middle class tenants of la Raspelière but its owners, and above all Saint-Loup who, prevented from commending me personally to the maid (who did not know him by name), had written an enthusiastic letter about me to the Cambremers. He believed that, quite apart from any service that they might be able to render me, Mme. de Cambremer, the Legrandin daughter-in-law, would interest me by her conversation. “She is an intelligent woman,” he had assured me. “She won′t say anything final” (final having taken the place of sublime things with Robert, who, every five or six years, would modify a few of his favourite expressions, while preserving the more important intact), “but it is an interesting nature, she has a personality, intuition; she has the right word for everything. Every now and then she is maddening, she says stupid things on purpose, to seem smart, which is all the more ridiculous as nobody could be less smart than the Cambremers, she is not always in the picture, but, taking her all round, she is one of the people it is more or less possible to talk to.”
Aussitôt que la recommandation de Robert leur était parvenue, les Cambremer, soit snobisme qui leur faisait désirer d′être indirectement aimables pour Saint–Loup, soit reconnaissance de ce qu′il avait été pour un de leurs neveux à Doncières, et plus probablement surtout par bonté et traditions hospitalières, avaient écrit de longues lettres demandant que j′habitasse chez eux, et, si je préférais être plus indépendant, s′offrant à me chercher un logis. Quand Saint–Loup leur eût objecté que j′habiterais le Grand-Hôtel de Balbec, ils répondirent que, du moins, ils attendaient une visite dès mon arrivée et, si elle tardait trop, ne manqueraient pas de venir me relancer pour m′inviter à leurs garden-parties. No sooner had Robert′s letter of introduction reached them than the Cambremers, whether from a snobbishness that made them anxious to oblige Saint-Loup, even indirectly, or from gratitude for what he had done for one of their nephews at Doncières, or (what was most likely) from kindness of heart and traditions of hospitality, had written long letters insisting that I should stay with them, or, if I preferred to be more independent, offering to find me lodgings. When Saint-Loup had pointed out that I should be staying at the Grand Hotel, Balbec, they replied that at least they would expect a call from me as soon as I arrived and, if I did not appear, would come without fail to hunt me out and invite me to their garden parties.
Sans doute rien ne rattachait d′une façon essentielle la femme de chambre de Mme Putbus au pays de Balbec; elle n′y serait pas pour moi comme la paysanne que, seul sur la route de Méséglise, j′avais si souvent appelée en vain, de toute la force de mon désir. No doubt there was no essential connexion between Mme. Putbus′s maid and the country round Balbec; she would not be for me like the peasant girl whom, as I strayed alone along the Méséglise way, I had so often sought in vain to evoke, with all the force of my desire.
Mais j′avais depuis longtemps cessé de chercher à extraire d′une femme comme la racine carrée de son inconnu, lequel ne résistait pas souvent à une simple présentation. Du moins à Balbec, où je n′étais pas allé depuis longtemps, j′aurais cet avantage, à défaut du rapport nécessaire qui n′existait pas entre le pays et cette femme, que le sentiment de la réalité n′y serait pas supprimé pour moi par l′habitude, comme à Paris où, soit dans ma propre maison, soit dans une chambre connue, le plaisir auprès d′une femme ne pouvait pas me donner un instant l′illusion, au milieu des choses quotidiennes, qu′il m′ouvrait accès à une nouvelle vie. (Car si l′habitude est une seconde nature, elle nous empêche de connaître la première, dont elle n′a ni les cruautés, ni les enchantements.) Or cette illusion, je l′aurais peut-être dans un pays nouveau où renaît la sensibilité, devant un rayon de soleil, et où justement achèverait de m′exalter la femme de chambre que je désirais: or on verra les circonstances faire non seulement que cette femme ne vint pas à Balbec, mais que je ne redoutai rien tant qu′elle y pût venir, de sorte que ce but principal de mon voyage ne fut ni atteint, ni même poursuivi. Certes Mme Putbus ne devait pas aller aussi tôt dans la saison chez les Verdurin; mais ces plaisirs qu′on a choisis, peuvent être lointains, si leur venue est assurée, et que dans leur attente on puisse se livrer d′ici là à la paresse de chercher à plaire et à l′impuissance d′aimer. Au reste, à Balbec, je n′allais pas dans un esprit aussi pratique que la première fois; il y a toujours moins d′égoî²­e dans l′imagination pure que dans le souvenir; et je savais que j′allais précisément me trouver dans un de ces lieux où foisonnent les belles inconnues; une plage n′en offre pas moins qu′un bal, et je pensais d′avance aux promenades devant l′hôtel, sur la digue, avec ce même genre de plaisir que Mme de Guermantes m′aurait procuré si, au lieu de me faire inviter dans des dîners brillants, elle avait donné plus souvent mon nom pour leurs listes de cavaliers aux maîtresses de maison chez qui l′on dansait. Faire des connaissances féminines à Balbec me serait aussi facile que cela m′avait été malaisé autrefois, car j′y avais maintenant autant de relations et d′appuis que j′en étais dénué à mon premier voyage. But I had long since given up trying to extract from a woman as it might be the square root of her unknown quantity, the mystery of which a mere introduction was generally enough to dispel. Anyhow at Balbec, where I had not been for so long, I should have this advantage, failing the necessary connexion which did not exist between the place and this particular woman, that my sense of reality would not be destroyed by familiarity, as in Paris, where, whether in my own home or in a bedroom that I already knew, pleasure indulged in with a woman could not give me for one instant, amid everyday surroundings, the illusion that it was opening the door for me to a new life. (For if habit is a second nature, it prevents us from knowing our original nature, whose cruelties it lacks and also its enchantments.) Now this illusion I might perhaps feel in a strange place, where one′s sensibility is revived by a ray of sunshine, and where my ardour would be raised to a climax by the lady′s maid whom I desired: we shall see, in the course of events, not only that this woman did not come to Balbec, but that I dreaded nothing so much as the possibility of her coming, so that the principal object of my expedition was neither attained, nor indeed pursued. It was true that Mme. Putbus was not to be at the Verdurins′ so early in the season; but these pleasures which we have chosen beforehand may be remote, if their coming is assured, and if, in the interval of waiting, we can devote ourselves to the pastime of seeking to attract, while powerless to love. Moreover, I was not going to Balbec in the same practical frame of mind as before; there is always less egoism in pure imagination than in recollection; and I knew that I was going to find myself in one of those very places where fair strangers most abound; a beach presents them as numerously as a ball-room, and I looked forward to strolling up and down outside the hotel, on the front, with the same sort of pleasure that Mme. de Guermantes would have procured me if, instead of making other hostesses invite me to brilliant dinner-parties, she had given my name more frequently for their lists of partners to those of them who gave dances. To make female acquaintances at Balbec would be as easy for me now as it had been difficult before, for I was now as well supplied with friends and resources there as I had been destitute of them on my former visit.
Je fus tiré de ma rêverie par la voix du directeur, dont je n′avais pas écouté les dissertations politiques. Changeant de sujet, il me dit la joie du premier président en apprenant mon arrivée et qu′il viendrait me voir dans ma chambre, le soir même. La pensée de cette visite m′effraya si fort (car je commençais à me sentir fatigué) que je le priai d′y mettre obstacle (ce qu′il me promit) et, pour plus de sûreté, de faire, pour le premier soir, monter la garde à mon étage par ses employés. Il ne paraissait pas les aimer beaucoup. «Je suis tout le temps obligé de courir après eux parce qu′ils manquent trop d′inertie. Si je n′étais pas là ils ne bougeraient pas. Je mettrai le liftier de planton à votre porte.» Je demandai s′il était enfin «chef des chasseurs». «Il n′est pas encore assez vieux dans la maison, me répondit-il. Il a des camarades plus âgés que lui. Cela ferait crier. En toutes choses il faut des granulations. Je reconnais qu′il a une bonne aptitude (pour attitude) devant son ascenseur. Mais c′est encore un peu jeune pour des situations pareilles. Avec d′autres qui sont trop anciens, cela ferait contraste. Ça manque un peu de sérieux, ce qui est la qualité primitive (sans doute la qualité primordiale, la qualité la plus importante). Il faut qu′il ait un peu plus de plomb dans l′aile (mon interlocuteur voulait dire dans la tête). Du reste, il n′a qu′à se fier à moi. Je m′y connais. Avant de prendre mes galons comme directeur du Grand-Hôtel, j′ai fait mes premières armes sous M. Paillard.» Cette comparaison m′impressionna et je remerciai le directeur d′être venu lui-même jusqu′à Pont-à-Couleuvre. «Oh! de rien. Cela ne m′a fait perdre qu′un temps infini» (pour infime). Du reste nous étions arrivés. I was roused from my meditations by the voice of the manager, to whose political dissertations I had not been listening. Changing the subject, he told me of the chief magistrate′s joy on hearing of my arrival, and that he was coming to pay me a visit in my room, that very evening. The thought of this visit so alarmed me (for I was beginning to feel tired) that I begged him to prevent it (which he promised to do, and, as a further precaution, to post members of his staff on guard, for the first night, on my landing). He did not seem overfond of his staff. “I am obliged to keep running after them all the time because they are lacking in inertia. If I was not there they would never stir. I shall post the lift-boy on sentry outside your door.” I asked him if the boy had yet become ‘head page.′ “He is not old enough yet in the house,” was the answer. “He has comrades more aged than he is. It would cause an outcry. We must act with granulation in everything. I quite admit that he strikes a good aptitude” (meaning attitude) “at the door of his lift. But he is still a trifle young for such positions. With others in the place of longer standing, it would make a contrast. He is a little wanting in seriousness, which is the primitive quality” (doubtless, the primordial, the most important quality). “He needs his leg screwed on a bit tighter” (my informant meant to say his head). “Anyhow, he can leave it all to me. I know what I′m about. Before I won my stripes as manager of the Grand Hotel, I smelt powder under M. Paillard.” I was impressed by this simile, and thanked the manager for having come in person as far as Pont-à-Couleuvre. “Oh, that′s nothing! The loss of time has been quite infinite” (for infinitesimal). Meanwhile, we had arrived.
Bouleversement de toute ma personne. Dès la première nuit, comme je souffrais d′une crise de fatigue cardiaque, tâchant de dompter ma souffrance, je me baissai avec lenteur et prudence pour me déchausser. Mais à peine eus-je touché le premier bouton de ma bottine, ma poitrine s′enfla, remplie d′une présence inconnue, divine, des sanglots me secouèrent, des larmes ruisselèrent de mes yeux. L′être qui venait à mon secours, qui me sauvait de la sécheresse de l′âme, c′était celui qui, plusieurs années auparavant, dans un moment de détresse et de solitude identiques, dans un moment où je n′avais plus rien de moi, était entré, et qui m′avait rendu à moi-même, car il était moi et plus que moi (le contenant qui est plus que le contenu et me l′apportait). Je venais d′apercevoir, dans ma mémoire, penché sur ma fatigue, le visage tendre, préoccupé et déçu de ma grand′mère, telle qu′elle avait été ce premier soir d′arrivée, le visage de ma grand′mère, non pas de celle que je m′étais étonné et reproché de si peu regretter et qui n′avait d′elle que le nom, mais de ma grand′mère véritable dont, pour la première fois depuis les Champs–Elysées où elle avait eu son attaque, je retrouvais dans un souvenir involontaire et complet la réalité vivante. Cette réalité n′existe pas pour nous tant qu′elle n′a pas été recréée par notre pensée (sans cela les hommes qui ont été mêlés à un combat gigantesque seraient tous de grands poètes épiques); et ainsi, dans un désir fou de me précipiter dans ses bras, ce n′était qu′à l′instant — plus d′une année après son enterrement, à cause de cet anachronisme qui empêche si souvent le calendrier des faits de coî­£ider avec celui des sentiments — que je venais d′apprendre qu′elle était morte. J′avais souvent parlé d′elle depuis ce moment-là et aussi pensé à elle, mais sous mes paroles et mes pensées de jeune homme ingrat, égoî²´e et cruel, il n′y avait jamais rien eu qui ressemblât à ma grand′mère, parce que dans ma légèreté, mon amour du plaisir, mon accoutumance à la voir malade, je ne contenais en moi qu′à l′état virtuel le souvenir de ce qu′elle avait été. A n′importe quel moment que nous la considérions, notre âme totale n′a qu′une valeur presque fictive, malgré le nombreux bilan de ses richesses, car tantôt les unes, tantôt les autres sont indisponibles, qu′il s′agisse d′ailleurs de richesses effectives aussi bien que de celles de l′imagination, et pour moi, par exemple, tout autant que de l′ancien nom de Guermantes, de celles, combien plus graves, du souvenir vrai de ma grand′mère. Car aux troubles de la mémoire sont liées les intermittences du coeur. Complete physical collapse. On the first night, as I was suffering from cardiac exhaustion, trying to master my pain, I bent down slowly and cautiously to take off my boots. But no sooner had I touched the topmost button than my bosom swelled, filled with an unknown, a divine presence, I shook with sobs, tears streamed from my eyes. The person who came to my rescue, who saved me from barrenness of spirit, was the same who, years before, in a moment of identical distress and loneliness, in a moment when I was no longer in any way myself, had come in, and had restored me to myself, for that person was myself and more than myself (the container that is greater than the contents, which it was bringing to me). I had just perceived, in my memory, bending over my weariness, the tender, preoccupied, dejected face of my grandmother, as she had been on that first evening of our arrival, the face not of that grandmother whom I was astonished — and reproached myself — to find that I regretted so little and who was no more of her than just her name, but of my own true grandmother, of whom, for the first time since that afternoon in the Champs-Elysées on which she had had her stroke, I now recaptured, by an instinctive and complete act of recollection, the living reality. That reality has no existence for us, so long as it has not been created anew by our mind (otherwise the men who have been engaged in a Titanic conflict would all of them be great epic poets); and so, in my insane desire to fling myself into her arms, it was not until this moment, more than a year after her burial, because of that anachronism which so often prevents the calendar of facts from corresponding to that of our feelings, that I became conscious that she was dead. I had often spoken about her in the interval, and thought of her also, but behind my words and thoughts, those of an ungrateful, selfish, cruel youngster, there had never been anything that resembled my grandmother, because, in my frivolity, my love of pleasure, my familiarity with the spectacle of her ill health, I retained only in a potential state the memory of what she had been. At whatever moment we estimate it, the total value of our spiritual nature is more or less fictitious, notwithstanding the long inventory of its treasures, for now one, now another of these is unrealisable, whether we are considering actual treasures or those of the imagination, and, in my own case, fully as much as the ancient name of Guermantes, this other, how far more important item, my real memory of my grandmother. For with the troubles of memory are closely linked the heart′s intermissions.
C′est sans doute l′existence de notre corps, semblable pour nous à un vase où notre spiritualité serait enclose, qui nous induit à supposer que tous nos biens intérieurs, nos joies passées, toutes nos douleurs sont perpétuellement en notre possession. Peut-être est-il aussi inexact de croire qu′elles s′échappent ou reviennent. En tout cas, si elles restent en nous c′est, la plupart du temps, dans un domaine inconnu où elles ne sont de nul service pour nous, et où même les plus usuelles sont refoulées par des souvenirs d′ordre différent et qui excluent toute simultanéité avec elles dans la conscience. Mais si le cadre de sensations où elles sont conservées est ressaisi, elles ont à leur tour ce même pouvoir d′expulser tout ce qui leur est incompatible, d′installer seul en nous, le moi qui les vécut. Or, comme celui que je venais subitement de redevenir n′avait pas existé depuis ce soir lointain où ma grand′mère m′avait déshabillé à mon arrivée à Balbec, ce fut tout naturellement, non pas après la journée actuelle, que ce moi ignorait, mais — comme s′il y avait dans le temps des séries différentes et parallèles — sans solution de continuité, tout de suite après le premier soir d′autrefois que j′adhérai à la minute où ma grand′mère s′était penchée vers moi. Le moi que j′étais alors, et qui avait disparu si longtemps, était de nouveau si près de moi qu′il me semblait encore entendre les paroles qui avaient immédiatement précédé et qui n′étaient pourtant plus qu′un songe, comme un homme mal éveillé croit percevoir tout près de lui les bruits de son rêve qui s′enfuit. Je n′étais plus que cet être qui cherchait à se réfugier dans les bras de sa grand′mère, à effacer les traces de ses peines en lui donnant des baisers, cet être que j′aurais eu à me figurer, quand j′étais tel ou tel de ceux qui s′étaient succédé en moi depuis quelque temps, autant de difficulté que maintenant il m′eût fallu d′efforts, stériles d′ailleurs, pour ressentir les désirs et les joies de l′un de ceux que, pour un temps du moins, je n′étais plus. Je me rappelais comme une heure avant le moment où ma grand′mère s′était penchée ainsi, dans sa robe de chambre, vers mes bottines; errant dans la rue étouffante de chaleur, devant le pâtissier, j′avais cru que je ne pourrais jamais, dans le besoin que j′avais de l′embrasser, attendre l′heure qu′il me fallait encore passer sans elle. Et maintenant que ce même besoin renaissait, je savais que je pouvais attendre des heures après des heures, qu′elle ne serait plus jamais auprès de moi, je ne faisais que de le découvrir parce que je venais, en la sentant, pour la première fois, vivante, véritable, gonflant mon coeur à le briser, en la retrouvant enfin, d′apprendre que je l′avais perdue pour toujours. Perdue pour toujours; je ne pouvais comprendre, et je m′exerçais à subir la souffrance de cette contradiction: d′une part, une existence, une tendresse, survivantes en moi telles que je les avais connues, c′est-à-dire faites pour moi, un amour où tout trouvait tellement en moi son complément, son but, sa constante direction, que le génie de grands hommes, tous les génies qui avaient pu exister depuis le commencement du monde n′eussent pas valu pour ma grand′mère un seul de mes défauts; et d′autre part, aussitôt que j′avais revécu, comme présente, cette félicité, la sentir traversée par la certitude, s′élançant comme une douleur physique à répétition, d′un néant qui avait effacé mon image de cette tendresse, qui avait détruit cette existence, aboli rétrospectivement notre mutuelle prédestination, fait de ma grand′mère, au moment où je la retrouvais comme dans un miroir, une simple étrangère qu′un hasard a fait passer quelques années auprès de moi, comme cela aurait pu être auprès de tout autre, mais pour qui, avant et après, je n′étais rien, je ne serais rien. It is, no doubt, the existence of our body, which we may compare to a jar containing our spiritual nature, that leads us to suppose that all our inward wealth, our past joys, all our sorrows, are perpetually in our possession. Perhaps it is equally inexact to suppose that they escape or return. In any case, if they remain within us, it is, for most of the time, in an unknown region where they are of no service to us, and where even the most ordinary are crowded out by memories of a different kind, which preclude any simultaneous occurrence of them in our consciousness. But if the setting of sensations in which they are preserved be recaptured, they acquire in turn the same power of expelling everything that is incompatible with them, of installing alone in us the self that originally lived them. Now, inasmuch as the self that I had just suddenly become once again had not existed since that evening long ago when my grandmother undressed me after my arrival at Balbec, it was quite naturally, not at the end of the day that had just passed, of which that self knew nothing, but — as though there were in time different and parallel series — without loss of continuity, immediately after the first evening at Balbec long ago, that I clung to the minute in which my grandmother had leaned over me. The self that I then was, that had so long disappeared, was once again so close to me that I seemed still to hear the words that had just been spoken, albeit they were nothing more now than illusion, as a man who is half awake thinks he can still make out close at hand the sounds of his receding dream. I was nothing now but the person who sought a refuge in his grandmother′s arms, sought to wipe away the traces of his suffering by giving her kisses, that person whom I should have had as great difficulty in imagining when I was one or other of those persons which, for some time past, I had successively been, as the efforts, doomed in any event to sterility, that I should now have had to make to feel the desires and joys of any of those which, for a time at least, I no longer was. I reminded myself how, an hour before the moment at which my grandmother had stooped down like that, in her dressing gown, to unfasten my boots, as I wandered along the stiflingly hot street, past the pastry-cook′s, I had felt that I could never, in my need to feel her arms round me, live through the hour that I had still to spend without her. And now that this same need was reviving in me, I knew that I might wait hour after hour, that she would never again be by my side, I had only just discovered this because I had only just, on feeling her for the first time, alive, authentic, making my heart swell to breaking-point, on finding her at last, learned that I had lost her for ever. Lost for ever; I could not understand and was struggling to bear the anguish of this contradiction: on the one hand an existence, an affection, surviving in me as I had known them, that is to say created for me, a love in whose eyes everything found in me so entirely its complement, its goal, its constant lodestar, that the genius of great men, all the genius that might have existed from the beginning of the world would have been less precious to my grandmother than a single one of my defects; and on the other hand, as soon as I had lived over again that bliss, as though it were present, feeling it shot through by the certainty, throbbing like a physical anguish, of an annihilation that had effaced my image of that affection, had destroyed that existence, abolished in retrospect our interwoven destiny, made of my grandmother at the moment when I found her again as in a mirror, a mere stranger whom chance had allowed to spend a few years in my company, as it might have been in anyone′s else, but to whom, before and after those years, I was, I could be nothing.
Au lieu des plaisirs que j′avais eus depuis quelque temps, le seul qu′il m′eût été possible de goûter en ce moment c′eût été, retouchant le passé, de diminuer les douleurs que ma grand′mère avait autrefois ressenties. Or, je ne me la rappelais pas seulement dans cette robe de chambre, vêtement approprié, au point d′en devenir presque symbolique, aux fatigues, malsaines sans doute, mais douces aussi, qu′elle prenait pour moi; peu à peu voici que je me souvenais de toutes les occasions que j′avais saisies, en lui laissant voir, en lui exagérant au besoin mes souffrances, de lui faire une peine que je m′imaginais ensuite effacée par mes baisers, comme si ma tendresse eût été aussi capable que mon bonheur de faire le sien; et pis que cela, moi qui ne concevais plus de bonheur maintenant qu′à en pouvoir retrouver répandu dans mon souvenir sur les pentes de ce visage modelé et incliné par la tendresse, j′avais mis autrefois une rage insensée à chercher d′en extirper jusqu′aux plus petits plaisirs, tel ce jour où Saint–Loup avait fait la photographie de grand′mère et où, ayant peine à dissimuler à celle-ci la puérilité presque ridicule de la coquetterie qu′elle mettait à poser, avec son chapeau à grands bords, dans un demi-jour seyant, je m′étais laissé aller à murmurer quelques mots impatientés et blessants, qui, je l′avais senti à une contraction de son visage, avaient porté, l′avaient atteinte; c′était moi qu′ils déchiraient, maintenant qu′était impossible à jamais la consolation de mille baisers. Instead of the pleasures that I had been experiencing of late, the only pleasure that it would have been possible for me to enjoy at that moment would have been, by modifying the past, to diminish the sorrows and sufferings of my grandmother′s life. Now, I did not recall her only in that dressing-gown, a garment so appropriate as to have become almost their symbol to the labours, foolish no doubt but so lovable also, that she performed for me, gradually I began to remember all the opportunities that I had seized, by letting her perceive, by exaggerating if necessary my sufferings, to cause her a grief which I imagined as being obliterated immediately by my kisses, as though my affection had been as capable as my happiness of creating hers; and, what was worse, I, who could conceive no other happiness now than in finding happiness shed in my memory over the contours of that face, moulded and bowed by love, had set to work with frantic efforts, in the past, to destroy even its most modest pleasures, as on the day when Saint-Loup had taken my grandmother′s photograph and I, unable to conceal from her what I thought of the ridiculous childishness of the coquetry with which she posed for him, with her wide-brimmed hat, in a flattering half light, had allowed myself to mutter a few impatient, wounding words, which, I had perceived from a contraction of her features, had carried, had pierced her; it was I whose heart they were rending now that there was no longer possible, ever again, the consolation of a thousand kisses.
Mais jamais je ne pourrais plus effacer cette contraction de sa figure, et cette souffrance de son coeur, ou plutôt du mien; car comme les morts n′existent plus qu′en nous, c′est nous-mêmes que nous frappons sans relâche quand nous nous obstinons à nous souvenir des coups que nous leur avons assénés. Ces douleurs, si cruelles qu′elles fussent, je m′y attachais de toutes mes forces, car je sentais bien qu′elles étaient l′effet du souvenir de ma grand′mère, la preuve que ce souvenir que j′avais était bien présent en moi. Je sentais que je ne me la rappelais vraiment que par la douleur, et j′aurais voulu que s′enfonçassent plus solidement encore en moi ces clous qui y rivaient sa mémoire. Je ne cherchais pas à rendre la souffrance plus douce, à l′embellir, à feindre que ma grand′mère ne fût qu′absente et momentanément invisible, en adressant à sa photographie (celle que Saint–Loup avait faite et que j′avais avec moi) des paroles et des prières comme à un être séparé de nous mais qui, resté individuel, nous connaît et nous reste relié par une indissoluble harmonie. Jamais je ne le fis, car je ne tenais pas seulement à souffrir, mais à respecter l′originalité de ma souffrance telle que je l′avais subie tout d′un coup sans le vouloir, et je voulais continuer à la subir, suivant ses lois à elle, à chaque fois que revenait cette contradiction si étrange de la survivance et du néant entre-croisés en moi. Cette impression douloureuse et actuellement incompréhensible, je savais non certes pas si j′en dégagerais un peu de vérité un jour, mais que si, ce peu de vérité, je pouvais jamais l′extraire, ce ne pourrait être que d′elle, si particulière, si spontanée, qui n′avait été ni tracée par mon intelligence, ni atténuée par ma pusillanimité, mais que la mort elle-même, la brusque révélation de la mort, avait, comme la foudre, creusée en moi, selon un graphique surnaturel et inhumain, un double et mystérieux sillon. (Quant à l′oubli de ma grand′mère où j′avais vécu jusqu′ici, je ne pouvais même pas songer à m′attacher à lui pour en tirer de la vérité; puisque en lui-même il n′était rien qu′une négation, l′affaiblissement de la pensée incapable de recréer un moment réel de la vie et obligée de lui substituer des images conventionnelles et indifférentes.) Peut-être pourtant, l′instinct de conservation, l′ingéniosité de l′intelligence à nous préserver de la douleur, commençant déjà à construire sur des ruines encore fumantes, à poser les premières assises de son oeuvre utile et néfaste, goûtais-je trop la douceur de me rappeler tels et tels jugements de l′être chéri, de me les rappeler comme si elle eût pu les porter encore, comme si elle existait, comme si je continuais d′exister pour elle. Mais dès que je fus arrivé à m′endormir, à cette heure, plus véridique, où mes yeux se fermèrent aux choses du dehors, le monde du sommeil (sur le seuil duquel l′intelligence et la volonté momentanément paralysées ne pouvaient plus me disputer à la cruauté de mes impressions véritables) refléta, réfracta la douloureuse synthèse de la survivance et du néant, dans la profondeur organique et devenue translucide des viscères mystérieusement éclairés. But never should I be able to wipe out of my memory that contraction of her face, that anguish of her heart, or rather of my own: for as the dead exist only in us, it is ourselves that we strike without ceasing when we persist in recalling the blows that we have dealt them. To these griefs, cruel as they were, I clung with all my might and main, for I realised that they were the effect of my memory of my grandmother, the proof that this memory which I had of her was really present within me. I felt that I did not really recall her save by grief and should have liked to feel driven yet deeper into me these nails which fastened the memory of her to my consciousness. I did not seek to mitigate my suffering, to set it off, to pretend that my grandmother was only somewhere else and momentarily invisible, by addressing to her photograph (the one taken by Saint-Loup, which I had beside me) words and prayers as to a person who is separated from us but, retaining his personality, knows us and remains bound to us by an indissoluble harmony. Never did I do this, for I was determined not merely to suffer, but to respect the original form of my suffering, as it had suddenly come upon me unawares, and I wished to continue to feel it, according to its own laws, whenever those strange contradictory impressions of survival and obliteration crossed one another again in my mind. This painful and, at the moment, incomprehensible impression, I knew — not, forsooth, whether I should one day distil a grain of truth from it — but that if I ever should succeed in extracting that grain of truth, it could only be from it, from so singular, so spontaneous an impression, which had been neither traced by my intellect nor attenuated by my pusillanimity, but which death itself, the sudden revelation of death, had, like a stroke of lightning, carved upon me, along a supernatural, inhuman channel, a two-fold and mysterious furrow. (As for the state of forgetfulness of my grandmother in which I had been living until that moment, I could not even think of turning to it to extract truth from it; since in itself it was nothing but a negation, a weakening of the mind incapable of recreating a real moment of life and obliged to substitute for it conventional and neutral images.) Perhaps, however, as the instinct of preservation, the ingenuity of the mind in safeguarding us from grief, had begun already to build upon still smouldering ruins, to lay the first courses of its serviceable and ill-omened structure, I relished too keenly the delight of recalling this or that opinion held by my dear one, recalling them as though she had been able to hold them still, as though she existed, as though I continued to exist for her. But as soon as I had succeeded in falling asleep, at that more truthful hour when my eyes closed to the things of the outer world, the world of sleep (on whose frontier intellect and will, momentarily paralysed, could no longer strive to rescue me from the cruelty of my real impressions) reflected, refracted the agonising synthesis of survival and annihilation, in the mysteriously lightened darkness of my organs.
Monde du sommeil, où la connaissance interne, placée sous la dépendance des troubles de nos organes, accélère le rythme du coeur ou de la respiration, parce qu′une même dose d′effroi, de tristesse, de remords agit, avec une puissance centuplée si elle est ainsi injectée dans nos veines; dès que, pour y parcourir les artères de la cité souterraine, nous nous sommes embarqués sur les flots noirs de notre propre sang comme sur un Léthé intérieur aux sextuples replis, de grandes figures solennelles nous apparaissent, nous abordent et nous quittent, nous laissant en larmes. Je cherchai en vain celle de ma grand′mère dès que j′eus abordé sous les porches sombres; je savais pourtant qu′elle existait encore, mais d′une vie diminuée, aussi pâle que celle du souvenir; l′obscurité grandissait, et le vent; mon père n′arrivait pas qui devait me conduire à elle. Tout d′un coup la respiration me manqua, je sentis mon coeur comme durci, je venais de me rappeler que depuis de longues semaines j′avais oublié d′écrire à ma grand′mère. Que devait-elle penser de moi? «Mon Dieu, me disais-je, comme elle doit être malheureuse dans cette petite chambre qu′on a louée pour elle, aussi petite que pour une ancienne domestique, où elle est toute seule avec la garde qu′on a placée pour la soigner et où elle ne peut pas bouger, car elle est toujours un peu paralysée et n′a pas voulu une seule fois se lever. Elle doit croire que je l′oublie depuis qu′elle est morte; comme elle doit se sentir seule et abandonnée! Oh! il faut que je coure la voir, je ne peux pas attendre une minute, je ne peux pas attendre que mon père arrive; mais où est-ce? comment ai-je pu oublier l′adresse? pourvu qu′elle me reconnaisse encore! Comment ai-je pu l′oublier pendant des mois? Il fait noir, je ne trouverai pas, le vent m′empêche d′avancer; mais voici mon père qui se promène devant moi; je lui crie: «Où est grand′mère? dis-moi l′adresse. Est-elle bien? Est-ce bien sûr qu′elle ne manque de rien? — Mais non, me dit mon père, tu peux être tranquille. Sa garde est une personne ordonnée. On envoie de temps en temps une toute petite somme pour qu′on puisse lui acheter le peu qui lui est nécessaire. Elle demande quelquefois ce que tu es devenu. On lui a même dit que tu allais faire un livre. Elle a paru contente. Elle a essuyé une larme.» Alors je crus me rappeler qu′un peu après sa mort, ma grand′mère m′avait dit en sanglotant d′un air humble, comme une vieille servante chassée, comme une étrangère: «Tu me permettras bien de te voir quelquefois tout de même, ne me laisse pas trop d′années sans me visiter. Songe que tu as été mon petit-fils et que les grand′mères n′oublient pas.» En revoyant le visage si soumis, si malheureux, si doux qu′elle avait, je voulais courir immédiatement et lui dire ce que j′aurais dû lui répondre alors: «Mais, grand′mère, tu me verras autant que tu voudras, je n′ai que toi au monde, je ne te quitterai plus jamais.» Comme mon silence a dû la faire sangloter depuis tant de mois que je n′ai été là où elle est couchée, qu′a-t-elle pu se dire? Et c′est en sanglotant que moi aussi je dis à mon père: «Vite, vite, son adresse, conduis-moi.» Mais lui: «C′est que . . . je ne sais si tu pourras la voir, Et puis, tu sais, elle est très faible, très faible, elle n′est plus elle-même, je crois que ce te sera plutôt pénible. Et je ne me rappelle pas le numéro exact de l′avenue. — Mais dis-moi, toi qui sais, ce n′est pas vrai que les morts ne vivent plus. Ce n′est pas vrai tout de même, malgré ce qu′on dit, puisque grand′mère existe encore.» Mon père sourit tristement: «Oh! bien peu, tu sais, bien peu. Je crois que tu ferais mieux de n′y pas aller. Elle ne manque de rien. On vient tout mettre en ordre. — Mais elle est souvent seule? — Oui, mais cela vaut mieux pour elle. Il vaut mieux qu′elle ne pense pas, cela ne pourrait que lui faire de la peine. Cela fait souvent de la peine de penser. Du reste, tu sais, elle est très éteinte. Je te laisserai l′indication précise pour que tu puisses y aller; je ne vois pas ce que tu pourrais y faire et je ne crois pas que la garde te la laisserait voir. — Tu sais bien pourtant que je vivrai toujours près d′elle, cerfs, cerfs, Francis Jammes, fourchette.» Mais déjà j′avais retraversé le fleuve aux ténébreux méandres, j′étais remonté à la surface où s′ouvre le monde des vivants, aussi si je répétais encore: «Francis Jammes, cerfs, cerfs», la suite de ces mots ne m′offrait plus le sens limpide et la logique qu′ils exprimaient si naturellement pour moi il y a un instant encore, et que je ne pouvais plus me rappeler. Je ne comprenais plus même pourquoi le mot Alas, que m′avait dit tout à l′heure mon père, avait immédiatement signifié: «Prends garde d′avoir froid», sans aucun doute possible. J′avais oublié de fermer les volets, et sans doute le grand jour m′avait éveillé. Mais je ne pus supporter d′avoir sous les yeux ces flots de la mer que ma grand′mère pouvait autrefois contempler pendant des heures; l′image nouvelle de leur beauté indifférente se complétait aussitôt par l′idée qu′elle ne les voyait pas; j′aurais voulu boucher mes oreilles à leur bruit, car maintenant la plénitude lumineuse de la plage creusait un vide dans mon coeur; tout semblait me dire comme ces allées et ces pelouses d′un jardin public où je l′avais autrefois perdue, quand j′étais tout enfant: «Nous ne l′avons pas vue», et sous la rotondité du ciel pâle et divin je me sentais oppressé comme sous une immense cloche bleuâtre fermant un horizon où ma grand′mère n′était pas. Pour ne plus rien voir, je me tournai du côté du mur, mais hélas, ce qui était contre moi c′était cette cloison qui servait jadis entre nous deux de messager matinal, cette cloison qui, aussi docile qu′un violon à rendre toutes les nuances d′un sentiment, disait si exactement à ma grand′mère ma crainte à la fois de la réveiller, et, si elle était éveillée déjà, de n′être pas entendu d′elle et qu′elle n′osât bouger, puis aussitôt, comme la réplique d′un second instrument, m′annonçant sa venue et m′invitant au calme. Je n′osais pas approcher de cette cloison plus que d′un piano où ma grand′mère aurait joué et qui vibrerait encore de son toucher. Je savais que je pourrais frapper maintenant, même plus fort, que rien ne pourrait plus la réveiller, que je n′entendais aucune réponse, que ma grand′mère ne viendrait plus. Et je ne demandais rien de plus à Dieu, s′il existe un paradis, que d′y pouvoir frapper contre cette cloison les trois petits coups que ma grand′mère reconnaîtrait entre mille, et auxquels elle répondrait par ces autres coups qui voulaient dire: «Ne t′agite pas, petite souris, je comprends que tu es impatient, mais je vais venir», et qu′il me laissât rester avec elle toute l′éternité, qui ne serait pas trop longue pour nous deux. World of sleep in which our inner consciousness, placed in bondage to the disturbances of our organs, quickens the rhythm of heart or breath because a similar dose of terror, sorrow, remorse acts with a strength magnified an hundredfold if it is thus injected into our veins; as soon as, to traverse the arteries of the subterranean city, we have embarked upon the dark current of our own blood as upon an inward Lethe meandering sixfold, huge solemn forms appear to us, approach and glide away, leaving us in tears. I sought in vain for my grandmother′s form when I had stepped ashore beneath the sombre portals; I knew, indeed, that she did still exist, but with a diminished vitality, as pale as that of memory; the darkness was increasing, and the wind; my father, who was to take me where she was, did not appear. Suddenly my breath failed me, I felt my heart turn to stone; I had just remembered that for week after week I had forgotten to write to my grandmother. What must she be thinking of me? “Great God!” I said to myself, “how wretched she must be in that little room which they have taken for her, no bigger than what one would take for an old servant, where she is all alone with the nurse they have put there to look after her, from which she cannot stir, for she is still slightly paralysed and has always refused to rise from her bed. She must be thinking that I have forgotten her now that she is dead; how lonely she must be feeling, how deserted! Oh, I must run to see her, I mustn′t lose a minute, I mustn′t wait for my father to come, even — but where is it, how can I have forgotten the address, will she know me again, I wonder? How can I have forgotten her all these months?” It is so dark, I shall not find her; the wind is keeping me back; but look! there is my father walking ahead of me; I call out to him: “Where is grandmother? Tell me her address. Is she all right? Are you quite sure she has everything she wants?” “Why,” says my father, “you need not alarm yourself. Her nurse is well trained. We send her a trifle, from time to time, so that she can get your grandmother anything she may need. She asks, sometimes, how you are getting on. She was told that you were going to write a book. She seemed pleased. She wiped away a tear.” And then I fancied I could remember that, a little time after her death, my grandmother had said to me, crying, with a humble expression, like an old servant who has been given notice to leave, like a stranger, in fact: “You will let me see something of you occasionally, won′t you; don′t let too many years go by without visiting me. Remember that you were my grandson, once, and that grandmothers never forget.” And seeing again that face, so submissive, so sad, so tender, which was hers, I wanted to run to her at once and say to her, as I ought to have said to her then: “Why, grandmother, you can see me as often as you like, I have only you in the world, I shall never leave you any more.” What tears my silence must have made her shed through all those months in which I have never been to the place where she lies, what can she have been saying to herself about me? And it is in a voice choked with tears that I too shout to my father: “Quick, quick, her address, take me to her.” But he says: “Well . . . I don′t know whether you will be able to see her. Besides, you know, she is very frail now, very frail, she is not at all herself, I am afraid you would find it rather painful. And I can′t be quite certain of the number of the avenue.” “But tell me, you who know, it is not true that the dead have ceased to exist. It can′t possibly be true, in spite of what they say, because grandmother does exist still.” My father smiled a mournful smile: “Oh, hardly at all, you know, hardly at all. I think that it would be better if you did not go. She has everything that she wants. They come and keep the place tidy for her.” “But she is often left alone?” “Yes, but that is better for her. It is better for her not to think, which could only be bad for her. It often hurts her, when she tries to think. Besides, you know, she is quite lifeless now. I shall leave a note of the exact address, so that you can go to her; but I don′t see what good you can do there, and I don′t suppose the nurse will allow you to see her.” “You know quite well I shall always stay beside her, dear, deer, deer, Francis Jammes, fork.” But already I had retraced the dark meanderings of the stream, had ascended to the surface where the world of living people opens, so that if I still repeated: “Francis Jammes, deer, deer,” the sequence of these words no longer offered me the limpid meaning and logic which they had expressed to me so naturally an instant earlier and which I could not now recall. I could not even understand why the word ‘Aias′ which my father had just said to me, had immediately signified: “Take care you don′t catch cold,” without any possible doubt. I had forgotten to close the shutters, and so probably the daylight had awakened me. But I could not bear to have before my eyes those waves of the sea which my grandmother could formerly contemplate for hours on end; the fresh image of their heedless beauty was at once supplemented by the thought that she did not see them; I should have liked to stop my ears against their sound, for now the luminous plenitude of the beach carved out an emptiness in my heart; everything seemed to be saying to me, like those paths and lawns of a public garden in which I had once lost her, long ago, when I was still a child: “We have not seen her,” and beneath the hemisphere of the pale vault of heaven I felt myself crushed as though beneath a huge bell of bluish glass, enclosing an horizon within which my grandmother was not. To escape from the sight of it, I turned to the wall, but alas what was now facing me was that partition which used to serve us as a morning messenger, that partition which, as responsive as a violin in rendering every fine shade of sentiment, reported so exactly to my grandmother my fear at once of waking her and, if she were already awake, of not being heard by her and so of her not coming, then immediately, like a second instrument taking up the melody, informed me that she was coming and bade me be calm. I dared not put out my hand to that wall, any more than to a piano on which my grandmother had played and which still throbbed from her touch. I knew that I might knock now, even louder, that I should hear no response, that my grandmother would never come again. And I asked nothing better of God, if a Paradise exists, than to be able, there, to knock upon that wall the three little raps which my grandmother would know among a thousand, and to which she would reply with those other raps which said: “Don′t be alarmed, little mouse, I know you are impatient, but I am just coming,” and that He would let me remain with her throughout eternity which would not be too long for us.
Le directeur vint me demander si je ne voulais pas descendre. A tout hasard il avait veillé à mon «placement» dans la salle à manger. Comme il ne m′avait pas vu, il avait craint que je ne fusse repris de mes étouffements d′autrefois. Il espérait que ce ne serait qu′un tout petit «maux de gorge» et m′assura avoir entendu dire qu′on les calmait à l′aide de ce qu′il appelait: le «calyptus». The manager came in to ask whether I would not like to come down. He had most carefully supervised my ‘placement′ in the dining-room. As he had seen no sign of me, he had been afraid that I might have had another of my choking fits. He hoped that it might be only a little ‘sore throats′ and assured me that he had heard it said that they could be soothed with what he called ‘calyptus.′
Il me remit un petit mot d′Albertine. Elle n′avait pas dû venir à Balbec cette année, mais, ayant changé de projets, elle était depuis trois jours, non à Balbec même, mais à dix minutes par le tram, à une station voisine. Craignant que je ne fusse fatigué par le voyage, elle s′était abstenue pour le premier soir, mais me faisait demander quand je pourrais la recevoir. Je m′informai si elle était venue elle-même, non pour la voir, mais pour m′arranger à ne pas la voir. «Mais oui, me répondit le directeur. Mais elle voudrait que ce soit le plus tôt possible, à moins que vous n′ayez pas de raisons tout à fait nécessiteuses. Vous voyez, conclut-il, que tout le monde ici vous désire, en définitif.» Mais moi, je ne voulais voir personne. He brought me a message from Albertine. She was not supposed to be coming to Balbec that year but, having changed her plans, had been for the last three days not in Balbec itself but ten minutes away by the tram at a neighbouring watering-place. Fearing that I might be tired after the journey, she had stayed away the first evening, but sent word now to ask when I could see her. I inquired whether she had called in person, not that I wished to see her, but so that I might arrange not to see her. “Yes,” replied the manager. “But she would like it to be as soon as possible, unless you have not some quite necessitous reasons. You see,” he concluded, “that everybody here desires you, definitively.” But for my part, I wished to see nobody.
Et pourtant, la veille, à l′arrivée, je m′étais senti repris par le charme indolent de la vie de bains de mer. Le même lift, silencieux, cette fois, par respect, non par dédain, et rouge de plaisir, avait mis en marche l′ascenseur. M′élevant le long de la colonne montante, j′avais retraversé ce qui avait été autrefois pour moi le mystère d′un hôtel inconnu, où quand on arrive, touriste sans protection et sans prestige, chaque habitué qui rentre dans sa chambre, chaque jeune fille qui descend dîner, chaque bonne qui passe dans les couloirs étrangement délinéamentés, et la jeune fille venue d′Amérique avec sa dame de compagnie et qui descend dîner, jettent sur vous un regard où l′on ne lit rien de ce qu′on aurait voulu. Cette fois-ci, au contraire, j′avais éprouvé le plaisir trop reposant de faire la montée d′un hôtel connu, où je me sentais chez moi, où j′avais accompli une fois de plus cette opération toujours à recommencer, plus longue, plus difficile que le retournement de la paupière, et qui consiste à poser sur les choses l′âme qui nous est familière au lieu de la leur qui nous effrayait. Faudrait-il maintenant, m′étais-je dit, ne me doutant pas du brusque changement d′âme qui m′attendait, aller toujours dans d′autres hôtels, où je dînerais pour la première fois, où l′habitude n′aurait pas encore tué, à chaque étage, devant chaque porte, le dragon terrifiant qui semblait veiller sur une existence enchantée, où j′aurais à approcher de ces femmes inconnues que les palaces, les casinos, les plages ne font, à la façon des vastes polypiers, que réunir et faire vivre en commun? And yet the day before, on my arrival, I had felt myself recaptured by the indolent charm of a seaside existence. The same taciturn lift-boy, silent this time from respect and not from scorn, and glowing with pleasure, had set the lift in motion. As I rose upon the ascending column, I had passed once again through what had formerly been for me the mystery of a strange hotel, in which when you arrive, a tourist without protection or position, each old resident returning to his room, each chambermaid passing along the eery perspective of a corridor, not to mention the young lady from America with her companion, on their way down to dinner, give you a look in which you can read nothing that you would have liked to see. This time on the contrary I had felt the entirely soothing pleasure of passing up through an hotel that I knew, where I felt myself at home, where I had performed once again that operation which we must always start afresh, longer, more difficult than the turning outside in of an eyelid, which consists in investing things with the spirit that is familiar to us instead of their own which we found alarming. Must I always, I had asked myself, little thinking of the sudden change of mood that was in store for me, be going to strange hotels where I should be dining for the first time, where Habit would not yet have killed upon each landing, outside every door, the terrible dragon that seemed to be watching over an enchanted life, where I should have to approach those strange women whom fashionable hotels, casinos, watering-places, seem to draw together and endow with a common existence.
J′avais ressenti du plaisir même à ce que l′ennuyeux premier président fût si pressé de me voir; je voyais, pour le premier jour, des vagues, les chaînes de montagne d′azur de la mer, ses glaciers et ses cascades, son élévation et sa majesté négligente — rien qu′à sentir, pour la première fois depuis si longtemps, en me lavant les mains, cette odeur spéciale des savons trop parfumés du Grand-Hôtel — laquelle, semblant appartenir à la fois au moment présent et au séjour passé, flottait entre eux comme le charme réel d′une vie particulière où l′on ne rentre que pour changer de cravates. Les draps du lit, trop fins, trop légers, trop vastes, impossibles à border, à faire tenir, et qui restaient soufflés autour des couvertures en volutes mouvantes, m′eussent attristé autrefois. Ils bercèrent seulement, sur la rondeur incommode et bombée de leurs voiles, le soleil glorieux et plein d′espérances du premier matin. Mais celui-ci n′eut pas le temps de paraître. Dans la nuit même l′atroce et divine présence avait ressuscité. Je priai le directeur de s′en aller, de demander que personne n′entrât. Je lui dis que je resterais couché et repoussai son offre de faire chercher chez le pharmacien l′excellente drogue. Il fut ravi de mon refus car il craignait que des clients ne fussent incommodés par l′odeur du «calyptus». Ce qui me valut ce compliment: «Vous êtes dans le mouvement» (il voulait dire: «dans le vrai»), et cette recommandation: «Faites attention de ne pas vous salir à la porte, car, rapport aux serrures, je l′ai faite «induire» d′huile; si un employé se permettait de frapper à votre chambre il serait «roulé» de coups. Et qu′on se le tienne pour dit car je n′aime pas les «répétitions» (évidemment cela signifiait: je n′aime pas répéter deux fois les choses). Seulement, est-ce que vous ne voulez pas pour vous remonter un peu du vin vieux dont j′ai en bas une bourrique (sans doute pour barrique)? Je ne vous l′apporterai pas sur un plat d′argent comme la tête de Jonathan, et je vous préviens que ce n′est pas du Château-Lafite, mais c′est à peu près équivoque (pour équivalent). Et comme c′est léger, on pourrait vous faire frire une petite sole.» Je refusai le tout, mais fus surpris d′entendre le nom du poisson (la sole) être prononcé comme l′arbre le saule, par un homme qui avait dû en commander tant dans sa vie. I had found pleasure even in the thought that the boring chief magistrate was so eager to see me, I could see, on that first evening, the waves, the azure mountain ranges of the sea, its glaciers and its cataracts, its elevation and its careless majesty — merely upon smelling for the first time after so long an interval, as I washed my hands, that peculiar odour of the over-scented soaps of the Grand Hotel — which, seeming to belong at once to the present moment and to my past visit, floated between them like the real charm of a particular form of existence to which one returns only to change one′s necktie. The sheets on my bed, too fine, too light, too large, impossible to tuck in, to keep in position, which billowed out from beneath the blankets in moving whorls had distressed me before. Now they merely cradled upon the awkward, swelling fulness of their sails the glorious sunrise, big with hopes, of my first morning. But that sun had not time to appear. In the dead of night, the awful, godlike presence had returned to life. I asked the manager to leave me, and to give orders that no one was to enter my room. I told him that I should remain in bed and rejected his offer to send to the chemist′s for the excellent drug. He was delighted by my refusal for he was afraid that other visitors might be annoyed by the smell of the ‘calyptus.′ It earned me the compliment: “You are in the movement” (he meant: ‘in the right′), and the warning: “take care you don′t defile yourself at the door, I′ve had the lock ‘elucidated′ with oil; if any of the servants dares to knock at your door, he′ll be beaten ‘black and white.′ And they can mark my words, for I′m not a repeater” (this evidently meant that he did not say a thing twice). “But wouldn′t you care for a drop of old wine, just to set you up; I have a pig′s head of it downstairs” (presumably hogshead). “I shan′t bring it to you on a silver dish like the head of Jonathan, and I warn you that it is not Château-Lafite, but it is virtuously equivocal” (virtually equivalent). “And as it′s quite light, they might fry you a little sole.” I declined everything, but was surprised to hear the name of the fish (sole) pronounced like that of the King of Israel, Saul, by a man who must have ordered so many in his life.
Malgré les promesses du directeur, on m′apporta un peu plus tard la carte cornée de la marquise de Cambremer. Venue pour me voir, la vieille dame avait fait demander si j′étais là, et quand elle avait appris que mon arrivée datait seulement de la veille, et que j′étais souffrant, elle n′avait pas insisté, et (non sans s′arrêter sans doute devant le pharmacien, ou la mercière, chez lesquels le valet de pied, sautant du siège, entrait payer quelque note ou faire des provisions) la marquise était repartie pour Féterne, dans sa vieille calèche à huit ressorts attelée de deux chevaux. Assez souvent d′ailleurs, on entendait le roulement et on admirait l′apparat de celle-ci dans les rues de Balbec et de quelques autres petites localités de la côte, situées entre Balbec et Féterne. Non pas que ces arrêts chez des fournisseurs fussent le but de ces randonnées. Il était au contraire quelque goûter, ou garden-party, chez un hobereau ou un bourgeois fort indignes de la marquise. Mais celle-ci, quoique dominant de très haut, par sa naissance et sa fortune, la petite noblesse des environs, avait, dans sa bonté et sa simplicité parfaites, tellement peur de décevoir quelqu′un qui l′avait invitée, qu′elle se rendait aux plus insignifiantes réunions mondaines du voisinage. Certes, plutôt que de faire tant de chemin pour venir entendre, dans la chaleur d′un petit salon étouffant, une chanteuse généralement sans talent et qu′en sa qualité de grande dame de la région et de musicienne renommée il lui faudrait ensuite féliciter avec exagération, Mme de Cambremer eût préféré aller se promener ou rester dans ses merveilleux jardins de Féterne au bas desquels le flot assoupi d′une petite baie vient mourir au milieu des fleurs. Mais elle savait que sa venue probable avait été annoncée par le maître de maison, que ce fût un noble ou un franc-bourgeois de Maineville-la-Teinturière ou de Chatton-court-l′Orgueilleux. Or, si Mme de Cambremer était sortie ce jour-là sans faire acte de présence à la fête, tel ou tel des invités venu d′une des petites plages qui longent la mer avait pu entendre et voir la calèche de la marquise, ce qui eût ôté l′excuse de n′avoir pu quitter Féterne. D′autre part, ces maîtres de maison avaient beau avoir vu souvent Mme de Cambremer se rendre à des concerts donnés chez des gens où ils considéraient que ce n′était pas sa place d′être, la petite diminution qui, à leurs yeux, était, de ce fait, infligée à la situation de la trop bonne marquise disparaissait aussitôt que c′était eux qui recevaient, et c′est avec fièvre qu′ils se demandaient s′ils l′auraient ou non à leur petit goûter. Quel soulagement à des inquiétudes ressenties depuis plusieurs jours, si, après le premier morceau chanté par la fille des maîtres de la maison ou par quelque amateur en villégiature, un invité annonçait (signe infaillible que la marquise allait venir à la matinée) avoir vu les chevaux de la fameuse calèche arrêtés devant l′horloger ou le droguiste. Despite the manager′s promises, they brought me in a little later the turned down card of the Marquise de Cambremer. Having come over to see me, the old lady had sent to inquire whether I was there and when she heard that I had arrived only the day before, and was unwell, had not insisted, but (not without stopping, doubtless, at the chemist′s or the haberdasher′s, while the footman jumped down from the box and went in to pay a bill or to give an order) had driven back to Féterne, in her old barouche upon eight springs, drawn by a pair of horses. Not infrequently did one hear the rumble and admire the pomp of this carriage in the streets of Balbec and of various other little places along the coast, between Balbec and Féterne. Not that these halts outside shops were the object of these excursions. It was on the contrary some tea-party or garden-party at the house of some squire or functionary, socially quite unworthy of the Marquise. But she, although completely overshadowing, by her birth and wealth, the petty nobility of the district, was in her perfect goodness and simplicity of heart so afraid of disappointing anyone who had sent her an invitation that she would attend all the most insignificant social gatherings in the neighbourhood. Certainly, rather than travel such a distance to listen, in the stifling heat of a tiny drawing-room, to a singer who generally had no voice and whom in her capacity as the lady bountiful of the countryside and as a famous musician she would afterwards be compelled to congratulate with exaggerated warmth, Mme. de Cambremer would have preferred to go for a drive or to remain in her marvellous gardens at Féterne, at the foot of which the drowsy waters of a little bay float in to die amid the flowers. But she knew that the probability of her coming had been announced by the host, whether he was a noble or a free burgess of Maineville-la Teinturière or of Chattoncourt-l′Orgueilleux. And if Mme. de Cambremer had driven out that afternoon without making a formal appearance at the party, any of the guests who had come from one or other of the little places that lined the coast might have seen and heard the Marquise′s barouche, which would deprive her of the excuse that she had not been able to get away from Féterne. On the other hand, these hosts might have seen Mme. de Cambremer, time and again, appear at concerts given in houses which, they considered, were no place for her; the slight depreciation caused thereby, in their eyes, to the position of the too obliging Marquise vanished as soon as it was they who were entertaining her, and it was with feverish anxiety that they kept asking themselves whether or not they were going to have her at their ‘small party.′ What an allaying of the doubts and fears of days if, after the first song had been sung by the daughter of the house or by some amateur on holiday in the neighbourhood, one of the guests announced (an infallible sign that the Marquise was coming to the party) that he had seen the famous barouche and pair drawn up outside the watchmaker′s or the chemist′s!
Alors Mme de Cambremer (qui, en effet, n′allait pas tarder à entrer, suivie de sa belle-fille, des invités en ce moment à demeure chez elle, et qu′elle avait demandé la permission, accordée avec quelle joie, d′amener) reprenait tout son lustre aux yeux des maîtres de maison, pour lesquels la récompense de sa venue espérée avait peut-être été la cause déterminante et inavouée de la décision qu′ils avaient prise il y a un mois: s′infliger les tracas et faire les frais de donner une matinée. Voyant la marquise présente à leur goûter, ils se rappelaient non plus sa complaisance à se rendre à ceux de voisins peu qualifiés, mais l′ancienneté de sa famille, le luxe de son château, l′impolitesse de sa belle-fille née Legrandin qui, par son arrogance, relevait la bonhomie un peu fade de la belle-mère. Déjà ils croyaient lire, au courrier mondain du Gaulois, l′entrefilet qu′ils cuisineraient eux-mêmes en famille, toutes portes fermées à clef, sur «le petit coin de Bretagne où l′on s′amuse ferme, la matinée ultra-select où l′on ne s′est séparé qu′après avoir fait promettre aux maîtres de maison de bientôt recommencer». Chaque jour ils attendaient le journal, anxieux de ne pas avoir encore vu leur matinée y figurer, et craignant de n′avoir eu Mme de Cambremer que pour leurs seuls invités et non pour la multitude des lecteurs. Enfin le jour béni arrivait: «La saison est exceptionnellement brillante cette année à Balbec. La mode est aux petits concerts d′après-midi, etc . . . » Dieu merci, le nom de Mme de Cambremer avait été bien orthographié et «cité au hasard», mais en tête. Il ne restait plus qu′à paraître ennuyé de cette indiscrétion des journaux qui pouvait amener des brouilles avec les personnes qu′on n′avait pu inviter, et à demander hypocritement, devant Mme de Cambremer, qui avait pu avoir la perfidie d′envoyer cet écho dont la marquise bienveillante et grande dame, disait: «Je comprends que cela vous ennuie, mais pour moi je n′ai été que très heureuse qu′on me sût chez vous.» Thereupon Mme. de Cambremer (who indeed was to enter before long followed by her daughter-in-law, the guests who were staying with her at the moment and whom she had asked permission, granted with such joy, to bring) shone once more with undiminished lustre in the eyes of her host and hostess, to whom the hoped-for reward of her coming had perhaps been the determining if unavowed cause of the decision they had made a month earlier: to burden themselves with the trouble and expense of an afternoon party. Seeing the Marquise present at their gathering, they remembered no longer her readiness to attend those given by their less deserving neighbours, but the antiquity of her family, the splendour of her house, the rudeness of her daughter-in-law, born Legrandin, who by her arrogance emphasised the slightly insipid good-nature of the dowager. Already they could see in their mind′s eye, in the social column of the Gaulois, the paragraph which they would draft themselves in the family circle, with all the doors shut and barred, upon ‘the little corner of Brittany which is at present a whirl of gaiety, the select party from which the guests could hardly tear themselves away, promising their charming host and hostess that they would soon pay them another visit.′ Day after day they watched for the newspaper to arrive, worried that they had not yet seen any notice in it of their party, and afraid lest they should have had Mme. de Cambremer for their other guests alone and not for the whole reading public. At length the blessed day arrived: “The season is exceptionally brilliant this year at Balbec. Small afternoon concerts are the fashion. . . . ” Heaven be praised, Mme. de Cambremer′s name was spelt correctly, and included ‘among others we may mention′ but at the head of the list. All that remained was to appear annoyed at this journalistic indiscretion which might get them into difficulties with people whom they had not been able to invite, and to ask hypocritically in Mme. de Cambremer′s hearing who could have been so treacherous as to send the notice, upon which the Marquise, every inch the lady bountiful, said: “I can understand your being annoyed, but I must say I am only too delighted that people should know I was at your party.”
Sur la carte qu′on me remit, Mme de Cambremer avait griffonné qu′elle donnait une matinée le surlendemain. Et certes il y a seulement deux jours, si fatigué de vie mondaine que je fusse, c′eût été un vrai plaisir pour moi que de la goûter transplantée dans ces jardins où poussaient en pleine terre, grâce à l′exposition de Féterne, les figuiers, les palmiers, les plants de rosiers, jusque dans la mer souvent d′un calme et d′un bleu méditerranéens et sur laquelle le petit yacht des propriétaires allait, avant le commencement de la fête, chercher, dans les plages de l′autre côté de la baie, les invités les plus importants, servait, avec ses vélums tendus contre le soleil, quand tout le monde était arrivé, de salle à manger pour goûter, et repartait le soir reconduire ceux qu′il avait amenés. Luxe charmant, mais si coûteux que c′était en partie afin de parer aux dépenses qu′il entraînait que Mme de Cambremer avait cherché à augmenter ses revenus de différentes façons, et notamment en louant, pour la première fois, une de ses propriétés, fort différente de Féterne: la Raspelière. Oui, il y a deux jours, combien une telle matinée, peuplée de petits nobles inconnus, dans un cadre nouveau, m′eût changé de la «haute vie» parisienne! Mais maintenant les plaisirs n′avaient plus aucun sens pour moi. J′écrivis donc à Mme de Cambremer pour m′excuser, de même qu′une heure avant j′avais fait congédier Albertine: le chagrin avait aboli en moi la possibilité du désir aussi complètement qu′une forte fièvre coupe l′appétit . . . Ma mère devait arriver le lendemain. Il me semblait que j′étais moins indigne de vivre auprès d′elle, que je la comprendrais mieux, maintenant que toute une vie étrangère et dégradante avait fait place à la remontée des souvenirs déchirants qui ceignaient et ennoblissaient mon âme, comme la sienne, de leur couronne d′épines. Je le croyais; en réalité il y a bien loin des chagrins véritables comme était celui de maman — qui vous ôtent littéralement la vie pour bien longtemps, quelquefois pour toujours, dès qu′on a perdu l′être qu′on aime —à ces autres chagrins, passagers malgré tout, comme devait être le mien, qui s′en vont vite comme ils sont venus tard, qu′on ne connaît que longtemps après l′événement parce qu′on a eu besoin pour les ressentir de les comprendre; chagrins comme tant de gens en éprouvent, et dont celui qui était actuellement ma torture ne se différenciait que par cette modalité du souvenir involontaire. On the card that was brought me, Mme. de Cambremer had scribbled the message that she was giving an afternoon party ‘the day after tomorrow.′ To be sure, as recently as the day before yesterday, tired as I was of the social round, it would have been a real pleasure to me to taste it, transplanted amid those gardens in which there grew in the open air, thanks to the exposure of Féterne, fig trees, palms, rose bushes extending down to a sea as blue and calm often as the Mediterranean, upon which the host′s little yacht sped across, before the party began, to fetch from the places on the other side of the bay the most important guests, served, with its awnings spread to shut out the sun, after the party had assembled, as an open air refreshment room, and set sail again in the evening to take back those whom it had brought. A charming luxury, but so costly that it was partly to meet the expenditure that it entailed that Mme. de Cambremer had sought to increase her income in various ways, and notably by letting, for the first time, one of her properties very different from Féterne: la Raspelière. Yes, two days earlier, how welcome such a party, peopled with minor nobles all unknown to me, would have been to me as a change from the ‘high life′ of Paris. But now pleasures had no longer any meaning for me. And so I wrote to Mme. de Cambremer to decline, just as, an hour ago, I had put off Albertine: grief had destroyed in me the possibility of desire as completely as a high fever takes away one′s appetite. . . . My mother was to arrive on the morrow. I felt that I was less unworthy to live in her company, that I should understand her better, now that an alien and degrading existence had wholly given place to the resurging, heartrending memories that wreathed and ennobled my soul, like her own, with their crown of thorns. I thought so: in reality there is a world of difference between real griefs, like my mother′s, which literally crush out our life for years if not for ever, when we have lost the person we love — and those other griefs, transitory when all is said, as mine was to be, which pass as quickly as they have been slow in coming, which we do not realise until long after the event, because, in order to feel them, we need first to understand them; griefs such as so many people feel, from which the grief that was torturing me at this moment differed only in assuming the form of unconscious memory.
Quant à un chagrin aussi profond que celui de ma mère, je devais le connaître un jour, on le verra dans la suite de ce récit, mais ce n′était pas maintenant, ni ainsi que je me le figurais. Néanmoins, comme un récitant qui devrait connaître son rôle et être à sa place depuis bien longtemps mais qui est arrivé seulement à la dernière seconde et, n′ayant lu qu′une fois ce qu′il a à dire, sait dissimuler assez habilement, quand vient le moment où il doit donner la réplique, pour que personne ne puisse s′apercevoir de son retard, mon chagrin tout nouveau me permit, quand ma mère arriva, de lui parler comme s′il avait toujours été le même. Elle crut seulement que la vue de ces lieux où j′avais été avec ma grand′mère (et ce n′était d′ailleurs pas cela) l′avait réveillé. Pour la première fois alors, et parce que j′avais une douleur qui n′était rien à côté de la sienne, mais qui m′ouvrait les yeux, je me rendis compte avec épouvante de ce qu′elle pouvait souffrir. Pour la première fois je compris que ce regard fixe et sans pleurs (ce qui faisait que Françoise la plaignait peu) qu′elle avait depuis la mort de ma grand′mère était arrêté sur cette incompréhensible contradiction du souvenir et du néant. D′ailleurs, quoique toujours dans ses voiles noirs, plus habillée dans ce pays nouveau, j′étais plus frappé de la transformation qui s′était accomplie en elle. Ce n′est pas assez de dire qu′elle avait perdu toute gaîté; fondue, figée en une sorte d′image implorante, elle semblait avoir peur d′offenser d′un mouvement trop brusque, d′un son de voix trop haut, la présence douloureuse qui ne la quittait pas. Mais surtout, dès que je la vis entrer, dans son manteau de crêpe, je m′aperçus — ce qui m′avait échappé à Paris — que ce n′était plus ma mère que j′avais sous les yeux, mais ma grand′mère. Comme dans les familles royales et ducales, à la mort du chef le fils prend son titre et, de duc d′Orléans, de prince de Tarente ou de prince des Laumes, devient roi de France, duc de la Trémoe, duc de Guermantes, ainsi souvent, par un avènement d′un autre ordre et de plus profonde origine, le mort saisit le vif qui devient son successeur ressemblant, le continuateur de sa vie interrompue. Peut-être le grand chagrin qui suit, chez une fille telle qu′était maman, la mort de sa mère, ne fait-il que briser plus tôt la chrysalide, hâter la métamorphose et l′apparition d′un être qu′on porte en soi et qui, sans cette crise qui fait brûler les étapes et sauter d′un seul coup des périodes, ne fût survenu que plus lentement. Peut-être dans le regret de celle qui n′est plus y a-t-il une espèce de suggestion qui finit par amener sur nos traits des similitudes que nous avions d′ailleurs en puissance, et y a-t-il surtout arrêt de notre activité plus particulièrement individuelle (chez ma mère, de son bon sens, de la gaîté moqueuse qu′elle tenait de son père), que nous ne craignions pas, tant que vivait l′être bien-aimé, d′exercer, fût-ce à ses dépens, et qui contre-balançait le caractère que nous tenions exclusivement de lui. Une fois qu′elle est morte, nous aurions scrupule à être autre, nous n′admirons plus que ce qu′elle était, ce que nous étions déjà, mais mêlé à autre chose, et ce que nous allons être désormais uniquement. C′est dans ce sens-là (et non dans celui si vague, si faux où on l′entend généralement) qu′on peut dire que la mort n′est pas inutile, que le mort continue à agir sur nous. Il agit même plus qu′un vivant parce que, la véritable réalité n′étant dégagée que par l′esprit, étant l′objet d′une opération spirituelle, nous ne connaissons vraiment que ce que nous sommes obligés de recréer par la pensée, ce que nous cache la vie de tous les jours . . . Enfin dans ce culte du regret pour nos morts, nous vouons une idolâtrie à ce qu′ils ont aimé. Non seulement ma mère ne pouvait se séparer du sac de ma grand′mère, devenu plus précieux que s′il eût été de saphirs et de diamants, de son manchon, de tous ces vêtements qui accentuaient encore la ressemblance d′aspect entre elles deux, mais même des volumes de Mme de Sévigné que ma grand′mère avait toujours avec elle, exemplaires que ma mère n′eût pas changés contre le manuscrit même des lettres. Elle plaisantait autrefois ma grand′mère qui ne lui écrivait jamais une fois sans citer une phrase de Mme de Sévigné ou de Mme de Beausergent. Dans chacune des trois lettres que je reçus de maman avant son arrivée à Balbec, elle me cita Mme de Sévigné comme si ces trois lettres eussent été non pas adressées par elle à moi, mais par ma grand′mère adressées à elle. Elle voulut descendre sur la digue voir cette plage dont ma grand′mère lui parlait tous les jours en lui écrivant. Tenant à la main l′«en tous cas» de sa mère, je la vis de la fenêtre s′avancer toute noire, à pas timides, pieux, sur le sable que des pieds chéris avaient foulé avant elle, et elle avait l′air d′aller à la recherche d′une morte que les flots devaient ramener. Pour ne pas la laisser dîner seule, je dus descendre avec elle. Le premier président et la veuve du bâtonnier se firent présenter à elle. Et tout ce qui avait rapport à ma grand′mère lui était si sensible qu′elle fut touchée infiniment, garda toujours le souvenir et la reconnaissance de ce que lui dit le premier président, comme elle souffrit avec indignation de ce qu′au contraire la femme du bâtonnier n′eût pas une parole de souvenir pour la morte. En réalité, le premier président ne se souciait pas plus d′elle que la femme du bâtonnier. Les paroles émues de l′un et le silence de l′autre, bien que ma mère mît entre eux une telle différence, n′étaient qu′une façon diverse d′exprimer cette indifférence que nous inspirent les morts. Mais je crois que ma mère trouva surtout de la douceur dans les paroles où, malgré moi, je laissai passer un peu de ma souffrance. Elle ne pouvait que rendre maman heureuse (malgré toute la tendresse qu′elle avait pour moi), comme tout ce qui assurait à ma grand′mère une survivance dans les coeurs. Tous les jours suivants ma mère descendit s′asseoir sur la plage, pour faire exactement ce que sa mère avait fait, et elle lisait ses deux livres préférés, les Mémoires de Mme de Beausergent et les Lettres de Mme de Sévigné. Elle, et aucun de nous, n′avait pu supporter qu′on appelât cette dernière la «spirituelle marquise», pas plus que La Fontaine «le Bonhomme». Mais quand elle lisait dans les lettres ces mots: «ma fille», elle croyait entendre sa mère lui parler. That I was one day to experience a grief as profound as that of my mother, we shall find in the course of this narrative, but it was neither then nor thus that I imagined it. Nevertheless, like a principal actor who ought to have learned his part and to have been in his place long beforehand but has arrived only at the last moment and, having read over once only what he has to say, manages to ‘gag′ so skilfully when his cue comes that nobody notices his unpunctuality, my new-found grief enabled me, when my mother came, to talk to her as though it had existed always. She supposed merely that the sight of these places which I had visited with my grandmother (which was not at all the case) had revived it. For the first time then, and because I felt a sorrow which was nothing compared with hers, but which opened my eyes, I realised and was appalled to think what she must be suffering. For the first time I understood that the fixed and tearless gaze (which made Françoise withhold her sympathy) that she had worn since my grandmother′s death had been arrested by that incomprehensible contradiction of memory and nonexistence. Besides, since she was, although still in deep mourning, more fashionably dressed in this strange place, I was more struck by the transformation that had occurred in her. It is not enough to say that she had lost all her gaiety; melted, congealed into a sort of imploring image, she seemed to be afraid of shocking by too sudden a movement, by too loud a tone, the sorrowful presence that never parted from her. But, what struck me most of all, when I saw her cloak of crape, was — what had never occurred to me in Paris — that it was no longer my mother that I saw before me, but my grandmother. As, in royal and princely families, upon the death of the head of the house his son takes his title and, from being Duc d′Orléans, Prince de Tarente or Prince des Laumes, becomes King of France, Duc de la Trémoe, Duc de Guermantes, so by an accession of a different order and more remote origin, the dead man takes possession of the living who becomes his image and successor, carries on his interrupted life. Perhaps the great sorrow that follows, in a daughter such as Mamma, the death of her mother only makes the chrysalis break open a little sooner, hastens the metamorphosis and the appearance of a person whom we carry within us and who, but for this crisis which annihilates time and space, would have come more gradually to the surface. Perhaps, in our regret for her who is no more, there is a sort of auto-suggestion which ends by bringing out on our features resemblances which potentially we already bore, and above all a cessation of our most characteristically personal activity (in my mother, her common sense, the sarcastic gaiety that she inherited from her father) which we did not shrink, so long as the beloved was alive, from exercising, even at her expense, and which counterbalanced the traits that we derived exclusively from her. Once she is dead, we should hesitate to be different, we begin to admire only what she was, what we ourselves already were only blended with something else, and what in future we are to be exclusively. It is in this sense (and not in that other, so vague, so false, in which the phrase is generally used) that we may say that death is not in vain, that the dead man continues to react upon us. He reacts even more than a living man because, true reality being discoverable only by the mind, being the object of a spiritual operation, we acquire a true knowledge only of things that we are obliged to create anew by thought, things that are hidden′ from us in everyday life. . . . Lastly, in our mourning for our dead we pay an idolatrous worship to the things that they liked. Not only could not my mother bear to be parted from my grandmother′s bag, become more precious than if it had been studded with sapphires and diamonds, from her muff, from all those garments which served to enhance their personal resemblance, but even from the volumes of Mme. de Sévigné which my grandmother took with her everywhere, copies which my mother would not have exchanged for the original manuscript of the letters. She had often teased my grandmother who could never write to her without quoting some phrase of Mme. de Sévigné or Mme. de Beausergent. In each of the three letters that I received from Mamma before her arrival at Balbec, she quoted Mme. de Sévigné to me, as though those three letters had been written not by her to me but by my grandmother and to her. She must at once go out upon the front to see that beach of which my grandmother had spoken to her every day in her letters. Carrying her mother′s sunshade, I saw her from my window advance, a sable figure, with timid, pious steps, over the sands that beloved feet had trodden before her, and she looked as though she were going down to find a corpse which the waves would cast up at her feet. So that she should not have to dine by herself, I was to join her downstairs. The chief magistrate and the barrister′s widow asked to be introduced to her. And everything that was in any way connected with my grandmother was so precious to her that she was deeply touched, remembered ever afterwards with gratitude what the chief magistrate had said to her, just as she was hurt and indignant that, the barrister′s wife had not a word to say in memory of the dead. In reality, the chief magistrate was no more concerned about my grandmother than the barrister′s wife. The heartfelt words of the one and the other′s silence, for all that my mother imagined so vast a difference between them, were but alternative ways of expressing that indifference which we feel towards the dead. But I think that my mother found most comfort in the words in which, quite involuntarily, I conveyed to her a little of my own anguish. It could not but make Mamma happy (notwithstanding all her affection for myself), like everything else that guaranteed my grandmother survival in our hearts. Daily after this my mother went down and sat upon the beach, so as to do exactly what her mother had done, and read her mother′s two favourite books, the Memoirs of Madame de Beausergent and the Letters of Madame de Sévigné. She, like all the rest of us, could not bear to hear the latter lady called the ‘spirituelle Marquise′ any more than to hear La Fontaine called ‘le Bonhomme.′ But when, in reading the Letters, she came upon the words: ‘My daughter,′ she seemed to be listening to her mother′s voice.
Elle eut la mauvaise chance, dans un de ces pèlerinages où elle ne voulait pas être troublée, de rencontrer sur la plage une dame de Combray, suivie de ses filles. Je crois que son nom était Mme Poussin. Mais nous ne l′appelions jamais entre nous que «Tu m′en diras des nouvelles», car c′est par cette phrase perpétuellement répétée qu′elle avertissait ses filles des maux qu′elles se préparaient, par exemple en disant à l′une qui se frottait les yeux: «Quand tu auras une bonne ophtalmie, tu m′en diras des nouvelles.» Elle adressa de loin à maman de longs saluts éplorés, non en signe de condoléance, mais par genre d′éducation. Elle eût fait de même si nous n′eussions pas perdu ma grand′mère et n′eussions eu que des raisons d′être heureux. Vivant assez retirée à Combray, dans un immense jardin, elle ne trouvait jamais rien assez doux et faisait subir des adoucissements aux mots et aux noms mêmes de la langue française. Elle trouvait trop dur d′appeler «cuiller» la pièce d′argenterie qui versait ses sirops, et disait en conséquence «cueiller»; elle eût eu peur de brusquer le doux chantre de Télémaque en l′appelant rudement Fénelon — comme je faisais moi-même en connaissance de cause, ayant pour ami le plus cher l′être le plus intelligent, bon et brave, inoubliable à tous ceux qui l′ont connu, Bertrand de Fénelon — et elle ne disait jamais que «Fénélon» trouvant que l′accent aigu ajoutait quelque mollesse. Le gendre, moins doux, de cette Mme Poussin, et duquel j′ai oublié le nom, étant notaire à Combray, emporta la caisse et fit perdre à mon oncle, notamment, une assez forte somme. Mais la plupart des gens de Combray étaient si bien avec les autres membres de la famille qu′il n′en résulta aucun froid et qu′on se contenta de plaindre Mme Poussin. Elle ne recevait pas, mais chaque fois qu′on passait devant sa grille on s′arrêtait à admirer ses admirables ombrages, sans pouvoir distinguer autre chose. Elle ne nous gêna guère à Balbec où je ne la rencontrai qu′une fois, à un moment où elle disait à sa fille en train de se ronger les ongles: «Quand tu auras un bon panaris, tu m′en diras des nouvelles.» She had the misfortune, upon one of these pilgrimages during which she did not like to be disturbed, to meet upon the beach a lady from Combray, accompanied by her daughters. Her name was, I think, Madame Poussin. But among ourselves we always referred to her as the ‘Pretty Kettle of Fish,′ for it was by the perpetual repetition of this phrase that she warned her daughters of the evils that they were laying up for themselves, saying for instance if one of them was rubbing her eyes: “When you go and get ophthalmia, that will be a pretty kettle of fish.” She greeted my mother from afar with slow and melancholy bows, a sign not of condolence but of the nature of her social training. We might never have lost my grandmother, or had any reason to be anything but happy. Living in comparative retirement at Combray within the walls of her large garden, she could never find anything soft enough to her liking, and subjected to a softening process the words and even the proper names of the French language. She felt ‘spoon′ to be too hard a word to apply to the piece of silver which measured out her syrups, and said, in consequence, ‘spune′; she would have been afraid of hurting the feelings of the sweet singer of Télémaque by calling him bluntly Fénelon — as I myself said with a clear conscience, having had as a friend the dearest and cleverest of men, good and gallant, never to be forgotten by any that knew him, Bertrand de Fénelon — and never said anything but ‘Fénelon,′ feeling that the acute accent added a certain softness. The far from soft son-in-law of this Madame Poussin, whose name I have forgotten, having been a lawyer at Combray, ran off with the contents of the safe, and relieved my uncle among others of a considerable sum of money. But most of the people of Combray were on such friendly terms with the rest of the family that no coolness ensued and her neighbours said merely that they were sorry for Madame Poussin. She never entertained, but whenever people passed by her railings they would stop to admire the delicious shade of her trees′, which was the only thing that could be made out. She gave us no trouble at Balbec, where I encountered her only once, at a moment when she was saying to a daughter who was biting her nails: “When they begin to fester, that will be a pretty kettle of fish.”
Pendant que maman lisait sur la plage je restais seul dans ma chambre. Je me rappelais les derniers temps de la vie de ma grand′mère et tout ce qui se rapportait à eux, la porte de l′escalier qui était maintenue ouverte quand nous étions sortis pour sa dernière promenade. En contraste avec tout cela, le reste du monde semblait à peine réel et ma souffrance l′empoisonnait tout entier. Enfin ma mère exigea que je sortisse. Mais, à chaque pas, quelque aspect oublié du Casino, de la rue où en l′attendant, le premier soir, j′étais allé jusqu′au monument de Duguay–Trouin, m′empêchait, comme un vent contre lequel on ne peut lutter, d′aller plus avant; je baissais les yeux pour ne pas voir. Et après avoir repris quelque force, je revenais vers l′hôtel, vers l′hôtel où je savais qu′il était désormais impossible que, si longtemps dussé-je attendre, je retrouvasse ma grand′mère, que j′avais retrouvée autrefois, le premier soir d′arrivée. Comme c′était la première fois que je sortais, beaucoup de domestiques que je n′avais pas encore vus me regardèrent curieusement. Sur le seuil même de l′hôtel, un jeune chasseur ôta sa casquette pour me saluer et la remit prestement. Je crus qu′Aimé lui avait, selon son expression, «passé la consigne» d′avoir des égards pour moi. Mais je vis au même moment que, pour une autre personne qui rentrait, il l′enleva de nouveau. La vérité était que, dans la vie, ce jeune homme ne savait qu′ôter et remettre sa casquette, et le faisait parfaitement bien. Ayant compris qu′il était incapable d′autre chose et qu′il excellait dans celle-là, il l′accomplissait le plus grand nombre de fois qu′il pouvait par jour, ce qui lui valait de la part des clients une sympathie discrète mais générale, une grande sympathie aussi de la part du concierge à qui revenait la tâche d′engager les chasseurs et qui, jusqu′à cet oiseau rare, n′avait pas pu en trouver un qui ne se fît renvoyer en moins de huit jours, au grand étonnement d′Aimé qui disait: «Pourtant, dans ce métier-là, on ne leur demande guère que d′être poli, ça ne devrait pas être si difficile.» Le directeur tenait aussi à ce qu′ils eussent ce qu′il appelait une belle «présence», voulant dire qu′ils restassent là, ou plutôt ayant mal retenu le mot prestance. L′aspect de la pelouse qui s′étendait derrière l′hôtel avait été modifié par la création de quelques plates-bandes fleuries et l′enlèvement non seulement d′un arbuste exotique, mais du chasseur qui, la première année, décorait extérieurement l′entrée par la tige souple de sa taille et la coloration curieuse de sa chevelure. Il avait suivi une comtesse polonaise qui l′avait pris comme secrétaire, imitant en cela ses deux aînés et sa soeur dactylographe, arrachés à l′hôtel par des personnalités de pays et de sexe divers, qui s′étaient éprises de leur charme. Seul demeurait leur cadet, dont personne ne voulait parce qu′il louchait. Il était fort heureux quand la comtesse polonaise et les protecteurs des deux autres venaient passer quelque temps à l′hôtel de Balbec. While Mamma sat reading on the beach I remained in my room by myself. I recalled the last weeks of my grandmother′s life, and everything connected with them, the outer door of the flat which had been propped open when I went out with her for the last time. In contrast to all this the rest of the world seemed scarcely real and my anguish poisoned everything in it. Finally my mother insisted upon my going out. But at every step, some forgotten view of the casino, of the street along which, as I waited until she was ready, that first evening, I had walked as far as the monument to Duguay-Trouin, prevented me, like a wind against which it is hopeless to struggle, from going farther; I lowered my eyes in order not to see. And after I had recovered my strength a little I turned back towards the hotel, the hotel in which I knew that it was henceforth impossible that, however long I might wait, I should find my grandmother, whom I had found there before, on the evening of our arrival. As it was the first time that I had gone out of doors, a number of servants whom I had not yet seen were gazing at me curiously. Upon the very threshold of the hotel a young page took off his cap to greet me and at once put it on again. I supposed that Aimé had, to borrow his own expression, ‘given him the office′ to treat me with respect. But I saw a moment later that, as some one else entered the hotel, he doffed it again. The fact of the matter was that this young man had no other occupation in life than to take off and put on his cap, and did it to perfection. Having realised that he was incapable of doing anything else and that in this art he excelled, he practised it as often as was possible daily, which won him a discreet but widespread regard from the visitors, coupled with great regard from the hall porter upon whom devolved the duty of engaging the boys and who, until this rare bird alighted, had never succeeded in finding one who did not receive notice within a week, greatly to the astonishment of Aimé who used to say: “After all, in that job they′ve only got to be polite, which can′t be so very difficult.” The manager required in addition that they should have what he called a good ‘presence,′ meaning thereby that they should not be absent from their posts, or perhaps having heard the word ‘presence′ used of personal appearance. The appearance of the lawn behind the hotel had been altered by the creation of several flower-beds and by the removal not only of an exotic shrub but of the page who, at the time of my former visit, used to provide an external decoration with the supple stem of his figure crowned by the curious colouring of his hair. He had gone with a Polish countess who had taken him as her secretary, following the example of his two elder brothers and their typist sister, torn from the hotel by persons of different race and sex who had been attracted by their charm. The only one remaining was the youngest, whom nobody wanted, because he squinted. He was highly delighted when the Polish countess or the protectors of the other two brothers came on a visit to the hotel at Balbec.
Car, malgré qu′il enviât ses frères, il les aimait et pouvait ainsi, pendant quelques semaines, cultiver des sentiments de famille. L′abbesse de Fontevrault n′avait-elle pas l′habitude, quittant pour cela ses moinesses, de venir partager l′hospitalité qu′offrait Louis XIV à cette autre Mortemart, sa maîtresse, Mme de Montespan? Pour lui, c′était la première année qu′il était à Balbec; il ne me connaissait pas encore, mais ayant entendu ses camarades plus anciens faire suivre, quand ils me parlaient, le mot de Monsieur de mon nom, il les imita dès la première fois avec l′air de satisfaction, soit de manifester son instruction relativement à une personnalité qu′il jugeait connue, soit de se conformer à un usage qu′il ignorait il y a cinq minutes, mais auquel il lui semblait qu′il était indispensable de ne pas manquer. Je comprenais très bien le charme que ce grand palace pouvait offrir à certaines personnes. Il était dressé comme un théâtre, et une nombreuse figuration, l′animait jusque dans les plinthes. Bien que le client ne fût qu′une sorte de spectateur, il était mêlé perpétuellement au spectacle, non même comme dans ces théâtres où les acteurs jouent une scène dans la salle, mais comme si la vie du spectateur se déroulait au milieu des somptuosités de la scène. Le joueur de tennis pouvait rentrer en veston de flanelle blanche, le concierge s′était mis en habit bleu galonné d′argent pour lui donner ses lettres. Si ce joueur de tennis ne voulait pas monter à pied, il n′était pas moins mêlé aux acteurs en ayant à côté de lui pour faire monter l′ascenseur le lift aussi richement costumé. Les couloirs des étages dérobaient une fuite de caméristes et de couturières, belles sur la mer et jusqu′aux petites chambres desquelles les amateurs de la beauté féminine ancillaire arrivaient par de savants détours. En bas, c′était l′élément masculin qui dominait et faisait de cet hôtel, à cause de l′extrême et oisive jeunesse des serviteurs, comme une sorte de tragédie judéo-chrétienne ayant pris corps et perpétuellement représentée. Aussi ne pouvais-je m′empêcher de me dire à moi-même, en les voyant, non certes les vers de Racine qui m′étaient venus à l′esprit chez la princesse de Guermantes tandis que M. de Vaugoubert regardait de jeunes secrétaires d′ambassade saluant M. de Charlus, mais d′autres vers de Racine, cette fois-ci non plus d′Esther, mais d′Athalie: car dès le hall, ce qu′au XVII^e siècle on appelait les Portiques, «un peuple florissant» de jeunes chasseurs se tenait, surtout à l′heure du goûter, comme les jeunes Israélites des choeurs de Racine. Mais je ne crois pas qu′un seul eût pu fournir même la vague réponse que Joas trouve pour Athalie quand celle-ci demande au prince enfant: «Quel est donc votre emploi?» car ils n′en avaient aucun. Tout au plus, si l′on avait demandé à n′importe lequel d′entre eux, comme la nouvelle Reine: «Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu, à quoi s′occupe-t-il?», aurait-il pu dire: «Je vois l′ordre pompeux de ces cérémonies et j′y contribue.» Parfois un des jeunes figurants allait vers quelque personnage plus important, puis cette jeune beauté rentrait dans le choeur, et, à moins que ce ne fût l′instant d′une détente contemplative, tous entrelaçaient leurs évolutions inutiles, respectueuses, décoratives et quotidiennes. Car, sauf leur «jour de sortie», «loin du monde élevés» et ne franchissant pas le parvis, ils menaient la même existence ecclésiastique que les lévites dans Athalie, et devant cette «troupe jeune et fidèle» jouant aux pieds des degrés couverts de tapis magnifiques, je pouvais me demander si je pénétrais dans le grand hôtel de Balbec ou dans le temple de Salomon. For, albeit he was jealous of his brothers, he was fond of them and could in this way cultivate his family affections for a few weeks in the year. Was not the Abbess of Fontevrault accustomed, deserting her nuns for the occasion, to come and partake of the hospitality which Louis XIV offered to that other Mortemart, his mistress, Madame de Montespan? The boy was still in his first year at Balbec; he did not as yet know me, but having heard his comrades of longer standing supplement the word ‘Monsieur,′ when they addressed me, with my surname, he copied them from the first with an air of satisfaction, whether at shewing his familiarity with a person whom he supposed to be well-known, or at conforming with a custom of which five minutes earlier he had never heard but which he felt it to be indispensable that he should not fail to observe. I could quite well appreciate the charm that this great ‘Palace′ might have for certain persons. It was arranged like a theatre, and a numerous cast filled it to the doors with animation. For all that the visitor was only a sort of spectator, he was perpetually taking part in the performance, and that not as in one of those theatres where the actors perform a play among the audience, but as though the life of the spectator were going on amid the sumptuous fittings of the stage. The lawn-tennis player might come in wearing a white flannel blazer, the porter would have put on a blue frock coat with silver braid before handing him his letters. If this lawn-tennis player did not choose to walk upstairs, he was equally involved with the actors in having by his side, to propel the lift, its attendant no less richly attired. The corridors on each landing engulfed a flying band of nymphlike chambermaids, fair visions against the sea, at whose modest chambers the admirers of feminine beauty arrived by cunning detours. Downstairs, it was the masculine element that predominated and made this hotel, in view of the extreme and effortless youth of the servants, a sort of Judaeo-Christian tragedy given bodily form and perpetually in performance. And so I could not help repeating to myself, when I saw them, not indeed the lines of Racine that had come into my head at the Princesse de Guermantes′s while M. de Vaugoubert stood watching young secretaries of embassy greet M. de Charlus, but other lines of Racine, taken this time not from Esther but from Athalie: for in the doorway of the hall, what in the seventeenth century was called the portico, ‘a flourishing race′ of young pages clustered, especially at tea-time, like the young Israelites of Racine′s choruses. But I do not believe that one of them could have given even the vague answer that Joas finds to satisfy Athalie when she inquires of the infant Prince: “What is your office, then?” for they had none. At the most, if one had asked of any of them, like the new Queen: “But all this race, what do they then, imprisoned in this place?” he might have said: “I watch the solemn pomp and bear my part.” Now and then one of the young supers would approach some more important personage, then this young beauty would rejoin the chorus, and, unless it were the moment for a spell of contemplative relaxation, they would proceed with their useless, reverent, decorative, daily evolutions. For, except on their ‘day off,′ ‘reared in seclusion from the world′ and never crossing the threshold, they led the same ecclesiastical existence as the Levites in Athalie, and as I gazed at that ‘young and faithful troop′ playing at the foot of the steps draped with sumptuous carpets, I felt inclined to ask myself whether I were entering the Grand Hotel at Balbec or the Temple of Solomon.
Je remontais directement à ma chambre. Mes pensées étaient habituellement attachées aux derniers jours de la maladie de ma grand′mère, à ces souffrances que je revivais, en les accroissant de cet élément, plus difficile encore à supporter que la souffrance même des autres et auxquelles il est ajouté par notre cruelle pitié; quand nous croyons seulement recréer les douleurs d′un être cher, notre pitié les exagère; mais peut-être est-ce elle qui est dans le vrai, plus que la conscience qu′ont de ces douleurs ceux qui les souffrent, et auxquels est cachée cette tristesse de leur vie, que la pitié, elle, voit, dont elle se désespère. Toutefois ma pitié eût dans un élan nouveau dépassé les souffrances de ma grand′mère si j′avais su alors ce que j′ignorai longtemps, que ma grand′mère, la veille de sa mort, dans un moment de conscience et s′assurant que je n′étais pas ià, avait pris la main de maman et, après y avoir collé ses lèvres fiévreuses, lui avait dit: «Adieu, ma fille, adieu pour toujours.» Et c′est peut-être aussi ce souvenir-là que ma mère n′a plus jamais cessé de regarder si fixement. Puis les doux souvenirs me revenaient. Elle était ma grand′mère et j′étais son petit-fils. Les expressions de son visage semblaient écrites dans une langue qui n′était que pour moi; elle était tout dans ma vie, les autres n′existaient que relativement à elle, au jugement qu′elle me donnerait sur eux; mais non, nos rapports ont été trop fugitifs pour n′avoir pas été accidentels. Elle ne me connaît plus, je ne la reverrai jamais. Nous n′avions pas été créés uniquement l′un pour l′autre, c′était une étrangère. Cette étrangère, j′étais en train d′en regarder la photographie par Saint–Loup. Maman, qui avait rencontré Albertine, avait insisté pour que je la visse, à cause des choses gentilles qu′elle lui avait dites sur grand′mère et sur moi. Je lui avais donc donné rendez-vous.-Je prévins le directeur pour qu′il la fît attendre au salon. Il me dit qu′il la connaissait depuis bien longtemps, elle et ses amies, bien avant qu′elles eussent atteint «l′âge de la pureté», mais qu′il leur en voulait de choses qu′elles avaient dites de l′hôtel. Il faut qu′elles ne soient pas bien «illustrées» pour causer ainsi. A moins qu′on ne les ait calomniées. Je compris aisément que pureté était dit pour «puberté». En attendant l′heure d′aller retrouver Albertine, je tenais mes yeux fixés, comme sur un dessin qu′on finit par ne plus voir à force de l′avoir regardé, sur la photographie que Saint–Loup avait faite, quand tout d′un coup, je pensai de nouveau: «C′est grand′mère, je suis son petit-fils», comme un amnésique retrouve son nom, comme un malade change de personnalité. Françoise entra me dire qu′Albertine était là, et voyant la photographie: «Pauvre Madame, c′est bien elle, jusqu′à son bouton de beauté sur la joue; ce jour que le marquis l′a photographiée, elle avait été bien malade, elle s′était deux fois trouvée mal. «Surtout, Françoise, qu′elle m′avait dit, il ne faut pas que mon petit-fils le sache.» Et elle le cachait bien, elle était toujours gaie en société. Seule, par exemple, je trouvais qu′elle avait l′air par moments d′avoir l′esprit un peu monotone. Mais ça passait vite. Et puis elle me dit comme ça: «Si jamais il m′arrivait quelque chose, il faudrait qu′il ait un portrait de moi. Je n′en ai jamais fait faire un seul. «. Alors elle m′envoya dire à M. le marquis, en lui recommandant de ne pas raconter à Monsieur que c′était elle qui l′avait demandé, s′il ne pourrait pas lui tirer sa photographie. Mais quand je suis revenue lui dire que oui, elle ne voulait plus parce qu′elle se trouvait trop mauvaise figure. «C′est pire encore, qu′elle me dit, que pas de photographie du tout.» Mais comme elle n′était pas bête, elle finit pas s′arranger si bien, en mettant un grand chapeau rabattu, qu′il n′y paraissait plus quand elle n′était pas au grand jour. Elle en était bien contente de sa photographie, parce qu′en ce moment-là elle ne croyait pas qu′elle reviendrait de Balbec. J′avais beau lui dire: «Madame, il ne faut pas causer comme ça, j′aime pas entendre Madame causer comme ça», c′était dans son idée. Et dame, il y avait plusieurs jours qu′elle ne pouvait pas manger. C′est pour cela qu′elle poussait Monsieur à aller dîner très loin avec M. le marquis. Alors au lieu d′aller à table elle faisait semblant de lire et, dès que la voiture du marquis était partie, elle montait se coucher. Des jours elle voulait prévenir Madame d′arriver pour la voir encore. Et puis elle avait peur de la surprendre, comme elle ne lui avait rien dit. «Il vaut mieux qu′elle reste avec son mari, voyez-vous Françoise.» Françoise, me regardant, me demanda tout à coup si je me «sentais indisposé». Je lui dis que non; et elle: «Et puis vous me ficelez là à causer avec vous. Votre visite est peut-être déjà arrivée. Il faut que je descende. Ce n′est pas une personne pour ici. Et avec une allant vite comme elle, elle pourrait être repartie. Elle n′aime pas attendre. Ah! maintenant. Mademoiselle Albertine» c′est quelqu′un. — Vous vous trompez, Françoise, elle est assez bien, trop bien pour ici. Mais allez la prévenir que je ne pourrai pas la voir aujourd′hui.» I went straight up to my room. My thoughts kept constantly turning to the last days of my grandmother′s illness, to her sufferings which I lived over again, intensifying them with that element which is even harder to endure than the sufferings of other people, and is added to them by our merciless pity; when we think that we are merely reviving the pains of a beloved friend, our pity exaggerates them; but perhaps it is our pity that is in the right, more than the sufferers′ own consciousness of their pains, they being blind to that tragedy of their own existence which pity sees and deplores. Certainly my pity would have taken fresh strength and far exceeded my grandmother′s sufferings had I known then what I did not know until long afterwards, that my grandmother, on the eve of her death, in a moment of consciousness and after making sure that I was not in the room, had taken Mamma′s hand, and, after pressing her fevered lips to it, had said: “Farewell, my child, farewell for ever.” And this may perhaps have been the memory upon which my mother never ceased to gaze so fixedly. Then more pleasant memories returned to me. She was my grandmother and I was her grandson. Her facial expressions seemed written in a language intended for me alone; she was everything in my life, other people existed merely in relation to her, to the judgment that she would pass upon them; but no, our relations were too fleeting to have been anything but accidental. She no longer knew me, I should never see her again. We had not been created solely for one another, she was a stranger to me. This stranger was before my eyes at the moment in the photograph taken of her by Saint-Loup. Mamma, who had met Albertine, insisted upon my seeing her, because of the nice things that she had said about my grandmother and myself. I had accordingly made an appointment with her. I told the manager that she was coming, and asked him to let her wait for me in the drawing-room. He informed me that he had known her for years, her and her friends, long before they had attained ‘the age of purity′ but that he was annoyed with them because of certain things that they had said about the hotel. “They can′t be very ‘gentlemanly′ if they talk like that. Unless people have been slandering them.” I had no difficulty in guessing that ‘purity′ here meant ‘puberty.′ As I waited until it should be time to go down and meet Albertine, I was keeping my eyes fixed, as upon a picture which one ceases to see by dint of staring at it, upon the photograph that Saint-Loup had taken, when all of a sudden I thought once again: “It′s grandmother, I am her grandson” as a man who has lost his memory remembers his name, as a sick man changes his personality. Françoise came in to tell me that Albertine was there, and, catching sight of the photograph: “Poor Madame; it′s the very image of her, even the beauty spot on her cheek; that day the Marquis took her picture, she was very poorly, she had been taken bad twice. ‘Whatever happens, Françoise,′ she said, ‘you must never let my grandson know.′ And she kept it to herself, she was always bright with other people. When she was by herself, though, I used to find that she seemed to be in rather monotonous spirits now and then. But that soon passed away. And then she said to me, she said: ‘If anything were to happen to me, he ought to have a picture of me to keep. And I have never had one done in my life.′ So then she sent me along with a message to the Marquis, and he was never to let you know that it was she who had asked him, but could he take her photograph. But when I came back and told her that he would, she had changed her mind again, because she was looking so poorly. ‘It would be even worse,′ she said to me, ‘than no picture at all.′ But she was a clever one, she was, and in the end she got herself up so well in that big shady hat that it didn′t shew at all when she was out of the sun. She was very glad to have that photograph, because at that time she didn′t think she would ever leave Balbec alive. It was no use my saying to her: ‘Madame, it′s wrong to talk like that, I don′t like to hear Madame talk like that,′ she had got it into her head. And, lord, there were plenty days when she couldn′t eat a thing. That was why she used to make Monsieur go and dine away out in the country with M. le Marquis. Then, instead of going in to dinner, she would pretend to be reading a book, and as soon as the Marquis′s carriage had started, up she would go to bed. Some days she wanted to send word to Madame, to come down and see her in time. And then she was afraid of alarming her, as she had said nothing to her about it. ‘It will be better for her to stay with her husband, don′t you see, Françoise.′” Looking me in the face, Françoise asked me all of a sudden if I was ‘feeling indisposed.′ I said that I was not; whereupon she: “And you make me waste my time talking to you. Your visitor has been here all this time. I must go down and tell her. She is not the sort of person to have here. Why, a fast one like that, she may be gone again by now. She doesn′t like to be kept waiting. Oh, nowadays, Mademoiselle Albertine, she′s somebody!” “You are quite wrong, she is a very respectable person, too respectable for this place. But go and tell her that I shan′t be able to see her to-day.”
Quelles déclamations apitoyées j′aurais éveillées en Françoise si elle m′avait vu pleurer. Soigneusement je me cachai. Sans cela j′aurais eu sa sympathie. Mais je lui donnai la mienne. Nous ne nous mettons pas assez dans le coeur de ces pauvres femmes de chambre qui ne peuvent pas nous voir pleurer, comme si pleurer nous faisait mal; ou peut-être leur faisait mal, Françoise m′ayant dit quand j′étais petit: «Ne pleurez pas comme cela, je n′aime pas vous voir pleurer comme cela.» Nous n′aimons pas les grandes phrases, les attestations, nous avons tort, nous fermons ainsi notre coeur au pathétique des campagnes, à la légende que la pauvre servante, renvoyée, peut-être injustement, pour vol, toute pâle, devenue subitement plus humble comme si c′était un crime d′être accusée, déroule en invoquant l′honnêteté de son père, les principes de sa mère, les conseils de l′ale. Certes ces mêmes domestiques qui ne peuvent supporter nos larmes nous feront prendre sans scrupule une fluxion de poitrine parce que la femme de chambre d′au-dessous aime les courants d′air et que ce ne serait pas poli de les supprimer. Car il faut que ceux-là mêmes qui ont raison, comme Françoise, aient tort aussi, pour faire de la Justice une chose impossible. Même les humbles plaisirs des servantes provoquent ou le refus ou la raillerie de leurs maîtres. Car c′est toujours un rien, mais niaisement sentimental, anti-hygiénique. Aussi peuvent-elles dire: «Comment, moi qui ne demande que cela dans l′année, on ne me l′accorde pas.» Et pourtant les maîtres accorderont beaucoup plus, qui ne fût pas stupide et dangereux pour elles — ou pour eux. Certes, à l′humilité de la pauvre femme de chambre, tremblante, prête à avouer ce qu′elle n′a pas commis, disant «je partirai ce soir s′il le faut», on ne peut pas résister. Mais il faut savoir aussi ne pas rester insensibles, malgré la banalité solennelle et menaçante des choses qu′elle dit, son héritage maternel et la dignité du «clos», devant une vieille cuisinière drapée dans une vie et une ascendance d′honneur, tenant le balai comme un sceptre, poussant son rôle au tragique, l′entrecoupant de pleurs, se redressant avec majesté. Ce jour-là je me rappelai ou j′imaginai de telles scènes, je les rapportai à notre vieille servante, et, depuis lors, malgré tout le mal qu′elle put faire à Albertine, j′aimai Françoise d′une affection, intermittente il est vrai, mais du genre le plus fort, celui qui a pour base la pitié. What compassionate declamations I should have provoked from Françoise if she had seen me cry. I carefully hid myself from her. Otherwise I should have had her sympathy. But I gave her mine. We do not put ourselves sufficiently in the place of these poor maidservants who cannot bear to see us cry, as though crying were bad for us; or bad, perhaps, for them, for Françoise used to say to me when I was a child: “Don′t cry like that, I don′t like to see you crying like that.” We dislike highfalutin language, asseverations, we are wrong, we close our hearts to the pathos of the countryside, to the legend which the poor servant girl, dismissed, unjustly perhaps, for theft, pale as death, grown suddenly more humble than if it were a crime merely to be accused, unfolds, invoking her father′s honesty, her mother′s principles, her grandam′s counsels. It is true that those same servants who cannot bear our tears will have no hesitation in letting us catch pneumonia, because the maid downstairs likes draughts and it would not be polite to her to shut the windows. For it is necessary that even those who are right, like Françoise, should be wrong also, so that Justice may be made an impossible thing. Even the humble pleasures of servants provoke either the refusal or the ridicule of their masters. For it is always a mere nothing, but foolishly sentimental, unhygienic. And so, they are in a position to say: “How is it that I ask for only this one thing in the whole year, and am not allowed it.” And yet the masters will allow them something far more difficult, which was not stupid and dangerous for the servants — or for themselves. To be sure, the humility of the wretched maid, trembling, ready to confess the crime that she has not committed, saying “I shall leave to-night if you wish it,” is a thing that nobody can resist. But we must learn also not to remain unmoved, despite the solemn, menacing fatuity of the things that she says, her maternal heritage and the dignity of the family ‘kailyard,′ before an old cook draped in the honour of her life and of her ancestry, wielding her broom like a sceptre, donning the tragic buskin, stifling her speech with sobs, drawing herself up with majesty. That afternoon, I remembered or imagined scenes of this sort which I associated with our old servant, and from then onwards, in spite of all the harm that she might do to Albertine, I loved Françoise with an affection, intermittent it is true, but of the strongest kind, the kind that is founded upon pity.
Certes, je souffris toute la journée en restant devant la photographie de ma grand′mère. Elle me torturait. Moins pourtant que ne fit le soir la visite du directeur. Comme je lui parlais de ma grand′mère et qu′il me renouvelait ses condoléances, je l′entendis me dire (car il aimait employer les mots qu′il prononçait mal): «C′est comme le jour où Madame votre grand′mère avait eu cette symecope, je voulais vous en avertir, parce qu′à cause de la clientèle, n′est-ce pas, cela aurait pu faire du tort à la maison. Il aurait mieux valu qu′elle parte le soir même. Mais elle me supplia de ne rien dire et me promit qu′elle n′aurait plus de symecope, ou qu′à la première elle partirait. Le chef de l′étage m′a pourtant rendu compte qu′elle en a eu une autre. Mais, dame, vous étiez de vieux clients qu′on cherchait à contenter, et du moment que personne ne s′est plaint: » Ainsi ma grand′mère avait des syncopes et me les avait cachées. Peut-être au moment où j′étais le moins gentil pour elle, où elle était obligée, tout en souffrant, de faire attention à être de bonne humeur pour ne pas m′irriter et à paraître bien portante pour ne pas être mise à la porte de l′hôtel. «Simecope» c′est un mot que, prononcé ainsi, je n′aurais jamais imaginé, qui m′aurait peut-être, s′appliquant à d′autres, paru ridicule, mais qui dans son étrange nouveauté sonore, pareille à celle d′une dissonance originale, resta longtemps ce qui était capable d′éveiller en moi les sensations les plus douloureuses. To be sure, I suffered agonies all that day, as I sat gazing at my grandmother′s photograph. It tortured me. Not so acutely, though, as the visit I received that evening from the manager. After I had spoken to him about my grandmother, and he had reiterated his condolences, I heard him say (for he enjoyed using the words that he pronounced wrongly): “Like the day when Madame your grandmother had that sincup, I wanted to tell you about it, because of the other visitors, don′t you know, it might have given the place a bad name. She ought really to have left that evening. But she begged me to say nothing about it and promised me that she wouldn′t have another sincup, or the first time she had one, she would go. The floor waiter reported to me that she had had another. But, lord, you were old friends that we try to please, and so long as nobody made any complaint.” And so my grandmother had had syncopes which she had never mentioned to me. Perhaps at the very moment when I was being most beastly to her, when she was obliged, amid her pain, to see that she kept her temper, so as not to anger me, and her looks, so as not to be turned out of the hotel. ‘Sincup′ was a word which, so pronounced, I should never have imagined, which might perhaps, applied to other people, have struck me as ridiculous, but which in its strange sonorous novelty, like that of an original discord, long retained the faculty of arousing in me the most painful sensations.
Le lendemain j′allai, à la demande de maman, m′étendre un peu sur le sable, ou plutôt dans les dunes, là où on est caché par leurs replis, et où je savais qu′Albertine et ses amies ne pourraient pas me trouver. Mes paupières, abaissées, ne laissaient passer qu′une seule lumière, toute rose, celle des parois intérieures des yeux. Puis elles se fermèrent tout à fait. Alors ma grand′mère m′apparut assise dans un fauteuil. Si faible, elle avait l′air de vivre moins qu′une autre personne. Pourtant je l′entendais respirer; parfois un signe montrait qu′elle avait compris ce que nous disions, mon père et moi. Mais j′avais beau l′embrasser, je ne pouvais pas arriver à éveiller un regard d′affection dans ses yeux, un peu de couleur sur ses joues. Absente d′elle-même, elle avait l′air de ne pas m′aimer, de ne pas me connaître, peut-être de ne pas me voir. Je ne pouvais deviner le secret de son indifférence, de son abattement, de son mécontentement silencieux. J′entraînai mon père à l′écart. «Tu vois tout de même, lui dis-je, il n′y a pas à dire, elle a saisi exactement chaque chose. C′est l′illusion complète de la vie. Si on pouvait faire venir ton cousin qui prétend que les morts ne vivent pas! Voilà plus d′un an qu′elle est morte et, en somme, elle vit toujours. Mais pourquoi ne veut-elle pas m′embrasser? — Regarde, sa pauvre tête retombe. — Mais elle voudrait aller aux Champs–Elysées tantôt. — C′est de la folie! — Vraiment, tu crois que cela pourrait lui faire mal, qu′elle pourrait mourir davantage? Il n′est pas possible qu′elle ne m′aime plus. J′aurai beau l′embrasser, est-ce qu′elle ne me sourira plus jamais? — Que veux-tu, les morts sont les morts.» Next day I went, at Mamma′s request, to lie down for a little on the sands, or rather among the dunes, where one is hidden by their folds, and I knew that Albertine and her friends would not be able to find me. My drooping eyelids allowed but one kind of light to pass, all rosy, the light of the inner walls of the eyes. Then they shut altogether. Whereupon my grandmother appeared to me, seated in an armchair. So feeble she was, she seemed to be less alive than other people. And yet I could hear her breathe; now and again she made a sign to shew that she had understood what we were saying, my father and I. But in vain might I take her in my arms, I failed utterly to kindle a spark of affection in her eyes, a flush of colour in her cheeks. Absent from herself, she appeared somehow not to love me, not to know me, perhaps not to see me. I could not interpret the secret of her indifference, of her dejection, of her silent resentment. I drew my father aside. “You can see, all the same,” I said to him, “there′s no doubt about it, she understands everything perfectly. It is a perfect imitation of life. If we could have your cousin here, who maintains that the dead don′t live. Why, she′s been dead for more than a year now, and she′s still alive. But why won′t she give me a kiss?” “Look her poor head is drooping again.” “But she wants to go, now, to the Champs-Elysées.” “It′s madness!” “You really think it can do her any harm, that she can die any further? It isn′t possible that she no longer loves me. I keep on hugging her, won′t she ever smile at me again?” “What can you expect, when people are dead they are dead.”
Quelques jours plus tard la photographie qu′avait faite Saint–Loup m′était douce à regarder; elle ne réveillait pas le souvenir de ce que m′avait dit Françoise parce qu′il ne m′avait plus quitté et je m′habituais à lui. Mais, en regard de l′idée que je me faisais de son état si grave, si douloureux ce jour-là, la photographie, profitant encore des ruses qu′avait eues ma grand′mère et qui réussissaient à me tromper même depuis qu′elles m′avaient été dévoilées, me la montrait si élégante, si insouciante, sous le chapeau qui cachait un peu son visage, que je la voyais moins malheureuse et mieux portante que je ne l′avais imaginée. Et pourtant ses joues, ayant à son insu une expression à elles, quelque chose de plombé, de hagard, comme le regard d′une bête qui se sentirait déjà choisie et désignée, ma grand′mère avait un air de condamnée à mort, un air involontairement sombre, inconsciemment tragique, qui m′échappait mais qui empêchait maman de regarder jamais cette photographie, cette photographie qui lui paraissait, moins une photographie de sa mère que de la maladie de celle-ci, d′une insulte que cette maladie faisait au visage brutalement souffleté de grand′mère. A few days later I was able to look with pleasure at the photograph that Saint-Loup had taken of her; it did not revive the memory of what Françoise had told me, because that memory had never left me and I was growing used to it. But with regard to the idea that I had received of the state of her health — so grave, so painful — on that day, the photograph, still profiting by the ruses that my grandmother had adopted, which succeeded in taking me in even after they had been disclosed to me, shewed me her so smart, so care-free, beneath the hat which partly hid her face, that I saw her looking less unhappy and in better health than I had imagined. And yet, her cheeks having unconsciously assumed an expression of their own, livid, haggard, like the expression of an animal that feels that it has been marked down for slaughter, my grandmother had an air of being under sentence of death, an air involuntarily sombre, unconsciously tragic, which passed unperceived by me but prevented Mamma from ever looking at that photograph, that photograph which seemed to her a photograph not so much of her mother as of her mother′s disease, of an insult that the disease was offering to the brutally buffeted face of my grandmother.
Puis un jour, je me décidai à faire dire à Albertine que je la recevrais prochainement. C′est qu′un matin de grande chaleur prématurée, les mille cris des enfants qui jouaient, des baigneurs plaisantant, des marchands de journaux, m′avaient décrit en traits de feu, en flammèches entrelacées, la plage ardente que les petites vagues venaient une à une arroser de leur fraîcheur; alors avait commencé le concert symphonique mêlé au clapotement de l′eau, dans lequel les violons vibraient comme un essaim d′abeilles égaré sur la mer. Aussitôt j′avais désiré de réentendre le rire d′Albertine, de revoir ses amies, ces jeunes filles se détachant sur les flots, et restées dans mon souvenir le charme inséparable, la flore caractéristique de Balbec; et j′avais résolu d′envoyer par Françoise un mot à Albertine, pour la semaine prochaine, tandis que, montant doucement, la mer, à chaque déferlement de lame, recouvrait complètement de coulées de cristal la mélodie dont les phrases apparaissaient séparées les unes des autres, comme ces anges luthiers qui, au faîte de la cathédrale italienne, s′élèvent entre les crêtes de porphyre bleu et de jaspe écumant. Mais le jour où Albertine vint, le temps s′était de nouveau gâté et rafraîchi, et d′ailleurs je n′eus pas l′occasion d′entendre son rire; elle était de fort mauvaise humeur. «Balbec est assommant cette année, me dit-elle. Je tâcherai de ne pas rester longtemps. Vous savez que je suis ici depuis Pâques, cela fait plus d′un mois. Il n′y a personne. Si vous croyez que c′est folichon.» Malgré la pluie récente et le ciel changeant à toute minute, après avoir accompagné Albertine jusqu′à Egreville, car Albertine faisait, selon son expression, la «navette» entre cette petite plage, où était la villa de Mme Bontemps, et Incarville où elle avait été «prise en pension» par les parents de Rosemonde, je partis me promener seul vers cette grande route que prenait la voiture de Mme de Villeparisis quand nous allions nous promener avec ma grand′mère; des flaques d′eau, que le soleil qui brillait n′avait pas séchées, faisaient du sol un vrai marécage, et je pensais à ma grand′mère qui jadis ne pouvait marcher deux pas sans se crotter. Mais, dès que je fus arrivé à la route, ce fut un éblouissement. Là où je n′avais vu, avec ma grand′mère, au mois d′août, que les feuilles et comme l′emplacement des pommiers, à perte de vue ils étaient en pleine floraison, d′un luxe inouíª les pieds dans la boue et en toilette de bal, ne prenant pas de précautions pour ne pas gâter le plus merveilleux satin rose qu′on eût jamais vu et que faisait briller le soleil; l′horizon lointain de la mer fournissait aux pommiers comme un arrière-plan d′estampe japonaise; si je levais la tête pour regarder le ciel entre les fleurs, qui faisaient paraître son bleu rasséréné, presque violent, elles semblaient s′écarter pour montrer la profondeur de ce paradis. Sous cet azur, une brise légère mais froide faisait trembler légèrement les bouquets rougissants. Des mésanges bleues venaient se poser sur les branches et sautaient entre les fleurs, indulgentes, comme si c′eût été un amateur d′exotisme et de couleurs qui avait artificiellement créé cette beauté vivante. Mais elle touchait jusqu′aux larmes parce que, si loin qu′on allai dans ses effets d′art raffiné, on sentait qu′elle était naturelle, que ces pommiers étaient là en pleine campagne comme des paysans, sur une grande route de France. Puis aux rayons du soleil succédèrent subitement ceux de la pluie; ils zébrèrent tout l′horizon, enserrèrent la file des pommiers dans leur réseau gris. Mais ceux-ci continuaient à dresser leur beauté, fleurie et rose, dans le vent devenu glacial sous l′averse qui tombait: c′était une journée de printemps. Then one day I decided to send word to Albertine that I would see her presently. This was because, on a morning of intense and premature heat, the myriad cries of children at play, of bathers disporting themselves, of newsvendors, had traced for me in lines of fire, in wheeling, interlacing flashes, the scorching beach which the little waves came up one after another to sprinkle with their coolness; then had begun the symphonic concert mingled with the splashing of the water, through which the violins hummed like a swarm of bees that had strayed out over the sea. At once I had longed to hear again Albertine′s laughter, to see her friends, those girls outlined against the waves who had remained in my memory the inseparable charm, the typical flora of Balbec; and I had determined to send a line by Françoise to Albertine, making an appointment for the following week, while, gently rising, the sea as each wave uncurled completely buried in layers of crystal the melody whose phrases appeared to be separated from one another like those angel lutanists which on the roof of the Italian cathedral rise between the peaks of blue porphyry and foaming jasper. But on the day on which Albertine came, the weather had turned dull and cold again, and moreover I had no opportunity of hearing her laugh; she was in a very bad temper. “Balbec is deadly dull this year,” she said to me. “I don′t mean to stay any longer than I can help. You know I′ve been here since Easter, that′s more than a month. There′s not a soul here. You can imagine what fun it is.” Notwithstanding the recent rain and a sky that changed every moment, after escorting Albertine as far as Epreville, for she was, to borrow her expression, ‘on the run′ between that little watering-place, where Mme. Bontemps had her villa, and Incarville, where she had been taken ‘en pension′ by Rosemonde′s family, I went off by myself in the direction of the highroad that Mme. de Villeparisis′s carriage had taken when we went for a drive with my grandmother; pools of water which the sun, now bright again, had not dried made a regular quagmire of the ground, and I thought of my grandmother who, in the old days, could not walk a yard without covering herself with mud. But on reaching the road I found a dazzling spectacle. Where I had seen with my grandmother in the month of August only the green leaves and, so to speak, the disposition of the apple-trees, as far as the eye could reach they were in full bloom, marvellous in their splendour, their feet in the mire beneath their ball-dresses, taking no precaution not to spoil the most marvellous pink satin that was ever seen, which glittered in the sunlight; the distant horizon of the sea gave the trees the background of a Japanese print; if I raised my head to gaze at the sky through the blossom, which made its serene blue appear almost violent, the trees seemed to be drawing apart to reveal the immensity of their paradise. Beneath that azure a faint but cold breeze set the blushing bouquets gently trembling. Blue tits came and perched upon the branches and fluttered among the flowers, indulgent, as though it had been an amateur of exotic art and colours who had artificially created this living beauty. But it moved one to tears because, to whatever lengths the artist went in the refinement of his creation, one felt that it was natural, that these apple-trees were there in the heart of the country, like peasants, upon one of the highroads of France. Then the rays of the sun gave place suddenly to those of the rain; they streaked the whole horizon, caught the line of apple-trees in their grey net. But they continued to hold aloft their beauty, pink and blooming, in the wind that had turned icy beneath the drenching rain: it was a day in spring.





Chapitre Deuxième

Les mystères d′Albertine. — Les jeunes filles qu′elle voit dans la glace. — La dame inconnue. — Le liftier. — Madame de Cambremer. — Les plaisirs de M. Nissim Bernard. — Première esquisse du caractère étrange de Morel. — M. de Charlus dîne chez les Verdurin.

CHAPTER TWO

  The mysteries of Albertine — The girls whom she sees reflected in the glass — The other woman — The lift-boy — Madame de Cambremer — The pleasures of M. Nissim Bernard — Outline of the strange character of Morel — M. de Charlus dines with the Verdurins.
Dans ma crainte que le plaisir trouvé dans cette promenade solitaire n′affaiblît en moi le souvenir de ma grand′mère, je cherchais à le raviver en pensant à telle grande souffrance morale qu′elle avait eue; à mon appel cette souffrance essayait de se construire dans mon coeur, elle y élançait ses piliers immenses; mais mon coeur, sans doute, était trop petit pour elle, je n′avais la force de porter une douleur si grande, mon attention se dérobait au moment où elle se reformait tout entière, et ses arches s′effondraient avant de s′être rejointes, comme avant d′avoir parfait leur voûte s′écroulent les vagues. Cependant, rien que par mes rêves quand j′étais endormi, j′aurais pu apprendre que mon chagrin de la mort de ma grand′mère diminuait, car elle y apparaissait moins opprimée par l′idée que je me faisais de son néant. Je la voyais toujours malade, mais en voie de se rétablir, je la trouvais mieux. Et si elle faisait allusion à ce qu′elle avait souffert, je lui fermais la bouche avec mes baisers et je l′assurais qu′elle était maintenant guérie pour toujours. J′aurais voulu faire constater aux sceptiques que la mort est vraiment une maladie dont on revient. Seulement je ne trouvais plus chez ma grand′mère la riche spontanéité d′autrefois. Ses paroles n′étaient qu′une réponse affaiblie, docile, presque un simple écho de mes paroles; elle n′était plus que le reflet de ma propre pensée.   In my fear lest the pleasure I found in this solitary excursion might weaken my memory of my grandmother, I sought to revive this by thinking of some great mental suffering that she had undergone; in response to my appeal that suffering tried to build itself in my heart, threw up vast pillars there; but my heart was doubtless too small for it, I had not the strength to bear so great a grief, my attention was distracted at the moment when it was approaching completion, and its arches collapsed before joining as, before they have perfected their curve, the waves of the sea totter and break. And yet, if only from my dreams when I was asleep, I might have learned that my grief for my grandmother′s death was diminishing, for she appeared in them less crushed by the idea that I had formed of her non-existence. I saw her an invalid still, but on the road to recovery, I found her in better health. And if she made any allusion to what she had suffered, I stopped her mouth with my kisses and assured her that she was now permanently cured. I should have liked to call the sceptics to witness that death is indeed a malady from which one recovers. Only, I no longer found in my grandmother the rich spontaneity of old times. Her words were no more than a feeble, docile response, almost a mere echo of mine; she was nothing more than the reflexion of my own thoughts.
Incapable comme je l′étais encore d′éprouver à nouveau un désir physique, Albertine recommençait cependant à m′inspirer comme un désir de bonheur. Certains rêves de tendresse partagée, toujours flottants en nous, s′allient volontiers, par une sorte d′affinité, au souvenir (à condition que celui-ci soit déjà devenu un peu vague) d′une femme avec qui nous avons eu du plaisir. Ce sentiment me rappelait des aspects du visage d′Albertine, plus doux, moins gais, assez différents de ceux que m′eût évoqués le désir physique; et comme il était aussi moins pressant que ne l′était ce dernier, j′en eusse volontiers ajourné la réalisation à l′hiver suivant sans chercher à revoir Albertine à Balbec avant son départ. Mais, même au milieu d′un chagrin encore vif, le désir physique renaît. De mon lit où on me faisait rester longtemps tous les jours à me reposer, je souhaitais qu′Albertine vînt recommencer nos jeux d′autrefois. Ne voit-on pas, dans la chambre même où ils ont perdu un enfant, des époux, bientôt de nouveau entrelacés, donner un frère au petit mort? J′essayais de me distraire de ce désir en allant jusqu′à la fenêtre regarder la mer de ce jour-là. Comme la première année, les mers, d′un jour à l′autre, étaient rarement les mêmes. Mais d′ailleurs elles ne ressemblaient guère à celles de cette première année, soit parce que maintenant c′était le printemps avec ses orages, soit parce que, même si j′étais venu à la même date que la première fois, des temps différents, plus changeants, auraient pu déconseiller cette côte à certaines mers indolentes, vaporeuses et fragiles que j′avais vues pendant des jours ardents dormir sur la plage en soulevant imperceptiblement leur sein bleuâtre, d′une molle palpitation, soit surtout parce que mes yeux, instruits par Elstir à retenir précisément les éléments que j′écartais volontairement jadis, contemplaient longuement ce que la première année ils-ne savaient pas voir. Cette opposition qui alors me frappait tant entre les promenades agrestes que je faisais avec Mme de Villeparisis et ce voisinage fluide, inaccessible et mythologique, de l′Océan éternel n′existait plus pour moi. Et certains jours la mer me semblait, au contraire, maintenant presque rurale elle-même. Les jours, assez rares, de vrai beau temps, la chaleur avait tracé sur les eaux, comme à travers champs, une route poussiéreuse et blanche derrière laquelle la fine pointe d′un bateau de pêche dépassait comme un clocher villageois. Un remorqueur, dont on ne voyait que la cheminée, fumait au loin comme une usine écartée, tandis que seul à l′horizon un carré blanc et bombé, peint sans doute par une voile, mais qui semblait compact et comme calcaire, faisait penser à l′angle ensoleillé de quelque bâtiment isolé, hôpital ou école. Et les nuages et le vent, les jours où il s′en ajoutait au soleil, parachevaient sinon l′erreur du jugement, du moins l′illusion du premier regard, la suggestion qu′il éveille dans l′imagination. Car l′alternance d′espaces de couleurs nettement tranchées, comme celles qui résultent, dans la campagne, de la contigueacute; de cultures différentes, les inégalités âpres, jaunes, et comme boueuses de la surface marine, les levées, les talus qui dérobaient à la vue une barque où une équipe d′agiles matelots semblait moissonner, tout cela, par les jours orageux, faisait de l′océan quelque chose d′aussi varié, d′aussi consistant, d′aussi accidenté, d′aussi populeux, d′aussi civilisé que la terre carrossable sur laquelle j′allais autrefois et ne devais pas tarder à faire des promenades. Et une fois, ne pouvant plus résister à mon désir, au lieu de me recoucher, je m′habillai et partis chercher Albertine à Incarville. Je lui demanderais de m′accompagner jusqu′à Douville où j′irais faire à Féterne une visite à Mme de Cambremer, et à la Raspelière une visite à Mme Verdurin. Albertine m′attendrait pendant ce temps-là sur la plage et nous reviendrions ensemble dans la nuit. J′allai prendre le petit chemin de fer d′intérêt local dont j′avais, par Albertine et ses amies, appris autrefois tous les surnoms dans la région, où on l′appelait tantôt le Tortillard à cause de ses innombrables détours, le Tacot parce qu′il n′avançait pas, le Transatlantique à cause d′une effroyable sirène qu′il possédait pour que se garassent les passants, le Decauville et le Funi, bien que ce ne fût nullement un funiculaire mais parce qu′il grimpait sur la falaise, ni même à proprement parler un Decauville mais parce qu′il avait une voie de 60, le B. A. G: parce qu′il allait de Balbec à Grallevast en puissant par Angerville, le Tram et le T. S. N. parce qu′il faisait partie de la ligne des tramways du Sud de la Normandie. Je m′installai dans un wagon où j′étais seul; il faisait un soleil splendide, on étouffait; je baissai le store bleu qui ne laissa passer qu′une raie de soleil. Mais aussitôt je vis ma grand′mère, telle qu′elle était assise dans le train à notre départ de Paris à Balbec, quand, dans la souffrance de me voir prendre de la bière, elle avait préféré ne pas regarder, fermer les yeux et faire semblant de dormir. Moi qui ne pouvais supporter autrefois la souffrance qu′elle avait quand mon grand-père prenait du cognac, je lui avais infligé celle, non pas même seulement de me voir prendre, sur l′invitation d′un autre, une boisson qu′elle croyait funeste pour moi, mais je l′avais forcée à me laisser libre de m′en gorger à ma guise; bien plus, par mes colères, mes crises d′étouffement, je l′avais forcée à m′y aider, à me le conseiller, dans une résignation suprême dont j′avais devant ma mémoire l′image muette, désespérée, aux yeux clos pour ne pas voir. Un tel souvenir, comme un coup de baguette, m′avait de nouveau rendu l′âme que j′étais en train de perdre depuis quelque temps; qu′est-ce que j′aurais pu faire de Rosemonde quand mes lèvres tout entières étaient parcourues seulement par le désir désespéré d′embrasser une morte? qu′aurais-je pu dire aux Cambremer et aux Verdurin quand mon coeur battait si fort parce que s′y reformait à tout moment la douleur que ma grand′mère avait soufferte? Je ne pus rester dans ce wagon. Dès que le train s′arrêta à Maineville-la-Teinturière, renonçant à mes projets, je descendis, je rejoignis la falaise et j′en suivis les chemins sinueux. Maineville avait acquis depuis quelque temps une importance considérable et une réputation particulière, parce qu′un directeur de nombreux casinos, marchand de bien-être, avait fait construire non loin de là, avec un luxe de mauvais goût capable de rivaliser avec celui d′un palace, un établissement, sur lequel nous reviendrons, et qui était, à franc parler, la première maison publique pour gens chics qu′on eût eu l′idée de construire sur les côtes de France. C′était la seule. Chaque port a bien la sienne, mais bonne seulement pour les marins et pour les amateurs de pittoresque que cela amuse de voir, tout près de l′église immémoriale, la patronne presque aussi vieille, vénérable et moussue, se tenir devant sa porte mal famée en attendant le retour des bateaux de pêche.   Incapable as I still was of feeling any fresh physical desire, Albertine was beginning nevertheless to inspire in me a desire for happiness. Certain dreams of shared affection, always floating on the surface of our minds, ally themselves readily by a sort of affinity with the memory (provided that this has already become slightly vague) of a woman with whom we have taken our pleasure. This sentiment recalled to me aspects of Albertine′s face, more gentle, less gay, quite different from those that would have been evoked by physical desire; and as it was also less pressing than that desire I would gladly have postponed its realisation until the following winter, without seeking to see Albertine again at Balbec, before her departure. But even in the midst of a grief that is still keen physical desire will revive. From my bed, where I was made to spend hours every day resting, I longed for Albertine to come and resume our former amusements. Do we not see, in the very room in which they have lost a child, its parents soon come together again to give the little angel a baby brother? I tried to distract my mind from this desire by going to the window to look at that day′s sea. As in the former year, the seas, from one day to another, were rarely the same. Nor, however, did they at all resemble those of that first year, whether because we were now in spring with its storms, or because even if I had come down at the same time as before, the different, more changeable weather might have discouraged from visiting this coast certain seas, indolent, vaporous and fragile, which I had seen throughout long, scorching days, asleep upon the beach, their bluish bosoms, only, faintly stirring, with a soft palpitation, or, as was most probable, because my eyes, taught by Elstir to retain precisely those elements that before I had deliberately rejected, would now gaze for hours at what in the former year they had been incapable of seeing. The contrast that used then to strike me so forcibly between the country drives that I took with Mme. de Villeparisis and this proximity, fluid, inaccessible, mythological, of the eternal Ocean, no longer existed for me. And there were days now when, on the contrary, the sea itself seemed almost rural. On the days, few and far between, of really fine weather, the heat had traced upon the waters, as it might be across country, a dusty white track, at the end of which the pointed mast of a fishing-boat stood up like a village steeple. A tug, of which one could see only the funnel, was smoking in the distance like a factory amid the fields, while alone against the horizon a convex patch of white, sketched there doubtless by a sail but apparently a solid plastered surface, made one think of the sunlit wall of some isolated building, an hospital or a school. And the clouds and the wind, on days when these were added to the sun, completed if not the error of judgment, at any rate the illusion of the first glance, the suggestion that it aroused in the imagination. For the alternation of sharply defined patches of colour like those produced in the country by the proximity of different crops, the rough, yellow, almost muddy irregularities of the marine surface, the banks, the slopes that hid from sight a vessel upon which a crew of nimble sailors seemed to be reaping a harvest, all this upon stormy days made the ocean a thing as varied, as solid, as broken, as populous, as civilised as the earth with its carriage roads over which I used to travel, and was soon to be travelling again. And once, unable any longer to hold out against my desire, instead of going back to bed I put on my clothes and started off to Incarville, to find Albertine. I would ask her to come with me to Douville, where I would pay calls at Féterne upon Mme. de Cambremer and at la Raspelière upon Mme. Verdurin. Albertine would wait for me meanwhile upon the beach and we would return together after dark. I went to take the train on the local light railway, of which I had picked up, the time before, from Albertine and her friends all the nicknames current in the district, where it was known as the Twister because of its numberless windings, the Crawler because the train never seemed to move, the Transatlantic because of a horrible siren which it sounded to clear people off the line, the Decauville and the Funi, albeit there was nothing funicular about it but because it climbed the cliff, and, although not, strictly speaking, a Decauville, had a 60 centimetre gauge, the B. A. G. because it ran between Balbec and Grattevast via Angerville, the Tram and the T. S. N. because it was a branch of the Tramways of Southern Normandy. I took my seat in a compartment in which I was alone; it was a day of glorious sunshine, and stiflingly hot; I drew down the blue blind which shut off all but a single ray of sunlight. But immediately I beheld my grandmother, as she had appeared sitting in the train, on our leaving Paris for Balbec, when, in her sorrow at seeing me drink beer, she had preferred not to look, to shut her eyes and pretend to be asleep. I, who in my childhood had been unable to endure her anguish when my grandfather tasted brandy, I had inflicted this anguish upon her, not merely of seeing me accept, at the invitation of another, a drink which she regarded as bad for me, I had forced her to leave me free to swill it down to my heart′s content, worse still, by my bursts of passion, my choking fits, I had forced her to help, to advise me to do so, with a supreme resignation of which I saw now in my memory the mute, despairing image, her eyes closed to shut out the sight. So vivid a memory had, like the stroke of a magic wand, restored the mood that I had been gradually outgrowing for some time past; what had I to do with Rosemondé when my lips were wholly possessed by the desperate longing to kiss a dead woman, what had I to say to the Cambremers and Verdurins when my heart was beating so violently because at every moment there was being renewed in it the pain that my grandmother had suffered. I could not remain in the compartment. As soon as the train stopped at Maineville-la-Teinturiere, abandoning all my plans, I alighted. Maineville had of late acquired considerable importance and a reputation all its own, because a director of various casinos, a caterer in pleasure, had set up, just outside it, with a luxurious display of bad taste that could vie with that of any smart hotel, an establishment to which we shall return anon, and which was, to put it briefly, the first brothel for ‘exclusive′ people that it had occurred to anyone to build upon the coast of France. It was the only one. True, every port has its own, but intended for sailors only, and for lovers of the picturesque whom it amuses to see, next door to the primeval parish church, the bawd, hardly less ancient, venerable and moss-grown, standing outside her ill-famed door, waiting for the return of the fishing fleet.
M′écartant de l′éblouissante maison de «plaisir», insolemment dressée là malgré les protestations des familles inutilement adressées au maire, je rejoignis la falaise et j′en suivis les chemins sinueux dans la direction de Balbec. J′entendis sans y répondre l′appel des aubépines. Voisines moins cossues des fleurs de pommiers, elles les trouvaient bien lourdes, tout en reconnaissant le teint frais qu′ont les filles, aux pétales roses, de ces gros fabricants de cidre. Elles savaient que, moins richement dotées, on les recherchait cependant davantage et qu′il leur suffisait, pour plaire, d′une blancheur chiffonnée.   Hurrying past the glittering house of ‘pleasure,′ insolently erected there despite the protests which the heads of families had addressed in vain to the mayor, I reached the cliff and followed its winding paths in the direction of Balbec. I heard, without responding to it, the appeal of the hawthorns. Neighbours, in humbler circumstances, of the blossoming apple trees, they found them very coarse, without denying the fresh complexion of the rosy-petalled daughters of those wealthy brewers of cider. They knew that, with a lesser dowry, they were more sought after, and were attractive enough by themselves in their tattered whiteness.
Quand je rentrai, le concierge de l′hôtel me remit une lettre de deuil où faisaient part le marquis et la marquise de Gonneville, le vicomte et la vicomtesse d′Amfreville, le comte et la comtesse de Berneville, le marquis et la marquise de Graincourt, le comte d′Amenoncourt, la comtesse de Maineville, le comte et la comtesse de Franquetot, la comtesse de Chaverny née d′Aigleville, et de laquelle je compris enfin pourquoi elle m′était envoyée quand je reconnus les noms de la marquise de Cambremer née du Mesnil La Guichard, du marquis et de la marquise de Cambremer, et que je vis que la morte, une cousine des Cambremer, s′appelait Éléonore-Euphrasie–Humbertine de Cambremer, comtesse de Criquetot. Dans toute l′étendue de cette famille provinciale, dont le dénombrement remplissait des lignes fines et serrées, pas un bourgeois, et d′ailleurs pas un titre connu, mais tout le ban et l′arrière-ban des nobles de la région qui faisaient chanter leurs noms — ceux de tous les lieux intéressants du pays — aux joyeuses finales en ville, en court, parfois plus sourdes (en tôt). Habillés des tuiles de leur château ou du crépi de leur église, la tête branlant dépassant à peine la voûte ou le corps de logis, et seulement pour se coiffer du lanternon normand ou des colombages du toit en poivrière, ils avaient l′air d′avoir sonné le rassemblement de tous les jolis villages échelonnés ou dispersés à cinquante lieues à la ronde et de les avoir disposés en formation serrée, sans une lacune, sans un intrus, dans le damier compact et rectangulaire de l′aristocratique lettre bordée de noir.   On my return, the hotel porter handed me a black-bordered letter in which the Marquis and the Marquise de Gonneville, the Vicomte and the Vicomtesse d′Amfreville, the Comte and the Comtesse de Berneville, the Marquis and the Marquise de Graincourt, the Comte d′Amenoncourt, the Comtesse de Maineville, the Comte and the Comtesse de Franquetot, the Comtesse de Chaverny née d′Aigleville, begged to announce, and from which I understood at length why it had been sent to me when I caught sight of the names of the Marquise de Cambremer née du Mesnil la Guichard, the Marquis and the Marquise de Cambremer, and saw that the deceased, a cousin of the Cambremers, was named Eléonore-Euphrasie-Humbertine de Cambremer, Comtesse de Criquetot. In the whole extent of this provincial family, the enumeration of which filled the closely printed lines, not a single commoner, and on the other hand not a single title that one knew, but the entire muster-roll of the nobles of the region who made their names — those of all the interesting spots in the neighbourhood — ring out their joyous endings in ville, in court, sometimes on a duller note (in tot). Garbed in the roof-tiles of their castle or in the roughcast of their parish church, their nodding heads barely reaching above the vault of the nave or banqueting hall, and then only to cap themselves with the Norman lantern or the dovecot of the pepperpot turret, they gave the impression of having sounded the rallying call to all the charming villages straggling or scattered over a radius of fifty leagues, and to have paraded them in massed formation, without one absentee, one intruder, on the compact, rectangular draught-board of the aristocratic letter edged with black.
Ma mère était remontée dans sa chambre, méditant cette phrase de Mme de Sévigné: «Je ne vois aucun de ceux qui veulent me divertir de vous; en paroles couvertes c′est qu′ils veulent m′empêcher de penser à vous et cela m′offense», parce que le premier président lui avait dit qu′elle devrait se distraire. A moi il chuchota: «C′est la princesse de Parme.» Ma peur se dissipa en voyant que la femme que me montrait le magistrat n′avait aucun rapport avec Son Altesse Royale. Mais comme elle avait fait retenir une chambre pour passer la nuit en revenant de chez Mme de Luxembourg, la nouvelle eut pour effet sur beaucoup de leur faire prendre toute nouvelle dame arrivée pour la princesse de Parme — et pour moi, de me faire monter m′enfermer dans mon grenier.   My mother had gone upstairs to her room, meditating the phrase of Madame de Sévigné: “I see nothing of the people who seek to distract me from you; the truth of the matter is that they are seeking to prevent me from thinking of you, and that annoys me.”— because the chief magistrate had told her that she ought to find some distraction. To me he whispered: “That′s the Princesse de Parme!” My fears were dispelled when I saw that the woman whom the magistrate pointed out to me bore not the slightest resemblance to Her Royal Highness. But as she had engaged a room in which to spend the night after paying a visit to Mme. de Luxembourg, the report of her coming had the effect upon many people of making them take each newcomer for the Princesse de Parme — and upon me of making me go and shut myself up in my attic.
Je n′aurais pas voulu y rester seul. Il était à peine quatre heures. Je demandai à Françoise d′aller chercher Albertine pour qu′elle vînt passer la fin de l′après-midi avec moi.   I had no wish to remain there by myself. It was barely four o′clock. I asked Françoise to go and find Albertine, so that she might spend the rest of the afternoon with me.
Je crois que je mentirais en disant que commença déjà la douloureuse et perpétuelle méfiance que devait m′inspirer Albertine, à plus forte raison le caractère particulier, surtout gomorrhéen, que devait revêtir cette méfiance. Certes, dès ce jour-là— mais ce n′était pas le premier — mon attente fut un peu anxieuse. Françoise, une fois partie, resta si longtemps que je commençai à désespérer. Je n′avais pas allumé de lampe. Il ne faisait plus guère jour. Le vent faisait claquer le drapeau du Casino. Et, plus débile encore dans le silence de la grève, sur laquelle la mer montait, et comme une voix qui aurait traduit et accru le vague énervant de cette heure inquiète et fausse, un petit orgue de Barbarie arrêté devant l′hôtel jouait des valses viennoises. Enfin Françoise arriva, mais seule. «Je suis été aussi vite que j′ai pu mais elle ne voulait pas venir à cause qu′elle ne se trouvait pas assez coiffée. Si elle n′est pas restée une heure d′horloge à se pommader, elle n′est pas restée cinq minutes. Ça va être une vraie parfumerie ici. Elle vient, elle est restée en arrière pour s′arranger devant la glace. Je croyais la trouver là.» Le temps fut long encore avant qu′Albertine arrivât. Mais la gaieté, la gentillesse qu′elle eut cette fois dissipèrent ma tristesse. Elle m′annonça (contrairement à ce qu′elle avait dit l′autre jour) qu′elle resterait la saison entière, et me demanda si nous ne pourrions pas, comme la première année, nous voir tous les jours. Je lui dis qu′en ce moment j′étais trop triste et que je la ferais plutôt chercher de temps en temps, au dernier moment, comme à Paris. «Si jamais vous vous sentez de la peine ou que le coeur vous en dise, n′hésitez pas, me dit-elle, faites-moi chercher, je viendrai en vitesse, et si vous ne craignez pas que cela fasse scandale dans l′hôtel, je resterai aussi longtemps que vous voudrez.» Françoise avait, en la ramenant, eu l′air heureuse comme chaque fois qu′elle avait pris une peine pour moi et avait réussi à me faire plaisir. Mais Albertine elle-même n′était pour rien dans cette joie et, dès le lendemain, Françoise devait me dire ces paroles profondes: «Monsieur ne devrait pas voir cette demoiselle. Je vois bien le genre de caractère qu′elle a, elle vous fera des chagrins.» En reconduisant Albertine, je vis, par la salle à manger éclairée, la princesse de Parme. Je ne fis que la regarder en m′arrangeant à n′être pas vu. Mais j′avoue que je trouvai une certaine grandeur dans la royale politesse qui m′avait fait sourire chez les Guermantes. C′est un principe que les souverains sont partout chez eux, et le protocole le traduit en usages morts et sans valeur, comme celui qui veut que le maître de la maison tienne à la main son chapeau, dans sa propre demeure, pour montrer qu′il n′est plus chez lui mais chez le Prince. Or cette idée, la princesse de Parme ne se la formulait peut-être pas, mais elle en était tellement imbue que tous ses actes, spontanément inventés pour les circonstances, la traduisaient. Quand elle se leva de table elle remit un gros pourboire à Aimé comme s′il avait été là uniquement pour elle et si elle récompensait, en quittant un château, un maître d′hôtel affecté à son service. Elle ne se contenta d′ailleurs pas du pourboire, mais avec un gracieux sourire lui adressa quelques paroles aimables et flatteuses, dont sa mère l′avait munie. Un peu plus, elle lui aurait dit qu′autant l′hôtel était bien tenu, autant était florissante la Normandie, et qu′à tous les pays du monde elle préférait la France. Une autre pièce glissa des mains de la princesse pour le sommelier qu′elle avait fait appeler et à qui elle tint à exprimer sa satisfaction comme un général qui vient de passer une revue. Le lift était, à ce moment, venu lui donner une réponse; il eut aussi un mot, un sourire et un pourboire, tout cela mêlé de paroles encourageantes et humbles destinées à leur prouver qu′elle n′était pas plus que l′un d′eux. Comme Aimé, le sommelier, le lift et les autres crurent qu′il serait impoli de ne pas sourire jusqu′aux oreilles à une personne qui leur souriait, elle fut bientôt entourée d′un groupe de domestiques avec qui elle causa bienveillamment; ces façons étant inaccoutumées dans les palaces, les personnes qui passaient sur la place, ignorant son nom, crurent qu′ils voyaient une habituée de Balbec, qui, à cause d′une extraction médiocre ou dans un intérêt professionnel (c′était peut-être la femme d′un placier en Champagne), était moins différente de la domesticité que les clients vraiment chics. Pour moi je pensai au palais de Parme, aux conseils moitié religieux, moitié politiques donnés à cette princesse, laquelle agissait avec le peuple comme si elle avait dû se le concilier pour régner un jour, bien plus, comme si elle régnait déjà.   It would be untrue, I think, to say that there were already symptoms of that painful and perpetual mistrust which Albertine was to inspire in me, not to mention the special character, emphatically Gomorrhan, which that mistrust was to assume. Certainly, even that afternoon — but this was not the first time — I grew anxious as I was kept waiting. Françoise, once she had started, stayed away so long that I began to despair. I had not lighted the lamp. The daylight had almost gone. The wind was making the flag over the casino flap. And, fainter still in the silence of the beach over which the tide was rising, and like a voice rendering and enhancing the troubling emptiness of this restless, unnatural hour, a little barrel organ that had stopped outside the hotel was playing Viennese waltzes. At length Françoise arrived, but unaccompanied. “I have been as quick as I could but she wouldn′t come because she didn′t think she was looking smart enough. If she was five minutes painting herself and powdering herself, she was an hour by the clock. You′ll be having a regular scentshop in here. She′s coming, she stayed behind to tidy herself at the glass. I thought I should find her here.” There was still a long time to wait before Albertine appeared. But the gaiety, the charm that she shewed on this occasion dispelled my sorrow. She informed me (in contradiction of what she had said the other day) that she would be staying for the whole season and asked me whether we could not arrange, as in the former year, to meet daily. I told her that at the moment I was too melancholy and that I would rather send for her from time to time at the last moment, as I did in Paris. “If ever you′re feeling worried, or feel that you want me, do not hesitate,” she told me, “to send for me, I shall come immediately, and if you are not afraid of its creating a scandal in the hotel, I shall stay as long as you like.” Françoise, in bringing her to me, had assumed the joyous air she wore whenever she had gone out of her way to please me and had been successful. But Albertine herself contributed nothing to her joy, and the very next day Françoise was to greet me with the profound observation: “Monsieur ought not to see that young lady. I know quite well the sort she is, she′ll land you in trouble.” As I escorted Albertine to the door I saw in the lighted dining-room the Princesse de Parme. I merely gave her a glance, taking care not to be seen. But I must say that I found a certain grandeur in the royal politeness which had made me smile at the Guermantes′. It is a fundamental rule that sovereign princes are at home wherever they are, and this rule is conventionally expressed in obsolete and useless customs such as that which requires the host to carry his hat in his hand, in his own house, to shew that he is not in his own home but in the Prince′s. Now the Princesse de Parme may not have formulated this idea to herself, but she was so imbued with it that all her actions, spontaneously invented to suit the circumstances, pointed to it. When she rose from table she handed a lavish tip to Aimé, as though he had been there solely for her and she were rewarding, before leaving a country house, a footman who had been detailed to wait upon her. Nor did she stop at the tip, but with a gracious smile bestowed on him a few friendly, flattering words, with a store of which her mother had provided her. Another moment, and she would have told him that, just as the hotel was perfectly managed, so Normandy was a garden of roses and that she preferred France to any other country in the world. Another coin slipped from the Princess′s fingers, for the wine waiter, for whom she had sent and to whom she made a point of expressing her satisfaction like a general after an inspection. The lift-boy had come up at that moment with a message for her; he too received a little speech, a smile and a tip, all this interspersed with encouraging and humble words intended to prove to them that she was only one of themselves. As Aimé, the wine waiter, the lift-boy and the rest felt that it would be impolite not to grin from ear to ear at a person who smiled at them, she was presently surrounded by a cluster of servants with whom she chatted kindly; such ways being unfamiliar in smart hotels, the people who passed by, not knowing who she was, thought they beheld a permanent resident at Balbec, who, because of her humble origin, or for professional reasons (she was perhaps the wife of an agent for champagne) was less different from the domestics than the really smart visitors. As for me, I thought of the palace at Parma, of the counsels, partly religious, partly political, given to this Princess, who behaved towards the lower orders as though she had been obliged to conciliate them in order to reign over them one day. All the more, as if she were already reigning.
Je remontais dans ma chambre, mais je n′y étais pas seul. J′entendais quelqu′un jouer avec moelleux des morceaux de Schumann. Certes il arrive que les gens, même ceux que nous aimons le mieux, se saturent de la tristesse ou de l′agacement qui émane de nous. Il y a pourtant quelque chose qui est capable d′un pouvoir d′exaspérer où n′atteindra jamais une personne: c′est un piano.   I went upstairs again to my room, but I was not alone there. I could hear some one softly playing Schumann. No doubt it happens at times that people, even those whom we love best, become saturated with the melancholy or irritation that emanates from us. There is nevertheless an inanimate object which is capable of a power of exasperation to which no human being will ever attain: to wit, a piano.
Albertine m′avait fait prendre en note les dates où elle devait s′absenter et aller chez des amies pour quelques jours, et m′avait fait inscrire aussi leur adresse pour si j′avais besoin d′elle un de ces soirs-là, car aucune n′habitait bien loin. Cela fit que, pour la trouver, de jeune fille en jeune fille, se nouèrent tout naturellement autour d′elle des liens de fleurs. J′ose avouer que beaucoup de ses amies — je ne l′aimais pas encore — me donnèrent, sur une plage ou une autre, des instants de plaisir. Ces jeunes camarades bienveillantes ne me semblaient pas très nombreuses. Mais dernièrement j′y ai repensé, leurs noms me sont revenus. Je comptai que, dans cette seule saison, douze me donnèrent leurs frêles faveurs. Un nom me revint ensuite, ce qui fit treize. J′eus alors comme une cruauté enfantine de rester sur ce nombre. Hélas, je songeais que j′avais oublié la première, Albertine qui n′était plus et qui fit la quatorzième.   Albertine had made me take a note of the dates on which she would be going away for a few days to visit various girl friends, and had made me write down their addresses as well, in case I should want her on one of those evenings, for none of them lived very far away. This meant that when I tried to find her, going from one girl to another, she became more and more entwined in ropes of flowers. I must confess that many of her friends — I was not yet in love with her — gave me, at one watering-place or another, moments of pleasure. These obliging young comrades did not seem to me to be very many. But recently I have thought it over, their names have recurred to me. I counted that, in that one season, a dozen conferred on me their ephemeral favours. A name came back to me later, which made thirteen. I then, with almost a child′s delight in cruelty, dwelt upon that number. Alas, I realised that I had forgotten the first of them all, Albertine who no longer existed and who made the fourteenth.
J′avais, pour reprendre le fil du récit, inscrit les noms et les adresses des jeunes filles chez qui je la trouverais tel jour où elle ne serait pas à Incarville, mais de ces jours-là j′avais pensé que je profiterais plutôt pour aller chez Mme Verdurin. D′ailleurs nos désirs pour différentes femmes n′ont pas toujours la même force. Tel soir nous ne pouvons nous passer d′une qui, après cela, pendant un mois ou deux, ne nous troublera guère. Et puis les causes d′alternance, que ce n′est pas le lieu d′étudier ici, après les grandes fatigues charnelles, font que la femme dont l′image hante notre sénilité momentanée est une femme qu′on ne ferait presque que baiser sur le front. Quant à Albertine, je la voyais rarement, et seulement les soirs, fort espacés, où je ne pouvais me passer d′elle. Si un tel désir me saisissait quand elle était trop loin de Balbec pour que Françoise pût aller jusque-là, j′envoyais le lift à Egreville, à la Sognê, à Saint–Frichoux, en lui demandant de terminer son travail un peu plus tôt. Il entrait dans ma chambre, mais en laissait la porte ouverte car, bien qu′il fît avec conscience son «boulot», lequel était fort dur, consistant, dès cinq heures du matin, en nombreux nettoyages, il ne pouvait se résoudre à l′effort de fermer une porte et, si on lui faisait remarquer qu′elle était ouverte, il revenait en arrière et, aboutissant à son maximum d′effort, la poussait légèrement. Avec l′orgueil démocratique qui le caractérisait et auquel n′atteignent pas dans les carrières libérales les membres de professions un peu nombreuses, avocats, médecins, hommes de lettres appelant seulement un autre avocat, homme de lettres ou médecin: «Mon confrère», lui, usant avec raison d′un terme réservé aux corps restreints, comme les académies par exemple, il me disait, en parlant d′un chasseur qui était lift un jour sur deux: «Je vais voir à me faire remplacer par mon collègue.» Cet orgueil ne l′empêchait pas, dans le but d′améliorer ce qu′il appelait son traitement, d′accepter pour ses courses des rémunérations, qui l′avaient fait prendre en horreur à Françoise: «Oui, la première fois qu′on le voit on lui donnerait le bon Dieu sans confession, mais il y a des jours où il est poli comme une porte de prison. Tout ça c′est des tire-sous.» Cette catégorie où elle avait si souvent fait figurer Eulalie et où, hélas, pour tous les malheurs que cela devait un jour amener, elle rangeait déjà Albertine, parce qu′elle me voyait souvent demander à maman, pour mon amie peu fortunée, de menus objets, des colifichets, ce que Françoise trouvait inexcusable, parce que Mme Bontemps n′avait qu′une bonne à tout faire. Bien vite, le lift, ayant retiré ce que j′eusse appelé sa livrée et ce qu′il nommait sa tunique, apparaissait en chapeau de paille, avec une canne, soignant sa démarche et le corps redressé, car sa mère lui avait recommandé de ne jamais prendre le genre «ouvrier» ou «chasseur».   I had, to resume the thread of my narrative, written down the names and addresses of the girls with whom I should find her upon the days when she was not to be at Incarville, but privately had decided that I would devote those days rather to calling upon Mme. Verdurin. In any case, our desire for different women varies in intensity. One evening we cannot bear to let one out of our sight who, after that, for the next month or two, will never enter our mind. Then there is the law of change, for a study of which this is not the place, under which, after an over-exertion of the flesh, the woman whose image haunts our momentary senility is one to whom we would barely give more than a kiss on the brow. As for Albertine, I saw her seldom, and only upon the very infrequent evenings when I felt that I could not live without her. If this desire seized me when she was too far from Balbec for Françoise to be able to go and fetch her, I used to send the lift-boy to Egreville, to La Sogne, to Saint-Frichoux, asking him to finish his work a little earlier than usual. He would come into my room, but would leave the door open for, albeit he was conscientious at his ‘job′ which was pretty hard, consisting in endless cleanings from five o′clock in the morning, he could never bring himself to make the effort to shut a door, and, if one were to remark to him that it was open, would turn back and, summoning up all his strength, give it a gentle push. With the democratic pride that marked him, a pride to which, in more liberal careers, the members of a profession that is at all numerous never attain, barristers, doctors and men of letters speaking simply of a ‘brother′ barrister, doctor or man of letters, he, employing, and rightly, a term that is confined to close corporations like the Academy, would say to me in speaking of a page who was in charge of the lift upon alternate days: “I shall get my colleague to take my place.” This pride did not prevent him from accepting, with a view to increasing what he called his ‘salary,′ remuneration for his errands, a fact which had made Françoise take a dislike to him: “Yes, the first time you see him you would give him the sacrament without confession, but there are days when his tongue is as smooth as a prison door. It′s your money he′s after.” This was the category in which she had so often included Eulalie, and in which, alas (when I think of all the trouble that was one day to come of it), she already placed Albertine, because she saw me often asking Mamma, on behalf of my impecunious friend, for trinkets and other little presents, which Françoise held to be inexcusable because Mme. Bontemps had only a general servant. A moment later the lift-boy, having removed what I should have called his livery and he called his tunic, appeared wearing a straw hat, carrying a cane, holding himself stiffly erect, for his mother had warned him never to adopt the ‘working-class′ or ‘pageboy′ style.
De même que, grâce aux livres, la science l′est à un ouvrier qui n′est plus ouvrier quand il a fini son travail, de même, grâce au canotier et à la paire de gants, l′élégance devenait accessible au lift qui, ayant cessé, pour la soirée, de faire monter les clients, se croyait, comme un jeune chirurgien qui a retiré sa blouse, ou le maréchal des logis Saint–Loup sans uniforme, devenu un parfait homme du monde. Il n′était pas d′ailleurs sans ambition, ni talent non plus pour manipuler sa cage et ne pas vous arrêter entre deux étages. Mais son langage était défectueux. Je croyais à son ambition parce qu′il disait en parlant du concierge, duquel il dépendait: «Mon concierge», sur le même ton qu′un homme possédant à Paris ce que le chasseur eût appelé «un hôtel particulier» eût parlé de son portier. Quant au langage du liftier, il est curieux que quelqu′un qui entendait cinquante fois par jour un client appeler: «Ascenseur», ne dît jamais lui-même qu′«accenseur». Certaines choses étaient extrêmement agaçantes chez ce liftier: quoi que je lui eusse dit il m′interrompait par une locution «Vous pensez!» ou «Pensez!» qui semblait signifier ou bien que ma remarque était d′une telle évidence que tout le monde l′eût trouvée, ou bien reporter sur lui le mérite comme si c′était lui qui attirait mon attention là-dessus. «Vous pensez!» ou «Pensez!», exclamé avec la plus grande énergie, revenait toutes les deux minutes dans sa bouche, pour des choses dont il ne se fût jamais avisé, ce qui m′irritait tant que je me mettais aussitôt à dire le contraire pour lui montrer qu′il n′y comprenait rien. Mais à ma seconde assertion, bien qu′elle fût inconciliable avec la première, il ne répondait pas moins: «Vous pensez!», comme si ces mots étaient inévitables. Je lui pardonnais difficilement aussi qu′il employât certains termes de son métier, et qui eussent, à cause de cela, été parfaitement convenables au propre, seulement dans le sens figuré, ce qui leur donnait une intention spirituelle assez bébête, par exemple le verbe pédaler. Jamais il n′en usait quand il avait fait une course à bicyclette. Mais si, à pied, il s′était dépêché pour être à l′heure, pour signifier qu′il avait marché vite il disait: «Vous pensez si on a pédalé!» Le liftier était plutôt petit, mal bâti et assez laid. Cela n′empêchait pas que chaque fois qu′on lui parlait d′un jeune homme de taille haute, élancée et fine, il disait: «Ah! oui, je sais, un qui est juste de ma grandeur.» Et un jour que j′attendais une réponse de lui, comme on avait monté l′escalier, au bruit des pas j′avais par impatience ouvert la porte de ma chambre et j′avais vu un chasseur beau comme Endymion, les traits incroyablement parfaits, qui venait pour une dame que′je ne connaissais pas. Just as, thanks to books, all knowledge is open to a working man, who ceases to be such when he has finished his work, so, thanks to a ‘boater′ hat and a pair of gloves, elegance became accessible to the lift-boy who, having ceased for the evening to take the visitors upstairs, imagined himself, like a young surgeon who has taken off his overall, or Serjeant Saint-Loup out of uniform, a typical young man about town. He was not for that matter lacking in ambition, or in talent either in manipulating his machine and not bringing you to a standstill between two floors. But his vocabulary was defective. I credited him with ambition because he said in speaking of the porter, under whom he served: “My porter,” in the same tone in which a man who owned what the page would have called a ‘private mansion′ in Paris would have referred to his footman. As for the lift-boy′s vocabulary, it is curious that anybody who heard people, fifty times a day, calling for the ‘lift,′ should never himself call it anything but a ‘left.′ There were certain things about this boy that were extremely annoying: whatever I might be saying to him he would interrupt with a phrase: “I should say so!” or “I say!” which seemed either to imply that my remark was so obvious that anybody would have thought of it, or else to take all the credit for it to himself, as though it were he that was drawing my attention to the subject. “I should say so!” or “I say!” exclaimed with the utmost emphasis, issued from his lips every other minute, over matters to which he had never given a thought, a trick which irritated me so much that I immediately began to say the opposite to shew him that he knew nothing about it. But to my second assertion, albeit it was incompatible with the first, he replied none the less stoutly: “I should say so!” “I say!” as though these words were inevitable. I found it difficult, also, to forgive him the trick of employing certain terms proper to his calling, which would therefore have sounded perfectly correct in their literal sense, in a figurative sense only, which gave them an air of feeble witticism, for instance the verb to pedal. He never used it when he had gone anywhere on his bicycle. But if, on foot, he had hurried to arrive somewhere in time, then, to indicate that he had walked fast, he would exclaim: “I should say I didn′t half pedal!” The lift-boy was on the small side, clumsily built and by no means good looking. This did not prevent him, whenever one spoke to him of some tall, slim, handsome young man, from saying: “Oh, yes, I know, a fellow who is just my height.” And one day when I was expecting him to bring me the answer to a message, hearing somebody come upstairs, I had in my impatience opened the door of my room and caught sight of a page as beautiful as Endymion, with incredibly perfect features, who was bringing a message to a lady whom I did not know.
Quand le liftier était rentré, en lui disant avec quelle impatience j′avais attendu sa réponse, je lui avais raconté que j′avais cru qu′il montait niais que c′était un chasseur de l′hôtel de Normandie. «Ah! oui, je sais lequel, me dit-il, il n′y en a qu′un, un garçon de ma taille. Comme figure aussi il me ressemble tellement qu′on pourrait nous prendre l′un pour l′autre, on dirait tout à fait mon frangin.» Enfin il voulait paraître avoir tout compris dès la première seconde, ce qui faisait que, dès qu′on lui recommandait quelque chose, il disait: «Oui, oui, oui, oui, oui, je comprends très bien», avec une netteté et un ton intelligent qui me firent quelque temps illusion; mais les personnes, au fur et à mesure qu′on les connaît, sont comme un métal plongé dans un mélange altérant, et on les voit peu à peu perdre leurs qualités (comme parfois leurs défauts). Avant de lui faire mes recommandations, je vis qu′il avait laissé la porte ouverte; je le lui fis remarquer, j′avais peur qu′on ne nous entendît; il condescendit à mon désir et revint ayant diminué l′ouverture. «C′est pour vous faire plaisir. Mais il n′y a plus personne à l′étage que nous deux.» Aussitôt j′entendis passer une, puis deux, puis trois personnes. Cela m′agaçait à cause de l′indiscrétion possible: , mais surtout parce que je voyais que cela ne l′étonnait nullement et que c′était un va-et-vient normal. «Oui, c′est la femme de chambre d′à côté qui va chercher ses affaires. Oh! c′est sans importance, c′est le sommelier qui remonte ses clefs. Non, non, ce n′est rien, vous pouvez parler, c′est mon collègue qui va prendre son service.» Et comme les raisons que tous les gens avaient de passer ne diminuaient pas mon ennui qu′ils pussent m′entendre, sur mon ordre formel, il alla, non pas fermer la porte, ce qui était au-dessus des forces de ce cycliste qui désirait une «moto», mais la pousser un peu plus. «Comme ça nous sommes bien tranquilles.» Nous l′étions tellement qu′une Américaine entra et se retira en s′excusant de s′être trompée de chambre. «Vous allez me ramener cette jeune fille, lui dis-je, après avoir fait claquer moi-même la porte de toutes mes forces (ce qui amena un autre chasseur s′assurer qu′il n′y avait pas de fenêtre ouverte). Vous vous rappelez bien: Mlle Albertine Simonet. Du reste, c′est sur l′enveloppe. Vous n′avez qu′à lui dire que cela vient de moi. Elle viendra très volontiers, ajoutai-je pour l′encourager et ne pas trop m′humilier. — Vous pensez! — Mais non, au contraire, ce n′est pas du tout naturel qu′elle vienne volontiers. C′est très incommode de venir de Berneville ici. — Je comprends! — Vous lui direz de venir avec vous. — Oui, oui, oui, oui, je comprends très bien, répondait-il de ce ton précis et fin qui depuis longtemps avait cessé de me faire «bonne impression» parce que je savais qu′il était presque mécanique et recouvrait sous sa netteté apparente beaucoup de vague et de bêtise. — A quelle heure serez-vous revenu? — J′ai pas pour bien longtemps, disait le lift qui, poussant à l′extrême la règle édictée par Bélise d′éviter la récidive du pas avec le ne, se contentait toujours d′une seule négative. Je peux très bien y aller. Justement les sorties ont été supprimées ce tantôt parce qu′il y avait un salon de 20 couverts pour le déjeuner. Et c′était mon tour de sortir le tantôt. C′est bien juste si je sors un peu ce soir. Je prends n′avec moi mon vélo. Comme cela je ferai vite.» Et une heure après il arrivait en me disant: «Monsieur a bien attendu, mais cette demoiselle vient n′avec moi. Elle est en bas. — Ah! merci, le concierge ne sera pas fâché contre moi? — Monsieur Paul? Il sait seulement pas où je suis été. Même le chef de la porte n′a rien à dire.» Mais une fois où je lui avais dit: «Il faut absolument que vous la rameniez», il me dit en souriant: «Vous savez que je ne l′ai pas trouvée. Elle n′est pas là. Et j′ai pas pu rester plus longtemps; j′avais peur d′être comme mon collègue qui a été envoyé de l′hôtel (car le lift qui disait rentrer pour une profession où on entre pour la première fois, «je voudrais bien rentrer dans les postes», pour compensation, ou pour adoucir la chose s′il s′était agi de lui, ou l′insinuer plus doucereusement et perfidement s′il s′agissait d′un autre supprimait l′r et disait: «Je sais qu′il a été envoyé»). Ce n′était pas par méchanceté qu′il souriait, mais à cause de sa timidité. Il croyait diminuer l′importance de sa faute en la prenant en plaisanterie. De même s′il m′avait dit: «Vous savez que je ne l′ai pas trouvée», ce n′est pas qu′il crût qu′en effet je le susse déjà. Au contraire il ne doutait pas que je l′ignorasse, et surtout il s′en effrayait. Aussi disait-il «vous le savez» pour s′éviter à lui-même les affres qu′il traverserait en prononçant les phrases destinées à me l′apprendre. On ne devrait jamais se mettre en colère contre ceux qui, pris en faute par nous, se mettent à ricaner. Ils le font non parce qu′ils se moquent, mais tremblent que nous puissions être mécontents. Témoignons une grande pitié, montrons une grande douceur à ceux qui rient. Pareil à une véritable attaque, le trouble du lift avait amené chez lui non seulement une rougeur apoplectique mais une altération du langage, devenu soudain familier. Il finit par m′expliquer qu′Albertine n′était pas à Egreville, qu′elle devait revenir seulement à 9 heures et que, si des fois, ce qui voulait dire par hasard, elle rentrait plus tôt, on lui ferait la commission, et qu′elle serait en tout cas chez moi avant une heure du matin. When the lift-boy returned, in telling him how impatiently I had waited for the answer, I mentioned to him that I had thought I heard him come upstairs but that it had turned out to be a page from the Hôtel de Normandie. “Oh, yes, I know,” he said, “they have only the one, a boy about my build. He′s so like me in face, too, that we′re always being mistaken; anybody would think he was my brother.” Lastly, he always wanted to appear to have understood you perfectly from the first second, which meant that as soon as you asked him to do anything he would say: “Yes, yes, yes, yes, I understand all that,” with a precision and a tone of intelligence which for some time deceived me; but other people, as we get to know them, are like a metal dipped in an acid bath, and we see them gradually lose their good qualities (and their bad qualities too, at times). Before giving him my instructions, I saw that he had left the door open; I pointed this out to him, I was afraid that people might hear us; he acceded to my request and returned, having reduced the gap. “Anything to oblige. But there′s nobody on this floor except us two.” Immediately I heard one, then a second, then a third person go by. This annoyed me partly because of the risk of my being overheard, but more still because I could see that it did not in the least surprise him and was a perfectly normal occurrence. “Yes, that′ll be the maid next door going for her things. Oh, that′s of no importance, it′s the bottler putting away his keys. No, no, it′s nothing, you can say what you want, it′s my colleague just going on duty.” Then, as the reasons that all these people had for passing did not diminish my dislike of the thought that they might overhear me, at a formal order from me he went, not to shut the door, which was beyond the strength of this bicyclist who longed for a ‘motor,′ but to push it a little closer to. “Now we shall be quite quiet.” So quiet were we that an American lady burst in and withdrew with apologies for having mistaken the number of her room. “You are going to bring this young lady back with you,” I told him, after first going and banging the door with all my might (which brought in another page to see whether a window had been left open). “You remember the name: Mlle. Albertine Simonet. Anyhow, it′s on the envelope. You need only say to her that it′s from me. She will be delighted to come,” I added, to encourage him and preserve a scrap of my own self-esteem. “I should say so!” “Not at all, there is not the slightest reason to suppose that she will be glad to come. It′s a great nuisance getting here from Berneville.” “I understand!” “You will tell her to come with you.” “Yes, yes, yes, yes, I understand perfectly,” he replied, in that sharp, precise tone which had long ceased to make a ‘good impression′ upon me because I knew that it was almost mechanical and covered with its apparent clearness plenty of uncertainty and stupidity. “When will you be back?” “Haven′t any too much time,” said the lift-boy, who, carrying to extremes the grammatical rule that forbids the repetition of personal pronouns before coordinate verbs, omitted the pronoun altogether. “Can go there all right. Leave was stopped this afternoon, because there was a dinner for twenty at luncheon. And it was my turn off duty to-day. So it′s all right if I go out a bit this evening. Take my bike with me. Get there in no time.” And an hour later he reappeared and said: “Monsieur′s had to wait, but the young lady′s come with me. She′s down below.” “Oh, thanks very much; the porter won′t be cross with me?” “Monsieur Paul? Doesn′t even know where I′ve been. The head of the door himself can′t say a word.” But once, after I had told him: “You absolutely must bring her back with you,” he reported to me with a smile: “You know, I couldn′t find her. She′s not there. Couldn′t wait any longer; was afraid of getting it like my colleague who was ‘missed from the hotel” (for the lift-boy, who used the word ‘rejoin′ of a profession which one joined for the first time, “I should like to rejoin the post-office,” to make up for this, or to mitigate the calamity, were his own career at stake, or to insinuate it more delicately and treacherously were the victim some one else, elided the prefix and said: “I know he′s been ‘missed”). It was not with any evil intent that he smiled, but from sheer timidity. He thought that he was diminishing the magnitude of his crime by making a joke of it. In the same way, if he had said to me: “You know, I couldn′t find her,” this did not mean that he really thought that I knew it already. On the contrary, he was all too certain that I did not know it, and, what was more, was afraid to tell me. And so he said ‘you know′ to ward off the terror which menaced him as he uttered the words that were to bring me the knowledge. We ought never to lose our tempers with people who, when we find fault with them, begin to titter. They do so not because they are laughing at us, but because they are trembling lest we should be angry. Let us shew all pity and tenderness to those who laugh. For all the world like a stroke, the lift-boy′s anxiety had wrought in him not merely an apoplectic flush but an alteration in his speech which had suddenly become familiar. He wound up by telling me that Albertine was not at Egreville, that she would not be coming back there before nine o′clock, and that if betimes (which meant, by chance) she came back earlier, my message would be given her, and in any case she would be with me before one o′clock in the morning.
Â…   [Translator′s note: In the French text of Sodome et Gomorrhe, Volume I ends at this point.]
Ce ne fut pas ce soir-là encore, d′ailleurs, que commença à prendre consistance ma cruelle méfiance. Non, pour le dire tout de suite, et bien que le fait ait eu lieu seulement quelques semaines après, elle naquit d′une remarque de Cottard. Albertine et ses amies avaient voulu ce jour-là m′entraîner au casino d′Incarville et, pour ma chance, je ne les y eusse pas rejointes (voulant aller faire une visite à Mme Verdurin qui m′avait invité plusieurs fois), si je n′eusse été arrêté à Incarville même par une panne de tram qui allait demander un certain temps de réparation. Marchant de long en large en attendant qu′elle fût finie, je me trouvai tout à coup face à face avec le docteur Cottard venu à Incarville en consultation. J′hésitai presque à lui dire bonjour comme il n′avait répondu à aucune de mes lettres. Mais l′amabilité ne se manifeste pas chez tout le monde de la même façon. N′ayant pas été astreint par l′éducation aux mêmes règles fixes de savoir-vivre que les gens du monde, Cottard était plein de bonnes intentions qu′on ignorait, qu′on niait, jusqu′au jour où il avait l′occasion de les manifester. Il s′excusa, avait bien reçu mes lettres, avait signalé ma présence aux Verdurin, qui avaient grande envie de me voir et chez qui il me conseillait d′aller. Il voulait même m′y emmener le soir même, car il allait reprendre le petit chemin de fer d′intérêt local pour y aller dîner. Comme j′hésitais et qu′il avait encore un peu de temps pour son train, la panne devant être assez longue, je le fis entrer dans le petit Casino, un de ceux qui m′avaient paru si tristes le soir de ma première arrivée, maintenant plein du tumulte des jeunes filles qui, faute de cavaliers, dansaient ensemble. Andrée vint à moi en faisant des glissades, je comptais repartir dans un instant avec Cottard chez les Verdurin, quand je refusai définitivement son offre, pris d′un désir trop vif de rester avec Albertine. C′est que je venais de l′entendre rire. Et ce rire évoquait aussi les roses carnations, les parois parfumées contre lesquelles il semblait qu′il vînt de se frotter et dont, âcre, sensuel et révélateur comme une odeur de géranium, il semblait transporter avec lui quelques particules presque pondérables, irritantes et secrètes.   It was not this evening, however, that my cruel mistrust began to take solid form. No, to make no mystery about it, although the incident did not occur until some weeks later, it arose out of a remark made by Cottard. Albertine and her friends had insisted that day upon dragging me to the casino at Incarville where, as luck would have it, I should not have joined them (having intended to go and see Mme. Verdurin who had invited me again and again), had I not been held up at Incarville itself by a breakdown of the tram which it would take a considerable time to repair. As I strolled up and down waiting for the men to finish working at it, I found myself all of a sudden face to face with Doctor Cottard, who had come to Incarville to see a patient. I almost hesitated to greet him as he had not answered any of my letters. But friendship does not express itself in the same way in different people. Not having been brought up to observe the same fixed rules of behaviour as well-bred people, Cottard was full of good intentions of which one knew nothing, even denying their existence, until the day when he had an opportunity of displaying them. He apologised, had indeed received my letters, had reported my whereabouts to the Verdurins who were most anxious to see me and whom he urged me to go and see. He even proposed to take me to them there and then, for he was waiting for the little local train to take him back there for dinner. As I hesitated and he had still some time before his train ( for there was bound to be still a considerable delay), I made him come with me to the little casino, one of those that had struck me as being so gloomy on the evening of my first arrival, now filled with the tumult of the girls, who, in the absence of male partners, were dancing together. Andrée came sliding along the floor towards me; I was meaning to go off with Cottard in a moment to the Verdurins′, when I definitely declined his offer, seized by an irresistible desire to stay with Albertine. The fact was, I had just heard her laugh. And her laugh at once suggested the rosy flesh, the fragrant portals between which it had just made its way, seeming also, as strong, sensual and revealing as the scent of geraniums, to carry with it some microscopic particles of their substance, irritant and secret.
Une des jeunes filles que je ne connaissais pas se mit au piano, et Andrée demanda à Albertine de valser avec elle. Heureux, dans ce petit Casino, de penser que j′allais rester avec ces jeunes filles, je fis remarquer à Cottard comme elles dansaient bien. Mais lui, du point de vue spécial du médecin, et avec une mauvaise éducation qui ne tenait pas compte de ce que je connaissais ces jeunes filles, à qui il avait pourtant dû me voir dire bonjour, me répondit: «Oui, mais les parents sont bien imprudents qui laissent leurs filles prendre de pareilles habitudes. Je ne permettrais certainement pas aux miennes de venir ici. Sont-elles jolies au moins? Je ne distingue pas leurs traits. Tenez, regardez, ajouta-t-il en me montrant Albertine et Andrée qui valsaient lentement, serrées l′une contre l′autre, j′ai oublié mon lorgnon et je ne vois pas bien, mais elles sont certainement au comble de la jouissance. On ne sait pas assez que c′est surtout par les seins que les femmes l′éprouvent. Et, voyez, les leurs se touchent complètement.» En effet, le contact n′avait pas cessé entre ceux d′Andrée et ceux d′Albertine. Je ne sais si elles entendirent ou devinèrent la réflexion de Cottard, mais elles se détachèrent légèrement l′une de l′autre tout en continuant à valser. Andrée dit à ce moment un mot à Albertine et celle-ci rit du même rire pénétrant et profond que j′avais entendu tout à l′heure. Mais le trouble qu′il m′apporta cette fois ne me fut plus que cruel; Albertine avait l′air d′y montrer, de faire constater à Andrée quelque frémissement voluptueux et secret. Il sonnait comme les premiers ou les derniers accords d′une fête inconnue. Je repartis avec Cottard, distrait en causant avec lui, ne pensant que par instants à la scène que je venais de voir. Ce n′était pas que la conversation de Cottard fût intéressante. Elle était même en ce moment devenue aigre car nous venions d′apercevoir le docteur du Boulbon, qui ne nous vit pas. Il était venu passer quelque temps de l′autre côté de la baie de Balbec, où on le consultait beaucoup. Or, quoique Cottard eût l′habitude de déclarer qu′il ne faisait pas de médecine en vacances, il avait espéré se faire, sur cette côte, une clientèle de choix, à quoi du Boulbon se trouvait mettre obstacle. Certes le médecin de Balbec ne pouvait gêner Cottard. C′était seulement un médecin très consciencieux, qui savait tout et à qui on ne pouvait parler de la moindre démangeaison sans qu′il vous indiquât aussitôt, dans une formule complexe, la pommade, lotion ou liniment qui convenait. Comme disait Marie Gineste dans son joli langage, il savait «charmer» les blessures et les plaies. Mais il n′avait pas d′illustration. Il avait bien causé un petit ennui à Cottard. Celui-ci, depuis qu′il voulait troquer sa chaire contre celle de thérapeutique, s′était fait une spécialité des intoxications. Les intoxications, périlleuse innovation de la médecine, servant à renouveler les étiquettes des pharmaciens dont tout produit est déclaré nullement toxique, au rebours des drogues similaires, et même désintoxiquant. C′est la réclame à la mode; à peine s′il survit en bas, en lettres illisibles, comme une faible trace d′une mode précédente, l′assurance que le produit a été soigneusement antiseptisé. Les intoxications servent aussi à rassurer le malade, qui apprend avec joie que sa paralysie n′est qu′un malaise toxique. Or un grand-duc étant venu passer quelques jours à Balbec et ayant un oeil extrêmement enflé avait fait venir Cottard lequel, en échange de quelques billets de cent francs (le professeur ne se dérangeait pas à moins), avait imputé comme cause à l′inflammation un état toxique et prescrit un régime désintoxiquant. L′oeil ne désenflant pas, le grand-duc se rabattit sur le médecin ordinaire de Balbec, lequel en cinq minutes retira un grain de poussière. Le lendemain il n′y paraissait plus. Un rival plus dangereux pourtant était une célébrité des maladies nerveuses. C′était un homme rouge, jovial, à la fois parce que la fréquentation de la déchéance nerveuse ne l′empêchait pas d′être très bien portant, et aussi pour rassurer ses malades par le gros rire de son bonjour et de son au revoir, quitte à aider de ses bras d′athlète à leur passer plus tard la camisole de force. Néanmoins, dès qu′on causait avec lui dans le monde, fût-ce de politique ou de littérature, il vous écoutait avec une bienveillance attentive, d′un air de dire: «De quoi s′agit-il?», sans se prononcer tout de suite comme s′il s′était agi d′une consultation. Mais enfin celui-là, quelque talent qu′il eût, était un spécialiste. Aussi toute la rage de Cottard était-elle reportée sur du Boulbon. Je quittai du reste bientôt, pour rentrer, le professeur ami des Verdurin, en lui promettant d′aller les voir.   One of the girls, a stranger to me, sat down at the piano, and Andrée invited Albertine to waltz with her. Happy in the thought that I was going to remain in this little casino with these girls, I remarked to Cottard how well they danced together. But he, taking the professional point of view of a doctor and with an ill-breeding which overlooked the fact that they were my friends, although he must have seen me shaking hands with them, replied: “Yes, but parents are very rash to allow their daughters to form such habits. I should certainly never let mine come here. Are they nice-looking, though? I can′t see their faces. There now, look,” he went on, pointing to Albertine and Andrée who were waltzing slowly, tightly clasped together, “I have left my glasses behind and I don′t see very well, but they are certainly keenly roused. It is not sufficiently known that women derive most excitement from their breasts. And theirs, as you see, are completely touching.” And indeed the contact had been unbroken between the breasts of Andrée and of Albertine. I do not know whether they heard or guessed Cottard′s observation, but they gently broke the contact while continuing to waltz. At that moment Andrée said something to Albertine, who laughed, the same deep and penetrating laugh that I had heard before. But all that it wafted to me this time was a feeling of pain; Albertine appeared to be revealing by it, to be making Andrée share some exquisite, secret thrill. It rang out like the first or the last strains of a ball to which one has not been invited. I left the place with Cottard, distracted by his conversation, thinking only at odd moments of the scene I had just witnessed. This does not mean that Cottard′s conversation was interesting. It had indeed, at that moment, become bitter, for we had just seen Doctor du Boulbon go past without noticing us. He had come down to spend some time on the other side of Balbec bay, where he was greatly in demand. Now, albeit Cottard was in the habit of declaring that he did no professional work during the holidays, he had hoped to build up a select practice along the coast, a hope which du Boulbon′s presence there doomed to disappointment. Certainly, the Balbec doctor could not stand in Cottard′s way. He was merely a thoroughly conscientious doctor who knew everything, and to whom you could not mention the slightest irritation of the skin without his immediately prescribing, in a complicated formula, the ointment, lotion or liniment that would put you right. As Marie Gineste used to say, in her charming speech, he knew how to ‘charm′ cuts and sores. But he was in no way eminent. He had indeed caused Cottard some slight annoyance. The latter, now that he was anxious to exchange his Chair for that of Therapeutics, had begun to specialise in toxic actions. These, a perilous innovation in medicine, give an excuse for changing the labels in the chemists′ shops, where every preparation is declared to be in no way toxic, unlike its substitutes, and indeed to be disintoxicant. It is the fashionable cry; at the most there may survive below in illegible lettering, like the faint trace of an older fashion, the assurance that the preparation has been carefully disinfected. Toxic actions serve also to reassure the patient, who learns with joy that his paralysis is merely a toxic disturbance. Now, a Grand Duke who had come for a few days to Balbec and whose eye was extremely swollen had sent for Cottard who, in return for a wad of hundred-franc notes (the Professor refused to see anyone for less), had put down the inflammation to a toxic condition and prescribed a disintoxicant treatment. As the swelling did not go down, the Grand Duke fell back upon the general practitioner of Balbec, who in five minutes had removed a speck of dust. The following day, the swelling had gone. A celebrated specialist in nervous diseases was, however, a more dangerous rival. He was a rubicund, jovial person, since, for one thing, the constant society of nervous wrecks did not prevent him from enjoying excellent health, but also so as to reassure his patients by the hearty merriment of his ‘Good morning′ and ‘Good-bye,′ while quite ready to lend the strength of his muscular arms to fastening them in strait-waistcoats later on. Nevertheless, whenever you spoke to him at a party, whether of politics or of literature, he would listen to you with a kindly attention, as though he were saying: “What is it all about?” without at once giving an opinion, as though it were a matter for consultation. But anyhow he, whatever his talent might be, was a specialist. And so the whole of Cottard′s rage was heaped upon du Boulbon. But I soon bade good-bye to the Verdurins′ professional friend, and returned to Balbec, after promising him that I would pay them a visit before long.
Le mal que m′avaient fait ses paroles concernant Albertine et Andrée était profond, mais les pires souffrances n′en furent pas senties par moi immédiatement, comme il arrive pour ces empoisonnements qui n′agissent qu′au bout d′un certain temps.   The mischief that his remarks about Albertine and Andrée had done me was extreme, but its worst effects were not immediately felt by me, as happens with those forms of poisoning which begin to act only after a certain time.
Albertine, le soir où le lift était allé la chercher, ne vint pas, malgré les assurances de celui-ci. Certes les charmes d′une personne sont une cause moins fréquente d′amour qu′une phrase du genre de celle-ci: «Non, ce soir je ne serai pas libre.» On ne fait guère attention à cette phrase si on est avec des amis; on est gai toute la soirée, on ne s′occupe pas d′une certaine image; pendant ce temps-là elle baigne dans le mélange nécessaire; en rentrant on trouve le cliché, qui est développé et parfaitement net. On s′aperçoit que la vie n′est plus la vie qu′on aurait quittée pour un rien la veille, parce que, si on continue à ne pas craindre la mort, on n′ose plus penser à la séparation.   Albertine, on the night after the lift-boy had gone in search of her, did not appear, notwithstanding his assurances. Certainly, personal charm is a less frequent cause of love than a speech such as: “No, this evening I shall not be free.” We barely notice this speech if we are with friends; we are gay all the evening, a certain image never enters our mind; during those hours it remains dipped in the necessary solution; when we return home we find the plate developed and perfectly clear. We become aware that life is no longer the life which we would have surrendered for a trifle the day before, because, even if we continue not to fear death, we no longer dare think of a parting.
Du reste, à partir, non d′une heure du matin (heure que le liftier avait fixée), mais de trois heures, je n′eus plus comme autrefois la souffrance de sentir diminuer mes chances qu′elle apparût. La certitude qu′elle ne viendrait plus m′apporta un calme complet, une fraîcheur; cette nuit était tout simplement une nuit comme tant d′autres où je ne la voyais pas, c′est de cette idée que je partais. Et dès lors la pensée que je la verrais le lendemain ou d′autres jours, se détachant sur ce néant accepté, devenait douce. Quelquefois, dans ces soirées d′attente, l′angoisse est due à un médicament qu′on a pris. Faussement interprété par celui qui souffre, il croit être anxieux à cause de celle qui ne vient pas. L′amour naît dans ce cas comme certaines maladies nerveuses de l′explication inexacte d′un malaise pénible. Explication qu′il n′est pas utile de rectifier, du moins en ce qui concerne l′amour, sentiment qui (quelle qu′en soit la cause) est toujours erroné.   From, however, not one o′clock in the morning (the limit fixed by the lift-boy), but three o′clock, I no longer felt as in former times the anguish of seeing the chance of her coming diminish. The certainty that she would not now come brought me a complete, refreshing calm; this night was simply a night like all the rest during which I did not see her, such was the idea from which I started. After which, the thought that I should see her in the morning, or some other day, outlining itself upon the blank which I submissively accepted, became pleasant. Sometimes, during these nights of waiting, our anguish is due to a drug which we have taken. The sufferer, misinterpreting his own symptoms, thinks that he is anxious about the woman who fails to appear. Love is engendered in these cases, as are certain nervous maladies, by the inaccurate explanation of a state of discomfort. An explanation which it is useless to correct, at any rate so far as love is concerned, a sentiment which (whatever its cause) is invariably in error.
Le lendemain, quand Albertine m′écrivit qu′elle venait seulement de rentrer à Egreville, n′avait donc pas eu mon mot à temps, et viendrait, si je le permettais, me voir le soir, derrière les mots de sa lettre comme derrière ceux qu′elle m′avait dits une fois au téléphone, je crus sentir la présence de plaisirs, d′êtres, qu′elle m′avait préférés. Encore une fois je fus agité tout entier par la curiosité douloureuse de savoir ce qu′elle avait pu faire, par l′amour latent qu′on porte toujours en soi; je pus croire un moment qu′il allait m′attacher à Albertine, mais il se contenta de frémir sur place et ses dernières rumeurs s′éteignirent sans qu′il se fût mis en marche.   Next day, when Albertine wrote to me that she had only just got back to Epreville, and so had not received my note in time, and was coming, if she might, to see me that evening, behind the words of her letter, as behind those that she had said to me once over the telephone, I thought I could detect the presence of pleasures, of people whom she had preferred to me. Once again, I was stirred from head to foot by the painful longing to know what she could have been doing, by the latent love which we always carry within us; I almost thought for a moment that it was going to attach me to Albertine, but it confined itself to a stationary throbbing, the last echo of which died away without the machine′s having been set in motion.
J′avais mal compris, dans mon premier séjour à Balbec — et peut-être bien Andrée avait fait comme moi — le caractère d′Albertine. J′avais cru que c′était frivolité, mais ne savais si toutes nos supplications ne réussiraient pas à la retenir et lui faire manquer une garden-party, une promenade à ânes, un pique-nique. Dans mon second séjour à Balbec, je soupçonnai que cette frivolité n′était qu′une apparence, la garden-party qu′un paravent, sinon une invention. Il se passait sous des formes diverses la chose suivante (j′entends la chose vue par moi, de mon côté du verre, qui n′était nullement transparent, et sans que je puisse savoir ce qu′il y avait de vrai de l′autre côté). Albertine me faisait les protestations de tendresse les plus passionnées. Elle regardait l′heure parce qu′elle devait aller faire une visite à une dame qui recevait, paraît-il, tous les jours à cinq heures, à Infreville. Tourmenté d′un soupçon et me sentant d′ailleurs souffrant, je demandais à Albertine, je la suppliais de rester avec moi. C′était impossible (et même elle n′avait plus que cinq minutes à rester) parce que cela fâcherait cette dame, peu hospitalière et susceptible, et, disait Albertine, assommante. «Mais on peut bien manquer une visite. — Non, ma tante m′a appris qu′il fallait être polie avant tout. — Mais je vous ai vue si souvent être impolie. — Là, ce n′est pas la même chose, cette dame m′en voudrait et me ferait des histoires avec ma tante. Je ne suis déjà pas si bien que cela avec elle. Elle tient à ce que je sois allée une fois la voir. — Mais puisqu′elle reçoit tous les jours.» Là, Albertine sentant qu′elle s′était «coupée», modifiait la raison. «Bien entendu elle reçoit tous les jours. Mais aujourd′hui j′ai donné rendez-vous chez elle à des amies. Comme cela on s′ennuiera moins. — Alors, Albertine, vous préférez la dame et vos amies à moi, puisque, pour ne pas risquer de faire une visite un peu ennuyeuse, vous préférez de me laisser seul, malade et désolé? — Cela me serait bien égal que la visite fût ennuyeuse. Mais c′est par dévouement pour elles. Je les ramènerai dans ma carriole. Sans cela elles n′auraient plus aucun moyen de transport.» Je faisais remarquer à Albertine qu′il y avait des trains jusqu′à 10 heures du soir, d′Infreville. «C′est vrai, mais, vous savez, il est possible qu′on nous demande de rester à dîner. Elle est très hospitalière. — Hé bien, vous refuserez. — Je fâcherais encore ma tante. — Du reste, vous pouvez dîner et prendre le train de 10 heures. — C′est un peu juste. — Alors je ne peux jamais aller dîner en ville et revenir par le train. Mais tenez, Albertine, nous allons faire une chose bien simple: je sens que l′air me fera du bien; puisque vous ne pouvez lâcher la dame, je vais vous accompagner jusqu′à Infreville. Ne craignez rien, je n′irai pas jusqu′à la tour Élisabeth (la villa de la dame), je ne verrai ni la dame, ni vos amies.» Albertine avait l′air d′avoir reçu un coup terrible. Sa parole était entrecoupée. Elle dit que les bains de mer ne lui réussissaient pas. «Si ça vous ennuie que je vous accompagne? — Mais comment pouvez-vous dire cela, vous savez bien que mon plus grand plaisir est de sortir avec vous.» Un brusque revirement s′était opéré. «Puisque nous allons nous promener ensemble, me dit-elle, pourquoi n′irions-nous pas de l′autre côté de Balbec, nous dînerions ensemble. Ce serait si gentil. Au fond, cette côte-là est bien plus jolie. Je commence à en avoir soupé d′Infreville et du reste, tous ces petits coins vert-épinard. — Mais l′amie de votre tante sera fâchée si vous n′allez pas la voir. — Hé bien, elle se défâchera. — Non, il ne faut pas fâcher les gens. — Mais elle ne s′en apercevra même pas, elle reçoit tous les jours; que j′y aille demain, après-demain, dans huit jours, dans quinze jours, cela fera toujours l′affaire. — Et vos amies? — Oh! elles m′ont assez souvent plaquée. C′est bien mon tour. — Mais du côté que vous me proposez, il n′y a pas de train après neuf heures. — Hé bien, la belle affaire! neuf heures c′est parfait. Et puis il ne faut jamais se laisser arrêter par les questions du retour. On trouvera toujours une charrette, un vélo, à défaut on a ses jambes. — On trouve toujours, Albertine, comme vous y allez! Du côté d′Infreville, où les petites stations de bois sont collées les unes à côtés des autres, oui. Mais du côté de . . . ce n′est pas la même chose. — Même de ce côté-là. Je vous promets de vous ramener sain et sauf.» Je sentais qu′Albertine renonçait pour moi à quelque chose d′arrangé qu′elle ne voulait pas me dire, et qu′il y avait quelqu′un qui serait malheureux comme je l′étais. Voyant que ce qu′elle avait voulu n′était pas possible, puisque je voulais l′accompagner, elle renonçait franchement. Elle savait que ce n′était pas irrémédiable. Car, comme toutes les femmes qui ont plusieurs choses dans leur existence, elle avait ce point d′appui qui ne faiblit jamais: le doute et la jalousie. Certes elle ne cherchait pas à les exciter, au contraire. Mais les amoureux sont si soupçonneux qu′ils flairent tout de suite le mensonge. De sorte qu′Albertine n′était pas mieux qu′une autre, savait par expérience (sans deviner le moins du monde qu′elle le devait à la jalousie) qu′elle était toujours sûre de retrouver les gens qu′elle avait plaqués un soir. La personne inconnue qu′elle lâchait pour moi souffrirait, l′en aimerait davantage (Albertine ne savait pas que c′était pour cela), et, pour ne pas continuer à souffrir, reviendrait de soi-même vers elle, comme j′aurais fait. Mais je ne voulais ni faire de la peine, ni me fatiguer, ni entrer dans la voie terrible des investigations, de la surveillance multiforme, innombrable. «Non, Albertine, je ne veux pas gâter votre plaisir, allez chez votre dame d′Infreville, ou enfin chez la personne dont elle est le porte-nom, cela m′est égal. La vraie raison pour laquelle je ne vais pas avec vous, c′est que vous ne le désirez pas, que la promenade que vous feriez avec moi n′est pas celle que vous vouliez faire, la preuve en est que vous vous êtes contredite plus de cinq fois sans vous en apercevoir.» La pauvre Albertine craignit que ses contradictions, qu′elle n′avait pas aperçues, eussent été plus graves. Ne sachant pas exactement les mensonges qu′elle avait faits:   I had failed during my first visit to Balbec — and perhaps, for that matter, Andrée had failed equally — to understand Albertine′s character. I had put it down as frivolous, but had not known whether our combined supplications might not succeed in keeping her with us and making her forego a garden-party, a donkey ride, a picnic. During my second visit to Balbec, I began to suspect that this frivolity was only for show, the garden-party a mere screen, if not an invention. She shewed herself in various colours in the following incident (by which I mean the incident as seen by me, from my side of the glass which was by no means transparent, and without my having any means of determining what reality there was on the other side). Albertine was making me the most passionate protestations of affection. She looked at the time because she had to go and call upon a lady who was at home, it appeared, every afternoon at five o′clock, at Infreville. Tormented by suspicion, and feeling at the same time far from well, I asked Albertine, I implored her to remain with me. It was impossible (and indeed she could wait only five minutes longer) because it would annoy the lady who was far from hospitable, highly susceptible and, said Albertine, a perfect nuisance. “But one can easily cut a call.” “No, my aunt has always told me that the chief thing is politeness.” “But I have so often seen you being impolite.” “It′s not the same thing, the lady would be angry with me and would say nasty things about me to my aunt. I′m pretty well in her bad books already. She expects me to go and see her.” “But if she′s at home every day?” Here Albertine, feeling that she was caught, changed her line of argument. “So she is at home every day. But to-day I′ve made arrangements to meet some other girls there. It will be less boring that way.” “So then, Albertine, you prefer this lady and your friends to me, since, rather than miss paying an admittedly boring call, you prefer to leave me here alone, sick and wretched?” “I don′t care if it is boring. I′m going for their sake. I shall bring them home in my trap. Otherwise they won′t have any way of getting back.” I pointed out to Albertine that there were trains from Infreville up to ten o′clock at night. “Quite true, but don′t you see, it is possible that we may be asked to stay to dinner. She is very hospitable.” “Very well then, you won′t.” “I should only make my aunt angry.” “Besides, you can dine with her and catch the ten o′clock train.” “It′s cutting it rather fine.” “Then I can never go and dine in town and come back by train. But listen, Albertine. We are going to do something quite simple, I feel that the fresh air will do me good; since you can′t give up your lady, I am going to come with you to Infreville. Don′t be alarmed, I shan′t go as far as the Tour Elisabeth” (the lady′s villa), “I shall see neither the lady nor your friends.” Albertine started as though she had received a violent blow. For a moment, she was unable to speak. She explained that the sea bathing was not doing her any good. “If you don′t want me to come with you?” “How can you say such a thing, you know there′s nothing I enjoy more than going out with you.” A sudden change of tactics had occurred. “Since we are going for a drive together,” she said to me, “why not go out in the other direction, we might dine together. It would be so nice. After all, that side of Balbec is much the prettier. I′m getting sick of Infreville and all those little spinach-bed places.” “But your aunt′s friend will be annoyed if you don′t go and see her.” “Very well, let her be.” “No, it is wrong to annoy people.” “But she won′t even notice that I′m not there, she has people every day; I can go to-morrow, the next day, next week, the week after, it′s exactly the same.” “And what about your friends?” “Oh, they′ve cut me often enough. It′s my turn now.” “But from the side you suggest there′s no train back after nine.” “Well, what′s the matter with that? Nine will do perfectly. Besides, one need never think about getting back. We can always find a cart, a bike, if the worse comes to the worst, we have legs.” “We can always find, Albertine, how you go on! Out Infreville way, where the villages run into one another, well and good. But the other way, it′s a very different matter.” “That way too. I promise to bring you back safe and sound.” I felt that Albertine was giving up for my sake some plan arranged beforehand of which she refused to tell me, and that there was some one else who would be as unhappy as I was. Seeing that what she had intended to do was out of the question, since I insisted upon accompanying her, she gave it up altogether. She knew that the loss was not irremediable. For, like all women who have a number of irons in the fire, she had one resource that never failed: suspicion and jealousy. Of course she did not seek to arouse them, quite the contrary. But lovers are so suspicious that they instantly scent out falsehood. With the result that Albertine, being no better than anyone else, knew by experience (without for a moment imagining that she owed her experience to jealousy) that she could always be certain of meeting people again after she had failed to keep an appointment. The stranger whom she was deserting for me would be hurt, would love her all the more for that (though Albertine did not know that this was the reason), and, so as not to prolong the agony, would return to her of his own accord, as I should have done. But I had no desire either to give pain to another, or to tire myself, or to enter upon the terrible course of investigation, of multiform, unending vigilance. “No, Albertine, I do not wish to spoil your pleasure, go to your lady at Infreville, or rather to the person you really mean to see, it is all the same to me. The real reason why I am not coming with you is that you do not wish it, the outing you would be taking with me is not the one you meant to take, which is proved by your having contradicted yourself at least five times without noticing it.” Poor Albertine was afraid that her contradictions, which she had not noticed, had been more serious than they were. Not knowing exactly what fibs she had told me:
«C′est très possible que je me sois contredite.L′air de la mer m′ôte tout raisonnement. Je dis tout le temps les noms les uns pour les autres.» Et (ce qui me prouva qu′elle n′aurait pas eu besoin, maintenant, de beaucoup de douces affirmations pour que je la crusse) je ressentis la souffrance d′une blessure en entendant cet aveu de ce que je n′avais que faiblement supposé. «Hé bien, c′est entendu, je pars, dit-elle d′un ton tragique, non sans regarder l′heure afin de voir si elle n′était pas en retard pour l′autre, maintenant que je lui fournissais le prétexte de ne pas passer la soirée avec moi. Vous êtes trop méchant. Je change tout pour passer une bonne soirée avec vous et c′est vous qui ne voulez pas, et vous m′accusez de mensonge. Jamais je ne vous avais encore vu si cruel. La mer sera mon tombeau. Je ne vous reverrai jamais. (Mon coeur battit à ces mots, bien que je fusse sûr qu′elle reviendrait le lendemain, ce qui arriva.) Je me noierai, je me jetterai à l′eau. — Comme Sapho. — Encore une insulte de plus; vous n′avez pas seulement des doutes sur ce que je dis mais sur ce que je fais. — Mais, mon petit, je ne mettais aucune intention, je vous le jure, vous savez que Sapho s′est précipitée dans la mer. —-Si, si, vous n′avez aucune confiance en moi.» Elle vit qu′il était moins vingt à la pendule; elle craignit de rater ce qu′elle avait à faire, et, choisissant l′adieu le plus bref (dont elle s′excusa, du reste, en me venant voir le lendemain; probablement, ce lendemain-là, l′autre personne n′était pas libre), elle s′enfuit au pas de course en criant: «Adieu pour jamais», d′un air désolé. Et peut-être était-elle désolée. Car sachant ce qu′elle faisait en ce moment mieux que moi, plus sévère et plus indulgente à la fois à elle-même que je n′étais pour elle, peut-être avait-elle tout de même un doute que je ne voudrais plus la recevoir après la façon dont elle m′avait quitté. Or, je crois qu′elle tenait à moi, au point que l′autre personne était plus jalouse que moi-même. “It is quite on the cards that I did contradict myself. The sea air makes me lose my head altogether. I′m always calling things by the wrong names.” And (what proved to me that she would not, now, require many tender affirmations to make me believe her) I felt a stab in my heart as I listened to this admission of what I had but faintly imagined. “Very well, that′s settled, I′m off,” she said in a tragic tone, not without looking at the time to see whether she was making herself late for the other person, now that I had provided her with an excuse for not spending the evening with myself. “It′s too bad of you. I alter all my plans to spend a nice, long evening with you, and it′s you that won′t have it, and you accuse me of telling lies. I′ve never known you to be so cruel. The sea shall be my tomb. I will never see you any more.” (My heart leaped at these words, albeit I was certain that she would come again next day, as she did.) “I shall drown myself, I shall throw myself into the water.” “Like Sappho.” “There you go, insulting me again. You suspect not only what I say but what I do.” “But, my lamb, I didn′t mean anything, I swear to you, you know Sappho flung herself into the sea.” “Yes, yes, you have no faith in me.” She saw that it was twenty minutes to the hour by the clock; she was afraid of missing her appointment, and choosing the shortest form of farewell (for which as it happened she apologised by coming to see me again next day, the other person presumably not being free then), she dashed from the room, crying: “Good-bye for ever,” in a heartbroken tone. And perhaps she was heartbroken. For knowing what she was about at that moment better than I, being at the same time more strict and more indulgent towards herself than I was towards her, she may all the same have had a fear that I might refuse to see her again after the way in which she had left me. And I believe that she was attached to me, so much so that the other person was more jealous than I was.
Quelques jours après, à Balbec, comme nous étions dans la salle de danse du Casino, entrèrent la soeur et la cousine de Bloch, devenues l′une et l′autre fort jolies, mais que je ne saluais plus à cause de mes amies, parce que la plus jeune, la cousine, vivait, au su de tout le monde, avec l′actrice dont elle avait fait la connaissance pendant mon premier séjour. Andrée, sur une allusion qu′on fit à mi-voix à cela, me dit: «Oh! là-dessus je suis comme Albertine, il n′y a rien qui nous fasse horreur à toutes les deux comme cela.» Quant à Albertine, se mettant à causer avec moi sur le canapé où nous étions assis, elle avait tourné le dos aux deux jeunes filles de mauvais genre. Et pourtant j′avais remarqué qu′avant ce mouvement, au moment où étaient apparues Mlle Bloch et sa cousine, avait passé dans les yeux de mon amie cette attention brusque et profonde qui donnait parfois au visage de l′espiègle jeune fille un air sérieux, même grave, et la laissait triste après. Mais Albertine avait aussitôt détourné vers moi ses regards restés pourtant singulièrement immobiles et rêveurs. Mlle Bloch et sa cousine ayant fini par s′en aller après avoir ri très fort et poussé des cris peu convenables, je demandai à Albertine si la petite blonde (celle qui était l′amie de l′actrice) n′était pas la même qui, la veille, avait eu le prix dans la course pour les voitures de fleurs. «Ah! je ne sais pas, dit Albertine, est-ce qu′il y en a une qui est blonde? Je vous dirai qu′elles ne m′intéressent pas beaucoup, je ne les ai jamais regardées. Est-ce qu′il y en a une qui est blonde?» demanda-t-elle d′un air interrogateur et détaché à ses trois amies. S′appliquant à des personnes qu′Albertine rencontrait tous les jours sur la digue, cette ignorance me parut bien excessive pour ne pas être feinte. «Elles n′ont pas l′air de nous regarder beaucoup non plus, dis-je à Albertine, peut-être dans l′hypothèse, que je n′envisageais pourtant pas d′une façon consciente, où Albertine eût aimé les femmes, de lui ôter tout regret en lui montrant qu′elle n′avait pas attiré l′attention de celles-ci, et que d′une façon générale il n′est pas d′usage, même pour les plus vicieuses, de se soucier des jeunes filles qu′elles ne connaissent pas. — Elles ne nous ont pas regardées? me répondit étourdiment Albertine. Elles n′ont pas fait autre chose tout le temps. — Mais vous ne pouvez pas le savoir, lui dis-je, vous leur tourniez le dos. — Eh bien, et cela?» me répondit-elle en me montrant, encastrée dans le mur en face de nous, une grande glace que je n′avais pas remarquée, et sur laquelle je comprenais maintenant que mon amie, tout en me parlant, n′avait pas cessé de fixer ses beaux yeux remplis de préoccupation.   Some days later, at Balbec, while we were in the ballroom of the casino, there entered Bloch′s sister and cousin, who had both turned out quite pretty, but whom I refrained from greeting on account of my girl friends, because the younger one, the cousin, was notoriously living with the actress whose acquaintance she had made during my first visit. Andrée, at a murmured allusion to this scandal, said to me: “Oh! About that sort of thing I′m like Albertine; there′s nothing we both loathe so much as that sort of thing.” As for Albertine, on sitting down to talk to me upon the sofa, she had turned her back on the disreputable pair. I had noticed, however, that, before she changed her position, at the moment when Mlle. Bloch and her cousin appeared, my friend′s eyes had flashed with that sudden, close attention which now and again imparted to the face of this frivolous girl a serious, indeed a grave air, and left her pensive afterwards. But Albertine had at once turned towards myself a gaze which nevertheless remained singularly fixed and meditative. Mlle. Bloch and her cousin having finally left the room after laughing and shouting in a loud and vulgar manner, I asked Albertine whether the little fair one (the one who was so intimate with the actress) was not the girl who had won the prize the day before in the procession of flowers. “I don′t know,” said Albertine, “is one of them fair? I must confess they don′t interest me particularly, I have never looked at them. Is one of them fair?” she asked her three girl friends with a detached air of inquiry. When applied to people whom Albertine passed every day on the front, this ignorance seemed to me too profound to be genuine. “They didn′t appear to be looking at us much either,” I said to Albertine, perhaps (on the assumption, which I did not however consciously form, that Albertine loved her own sex), to free her from any regret by pointing out to her that she had not attracted the attention of these girls and that, generally speaking, it is not customary even for the most vicious of women to take an interest in girls whom they do not know. “They weren′t looking at us!” was Albertine′s astonished reply. “Why, they did nothing else the whole time.” “But you can′t possibly tell,” I said to her, “you had your back to them.” “Very well, and what about that?” she replied, pointing out to me, set in the wall in front of us, a large mirror which I had not noticed and upon which I now realised that my friend, while talking to me, had never ceased to fix her troubled, preoccupied eyes.
A partir du jour où Cottard fut entré avec moi dans le petit casino d′Incarville, sans partager l′opinion qu′il avait émise, Albertine ne me sembla plus la même; sa vue me causait de la colère. Moi-même j′avais changé tout autant qu′elle me semblait autre. J′avais cessé de lui vouloir du bien; en sa présence, hors de sa présence quand cela pouvait lui être répété, je parlais d′elle de la façon la plus blessante. Il y avait des trêves cependant. Un jour j′apprenais qu′Albertine et Andrée avaient accepté toutes deux une invitation chez Elstir. Ne doutant pas que ce fût en considération de ce qu′elles pourraient, pendant le retour, s′amuser, comme des pensionnaires, à contrefaire les jeunes filles qui ont mauvais genre, et y trouver un plaisir inavoué de vierges qui me serrait le coeur, sans m′annoncer, pour les gêner et priver Albertine du plaisir sur lequel elle comptait, j′arrivai à l′improviste chez Elstir. Mais je n′y trouvai qu′Andrée. Albertine avait choisi un autre jour où sa tante devait y aller. Alors je me disais que Cottard avait dû se tromper; l′impression favorable que m′avait produite la présence d′Andrée sans son amie se prolongeait et entretenait en moi des dispositions plus douces à l′égard d′Albertine. Mais elles ne duraient pas plus longtemps que la fragile bonne santé de ces personnes délicates sujettes à des mieux passagers, et qu′un rien suffit à faire retomber malades. Albertine incitait Andrée à des jeux qui, sans aller bien loin, n′étaient peut-être pas tout à fait innocents; souffrant de ce soupçon, je finissais par l′éloigner. A peine j′en étais guéri qu′il renaissait sous une autre forme. Je venais de voir Andrée, dans un de ces mouvements gracieux qui lui étaient particuliers, poser câlinement sa tête sur l′épaule d′Albertine, l′embrasser dans le cou en fermant à demi les yeux; ou bien elles avaient échangé un coup d′oeil; une parole avait échappé à quelqu′un qui les avait vues seules ensemble et allant se baigner, petits riens tels qu′il en flotte d′une façon habituelle dans l′atmosphère ambiante où la plupart des gens les absorbent toute la journée sans que leur santé en souffre ou que leur humeur s′en altère, mais qui sont morbides et générateurs de souffrances nouvelles pour un être prédisposé. Parfois même, sans que j′eusse revu Albertine, sans que personne m′eût parlé d′elle, je retrouvais dans ma mémoire une pose d′Albertine auprès de Gisèle et qui m′avait paru innocente alors; elle suffisait maintenant pour détruire le calme que j′avais pu retrouver, je n′avais même plus besoin d′aller respirer au dehors des germes dangereux, je m′étais, comme aurait dit Cottard, intoxiqué moi-même. Je pensais alors à tout ce que j′avais appris de l′amour de Swann pour Odette, de la façon dont Swann avait été joué toute sa vie. Au fond, si je veux y penser, l′hypothèse qui me fit peu à peu construire tout le caractère d′Albertine et interpréter douloureusement chaque moment d′une vie que je ne pouvais pas contrôler entière, ce fut le souvenir, l′idée fixe du caractère de Mme Swann, tel qu′on m′avait raconté qu′il était. Ces récits contribuèrent à faire que, dans l′avenir, mon imagination faisait le jeu de supposer qu′Albertine aurait pu, au lieu d′être une jeune fille bonne, avoir la même immoralité, la même faculté de tromperie qu′une ancienne grue, et je pensais à toutes les souffrances qui m′auraient attendu dans ce cas si j′avais jamais dû l′aimer.   Ever since the day when Cottard had accompanied me into the little casino at Incarville, albeit I did not share the opinion that he had expressed, Albertine had seemed to me different; the sight of her made me lose my temper. I myself had changed, quite as much as she had changed in my eyes. I had ceased to bear her any good will; to her face, behind her back when there was a chance of my words being repeated to her, I spoke of her in the most insulting language. There were, however, intervals of calmer feeling. One day I learned that Albertine and Andrée had both accepted an invitation to Elstir′s. Feeling certain that this was in order that they might, on the return journey, amuse themselves like schoolgirls on holiday by imitating the manners of fast young women, and in so doing find an unmaidenly pleasure the thought of which wrung my heart, without announcing my intention, to embarrass them and to deprive Albertine of the pleasure on which she was reckoning, I paid an unexpected call at his studio. But I found only Andrée there. Albertine had chosen another day when her aunt was to go there with her. Then I said to myself that Cottard must have been mistaken; the favourable impression that I received from Andrée′s presence there without her friend remained with me and made me feel more kindly disposed towards Albertine. But this feeling lasted no longer than the healthy moments of delicate people subject to passing maladies, who are prostrated again by the merest trifle. Albertine incited Andrée to actions which, without going very far, were perhaps not altogether innocent; pained by this suspicion, I managed in the end to repel it. No sooner was I healed of it than it revived under another form. I had just seen Andrée, with one of those graceful gestures that came naturally to her, lay her head coaxingly on Albertine′s shoulder, kiss her on the throat, half shutting her eyes; or else they had exchanged a glance; a remark had been made by somebody who had seen them going down together to bathe: little trifles such as habitually float in the surrounding atmosphere where the majority of people absorb them all day long without injury to their health or alteration of their mood, but which have a morbid effect and breed fresh sufferings in a nature predisposed to receive them. Sometimes even without my having seen Albertine again, without anyone′s having spoken to me about her, there would flash from my memory some vision of her with Gisèle in an attitude which had seemed to me innocent at the time; it was enough now to destroy the peace of mind that I had managed to recover, I had no longer any need to go and breathe dangerous germs outside, I had, as Cottard would have said, supplied my own toxin. I thought then of all that I had been told about Swann′s love for Odette, of the way in which Swann had been tricked all his life. Indeed, when I come to think of it, the hypothesis that made me gradually build up the whole of Albertine′s character and give a painful interpretation to every moment of a life that I could not control in its entirety, was the memory, the rooted idea of Mme. Swann′s character, as it had been described to me. These accounts helped my imagination, in after years, to take the line of supposing that Albertine might, instead of being a good girl, have had the same immorality, the same faculty of deception as a reformed prostitute, and I thought of all the sufferings that would in that case have been in store for me had I ever really been her lover.
Un jour, devant le Grand-Hôtel où nous étions réunis sur la digue, je venais d′adresser à Albertine les paroles les plus dures et les plus humiliantes, et Rosemonde disait: «Ah! ce que vous êtes changé tout de même pour elle, autrefois il n′y en avait que pour elle, c′était elle qui tenait la corde, maintenant elle n′est plus bonne à donner à manger aux chiens.» J′étais en train, pour faire ressortir davantage encore mon attitude à l′égard d′Albertine, d′adresser toutes les amabilités possibles à Andrée qui, si elle était atteinte du même vice, me semblait plus excusable parce qu′elle était souffrante et neurasthénique, quand nous vîmes déboucher au petit trot de ses deux chevaux, dans la rue perpendiculaire à la digue à l′angle de laquelle nous nous tenions, la calèche de Mme de Cambremer. Le premier président qui, à ce moment, s′avançait vers nous, s′écarta d′un bond, quand il reconnut la voiture, pour ne pas être vu dans notre société; puis, quand il pensa que les regards de la marquise allaient pouvoir croiser les siens, s′inclina en lançant un immense coup de chapeau. Mais la voiture, au lieu de continuer, comme il semblait probable, par la rue de la Mer, disparut derrière l′entrée de l′hôtel. Il y avait bien dix minutes de cela lorsque le lift, tout essoufflé, vint me prévenir: «C′est la marquise de Camembert qui vient n′ici pour voir Monsieur. Je suis monté à la chambre, j′ai cherché au salon de lecture, je ne pouvais pas trouver Monsieur. Heureusement que j′ai eu l′idée de regarder sur la plage.» Il finissait à peine son récit que, suivie de sa belle-fille et d′un monsieur très cérémonieux, s′avança vers moi la marquise, arrivant probablement d′une matinée ou d′un thé dans le voisinage et toute voûtée sous le poids moins de la vieillesse que de la foule d′objets de luxe dont elle croyait plus aimable et plus digne de son rang d′être recouverte afin de paraître le plus «habillé» possible aux gens qu′elle venait voir. C′était, en somme, à l′hôtel, ce «débarquage» des Cambremer que ma grand′mère redoutait si fort autrefois quand elle voulait qu′on laissât ignorer à Legrandin que nous irions peut-être à Balbec. Alors maman riait des craintes inspirées par un événement qu′elle jugeait impossible. Voici qu′enfin il se produisait pourtant, mais par d′autres voies et sans que Legrandin y fût pour quelque chose. «Est-ce que je peux rester, si je ne vous dérange pas, me demanda Albertine (dans les yeux de qui restaient, amenées par les choses cruelles que je venais de lui dire, quelques larmes que je remarquai sans paraître les voir, mais non sans en être réjoui), j′aurais quelque chose à vous dire.» Un chapeau à plumes, surmonté lui-même d′une épingle de saphir, était posé n′importe comment sur la perruque de Mme de Cambremer, comme un insigne dont l′exhibition est nécessaire, mais suffisante, la place indifférente, l′élégance conventionnelle, et l′immobilité inutile. Malgré la chaleur, la bonne dame avait revêtu un mantelet de jais pareil à une dalmatique, par-dessus lequel pendait une étole d′hermine dont le port semblait en relation non avec la température et la saison, mais avec le caractère de la cérémonie. Et sur la poitrine de Mme de Cambremer un tortil de baronne relié à une chaînette pendait à la façon d′une croix pectorale. Le Monsieur était un célèbre avocat de Paris, de famille nobiliaire, qui était venu passer trois jours chez les Cambremer. C′était un de ces hommes à qui leur expérience professionnelle consommée fait un peu mépriser leur profession et qui disent par exemple: «Je sais que je plaide bien, aussi cela ne m′amuse plus de plaider», ou: «Cela ne m′intéresse plus d′opérer; je sais que j′opère bien.» Intelligents, artistes, ils voient autour de leur maturité, fortement rentée par le succès, briller cette «intelligence», cette nature d′«artiste» que leurs confrères leur reconnaissent et qui leur confère un à-peu-près de goût et de discernement. Ils se prennent de passion pour la peinture non d′un grand artiste, mais d′un artiste cependant très distingué, et à l′achat des oeuvres duquel ils emploient les gros revenus que leur procure leur carrière. Le Sidaner était l′artiste élu par l′ami des Cambremer, lequel était, du reste, très agréable. Il parlait bien des livres, mais non de ceux des vrais maîtres, de ceux qui se sont maîtrisés. Le seul défaut gênant qu′offrît cet amateur était qu′il employait certaines expressions toutes faites d′une façon constante, par exemple: «en majeure partie», ce qui donnait à ce dont il voulait parler quelque chose d′important et d′incomplet. Mme de Cambremer avait profité, me dit-elle, d′une matinée que des amis à elle avaient donnée ce jour-là à côté de Balbec, pour venir me voir, comme elle l′avait promis à Robert de Saint–Loup. «Vous savez qu′il doit bientôt venir passer quelques jours dans le pays. Son oncle Charlus y est en villégiature chez sa belle-soeur, la duchesse de Luxembourg, et M. de Saint–Loup profitera de l′occasion pour aller à la fois dire bonjour à sa tante et revoir son ancien régiment, où il est très aimé, très estimé. Nous recevons souvent des officiers qui nous parlent tous de lui avec des éloges infinis. Comme ce serait gentil si vous nous faisiez le plaisir de venir tous les deux à Féterne.» Je lui présentai Albertine et ses amies. Mme de Cambremer nous nomma à sa belle-fille. Celle-ci, qui se montrait glaciale avec les petits nobliaux que le voisinage de Féterne la forçait à fréquenter, si pleine de réserve de crainte de se compromettre, me tendit au contraire la main avec un sourire rayonnant, mise comme elle était en sûreté et en joie devant un ami de Robert de Saint–Loup et que celui-ci, gardant plus de finesse mondaine qu′il ne voulait le laisser voir, lui avait dit très lié avec les Guermantes. Telle, au rebours de sa belle-mère, Mme de Cambremer avait-elle deux politesses infiniment différentes. C′est tout au plus la première, sèche, insupportable, qu′elle m′eût concédée si je l′avais connue par son frère Legrandin. Mais pour un ami des Guermantes elle n′avait pas assez de sourires. La pièce la plus commode de l′hôtel pour recevoir était le salon de lecture, ce lieu jadis si terrible où maintenant j′entrais dix fois par jour, ressortant librement, en maître, comme ces fous peu atteints et depuis si longtemps pensionnaires d′un asile que le médecin leur en a confié la clef. Aussi offris-je à Mme de Cambremer de l′y conduire. Et comme ce salon ne m′inspirait plus de timidité et ne m′offrait plus de charme parce que le visage des choses change pour nous comme celui des personnes, c′est sans trouble que je lui fis cette proposition. Mais elle la refusa, préférant rester dehors, et nous nous assîmes en plein air, sur la terrasse de l′hôtel. J′y trouvai et recueillis un volume de Mme de Sévigné que maman n′avait pas eu le temps d′emporter dans sa fuite précipitée, quand elle avait appris qu′il arrivait des visites pour moi. Autant que ma grand′mère elle redoutait ces invasions d′étrangers et, par peur de ne plus pouvoir s′échapper si elle se laissait cerner, elle se sauvait avec une rapidité qui nous faisait toujours, à mon père et à moi, nous moquer d′elle. Mme de Cambremer tenait à la main, avec la crosse d′une ombrelle, plusieurs sacs brodés, un vide-poche, une bourse en or d′où pendaient des fils de grenats, et un mouchoir en dentelle. Il me semblait qu′il lui eût été plus commode de les poser sur une chaise; mais je sentais qu′il eût été inconvenant et inutile de lui demander d′abandonner les ornements de sa tournée pastorale et de son sacerdoce mondain. Nous regardions la mer calme où des mouettes éparses flottaient comme des corolles blanches. A cause du niveau de simple «médium» où nous abaisse la conversation mondaine, et aussi notre désir de plaire non à l′aide de nos qualités ignorées de nous-mêmes, mais de ce que nous croyons devoir être prisé par ceux qui sont avec nous, je me mis instinctivement à parler à Mme de Cambremer, née Legrandin, de la façon qu′eut pu faire son frère, «Elles ont, dis-je, en parlant des mouettes, une immobilité et une blancheur de nymphéas.» Et en effet elles avaient l′air d′offrir un but inerte aux petits flots qui les ballottaient au point que ceux-ci, par contraste, semblaient, dans leur poursuite, animés d′une intention, prendre de la vie. La marquise douairière ne se lassait pas de célébrer la superbe vue de la mer que nous avions à Balbec, et m′enviait, elle qui de la Raspelière (qu′elle n′habitait du reste pas cette année) ne voyait les flots que de si loin. Elle avait deux singulières habitudes qui tenaient à la fois à son amour exalté pour les arts (surtout pour la musique) et à son insuffisance dentaire. Chaque fois qu′elle parlait esthétique, ses glandes salivaires, comme celles de certains animaux au moment du rut, entraient dans une phase d′hypersécrétion telle que la bouche édentée de la vieille dame laissait passer, au coin des lèvres légèrement moustachues, quelques gouttes dont ce n′était pas la place. Aussitôt elle les ravalait avec un grand soupir, comme quelqu′un qui reprend sa respiration. Enfin, s′il s′agissait d′une trop grande beauté musicale, dans son enthousiasme elle levait les bras et proférait quelques jugements sommaires, énergiquement mastiqués et au besoin venant du nez. Or je n′avais jamais songé que la vulgaire plage de Balbec pût offrir en effet une «vue de mer», et les simples paroles de Mme de Cambremer changeaient mes idées à cet égard. En revanche, et je le lui dis, j′avais toujours entendu célébrer le coup d′oeil unique de la Raspelière, située au faîte de la colline et où, dans un grand salon à deux cheminées, toute une rangée de fenêtres regarde, au bout des jardins, entre les feuillages, la mer jusqu′au delà de Balbec, et l′autre rangée, la vallée. «Comme vous êtes aimable et comme c′est bien dit: la mer entre les feuillages. C′est ravissant, on dirait . . . un éventail.» Et je sentis à une respiration profonde destinée à rattraper la salive et à assécher la moustache, que le compliment était sincère. Mais la marquise, née Legrandin, resta froide pour témoigner de son dédain non pas pour mes paroles mais pour celles de sa belle-mère. D′ailleurs elle ne méprisait pas seulement l′intelligence de celle-ci, mais déplorait son amabilité, craignant toujours que les gens n′eussent pas une idée suffisante des Cambremer. «Et comme le nom est joli, dis-je.   One day, outside the Grand Hotel, where we were gathered on the front, I had just been addressing Albertine in the harshest, most humiliating language, and Rosemonde was saying: “Oh, how you have changed your mind about her; why, she used to be everything, it was she who ruled the roost, and now she isn′t even fit to be thrown to the dogs.” I was beginning, in order to make my attitude towards Albertine still more marked, to say all the nicest things I could think of to Andrée, who, if she was tainted with the same vice, seemed to me to have more excuse for it since she was sickly and neurasthenic, when we saw emerging at the steady trot of its pair of horses into the street at right angles to the front, at the corner of which we were standing, Mme. de Cambremer′s barouche. The chief magistrate who, at that moment, was advancing towards us, sprang back upon recognising the carriage, in order not to be seen in our company; then, when he thought that the Marquise′s eye might catch his, bowed to her with an immense sweep of his hat. But the carriage, instead of continuing, as might have been expected, along the Rue de la Mer, disappeared through the gate of the hotel. It was quite ten minutes later when the lift-boy, out of breath, came to announce to me: “It′s the Marquise de Camembert, she′s come here to see Monsieur. I′ve been up to the room, I looked in the reading-room, I couldn′t find Monsieur anywhere. Luckily I thought of looking on the beach.” He had barely ended this speech when, followed by her daughter-in-law and by an extremely ceremonious gentleman, the Marquise advanced towards me, coming on probably from some afternoon tea-party in the neighbourhood, and bowed down not so much by age as by the mass of costly trinkets with which she felt it more sociable and more befitting her rank to cover herself, in order to appear as ‘well dressed′ as possible to the people whom she went to visit. It was in fact that ‘landing′ of the Cambremers at the hotel which my grandmother had so greatly dreaded long ago when she wanted us not to let Legrandin know that we might perhaps be going to Balbec. Then Mamma used to laugh at these fears inspired by an event which she considered impossible. And here it was actually happening, but by different channels and without Legrandin′s having had any part in it. “Do you mind my staying here, if I shan′t be in your way?” asked Albertine (in whose eyes there lingered, brought there by the cruel things I had just been saying to her, a pair of tears which I observed without seeming to see them, but not without rejoicing inwardly at the sight), “there is something I want to say to you.” A hat with feathers, itself surmounted by a sapphire pin, was perched haphazard upon Mme. de Cambremer′s wig, like a badge the display of which was necessary but sufficient, its place immaterial, its elegance conventional and its stability superfluous. Notwithstanding the heat, the good lady had put on a jet cloak, like a dalmatic, over which hung an ermine stole the wearing of which seemed to depend not upon the temperature and season, but upon the nature of the ceremony. And on Mme. de Cambremer′s bosom a baronial torse, fastened to a chain, dangled like a pectoral cross. The gentleman was an eminent lawyer from Paris, of noble family, who had come down to spend a few days with the Cambremers. He was one of those men whom their vast professional experience inclines to look down upon their profession, and who say, for instance: “I know that I am a good pleader, so it no longer amuses me to plead,” or: “I′m no longer interested in operating, I know that I′m a good operator.” Men of intelligence, artists, they see themselves in their maturity, richly endowed by success, shining with that intellect, that artistic nature which their professional brethren recognise in them and which confer upon them a kind of taste and discernment. They form a passion for the paintings not of a great artist, but of an artist who nevertheless is highly distinguished, and spend upon the purchase of his work the large sums that their career procures for them. Le Sidaner was the artist chosen by the Cambremers′ friend, who incidentally was a delightful person. He talked well about books, but not about the books of the true masters, those who have mastered themselves. The only irritating habit that this amateur displayed was his constant use of certain ready made expressions, such as ‘for the most part,′ which gave an air of importance and incompleteness to the matter of which he was speaking. Madame de Cambremer had taken the opportunity, she told me, of a party which some friends of hers had been giving that afternoon in the Balbec direction to come and call upon me, as she had promised Robert de Saint-Loup. “You know he′s coming down to these parts quite soon for a few days: His uncle Charlus is staying near here with his sister-in-law, the Duchesse de Luxembourg, and M. de Saint-Loup means to take the opportunity of paying his aunt a visit and going to see his old regiment, where he is very popular, highly respected. We often have visits from officers who are never tired of singing his praises. How nice it would be if you and he would give us the pleasure of coming together to Féterne.” I presented Albertine and her friends. Mme. de Cambremer introduced us all to her daughter-in-law. The latter, so frigid towards the petty nobility with whom her seclusion at Féterne forced her to associate, so reserved, so afraid of compromising herself, held out her hand to me with a radiant smile, safe as she felt herself and delighted at seeing a friend of Robert de Saint-Loup, whom he, possessing a sharper social intuition than he allowed to appear, had mentioned to her as being a great friend of the Guermantes. So, unlike her mother-in-law, Mme. de Cambremer employed two vastly different forms of politeness. It was at the most the former kind, dry, insupportable, that she would have conceded me had I met her through her brother Legrandin. But for a friend of the Guermantes she had not smiles enough. The most convenient room in the hotel for entertaining visitors was the reading-room, that place once so terrible into which I now went a dozen times every day, emerging freely, my own master, like those mildly afflicted lunatics who have so long been inmates of an asylum that the superintendent trusts them with a latchkey. And so I offered to take Mme. de Cambremer there. And as this room no longer filled me with shyness and no longer held any charm for me, since the faces of things change for us like the faces of people, it was without the slightest emotion that I made this suggestion. But she declined it, preferring to remain out of doors, and we sat down in the open air, on the terrace of the hotel. I found there and rescued a volume of Madame de Sévigné which Mamma had not had time to carry off in her precipitate flight, when she heard that visitors had called for me. No less than my grandmother, she dreaded these invasions of strangers, and, in her fear of being too late to escape if she let herself be seen, would fly from the room with a rapidity which always made my father and me laugh at her. Madame de Cambremer carried in her hand, with the handle of a sunshade, a number of embroidered bags, a hold-all, a gold purse from which there dangled strings of garnets, and a lace handkerchief. I could not help thinking that it would be more convenient for her to deposit them on a chair; but I felt that it would be unbecoming and useless to ask her to lay aside the ornaments of her pastoral visitation and her social priesthood. We gazed at the calm sea upon which, here and there, a few gulls floated like white petals. Because of the ‘mean level′ to which social conversation reduces us and also of our desire to attract not by means of those qualities of which we are ourselves unaware but of those which, we suppose, ought to be appreciated by the people who are with us, I began instinctively to talk to Mme. de Cambremer née Legrandin in the strain in which her brother might have talked. “They appear,” I said, referring to the gulls, “as motionless and as white as water-lilies.” And indeed they did appear to be offering a lifeless object to the little waves which tossed them about, so much so that the waves, by contrast, seemed in their pursuit of them to be animated by a deliberate intention, to have acquired life. The dowager Marquise could not find words enough to do justice to the superb view of the sea that we had from Balbec, or to say how she envied it, she who from la Raspelière (where for that matter she was not living that year) had only such a distant glimpse of the waves. She had two remarkable habits, due at once to her exalted passion for the arts (especially for the art of music), and to her want of teeth. Whenever she talked of aesthetic subjects her salivary glands — like those of certain animals when in rut — became so overcharged that the old lady′s edentulous mouth allowed to escape from the corners of her faintly moustached lips a trickle of moisture for which that was not the proper place. Immediately she drew it in again with a deep sigh, like a person recovering his breath. Secondly, if her subject were some piece of music of surpassing beauty, in her enthusiasm she would raise her arms and utter a few decisive opinions, vigorously chewed and at a pinch issuing from her nose. Now it had never occurred to me that the vulgar beach at Balbec could indeed offer a ‘seascape,′ and Mme. de Cambremer′s simple words changed my ideas in that respect. On the other hand, as I told her, I had always heard people praise the matchless view from la Raspelière, perched on the summit of the hill, where, in a great drawing-room with two fireplaces, one whole row of windows swept the gardens, and, through the branches of the trees, the sea as far as Balbec and beyond it, and the other row the valley. “How nice of you to say so, and how well you put it: the sea through the branches. It is exquisite, one would say . . . a painted fan.” And I gathered from a deep breath intended to catch the falling spittle and dry the moustaches, that the compliment was sincere. But the Marquise née Legrandin remained cold, to shew her contempt not for my words but for those of her mother-in-law. Besides, she not only despised the other′s intellect but deplored her affability, being always afraid that people might not form a sufficiently high idea of the Cambremers. “And how charming the name is,” said I.
On aimerait savoir l′origine de tous ces noms-là. — Pour celui-là je peux vous le dire, me répondit avec douceur la vieille dame. C′est une demeure de famille, de ma grand′mère Arrachepel, ce n′est pas une famille illustre, mais c′est une bonne et très ancienne famille de province. — Comment, pas illustre? interrompit sèchement sa belle-fille. Tout un vitrail de la cathédrale de Bayeux est rempli par ses armes, et la principale église d′Avranches contient leurs monuments funéraires. Si ces vieux noms vous amusent, ajouta-t-elle, vous venez un an trop tard. Nous avions fait nommer à la cure de Criquetot, malgré toutes les difficultés qu′il y a à changer de diocèse, le doyen d′un pays où j′ai personnellement des terres, fort loin d′ici, à Combray, où le bon prêtre se sentait devenir neurasthénique. Malheureusement l′air de la mer n′a pas réussi à son grand âge; sa neurasthénie s′est augmentée et il est retourné à Combray. Mais il s′est amusé, pendant qu′il était notre voisin, à aller consulter toutes les vieilles chartes, et il a fait une petite brochure assez curieuse sur les noms de la région. Cela l′a d′ailleurs mis en goût, car il paraît qu′il occupe ses dernières années à écrire un grand ouvrage sur Combray et ses environs. Je vais vous envoyer sa brochure sur les environs de Féterne. C′est un vrai travail de Bénédictin. Vous y lirez des choses très intéressantes sur notre vieille Raspelière dont ma belle-mère parle beaucoup trop modestement. — En tout cas, cette année, répondit Mme de Cambremer douairière, la Raspelière n′est plus nôtre et ne m′appartient pas. Mais on sent que vous avez une nature de peintre; vous devriez dessiner, et j′aimerais tant vous montrer Féterne qui est bien mieux que la Raspelière.» Car depuis que les Cambremer avaient loué cette dernière demeure aux Verdurin, sa position dominante avait brusquement cessé de leur apparaître ce qu′elle avait été pour eux pendant tant d′années, c′est-à-dire donnant l′avantage, unique dans le pays, d′avoir vue à la fois sur la mer et sur la vallée, et en revanche leur avait présenté tout à coup — et après coup — l′inconvénient qu′il fallait toujours monter et descendre pour y arriver et en sortir. Bref, on eût cru que si Mme de Cambremer l′avait louée, c′était moins pour accroître ses revenus que pour reposer ses chevaux. Et elle se disait ravie de pouvoir enfin posséder tout le temps la mer de si près, à Féterne, elle qui pendant si longtemps, oubliant les deux mois qu′elle y passait, ne l′avait vue que d′en haut et comme dans un panorama. «Je la découvre à mon âge, disait-elle, et comme j′en jouis! Ça me fait un bien! Je louerais la Raspelière pour rien afin d′être contrainte d′habiter Féterne.» “One would like to know the origin of all those names.” “That one I can tell you,” the old lady answered modestly. “It is a family place, it came from my grandmother Arrachepel, not an illustrious family, but a decent and very old country stock.” “What! Not illustrious!” her daughter-in-law tartly interrupted her. “A whole window in Bayeux cathedral is filled with their arms, and the principal church at Avranches has their tombs. If these old names interest you,” she added, “you′ve come a year too late. We managed to appoint to the living of Criquetot, in spite of all the difficulties about changing from one diocese to another, the parish priest of a place where I myself have some land, a long way from here, Combray, where the worthy cleric felt that he was becoming neurasthenic. Unfortunately, the sea air was no good to him at his age; his neurasthenia grew worse and he has returned to Combray. But he amused himself while he was our neighbour in going about looking up all the old charters, and he compiled quite an interesting little pamphlet on the place names of the district. It has given him a fresh interest, too, for it seems he is spending his last years in writing a great work upon Combray and its surroundings. I shall send you his pamphlet on the surroundings of Féterne. It is worthy of a Benedictine. You will find the most interesting things in it about our old Raspelière, of which my mother-in-law speaks far too modestly.” “In any case, this year,” replied the dowager Mme. de Cambremer, “la Raspelière is no longer ours and does not belong to me. But I can see that you have a painter′s instincts; I am sure you sketch, and I should so like to shew you Féterne, which is far finer than la Raspelière.” For as soon as the Cambremers had let this latter residence to the Verdurins, its commanding situation had at once ceased to appear to them as it had appeared for so many years past, that is to say to offer the advantage, without parallel in the neighbourhood, of looking out over both sea and valley, and had on the other hand, suddenly and retrospectively, presented the drawback that one had always to go up or down hill to get to or from it. In short, one might have supposed that if Mme. de Cambremer had let it, it was not so much to add to her income as to spare her horses. And she proclaimed herself delighted at being able at last to have the sea always so close at hand, at Féterne, she who for so many years (forgetting the two months that she spent there) had seen it only from up above and as though in a panorama. “I am discovering it at my age,” she said, “and how I enjoy it! It does me a world of good. I would let la Raspelière for nothing so as to be obliged to live at Féterne.”
— Pour revenir à des sujets plus intéressants, reprit la soeur de Legrandin qui disait: «Ma mère» à la vieille marquise, mais, avec les années, avait pris des façons insolentes avec elle, vous parliez de nymphéas: je pense que vous connaissez ceux que Claude Monet a peints. Quel génie! Cela m′intéresse d′autant plus qu′auprès de Combray, cet endroit où je vous ai dit que j′avais des terres . . . Mais elle préféra ne pas trop parler de Combray. «Ah! c′est sûrement la série dont nous a parlé Elstir, le plus grand des peintres contemporains, s′écria Albertine qui n′avait rien dit jusque-là. — Ah! on voit que Mademoiselle aime les arts, s′écria Mme de Cambremer qui, en poussant une respiration profonde, résorba un jet de salive. — Vous me permettrez de lui préférer Le Sidaher, Mademoiselle», dit l′avocat en souriant d′un air connaisseur. Et, comme il avait goûté, ou vu goûter, autrefois certaines «audaces» d′Elstir, il ajouta: «Elstir était doué, il a même fait presque partie de l′avant-garde, mais je ne sais pas pourquoi il a cessé de suivre, il a gâché sa vie.» Mme de Cambremer donna raison à l′avocat en ce qui concernait Elstir, mais, au grand chagrin de son invité, égala Monet à Le Sidaner. On ne peut pas dire qu′elle fût bête; elle débordait d′une intelligence que je sentais m′être entièrement inutile. Justement, le soleil s′abaissant, les mouettes étaient maintenant jaunes, comme les nymphéas dans une autre toile de cette même série de Monet. Je dis que je la connaissais et (continuant à imiter le langage, du frère, dont je n′avais pas encore osé citer le nom) j′ajoutai qu′il était malheureux qu′elle n′eût pas eu plutôt l′idée de venir la veille, car à la même heure, c′est une lumière de Poussin qu′elle eût pu admirer. Devant un hobereau normand inconnu des Guermantes et qui lui eût dit qu′elle eût dû venir la veille, Mme de Cambremer–Legrandin se fût sans doute redressée d′un air offensé. Mais j′aurais pu être bien plus familier encore qu′elle n′eût été que douceur moelleuse et florissante; je pouvais, dans la chaleur de cette belle fin d′après-midi, butiner à mon gré dans le gros gâteau de miel que Mme de Cambremer était si rarement et qui remplaça le petits fours que je n′eus pas l′idée d′offrir. Mais le nom de Poussin, sans altérer l′aménité de la femme du monde, souleva les protestations de la dilettante. En entendant ce nom, à six reprises que ne séparait presque aucun intervalle, elle eut ce petit claquement de la langue contre les lèvres qui sert à signifier à un enfant qui est en train de faire une bêtise, à la fois un blâme d′avoir commencé et l′interdiction de poursuivre. «Au nom du ciel, après un peintre comme Monet, qui est tout bonnement un génie, n′allez pas nommer un vieux poncif sans talent comme Poussin. Je vous dirai tout nûment que je le trouve le plus barbifiant des raseurs. Qu′est-ce que vous voulez, je ne peux pourtant pas appeler cela de la peinture. Monet, Degas, Manet, oui, voilà des peintres! C′est très curieux, ajouta-t-elle, en fixant un regard scrutateur et ravi sur un point vague de l′espace, où elle apercevait sa propre pensée, c′est très curieux, autrefois je préférais Manet. Maintenant, j′admire toujours Manet, c′est entendu, mais je crois que je lui préfère peut-être encore Monet. Ah! les cathédrales!» Elle mettait autant de scrupules que de complaisance à me renseigner sur l′évolution qu′avait suivie son goût. Et on sentait que les phases par lesquelles avait passé ce goût n′étaient pas, selon elle, moins importantes que les différentes manières de Monet lui-même. Je n′avais pas, du reste, à être flatté qu′elle me fît confidence de ses admirations, car, même devant la provinciale la plus bornée, elle ne pouvait pas rester cinq minutes sans éprouver le besoin de les confesser. Quand une dame noble d′Avranches, laquelle n′eût pas été capable de distinguer Mozart de Wagner, disait devant Madame de Cambremer: «Nous n′avons pas eu de nouveauté intéressante pendant notre séjour à Paris, nous avons été une fois à l′Opéra-Comique, on donnait Pelléas et Mélisande, c′est affreux», Mme de Cambremer non seulement bouillait mais éprouvait le besoin de s′écrier: «Mais au contraire, c′est un petit chef-d′oeuvre», et de «discuter». C′était peut-être une habitude de Combray, prise auprès des soeurs de ma grand′mère qui appelaient cela: «Combattre pour la bonne cause», et qui aimaient les dîners où elles savaient, toutes les semaines, qu′elles auraient à défendre leurs dieux contre des Philistins. Telle Mme de Cambremer aimait à se «fouetter le sang» en se «chamaillant» sur l′art, comme d′autres sur la politique. Elle prenait le parti de Debussy comme elle aurait fait celui d′une de ses amies dont on eût incriminé la conduite. Elle devait pourtant bien comprendre qu′en disant: «Mais non, c′est un petit chef-d′oeuvre», elle ne pouvait pas improviser, chez la personne qu′elle remettait à sa place, toute la progression de culture artistique au terme de laquelle elles fussent tombées d′accord sans avoir besoin de discuter. «Il faudra que je demande à Le Sidaner ce qu′il pense de Poussin, me dit l′avocat. C′est un renfermé, un silencieux, mais je saurai bien lui tirer les vers du nez.»   “To return to more interesting topics,” went on Legrandin′s sister, who addressed the old Marquise as ‘Mother,′ but with the passage of years had come to treat her with insolence, “you mentioned water-lilies: I suppose you know Claude Monet′s pictures of them. What a genius! They interest me particularly because near Combray, that place where I told you I had some land. . . . ” But she preferred not to talk too much about Combray. “Why! That must be the series that Elstir told us about, the greatest painter of this generation,” exclaimed Albertine, who had said nothing so far. “Ah! I can see that this young lady loves the arts,” cried Mme. de Cambremer and, drawing a long breath, recaptured a trail of spittle. “You will allow me to put Le Sidaner before him, Mademoiselle,” said the lawyer, smiling with the air of an expert. And, as he had enjoyed, or seen people enjoy, years ago, certain ‘daring′ work by Elstir, he added: “Elstir was gifted, indeed he was one of the advance guard, but for some reason or other he never kept up, he has wasted his life.” Mme. de Cambremer disagreed with the lawyer, so far as Elstir was concerned, but, greatly to the annoyance of her guest, bracketed Monet with Le Sidaner. It would be untrue to say that she was a fool; she was overflowing with a kind of intelligence that meant nothing to me. As the sun was beginning to set, the seagulls were now yellow, like the water-lilies on another canvas of that series by Monet. I said that I knew it, and (continuing to copy the diction of her brother, whom I had not yet dared to name) added that it was a pity that she had not thought of coming a day earlier, for, at the same hour, there would have been a Poussin light for her to admire. Had some Norman squireen, unknown to the Guermantes, told her that she ought to have come a day earlier, Mme. de Cambremer-Legrandin would doubtless have drawn herself up with an offended air. But I might have been far more familiar still, and she would have been all smiles and sweetness; I might in the warmth of that fine afternoon devour my fill of that rich honey cake which Mme. de Cambremer so rarely was and which took the place of the dish of pastry that it had not occurred to me to offer my guests. But the name of Poussin, without altering the amenity of the society lady, called forth the protests of the connoisseur. On hearing that name, she produced six times in almost continuous succession that little smack of the tongue against the lips which serves to convey to a child who is misbehaving at once a reproach for having begun and a warning not to continue. “In heaven′s name, after a painter like Monet, who is an absolute genius, don′t go and mention an old hack without a vestige of talent, like Poussin. I don′t mind telling you frankly that I find him the deadliest bore. I mean to say, you can′t really call that sort of thing painting. Monet, Degas, Manet, yes, there are painters if you like! It is a curious thing,” she went on, fixing a scrutinous and ecstatic gaze upon a vague point in space where she could see what was in her mind, “it is a curious thing, I used at one time to prefer Manet. Nowadays, I still admire Manet, of course, but I believe I like Monet even more. Oh! The Cathedrals!” She was as scrupulous as she was condescending in informing me of the evolution of her taste. And one felt that the phases through which that taste had evolved were not, in her eyes, any less important than the different manners of Monet himself. Not that I had any reason to feel flattered by her taking me into her confidence as to her preferences, for even in the presence of the narrowest of provincial ladies she could not remain for five minutes without feeling the need to confess them. When a noble dame of Avranches, who would have been incapable of distinguishing between Mozart and Wagner, said in Mme. de Cambremer′s hearing: “We saw nothing of any interest while we were in Paris, we went once to the Opéra-Comique, they were doing Pelléas et Mélisande, it′s dreadful stuff,” Mme. de Cambremer not only boiled with rage but felt obliged to exclaim: “Not at all, it′s a little gem,” and to ‘argue the point.′ It was perhaps a Combray habit which she had picked up from my grandmother′s sisters, who called it ‘fighting in the good cause,′ and loved the dinner-parties at which they knew all through the week that they would have to defend their idols against the Philistines. Similarly, Mme. de Cambremer liked to ‘fly into a passion′ and wrangle about art, as other people do about politics. She stood up for Debussy as she would have stood up for a woman friend whose conduct had been criticised. She must however have known very well that when she said: “Not at all, it′s a little gem,” she could not improvise in the other lady, whom she was putting in her place, the whole progressive development of artistic culture on the completion of which they would come naturally to an agreement without any need of discussion. “I must ask Le Sidaner what he thinks of Poussin,” the lawyer remarked to me. “He′s a regular recluse, never opens his mouth, but I know how to get things out of him.”
— Du reste, continua Mme de Cambremer, j′ai horreur des couchers de soleil, c′est romantique, c′est opéra. C′est pour cela que je déteste la maison de ma belle-mère, avec ses plantes du Midi. Vous verrez, ça a l′air d′un parc de Monte–Carlo. C′est pour cela que j′aime mieux votre rive. C′est plus triste, plus sincère; il y a un petit chemin d′où on ne voit pas la mer. Les jours de pluie, il n′y a que de la boue, c′est tout un monde. C′est comme à Venise, je déteste le Grand Canal et je ne connais rien de touchant comme les petites ruelles. Du reste c′est une question d′ambiance.— Mais, lui dis-je, sentant que la seule manière de réhabiliter Poussin aux yeux de Mme de Cambremer c′était d′apprendre à celle-ci qu′il était redevenu à la mode, M. Degas assure qu′il ne connaît rien de plus beau que les Poussin de Chantilly. — Ouais? Je ne connais pas ceux de Chantilly, me dit Mme de Cambremer, qui ne voulait pas être d′un autre avis que Degas, mais je peux parler de ceux du Louvre qui sont des horreurs. — Il les admire aussi énormément. — Il faudra que je les revoie. Tout cela est un peu ancien dans ma tête, répondit-elle après un instant de silence et comme si le jugement favorable qu′elle allait certainement bientôt porter sur Poussin devait dépendre, non de la nouvelle que je venais de lui communiquer, mais de l′examen supplémentaire, et cette fois définitif, qu′elle comptait faire subir aux Poussin du Louvre pour avoir la faculté de se déjuger. Me contentant de ce qui était un commencement de rétractation, puisque, si elle n′admirait pas encore les Poussin, elle s′ajournait pour une seconde délibération, pour ne pas la laisser plus longtemps à la torture je dis à sa belle-mère combien on m′avait parlé des fleurs admirables de Féterne. Modestement elle parla du petit jardin de curé qu′elle avait derrière et où le matin, en poussant une porte, elle allait en robe de chambre donner à manger à ses paons, chercher les oeufs pondus, et cueillir des zinnias ou des roses qui, sur le chemin de table, faisant aux oeufs à la crème ou aux fritures une bordure de fleurs, lui rappelaient ses allées. «C′est vrai que nous avons beaucoup de roses, me dit-elle, notre roseraie est presque un peu trop près de la maison d′habitation, il y a des jours où cela me fait mal à la tête. C′est plus agréable de la terrasse de la Raspelière où le vent apporte l′odeur des roses, mais déjà moins entêtante.» Je me tournai vers la belle-fille: «C′est tout à fait Pelléas, lui dis-je, pour contenter son goût de modernisme, cette odeur de roses montant jusqu′aux terrasses. Elle est si forte, dans la partition, que, comme j′ai le hay-fever et la rose-fever, elle me faisait éternuer chaque fois que j′entendais cette scène.»   “Anyhow,” Mme. de Cambremer went on, “I have a horror of sunsets, they′re so romantic, so operatic. That is why I can′t abide my mother-in-law′s house, with its tropical plants. You will see it, it′s just like a public garden at Monte-Carlo. That′s why I prefer your coast, here. It is more sombre, more sincere; there′s a little lane from which one doesn′t see the sea. On rainy days, there′s nothing but mud, it′s a little world apart. It′s just the same at Venice, I detest the Grand Canal and I don′t know anything so touching as the little alleys. But it′s all a question of one′s surroundings.” “But,” I remarked to her, feeling that the only way to rehabilitate Poussin in Mme. de Cambremer′s eyes was to inform her that he was once more in fashion, “M. Degas assures us that he knows nothing more beautiful than the Poussins at Chantilly.” “Indeed? I don′t know the ones at Chantilly,” said Mme. de Cambremer who had no wish to differ from Degas, “but I can speak about the ones in the Louvre, which are appalling.” “He admires them immensely too.” “I must look at them again. My impressions of them are rather distant,” she replied after a moment′s silence, and as though the favourable opinion which she was certain, before very long, to form of Poussin would depend, not upon the information that I had just communicated to her, but upon the supplementary and, this time, final examination that she intended to make of the Poussins in the Louvre in order to be in a position to change her mind. Contenting myself with what was a first step towards retraction since, if she did not yet admire the Poussins, she was adjourning the matter for further consideration, in order not to keep her on tenterhooks any longer, I told her mother-in-law how much I had heard of the wonderful flowers at Féterne. In modest terms she spoke of the little presbytery garden that she had behind the house, into which in the mornings, by simply pushing open a door, she went in her wrapper to feed her peacocks, hunt for new-laid eggs, and gather the zinnias or roses which, on the sideboard, framing the creamed eggs or fried fish in a border of flowers, reminded her of her garden paths. “It is true, we have a great many roses,” she told me, “our rose garden is almost too near the house, there are days when it makes my head ache. It is nicer on the terrace at la Raspelière where the breeze carries the scent of the roses, but it is not so heady.” I turned to her daughter-in-law. “It is just like Pelléas,” I said to her, to gratify her taste for the modern, “that scent of roses wafted up to the terraces. It is so strong in the score that, as I suffer from hay-fever and rose-fever, it sets me sneezing every time I listen to that scene.”
«Quel chef-d′oeuvre que Pelléas! s′écria Mme de Cambremer, j′en suis férue»; et s′approchant de moi avec les gestes d′une femme sauvage qui aurait voulu me faire des agaceries, s′aidant des doigts pour piquer les notes imaginaires, elle se mit à fredonner quelque chose que je supposai être pour elle les adieux de Pelléas, et continua avec une véhémente insistance comme s′il avait été d′importance que Mme de Cambremer me rappelât en ce moment cette scène, ou peut-être plutôt me montrât qu′elle se la rappelait. «Je crois que c′est encore plus beau que Parsifal, ajouta-t-elle, parce que dans Parsifal il s′ajoute aux plus grandes beautés un certain halo de phrases mélodiques, donc caduques puisque mélodiques. — Je sais que vous êtes une grande musicienne, Madame, dis-je à la douairière. J′aimerais beaucoup vous entendre.» Mme de Cambremer–Legrandin regarda la mer pour ne pas prendre part à la conversation. Considérant que ce qu′aimait sa belle-mère n′était pas de la musique, elle considérait le talent, prétendu selon elle, et des plus remarquables en réalité, qu′on lui reconnaissait comme une virtuosité sans intérêt. Il est vrai que la seule élève encore vivante de Chopin déclarait avec raison que la manière de jouer, le «sentiment», du Maître, ne s′était transmis, à travers elle, qu′à Mme de Cambremer; mais jouer comme Chopin était loin d′être une référence pour la soeur de Legrandin, laquelle ne méprisait personne autant que le musicien polonais. «Oh! elles s′envolent, s′écria Albertine en me montrant les mouettes qui, se débarrassant pour un instant de leur incognito de fleurs, montaient toutes ensemble vers le soleil. — Leurs ailes de géants les empêchent de marcher, dit Mme de Cambremer, confondant les mouettes avec les albatros. — Je les aime beaucoup, j′en voyais à Amsterdam, dit Albertine. Elles sentent la mer, elles viennent la humer même à travers les pierres des rues. — Ah! vous avez été en Hollande, vous connaissez les Ver Meer?» demanda impérieusement Mme de Cambremer et du ton dont elle aurait dit: «Vous connaissez les Guermantes?», car le snobisme en changeant d′objet ne change pas d′accent. Albertine répondit non: elle croyait que c′étaient des gens vivants. Mais il n′y parut pas. «Je serais très heureuse de vous faire de la musique, me dit Mme de Cambremer. Mais, vous savez, je ne joue que des choses qui n′intéressent plus votre génération. J′ai été élevée dans le culte de Chopin», dit-elle à voix basse, car elle redoutait sa belle-fille et savait que celle-ci, considérant que Chopin n′était pas de la musique, le bien jouer ou le mal jouer étaient des expressions dénuées de sens. Elle reconnaissait que sa belle-mère avait du mécanisme, perlait les traits. «Jamais on ne me fera dire qu′elle est musicienne», concluait Mme de Cambremer–Legrandin. Parce qu′elle se croyait «avancée» et (en art seulement) «jamais assez à gauche», disait-elle, elle se représentait non seulement que la musique progresse, mais sur une seule ligne, et que Debussy était en quelque sorte un sur-Wagner, encore un peu plus avancé que Wagner. Elle ne se rendait pas compte que si Debussy n′était pas aussi indépendant de Wagner qu′elle-même devait le croire dans quelques années, parce qu′on se sert tout de même des armes conquises pour achever de s′affranchir de celui qu′on a momentanément vaincu, il cherchait cependant, après la satiété qu′on commençait à avoir des oeuvres trop complètes, où tout est exprimé, à contenter un besoin contraire. Des théories, bien entendu, étayaient momentanément cette réaction, pareilles à celles qui, en politique, viennent à l′appui des lois contre les congrégations, des guerres en Orient (enseignement contre nature, péril jaune, etc., etc.). On disait qu′à une époque de hâte convenait un art rapide, absolument comme on aurait dit que la guerre future ne pouvait pas durer plus de quinze jours, ou qu′avec les chemins de fer seraient délaissés les petits coins chers aux diligences et que l′auto pourtant devait remettre en honneur. On recommandait de ne pas fatiguer l′attention de l′auditeur, comme si nous ne disposions pas d′attentions différentes dont il dépend précisément de l′artiste d′éveiller les plus hautes. Car ceux qui bâillent de fatigue après dix lignes d′un article médiocre avaient refait tous les ans le voyage de Bayreuth pour entendre la Tétralogie. D′ailleurs le jour devait venir où, pour un temps, Debussy serait déclaré aussi fragile que Massenet et les tressautements de Mélisande abaissés au rang de ceux de Manon. Car les théories et les écoles, comme les microbes et les globules, s′entre-dévorent et assurent, par leur lutte, la continuité de la vie. Mais ce temps n′était pas encore venu.   “What a marvellous thing Pelléas is,” cried Mme. de Cambremer, “I′m mad about it;” and, drawing closer to me with the gestures of a savage woman seeking to captivate me, using her fingers to pick out imaginary notes, she began to hum something which, I supposed, represented to her the farewells of Pelléas, and continued with a vehement persistence as though it had been important that Mme. de Cambremer should at that moment remind me of that scene or rather should prove to me that she herself remembered it. “I think it is even finer than Parsifal,” she added, “because in Parsifal the most beautiful things are surrounded with a sort of halo of melodious phrases, which are bad simply because they are melodious.” “I know, you are a great musician, Madame,” I said to the dowager. “I should so much like to hear you play.” Mme. de Cambremer-Legrandin gazed at the sea so as not to be drawn into the conversation. Being of the opinion that what her mother-in-law liked was not music at all, she regarded the talent, a sham talent according to her, though in reality of the very highest order that the other was admitted to possess as a technical accomplishment devoid of interest. It was true that Chopin′s only surviving pupil declared, and with justice, that the Master′s style of playing, his ‘feeling′ had been transmitted, through herself, to Mme. de Cambremer alone, but to play like Chopin was far from being a recommendation in the eyes of Legrandin′s sister, who despised nobody so much as the Polish composer. “Oh! They are flying away,” exclaimed Albertine, pointing to the gulls which, casting aside for a moment their flowery incognito, were rising in a body towards the sun. “Their giant wings from walking hinder them,” quoted Mme. de Cambremer, confusing the seagull with the albatross. “I do love them; I used to see them at Amsterdam,” said Albertine. “They smell of the sea, they come and breathe the salt air through the paving stones even.” “Oh! So you have been in Holland, you know the Vermeers?” Mme. de Cambremer asked imperiously, in the tone in which she would have said: “You know the Guermantes?” for snobbishness in changing its subject does not change its accent. Albertine replied in the negative, thinking that they were living people. But her mistake was not apparent. “I should be delighted to play to you,” Mme. de Cambremer said to me. “But you know I only play things that no longer appeal to your generation. I was brought up in the worship of Chopin,” she said in a lowered tone, for she was afraid of her daughter-in-law, and knew that to the latter, who considered that Chopin was not music, playing him well or badly were meaningless terms. She admitted that her mother-in-law had technique, was a finished pianist. “Nothing will ever make me say that she is a musician,” was Mme. de Cambremer-Legrandin′s conclusion. Because she considered herself ‘advanced,′ because (in matters of art only) “one could never move far enough to the Left,” she said, she maintained not merely that music progressed, but that it progressed along one straight line, and that Debussy was in a sense a super-Wagner, slightly more advanced again than Wagner. She did not take into account the fact that if Debussy was not as independent of Wagner as she herself was to suppose in a few years′ time, because we must always make use of the weapons that we have captured to free ourselves finally from the foe whom we have for the moment overpowered, he was seeking nevertheless, after the feeling of satiety that people were beginning to derive from work that was too complete, in which everything was expressed, to satisfy an opposite demand. There were theories of course, to support this reaction for the time being, like those theories which, in politics, come to the support of the laws against religious communities, of wars in the East (unnatural teaching, the Yellow Peril, etc., etc.). People said that an age of speed required rapidity in art, precisely as they might have said that the next war could not last longer than a fortnight, or that the coming of railways would kill the little places beloved of the coaches, which the motor-car, for all that, was to restore to favour. Composers were warned not to strain the attention of their audience, as though we had not at our disposal different degrees of attention, among which it rests precisely with the artist himself to arouse the highest. For the people who yawn with boredom after ten lines of a mediocre article have journeyed year after year to Bayreuth to listen to the Ring. Besides, the day was to come when, for a season, Debussy would be pronounced as trivial as Massenet, and the trills of Mélisande degraded to the level of Manon′s. For theories and schools, like microbes and corpuscles, devour one another and by their warfare ensure the continuity of existence. But that time was still to come.
Comme à la Bourse, quand un mouvement de hausse se produit, tout un compartiment de valeurs en profitent, un certain nombre d′auteurs dédaignés bénéficiaient de la réaction, soit parce qu′ils ne méritaient pas ce dédain, soit simplement — ce qui permettait de dire une nouveauté en les prônant — parce qu′ils l′avaient encouru. Et on allait même chercher, dans un passé isolé, quelques talents indépendants sur la réputation de qui ne semblait pas devoir influer le mouvement actuel, mais dont un des maîtres nouveaux passait pour citer le nom avec faveur. Souvent c′était parce qu′un maître, quel qu′il soit, si exclusive que doive être son école, juge d′après son sentiment original, rend justice au talent partout où il se trouve, et même moins qu′au talent, à quelque agréable inspiration qu′il a goûtée autrefois, qui se rattache à un moment aimé de son adolescence. D′autres fois parce que certains artistes d′une autre époque ont, dans un simple morceau, réalisé quelque chose qui ressemble à ce que le maître peu à peu s′est rendu compte que lui-même avait voulu faire. Alors il voit en cet ancien comme un précurseur; il aime chez lui, sous une tout autre forme, un effort momentanément, partiellement fraternel. Il y a des morceaux de Turner dans l′oeuvre de Poussin, une phrase de Flaubert dans Montesquieu. Et quelquefois aussi ce bruit de la prédilection du Maître était le résultat d′une erreur, née on ne sait où et colportée dans l′école. Mais le nom cité bénéficiait alors de la firme sous la protection de laquelle il était entré juste à temps, car s′il y a quelque liberté, un goût vrai, dans le choix du maître, les écoles, elles, ne se dirigent plus que suivant la théorie. C′est ainsi que l′esprit, suivant son cours habituel qui s′avance par digression, en obliquant une fois dans un sens, la fois suivante dans le sens contraire, avait ramené la lumière d′en haut sur un certain nombre d′oeuvres auxquelles le besoin de justice, ou de renouvellement, ou le goût de Debussy, ou son caprice, ou quelque propos qu′il n′avait peut-être pas tenu, avaient ajouté celles de Chopin. Prônées par les juges en qui on avait toute confiance, bénéficiant de l′admiration qu′excitait Pelléas, elles avaient retrouvé un éclat nouveau, et ceux mêmes qui ne les avaient pas réentendues étaient si désireux de les aimer qu′ils le faisaient malgré eux, quoique avec l′illusion de la liberté. Mais Mme de Cambremer–Legrandin restait une partie de l′année en province. Même à Paris, malade, elle vivait beaucoup dans sa chambre. Il est vrai que l′inconvénient pouvait surtout s′en faire sentir dans le choix des expressions que Mme de Cambremer croyait à la mode et qui eussent convenu plutôt au langage écrit, nuance qu′elle ne discernait pas, car elle les tenait plus de la lecture que de la conversation. Celle-ci n′est pas aussi nécessaire pour la connaissance exacte des opinions que des expressions nouvelles. Pourtant ce rajeunissement des «nocturnes» n′avait pas encore été annoncé par la critique. La nouvelle s′en était transmise seulement par des causeries de «jeunes». Il restait ignoré de Mme de Cambremer–Legrandin. Je me fis un plaisir de lui apprendre, mais en m′adressant pour cela à sa belle-mère, comme quand, au billard, pour atteindre une boule on joue par la bande, que Chopin, bien loin d′être démodé, était le musicien préféré de Debussy. «Tiens, c′est amusant», me dit en souriant finement la belle-fille, comme si ce n′avait été là qu′un paradoxe lancé par l′auteur de Pelléas. Néanmoins il était bien certain maintenant qu′elle n′écouterait plus Chopin qu′avec respect et même avec plaisir.   As on the Stock Exchange, when a rise occurs, a whole group of securities benefit by it, so a certain number of despised composers were gaining by the reaction, either because they did not deserve such scorn, or simply — which enabled one to be original when one sang their praises — because they had incurred it. And people even went the length of seeking out, in an isolated past, men of independent talent upon whose reputation the present movement did not seem calculated to have any influence, but of whom one of the new masters was understood to have spoken favourably. Often it was because a master, whoever he may be, however exclusive his school, judges in the light of his own untutored instincts, does justice to talent wherever it be found, or rather not so much to talent as to some agreeable inspiration which he has enjoyed in the past, which reminds him of a precious moment in his adolescence. Or, it may be, because certain artists of an earlier generation have in some fragment of their work realised something that resembles what the master has gradually become aware that he himself meant at one time to create. Then he sees the old master as a sort of precursor; he values in him, under a wholly different form, an effort that is momentarily, partially fraternal. There are bits of Turner in the work of Poussin, we find a phrase of Flaubert in Montesquieu. Sometimes, again, this rumoured predilection of the Master was due to an error, starting heaven knows where and circulated through the school. But in that case the name mentioned profited by the auspices under which it was introduced in the nick of time, for if there is an element of free will, some genuine taste expressed in the master′s choice, the schools themselves go only by theory. Thus it is that the mind, following its habitual course which advances by digression, inclining first in one direction, then in the other, had brought back into the light of day a number of works to which the need for justice, or for a renewal of standards, or the taste of Debussy, or his caprice, or some remark that he had perhaps never made had added the works of Chopin. Commended by the judges in whom one had entire confidence, profiting by the admiration that was aroused by Pelléas, they had acquired a fresh lustre, and even the people who had not heard them again were so anxious to admire them that they did so in spite of themselves, albeit preserving the illusion of free will. But Mme. de Cambremer-Legrandin spent part of the year in the country. Even in Paris, being an invalid, she was largely confined to her own room. It is true that the drawbacks of this mode of existence were noticeable chiefly in her choice of expressions which she supposed to be fashionable and which would have been more appropriate to the written language, a distinction that she did not perceive, for she derived them more from reading than from conversation. The latter is not so necessary for an exact knowledge of current opinion as of the latest expressions. Unfortunately this revival of the Nocturnes had not yet been announced by the critics. The news of it had been transmitted only by word of mouth among the ‘younger′ people. It remained unknown to Mme. de Cambremer-Legrandin. I gave myself the pleasure of informing her, but by addressing my remark to her mother-in-law, as when at billiards in order to hit a ball one aims at the cushion, that Chopin, so far from being out of date, was Debussy′s favourite composer. “Indeed, that′s quaint,” said the daughter-in-law with a subtle smile as though it had been merely a deliberate paradox on the part of the composer of Pelléas. Nevertheless it was now quite certain that in future she would always listen to Chopin with respect and even pleasure.
Aussi mes paroles, qui venaient de sonner l′heure de la délivrance pour la douairière, mirent-elles dans sa figure une expression de gratitude pour moi, et surtout de joie. Ses yeux brillèrent comme ceux de Latude dans la pièce appelée Latude ou Trente-cinq ans de captivité et sa poitrine huma l′air de la mer avec cette dilatation que Beethoven a si bien marquée dans Fidelio, quand ses prisonniers respirent enfin «et air qui vivifie». Quant à la douairière, je crus qu′elle allait poser sur ma joue ses lèvres moustachues. «Comment, vous aimez Chopin? Il aime Chopin, il aime Chopin», s′écria-t-elle dans un nasonnement passionné; elle aurait dit: «Comment, vous connaissez aussi Mme de Franquetot?» avec cette différence que mes relations avec Mme de Franquetot lui eussent été profondément indifférentes, tandis que ma connaissance de Chopin la jeta dans une sorte de délire artistique. L′hyper-sécrétion salivaire ne suffit plus. N′ayant même pas essayé de comprendre le rôle de Debussy dans la réinvention de Chopin, elle sentit seulement que mon jugement était favorable. L′enthousiasme musical la saisit. «Élodie! Élodie! il aime Chopin»; ses seins se soulevèrent et elle battit l′air de ses bras. «Ah! j′avais bien senti que vous étiez musicien, s′écria-t-elle. Je comprends, artiste comme vous êtes, que vous aimiez cela. C′est si beau!» Et sa voix était aussi caillouteuse que si, pour m′exprimer son ardeur pour Chopin, elle eût, imitant Démosthène, rempli sa bouche avec tous les galets de la plage. Enfin le reflux vint, atteignant jusqu′à la voilette qu′elle n′eut pas le temps de mettre à l′abri et qui fut transpercée, enfin la marquise essuya avec son mouchoir brodé la bave d′écume dont le souvenir de Chopin venait de tremper ses moustaches. Moreover my words which had sounded the hour of deliverance for the dowager produced on her face an expression of gratitude to myself and above all of joy. Her eyes shone like the eyes of Latude in the play entitled Latude, or Thirty-five Years in Captivity, and her bosom inhaled the sea air with that dilatation which Beethoven has so well described in Fidelio, at the point where his prisoners at last breathe again ‘this life-giving air.′ As for the dowager, I thought that she was going to press her hirsute lips to my cheek. “What, you like Chopin? He likes Chopin, he likes Chopin,” she cried with a nasal trumpet-tone of passion; she might have been saying: “What, you know Mme. de Franquetot too?” with this difference, that my relations with Mme. de Franquetot would have left her completely indifferent, whereas my knowledge of Chopin plunged her in a sort of artistic delirium. Her salivary super-secretion no longer sufficed. Not having attempted even to understand the part played by Debussy in the rediscovery of Chopin, she felt only that my judgment of him was favourable. Her musical enthusiasm overpowered her. “Elodie! Elodie! He likes Chopin!” her bosom rose and she beat the air with her arms. “Ah! I knew at once that you were a musician,” she cried. “I can quite understand an artist such as you are liking him. He′s so lovely!” And her voice was as pebbly as if, to express her ardour for Chopin, she had copied Demosthenes and filled her mouth with all the shingle on the beach. Then came the turn of the tide, reaching as far as her veil which she had not time to lift out of harm′s way and which was flooded; and lastly the Marquise wiped away with her embroidered handkerchief the tidemark of foam in which the memory of Chopin had steeped her moustaches.
«Mon Dieu, me dit Mme de Cambremer–Legrandin, je crois que ma belle-mère s′attarde un peu trop, elle oublie que nous avons à dîner mon oncle de Ch′nouville. Et puis Cancan n′aime pas attendre.» Cancan me resta incompréhensible, et je pensai qu′il s′agissait peut-être d′un chien. Mais pour les cousins de Ch′nouville, voilà. Avec l′âge s′était amorti chez la jeune marquise le plaisir qu′elle avait à prononcer leur nom de cette manière. Et cependant c′était pour le goûter qu′elle avait jadis décidé son mariage. Dans d′autres groupes mondains, quand on parlait des Chenouville, l′habitude était (du moins chaque fois que la particule était précédée d′un nom finissant par une voyelle, car dans le cas contraire on était bien obligé de prendre appui sur le de, la langue se refusant à prononcer Madam′ d′ Ch′nonceaux) que ce fût l′e muet de la particule qu′on sacrifiât. On disait: «Monsieur d′Chenouville». Chez les Cambremer la tradition était inverse, mais aussi impérieuse. C′était l′e muet de Chenouville que, dans tous les cas, on supprimait. Que le nom fût précédé de mon cousin ou de ma cousine, c′était toujours de «Ch′nouville» et jamais de Chenouville. (Pour le père de ces Chenouville on disait notre oncle, car on n′était pas assez gratin à Féterne pour prononcer notre «onk», comme eussent fait les Guermantes, dont le baragouin voulu, supprimant les consonnes et nationalisant les noms étrangers, était aussi difficile à comprendre que le vieux français ou un moderne patois.) Toute personne qui entrait dans la famille recevait aussitôt, sur ce point des Ch′nouville, un avertissement dont Mlle Legrandin–Cambremer n′avait pas eu besoin. Un jour, en visite, entendant une jeune fille dire: «ma tante d′Uzai», «mon onk de Rouan», elle n′avait pas reconnu immédiatement les noms illustres qu′elle avait l′habitude de prononcer: Uzès et Rohan; elle avait eu l′étonnement, l′embarras et la honte de quelqu′un qui a devant lui à table un instrument nouvellement inventé dont il ne sait pas l′usage et dont il n′ose pas commencer à manger. Mais, la nuit suivante et le lendemain, elle avait répété avec ravissement: «ma tante d′Uzai» avec cette suppression de l′s finale, suppression qui l′avait stupéfaite la veille, mais qu′il lui semblait maintenant si vulgaire de ne pas connaître qu′une de ses amies lui ayant parlé d′un buste de la duchesse d′Uzès, Mlle Legrandin lui avait répondu avec mauvaise humeur, et d′un ton hautain: «Vous pourriez au moins prononcer comme il faut: Mame d′Uzai.» Dès lors elle avait compris qu′en vertu de la transmutation des matières consistantes en éléments de plus en plus subtils, la fortune considérable et si honorablement acquise qu′elle tenait de son père, l′éducation complète qu′elle avait reçue, son assiduité à la Sorbonne, tant aux cours de Caro qu′à ceux de Brunetière, et aux concerts Lamoureux, tout cela devait se volatiliser, trouver sa sublimation dernière dans le plaisir de dire un jour: «ma tante d′Uzai». Il n′excluait pas de son esprit qu′elle continuerait à fréquenter, au moins dans les premiers temps qui suivraient son mariage, non pas certaines amies qu′elle aimait et qu′elle était résignée à sacrifier, mais certaines autres qu′elle n′aimait pas et à qui elle voulait pouvoir dire (puisqu′elle se marierait pour cela): «Je vais vous présenter à ma tante d′Uzai», et quand elle vit que cette alliance était trop difficile: «Je vais vous présenter à ma tante de Ch′nouville» et: «Je vous ferai dîner avec les Uzai.» Son mariage avec M. de Cambremer avait procuré à Mlle Legrandin l′occasion de dire la première de ces phrases mais non la seconde, le monde que fréquentaient ses beaux-parents n′étant pas celui qu′elle avait cru et duquel elle continuait à rêver. Aussi, après m′avoir dit de Saint–Loup (en adoptant pour cela une expression de Robert, car si, pour causer, j′employais avec elle ces expressions de Legrandin, par une suggestion inverse elle me répondait dans le dialecte de Robert, qu′elle ne savait pas emprunté à Rachel), en rapprochant le pouce de l′index et en fermant à demi les yeux comme si elle regardait quelque chose d′infiniment délicat qu′elle était parvenue à capter: «Il a une jolie qualité d′esprit»; elle fit son éloge avec tant de chaleur qu′on aurait pu croire qu′elle était amoureuse de lui (on avait d′ailleurs prétendu qu′autrefois, quand il était à Doncières, Robert avait été son amant), en réalité simplement pour que je le lui répétasse et pour aboutir à: «Vous êtes très lié avec la duchesse de Guerrnantes. Je suis souffrante, je ne sors guère, et je sais qu′elle reste confinée dans un cercle d′amis choisis, ce que je trouve très bien, aussi je la connais très peu, mais je sais que c′est une femme absolument supérieure.»   “Good heavens,” Mme. de Cambremer-Legrandin remarked to me, “I′m afraid my mother-in-law′s cutting it rather fine, she′s forgotten that we′ve got my Uncle de Ch′nouville dining. Besides, Cancan doesn′t like to be kept waiting.” The word ‘Cancan′ was beyond me, and I supposed that she might perhaps be referring to a dog. But as for the Ch′nouville relatives, the explanation was as follows. With the lapse of time the young Marquise had outgrown the pleasure that she had once found in pronouncing their name in this manner. And yet it was the prospect of enjoying that pleasure that had decided her choice of a husband. In other social circles, when one referred to the Chenouville family, the custom was (whenever, that is to say, the particle was preceded by a word ending in a vowel sound, for otherwise you were obliged to lay stress upon the de, the tongue refusing to utter Madam′ d′Ch′nonceaux) that it was the mute e of the particle that was sacrificed. One said: “Monsieur d′Chenouville.” The Cambremer tradition was different, but no less imperious. It was the mute e of Chenouville that was suppressed. Whether the name was preceded by mon cousin or by ma cousine, it was always de Ch′nouville and never de Chenouville. (Of the father of these Chenouvilles, one said ‘our Uncle′ for they were not sufficiently ‘smart set′ at Féterne to pronounce the word ‘Unk′ like the Guermantes, whose deliberate jargon, suppressing consonants and naturalising foreign words, was as difficult to understand as Old French or a modern dialect.) Every newcomer into the family circle at once received, in the matter of the Ch′nouvilles, a lesson which Mme. de Cambremer-Legrandin had not required. When, paying a call one day, she had heard a girl say: “My Aunt d′Uzai,” “My Unk de Rouan,” she had not at first recognised the illustrious names which she was in the habit of pronouncing: Uzès, and Rolîan, she had felt the astonishment, embarrassment and shame of a person who sees before him on the table a recently invented implement of which he does not know the proper use and with which he dares not begin to eat. But during that night and the next day she had rapturously repeated: “My Aunt Uzai,” with that suppression of the final s, a suppression that had stupefied her the day before, but which it now seemed to her so vulgar not to know that, one of her friends having spoken to her of a bust of the Duchesse d′Uzès, Mlle. Legrandin had answered her crossly, and in an arrogant tone: “You might at least pronounce her name properly: Mme. d′Uzai.” From that moment she had realised that, by virtue of the transmutation of solid bodies into more and more subtle elements, the considerable and so honourably acquired fortune that she had inherited from her father, the finished education that she had received, her regular attendance at the Sorbonne, whether at Caro′s lectures or at Brunetiere′s, and at the Lamoureux concerts, all this was to be rendered volatile, to find its utmost sublimation in the pleasure of being able one day to say: “My Aunt d′Uzai.” This did not exclude the thought that she would continue to associate, in the earlier days, at least, of her married life, not indeed with certain women friends whom she liked and had resigned herself to sacrificing, but with certain others whom she did not like and to whom she looked forward to being able to say (since that, after all, was why she was marrying): “I must introduce you to my Aunt d′Uzai,” and, when she saw that such an alliance was beyond her reach, “I must introduce you to my Aunt de Ch′nouville,” and “I shall ask you to dine to meet the Uzai.” Her marriage to M. de Cambremer had procured for Mlle. Legrandin the opportunity to use the former of these phrases but not the latter, the circle in which her parents-in-law moved not being that which she had supposed and of which she continued to dream. After saying to me of Saint-Loup (adopting for the occasion one of his expressions, for if in talking to her I used those expressions of Legrandin, she by a reverse suggestion answered me in Robert′s dialect which she did not know to be borrowed from Rachel), bringing her thumb and forefinger together and half-shutting her eyes as though she were gazing at something infinitely delicate which she had succeeded in capturing: “He has a charming quality of mind,” she began to extol him with such warmth that one might have supposed that she was in love with him (it had indeed been alleged that, some time back, when he was at Doncières, Robert had been her lover), in reality simply that I might repeat her words to him, and ended up with: “You are a great friend of the Duchesse de Guermantes. I am an invalid, I never go anywhere, and I know that she sticks to a close circle of chosen friends, which I do think so wise of her, and so I know her very slightly, but I know she is a really remarkable woman.”
Sachant que Mme de Cambremer la connaissait à peine, et pour me faire aussi petit qu′elle, je glissai sur ce sujet et répondis à la marquise que j′avais connu surtout son frère, M. Legrandin. A ce nom, elle prit le même air évasif que j′avais eu pour Mme de Guermantes, mais en y joignant une expression de mécontentement, car elle pensa que j′avais dit cela pour humilier non pas moi, mais elle. Était-elle rongée par le désespoir d′être née Legrandin? C′est du moins ce que prétendaient les soeurs et belles-soeurs de son mari, dames nobles de province qui ne connaissaient personne et ne savaient rien, jalousaient l′intelligence de Mme de Cambremer, son instruction, sa fortune, les agréments physiques qu′elle avait eus avant de tomber malade. «Elle ne pense pas à autre chose, c′est cela qui la tue», disaient ces méchantes dès qu′elles parlaient de Mme de Cambremer à n′importe qui, mais de préférence à un roturier, soit, s′il était fat et stupide, pour donner plus de valeur, par cette affirmation de ce qu′a de honteux la roture, à l′amabilité qu′elles marquaient pour lui, soit, s′il était timide et fin et s′appliquait le propos à soi-même, pour avoir le plaisir, tout en le recevant bien, de lui faire indirectement une insolence. Mais si ces dames croyaient dire vrai pour leur belle-soeur, elles se trompaient. Celle-ci souffrait d′autant moins d′être née Legrandin qu′elle en avait perdu le souvenir. Elle fut froissée que je le lui rendisse et se tut comme si elle n′avait pas compris, ne jugeant pas nécessaire d′apporter une précision, ni même une confirmation aux miens. Aware that Mme. de Carnbremer barely knew her, and anxious to reduce myself to her level, I avoided the subject and answered the Marquise that the person whom I did know well was her brother, M. Legrandin. At the sound of his name she assumed the same evasive air as myself over the name of Mme. de Guermantes, but combined with it an expression of annoyance, for she supposed that I had said this with the object of humiliating not myself but her. Was she gnawed by despair at having been born a Legrandin? So at least her husband′s sisters and sisters-in-law asserted, ladies of the provincial nobility who knew nobody and nothing, and were jealous of Mme. de Cambremer′s intelligence, her education, her fortune, the physical attractions that she had possessed before her illness. “She can think of nothing else, that is what is killing her,” these slanderers would say whenever they spoke of Mme. de Cambremer to no matter whom, but preferably to a plebeian, whether, were he conceited and stupid, to enhance, by this affirmation of the shamefulness of a plebeian origin, the value of the affability that they were shewing him, of, if he were shy and clever and applied the remark to himself, to give themselves the pleasure, while receiving him hospitably, of insulting him indirectly. But if these ladies thought that they were speaking the truth about their sister-in-law, they were mistaken. She suffered not at all from having been born Legrandin, for she had forgotten the fact altogether. She was annoyed at my reminding her of it, and remained silent as though she had not understood, not thinking it necessary to enlarge upon or even to confirm my statement.
«Nos parents ne sont pas la principale cause de l′écourtement de notre visite, me dit Mme de Cambremer douairière, qui était probablement plus blasée que sa belle-fille sur le plaisir qu′il y a à dire: «Ch′nouville». Mais, pour ne pas vous fatiguer de trop de monde, Monsieur, dit-elle en montrant l′avocat, n′a pas osé faire venir jusqu′ici sa femme et son fils. Ils se promènent sur la plage en nous attendant et doivent commencer à s′ennuyer.» Je me les fis désigner exactement et courus les chercher. La femme avait une figure ronde comme certaines fleurs de la famille des renonculacées, et au coin de l′oeil un assez large signe végétal. Et les générations des hommes gardant leurs caractères comme une famille de plantes, de même que sur la figure flétrie de la mère, le même signe, qui eût pu aider au classement d′une variété, se gonflait sous l′oeil du fils. Mon empressement auprès de sa femme et de son fils toucha l′avocat. Il montra de l′intérêt au sujet de mon séjour à Balbec. «Vous devez vous trouver un peu dépaysé, car il y a ici, en majeure partie, des étrangers.» Et il me regardait tout en me parlant, car n′aimant pas les étrangers, bien que beaucoup fussent de ses clients, il voulait s′assurer que je n′étais pas hostile à sa xénophobie, auquel cas il eût battu en retraite en disant: «Naturellement, Mme X . . . peut être une femme charmante. C′est une question de principes.» Comme je n′avais, à cette époque, aucune opinion sur les étrangers, je ne témoignai pas de désapprobation, il se sentit en terrain sûr. Il alla jusqu′à me demander de venir un jour chez lui, à Paris, voir sa collection de Le Sidaner, et d′entraîner avec moi les Cambremer, avec lesquels il me croyait évidemment intime. «Je vous inviterai avec Le Sidaner, me dit-il, persuadé que je ne vivrais plus que dans l′attente de ce jour béni. Vous verrez quel homme exquis. Et ses tableaux vous enchanteront. Bien entendu, je ne puis pas rivaliser avec les grands collectionneurs, mais je crois que c′est moi qui ai le plus grand nombre de ses toiles préférées. Cela vous intéressera d′autant plus, venant de Balbec, que ce sont des marines, du moins en majeure partie.» La femme et le fils, pourvus du caractère végétal, écoutaient avec recueillement. On sentait qu′à Paris leur hôtel était une sorte de temple du Le Sidaner. Ces sortes de temples ne sont pas inutiles. Quand le dieu a des doutes sur lui-même, il bouche aisément les fissures de son opinion sur lui-même par les témoignages irrécusables d′êtres qui ont voué leur vie à son oeuvre.   “Our cousins are not the chief reason for our cutting short our visit,” said the dowager Mme. de Cambremer, who was probably more satiated than her daughter-in-law with the pleasure to be derived from saying ‘Ch′nouville.′ “But, so as not to bother you with too many people, Monsieur,” she went on, indicating the lawyer, “was afraid to bring his wife and son to the hotel. They are waiting for us on the beach, and they will be growing impatient.” I asked for an exact description of them and hastened in search of them. The wife had a round face like certain flowers of the ranunculus family, and a large vegetable growth at the corner of her eye. And as the generations of mankind preserve their characteristic like a family of plants, just as on the blemished face of his mother, an identical mole, which might have helped one in classifying a variety of the species, protruded below the eye of the son. The lawyer was touched by my civility to his wife and son. He shewed an interest in the subject of my stay at Balbec. “You must find yourself rather out of your element, for the people here are for the most part foreigners.” And he kept his eye on me as he spoke, for, not caring for foreigners, albeit he had many foreign clients, he wished to make sure that I was not hostile to his xenophobia, in which case he would have beaten a retreat saying: “Of course, Mme. X—— may be a charming woman. It′s a question of principle.” As at that time I had no definite opinion about foreigners, I shewed no sign of disapproval; he felt himself to be on safe ground. He went so far as to invite me to come one day, in Paris, to see his collection of Le Sidaner, and to bring with me the Cambremers, with whom he evidently supposed me to be on intimate terms. “I shall invite you to meet Le Sidaner,” he said to me, confident that from that moment I would live only in expectation of that happy day. “You shall see what a delightful man he is. And his pictures will enchant you. Of course, I can′t compete with the great collectors, but I do believe that I am the one that possesses the greatest number of his favourite canvases. They will interest you all the more, coming from Balbec, since they are marine subjects, for the most part, at least.” The wife and son, blessed with a vegetable nature, listened composedly. One felt that their house in Paris was a sort of temple of Le Sidaner. Temples of this sort are not without their use. When the god has doubts as to his own merits, he can easily stop the cracks in his opinion of himself with the irrefutable testimony of people who have devoted their lives to his work.
Sur un signe de sa belle-fille, Mme de Cambremer allait se lever et me disait: «Puisque vous ne voulez pas vous installer à Féterne, ne voulez-vous pas au moins venir déjeuner, un jour de la semaine, demain par exemple?» Et, dans sa bienveillance, pour me décider elle ajouta: «Vous retrouverez le comte de Crisenoy» que je n′avais nullement perdu, pour la raison que je ne le connaissais pas. Elle commençait à faire luire à mes yeux d′autres tentations encore, mais elle s′arrêta net. Le premier président, qui, en rentrant, avait appris qu′elle était à l′hôtel, l′avait sournoisement cherchée partout, attendue ensuite et, feignant de la rencontrer par hasard, il vint lui présenter ses hommages. Je compris que Mme de Cambremer ne tenait pas à étendre à lui l′invitation à déjeuner qu′elle venait de m′adresser. Il la connaissait pourtant depuis bien plus longtemps que moi, étant depuis des années un de ces habitués des matinées de Féterne que j′enviais tant durant mon premier séjour à Balbec. Mais l′ancienneté ne fait pas tout pour les gens du monde. Et ils réservent plus volontiers les déjeuners aux relations nouvelles qui piquent encore leur curiosité, surtout quand elles arrivent précédées d′une prestigieuse et chaude recommandation comme celle de Saint–Loup. Mme de Cambremer supputa que le premier président n′avait pas entendu ce qu′elle m′avait dit, mais pour calmer les remords qu′elle éprouvait, elle lui tint les plus aimables propos. Dans l′ensoleillement qui noyait à l′horizon la côte dorée, habituellement invisible, de Rivebelle, nous discernâmes, à peine séparées du lumineux azur, sortant des eaux, roses, argentines, imperceptibles, les petites cloches de l′angélus qui sonnaient aux environs de Féterne. «Ceci est encore assez Pelléas, fis-je remarquer à Mme de Cambremer–Legrandin. Voué savez la scène que je veux dire. — Je crois bien que je sais»; mais «je ne sais pas du tout» était proclamé par sa voix et son visage, qui ne se moulaient à aucun souvenir, et par son sourire sans appui, en l′air. La douairière ne revenait pas de ce que les cloches portassent jusqu′ici et se leva en pensant à l′heure: «Mais en effet, dis-je, d′habitude, de Balbec, on ne voit pas cette côte, et on ne l′entend pas non plus. Il faut que le temps ait changé et ait doublement élargi l′horizon. A moins qu′elles ne viennent vous chercher puisque je vois qu′elles vous font partir; elles sont pour vous la cloche du dîner.» Le premier président, peu sensible aux cloches, regardait furtivement la digue qu′il se désolait de voir ce soir aussi dépeuplée. «Vous êtes un vrai poète, me dit Mme de Cambremer. On vous sent si vibrant, si artiste; venez, je vous jouerai du Chopin», ajouta-t-elle en levant les bras d′un air extasié et en prononçant les mots d′une voix rauque qui avait l′air de déplacer des galets. Puis vint la déglutition de la salive, et la vieille dame essuya instinctivement la légère brosse, dite à l′américaine, de sa moustache avec son mouchoir. Le premier président me rendit sans le vouloir un très grand service en empoignant la marquise par le bras pour la conduire à sa voiture, une certaine dose de vulgarité, de hardiesse et de goût pour l′ostentation dictant une conduite que d′autres hésiteraient à assurer, et qui est loin de déplaire dans le monde. Il en avait d′ailleurs, depuis tant d′années, bien plus l′habitude que moi. Tout en le bénissant je n′osai l′imiter et marchai à côté de Mme de Cambremer–Legrandin, laquelle voulut voir le livre que je tenais à la main. Le nom de Mme de Sévigné lui fit faire la moue; et, usant d′un mot qu′elle avait lu dans certains journaux, mais qui, parlé et mis au féminin, et appliqué à un écrivain du XVIIe siècle, faisait un effet bizarre, elle me demanda: «La trouvez-vous vraiment talentueuse?» La marquise donna au valet de pied l′adresse d′un pâtissier où elle avait à s′en aller avant de repartir sur la route, rose de la poussière du soir, où bleuissaient en forme de croupes les falaises échelonnées. Elle demanda à son vieux cocher si un de ses chevaux, qui était frileux, avait eu assez chaud, si le sabot de l′autre ne lui faisait pas mal. «Je vous écrirai pour ce que nous devons convenir, me dit-elle à mi-voix. J′ai vu que vous causiez littérature avec ma belle-fille, elle est adorable», ajouta-t-elle, bien qu′elle ne le pensât pas, mais elle avait pris l′habitude — gardée par bonté— de le dire pour que son fils n′eût pas l′air d′avoir fait un mariage d′argent. «Et puis, ajouta-t-elle dans un dernier mâchonnement enthousiaste, elle est si hartthhisstte!» Puis elle monta en voiture, balançant la tête, levant la crosse de son ombrelle, et repartit par les rues de Balbec, surchargée des ornements de son sacerdoce, comme un vieil évêque en tournée de confirmation.   At a signal from her daughter-in-law, Mme. de Cambremer prepared to depart, and said to me: “Since you won′t come and stay at Féterne, won′t you at least come to luncheon, one day this week, to-morrow for instance?” And in her bounty, to make the invitation irresistible, she added: “You will find the Comte de Crisenoy,” whom I had never lost, for the simple reason that I did not know him. She was beginning to dazzle me with yet further temptations, but stopped short. The chief magistrate who, on returning to the hotel, had been told that she was on the premises had crept about searching for her everywhere, then waited his opportunity, and pretending to have caught sight of her by chance, came up now to greet her. I gathered that Mme. de Cambremer did not mean to extend to him the invitation to luncheon that she had just addressed to me. And yet he had known her far longer than I, having for years past been one of the regular guests at the afternoon parties at Féterne whom I used so to envy during my former visit to Balbec. But old acquaintance is not the only thing that counts in society. And hostesses are more inclined to reserve their luncheons for new acquaintances who still whet their curiosity, especially when they arrive preceded by a glowing and irresistible recommendation like Saint-Loup′s of me. Mme. de Cambremer decided that the chief magistrate could not have heard what she was saying to me, but, to calm her guilty conscience, began addressing him in the kindest tone. In the sunlight that flooded, on the horizon, the golden coastline, invisible as a rule, of Rivebelle, we could just make out, barely distinguishable from the luminous azure, rising from the water, rosy, silvery, faint, the little bells that were sounding the angélus round about Féterne. “That is rather Pelléas, too,” I suggested to Mme. de Cambremer-Legrandin. “You know the scene I mean.” “Of course I do!” was what she said; but “I haven′t the faintest idea” was the message proclaimed by her voice and features which did not mould themselves to the shape of any recollection and by a smile that floated without support in the air. The dowager could not get over her astonishment that the sound of the bells should carry so far, and rose, reminded of the time. “But, as a rule,” I said, “we never see that part of the coast from Balbec, nor hear it either. The weather must have changed and enlarged the horizon in more ways than one. Unless, that is to say, the bells have come to look for you, since I see that they are making you leave; to you they are a dinner bell.” The chief magistrate, little interested in the bells, glanced furtively along the front, on which he was sorry to see so few people that evening. “You are a true poet,” said Mme. de Cambremer to me. “One feels you are so responsive, so artistic, come, I will play you Chopin,” she went on, raising her arms with an air of ecstasy and pronouncing the words in a raucous voice like the shifting of shingle on the beach. Then came the deglutition of spittle, and the old lady instinctively wiped the stubble of her moustaches with her handkerchief. The chief magistrate did me, unconsciously, a great service by offering the Marquise his arm to escort her to her carriage, a certain blend of vulgarity, boldness and love of ostentation prompting him to actions which other people would have hesitated to risk, and which are by no means unsuccessful in society. He was, moreover, and had been for years past far more in the habit of these actions than myself. While blessing him for what he did I did not venture to copy him, and walked by the side of Mme. de Cambremer-Legrandin who insisted upon seeing the book that I had in my hand. The name of Madame de Sévigné drew a grimace from her; and using a word which she had seen in certain newspapers, but which, used in speech and given a feminine form, and applied to a seventeenth century writer, had an odd effect, she asked me: “Do you think her really masterly?” The Marquise gave her footman the address of a pastry-cook where she had to call before taking the road, rosy with the evening haze, through which loomed one beyond another the dusky walls of cliff. She asked her old coachman whether one of the horses which was apt to catch cold had been kept warm enough, whether the other′s shoe were not hurting him. “I shall write to you and make a definite engagement,” she murmured to me. “I heard you talking about literature to my daughter-in-law, she′s a darling,” she went on, not that she really thought so, but she had acquired the habit — and kept it up in her kindness of heart — of saying so, in order that her son might not appear to have married for money. “Besides,” she added with a final enthusiastic gnashing of her teeth, “she′s so harttissttick!” With this she stepped into her carriage, nodding her head, holding the crook of her sunshade aloft like a crozier, and set off through the streets of Balbec, overloaded with the ornaments of her priesthood, like an old Bishop on a confirmation tour.
«Elle vous a invité à déjeuner, me dit sévèrement le premier président quand la voiture se fut éloignée et que je rentrai avec mes amies. Nous sommes en froid. Elle trouve que je la néglige. Dame, je suis facile à vivre. Qu′on ait besoin de moi, je suis toujours là pour répondre: «Présent.» Mais ils ont voulu jeter le grappin sur moi. Ah! alors, cela, ajouta-t-il d′un air fin et en levant le doigt comme quelqu′un qui distingue et argumente, je ne permets pas ça. C′est attenter à la liberté de mes vacances. J′ai été obligé de dire: «Halte-là». Vous paraissez fort bien avec elle. Quand vous aurez mon âge, vous verrez que c′est bien peu de chose, le monde, et vous regretterez d′avoir attaché tant d′importance à ces riens. Allons, je vais faire un tour avant dîner. Adieu les enfants», cria-t-il à la cantonade, comme s′il était déjà éloigné de cinquante pas.   “She has asked you to luncheon,” the chief magistrate said to me sternly when the carriage had passed out of sight and I came indoors with the girls. “We′re not on the best of terms just now. She feels that I neglect her. Gad, I′m easy enough to get on with. If anybody needs me, I′m always there to say: Adsum! But they tried to force my hand. That, now,” he went on with an air of subtlety, holding up his finger as though making and arguing a distinction, “that is a thing I do not allow. It is a threat to the liberty of my holidays. I was obliged to say: Stop! You seem to be in her good books. When you reach my age you will see that society is a very trumpery thing, and you will be sorry you attached so much importance to these trifles. Well, I am going to take a turn before dinner. Good-bye, children,” he shouted back at us, as though he were already fifty yards away.
Quand j′eus dit au revoir à Rosemonde et à Gisèle, elles virent avec étonnement Albertine arrêtée qui ne les suivait pas. «Hé bien, Albertine, qu′est-ce que tu fais, tu sais l′heure? — Rentrez, leur répondit-t-elle avec autorité. J′ai à causer avec lui», ajouta-t-elle en me montrant d′un air soumis. Rosemonde et Gisèle me regardaient, pénétrées pour moi d′un respect nouveau. Je jouissais de sentir que, pour un moment du moins, aux yeux mêmes de Rosemonde et de Gisèle, j′étais pour Albertine quelque chose de plus important que l′heure de rentrer, que ses amies, et pouvais même avoir avec elle de graves secrets auxquels il était impossible qu′on les mêlât. «Est-ce que nous ne te verrons pas ce soir? — Je ne sais pas, ça dépendra de celui-ci. En tout cas à demain. — Montons dans ma chambre», lui dis-je, quand ses amies se furent éloignées. Nous prîmes l′ascenseur; elle garda le silence devant le lift. L′habitude d′être obligé de recourir à l′observation personnelle et à la déduction pour connaître les petites affaires des maîtres, ces gens étranges qui causent entre eux et ne leur parlent pas, développe chez les «employés» (comme le lift appelle les domestiques) un plus grand pouvoir de divination que chez les «patrons». Les organes s′atrophient ou deviennent plus forts ou plus subtils selon que le besoin qu′on a d′eux croît ou diminue. Depuis qu′il existe des chemins de fer, la nécessité de ne pas manquer le train nous a appris à tenir compte des minutes, alors que chez les anciens Romains, dont l′astronomie n′était pas seulement plus sommaire mais aussi la vie moins pressée, la notion, non pas de minutes, mais même d′heures fixes, existait à peine. Aussi le lift avait-il compris et comptait-il raconter à ses camarades que nous étions préoccupés, Albertine et moi. Mais il nous parlait sans arrêter parce qu′il n′avait pas de tact. Cependant je voyais se peindre sur son visage, substitué à l′impression habituelle d′amitié et de joie de me faire monter dans son ascenseur, un air d′abattement et d′inquiétude extraordinaires. Comme j′en ignorais la cause, pour tâcher de l′en distraire, et quoique plus préoccupé d′Albertine, je lui dis que la dame qui venait de partir s′appelait la marquise de Cambremer et non de Camembert. A l′étage devant lequel nous posions alors, j′aperçus, portant un traversin, une femme de chambre affreuse qui me salua avec respect, espérant un pourboire au départ. J′aurais voulu savoir si c′était celle que j′avais tant désirée le soir de ma première arrivée à Balbec, mais je ne pus jamais arriver à une certitude. Le lift me jura, avec la sincérité de la plupart des faux témoins, mais sans quitter son air désespéré, que c′était bien sous le nom de Camembert que la marquise lui avait demandé de l′annoncer. Et, à vrai dire, il était bien naturel qu′il eût entendu un nom qu′il connaissait déjà. Puis, ayant sur la noblesse et la nature des noms avec lesquels se font les titres les notions fort vagues qui sont celles de beaucoup de gens qui ne sont pas liftiers, le nom de Camembert lui avait paru d′autant plus vraisemblable que, ce fromage étant universellement connu, il ne fallait point s′étonner qu′on eût tiré un marquisat d′une renommée aussi glorieuse, à moins que ce ne fût celle du marquisat qui eût donné sa célébrité au fromage. Néanmoins, comme il voyait que je ne voulais pas avoir l′air de m′être trompé et qu′il savait que les maîtres aiment à voir obéis leurs caprices les plus futiles et acceptés leurs mensonges les plus évidents, il me promit, en bon domestique, de dire désormais Cambremer. Il est vrai qu′aucun boutiquier de la ville ni aucun paysan des environs, où le nom et la personne des Cambremer étaient parfaitement connus, n′auraient jamais pu commettre l′erreur du lift. Mais le personnel du «grand hôtel de Balbec» n′était nullement du pays. Il venait de droite ligne, avec tout le matériel, de Biarritz, Nice et Monte–Carlo, une partie ayant été dirigée sur Deauville, une autre sur Dinard et la troisième réservée à Balbec.   When I had said good-bye to Rosemonde and Gisèle, they saw with astonishment that Albertine was staying behind instead of accompanying them. “Why, Albertine, what are you doing, don′t you know what time it is?” “Go home,” she replied in a tone of authority. “I want to talk to him,” she added, indicating myself with a submissive air. Rosemonde and Gisèle stared at me, filled with a new and strange respect. I enjoyed the feeling that, for a moment at least, in the eyes even of Rosemonde and Gisèle, I was to Albertine something more important than the time, than her friends, and might indeed share solemn secrets with her into which it was impossible for them to be admitted. “Shan′t we see you again this evening?” “I don′t know, it will depend on this person. Anyhow, to-morrow.” “Let us go up to my room,” I said to her, when her friends had gone. We took the lift; she remained silent in the boy′s presence. The habit of being obliged to resort to personal observation and deduction in order to find out the business of their masters, those strange beings who converse among themselves and do not speak to them, develops in ‘employees′ (as the lift-boy styled servants), a stronger power of divination than the ‘employer′ possesses. Our organs become atrophied or grow stronger or more subtle, accordingly as our need of them increases or diminishes. Since railways came into existence, the necessity of not missing the train has taught us to take account of minutes whereas among the ancient Romans, who not only had a more cursory science of astronomy but led less hurried lives, the notion not of minutes but even of fixed hours barely existed. And so the lift-boy had gathered and meant to inform his comrades that Albertine and I were preoccupied. But he talked to us without ceasing because he had no tact. And yet I could see upon his face, in place of the customary expression of friendliness and joy at taking me up in his lift, an air of extraordinary depression and uneasiness. As I knew nothing of the cause of this, in an attempt to distract his thoughts, and albeit I was more preoccupied than Albertine, I told him that the lady who had just left was called the Marquise de Cambremer and not de Camembert. On the landing at which we were pausing at the moment, I saw, carrying a pair of pails, a hideous chambermaid who greeted me with respect, hoping for a tip when I left. I should have liked to know if she were the one whom I had so ardently desired on the evening of my first arrival at Balbec, but I could never arrive at any certainty. The lift-boy swore to me with the sincerity of most false witnesses, but without shedding his expression of despair, that it was indeed by the name of Camembert that the Marquise had told him to announce her. And as a matter of fact it was quite natural that he should have heard her say a name which he already knew. Besides, having those very vague ideas of nobility, and of the names of which titles are composed, which are shared by many people who are not lift-boys, the name Camembert had seemed to him all the more probable inasmuch as, that cheese being universally known, it was not in the least surprising that people should have acquired a marquisate from so glorious a distinction, unless it were the marquisate that had bestowed its renown upon the cheese. Nevertheless as he saw that I refused to admit that I might be mistaken, and as he knew that masters like to see their most futile whims obeyed and their most obvious lies accepted, he promised me like a good servant that in future he would say Cambremer. It is true that none of the shopkeepers in the town, none of the peasants in the district, where the name and persons of the Cambremers were perfectly familiar, could ever have made the lift-boy′s mistake. But the staff of the ‘Grand Hotel of Balbec′ were none of them natives. They came direct, with the furniture and stock, from Biarritz, Nice and Monte-Carlo, one division having been transferred to Deauville, another to Dinard and the third reserved for Balbec.
Mais la douleur anxieuse du lift ne fit que grandir. Pour qu′il oubliât ainsi de me témoigner son dévouement par ses habituels sourires, il fallait qu′il lui fût arrivé quelque malheur. Peut-être avait-il été «envoyé». Je me promis dans ce cas de tâcher d′obtenir qu′il restât, le directeur m′ayant promis de ratifier tout ce que je déciderais concernant son personnel. «Vous pouvez toujours faire ce que vous voulez, je rectifie d′avance.» Tout à coup, comme je venais de quitter l′ascenseur, je compris la détresse, l′air atterré du lift. A cause de la présence d′Albertine je ne lui avais pas donné les cent sous que j′avais l′habitude de lui remettre en montant. Et cet imbécile, au lieu de comprendre que je ne voulais pas faire devant des tiers étalage de pourboires, avait commencé à trembler, supposant que c′était fini une fois pour toutes, que je ne lui donnerais plus jamais rien. Il s′imaginait que j′étais tombé dans la «dèche» (comme eût dit le duc de Guermantes), et sa supposition ne lui inspirait aucune pitié pour moi, mais une terrible déception égoî²´e. Je me dis que j′étais moins déraisonnable que ne trouvait ma mère quand je n′osais pas ne pas donner un jour la somme exagérée mais fiévreusement attendue que j′avais donnée la veille. Mais aussi la signification donnée jusque-là par moi, et sans aucun doute, à l′air habituel de joie, où je n′hésitais pas à voir un signe d′attachement, me parut d′un sens moins assuré. En voyant le liftier prêt, dans son désespoir, à se jeter des cinq étages, je me demandais si, nos conditions sociales se trouvant respectivement changées, du fait par exemple d′une révolution, au lieu de manoeuvrer gentiment pour moi l′ascenseur, le lift, devenu bourgeois, ne m′en eût pas précipité, et s′il n′y a pas, dans certaines classes du peuple, plus de duplicité que dans le monde où, sans doute, l′on réserve pour notre absence les propos désobligeants, mais où l′attitude à notre égard ne serait pas insultante si nous étions malheureux.   But the lift-boy′s pained anxiety continued to grow. That he should thus forget to shew his devotion to me by the customary smiles, some misfortune must have befallen him. Perhaps he had been ‘‘missed.′ I made up my mind in that case to try to secure his reinstatement, the manager having promised to ratify all my wishes with regard to his staff. “You can always do just what you like, I rectify everything in advance.” Suddenly, as I stepped out of the lift, I guessed the meaning of the boy′s distress, his panic-stricken air. Because Albertine was with me, I had not given him the five francs which I was in the habit of slipping into his hand when I went up. And the idiot, instead of understanding that I did not wish to make a display of generosity in front of a third person, had begun to tremble, supposing that it was all finished, that I would never give him anything again. He imagined that I was ‘on the rocks′ (as the Duc de Guermantes would have said), and the supposition inspired him with no pity for myself but with a terrible selfish disappointment. I told myself that I was less unreasonable than my mother thought when I dared not, one day, refrain from giving the extravagant but feverishly awaited sum that I had given the day before. But at the same time the meaning that I had until then, and without a shadow of doubt, ascribed to his habitual expression of joy, in which I had no hesitation in seeing a sign of devotion, seemed to me to have become less certain. Seeing the lift-boy ready, in his despair, to fling himself down from the fifth floor of the hotel, I asked myself whether, if our respective social stations were to be altered, in consequence let us say of a revolution, instead of politely working his lift for me, the boy, grown independent, would not have flung me down the well, and whether there was not, in certain of the lower orders, more duplicity than in society, where, no doubt, people reserve their offensive remarks until we are out of earshot, but where their attitude towards us would not be insulting if we were reduced to poverty.
On ne peut pourtant pas dire qu′à l′hôtel de Balbec, le lift fût le plus intéressé. A ce point de vue le personnel se divisait en deux catégories: d′une part ceux qui faisaient des différences entre les clients, plus sensibles au pourboire raisonnable d′un vieux noble (d′ailleurs en mesure de leur éviter 28 jours en les recommandant au général de Beautreillis) qu′aux largesses inconsidérées d′un rasta qui décelait par là même un manque d′usage que, seulement devant lui, on appelait de la bonté. D′autre part ceux pour qui noblesse, intelligence, célébrité, situation, manières, étaient inexistantes, recouvertes par un chiffre. Il n′y avait pour ceux-là qu′une hiérarchie, l′argent qu′on a, ou plutôt celui qu′on donne. Peut-être Aimé lui-même, bien que prétendant, à cause du grand nombre d′hôtels où il avait servi, à un grand savoir mondain, appartenait-il à cette catégorie-là. Tout au plus donnait-il un tour social et de connaissance des familles à ce genre d′appréciation, en disant de la princesse de Luxembourg par exemple; «Il y a beaucoup d′argent là dedans?» (le point d′interrogation étant afin de se renseigner, ou de contrôler définitivement les renseignements qu′il avait pris, avant de procurer à un client un «chef» pour Paris, ou de lui assurer une table à gauche, à l′entrée, avec vue sur la mer, à Balbec), Malgré cela, sans être dépourvu d′intérêt, il ne l′eût pas exhibé avec le sot désespoir du lift. Au reste, la naîµ¥té de celui-ci simplifiait peut-être les choses. C′est la commodité d′un grand hôtel, d′une maison comme était autrefois celle de Rachel; c′est que, sans intermédiaires, sur la face jusque-là glacée d′un employé ou d′une femme, la vue d′un billet de cent francs, à plus forte raison de mille, même donné, pour cette fois-là, à un autre, amène un sourire et des offres. Au contraire, dans la politique, dans les relations d′amant à maîtresse, il y a trop de choses placées entre l′argent et la docilité. Tant de choses que ceux-là mêmes chez qui l′argent éveille finalement le sourire sont souvent incapables de suivre le processus interne qui les relie, se croient, sont plus délicats. Et puis cela décante la conversation polie des «Je sais ce qui me reste à faire, demain on me trouvera à la Morgue.» Aussi rencontre-t-on dans la société polie peu de romanciers, de poètes, de tous ces êtres sublimes qui parlent justement de ce qu′il ne faut pas dire.   One cannot however say that, in the Balbec hotel, the lift-boy was the most commercially minded. From this point of view the staff might be divided into two categories; on the one hand, those who drew distinctions between the visitors, and were more grateful for the modest tip of an old nobleman (who, moreover, was in a position to relieve them from 28 days of military service by saying a word for them to General de Beautreillis) than for the thoughtless liberalities of a cad who by his very profusion revealed a want of practice which only to his face did they call generosity. On the other hand, those to whom nobility, intellect, fame, position, manners were nonexistent, concealed under a cash valuation. For these there was but a single standard, the money one has, or rather the money one bestows. Possibly Aimé himself, albeit pretending, in view of the great number of hotels in which he had served, to a great knowledge of the world, belonged to this latter category. At the most he would give a social turn, shewing that he knew who was who, to this sort of appreciation, as when he said of the Princesse de Luxembourg: “There′s a pile of money among that lot?” (the question mark at the end being to ascertain the facts or to check such information as he had already ascertained, before supplying a client with a ‘chef for Paris, or promising him a table on the left, by the door, with a view of the sea, at Balbec). In spite of this, and albeit not free from sordid considerations, he would not have displayed them with the fatuous despair of the lift-boy. And yet, the latter′s artlessness helped perhaps to simplify things. It is the convenience of a big hotel, of a house such as Rachel used at one time to frequent, that, without any intermediary, the face, frozen stiff until that moment, of a servant or a woman, at the sight of a hundred-franc note, still more of one of a thousand, even although it is being given to some one else, will melt in smiles and offers of service. Whereas in the dealings, in the relations between lover and mistress, there are too many things interposed between money and docility. So many things that the very people upon whose faces money finally evokes a smile are often incapable of following the internal process that links them together, believe themselves to be, and indeed are more refined. Besides, it rids polite conversation of such speeches as: “There′s only one thing left for me to do, you will find me to-morrow in the mortuary.” And so one meets in polite society few novelists, or poets, few of all those sublime creatures who speak of the things that are not to be mentioned.
Aussitôt seuls et engagés dans le corridor, Albertine me dit: «Qu′est-ce que vous avez contre moi?» Ma dureté avec elle m′avait-elle été pénible à moi-même? N′était-elle de ma part qu′une ruse inconsciente se proposant d′amener vis-à-vis de moi mon amie à cette attitude de crainte et de prière qui me permettrait de l′interroger, et peut-être d′apprendre laquelle des deux hypothèses que je formais depuis longtemps sur elle était la vraie? Toujours est-il que, quand j′entendis sa question, je me sentis soudain heureux comme quelqu′un qui touche à un but longtemps désiré. Avant de lui répondre je la conduisis jusqu′à ma porte. Celle-ci en s′ouvrant fit refluer la lumière rose qui remplissait la chambre et changeait la mousseline blanche des rideaux tendus sur le soir en lampas aurore. J′allai jusqu′à la fenêtre; les mouettes étaient posées de nouveau sur les flots; mais maintenant elles étaient roses. Je le fis remarquer à Albertine: «Ne détournez pas la conversation, me dit-elle, soyez franc comme moi.» Je mentis. Je lui déclarai qu′il lui fallait écouter un aveu préalable, celui d′une grande passion que j′avais depuis quelque temps pour Andrée, et je le lui fis avec une simplicité et une franchise dignes du théâtre, mais qu′on n′a guère dans la vie que pour les amours qu′on ne ressent pas. Reprenant le mensonge dont j′avais usé avec Gilberte avant mon premier séjour à Balbec, mais le variant, j′allai, pour me faire mieux croire d′elle quand je lui disais maintenant que je ne l′aimais pas, jusqu′à laisser échapper qu′autrefois j′avais été sur le point d′être amoureux d′elle, mais que trop de temps avait passé, qu′elle n′était plus pour moi qu′une bonne camarade et que, l′eussé-je voulu, il ne m′eût plus été possible d′éprouver de nouveau à son égard des sentiments plus ardents. D′ailleurs, en appuyant ainsi devant Albertine sur ces protestations de froideur pour elle, je ne faisais —à cause d′une circonstance et en vue d′un but particuliers — que rendre plus sensible, marquer avec plus de force, ce rythme binaire qu′adopte l′amour chez tous ceux qui doutent trop d′eux-mêmes pour croire qu′une femme puisse jamais les aimer, et aussi qu′eux-mêmes puissent l′aimer véritablement. Ils se connaissent assez pour savoir qu′auprès des plus différentes, ils éprouvaient les mêmes espoirs, les mêmes angoisses, inventaient les mêmes romans, prononçaient les mêmes paroles, pour s′être rendu ainsi compte que leurs sentiments, leurs actions, ne sont pas en rapport étroit et nécessaire avec la femme aimée, mais passent à côté d′elle, l′éclaboussent, la circonviennent comme le flux qui se jette le long des rochers, et le sentiment de leur propre instabilité augmente encore chez eux la défiance que cette femme, dont ils voudraient tant être aimés, ne les aime pas. Pourquoi le hasard aurait-il fait, puisqu′elle n′est qu′un simple accident placé devant le jaillissement de nos désirs, que nous fussions nous-mêmes le but de ceux qu′elle a? Aussi, tout en ayant besoin d′épancher vers elle tous ces sentiments, si différents des sentiments simplement humains que notre prochain nous inspire, ces sentiments si spéciaux que sont les sentiments amoureux, après avoir fait un pas en avant, en avouant à celle que nous aimons notre tendresse pour elle, nos espoirs, aussitôt craignant de lui déplaire, confus aussi de sentir que le langage que nous lui avons tenu n′a pas été formé expressément pour elle, qu′il nous a servi, nous servira pour d′autres, que si elle ne nous aime pas elle ne peut pas nous comprendre, et que nous avons parlé alors avec le manque de goût, l′impudeur du pédant adressant à des ignorants des phrases subtiles qui ne sont pas pour eux, cette crainte, cette honte, amènent le contre-rythme, le reflux, le besoin, fût-ce en reculant d′abord, en retirant vivement la sympathie précédemment confessée, de reprendre l′offensive et de ressaisir l′estime, la domination; le rythme double est perceptible dans les diverses périodes d′un même amour, dans toutes les périodes correspondantes d′amours similaires, chez tous les êtres qui s′analysent mieux qu′ils ne se prisent haut. S′il était pourtant un peu plus vigoureusement accentué qu′il n′est d′habitude, dans ce discours que j′étais en train de faire à Albertine, c′était simplement pour me permettre de passer plus vite et plus énergiquement au rythme opposé que scanderait ma tendresse.   As soon as we were alone and had moved along the corridor, Albertine began: “What is it, you have got against me?” Had my harsh treatment of her been painful to myself? Had it been merely an unconscious ruse on my part, with the object of bringing my mistress to that attitude of fear and supplication which would enable me to interrogate her, and perhaps to find out which of the alternative hypotheses that I had long since formed about her was correct? However that may be, when I heard her question, I suddenly felt the joy of one who attains to a long desired goal. Before answering her, I escorted her to the door of my room. Opening it, I scattered the roseate light that was flooding the room and turning the white muslin of the curtains drawn for the night to golden damask. I went across to the window; the gulls had settled again upon the waves; but this time they were pink. I drew Albertine′s attention to them. “Don′t change the subject,” she said, “be frank with me.” I lied. I declared to her that she must first listen to a confession, that of my passionate admiration, for some time past, of Andrée, and I made her this confession with a simplicity and frankness worthy of the stage, but seldom employed in real life except for a love which people do not feel. Harking back to the fiction I had employed with Gilberte before my first visit to Balbec, but adapting its terms, I went so far (in order to make her more ready to believe me when I told her now that I was not in love with her) as to let fall the admission that at one time I had been on the point of falling in love with her, but that too long an interval had elapsed, that she could be nothing more to me now than a good friend and comrade, and that even if I wished to feel once again a more ardent sentiment for her it would be quite beyond my power. As it happened, in taking my stand thus before Albertine on these protestations of coldness towards her, I was merely — because of a particular circumstance and with a particular object in view — making more perceptible, accentuating more markedly, that dual rhythm which love adopts in all those who have too little confidence in themselves to believe that a woman can ever fall in love with them, and also that they themselves can genuinely fall in love with her. They know themselves well enough to have observed that in the presence of the most divergent types of woman they felt the same hopes, the same agonies, invented the same romances, uttered the same words, to have deduced therefore that their sentiments, their actions bear no close and necessary relation to the woman they love, but pass by her, spatter her, surround her, like the waves that break round upon the rocks, and their sense of their own instability increases still further their misgivings that this woman, by whom they would so fain be loved, is not in love with them. Why should chance have brought it about, when she is simply an accident placed so as to catch the ebullience of our desire, that we should ourselves be the object of the desire that is animating her? And so, while we feel the need to pour out before her all those sentiments, so different from the merely human sentiments that our neighbour inspires in us, those so highly specialised sentiments which are a lover′s, after we have taken a step forward, in avowing to her whom we love our affection for her, our hopes, overcome at once by the fear of offending her, ashamed too that the speech we have addressed to her was not composed expressly for her, that it has served us already, will serve us again for others, that if she does not love us she cannot understand us and we have spoken in that case with the want of taste, of modesty shewn by the pedant who addresses an ignorant audience in subtle phrases which are not for them, this fear, this shame bring into play the counter-rhythm, the reflux, the need, even by first drawing back, hotly denying the affection we have already confessed, to resume the offensive, and to recapture her esteem, to dominate her; the double rhythm is perceptible in the various periods of a single love affair, in all the corresponding periods of similar love affairs, in all those people whose self-analysis outweighs their self-esteem. If it was however somewhat more vigorously accentuated than usual in this speech which I was now preparing to make to Albertine, that was simply to allow me to pass more speedily and more emphatically to the alternate rhythm which should sound my affection.
Comme si Albertine avait dû avoir de la peine à croire ce que je lui disais de mon impossibilité de l′aimer de nouveau, à cause du trop long intervalle, j′étayais ce que j′appelais une bizarrerie de mon caractère d′exemples tirés de personnes avec qui j′avais, par leur faute ou la mienne, laissé passer l′heure de les aimer, sans pouvoir, quelque désir que j′en eusse, la retrouver après. J′avais ainsi l′air à la fois de m′excuser auprès d′elle, comme d′une impolitesse, de cette incapacité de recommencer à l′aimer, et de chercher à lui en faire comprendre les raisons psychologiques comme si elles m′eussent été particulières. Mais en m′expliquant de la sorte, en m′étendant sur le cas de Gilberte, vis-à-vis de laquelle en effet avait été rigoureusement vrai ce qui le devenait si peu, appliqué à Albertine, je ne faisais que rendre mes assertions aussi plausibles que je feignais de croire qu′elles le fussent peu. Sentant qu′Albertine appréciait ce qu′elle croyait mon «franc parler» et reconnaissait dans mes déductions la clarté de l′évidence, je m′excusai du premier, lui disant que je savais bien qu′on déplaisait toujours en disant la vérité et que celle-ci d′ailleurs devait lui paraître incompréhensible. Elle me remercia, au contraire, de ma sincérité et ajouta qu′au surplus elle comprenait à merveille un état d′esprit si fréquent et si naturel.   As though it must be painful to Albertine to believe what I was saying to her as to the impossibility of my loving her again, after so long an interval, I justified what I called an eccentricity of my nature by examples taken from people with whom I had, by their fault or my own, allowed the time for loving them to pass, and been unable, however keenly I might have desired it, to recapture it. I thus appeared at one and the same time to be apologising to her, as for a want of courtesy, for this inability to begin loving her again, and to be seeking to make her understand the psychological reasons for that incapacity as though they had been peculiar to myself. But by explaining myself in this fashion, by dwelling upon the case of Gilberte, in regard to whom the argument had indeed been strictly true which was becoming so far from true when applied to Albertine, all that I did was to render my assertions as plausible as I pretended to believe that they were not. Feeling that Albertine appreciated what she called my ‘frank speech′ and recognising in my deductions the clarity of the evidence, I apologised for the former by telling her that I knew that the truth was always unpleasant and in this instance must seem to her incomprehensible. She, on the contrary, thanked me for my sincerity and added that so far from being puzzled she understood perfectly a state of mind so frequent and so natural.
Cet aveu fait à Albertine d′un sentiment imaginaire pour Andrée, et pour elle-même d′une indifférence que, pour paraître tout à fait sincère et sans exagération, je lui assurai incidemment, comme par un scrupule de politesse, ne pas devoir être prise trop à la lettre, je pus enfin, sans crainte, qu′Albertine y soupçonnât de l′amour, lui parler avec une douceur que je me refusais depuis si longtemps et qui me parut délicieuse. Je caressais presque ma confidente; en lui parlant de son amie que j′aimais, les larmes me venaient aux yeux. Mais, venant au fait, je lui dis enfin qu′elle savait ce qu′était l′amour, ses susceptibilités, ses souffrances, et que peut-être, en amie déjà ancienne pour moi, elle aurait à coeur de faire cesser les grands chagrins qu′elle me causait, non directement puisque ce n′était pas elle que j′aimais, si j′osais le redire sans la froisser, mais indirectement en m′atteignant dans mon amour pour Andrée. Je m′interrompis pour regarder et montrer à Albertine un grand oiseau solitaire et hâtif qui, loin devant nous, fouettant l′air du battement régulier de ses ailes, passait à toute vitesse au-dessus de la plage tachée ça et là de reflets pareils à des petits morceaux de papier rouge déchirés et la traversait dans toute sa longueur, sans ralentir son allure, sans détourner son attention, sans dévier de son chemin, comme un émissaire qui va porter bien loin un message urgent et capital. «Lui, du moins, va droit au but! me dit Albertine d′un air de reproche. — Vous me dites cela parce que vous ne savez pas ce que j′aurais voulu vous dire. Mais c′est tellement difficile que j′aime mieux y renoncer; je suis certain que je vous fâcherais; alors cela n′aboutira qu′à ceci: je ne serai en rien plus heureux avec celle que j′aime d′amour et j′aurai perdu une bonne camarade. — Mais puisque je vous jure que je ne me fâcherai pas.» Elle avait l′air si doux, si tristement docile et d′attendre de moi son bonheur, que j′avais peine à me contenir et à ne pas embrasser, presque avec le même genre de plaisir que j′aurais eu à embrasser ma mère, ce visage nouveau qui n′offrait plus la mine éveillée et rougissante d′une chatte mutine et perverse au petit nez rose et levé, mais semblait dans la plénitude de sa tristesse accablée, fondu, à larges coulées aplaties et retombantes, dans de la bonté. Faisant abstraction de mon amour comme d′une folie chronique sans rapport avec elle, me mettant à sa place, je m′attendrissais devant cette brave fille habituée à ce qu′on eût pour elle des procédés aimables et loyaux, et que le bon camarade qu′elle avait pu croire que j′étais pour elle poursuivait, depuis des semaines, de persécutions qui étaient enfin arrivées à leur point culminant. C′est parce que je me plaçais à un point de vue purement humain, extérieur à nous deux et d′où mon amour jaloux s′évanouissait, que j′éprouvais pour Albertine cette pitié profonde, qui l′eût moins été si je ne l′avais pas aimée. Du reste, dans cette oscillation rythmée qui va de la déclaration à la brouille (le plus sûr moyen, le plus efficacement dangereux pour former, par mouvements opposés et successifs, un noeud qui ne se défasse pas et nous attache solidement à une personne), au sein du mouvement de retrait qui constitue l′un des deux éléments du rythme, à quoi bon distinguer encore les reflux de la pitié humaine, qui, opposés à l′amour, quoique ayant peut-être inconsciemment la même cause, produisent en tout cas les mêmes effets? En se rappelant plus tard le total de tout ce qu′on a fait pour une femme, on se rend compte souvent que les actes inspirés par le désir de montrer qu′on aime, de se faire aimer, de gagner des faveurs, ne tiennent guère plus de place que ceux dus au besoin humain de réparer les torts envers l′être qu′on aime, par simple devoir moral, comme si on ne l′aimait pas. «Mais enfin qu′est-ce que j′ai pu faire?» me demanda Albertine. On frappa; c′était le lift; la tante d′Albertine, qui passait devant l′hôtel en voiture, s′était arrêtée à tout hasard pour voir si elle n′y était pas et la ramener. Albertine fit répondre qu′elle ne pouvait pas descendre, qu′on dînât sans l′attendre, qu′elle ne savait pas à quelle heure elle rentrerait. «Mais votre tante sera fâchée? — Pensez-vous! Elle comprendra très bien.» Ainsi donc, en ce moment, du moins, tel qu′il n′en reviendrait peut-être pas, un entretien avec moi se trouvait, par suite des circonstances, être aux yeux d′Albertine une chose d′une importance si évidente qu′on dût le faire passer avant tout, et à laquelle, se reportant sans doute instinctivement à une jurisprudence familiale, énumérant telles conjonctures où, quand la carrière de M. Bontemps était en jeu, on n′avait pas regardé à un voyage, mon amie ne doutait pas que sa tante trouvât tout naturel de voir sacrifier l′heure du dîner. Cette heure lointaine qu′elle passait sans moi, chez les siens, Albertine l′ayant fait glisser jusqu′à moi me la donnait; j′en pouvais user à ma guise. Je finis par oser lui dire ce qu′on m′avait raconté de son genre de vie, et que, malgré le profond dégoût que m′inspiraient les femmes atteintes du même vice, je ne m′en étais pas soucié jusqu′à ce qu′on m′eût nommé sa complice, et qu′elle pouvait comprendre facilement, au point où j′aimais Andrée, quelle douleur j′en avais ressentie. Il eût peut-être été plus habile de dire qu′on m′avait cité aussi d′autres femmes, mais qui m′étaient indifférentes. Mais la brusque et terrible révélation que m′avait faite Cottard était entrée en moi me déchirer, telle quelle, tout entière, mais sans plus. Et de même qu′auparavant je n′aurais jamais eu de moi-même l′idée qu′Albertine aimait Andrée, ou du moins pût avoir des jeux caressants avec elle, si Cottard ne m′avait pas fait remarquer leur pose en valsant, de même je n′avais pas su passer de cette idée à celle, pour moi tellement différente, qu′Albertine pût avoir avec d′autres femmes qu′Andrée des relations dont l′affection n′eût même pas été l′excuse. Albertine, avant même de me jurer que ce n′était pas vrai, manifesta, comme toute personne à qui on vient d′apprendre qu′on a ainsi parlé d′elle, de la colère, du chagrin et, à l′endroit du calomniateur inconnu, la curiosité rageuse de savoir qui il était et le désir d′être confrontée avec lui pour pouvoir le confondre. Mais elle m′assura qu′à moi du moins, elle n′en voulait pas.   This avowal to Albertine of an imaginary sentiment for Andrée, and, towards herself, an indifference which, that it might appear altogether sincere and without exaggeration, I assured her incidentally, as though by a scruple of politeness, must not be taken too literally, enabled me at length, without any fear of Albertine′s suspecting me of loving her, to speak to her with a tenderness which I had so long denied myself and which seemed to me exquisite. I almost caressed my confidant; as I spoke to her of her friend whom I loved, tears came to my eyes. But, coming at last to the point, I said to her that she knew what love meant, its susceptibilities, its sufferings, and that perhaps, as the old friend that she now was, she might feel it in her heart to put a stop to the bitter grief that she was causing me, not directly, since it was not herself that I loved, if I might venture to repeat that without offending her, but indirectly by wounding me in my love for Andrée. I broke off to admire and point out to Albertine a great bird, solitary and hastening, which far out in front of us, lashing the air with the regular beat of its wings, was passing at full speed over the beach stained here and there with reflexions like little torn scraps of red paper, and crossing it from end to end without slackening its pace, without diverting its attention, without deviating from its path, like an envoy carrying far afield an urgent and vital message. “He at least goes straight to the point!” said Albertine in a tone of reproach. “You say that because you don′t know what it is I was going to tell you. But it is so difficult that I prefer to give it up; I am certain that I should make you angry; and then all that will have happened will be this: I shall be in no way better off with the girl I really love and I shall have lost a good friend.” “But when I swear to you that I will not be angry.” She had so sweet, so wistfully docile an air, as though her whole happiness depended on me, that I could barely restrain myself from kissing — with almost the same kind of pleasure that I should have taken in kissing my mother — this novel face which no longer presented the startled, blushing expression of a rebellious and perverse kitten with its little pink, tip-tilted nose, but seemed, in the fulness of its crushing sorrow, moulded in broad, flattened, drooping slabs of pure goodness. Making an abstraction of my love as of a chronic mania that had no connexion with her, putting myself in her place, I let my heart be melted before this honest girl, accustomed to being treated in a friendly and loyal fashion, whom the good comrade that she might have supposed me had been pursuing for weeks past with persecutions which had at last arrived at their culminating point. It was because I placed myself at a standpoint that was purely human, external to both of us, at which my jealous love dissolved, that I felt for Albertine that profound pity, which would have been less profound if I had not loved her. However, in that rhythmical oscillation which leads from a declaration to a quarrel (the surest, the most certainly perilous way of forming by opposite and successive movements a knot which will not be loosed and attaches us firmly to a person by the strain of the movement of withdrawal which constitutes one of the two elements of the rhythm), of what use is it to analyse farther the refluences of human pity, which, the opposite of love, though springing perhaps unconsciously from the same cause, produces in every case the same effects? When we count up afterwards the total amount of all that we have done for a woman, we often discover that the actions prompted by the desire to shew that we love her, to make her love us, to win her favours, bulk little if any greater than those due to the human need to repair the wrongs that we have done to the creature whom we love, from a mere sense of moral duty, as though we were not in love with her. “But tell me, what on earth have I done?” Albertine asked me. There was a knock at the door; it was the lift-boy; Albertine′s aunt, who was passing the hotel in a carriage, had stopped on the chance of finding her there, to take her home. Albertine sent word that she could not come, that they were to begin dinner without her, that she could not say at what time she would return. “But won′t your aunt be angry?” “What do you suppose? She will understand all right.” And so, at this moment at least, a moment such as might never occur again — a conversation with myself was proved by this incident to be in Albertine′s eyes a thing of such self-evident importance that it must be given precedence over everything, a thing to which, referring no doubt instinctively to a family code, enumerating certain crises in which, when the career of M. Bontemps was at stake, a journey had been made without a thought, my friend never doubted that her aunt would think it quite natural to see her sacrifice the dinner-hour. That remote hour which she passed without my company, among her own people, Albertine, having brought it to me, bestowed it on me; I might make what use of it I chose. I ended by making bold to tell her what had been reported to me about her way of living, and that notwithstanding the profound disgust that I felt for women tainted with that vice, I had not given it a thought until I had been told the name of her accomplice, and that she could readily understand, loving Andrée as I did, the grief that, the news had caused me. It would have been more tactful perhaps to say that I had been given the names of other women as well, in whom I was not interested. But the sudden and terrible revelation that Cottard had made to me had entered my heart to lacerate it, complete in itself but without accretions. And just as, before that moment, it would never have occurred to me that Albertine was in love with Andrée, or at any rate could find pleasure in caressing her, if Cottard had not drawn my attention to their attitude as they waltzed together, so I had been incapable of passing from that idea to the idea, so different for me, that Albertine might have, with other women than Andrée, relations for which affection could not be pleaded in excuse. Albertine, before even swearing to me that it was not true, shewed, like everyone upon learning that such things are being said about him, anger, concern, and, with regard to the unknown slanderer, a fierce curiosity to know who he was and a desire to be confronted with him so as to be able to confound him. But she assured me that she bore me, at least, no resentment.
«Si cela avait été vrai, je vous l′aurais avoué. Mais Andrée et moi nous avons aussi horreur l′une que l′autre de ces choses-là. Nous ne sommes pas arrivées à notre âge sans voir des femmes aux cheveux courts, qui ont des manières d′hommes et le genre que vous dites, et rien ne nous révolte autant.» Albertine ne me donnait que sa parole, une parole péremptoire et non appuyée de preuves. Mais c′est justement ce qui pouvait le mieux me calmer, la jalousie appartenant à cette famille de doutes maladifs que lève bien plus l′énergie d′une affirmation que sa vraisemblance. C′est d′ailleurs le propre de l′amour de nous rendre à la fois plus défiants et plus crédules, de nous faire soupçonner, plus vite que nous n′aurions fait une autre, celle que nous aimons, et d′ajouter foi plus aisément à ses dénégations. Il faut aimer pour prendre souci qu′il n′y ait pas que des honnêtes femmes, autant dire pour s′en aviser, et il faut aimer aussi pour souhaiter, c′est-à-dire pour s′assurer qu′il y en a. Il est humain de chercher la douleur et aussitôt à s′en délivrer. Les propositions qui sont capables d′y réussir nous semblent facilement vraies, on ne chicane pas beaucoup sur un calmant qui agit. Et puis, si multiple que soit l′être que nous aimons, il peut en tout cas nous présenter deux personnalités essentielles, selon qu′il nous apparaît comme nôtre ou comme tournant ses désirs ailleurs que vers nous. La première de ces personnalités possède la puissance particulière qui nous empêche de croire à la réalité de la seconde, le secret spécifique pour apaiser les souffrances que cette dernière a causées. L′être aimé est successivement le mal et le remède qui suspend et aggrave le mal. Sans doute j′avais été depuis longtemps, par la puissance qu′exerçait sur mon imagination et ma faculté d′être ému l′exemple de Swann, préparé à croire vrai ce que je craignais au lieu de ce que j′aurais souhaité. Aussi la douceur apportée par les affirmations d′Albertine faillit-elle en être compromise un moment parce que je me rappelai l′histoire d′Odette. Mais je me dis que, s′il était juste de faire sa part au pire, non seulement quand, pour comprendre les souffrances de Swann, j′avais essayé de me mettre à la place de celui-ci, mais maintenant qu′il s′agissait de moi-même, en cherchant la vérité comme s′il se fût agi d′un autre, il ne fallait cependant pas que, par cruauté pour moi-même, soldat qui choisit le poste non pas où il peut être le plus utile mais où il est le plus exposé, j′aboutisse à l′erreur de tenir une supposition pour plus vraie que les autres, à cause de cela seul qu′elle était la plus douloureuse. N′y avait-il pas un abîme entre Albertine, jeune fille d′assez bonne famille bourgeoise, et Odette, cocotte vendue par sa mère dès son enfance? La parole de l′une ne pouvait être mise en comparaison avec celle de l′autre. D′ailleurs Albertine n′avait en rien à me mentir le même intérêt qu′Odette à Swann. Et encore à celui-ci Odette avait avoué ce qu′Albertine venait de nier. J′aurais donc commis une faute de raisonnement aussi grave — quoique inverse — que celle qui m′eût incliné vers une hypothèse parce que celle-ci m′eût fait moins souffrir que les autres, en ne tenant pas compte de ces différences de fait dans les situations, et en reconstituant la vie réelle de mon amie uniquement d′après ce que j′avais appris de celle d′Odette. J′avais devant moi une nouvelle Albertine, déjà entrevue plusieurs fois, il est vrai, vers la fin de mon premier séjour à Balbec, franche, bonne, une Albertine qui venait, par affection pour moi, de me pardonner mes soupçons et de tâcher à les dissiper. Elle me fit asseoir à côté d′elle sur mon lit. Je la remerciai de ce qu′elle m′avait dit, je l′assurai que notre réconciliation était faite et que je ne serais plus jamais dur avec elle. Je dis à Albertine qu′elle devrait tout de même rentrer dîner. Elle me demanda si je n′étais pas bien comme cela. Et attirant ma tête pour une caresse qu′elle ne m′avait encore jamais faite et que je devais peut-être à notre brouille finie, elle passa légèrement sa langue sur mes lèvres, qu′elle essayait d′entr′ouvrir. Pour commencer je ne les desserrai pas. «Quel grand méchant vous faites!» me dit-elle. “If it had been true, I should have told you. But Andrée and I both loathe that sort of thing. We have not lived all these years without seeing women with cropped hair who behave like men and do the things you mean, and nothing revolts us more.” Albertine gave me merely her word, a peremptory word unsupported by proof. But this was just what was best calculated to calm me, jealousy belonging to that family of sickly doubts which are better purged by the energy than by the probability of an affirmation. It is moreover the property of love to make us at once more distrustful and more credulous, to make us suspect, more readily than we should suspect anyone else, her whom we love, and be convinced more easily by her denials. We must be in love before we can care that all women are not virtuous, which is to say before we can be aware of the fact, and we must be in love too before we can hope, that is to say assure ourselves that some are. It is human to seek out what hurts us and then at once to seek to get rid of it. The statements that are capable of so relieving us seem quite naturally true, we are not inclined to cavil at a sedative that acts. Besides, however multiform may be the person with whom we are in love, she can in any case offer us two essential personalities accordingly as she appears to us as ours, or as turning her desires in another direction. The former of these personalities possesses the peculiar power which prevents us from believing in the reality of the other, the secret remedy to heal the sufferings that this latter has caused us. The beloved object is successively the malady and the remedy that suspends and aggravates it. No doubt, I had long since been prepared, by the strong impression made on my imagination and my faculty for emotion by the example of Swann, to believe in the truth of what I feared rather than of what I should have wished. And so the comfort brought me by Albertine′s affirmations came near to being jeopardised for a moment, because I was reminded of the story of Odette. But I told myself that, if it was only right to allow for the worst, not only when, in order to understand Swann′s sufferings, I had tried to put myself in his place, but now, when I myself was concerned, in seeking the truth as though it referred to some one else, still I must not, out of cruelty to myself, a soldier who chooses the post not where he can be of most use but where he is most exposed, end in the mistake of regarding one supposition as more true than the rest, simply because it was more painful. Was there not a vast gulf between Albertine, a girl of good, middle-class parentage, and Odette, a courtesan bartered by her mother in her childhood? There could be no comparison of their respective credibility. Besides, Albertine had in no respect the same interest in lying to me that Odette had had in lying to Swann. Moreover to him Odette had admitted what Albertine had just denied. I should therefore be guilty of an error in reasoning as serious — though in the opposite direction — as that which had inclined me towards a certain hypothesis because it had caused me less pain than the rest, were I not to take into account these material differences in their positions, but to reconstruct the real life of my mistress solely from what I had been told about the life of Odette. I had before me a new Albertine, of whom I had already, it was true, caught more than one glimpse towards the end of my previous visit to Balbec, frank and honest, an Albertine who had, out of affection for myself, forgiven me my suspicions and tried to dispel them. She made me sit down by her side upon my bed. I thanked her for what she had said to me, assured her that our reconciliation was complete, and that I would never be horrid to her again. I suggested to her that she ought, at the same time, to go home to dinner. She asked me whether I was not glad to have her with me. Drawing my head towards her for a caress which she had never before given me and which I owed perhaps to the healing of our rupture, she passed her tongue lightly over my lips which she attempted to force apart. At first I kept them tight shut. “You are a great bear!” she informed me.
J′aurais dû partir ce soir-là sans jamais la revoir. Je pressentais dès lors que, dans l′amour non partagé— autant dire dans l′amour, car il est des êtres pour qui il n′est pas d′amour partagé— on peut goûter du bonheur seulement ce simulacre qui m′en était donné à un de ces moments uniques dans lesquels la bonté d′une femme, ou son caprice, ou le hasard, appliquent sur nos désirs, en une coî­£idence parfaite, les mêmes paroles, les mêmes actions, que si nous étions vraiment aimés. La sagesse eût été de considérer avec curiosité, de posséder avec délices cette petite parcelle de bonheur, à défaut de laquelle je serais mort sans avoir soupçonné ce qu′il peut être pour des coeurs moins difficiles ou plus favorisés; de supposer qu′elle faisait partie d′un bonheur vaste et durable qui m′apparaissait en ce point seulement; et, pour que le lendemain n′inflige pas un démenti à cette feinte, de ne pas chercher à demander une faveur de plus après celle qui n′avait été due qu′à l′artifice d′une minute d′exception. J′aurais dû quitter Balbec, m′enfermer dans la solitude, y rester en harmonie avec les dernières vibrations de la voix que j′avais su rendre un instant amoureuse, et de qui je n′aurais plus rien exigé que de ne pas s′adresser davantage à moi; de peur que, par une parole nouvelle qui n′eût pu désormais être que différente, elle vînt blesser d′une dissonance le silence sensitif où, comme grâce à quelque pédale, aurait pu survivre longtemps en moi la tonalité du bonheur.   I ought to have left the place that evening and never set eyes on her again. I felt even then that in a love which is not reciprocated — I might as well say, in love, for there are people for whom there is no such thing as reciprocated love — we can enjoy only that simulacrum of happiness which had been given me at one of those unique moments in which a woman′s good nature, or her caprice, or mere chance, bring to our desires, in perfect coincidence, the same words, the same actions as if we were really loved. The wiser course would have been to consider with curiosity, to possess with delight that little parcel of happiness failing which I should have died without ever suspecting what it could mean to hearts less difficult to please or more highly favoured; to suppose that it formed part of a vast and enduring happiness of which this fragment only was visible to me, and — lest the next day should expose this fiction — not to attempt to ask for any fresh favour after this, which had been due only to the artifice of an exceptional moment. I ought to have left Balbec, to have shut myself up in solitude, to have remained so in harmony with the last vibrations of the voice which I had contrived to render amorous for an instant, and of which I should have asked nothing more than that it might never address another word to me; for fear lest, by an additional word which now could only be different, it might shatter with a discord the sensitive silence in which, as though by the pressure of a pedal, there might long have survived in me the throbbing chord of happiness.
Tranquillisé par mon explication avec Albertine, je recommençai à vivre davantage auprès de ma mère. Elle aimait à me parler doucement du temps où ma grand′mère était plus jeune. Craignant que je ne me fisse des reproches sur les tristesses dont j′avais pu assombrir la fin de cette vie, elle revenait volontiers aux années où mes premières études avaient causé à ma grand′mère des satisfactions que jusqu′ici on m′avait toujours cachées. Nous reparlions de Combray. Ma mère me dit que là-bas du moins je lisais, et qu′à Balbec je devrais bien faire de même, si je ne travaillais pas. Je répondis que, pour m′entourer justement des souvenirs de Combray et des jolies assiettes peintes, j′aimerais relire les Mille et une Nuits. Comme jadis à Combray, quand elle me donnait des livres pour ma fête, c′est en cachette, pour me faire une surprise, que ma mère me fit venir à la fois les Mille et une Nuits de Galland et les Mille et une Nuits de Mardrus. Mais, après avoir jeté un coup d′oeil sur les deux traductions, ma mère aurait bien voulu que je m′en tinsse à celle de Galland, tout en craignant de m′influencer, à cause du respect qu′elle avait de la liberté intellectuelle, de la peur d′intervenir maladroitement dans la vie de ma pensée, et du sentiment qu′étant une femme, d′une part elle manquait, croyait-elle, de la compétence littéraire qu′il fallait, d′autre part qu′elle ne devait pas juger d′après ce qui la choquait les lectures d′un jeune homme. En tombant sur certains contes, elle avait été révoltée par l′immoralité du sujet et la crudité de l′expression. Mais surtout, conservant précieusement comme des reliques, non pas seulement la broche, l′en-tout-cas, le manteau, le volume de Mme de Sévigné, mais aussi les habitudes de pensée et de langage de sa mère, cherchant en toute occasion quelle opinion celle-ci eût émise, ma mère ne pouvait douter de la condamnation que ma grand′mère eût prononcée contre le livre de Mardrus. Elle se rappelait qu′à Combray, tandis qu′avant de partir marcher du côté de Méséglise je lisais Augustin Thierry, ma grand′mère, contente de mes lectures, de mes promenades, s′indignait pourtant de voir celui dont le nom restait attaché à cet hémistiche: «Puis règne Mérovée» appelé Merowig, refusait de dire Carolingiens pour les Carlovingiens, auxquels elle restait fidèle. Enfin je lui avais raconté ce que ma grand′mère avait pensé des noms grecs que Bloch, d′après Leconte de Lisle, donnait aux dieux d′Homère, allant même, pour les choses les plus simples, à se faire un devoir religieux, en lequel il croyait que consistait le talent littéraire, d′adopter une orthographe grecque. Ayant, par exemple, à dire dans une lettre que le vin qu′on buvait chez lui était un vrai nectar, il écrivait un vrai nektar, avec un k, ce qui lui permettait de ricaner au nom de Lamartine. Or si une Odyssée d′où étaient absents les noms d′Ulysse et de Minerve n′était plus pour elle l′Odyssée, qu′aurait-elle dit en voyant déjà déformé sur la couverture le titre de ses Mille et Une Nuits, en ne retrouvant plus, exactement transcrits comme elle avait été de tout temps habituée à les dire, les noms immortellement familiers de Sheherazade, de Dinarzade, où, débaptisés eux-mêmes, si l′on ose employer le mot pour des contes musulmans, le charmant Calife et les puissants Génies se reconnaissaient à peine, étant appelés l′un le «Khalifat», les autres les «Gennis»? Pourtant ma mère me remit les deux ouvrages, et je lui dis que je les lirais les jours où je serais trop fatigué pour me promener.   Soothed by my explanation with Albertine, I began once again to live in closer intimacy with my mother. She loved to talk to me gently about the days in which my grandmother had been younger. Fearing that I might reproach myself with the sorrows with which I had perhaps darkened the close of my grandmother′s life, she preferred to turn back to the years when the first signs of my dawning intelligence had given my grandmother a satisfaction which until now had always been kept from me. We talked of the old days at Combray. My mother reminded me that there at least I used to read, and that at Balbec I might well do the same, if I was not going to work. I replied that, to surround myself with memories of Combray and of the charming coloured plates, I should like to read again the Thousand and One Nights. As, long ago at Combray, when she gave me books for my birthday, so it was in secret, as a surprise for me, that my mother now sent for both the Thousand and One Nights of Galland and the Thousand Nights and a Night of Mardrus. But, after casting her eye over the two translations, my mother would have preferred that I should stick to Galland′s, albeit hesitating to influence me because of the respect that she felt for intellectual liberty, her dread of interfering with my intellectual life and the feeling that, being a woman, on the one hand she lacked, or so she thought, the necessary literary equipment, and on the other hand ought not to condemn because she herself was shocked by it the reading of a young man. Happening upon certain of the tales, she had been revolted by the immorality of the subject and the crudity of the expression. But above all, preserving, like precious relics, not only the brooch, the sunshade, the cloak, the volume of Madame de Sévigné, but also the habits of thought and speech of her mother, seeking on every occasion the opinion that she would have expressed, my mother could have no doubt of the horror with which my grandmother would have condemned Mardrus′s book. She remembered that at Combray while before setting out for a walk, Méséglise way, I was reading Augustin Thierry, my grandmother, glad that I should be reading, and taking walks, was indignant nevertheless at seeing him whose name remained enshrined in the hemistich: ‘Then reignèd Mérovée′ called Merowig, refused to say ‘Carolingians′ for the ‘Carlovingians′ to which she remained loyal. And then I told her what my grandmother had thought of the Greek names which Bloch, following Leconte de Lisle, gave to the gods of Homer, going so far, in the simplest matters, as to make it a religious duty, in which he supposed literary talent to consist, to adopt a Greek system of spelling. Having occasion, for instance, to mention in a letter that the wine which they drank at his home was real nectar, he would write ‘real nektar,′ with a k, which enabled him to titter at the mention of Lamartine. And if an Odyssey from which the names of Ulysses and Minerva were missing was no longer the Odyssey to her, what would she have said upon seeing corrupted even upon the cover the title of her Thousand and One Nights, upon no longer finding, exactly transcribed as she had all her life been in the habit of pronouncing them, the immortally familiar names of Scheherazade, of Dinarzade, in which, debaptised themselves (if one may use the expression of Musulman tales), the charming Caliph and the powerful Genies were barely recognisable, being renamed, he the ‘Khalifat′ and they the ‘Gennis.′ Still, my mother handed over both books to me, and I told her that I would read them on the days when I felt too tired to go out.
Ces jours-là n′étaient pas très fréquents d′ailleurs. Nous allions goûter comme autrefois «en bande», Albertine, ses amies et moi, sur la falaise ou à la ferme Marie–Antoinette. Mais il y avait des fois où Albertine me donnait ce grand plaisir. Elle me disait: «Aujourd′hui je veux être un peu seule avec vous, ce sera plus gentil de se voir tous les deux.» Alors elle disait qu′elle avait à faire, que d′ailleurs elle n′avait pas de comptes à rendre, et pour que les autres, si elles allaient tout de même sans nous se promener et goûter, ne pussent pas nous retrouver, nous allions, comme deux amants, tout seuls à Bagatelle ou à la Croix d′Heulan, pendant que la bande, qui n′aurait jamais eu l′idée de nous chercher là et n′y allait jamais, restait indéfiniment, dans l′espoir de nous voir arriver, à Marie–Antoinette. Je me rappelle les temps chauds qu′il faisait alors, où du front des garçons de ferme travaillant au soleil une goutte de sueur tombait verticale, régulière, intermittente, comme la goutte d′eau d′un réservoir, et alternait avec la chute du fruit mûr qui se détachait de l′arbre dans les «clos» voisins; ils sont restés, aujourd′hui encore, avec ce mystère d′une femme cachée, la part la plus consistante de tout amour qui se présente pour moi. Une femme dont on me parle et à laquelle je ne songerais pas un instant, je dérange tous les rendez-vous de ma semaine pour la connaître, si c′est une semaine où il fait un de ces temps-là, et si je dois la voir dans quelque ferme isolée. J′ai beau savoir que ce genre de temps et de rendez-vous n′est pas d′elle, c′est l′appât, pourtant bien connu de moi, auquel je me laisse prendre et qui suffit pour m′accrocher. Je sais que cette femme, par un temps froid, dans une ville, j′aurais pu la désirer, mais sans accompagnement de sentiment romanesque, sans devenir amoureux; l′amour n′en est pas moins fort une fois que, grâce à des circonstances, il m′a enchaîné— il est seulement plus mélancolique, comme le deviennent dans la vie nos sentiments pour des personnes, au fur et à mesure que nous nous apercevons davantage de la part de plus en plus petite qu′elles y tiennent et que l′amour nouveau que nous souhaiterions si durable, abrégé en même temps que notre vie même, sera le dernier.   These days were not very frequent, however. We used to go out picnicking as before in a band, Albertine, her friends and myself, on the cliff or to the farm called Marie-Antoinette. But there were times when Albertine bestowed on me this great pleasure. She would say to me: “To-day I want to be alone with you for a little, it will be nicer if we are just by ourselves.” Then she would give out that she was busy, not that she need furnish any explanation, and so that the others, if they went all the same, without us, for an excursion and picnic, might not be able to find us, we would steal away like a pair of lovers, all by ourselves to Bagatelle or the Cross of Heulan, while the band, who would never think of looking for us there and never went there, waited indefinitely, in the hope of seeing us appear, at Marie-Antoinette. I recall the hot weather that we had then, when from the brow of each of the farm-labourers toiling in the sun a drop of sweat would fall, vertical, regular, intermittent, like the drop of water from a cistern, and alternate with the fall of the ripe fruit dropping from the tree in the adjoining ‘closes′; they have remained, to this day, with that mystery of a woman′s secret, the most substantial part of every love that offers itself to me. A woman who has been mentioned to me and to whom I would not give a moment′s thought — I upset all my week′s engagements to make her acquaintance, if it is a week of similar weather, and I am to meet her in some isolated farmhouse. It is no good my knowing that this kind of weather, this kind of assignation are not part of her, they are still the bait, which I know all too well, by which I allow myself to be tempted and which is sufficient to hook me. I know that this woman, in cold weather, in a town, I might perhaps have desired, but without the accompaniment of a romantic sentiment, without becoming amorous; my love for her is none the less keen as soon as, by force of circumstances, it has enthralled me — it is only the more melancholy, as in the course of life our sentiments for other people become, in proportion as we become more clearly aware of the ever smaller part that they play in our life and that the new love which we would like to be so permanent, cut short in the same moment as life itself, will be the last.
Il y avait encore peu de monde à Balbec, peu de jeunes filles. Quelquefois j′en voyais telle ou telle arrêtée sur la plage, sans agrément, et que pourtant bien des coî­£idences semblaient certifier être la même que j′avais été désespéré de ne pouvoir approcher au moment où elle sortait avec ses amies du manège ou de l′école de gymnastique. Si c′était la même (et je me gardais d′en parler à Albertine), la jeune fille que j′avais crue enivrante n′existait pas. Mais je ne pouvais arriver à une certitude, car le visage de ces jeunes filles n′occupait pas sur la plage une grandeur, n′offrait pas une forme permanente, contracté, dilaté, transformé qu′il était par ma propre attente, l′inquiétude de mon désir ou un bien-être qui se suffit à lui-même, les toilettes différentes qu′elles portaient, la rapidité de leur marche ou leur immobilité. De tout près pourtant, deux ou trois me semblaient adorables. Chaque fois que je voyais une de celles-là, j′avais envie de l′emmener dans l′avenue des Tamaris, ou dans les dunes, mieux encore sur la falaise. Mais bien que dans le désir, par comparaison avec l′indifférence, il entre déjà cette audace qu′est un commencement, même unilatéral, de réalisation, tout de même, entre mon désir et l′action que serait ma demande de l′embrasser, il y avait tout le «blanc» indéfini de l′hésitation, de la timidité. Alors j′entrais chez le pâtissier-limonadier, je buvais l′un après l′autre sept à huit verres de porto. Aussitôt, au lieu de l′intervalle impossible à combler entre mon désir et l′action, l′effet de l′alcool traçait une ligne qui les conjoignait tous deux. Plus de place pour l′hésitation ou la crainte. Il me semblait que la jeune fille allait voler jusqu′à moi. J′allais jusqu′à elle, d′eux-mêmes sortaient de mes lèvres: «J′aimerais me promener avec vous. Vous ne voulez pas qu′on aille sur la falaise, on n′y est dérangé par personne derrière le petit bois qui protège du vent la maison démontable actuellement inhabitée?» Toutes les difficultés de la vie étaient aplanies, il n′y avait plus d′obstacles à l′enlacement de nos deux corps. Plus d′obstacles pour moi du moins. Car ils n′avaient pas été volatilisés pour elle qui n′avait pas bu de porto. L′eût-elle fait, et l′univers eût-il perdu quelque réalité à ses yeux, le rêve longtemps chéri qui lui aurait alors paru soudain réalisable n′eût peut-être pas été du tout de tomber dans mes bras.   There were still but a few people at Balbec, hardly any girls. Sometimes I saw some girl resting upon the beach, devoid of charm, and yet apparently identified by various features as one whom I had been in despair at not being able to approach at the moment when she emerged with her friends from the riding school or gymnasium. If it was the same (and I took care not to mention the matter to Albertine), then the girl that I had thought so exciting did not exist. But I could not arrive at any certainty, for the face of any one of these girls did not fill any space upon the beach, did not offer a permanent form, contracted, dilated, transformed as it was by my own observation, the uneasiness of my desire or a sense of comfort that was self-sufficient, by the different clothes that she was wearing, the rapidity of her movements or her immobility. All the same, two or three of them seemed to me adorable. Whenever I saw one of these, I longed to take her away along the Avenue des Tamaris, or among the sandhills, better still upon the cliff. But, albeit into desire, as opposed to indifference, there enters already that audacity which is a first stage, if only unilateral, towards realisation, all the same, between my desire and the action that my request to be allowed to kiss her would have been, there was all the indefinite blank of hesitation, of timidity. Then I went into the pastrycook′s bar, I drank, one after another, seven or eight glasses of port wine. At once, instead of the impassable gulf between my desire and action, the effect of the alcohol traced a line that joined them together. No longer was there any room for hesitation or fear. It seemed to me that the girl was about to fly into my arms. I went up to her, the words came spontaneously to my lips: “I should like to go for a walk with you. You wouldn′t care to go along the cliff, we shan′t be disturbed behind the little wood that keeps the wind off the wooden bungalow that is empty just now?” All the difficulties of life were smoothed away, there was no longer any obstacle to the conjunction of our two bodies. No obstacle for me, at least. For they had not been volatilised for her, who had not been drinking port wine. Had she done so, had the outer world lost some of its reality in her eyes, the long cherished dream that would then have appeared to her to be suddenly realisable might perhaps have been not at all that of falling into my arms.
Non seulement les jeunes filles étaient peu nombreuses, mais, en cette saison qui n′était pas encore «la saison», elles restaient peu. Je me souviens d′une au teint roux de colaeus, aux yeux verts, aux deux joues rousses et dont la figure double et légère ressemblait aux graines ailées de certains arbres. Je ne sais quelle brise l′amena à Balbec et quelle autre la remporta. Ce fut si brusquement que j′en eus pendant plusieurs jours un chagrin que j′osai avouer à Albertine quand je compris qu′elle était partie pour toujours.   Not only were the girls few in number but at this season which was not yet ‘the season′ they stayed but a short time. There is one I remember with a reddish skin, green eyes and a pair of ruddy cheeks, whose slight symmetrical face resembled the winged seeds of certain trees. I cannot say what breeze wafted her to Balbec or what other bore her away. So sudden was her removal that for some days afterwards I was haunted by a grief which I made bold to confess to Albertine when I realised that the girl had gone for ever.
Il faut dire que plusieurs étaient ou des jeunes filles que je ne connaissais pas du tout, ou que je n′avais pas vues depuis des années. Souvent, avant de les rencontrer, je leur écrivais. Si leur réponse me faisait croire à un amour possible, quelle joie! On ne peut pas, au début d′une amitié pour une femme, et même si elle ne doit pas se réaliser par la suite, se séparer de ces premières lettres reçues. On les veut avoir tout le temps auprès de soi, comme de belles fleurs reçues, encore toutes fraîches, et qu′on ne s′interrompt de regarder que pour les respirer de plus près. La phrase qu′on sait par coeur est agréable à relire et, dans celles moins littéralement apprises, on veut vérifier le degré de tendresse d′une expression. A-t-elle écrit: «Votre chère lettre?» Petite déception dans la douceur qu′on respire, et qui doit être attribuée soit à ce qu′on a lu trop vite, soit à l′écriture illisible de la correspondante; elle n′a pas mis: «Et votre chère lettre», mais: «En voyant cette lettre». Mais le reste est si tendre. Oh! que de pareilles fleurs viennent demain. Puis cela ne suffit plus, il faudrait aux mots écrits confronter les regards, la voix. On prend rendez-vous, et — sans qu′elle ait changé peut-être — là où on croyait, sur la description faite ou le souvenir personnel, rencontrer la fée Viviane, on trouve le Chat botté. On lui donne rendez-vous pour le lendemain quand même, car c′est tout de même elle et ce qu′on désirait, c′est elle. Or ces désirs pour une femme dont on a rêvé ne rendent pas absolument nécessaire la beauté de tel trait précis. Ces désirs sont seulement le désir de tel être; vagues comme des parfums, comme le styrax était le désir de Prothyra le safran le désir éthéré, les aromates le désir d′Héra, la myrrhe le parfum des mages, la manne le désir de Nikè, l′encens le parfum de la mer. Mais ces parfums que chantent les Hymnes orphiques sont bien moins nombreux que les divinités qu′ils chérissent. La myrrhe est le parfum des mages, mais aussi de Protogonos, de Neptune, de Nérée, de Leto; l′encens est le parfum de la mer, mais aussi de la belle Diké, de Thémis, de Circé, des neuf Muses, d′Eos, de Mnémosyne, du Jour, de Dikaunè. Pour le styrax, la manne et les aromates, on n′en finirait pas de dire les divinités qui les inspirent, tant elles sont nombreuses. Amphiétès a tous les parfums excepté l′encens, et Garejette uniquement les fèves et les aromates. Ainsi en était-il de ces désirs de jeunes filles que j′avais. Moins nombreux qu′elles n′étaient, ils se changeaient en des déceptions et des tristesses assez semblables les unes aux autres. Je n′ai jamais voulu de la myrrhe. Je l′ai réservée pour Jupien et pour la princesse de Guermantes, car elle est le désir de Protogonos «aux deux sexes, ayant le mugissement du taureau, aux nombreuses orgies, mémorable, inénarrable, descendant, joyeux, vers les sacrifices des Orgiophantes».   I should add that several of them were either girls whom I did not know at all or whom I had not seen for years. Often, before addressing them, I wrote to them. If their answer allowed me to believe in the possibility of love, what joy! We cannot, at the outset of our friendship with a woman, even if that friendship is destined to come to nothing, bear to part from those first letters that we have received from her. We like to have them beside us all the time, like a present of rare flowers, still quite fresh, at which we cease to gaze only to draw them closer to us and smell them. The sentence that we know by heart, it is pleasant to read again, and in those that we have committed less accurately to memory we like to verify the degree of affection in some expression. Did she write: ‘Your dear letter′? A slight marring of our bliss, which must be ascribed either to our having read too quickly, or to the illegible handwriting of our correspondent; she did not say: ‘Your dear letter′ but ‘From your letter.′ But the rest is so tender. Oh, that more such flowers may come to-morrow. Then that is no longer enough, we must with the written words compare the writer′s eyes, her face. We make an appointment, and — without her having altered, perhaps — whereas we expected, from the description given us or our personal memory, to meet the fairy Viviane, we encounter Puss-in-Boots. We make an appointment, nevertheless, for the following day, for it is, after all, she, and the person we desired is she. And these desires for a woman of whom we have been dreaming do not make beauty of form and feature essential. These desires are only the desire for a certain person; vague as perfumes, as styrax was the desire of Prothyraia, saffron the ethereal desire, aromatic scents the desire of Hera, myrrh the perfume of the Magi, manna the desire of Nike, incense the perfume of the sea. But these perfumes that are sung in the Orphic hymns are far fewer in number than the deities they worship. Myrrh is the perfume of the Magi, but also of Protogonos, Neptune, Nereus, Leto; incense is the perfume of the sea, but also of the fair Dike, of Themis, of Circe, of the Nine Muses, of Eos, of Mnemosyne, of the Day, of Dikaiosyne. As for styrax, manna and aromatic scents, it would be impossible to name all the deities that inhale them, so many are they. Amphietes has all the perfumes except incense, and Gaia rejects only beans and aromatic scents. So was it with these desires for different girls that I felt. Fewer in number than the girls themselves, they changed into disappointments and regrets closely similar one to another. I never wished for myrrh. I reserved it for Jupien and for the Prince de Guermantes, for it is the desire of Protogonos “of twofold sex, who roars like a bull, of countless orgies, memorable, unspeakable, descending, joyous, to the sacrifices of the Orgiophants.”
Mais bientôt la saison battit son plein; c′était tous les jours une arrivée nouvelle, et à la fréquence subitement croissante de mes promenades, remplaçant la lecture charmante des Mille et Une Nuits, il y avait une cause dépourvue de plaisir et qui les empoisonnait tous. La plage était maintenant peuplée de jeunes filles, et l′idée que m′avait suggérée Cottard m′ayant, non pas fourni de nouveaux soupçons, mais rendu sensible et fragile de ce côté, et prudent à ne pas en laisser se former en moi, dès qu′une jeune femme arrivait à Balbec, je me sentais mal à l′aise, je proposais à Albertine les excursions les plus éloignées, afin qu′elle ne pût faire la connaissance et même, si c′était possible, pût ne pas recevoir la nouvelle venue. Je redoutais naturellement davantage encore celles dont on remarquait le mauvais genre ou connaissait la mauvaise réputation; je tâchais de persuader à mon amie que cette mauvaise réputation n′était fondée sur rien, était calomnieuse, peut-être sans me l′avouer par une peur, encore inconsciente, qu′elle cherchât à se lier avec la dépravée ou qu′elle regrettât de ne pouvoir la chercher, à cause de moi, ou qu′elle crût, par le nombre des exemples, qu′un vice si répandu n′est pas condamnable. En le niant de chaque coupable je ne tendais pas à moins qu′à prétendre que le saphisme n′existe pas. Albertine adoptait mon incrédulité pour le vice de telle et telle: «Non, je crois que c′est seulement un genre qu′elle cherche à se donner, c′est pour faire du genre.» Mais alors je regrettais presque d′avoir plaidé l′innocence, car il me déplaisait qu′Albertine, si sévère autrefois, pût croire que ce «genre» fût quelque chose d′assez flatteur, d′assez avantageux, pour qu′une femme exempte de ces goûts eût cherché à s′en donner l′apparence. J′aurais voulu qu′aucune femme ne vînt plus à Balbec; je tremblais en pensant que, comme c′était à peu près l′époque où Mme Putbus devait arriver chez les Verdurin, sa femme de chambre, dont Saint–Loup ne m′avait pas caché les préférences, pourrait venir excursionner jusqu′à la plage, et, si c′était un jour où je n′étais pas auprès d′Albertine, essayer de la corrompre. J′arrivais à me demander, comme Cottard ne m′avait pas caché que les Verdurin tenaient beaucoup à moi, et, tout en ne voulant pas avoir l′air, comme il disait, de me courir après, auraient donné beaucoup pour que j′allasse chez eux, si je ne pourrais pas, moyennant les promesses de leur amener à Paris tous les Guermantes du monde, obtenir de Mme Verdurin que, sous un prétexte quelconque, elle prévînt Mme Putbus qu′il lui était impossible de la garder chez elle et la fît repartir au plus vite. Malgré ces pensées, et comme c′était surtout la présence d′Andrée qui m′inquiétait, l′apaisement que m′avaient procuré les paroles d′Albertine persistait encore un peu; — je savais d′ailleurs que bientôt j′aurais moins besoin de lui, Andrée devant partir avec Rosemonde et Gisèle presque au moment où tout le monde arrivait, et n′ayant plus à rester auprès d′Albertine que quelques semaines. Pendant celles-ci d′ailleurs, Albertine sembla combiner tout ce qu′elle faisait, tout ce qu′elle disait, en vue de détruire mes soupçons s′il m′en restait, ou de les empêcher de renaître. Elle s′arrangeait à ne jamais rester seule avec Andrée, et insistait, quand nous rentrions, pour que je l′accompagnasse jusqu′à sa porte, pour que je vinsse l′y chercher quand nous devions sortir. Andrée cependant prenait de son côté une peine égale, semblait éviter de voir Albertine. Et cette apparente entente entre elles n′était pas le seul indice qu′Albertine avait dû mettre son amie au courant de notre entretien et lui demander d′avoir la gentillesse de calmer mes absurdes soupçons.   But presently the season was in full swing; every day there was some fresh arrival, and for the sudden increase in the frequency of my outings, which took the place of the charmed perusal of the Thousand and One Nights, there was a reason devoid of pleasure which poisoned them all. The beach was now peopled with girls, and, since the idea suggested to me by Cottard had not indeed furnished me with fresh suspicions but had rendered me sensitive and weak in that quarter and careful not to let any suspicion take shape in my mind, as soon as a young woman arrived at Balbec, I began to feel ill at ease, I proposed to Albertine the most distant excursions, in order that she might not make the newcomer′s acquaintance, and indeed, if possible, might not set eyes on her. I dreaded naturally even more those women whose dubious ways were remarked or their bad reputation already known; I tried to persuade my mistress that this bad reputation had no foundation, was a slander, perhaps, without admitting it to myself, from a fear, still unconscious, that she might seek to make friends with the depraved woman or regret her inability to do so, because of me, or might conclude from the number of examples that a vice so widespread was not to be condemned. In denying the guilt of each of them, my intention was nothing less than to pretend that sapphism did not exist. Albertine adopted my incredulity as to the viciousness of this one or that. “No, I think it′s just a pose, she wants to look the part.” But then, I regretted almost that I had pleaded the other′s innocence, for it distressed me that Albertine, formerly so severe, could believe that this ‘part′ was a thing so flattering, so advantageous, that a woman innocent of such tastes could seek to ‘look it.′ I would have liked to be sure that no more women were coming to Balbec; I trembled when I thought that, as it was almost time for Mme. Putbus to arrive at the Verdurins′, her maid, whose tastes Saint-Loup had not concealed from me, might take it into her head to come down to the beach, and, if it were a day on which I was not with Albertine, might seek to corrupt her. I went the length of asking myself whether, as Cottard had made no secret of the fact that the Verdurins thought highly of me and, while not wishing to appear, as he put it, to be running after me, would give a great deal to have me come to their house, I might not, on the strength of promises to bring all the Guermantes in existence to call on them in Paris, induce Mme. Verdurin, upon some pretext or other, to inform Mme. Putbus that it was impossible to keep her there any longer and make her leave the place at once. Notwithstanding these thoughts, and as it was chiefly the presence of Andrée that was disturbing me, the soothing effect that Albertine′s words had had upon me still to some extent persisted — I knew moreover that presently I should have less need of it, as Andrée would be leaving the place with Rosemonde and Gisèle just about the time when the crowd began to arrive and would be spending only a few weeks more with Albertine. During these weeks, moreover, Albertine seemed to have planned everything that she did, everything that she said, with a view to destroying my suspicions if any remained, or to prevent them from reviving. She contrived never to be left alone with Andrée, and insisted, when we came back from an excursion, upon my accompanying her to her door, upon my coming to fetch her when we were going anywhere. Andrée meanwhile took just as much trouble on her side, seemed to avoid meeting Albertine. And this apparent understanding between them was not the only indication that Albertine must have informed her friend of our conversation and have asked her to be so kind as to calm my absurd suspicions.
Vers cette époque se produisit au Grand-Hôtel de Balbec un scandale qui ne fut pas pour changer la pente de mes tourments. La soeur de Bloch avait depuis quelque temps, avec une ancienne actrice, des relations secrètes qui bientôt ne leur suffirent plus. Être vues leur semblait ajouter de la perversité à leur plaisir, elles voulaient faire baigner leurs dangereux ébats dans les regards de tous. Cela commença par des caresses, qu′on pouvait en somme attribuer à une intimité amicale, dans le salon de jeu, autour de la table de baccara. Puis elles s′enhardirent. Et enfin un soir, dans un coin pas même obscur de la grande salle de danses, sur un canapé, elles ne se gênèrent pas plus que si elles avaient été dans leur lit. Deux officiers, qui étaient non loin de là avec leurs femmes, se plaignirent au directeur. On crut un moment que leur protestation aurait quelque efficacité. Mais ils avaient contre eux que, venus pour un soir de Netteholme, où ils habitaient, à Balbec, ils ne pouvaient en rien être utiles au directeur. Tandis que, même à son insu, et quelque observation que lui fît le directeur, planait sur Mlle Bloch la protection de M. Nissim Bernard. Il faut dire pourquoi. M. Nissim Bernard pratiquait au plus haut point les vertus de famille. Tous les ans il louait à Balbec une magnifique villa pour son neveu, et aucune invitation n′aurait pu le détourner de rentrer dîner dans son chez lui, qui était en réalité leur chez eux. Mais jamais il ne déjeunait chez lui. Tous les jours il était à midi au Grand-Hôtel. C′est qu′il entretenait, comme d′autres, un rat d′opéra, un: «commis», assez pareil à ces chasseurs dont nous avons parlé, et qui nous faisaient penser aux jeunes israélites d′Esther et d′Athalie. A vrai dire, les quarante années qui séparaient M. Nissim Bernard du jeune commis auraient dû préserver celui-ci d′un contact peu aimable. Mais, comme le dit Racine avec tant de sagesse dans les mêmes choeurs:   About this time there occurred at the Grand Hotel a scandal which was not calculated to modify the intensity of my torment. Bloch′s cousin had for some time past been indulging, with a retired actress, in secret relations which presently ceased to satisfy them. That they should be seen seemed to them to add perversity to their pleasure, they chose to flaunt their perilous sport before the eyes of all the world. They began with caresses, which might, after all, be set down to a friendly intimacy, in the card-room, by the baccarat-table. Then they grew more bold. And finally, one evening, in a corner that was not even dark of the big ball-room, on a sofa, they made no more attempt to conceal what they were doing than if they had been in bed. Two officers who happened to be near, with their wives, complained to the manager. It was thought for a moment that their protest would be effective. But they had this against them that, having come over for the evening from Netteholme, where they were staying, they could not be of any use to the manager. Whereas, without her knowing it even, and whatever remarks the manager may have made to her, there hovered over Mlle. Bloch the protection of M. Nissim Bernard. I must explain why. M. Nissim Bernard carried to their highest pitch the family virtues. Every year he took a magnificent villa at Balbec for his nephew, and no invitation would have dissuaded him from going home to dine at his own table, which was in reality theirs. But he never took his luncheon at home. Every day at noon he was at the Grand Hotel. The fact of the matter was that he was keeping, as other men keep a chorus-girl from the opera, an embryo waiter of much the same type as the pages of whom we have spoken, and who made us think of the young Israelites in Esther and Athalie. It is true that the forty years′ difference in age between M. Nissim Bernard and the young waiter ought to have preserved the latter from a contact that was scarcely pleasant. But, as Racine so wisely observes in those same choruses:
Mon Dieu, qu′une vertu naissante,
Parmi tant de périls marche à pas incertains!
Qu′une âme qui te cherche et veut être innocente, Trouve d′obstacle à ses desseins.
Great God, with what uncertain tread
  A budding virtue ‘mid such perils goes!
  What stumbling-blocks do lie before a soul
  That seeks Thee and would fain be innocent.
Le jeune commis avait eu beau être «loin du monde élevé», dans le Temple–Palace de Balbec, il n′avait pas suivi le conseil de Joad:   The young waiter might indeed have been brought up ‘remote from the world′ in the Temple-Caravanserai of Balbec, he had not followed the advice of Joad:
Sur la richesse et l′or ne mets point ton appui.
In riches and in gold put not thy trust.
Il s′était peut-être fait une raison en disant: «Les pécheurs couvrent la terre.» Quoi qu′il en fût, et bien que M. Nissim Bernard n′espérât pas un délai aussi court, dès le premier jour,
Et soit frayeur encor ou pour le caresser,
De ses bras innocents il se sentit presser.
  He had perhaps justified himself by saying: “The wicked cover the earth.” However that might be, and albeit M. Nissim Bernard had not expected so rapid a conquest, on the very first day,
Were′t in alarm, or anxious to caress,
He felt those childish arms about him thrown.
Et dès le deuxième jour, M. Nissim Bernard promenant le commis, «l′abord contagieux altérait son innocence».
Dès lors la vie du jeune enfant avait changé. Il avait beau porter le pain et le sel, comme son chef de rang le lui commandait, tout son visage chantait:
  And by the second day, M. Nissim Bernard having taken the young waiter out,
The dire assault his innocence destroyed.
From that moment the boy′s life was altered. He might indeed carry bread and salt, as his superior bade him, his whole face sang:
De fleurs en fleurs, de plaisirs en plaisirs
Promenons nos désirs.
De nos ans passagers le nombre est incertain
Hâtons-nous aujourd′hui de jouir de la vie!
. . . L′honneur et les emplois
Sont le prix d′une aveugle et basse obéissance.
Pour la triste innocence
Qui voudrait élever la voix!
 
From flowers to flowers, from joys to keener joys
Let our desires now range.
Uncertain is our tale of fleeting years.
Haste we then to enjoy this life!
Honours and fame are the reward
Of blind and meek obedience.
For moping innocence
Who now would raise his voice!
Depuis ce jour-là, M. Nissim Bernard n′avait jamais manqué de venir occuper sa place au déjeuner (comme l′eût fait à l′orchestre quelqu′un qui entretient une figurante, une figurante celle-là d′un genre fortement caractérisé, et qui attend encore son Degas). C′était le plaisir de M. Nissim Bernard de suivre dans la salle à manger, et jusque dans les perspectives lointaines où, sous son palmier, trônait la caissière, les évolutions de l′adolescent empressé au service, au service de tous, et moins de M. Nissim Bernard depuis que celui-ci l′entretenait, soit que le jeune enfant de choeur ne crût pas nécessaire de témoigner la même amabilité à quelqu′un de qui il se croyait suffisamment aimé, soit que cet amour l′irritât ou qu′il craignît que, découvert, il lui fît manquer d′autres occasions. Mais cette froideur même plaisait à M. Nissim Bernard par tout ce qu′elle dissimulait; que ce fût par atavisme hébraî°µe ou par profanation du sentiment chrétien, il se plaisait singulièrement, qu′elle fût juive ou catholique, à la cérémonie racinienne. Si elle eût été une véritable représentation d′Esther ou d′Athalie M. Bernard eût regretté que la différence des siècles ne lui eût pas permis de connaître l′auteur, Jean Racine, afin d′obtenir pour son protégé un rôle plus considérable. Mais la cérémonie du déjeuner n′émanant d′aucun écrivain, il se contentait d′être en bons termes avec le directeur et avec Aimé pour que le «jeune Israélite» fût promu aux fonctions souhaitées, ou de demi-chef, ou même de chef de rang. Celles du sommelier lui avaient été offertes. Mais M. Bernard l′obligea à les refuser, car il n′aurait plus pu venir chaque jour le voir courir dans la salle à manger verte et se faire servir par lui comme un étranger. Or ce plaisir était si fort que tous les ans M. Bernard revenait à Balbec et y prenait son déjeuner hors de chez lui, habitudes où M. Bloch voyait, dans la première un goût poétique pour la belle lumière, les couchers de soleil de cette côte préférée à toute autre; dans la seconde, une manie invétérée de vieux célibataire.   Since that day, M. Nissim Bernard had never failed to come and occupy his seat at the luncheon-table (as a man would occupy his in the stalls who was keeping a dancer, a dancer in this case of a distinct and special type, which still awaits its Degas). It was M. Nissim Bernard′s delight to follow over the floor of the restaurant and down the remote vista to where beneath her palm the cashier sat enthroned, the evolutions of the adolescent hurrying in service, in the service of everyone, and, less than anyone, of M. Nissim Bernard, now that the latter was keeping him, whether because the young chorister did not think it necessary to display the same friendliness to a person by whom he supposed himself to be sufficiently well loved, or because that love annoyed him or he feared lest, if discovered, it might make him lose other opportunities. But this very coldness pleased M. Nissim Bernard, because of all that it concealed; whether from Hebraic atavism or from profanation of the Christian spirit, he took a singular pleasure, were it Jewish or Catholic, in the Racinian ceremony. Had it been a real performance of Esther or Athalie, M. Bernard would have regretted that the gulf of centuries must prevent him from making the acquaintance of the author, Jean Racine, so that he might obtain for his protégé a more substantial part. But as the luncheon ceremony came from no author′s pen, he contented himself with being on good terms with the manager and Aimé, so that the ‘young Israelite′ might be promoted to the coveted post of under-waiter, or even full waiter to a row of tables. The post of wine waiter had been offered him. But M. Bernard made him decline it, for he would no longer have been able to come every day to watch him race about the green dining-room and to be waited upon by him like a stranger. Now this pleasure was so keen that every year M. Bernard returned to Balbec and took his luncheon away from home, habits in which M. Bloch saw, in the former a poetical fancy for the bright sunshine, the sunsets of this coast favoured above all others, in the latter the inveterate mania of an old bachelor.
A vrai dire, cette erreur des parents de M. Nissim Bernard, lesquels ne soupçonnaient pas la vraie raison de son retour annuel à Balbec et ce que la pédante Mme Bloch appelait ses découchages en cuisine, cette erreur était une vérité plus profonde et du second degré. Car M. Nissim Bernard ignorait lui-même ce qu′il pouvait entrer d′amour de la plage de Balbec, de la vue qu′on avait, du restaurant, sur la mer, et d′habitudes maniaques, dans le goût qu′il avait d′entretenir comme un rat d′opéra d′une autre sorte, à laquelle il manque encore un Degas, l′un de ses servants qui étaient encore des filles. Aussi M. Nissim Bernard entretenait-il avec le directeur de ce théâtre qu′était l′hôtel de Balbec, et avec le metteur en scène et régisseur Aimé— desquels le rôle en toute cette affaire n′était pas des plus limpides — d′excellentes relations. On intriguerait un jour pour obtenir un grand rôle, peut-être une place de maître d′hôtel. En attendant, le plaisir de M. Nissim Bernard, si poétique et calmement contemplatif qu′il fût, avait un peu le caractère de ces hommes à femmes qui savent toujours — Swann jadis, par exemple — qu′en allant dans le monde ils vont retrouver leur maîtresse. A peine M. Nissim Bernard serait-il assis qu′il verrait l′objet de ses voeux s′avancer sur la scène portant à la main des fruits ou des cigares sur un plateau. Aussi tous les matins, après avoir embrassé sa nièce, s′être inquiété des travaux de mon ami Bloch et donné à manger à ses chevaux des morceaux de sucre posés dans sa paume tendue, avait-il une hâte fébrile d′arriver pour le déjeuner au Grand-Hôtel. Il y eût eu le feu chez lui, sa nièce eût eu une attaque, qu′il fût sans doute parti tout de même. Aussi craignait-il comme la peste un rhume pour lequel il eût gardé le lit — car il était hypocondriaque — et qui eût nécessité qu′il fît demander à Aimé de lui envoyer chez lui, avant l′heure du goûter, son jeune ami.   As a matter of fact, the mistake made by M. Nissim Bernard′s relatives, who never suspected the true reason for his annual return to Balbec and for what the pedantic Mme. Bloch called his absentee palate, was really a more profound and secondary truth. For M. Nissim Bernard himself was unaware how much there was of love for the beach at Balbec, for the view one enjoyed from the restaurant over the sea, and of maniacal habits in the fancy that he had for keeping, like a dancing girl of another kind which still lacks a Degas, one of his servants the rest of whom were still girls. And so M. Nissim Bernard maintained, with the director of this theatre which was the hotel at Balbec, and with the stage-manager and producer Aimé— whose part in all this affair was anything but simple — excellent relations. One day they would intrigue to procure an important part, a place perhaps as headwaiter. In the meantime M. Nissim Bernard′s pleasure, poetical and calmly contemplative as it might be, reminded one a little of those women-loving men who always know — Swann, for example, in the past — that if they go out to a party they will meet their mistress. No sooner had M. Nissim Bernard taken his seat than he would see the object of his affections appear on the scene, bearing in his hand fruit or cigars upon a tray. And so every morning, after kissing his niece, bothering my friend Bloch about his work and feeding his horses with lumps of sugar from the palm of his outstretched hand, he would betray a feverish haste to arrive in time for luncheon at the Grand Hotel. Had the house been on fire, had his niece had a stroke, he would doubtless have started off just the same. So that he dreaded like the plague a cold that would confine him to his bed — for he was a hypochondriac — and would oblige him to ask Aimé to send his young friend across to visit him at home, between luncheon and tea-time.
Il aimait d′ailleurs tout le labyrinthe de couloirs, de cabinets secrets, de salons, de vestiaires, de garde-manger, de galeries qu′était l′hôtel de Balbec. Par avatisme d′Oriental il aimait les sérails et, quand il sortait le soir, on le voyait en explorer furtivement les détours. Tandis que, se risquant jusqu′aux sous-sols et cherchant malgré tout à ne pas être vu et à éviter le scandale, M. Nissim Bernard, dans sa recherche des jeunes lévites, faisait penser à ces vers de la Juive:   He loved moreover all the labyrinth of corridors, private offices, reception-rooms, cloakrooms, larders, galleries which composed the hotel at Balbec. With a strain of oriental atavism he loved a seraglio, and when he went out at night might be seen furtively exploring its passages. While, venturing down to the basement and endeavouring at the same time to escape notice and to avoid a scandal, M. Nissim Bernard, in his quest of the young Lévites, put one in mind of those lines in La Juive:
O Dieu de nos pères,
Parmi nous descends,
Cache nos mystères
A l′oeil des méchants!
O God of our Fathers,
come down to us again,
Our mysteries veil
from the eyes of wicked men!
Je montais au contraire dans la chambre de deux soeurs qui avaient accompagné à Balbec, comme femmes de chambre, une vieille dame étrangère. C′était ce que le langage des hôtels appelait deux courrières et celui de Françoise, laquelle s′imaginait qu′un courrier ou une courrière sont là pour faire des courses, deux «coursières». Les hôtels, eux, en sont restés, plus noblement, au temps où l′on chantait: «C′est un courrier de cabinet.»   I on the contrary would go up to the room of two sisters who had come to Balbec, as her maids, with an old lady, a foreigner. They were what the language of hotels called ‘couriers,′ and that of Françoise, who imagined that a courier was a person who was there to run his course, two ‘coursers.′ The hotels have remained, more nobly, in the period when people sang: “C′est un courrier de cabinet.”
Malgré la difficulté qu′il y avait pour un client à aller dans des chambres de courrières, et réciproquement, je m′étais très vite lié d′une amitié très vive, quoique très pure, avec ces deux jeunes personnes, Mlle Marie Gineste et Mme Céleste Albaret. Nées au pied des hautes montagnes du centre de la France, au bord de ruisseaux et de torrents (l′eau passait même sous leur maison de famille où tournait un moulin et qui avait été dévastée plusieurs fois par l′inondation), elles semblaient en avoir gardé la nature. Marie Gineste était plus régulièrement rapide et saccadée, Céleste Albaret plus molle et languissante, étalée comme un lac, mais avec de terribles retours de bouillonnement où sa fureur rappelait le danger des crues et des tourbillons liquides qui entraînent tout, saccagent tout. Elles venaient souvent, le matin, me voir quand j′étais encore couché. Je n′ai jamais connu de personnes aussi volontairement ignorantes, qui n′avaient absolument rien appris à l′école, et dont le langage eût pourtant quelque chose de si littéraire que, sans le naturel presque sauvage de leur ton, on aurait cru leurs paroles affectées. Avec une familiarité que je ne retouche pas, malgré les éloges (qui ne sont pas ici pour me louer, mais pour louer le génie étrange de Céleste) et les critiques, également fausses, mais très sincères, que ces propos semblent comporter à mon égard, tandis que je trempais des croissants dans mon lait, Céleste me disait: «Oh! petit diable noir aux cheveux de geai, ô profonde malice! je ne sais pas à quoi pensait votre mère quand elle vous a fait, car vous avez tout d′un oiseau. Regarde, Marie, est-ce qu′on ne dirait pas qu′il se lisse ses plumes, et tourne son cou avec une souplesse, il a l′air tout léger, on dirait qu′il est en train d′apprendre à voler. Ah! vous avez de la chance que ceux qui vous ont créé vous aient fait naître dans le rang des riches; qu′est-ce que vous seriez devenu, gaspilleur comme vous êtes. Voilà qu′il jette son croissant parce qu′il a touché le lit. Allons bon, voilà qu′il répand son lait, attendez que je vous mette une serviette car vous ne sauriez pas vous y prendre, je n′ai jamais vu quelqu′un de si bête et de si maladroit que vous.» On entendait alors le bruit plus régulier de torrent de Marie Gineste qui, furieuse, faisait des réprimandes à sa soeur: «Allons, Céleste, veux-tu te taire? Es-tu pas folle de parler à Monsieur comme cela?» Céleste n′en faisait que sourire; et comme je détestais qu′on m′attachât une serviette: «Mais non, Marie, regarde-le, bing, voilà qu′il s′est dressé tout droit comme un serpent. Un vrai serpent, je te dis.» Elle prodiguait, du reste, les comparaisons zoologiques, car, selon elle, on ne savait pas quand je dormais, je voltigeais toute la nuit comme un papillon, et le jour j′étais aussi rapide que ces écureuils, «tu sais, Marie, comme on voit chez nous, si agiles que même avec les yeux on ne peut pas les suivre. — Mais, Céleste, tu sais qu′il n′aime pas avoir une serviette quand il mange. — Ce n′est pas qu′il n′aime pas ça, c′est pour bien dire qu′on ne peut pas lui changer sa volonté. C′est un seigneur et il veut montrer qu′il est un seigneur. On changera les draps dix fois s′il le faut, mais il n′aura pas cédé. Ceux d′hier avaient fait leur course, mais aujourd′hui ils viennent seulement d′être mis, et déjà il faudra les changer. Ah! j′avais raison de dire qu′il n′était pas fait pour naître parmi les pauvres. Regarde, ses cheveux se hérissent, ils se boursouflent par la colère comme les plumes des oiseaux. Pauvre ploumissou!» Ici ce n′était pas seulement Marie qui protestait, mais moi, car je ne me sentais pas seigneur du tout. Mais Céleste ne croyait jamais à la sincérité de ma modestie et, me coupant la parole: «Ah! sac à ficelles, ah! douceur, ah! perfidie! rusé entre les rusés, rosse des rosses! Ah! Molière!» (C′était le seul nom d′écrivain qu′elle connût, mais elle me l′appliquait, entendant par là quelqu′un qui serait capable à la fois de composer des pièces et de les jouer.) «Céleste!» criait impérieusement Marie qui, ignorant le nom de Molière, craignait que ce ne fût une injure nouvelle. Céleste se remettait à sourire: «Tu n′as donc pas vu dans son tiroir sa photographie quand il était enfant? Il avait voulu nous faire croire qu′on l′habillait toujours très simplement. Et là, avec sa petite canne, il n′est que fourrures et dentelles, comme jamais prince n′a eues. Mais ce n′est rien à côté de son immense majesté et de sa bonté encore plus profonde. — Alors, grondait le torrent Marie, voilà que tu fouilles dans ses tiroirs maintenant.» Pour apaiser les craintes de Marie je lui demandais ce qu′elle pensait de ce que M. Nissim Bernard faisait. «Ah! Monsieur, c′est des choses que je n′aurais pas pu croire que ça existait: il a fallu venir ici» et, damant pour une fois le pion à Céleste par une parole plus profonde: «Ah! voyez-vous, Monsieur, on ne peut jamais savoir ce qu′il peut y avoir dans une vie.» Pour changer le sujet, je lui parlais de celle de mon père, qui travaillait nuit et jour. «Ah! Monsieur, ce sont des vies dont on ne garde rien pour soi, pas une minute, pas un plaisir; tout, entièrement tout est un sacrifice pour les autres, ce sont des vies données. — Regarde, Céleste, rien que pour poser sa main sur la couverture et prendre son croissant, quelle distinction! il peut faire les choses les plus insignifiantes, on dirait que toute la noblesse de France, jusqu′aux Pyrénées, se déplace dans chacun de ses mouvements.»   Difficult as it was for a visitor to penetrate to the servants′ quarters, I had very soon formed a mutual bond of friendship, as strong as it was pure, with these two young persons, Mademoiselle Marie Gineste and Madame Céleste Albaret. Born at the foot of the high mountains in the centre of France, on the banks of rivulets and torrents (the water passed actually under their old home, turning a millwheel, and the house had often been damaged by floods), they seemed to embody the features of that region. Marie Gineste was more regularly rapid and abrupt, Céleste Albaret softer and more languishing, spread out like a lake, but with terrible boiling rages in which her fury suggested the peril of spates and gales that sweep everything before them. They often came in the morning to see me when I was still in bed. I have never known people so deliberately ignorant, who had learned absolutely nothing at school, and yet whose language was somehow so literary that, but for the almost savage naturalness of their tone, one would have thought their speech affected. With a familiarity which I reproduce verbatim, notwithstanding the praises (which I set down here in praise not of myself but of the strange genius of Céleste) and the criticisms, equally unfounded, in which her remarks seem to involve me, while I dipped crescent rolls in my milk, Céleste would say to me: “Oh! Little black devil with hair of jet, O profound wickedness! I don′t know what your mother was thinking of when she made you, for you are just like a bird. Look, Marie, wouldn′t you say he was preening his feathers, and turning his head right round, so light he looks, you would say he was just learning to fly. Ah! It′s fortunate for you that those who bred you brought you into the world to rank and riches; what would ever have become of you, so wasteful as you are. Look at him throwing away his crescent because it touched the bed. There he goes, now, look, he′s spilling his milk, wait till I tie a napkin round you, for you could never do it for yourself, never in my life have I seen anyone so helpless and so clumsy as you.” I would then hear the more regular sound of the torrent of Marie Gineste who was furiously reprimanding her sister: “Will you hold your tongue, now, Céleste. Are you mad, talking to Monsieur like that?” Céleste merely smiled; and as I detested having a napkin tied round my neck: “No, Marie, look at him, bang, he′s shot straight up on end like a serpent. A proper serpent, I tell you.” These were but a few of her zoological similes, for, according to her, it was impossible to tell when I slept, I fluttered about all night like a butterfly, and in the day time I was as swift as the squirrels. “You know, Marie, the way we see them at home, so nimble that even with your eyes you can′t follow them.” “But, Céleste, you know he doesn′t like having a napkin when he′s eating.” “It isn′t that he doesn′t like it, it′s so that he can say nobody can make him do anything against his will. He′s a grand gentleman and he wants to shew that he is. They can change the sheets ten times over, if they must, but he won′t give way. Yesterday′s had served their time, but to-day they have only just been put on the bed and they′ll have to be changed already. Oh, I was right when I said that he was never meant to be born among the poor. Look, his hair′s standing on end, swelling with rage like a bird′s feathers. Poor ploumissou!” Here it was not only Marie that protested, but myself, for I did not feel in the least like a grand gentleman. But Céleste would never believe in the sincerity of my modesty and cut me short. “Oh! The story-teller! Oh! The flatterer! Oh! The false one! The cunning rogue! Oh! Molière!” (This was the only writer′s name that she knew, but she applied it to me, meaning thereby a person who was capable both of writing plays and of acting them.) “Céleste!” came the imperious cry from Marie, who, not knowing the name of Molière, was afraid that it might be some fresh insult. Céleste continued to smile: “Then you haven′t seen the photograph of him in his drawer, when he was little. He tried to make us believe that he was always dressed quite simply. And there, with his little cane, he′s all furs and laces, such as no Prince ever wore. But that′s nothing compared with his tremendous majesty and kindness which is even more profound.” “So then,” scolded the torrent Marie, “you go rummaging in his drawers now, do you?” To calm Marie′s fears I asked her what she thought of M. Nissim Bernard′s behaviour. . . . “Ah! Monsieur, there are things I wouldn′t have believed could exist. One has to come here to learn.” And, for once outrivalling Céleste by an even more profound observation: “Ah! You see, Monsieur, one can never tell what there may be in a person′s life.” To change the subject, I spoke to her of the life led by my father, who toiled night and day. “Ah! Monsieur, there are people who keep nothing of their life for themselves, not one minute, not one pleasure, the whole thing is a sacrifice for others, they are lives that are given away.” “Look, Marie, he has only to put his hand on the counterpane and take his crescent, what distinction. He can do the most insignificant things, you would say that the whole nobility of France, from here to the Pyrenees, was stirring in each of his movements.”
Anéanti par ce portrait si peu véridique, je me taisais; Céleste voyait là une ruse nouvelle: «Ah! front qui as l′air si pur et qui caches tant de choses, joues amies et fraîches comme l′intérieur d′une amande, petites mains de satin tout pelucheux, ongles comme des griffes», etc. «Tiens, Marie, regarde-le boire son lait avec un recueillement qui me donne envie de faire ma prière. Quel air sérieux! On devrait bien tirer son portrait en ce moment. Il a tout des enfants. Est-ce de boire du lait comme eux qui vous a conservé leur teint clair? Ah! jeunesse! ah! jolie peau! Vous ne vieillirez jamais. Vous avez de la chance, vous n′aurez jamais à lever la main sur personne car vous avez des yeux qui savent imposer leur volonté. Et puis le voilà en colère maintenant. Il se tient debout, tout droit comme une évidence.»   Overpowered by this portrait so far from lifelike, I remained silent; Céleste interpreted my silence as a further instance of guile: “Oh! Brow that looks so pure, and hides so many things, nice, cool cheeks like the inside of an almond, little hands of satin all velvety, nails like claws,” and so forth. “There, Marie, look at him sipping his milk with a devoutness that makes me want to say my prayers. What a serious air! They ought really to take his portrait as he is just now. He′s just like a child. Is it drinking milk, like them, that has kept you their bright colour? Oh! Youth! Oh! Lovely skin. You will never grow old. You are a lucky one, you will never need to raise your hand against anyone, for you have a pair of eyes that can make their will be done. Look at him now, he′s angry. He shoots up, straight as a sign-post.”
Françoise n′aimait pas du tout que celles qu′elle appelait les deux enjôleuses vinssent ainsi tenir conversation avec moi. Le directeur, qui faisait guetter par ses employés tout ce qui se passait, me fit même observer gravement qu′il n′était pas digne d′un client de causer avec des courrières. Moi qui trouvais les «enjôleuses» supérieures à toutes les clientes de l′hôtel, je me contentai de lui éclater de rire au nez, convaincu qu′il ne comprendrait pas mes explications. Et les deux soeurs revenaient. «Regarde, Marie, ses traits si fins. O miniature parfaite, plus belle que la plus précieuse qu′on verrait sous une vitrine, car il a les mouvements, et des paroles à l′écouter des jours et des nuits.»   Françoise did not at all approve of what she called the two ‘tricksters′ coming to talk to me like this. The manager, who made his staff keep watch over everything that went on, even gave me a serious warning that it was not proper for a visitor to talk to servants. I, who found the ‘tricksters′ far better than any visitor in the hotel, merely laughed in his face, convinced that he would not understand my explanations. And the sisters returned. “Look, Marie, at his delicate lines. Oh, perfect miniature, finer than the most precious you could see in a glass case, for he can move, and utters words you could listen to for days and nights.”
C′est miracle qu′une dame étrangère ait pu les emmener, car, sans savoir l′histoire ni la géographie, elles détestaient de confiance les Anglais, les Allemands, les Russes, les Italiens, la «vermine» des étrangers et n′aimaient, avec des exceptions, que les Français. Leur figure avait tellement gardé l′humidité de la glaise malléable de leurs rivières, que, dès qu′on parlait d′un étranger qui était dans l′hôtel, pour répéter ce qu′il avait dit Céleste et Marie appliquaient sur leurs figures sa figure, leur bouche devenait sa bouche, leurs yeux ses yeux, on aurait voulu garder ces admirables masques de théâtre. Céleste même, en faisant semblant de ne redire que ce qu′avait dit le directeur, ou tel de mes amis, insérait dans son petit récit des propos feints où étaient peints malicieusement tous les défauts de Bloch, ou du premier président, etc., sans en avoir l′air. C′était, sous la forme de compte rendu d′une simple commission dont elle s′était obligeamment chargée, un portrait inimitable. Elles ne lisaient jamais rien, pas même un journal. Un jour pourtant, elles trouvèrent sur mon lit un volume. C′étaient des poèmes admirables mais obscurs de Saint-Léger Léger. Céleste lut quelques pages et me dit: «Mais êtes-vous bien sûr que ce sont des vers, est-ce que ce ne serait pas plutôt des devinettes?» Évidemment pour une personne qui avait appris dans son enfance une seule poésie: Ici-bas tous les lilas meurent, il y avait manque de transition. Je crois que leur obstination à ne rien apprendre tenait un peu à leur pays malsain. Elles étaient pourtant aussi douées qu′un poète, avec plus de modestie qu′ils n′en ont généralement. Car si Céleste avait dit quelque chose de remarquable et que, ne me souvenant pas bien, je lui demandais de me le rappeler, elle assurait avoir oublié. Elles ne liront jamais de livres, mais n′en feront jamais non plus.   It was a miracle that a foreign lady could have brought them there, for, without knowing anything of history or geography, they heartily detested the English, the Germans, the Russians, the Italians, all foreign vermin, and cared, with certain exceptions, for French people alone. Their faces had so far preserved the moisture of the pliable clay of their native river beds, that, as soon as one mentioned a foreigner who was staying in the hotel, in order to repeat what he had said, Céleste and Marie imposed upon their faces his face, their mouths became his mouth, their eyes his eyes, one would have liked to preserve these admirable comic masks. Céleste indeed, while pretending merely to be repeating what the manager had said, or one of my friends, would insert in her little narrative fictitious remarks in which were maliciously portrayed all the defects of Bloch, the chief magistrate, etc., while apparently unconscious of doing so. It was, under the form of the delivery of a simple message which she had obligingly undertaken to convey, an inimitable portrait. They never read anything, not even a newspaper. One day, however, they found lying on my bed a book. It was a volume of the admirable but obscure poems of Saint-Léger Léger. Céleste read a few pages and said to me: “But are you quite sure that these are poetry, wouldn′t they just be riddles?” Obviously, to a person who had learned in her childhood a single poem: “Down here the lilacs die,” there was a gap in evolution. I fancy that their obstinate refusal to learn anything was due in part to the unhealthy climate of their early home. They had nevertheless all the gifts of a poet with more modesty than poets generally shew. For if Céleste had said something noteworthy and, unable to remember it correctly, I asked her to repeat it, she would assure me that she had forgotten. They will never read any books, but neither will they ever write any.
Françoise fut assez impressionnée en apprenant que les deux frères de ces femmes si simples avaient épousé, l′un la nièce de l′archevêque de Tours, l′autre une parente de l′évêque de Rodez. Au directeur, cela n′eût rien dit. Céleste reprochait quelquefois à son mari de ne pas la comprendre, et moi je m′étonnais qu′il pût la supporter. Car à certains moments, frémissante, furieuse, détruisant tout, elle était détestable. On prétend que le liquide salé qu′est notre sang n′est que la survivance intérieure de l′élément marin primitif. Je crois de même que Céleste, non seulement dans ses fureurs, mais aussi dans ses heures de dépression, gardait le rythme des ruisseaux de son pays. Quand elle était épuisée, c′était à leur manière; elle était vraiment à sec. Rien n′aurait pu alors la revivifier. Puis tout d′un coup la circulation reprenait dans son grand corps magnifique et léger. L′eau coulait dans la transparence opaline de sa peau bleuâtre. Elle souriait au soleil et devenait plus bleue encore. Dans ces moments-là elle était vraiment céleste.   Françoise was considerably impressed when she learned that the two brothers of these humble women had married, one the niece of the Archbishop of Tours, the other a relative of the Bishop of Rodez. To the manager, this would have conveyed nothing. Céleste would sometimes reproach her husband with his failure to understand her, and as for me, I was astonished that he could endure her. For at certain moments, raging, furious, destroying everything, she was detestable. It is said that the salt liquid which is our blood is only an internal survival of the primitive marine element. Similarly, I believe that Céleste, not only in her bursts of fury, but also in her hours of depression preserved the rhythm of her native streams. When she was exhausted, it was after their fashion; she had literally run dry. Nothing could then have revived her. Then all of a sudden the circulation was restored in her large body, splendid and light. The water flowed in the opaline transparence of her bluish skin. She smiled at the sun and became bluer still. At such moments she was truly celestial.
La famille de Bloch avait beau n′avoir jamais soupçonné la raison pour laquelle son oncle ne déjeunait jamais à la maison et avoir accepté cela dès le début comme une manie de vieux célibataire, peut-être pour les exigences d′une liaison avec quelque actrice, tout ce qui touchait à M. Nissim Bernard était «tabou» pour le directeur de l′hôtel de Balbec. Et voilà pourquoi, sans en avoir même référé à l′oncle, il n′avait finalement pas osé donner tort à la nièce, tout en lui recommandant quelque circonspection. Or la jeune fille et son amie qui, pendant quelques jours, s′étaient figurées être exclues du Casino et du Grand-Hôtel, voyant que tout s′arrangeait, furent heureuses de montrer à ceux des pères de famille qui les tenaient à l′écart qu′elles pouvaient impunément tout se permettre. Sans doute n′allèrent-elles pas jusqu′à renouveler la scène publique qui avait révolté tout le monde. Mais peu à peu leurs façons reprirent insensiblement. Et un soir où je sortais du Casino à demi éteint, avec Albertine, et Bloch que nous avions rencontré, elles passèrent enlacées, ne cessant de s′embrasser, et, arrivées à notre hauteur, poussèrent des gloussements, des rires, des cris indécents. Bloch baissa les yeux pour ne pas avoir l′air de reconnaître sa soeur, et moi j′étais torturé en pensant que ce langage particulier et atroce s′adressait peut-être à Albertine.   Bloch′s family might never have suspected the reason which made their uncle never take his luncheon at home and have accepted it from the first as the mania of an elderly bachelor, due perhaps to the demands of his intimacy with some actress; everything that concerned M. Nissim Bernard was tabu to the manager of the Balbec hotel. And that was why, without even referring to the uncle, he had finally not ventured to find fault with the niece, albeit recommending her to be a little more circumspect. And so the girl and her friend who, for some days, had pictured themselves as excluded from the casino and the Grand Hotel, seeing that everything was settled, were delighted to shew those fathers of families who held aloof from them that they might with impunity take the utmost liberties. No doubt they did not go so far as to repeat the public exhibition which had revolted everybody. But gradually they returned to their old ways. And one evening as I came out of the casino which was half in darkness with Albertine and Bloch whom we had met there, they came towards us, linked together, kissing each other incessantly, and, as they passed us, crowed and laughed, uttering indecent cries. Bloch lowered his eyes, so as to seem not to have recognised his cousin, and as for myself I was tortured by the thought that this occult, appalling language was addressed perhaps to Albertine.
Un autre incident fixa davantage encore mes préoccupations du côté de Gomorrhe. J′avais vu sur la plage une belle jeune femme élancée et pâle de laquelle les yeux, autour de leur centre, disposaient des rayons si géométriquement lumineux qu′on pensait, devant son regard, à quelque constellation. Je songeais combien cette jeune femme était plus belle qu′Albertine et comme il était plus sage de renoncer à l′autre. Tout au plus le visage de cette belle jeune femme était-il passé au rabot invisible d′une grande bassesse de vie, de l′acceptation constante d′expédients vulgaires, si bien que ses yeux, plus nobles pourtant que le reste du visage, ne devaient rayonner que d′appétits et de désirs. Or, le lendemain, cette jeune femme étant placée très loin de nous au Casino, je vis qu′elle ne cessait de poser sur Albertine les feux alternés et tournants de ses regards. On eût dit qu′elle lui faisait des signes comme à l′aide d′un phare. Je souffrais que mon amie vît qu′on faisait si attention à elle, je craignais que ces regards incessamment allumés n′eussent la signification conventionnelle d′un rendez-vous d′amour pour le lendemain. Qui sait? ce rendez-vous n′était peut-être pas le premier. La jeune femme aux yeux rayonnants avait pu venir une autre année à Balbec. C′était peut-être parce qu′Albertine avait déjà cédé à ses désirs ou à ceux d′une amie que celle-ci se permettait de lui adresser ces brillants signaux. Ils faisaient alors plus que réclamer quelque chose pour le présent, ils s′autorisaient pour cela des bonnes heures du passé.   Another incident turned my thoughts even more in the direction of Gomorrah. I had noticed upon the beach a handsome young woman, erect and pale, whose eyes, round their centre, scattered rays so geometrically luminous that one was reminded, on meeting her gaze, of some constellation. I thought how much more beautiful this girl was than Albertine, and that it would be wiser to give up the other. Only, the face of this beautiful young woman had been smoothed by the invisible plane of an utterly low life, of the constant acceptance of vulgar expedients, so much so that her eyes, more noble however than the rest of her face, could radiate nothing but appetites and desires. Well, on the following day, this young woman being seated a long way away from us in the casino, I saw that she never ceased to fasten upon Albertine the alternate, circling fires of her gaze. One would have said that she was making signals to her from a lighthouse. I dreaded my friend′s seeing that she was being so closely observed, I was afraid that these incessantly rekindled glances might have the conventional meaning of an amorous assignation for the morrow. For all I knew, this assignation might not be the first. The young woman with the radiant eyes might have come another year to Balbec. It was perhaps because Albertine had already yielded to her desires, or to those of a friend, that this woman allowed herself to address to her those flashing signals. If so, they did more than demand something for the present, they found a justification in pleasant hours in the past.
Ce rendez-vous, en ce cas, ne devait pas être le premier, mais la suite de parties faites ensemble d′autres années. Et, en effet, les regards ne disaient pas: «Veux-tu?» Dès que la jeune femme avait aperçu Albertine, elle avait tourné tout à fait la tête et fait luire vers elle des regards chargés de mémoire, comme si elle avait eu peur et stupéfaction que mon amie ne se souvînt pas. Albertine, qui la voyait très bien, resta flegmatiquement immobile, de sorte que l′autre, avec le même genre de discrétion qu′un homme qui voit son ancienne maîtresse avec un autre amant, cessa de la regarder et de s′occuper plus d′elle que si elle n′avait pas existé.   This assignation, in that case, must be not the first, but the sequel to adventures shared in past years. And indeed her glance did not say: “Will you?” As soon as the young woman had caught sight of Albertine, she had turned her head and beamed upon her glances charged with recollection, as though she were terribly afraid that my friend might not remember. Albertine, who could see her plainly, remained phlegmatically motionless, with the result that the other, with the same sort of discretion as a man who sees his old mistress with a new lover, ceased to look at her and paid no more attention to her than if she had not existed.
Mais quelques jours après, j′eus la preuve des goûts de cette jeune femme et aussi de la probabilité qu′elle avait connu Albertine autrefois. Souvent, quand, dans la salle du Casino, deux jeunes filles se désiraient, il se produisait comme un phénomène lumineux, une sorte de traînée phosphorescente allant de l′une à l′autre. Disons en passant que c′est à l′aide de telles matérialisations, fussent-elles impondérables, par ces signes astraux enflammant toute une partie de l′atmosphère, que Gomorrhe, dispersée, tend, dans chaque ville, dans chaque village, à rejoindre ses membres séparés, à reformer la cité biblique tandis que, partout, les mêmes efforts sont poursuivis, fût-ce en vue d′une reconstruction intermittente, par les nostalgiques, par les hypocrites, quelquefois par les courageux exilés de Sodome.   But, a day or two later, I received a proof of this young woman′s tendencies, and also of the probability of her having known Albertine in the past. Often, in the hall of the casino, when two girls were smitten with mutual desire, a luminous phenomenon occurred, a sort of phosphorescent train passing from one to the other. Let us note in passing that it is by the aid of such materialisations, even if they be imponderable, by these astral signs that set fire to a whole section of the atmosphere, that the scattered Gomorrah tends, in every town, in every village, to reunite its separated members, to reform the biblical city while everywhere the same efforts are being made, be it in view of but a momentary reconstruction, by the nostalgic, the hypocritical, sometimes by the courageous exiles from Sodom.
Une fois je vis l′inconnue qu′Albertine avait eu l′air de ne pas reconnaître, juste à un moment où passait la cousine de Bloch. Les yeux de la jeune femme s′étoilèrent, mais on voyait bien qu′elle ne connaissait pas la demoiselle israélite. Elle la voyait pour la première fois, éprouvait un désir, guère de doutes, nullement la même certitude qu′à l′égard d′Albertine, Albertine sur la camaraderie de qui elle avait dû tellement compter que, devant sa froideur, elle avait ressenti la surprise d′un étranger habitué de Paris mais qui ne l′habite pas et qui, étant revenu y passer quelques semaines, à la place du petit théâtre où il avait l′habitude de passer de bonnes soirées, voit qu′on a construit une banque.   Once I saw the stranger whom Albertine had appeared not to recognise, just at the moment when Bloch′s cousin was approaching her. The young woman′s eyes flashed, but it was quite evident that she did not know the Israelite maiden. She beheld her for the first time, felt a desire, a shadow of doubt, by no means the same certainty as in the case of Albertine, Albertine upon whose comradeship she must so far have reckoned that, in the face of her coldness, she had felt the surprise of a foreigner familiar with Paris but not resident there, who, having returned to spend a few weeks there, on the site of the little theatre where he was in the habit of spending pleasant evenings, sees that they have now built a bank.
La cousine de Bloch alla s′asseoir à une table où elle regarda un magazine. Bientôt la jeune femme vint s′asseoir d′un air distrait à côté d′elle. Mais sous la table on aurait pu voir bientôt se tourmenter leurs pieds, puis leurs jambes et leurs mains qui étaient confondues. Les paroles suivirent, la conversation s′engagea, et le namari de la jeune femme, qui la cherchait partout, fut étonné de la trouver faisant des projets pour le soir même avec une jeune fille qu′il ne connaissait pas. Sa femme lui présenta comme une amie d′enfance la cousine de Bloch, sous un nom inintelligible, car elle avait oublié de lui demander comment elle s′appelait. Mais la présence du mari fit faire un pas de plus à leur intimité, car elles se tutoyèrent, s′étant connues au couvent, incident dont elles rirent fort plus tard, ainsi que du mari berné, avec une gaieté qui fut une occasion de nouvelles tendresses.   Bloch′s cousin went and sat down at a table where she turned the pages of a magazine. Presently the young woman came and sat down, with an abstracted air, by her side. But under the table one could presently see their feet wriggling, then their legs and hands, in a confused heap. Words followed, a conversation began, and the young woman′s innocent husband, who had been looking everywhere for her, was astonished to find her making plans for that very evening with a girl whom he did not know. His wife introduced Bloch′s cousin to him as a friend of her childhood, by an inaudible name, for she had forgotten to ask her what her name was. But the husband′s presence made their intimacy advance a stage farther, for they addressed each other as tu, having known each other at their convent, an incident at which they laughed heartily later on, as well as at the hoodwinked husband, with a gaiety which afforded them an excuse for more caresses.
Quant à Albertine, je ne peux pas dire que nulle part, au Casino, sur la plage, elle eût avec une jeune fille des manières trop libres. Je leur trouvais même un excès de froideur et d′insignifiance qui semblait plus que de la bonne éducation, une ruse destinée à dépister les soupçons. A telle jeune fille, elle avait une façon rapide, glacée et décente, de répondre à très haute voix: «Oui, j′irai vers cinq heures au tennis. Je prendrai mon bain demain matin vers huit heures», et de quitter immédiatement la personne à qui elle venait de dire cela — qui avait un terrible air de vouloir donner le change, et soit de donner un rendez-vous, soit plutôt, après l′avoir donné bas, de dire fort cette phrase, en effet insignifiante, pour ne pas «se faire remarquer». Et quand ensuite je la voyais prendre sa bicyclette et filer à toute vitesse, je ne pouvais m′empêcher de penser qu′elle allait rejoindre celle à qui elle avait à peine parlé.   As for Albertine, I cannot say that anywhere in the casino or on the beach was her behaviour with any girl unduly free. I found in it indeed an excess of coldness and indifference which seemed to be more than good breeding, to be a ruse planned to avert suspicion. When questioned by some girl, she had a quick, icy, decent way of replying in a very loud voice: “Yes, I shall be going to the tennis court about five. I shall bathe to-morrow morning about eight,” and of at once turning away from the person to whom she had said this — all of which had a horrible appearance of being meant to put people off the scent, and either to make an assignation, or, the assignation already made in a whisper, to utter this speech, harmless enough in itself, aloud, so as not to attract attention. And when later on I saw her mount her bicycle and scorch away into the distance, I could not help thinking that she was hurrying to overtake the girl to whom she had barely spoken.
Tout au plus, lorsque quelque belle jeune femme descendait d′automobile au coin de la plage, Albertine ne pouvait-elle s′empêcher de se retourner. Et elle expliquait aussitôt: «Je regardais le nouveau drapeau qu′ils ont mis devant les bains. Ils auraient pu faire plus de frais. L′autre était assez miteux. Mais je crois vraiment que celui-ci est encore plus moche.»   Only, when some handsome young woman stepped out of a motor-car at the end of the beach, Albertine could not help turning round. And she at once explained: “I was looking at the new flag they′ve put up over the bathing place. The old one was pretty moth-eaten. But I really think this one is mouldier still.”
Une fois Albertine ne se contenta pas de la froideur et je n′en fus que plus malheureux. Elle me savait ennuyé qu′elle pût quelquefois rencontrer une amie de sa tante, qui avait «mauvais genre» et venait quelquefois passer deux ou trois jours chez Mme Bontemps. Gentiment, Albertine m′avait dit qu′elle ne la saluerait plus. Et quand cette femme venait à Incarville, Albertine disait: A propos, vous savez qu′elle est ici. Est-ce qu′on vous l′a dit?» comme pour me montrer qu′elle ne la voyait pas en cachette. Un jour qu′elle me disait cela elle ajouta: «Oui je l′ai rencontrée sur la plage et exprès, par grossièreté, je l′ai presque frôlée en passant, je l′ai bousculée.» Quand Albertine me dit cela il me revint à la mémoire une phrase de Mme Bontemps à laquelle je n′avais jamais repensé, celle où elle avait dit devant moi à Mme Swann combien sa nièce Albertine était effrontée, comme si c′était une qualité, et comment elle avait dit à je ne sais plus quelle femme de fonctionnaire que le père de celle-ci avait été marmiton. Mais une parole de celle que nous aimons ne se conserve pas longtemps dans sa pureté; elle se gâte, elle se pourrit. Un ou deux soirs après, je repensai à la phrase d′Albertine, et ce ne fut plus la mauvaise éducation dont elle s′enorgueillissait — et qui ne pouvait que me faire sourire — qu′elle me sembla signifier, c′était autre chose, et qu′Albertine, même peut-être sans but précis, pour irriter les sens de cette dame ou lui rappeler méchamment d′anciennes propositions, peut-être acceptées autrefois, l′avait frôlée rapidement, pensait que je l′avais appris peut-être, comme c′était en public, et avait voulu d′avance prévenir une interprétation défavorable.   On one occasion Albertine was not content with cold indifference, and this made me all the more wretched. She knew that I was annoyed by the possibility of her sometimes meeting a friend of her aunt, who had a ‘bad style′ and came now and again to spend a few days with Mme. Bontemps. Albertine had pleased me by telling me that she would not speak to her again. And when this woman came to Incarville, Albertine said: “By the way, you know she′s here. Have they told you?” as though to shew me that she was not seeing her in secret. One day, when she told me this, she added: “Yes, I ran into her on the beach, and knocked against her as I passed, on purpose, to be rude to her.” When Albertine told me this, there came back to my mind a remark made by Mme. Bontemps, to which I had never given a second thought, when she had said to Mme. Swann in my presence how brazen her niece Albertine was, as though that were a merit, and told her how Albertine had reminded some official′s wife that her father had been employed in a kitchen. But a thing said by her whom we love does not long retain its purity; it withers, it decays. An evening or two later, I thought again of Albertine′s remark, and it was no longer the ill breeding of which she was so proud — and which could only make me smile — that it seemed to me to signify, it was something else, to wit that Albertine, perhaps even without any definite object, to irritate this woman′s senses, or wantonly to remind her of former proposals, accepted perhaps in the past, had swiftly brushed against her, thought that I had perhaps heard of this as it had been done in public, and had wished to forestall an unfavourable interpretation.
Au reste, ma jalousie causée par les femmes qu′aimait peut-être Albertine allait brusquement cesser.   However, the jealousy that was caused me by the women whom Albertine perhaps loved was abruptly to cease.
…   * * *
Nous étions, Albertine et moi, devant la station Balbec du petit train d′intérêt local. Nous nous étions fait conduire par l′omnibus de l′hôtel, à cause du mauvais temps. Non loin de nous était M. Nissim Bernard, lequel avait un oeil poché. Il trompait depuis peu l′enfant des choeurs d′Athalie avec le garçon d′une ferme assez achalandée du voisinage, «Aux Cerisiers». Ce garçon rouge, aux traits abrupts, avait absolument l′air d′avoir comme tête une tomate. Une tomate exactement semblable servait de tête à son frère jumeau. Pour le contemplateur désintéressé, il y a cela d′assez beau, dans ces ressemblances parfaites de deux jumeaux, que la nature, comme si elle s′était momentanément industrialisée, semble débiter des produits pareils. Malheureusement, le point de vue de M. Nissim Bernard était autre et cette ressemblance n′était qu′extérieure. La tomate n° 2 se plaisait avec frénésie à faire exclusivement les délices des dames, la tomate n° 1 ne détestait pas condescendre aux goûts de certains messieurs. Or chaque fois que, secoué, ainsi que par un réflexe, par le souvenir des bonnes heures passées avec la tomate n° 1, M. Bernard se présentait «Aux Cerisiers», myope (et du reste la myopie n′était pas nécessaire pour les confondre), le vieil Israélite, jouant sans le savoir Amphitryon, s′adressait au frère jumeau et lui disait: «Veux-tu me donner rendez-vous pour ce soir.» Il recevait aussitôt une solide «tournée». Elle vint même à se renouveler au cours d′un même repas, où il continuait avec l′autre les propos commencés avec le premier. A la longue elle le dégoûta tellement, par association d′idées, des tomates, même de celles comestibles, que chaque fois qu′il entendait un voyageur en commander à côté de lui, au Grand-Hôtel, il lui chuchotait: «Excusez-moi, Monsieur, de m′adresser à vous, sans vous connaître. Mais j′ai entendu que vous commandiez des tomates. Elles sont pourries aujourd′hui. Je vous le dis dans votre intérêt car pour moi cela m′est égal, je n′en prends jamais.» L′étranger remerciait avec effusion ce voisin philanthrope et désintéressé, rappelait le garçon, feignait de se raviser: «Non, décidément, pas de tomates.» Aimé, qui connaissait la scène, en riait tout seul et pensait: «C′est un vieux malin que Monsieur Bernard, il a encore trouvé le moyen de faire changer la commande.» M. Bernard, en attendant le tram en retard, ne tenait pas à nous dire bonjour, à Albertine et à moi, à cause de son oeil poché. Nous tenions encore moins à lui parler. C′eût été pourtant presque inévitable si, à ce moment-là, une bicyclette n′avait fondu à toute vitesse sur nous; le lift en sauta, hors d′haleine. Mme Verdurin avait téléphoné un peu après notre départ pour que je vinsse dîner, le surlendemain; on verra bientôt pourquoi. Puis après m′avoir donné les détails du téléphonage, le lift nous quitta, et comme ces «employés» démocrates, qui affectent l′indépendance à l′égard des bourgeois, et entre eux rétablissent le principe d′autorité, voulant dire que le concierge et le voiturier pourraient être mécontents s′il était en retard, il ajouta: «Je me sauve à cause de mes chefs.»   We were waiting, Albertine and I, at the Balbec station of the little local railway. We had driven there in the hotel omnibus, because it was raining. Not far away from us was M. Nissim Bernard, with a black eye. He had recently forsaken the chorister from Athalie for the waiter at a much frequented farmhouse in the neighbourhood, known as the ‘Cherry Orchard.′ This rubicund youth, with his blunt features, appeared for all the world to have a tomato instead of a head. A tomato exactly similar served as head to his twin brother. To the detached observer there is this attraction about these perfect resemblances between pairs of twins, that nature, becoming for the moment industrialised, seems to be offering a pattern for sale. Unfortunately M. Nissim Bernard looked at it from another point of view, and this resemblance was only external. Tomato II shewed a frenzied zeal in furnishing the pleasures exclusively of ladies, Tomato I did not mind condescending to meet the wishes of certain gentlemen. Now on each occasion when, stirred, as though by a reflex action, by the memory of pleasant hours spent with Tomato I, M. Bernard presented himself at the Cherry Orchard, being short-sighted (not that one need be short-sighted to mistake them), the old Israelite, unconsciously playing Amphitryon, would accost the twin brother with: “Will you meet me somewhere this evening?” He at once received a resounding smack in the face. It might even be repeated in the course of a single meal, when he continued with the second brother the conversation he had begun with the first. In the end this treatment so disgusted him, by association of ideas, with tomatoes, even of the edible variety, that whenever he heard a newcomer order that vegetable, at the next table to his own, in the Grand Hotel, he would murmur to him: “You must excuse me, Sir, for addressing you, without an introduction. But I heard you order tomatoes. They are stale to-day. I tell you in your own interest, for it makes no difference to me, I never touch them myself.” The stranger would reply with effusive thanks to this philanthropic and disinterested neighbour, call back the waiter, pretend to have changed his mind: “No, on second thoughts, certainly not, no tomatoes.” Aimé, who had seen it all before, would laugh to himself, and think: “He′s an old rascal, that Monsieur Bernard, he′s gone and made another of them change his order.” M. Bernard, as he waited for the already overdue tram, shewed no eagerness to speak to Albertine and myself, because of his black eye. We were even less eager to speak to him. It would however have been almost inevitable if, at that moment, a bicycle had not come dashing towards us; the lift-boy sprang from its saddle, breathless. Madame Verdurin had telephoned shortly after we left the hotel, to know whether I would dine with her two days later; we shall see presently why. Then, having given me the message in detail, the lift-boy left us, and, being one of these democratic ‘employees′ who affect independence with regard to the middle classes, and among themselves restore the principle of authority, explained: “I must be off, because of my chiefs.”
Les amies d′Albertine étaient parties pour quelque temps. Je voulais la distraire. A supposer qu′elle eût éprouvé du bonheur à passer les après-midi rien qu′avec moi, à Balbec, je savais qu′il ne se laisse jamais posséder complètement et qu′Albertine, encore à l′âge (que certains ne dépassent pas) où on n′a pas découvert que cette imperfection tient à celui qui éprouve le bonheur non à celui qui le donne, eût pu être tentée de faire remonter à moi la cause de sa déception. J′aimais mieux qu′elle l′imputât aux circonstances qui, par moi combinées, ne nous laisseraient pas la facilité d′être seuls ensemble, tout en l′empêchant de rester au Casino et sur la digue sans moi. Aussi je lui avais demandé ce jour-là de m′accompagner à Doncières où j′irais voir Saint–Loup. Dans ce même but de l′occuper, je lui conseillais la peinture, qu′elle avait apprise autrefois. En travaillant elle ne se demanderait pas si elle était heureuse ou malheureuse. Je l′eusse volontiers emmenée aussi dîner de temps en temps chez les Verdurin et chez les Cambremer qui, certainement, les uns et les autres, eussent volontiers reçu une amie présentée par moi, mais il fallait d′abord que je fusse certain que Mme Putbus n′était pas encore à la Raspelière. Ce n′était guère que sur place que je pouvais m′en rendre compte, et comme je savais d′avance que, le surlendemain, Albertine était obligée d′aller aux environs avec sa tante, j′en avais profité pour envoyer une dépêche à Mme Verdurin lui demandant si elle pourrait me recevoir le mercredi. Si Mme Putbus était là, je m′arrangerais pour voir sa femme de chambre, m′assurer s′il y avait un risque qu′elle vînt à Balbec, en ce cas savoir quand, pour emmener Albertine au loin ce jour-là. Le petit chemin de fer d′intérêt local, faisant une boucle qui n′existait pas quand je l′avais pris avec ma grand′mère, passait maintenant à Doncières-la-Goupil, grande station d′où partaient des trains importants, et notamment l′express par lequel j′étais venu voir Saint–Loup, de Paris, et y étais rentré. Et à cause du mauvais temps, l′omnibus du Grand-Hôtel nous conduisit, Albertine et moi, à la station de petit tram, Balbec-plage.   Albertine′s girl friends had gone, and would be away for some time. I was anxious to provide her with distractions. Even supposing that she might have found some happiness in spending the afternoons with no company but my own, at Balbec, I knew that such happiness is never complete, and that Albertine, being still at the age (which some of us never outgrow) when we have not yet discovered that this imperfection resides in the person who receives the happiness and not in the person who gives it, might have been tempted to put her disappointment down to myself. I preferred that she should impute it to circumstances which, arranged by myself, would not give us an opportunity of being alone together, while at the same time preventing her from remaining in the casino and on the beach without me. And so I had asked her that day to come with me to Doncières, where I was going to meet Saint-Loup. With a similar hope of occupying her mind, I advised her to take up painting, in which she had had lessons in the past. While working she would not ask herself whether she was happy or unhappy. I would gladly have taken her also to dine now and again with the Verdurins and the Cambremers, who certainly would have been delighted to see any friend introduced by myself, but I must first make certain that Mme. Putbus was not yet at la Raspelière. It was only by going there in person that I could make sure of this, and, as I knew beforehand that on the next day but one Albertine would be going on a visit with her aunt, I had seized this opportunity to send Mme. Verdurin a telegram asking her whether she would be at home upon Wednesday. If Mme. Putbus was there, I would manage to see her maid, ascertain whether there was any danger of her coming to Balbec, and if so find out when, so as to take Albertine out of reach on the day. The little local railway, making a loop which did not exist at the time when I had taken it with my grandmother, now extended to Doncières-la-Goupil, a big station at which important trains stopped, among them the express by which I had come down to visit Saint-Loup, from Paris, and the corresponding express by which I had returned. And, because of the bad weather, the omnibus from the Grand Hotel took Albertine and myself to the station of the little tram, Balbec-Plage.
Le petit chemin de fer n′était pas encore là, mais on voyait, oisif et lent, le panache de fumée qu′il avait laissé en route, et qui maintenant, réduit à ses seuls moyens de nuage peu mobile, gravissait lentement les pentes vertes de la falaise de Criquetot. Enfin le petit tram, qu′il avait précédé pour prendre une direction verticale, arriva à son tour, lentement. Les voyageurs qui allaient le prendre s′écartèrent pour lui faire place, mais sans se presser, sachant qu′ils avaient affaire à un marcheur débonnaire, presque humain et qui, guidé comme la bicyclette d′un débutant, par les signaux complaisants du chef de gare, sous la tutelle puissante du mécanicien, ne risquait de renverser personne et se serait arrêté où on aurait voulu.   The little train had not yet arrived, but one could see, lazy and slow, the plume of smoke that it had left in its wake, which, confined now to its own power of locomotion as an almost stationary cloud, was slowly mounting the green slope of the cliff of Criquetot. Finally the little tram, which it had preceded by taking a vertical course, arrived in its turn, at a leisurely crawl. The passengers who were waiting to board it stepped back to make way for it, but without hurrying, knowing that they were dealing with a good-natured, almost human traveller, who, guided like the bicycle of a beginner, by the obliging signals of the station-master, in the strong hands of the engine-driver, was in no danger of running over anybody, and would come to a halt at the proper place.
Ma dépêche expliquait le téléphonage des Verdurin et elle tombait d′autant mieux que le mercredi (le surlendemain se trouvait être un mercredi) était jour de grand dîner pour Mme Verdurin, à la Raspelière comme à Paris, ce que j′ignorais. Mme Verdurin ne donnait pas de «dîners», mais elle avait des «mercredis». Les mercredis étaient des oeuvres d′art. Tout en sachant qu′ils n′avaient leurs pareils nulle part, Mme Verdurin introduisait entre eux des nuances. «Ce dernier mercredi ne valait pas le précédent, disait-elle. Mais je crois que le prochain sera un des plus réussis que j′aie jamais donnés.» Elle allait parfois jusqu′à avouer: «Ce mercredi-ci n′était pas digne des autres. En revanche, je vous réserve une grosse surprise pour le suivant.» Dans les dernières semaines de la saison de Paris, avant de partir pour la campagne, la Patronne annonçait la fin des mercredis. C′était une occasion de stimuler les fidèles: «Il n′y a plus que trois mercredis, il n′y en a plus que deux, disait-elle du même ton que si le monde était sur le point de finir. Vous n′allez pas lâcher mercredi prochain pour la clôture.» Mais cette clôture était factice, car elle avertissait: «Maintenant, officiellement il n′y a plus de mercredis. C′était le dernier pour cette année. Mais je serai tout de même là le mercredi. Nous ferons mercredi entre nous; qui sait? ces petits mercredis intimes, ce seront peut-être les plus agréables.» A la Raspelière, les mercredis étaient forcément restreints, et comme, selon qu′on avait rencontré un ami de passage, on l′avait invité tel ou tel soir, c′était presque tous les jours mercredi. «Je ne me rappelle pas bien le nom des invités, mais je sais qu′il y a Madame la marquise de Camembert», m′avait dit le lift; le souvenir de nos explications relatives aux Cambremer n′était pas arrivé à supplanter définitivement celui du mot ancien, dont les syllabes familières et pleines de sens venaient au secours du jeune employé quand il était embarrassé pour ce nom difficile, et étaient immédiatement préférées et réadoptées par lui, non pas paresseusement et comme un vieil usage indéracinable, mais à cause du besoin de logique et de clarté qu′elles satisfaisaient.   My telegram explained the Verdurins′ telephone message and had been all the more opportune since Wednesday (the day I had fixed happened to be a Wednesday) was the day set apart for dinner-parties by Mme. Verdurin, at la Raspelière, as in Paris, a fact of which I was unaware. Mme. Verdurin did not give ‘dinners,′ but she had ‘Wednesdays.′ These Wednesdays were works of art. While fully conscious that they had not their match anywhere, Mme. Verdurin introduced shades of distinction between them. “Last Wednesday was not as good as the one before,” she would say. “But I believe the next will be one of the best I have ever given.” Sometimes she went so far as to admit: “This Wednesday was not worthy of the others. But I have a big surprise for you next week.” In the closing weeks of the Paris season, before leaving for the country, the Mistress would announce the end of the Wednesdays. It gave her an opportunity to stimulate the faithful. “There are only three more Wednesdays left, there are only two more,” she would say, in the same tone as though the world were coming to an end. “You aren′t going to miss next Wednesday, for the finale.” But this finale was a sham, for she would announce: “Officially, there will be no more Wednesdays. To-day was the last for this year. But I shall be at home all the same on Wednesday. We shall have a little Wednesday to ourselves; I dare say these little private Wednesdays will be the nicest of all.” At la Raspelière, the Wednesdays were of necessity restricted, and since, if they had discovered a friend who was passing that way, they would invite him for one or another evening, almost every day of the week became a Wednesday. “I don′t remember all the guests, but I know there′s Madame la Marquise de Camembert,” the liftboy had told me; his memory of our discussion of the name Cambremer had not succeeded in definitely supplanting that of the old world, whose syllables, familiar and full of meaning, came to the young employee′s rescue when he was embarrassed by this difficult name, and were immediately preferred and readopted by him, not by any means from laziness or as an old and ineradicable usage, but because of the need for logic and clarity which they satisfied.
Nous nous hâtâmes pour gagner un wagon vide où je pusse embrasser Albertine tout le long du trajet. N′ayant rien trouvé nous montâmes dans un compartiment où était déjà installée une dame à figure énorme, laide et vieille, à l′expression masculine, très endimanchée, et qui lisait la Revue des Deux–Mondes. Malgré sa vulgarité, elle était prétentieuse dans ses goûts, et je m′amusai à me demander à quelle catégorie sociale elle pouvait appartenir; je conclus immédiatement que ce devait être quelque tenancière de grande maison de filles, une maquerelle en voyage. Sa figure, ses manières le criaient. J′avais ignoré seulement jusque-là que ces dames lussent la Revue des Deux–Mondes. Albertine me la montra, non sans cligner de l′oeil en me souriant. La dame avait l′air extrêmement digne; et comme, de mon côté, je portais en moi la conscience que j′étais invité pour le lendemain, au point terminus de la ligne du petit chemin de fer, chez la célèbre Mme Verdurin, qu′à une station intermédiaire j′étais attendu par Robert de Saint–Loup, et qu′un peu plus loin j′aurais fait grand plaisir à Mme de Cambremer en venant habiter Féterne, mes yeux pétillaient d′ironie en considérant cette dame importante qui semblait croire qu′à cause de sa mise recherchée, des plumes de son chapeau, de sa Revue des Deux–Mondes, elle était un personnage plus considérable que moi. J′espérais que la dame ne resterait pas beaucoup plus que M. Nissim Bernard et qu′elle descendrait au moins à Toutainville, mais non. Le train s′arrêta à Evreville, elle resta assise. De même à Montmartin-sur-Mer, à Parville-la-Bingard, à Incarville, de sorte que, de désespoir, quand le train eut quitté Saint–Frichoux, qui était la dernière station avant Doncières, je commençai à enlacer Albertine sans m′occuper de la dame. A Doncières, Saint–Loup était venu m′attendre à la gare, avec les plus grandes difficultés, me dit-il, car, habitant chez sa tante, mon télégramme ne lui était parvenu qu′à l′instant et il ne pourrait, n′ayant pu arranger son temps d′avance, me consacrer qu′une heure. Cette heure me parut, hélas! bien trop longue car, à peine descendus du wagon, Albertine ne fit plus attention qu′à Saint–Loup. Elle ne causait pas avec moi, me répondait à peine si je lui adressais la parole, me repoussa quand je m′approchai d′elle. En revanche, avec Robert, elle riait de son rire tentateur, elle lui parlait avec volubilité, jouait avec le chien qu′il avait, et, tout en agaçant la bête, frôlait exprès son maître. Je me rappelai que, le jour où Albertine s′était laissé embrasser par moi pour la première fois, j′avais eu un sourire de gratitude pour le séducteur inconnu qui avait amené en elle une modification si profonde et m′avait tellement simplifié la tâche. Je pensais à lui maintenant avec horreur. Robert avait dû se rendre compte qu′Albertine ne m′était pas indifférente, car il ne répondit pas à ses agaceries, ce qui la mit de mauvaise humeur contre moi; puis il me parla comme si j′étais seul, ce qui, quand elle l′eût remarqué, me fit remonter dans son estime. Robert me demanda si je ne voulais pas essayer de trouver, parmi les amis avec lesquels il me faisait dîner chaque soir à Doncières quand j′y avais séjourné, ceux qui y étaient encore. Et comme il donnait lui-même dans le genre de prétention agaçante qu′il réprouvait: «A quoi ça te sert-il d′avoir fait du charme pour eux avec tant de persévérance si tu ne veux pas les revoir?» je déclinai sa proposition, car je ne voulais pas risquer de m′éloigner d′Albertine, mais aussi parce que maintenant j′étais détaché d′eux. D′eux, c′est-à-dire de moi. Nous désirons passionnément qu′il y ait une autre vie où nous serions pareils à ce que nous sommes ici-bas. Mais nous ne réfléchissons pas que, même sans attendre cette autre vie, dans celle-ci, au bout de quelques années, nous sommes infidèles à ce que nous avons été, à ce que nous voulions rester immortellement. Même sans supposer que la mort nous modifiât plus que ces changements qui se produisent au cours de la vie, si, dans cette autre vie, nous rencontrions le moi que nous avons été, nous nous détournerions de nous comme de ces personnes avec qui on a été lié mais qu′on n′a pas vues depuis longtemps — par exemple les amis de Saint–Loup qu′il me plaisait tant chaque soir de retrouver au Faisan Doré et dont la conversation ne serait plus maintenant pour moi qu′importunité et que gêne. A cet égard, parce que je préférais ne pas aller y retrouver ce qui m′y avait plu, une promenade dans Doncières aurait pu me paraître préfigurer l′arrivée au paradis. On rêve beaucoup du paradis, ou plutôt de nombreux paradis successifs, mais ce sont tous, bien avant qu′on ne meure, des paradis perdus, et où l′on se sentirait perdu.   We hastened in search of an empty carriage in which I could hold Albertine in my arms throughout the journey. Having failed to find one, we got into a compartment in which there was already installed a lady with a massive face, old and ugly, with a masculine expression, very much in her Sunday best, who was reading the Revue des Deux Mondes. Notwithstanding her commonness, she was eclectic in her tastes, and I found amusement in asking myself to what social category she could belong; I at once concluded that she must be the manager of some large brothel, a procuress on holiday. Her face, her manner, proclaimed the fact aloud. Only, I had never yet supposed that such ladies read the Revue des Deux Mondes. Albertine drew my attention to her with a wink and a smile. The lady wore an air of extreme dignity; and as I, for my part, bore within me the consciousness that I was invited, two days later, to the terminal point of the little railway, by the famous Mme. Verdurin, that at an intermediate station I was awaited by Robert de Saint-Loup, and that a little farther on I had it in my power to give great pleasure to Mme. de Cambremer, by going to stay at Féterne, my eyes sparkled with irony as I studied this self-important lady who seemed to think that, because of her elaborate attire, the feathers in her hat, her Revue des Deux Mondes, she was a more considerable personage than myself. I hoped that the lady would not remain in the train much longer than M. Nissim Bernard, and that she would alight at least at Toutainville, but no. The train stopped at Evreville, she remained seated. Similarly at Montmartin-sur-Mer, at Parville-la-Bingard, at Incarville, so that in despair, when the train had left Saint-Frichoux, which was the last station before Doncières, I began to embrace Albertine without bothering about the lady. At Doncières, Saint-Loup had come to meet me at the station, with the greatest difficulty, he told me, for, as he was staying with his aunt, my telegram had only just reached him and he could not, having been unable to make any arrangements beforehand, spare me more than an hour of his time. This hour seemed to me, alas, far too long, for as soon as we had left the train Albertine devoted her whole attention to Saint-Loup. She never talked to me, barely answered me if I addressed her, repulsed me when I approached her. With Robert, on the other hand, she laughed her provoking laugh, talked to him volubly, played with the dog he had brought with him, and, as she excited the animal, deliberately rubbed against its master. I remembered that, on the day when Albertine had allowed me to kiss her for the first time, I had had a smile of gratitude for the unknown seducer who had wrought so profound a change in her and had so far simplified my task. I thought of him now with horror. Robert must have noticed that I was not unconcerned about Albertine, for he offered no response to her provocations, which made her extremely annoyed with myself; then he spoke to me as though I had been alone, which, when she realised it, raised me again in her esteem. Robert asked me if I would not like to meet those of his friends with whom he used to make me dine every evening at Doncières, when I was staying there, who were still in the garrison. And as he himself adopted that irritating manner which he rebuked in others: “What is the good of your having worked so hard to charm them if you don′t want to see them again?” I declined his offer, for I did not wish to run any risk of being parted from Albertine, but also because now I was detached from them. From them, which is to say from myself. We passionately long that there may be another life in which we shall be similar to what we are here below. But we do not pause to reflect that, even without waiting for that other life, in this life, after a few years we are unfaithful to what we have been, to what we wished to remain immortally. Even without supposing that death is to alter us more completely than the changes that occur in the course of a lifetime, if in that other life we were to encounter the self that we have been, we should turn away from ourselves as from those people with whom we were once on friendly terms but whom we have not seen for years — such as Saint-Loup′s friends whom I used so much to enjoy meeting again every evening at the Faisan Doré, and whose conversation would now have seemed to me merely a boring importunity. In this respect, and because I preferred not to go there in search of what had pleased me there in the past, a stroll through Doncières might have seemed to me a prefiguration of an arrival in Paradise. We dream much of Paradise, or rather of a number of successive Paradises, but each of them is, long before we die, a Paradise lost, in which we should feel ourselves lost also.
Il nous laissa à la gare. «Mais tu peux avoir près d′une heure à attendre, me dit-il. Si tu la passes ici tu verras sans doute mon oncle Charlus qui reprend tantôt le train pour Paris, dix minutes avant le tien. Je lui ai déjà fait mes adieux parce que je suis obligé d′être rentré avant l′heure de son train. Je n′ai pu lui parler de toi puisque je n′avais pas encore eu ton télégramme.» Aux reproches que je fis à Albertine quand Saint–Loup nous eut quittés, elle me répondit qu′elle avait voulu, par sa froideur avec moi, effacer à tout hasard l′idée qu′il avait pu se faire si, au moment de l′arrêt du train, il m′avait vu penché contre elle et mon bras passé autour de sa taille. Il avait, en effet, remarqué cette pose (je ne l′avais pas aperçu, sans cela je me fusse placé plus correctement à côté d′Albertine) et avait eu le temps de me dire à l′oreille: «C′est cela, ces jeunes filles si pimbêches dont tu m′as parlé et qui ne voulaient pas fréquenter Mlle de Stermaria parce qu′elles lui trouvaient mauvaise façon?» J′avais dit, en effet, à Robert, et très sincèrement, quand j′étais allé de Paris le voir à Doncières et comme nous reparlions de Balbec, qu′il n′y avait rien à faire avec Albertine, qu′elle était la vertu même. Et maintenant que, depuis longtemps, j′avais, par moi-même, appris que c′était faux, je désirais encore plus que Robert crût que c′était vrai. Il m′eût suffi de dire à Robert que j′aimais Albertine. Il était de ces êtres qui savent se refuser un plaisir pour épargner à leur ami des souffrances qu′ils ressentiraient encore si elles étaient les leurs. «Oui, elle est très enfant. Mais tu ne sais rien sur elle? ajoutai-je avec inquiétude. — Rien, sinon que je vous ai vus posés comme deux amoureux.»   He left us at the station. “But you may have about an hour to wait,” he told me. “If you spend it here, you will probably see my uncle Charlus, who is going by the train to Paris, ten minutes before yours. I have said good-bye to him already, because I have to go back before his train starts. I didn′t tell him about you, because I hadn′t got your telegram.” To the reproaches which I heaped upon Albertine when Saint-Loup had left us, she replied that she had intended, by her coldness towards me, to destroy any idea that he might have formed if, at the moment when the train stopped, he had seen me leaning against her with my arm round her waist. He had indeed noticed this attitude (I had not caught sight of him, otherwise I should have adopted one that was more correct), and had had time to murmur in my ear: “So that′s how it is, one of those priggish little girls you told me about, who wouldn′t go near Mlle. de Stermaria because they thought her fast?” I had indeed mentioned to Robert, and in all sincerity, when I went down from Paris to visit him at Doncières, and when we were talking about our time at Balbec, that there was nothing to be had from Albertine, that she was the embodiment of virtue. And now that I had long since discovered for myself that this was false, I was even more anxious that Robert should believe it to be true. It would have been sufficient for me to tell Robert that I was in love with Albertine. He was one of those people who are capable of denying themselves a pleasure to spare their friend sufferings which they would feel even more keenly if they themselves were the victims. “Yes, she is still rather childish. But you don′t know anything against her?” I added anxiously. “Nothing, except that I saw you clinging together like a pair of lovers.”
«Votre attitude n′effaçait rien du tout, dis-je à Albertine quand Saint–Loup nous eut quittés. — C′est vrai, me dit-elle, j′ai été maladroite, je vous ai fait de la peine, j′en suis bien plus malheureuse que vous. Vous verrez que jamais je ne serai plus comme cela; pardonnez-moi», me dit-elle en me tendant la main d′un air triste. A ce moment, du fond de la salle d′attente où nous étions assis, je vis passer lentement, suivi à quelque distance d′un employé qui portait ses valises, M. de Charlus.   “Your attitude destroyed absolutely nothing,” I told Albertine when Saint-Loup had left us. “Quite true,” she said to me, “it was stupid of me, I hurt your feelings, I′m far more unhappy about it than you are. You′ll see, I shall never be like that again; forgive me,” she pleaded, holding out her hand with a sorrowful air. At that moment, from the entrance to the waiting-room in which we were sitting, I saw advance slowly, followed at a respectful distance by a porter loaded with his baggage, M. de Charlus.
A Paris, où je ne le rencontrais qu′en soirée, immobile, sanglé dans un habit noir, maintenu dans le sens de la verticale par son fier redressement, son élan pour plaire, la fusée de sa conversation, je ne me rendais pas compte à quel point il avait vieilli. Maintenant, dans un complet de voyage clair qui le faisait paraître plus gros, en marche et se dandinant, balançant un ventre qui bedonnait et un derrière presque symbolique, la cruauté du grand jour décomposait sur les lèvres, en fard, en poudre de riz fixée par le cold cream, sur le bout du nez, en noir sur les moustaches teintes dont la couleur d′ébène contrastait avec les cheveux grisonnants, tout ce qui aux lumières eût semblé l′animation du teint chez un être encore jeune.   In Paris, where I encountered him only in evening dress, immobile, straitlaced in a black coat, maintained in a vertical posture by his proud aloofness, his thirst for admiration, the soar of his conversation, I had never realised how far he had aged. Now, in a light travelling suit which made him appear stouter, as he swaggered through the room, balancing a pursy stomach and an almost symbolical behind, the cruel light of day broke up into paint, upon his lips, rice-powder fixed by cold cream, on the tip of his nose, black upon his dyed moustaches whose ebon tint formed a contrast to his grizzled hair, all that by artificial light had seemed the animated colouring of a man who was still young.
Tout en causant avec lui, mais brièvement, à cause de son train, je regardais le wagon d′Albertine pour lui faire signe que je venais. Quand je détournai la tête vers M. de Charlus, il me demanda de vouloir bien appeler un militaire, parent à lui, qui était de l′autre côté de la voie exactement comme s′il allait monter dans notre train, mais en sens inverse, dans la direction qui s′éloignait de Balbec. «Il est dans la musique du régiment, me dit M. de Charlus. Vous avez la chance d′être assez jeune, moi, l′ennui d′être assez vieux pour que vous puissiez m′éviter de traverser et d′aller jusque-là.» Je me fis un devoir d′aller vers le militaire désigné, et je vis, en effet, aux lyres brodées sur son col qu′il était de la musique. Mais au moment où j′allais m′acquitter de ma commission, quelle ne fut pas ma surprise, et je peux dire mon plaisir, en reconnaissant Morel, le fils du valet de chambre de mon oncle et qui me rappelait tant de choses. J′en oubliai de faire la commission de M. de Charlus. «Comment, vous êtes à Doncières? — Oui et on m′a incorporé dans la musique, au service des batteries.» Mais il me répondit cela d′un ton sec et hautain. Il était devenu très «poseur» et évidemment ma vue, en lui rappelant la profession de son père, ne lui était pas agréable. Tout d′un coup je vis M. de Charlus fondre sur nous. Mon retard l′avait évidemment impatienté. «Je désirerais entendre ce soir un peu de musique, dit-il à Morel sans aucune entrée en matière, je donne 500 francs pour la soirée, cela pourrait peut-être avoir quelque intérêt pour un de vos amis, si vous en avez dans la musique.» J′avais beau connaître l′insolence de M. de Charlus, je fus stupéfait qu′il ne dît même pas bonjour à son jeune ami. Le baron ne me laissa pas, du reste, le temps de la réflexion. Me tendant affectueusement la main: «Au revoir, mon cher», me dit-il pour me signifier que je n′avais qu′à m′en aller. Je n′avais, du reste, laissé que trop longtemps seule ma chère Albertine. «Voyez-vous, lui dis-je en remontant dans le wagon, la vie de bains de mer et la vie de voyage me font comprendre que le théâtre du monde dispose de moins de décors que d′acteurs et de moins d′acteurs que de «situations». — A quel propos me dites-vous cela? — Parce que M. de Charlus vient de me demander de lui envoyer un de ses amis, que juste, à l′instant, sur le quai de cette gare, je viens de reconnaître pour l′un des miens.» Mais, tout en disant cela, je cherchais comment le baron pouvait connaître la disproportion sociale à quoi je n′avais pas pensé. L′idée me vint d′abord que c′était par Jupien, dont la fille, on s′en souvient, avait semblé s′éprendre du violoniste. Ce qui me stupéfiait pourtant, c′est que, avant de partir pour Paris dans cinq minutes, le baron demandât à entendre de la musique. Mais revoyant la fille de Jupien dans mon souvenir, je commençais à trouver que les «reconnaissances» exprimeraient au contraire une part importante de la vie, si on savait aller jusqu′au romanesque vrai, quand tout d′un coup j′eus un éclair et compris que j′avais été bien na M. de Charlus ne connaissait pas le moins du monde Morel, ni Morel M. de Charlus, lequel, ébloui mais aussi intimidé par un militaire qui ne portait pourtant que des lyres, m′avait requis, dans son émotion, pour lui amener celui qu′il ne soupçonnait pas que je connusse. En tout cas l′offre des 500 francs avait dû remplacer pour Morel l′absence de relations antérieures, car je les vis qui continuaient à causer sans penser qu′ils étaient à. côté de notre tram. Et me rappelant la façon dont M. de Charlus était venu vers Morel et moi, je saisissais sa ressemblance avec certains de ses parents quand ils levaient une femme dans la rue. Seulement l′objet visé avait changé de sexe. A partir d′un certain âge, et même si des évolutions différentes s′accomplissent en nous, plus on devient soi, plus les traits familiaux s′accentuent. Car la nature, tout en continuant harmonieusement le dessin de sa tapisserie, interrompt la monotonie de la composition grâce à la variété des figures interceptées. Au reste, la hauteur avec laquelle M. de Charlus avait toisé le violoniste est relative selon le point de vue auquel on se place. Elle eût été reconnue par les trois quarts des gens du monde, qui s′inclinaient, non pas par le préfet de police qui, quelques années plus tard, le faisait surveiller. «Voyez-vous, lui dis-je en remontant dans le wagon, la vie de bains de mer et la vie de voyage me font comprendre que le théâtre du monde dispose de moins de décors que d′acteurs et de moins d′acteurs que de «situations». — A quel propos me dites-vous cela? — Parce que M. de Charlus vient de me demander de lui envoyer un de ses amis, que juste, à l′instant, sur le quai de cette gare, je viens de reconnaître pour l′un des miens.» Mais, tout en disant cela, je cherchais comment le baron pouvait connaître la disproportion sociale à quoi je n′avais pas pensé. L′idée me vint d′abord que c′était par Jupien, dont la fille, on s′en souvient, avait semblé s′éprendre du violoniste. Ce qui me stupéfiait pourtant, c′est que, avant de partir pour Paris dans cinq minutes, le baron demandât à entendre de la musique. Mais revoyant la fille de Jupien dans mon souvenir, je commençais à trouver que les «reconnaissances» exprimeraient au contraire une part importante de la vie, si on savait aller jusqu′au romanesque vrai, quand tout d′un coup j′eus un éclair et compris que j′avais été bien na M. de Charlus ne connaissait pas le moins du monde Morel, ni Morel M. de Charlus, lequel, ébloui mais aussi intimidé par un militaire qui ne portait pourtant que des lyres, m′avait requis, dans son émotion, pour lui amener celui qu′il ne soupçonnait pas que je connusse. En tout cas l′offre des 500 francs avait dû remplacer pour Morel l′absence de relations antérieures, car je les vis qui continuaient à causer sans penser qu′ils étaient à. côté de notre tram. Et me rappelant la façon dont M. de Charlus était venu vers Morel et moi, je saisissais sa ressemblance avec certains de ses parents quand ils levaient une femme dans la rue. Seulement l′objet visé avait changé de sexe. A partir d′un certain âge, et même si des évolutions différentes s′accomplissent en nous, plus on devient soi, plus les traits familiaux s′accentuent. Car la nature, tout en continuant harmonieusement le dessin de sa tapisserie, interrompt la monotonie de la composition grâce à la variété des figures interceptées. Au reste, la hauteur avec laquelle M. de Charlus avait toisé le violoniste est relative selon le point de vue auquel on se place. Elle eût été reconnue par les trois quarts des gens du monde, qui s′inclinaient, non pas par le préfet de police qui, quelques années plus tard, le faisait surveiller.   While I stood talking to him, though briefly, because of his train, I kept my eye on Albertine′s carriage to shew her that I was coming. When I turned my head towards M. de Charlus, he asked me to be so kind as to summon a soldier, a relative of his, who was standing on the other side of the platform, as though he were waiting to take our train, but in the opposite direction, away from Balbec. “He is in his regimental band,” said M. de Charlus. “As you are so fortunate as to be still young enough, and I unfortunately am old enough for you to save me the trouble of going across to him.” I took it upon myself to go across to the soldier he pointed out to me, and saw from the lyres embroidered on his collar that he was a bandsman. But, just as I was preparing to execute my commission, what was my surprise, and, I may say, my pleasure, on recognising Morel, the son of my uncle′s valet, who recalled to me so many memories. They made me forget to convey M. de Charlus′s message. “What, you are at Doncières?” “Yes, and they′ve put me in the band attached to the batteries.” But he made this answer in a dry and haughty tone. He had become an intense ‘poseur,′ and evidently the sight of myself, reminding him of his father′s profession, was not pleasing to him. Suddenly I saw M. de Charlus descending upon us. My delay had evidently taxed his patience. “I should like to listen to a little music this evening,” he said to Morel without any preliminaries, “I pay five hundred francs for the evening, which may perhaps be of interest to one of your friends, if you have any in the band.” Knowing as I did the insolence of M. de Charlus, I was astonished at his not even saying how d′ye do to his young friend. The Baron did not however give me time to think. Holding out his hand in the friendliest manner: “Good-bye, my dear fellow,” he said, as a hint that I might now leave them. I had, as it happened, left my dear Albertine too long alone. “D′you know,” I said to her as I climbed into the carriage, “life by the sea-side and travelling make me realise that the theatre of the world is stocked with fewer settings than actors, and with fewer actors than situations.” “What makes you say that?” “Because M. de Charlus asked me just now to fetch one of his friends, whom, this instant, on the platform of this station, I have just discovered to be one of my own.” But as I uttered these words, I began to wonder how the Baron could have bridged the social gulf to which I had not given a thought. It occurred to me first of all that it might be through Jupien, whose niece, as the reader may remember, had seemed to shew a preference for the violinist. What did baffle me completely was that, when due to leave for Paris in five minutes, the Baron should have asked for a musical evening. But, visualising Jupien′s niece again in my memory, I was beginning to find that ‘recognitions′ did indeed play an important part in life, when all of a sudden the truth flashed across my mind and I realised that I had been absurdly innocent. M. de Charlus had never in his life set eyes upon Morel, nor Morel upon M. de Charlus, who, dazzled but also terrified by a warrior, albeit he bore no weapon but a lyre, had called upon me in his emotion to bring him the person whom he never suspected that I already knew. In any case, the offer of five hundred francs must have made up to Morel for the absence of any previous relations, for I saw that they continued to talk, without reflecting that they were standing close beside our tram. As I recalled the manner in which M. de Charlus had come up to Morel and myself, I saw at once the resemblance to certain of his relatives, when they picked up a woman in the street. Only the desired object had changed its sex. After a certain age, and even if different evolutions are occurring in us, the more we become ourselves, the more our characteristic features are accentuated. For Nature, while harmoniously contributing the design of her tapestry, breaks the monotony of the composition thanks to the variety of the intercepted forms. Besides, the arrogance with which M. de Charlus had accosted the violinist is relative, and depends upon the point of view one adopts. It would have been recognised by three out of four of the men in society who nodded their heads to him, not by the prefect of police who, a few years later, was to keep him under observation.
«Le train de Paris est signalé, Monsieur», dit l′employé qui portait les valises. «Mais je ne prends pas le train, mettez tout cela en consigne, que diable!» dit M. de Charlus en donnant vingt francs à l′employé stupéfait du revirement et charmé du pourboire. Cette générosité attira aussitôt une marchande de fleurs. «Prenez ces oeillets, tenez, cette belle rose, mon bon Monsieur, cela vous portera bonheur.» M. de Charlus, impatienté, lui tendit quarante sous, en échange de quoi la femme offrit ses bénédictions et derechef ses fleurs. «Mon Dieu, si elle pouvait nous laisser tranquilles, dit M. de Charlus en s′adressant d′un ton ironique et gémissant, et comme un homme énervé, à Morel à qui il trouvait quelque douceur de demander appui, ce que nous avons à dire est déjà assez compliqué.» Peut-être, l′employé de chemin de fer n′étant pas encore très loin, M. de Charlus ne tenait-il pas à avoir une nombreuse audience, peut-être ces phrases incidentes permettaient-elles à sa timidité hautaine de ne pas aborder trop directement la demande de rendez-vous. Le musicien, se tournant d′un air franc, impératif et décidé vers la marchande de fleurs, leva vers elle une paume qui la repoussait et lui signifiait qu′on ne voulait pas de ses fleurs et qu′elle eût à fiche le camp au plus vite. M. de Charlus vit avec ravissement ce geste autoritaire et viril, manié par la main gracieuse pour qui il aurait dû être encore trop lourd, trop massivement brutal, avec une fermeté et une souplesse précoces qui donnaient à cet adolescent encore imberbe l′air d′un jeune David capable d′assumer un combat contre Goliath. L′admiration du baron était involontairement mêlée de ce sourire que nous éprouvons à voir chez un enfant une expression d′une gravité au-dessus de son âge. «Voilà quelqu′un par qui j′aimerais être accompagné dans mes voyages et aidé dans mes affaires. Comme il simplifierait ma vie», se dit M. de Charlus.   “The Paris train is signalled, Sir,” said the porter who was carrying his luggage. “But I am not going by the train, put it in the cloakroom, damn you!” said M. de Charlus, as he gave twenty francs to the porter, astonished by the change of plan and charmed by the tip. This generosity at once attracted a flower-seller. “Buy these carnations, look, this lovely rose, kind gentlemen, it will bring you luck.” M. de Charlus, out of patience, handed her a couple of francs, in exchange for which the woman gave him her blessing, and her flowers as well. “Good God, why can′t she leave us alone,” said M. de Charlus, addressing himself in an ironical and complaining tone, as of a man distraught, to Morel, to whom he found a certain comfort in appealing. “We′ve quite enough to talk about as it is.” Perhaps the porter was not yet out of earshot, perhaps M. de Charlus did not care to have too numerous an audience, perhaps these incidental remarks enabled his lofty timidity not to approach too directly the request for an assignation. The musician, turning with a frank, imperative and decided air to the flower-seller, raised a hand which repulsed her and indicated to her that they did not want her flowers and that she was to get out of their way as quickly as possible. M. de Charlus observed with ecstasy this authoritative, virile gesture, made by the graceful hand for which it ought still to have been too weighty, too massively brutal, with a precocious firmness and suppleness which gave to this still beardless adolescent the air of a young David capable of waging war against Goliath. The Baron′s admiration was unconsciously blended with the smile with which we observe in a child an expression of gravity beyond his years. “This is a person whom I should like to accompany me on my travels and help me in my business. How he would simplify my life,” M. de Charlus said to himself.
Le train de Paris (que le baron ne prit pas) partit. Puis nous montâmes dans le nôtre, Albertine et moi, sans que j′eusse su ce qu′étaient devenus M. de Charlus et Morel. «Il ne faut plus jamais nous fâcher, je vous demande encore pardon, me redit Albertine en faisant allusion à l′incident Saint–Loup. Il faut que nous soyons toujours gentils tous les deux, me dit-elle tendrement. Quant à votre ami Saint–Loup, si vous croyez qu′il m′intéresse en quoi que ce soit vous vous trompez bien. Ce qui me plaît seulement en lui, c′est qu′il a l′air de tellement vous aimer. — C′est un très bon garçon, dis-je en me gardant de prêter à Robert des qualités supérieures imaginaires, comme je n′aurais pas manqué de faire par amitié pour lui si j′avais été avec toute autre personne qu′Albertine. C′est un être excellent, franc, dévoué, loyal, sur qui on peut compter pour tout.» En disant cela je me bornais, retenu par ma jalousie, à dire au sujet de Saint–Loup la vérité, mais aussi c′était bien la vérité que je disais. Or elle s′exprimait exactement dans les mêmes termes dont s′était servie pour me parler de lui Mme de Villeparisis, quand je ne le connaissais pas encore, l′imaginais si différent, si hautain et me disais: «On le trouve bon parce que c′est un grand seigneur.» De même quand elle m′avait dit: «Il serait si heureux», je me figurai, après l′avoir aperçu devant l′hôtel, prêt à mener, que les paroles de sa tante étaient pure banalité mondaine, destinées à me flatter. Et je m′étais rendu compte ensuite qu′elle l′avait dit sincèrement, en pensant à ce qui m′intéressait, à mes lectures, et parce qu′elle savait que c′était cela qu′aimait Saint–Loup, comme il devait m′arriver de dire sincèrement à quelqu′un faisant une histoire de son ancêtre La Rochefoucauld, l′auteur des Maximes, et qui eût voulu aller demander des conseils à Robert: «Il sera si heureux.» C′est que j′avais appris à le connaître. Mais, en le voyant la première fois, je n′avais pas cru qu′une intelligence parente de la mienne pût s′envelopper de tant d′élégance extérieure de vêtements et d′attitude. Sur son plumage je l′avais jugé d′une autre espèce. C′était Albertine maintenant qui, peut-être un peu parce que Saint–Loup, par bonté pour moi, avait été si froid avec elle, me dit ce que j′avais pensé autrefois: «Ah! il est si dévoué que cela! Je remarque qu′on trouve toujours toutes les vertus aux gens quand ils sont du faubourg Saint–Germain.» Or, que Saint–Loup fût du faubourg Saint–Germain, c′est à quoi je n′avais plus songé une seule fois au cours de ces années où, se dépouillant de son prestige, il m′avait manifesté ses vertus. Changement de perspective pour regarder les êtres, déjà plus frappant dans l′amitié que dans les simples relations sociales, mais combien plus encore dans l′amour, où le désir a une échelle si vaste, grandit à des proportions telles les moindres signes de froideur, qu′il m′en avait fallu bien moins que celle qu′avait au premier abord Saint–Loup pour que je me crusse tout d′abord dédaigné d′Albertine, que je m′imaginasse ses amies comme des êtres merveilleusement inhumains, et que je n′attachasse qu′à l′indulgence qu′on a pour la beauté et pour une certaine élégance le jugement d′Elstir quand il me disait de la petite bande, tout à fait dans le même sentiment que Mme de Villeparisis de Saint–Loup: «Ce sont de bonnes filles.» Or ce jugement, n′est-ce pas celui que j′eusse volontiers porté quand j′entendais Albertine dire: «En tout cas, dévoué ou non, j′espère bien ne plus le revoir puisqu′il a amené de la brouille entre nous. Il ne faut plus se fâcher tous les deux. Ce n′est pas gentil?» Je me sentais, puisqu′elle avait paru désirer Saint–Loup, à peu près guéri pour quelque temps de l′idée qu′elle aimait les femmes, ce que je me figurais inconciliable. Et, devant le caoutchouc d′Albertine, dans lequel elle semblait devenue une autre personne, l′infatigable errante des jours pluvieux, et qui, collé, malléable et gris en ce moment, semblait moins devoir protéger son vêtement contre l′eau qu′avoir été trempé par elle et s′attacher au corps de mon amie comme afin de prendre l′empreinte de ses formes pour un sculpteur, j′arrachai cette tunique qui épousait jalousement une poitrine désirée, et attirant Albertine à moi: «Mais toi, ne veux-tu pas, voyageuse indolente, rêver sur mon épaule en y posant ton front?» dis-je en prenant sa tête dans mes mains et en lui montrant les grandes prairies inondées et muettes qui s′étendaient dans le soir tombant jusqu′à l′horizon fermé sur les chaînes parallèles de vallonnements lointains et bleuâtres.   The train for Paris (which M. de Charlus did not take) started. Then we took our seats in our own train, Albertine and I, without my knowing what had become of M. de Charlus and Morel. “We must never quarrel any more, I beg your pardon again,” Albertine repeated, alluding to the Saint-Loup incident. “We must always be nice to each other,” she said tenderly. “As for your friend Saint-Loup, if you think that I am the least bit interested in him, you are quite mistaken. All that I like about him is that he seems so very fond of you.” “He′s a very good fellow,” I said, taking care not to supply Robert with those imaginary excellences which I should not have failed to invent, out of friendship for himself, had I been with anybody but Albertine. “He′s an excellent creature, frank, devoted, loyal, a person you can rely on to do anything.” In saying this I confined myself, held in check by my jealousy, to telling the truth about Saint-Loup, but what I said was literally true. It found expression in precisely the same terms that Mme. de Villeparisis had employed in speaking to me of him, when I did not yet know him, imagined him to be so different, so proud, and said to myself: “People think him good because he is a great gentleman.” Just as when she had said to me: “He would be so pleased,” I imagined, after seeing him outside the hotel, preparing to drive away, that his aunt′s speech had been a mere social banality, intended to flatter me. And I had realised afterwards that she had said what she did sincerely, thinking of the things that interested me, of my reading, and because she knew that that was what Saint-Loup liked, as it was to be my turn to say sincerely to somebody who was writing a history of his ancestor La Rochefoucauld, the author of the Maximes, who wished to consult Robert about him: “He will be so pleased.” It was simply that I had learned to know him. But, when I set eyes on him for the first time, I had not supposed that an intelligence akin to my own could be enveloped in so much outward elegance of dress and attitude. By his feathers I had judged him to be a bird of another species. It was Albertine now who, perhaps a little because Saint-Loup, in his kindness to myself, had been so cold to her, said to me what I had already thought: “Ah! He is as devoted as all that! I notice that people always find all the virtues in other people, when they belong to the Faubourg Saint-Germain.” Now that Saint-Loup belonged to the Faubourg Saint-Germain was a thing of which I had never once thought in the course of all these years in which, stripping himself of his prestige, he had displayed to me his virtues. A change in our perspective in looking at other people, more striking already in friendship than in merely social relations, but how much more striking still in love, where desire on so vast a scale increases to such proportions the slightest signs of coolness, that far less than the coolness Saint-Loup had shewn me in the beginning had been enough to make me suppose at first that Albertine scorned me, imagine her friends to be creatures marvellously inhuman, and ascribe merely to the indulgence that people feel for beauty and for a certain elegance, Elstir′s judgment when he said to me of the little band, with just the same sentiment as Mme. de Villeparisis speaking of Saint-Loup: “They are good girls.” But this was not the opinion that I would instinctively have formed when I heard Albertine say: “In any case, whether he′s devoted or not, I sincerely hope I shall never see him again, since he′s made us quarrel. We must never quarrel again. It isn′t nice.” I felt, since she had seemed to desire Saint-Loup, almost cured for the time being of the idea that she cared for women, which I had supposed to be incurable. And, faced by Albertine′s mackintosh in which she seemed to have become another person, the tireless vagrant of rainy days, and which, close-fitting, malleable and grey, seemed at that moment not so much intended to protect her garments from the rain as to have been soaked by her and to be clinging to my mistress′s body as though to take the imprint of her form for a sculptor, I tore apart that tunic which jealously espoused a longed-for bosom and, drawing Albertine towards me: “But won′t you, indolent traveller, dream upon my shoulder, resting your brow upon it?” I said, taking her head in my hands, and shewing her the wide meadows, flooded and silent, which extended in the gathering dusk to the horizon closed by the parallel openings of valleys far and blue.

FIN DU VOL. I

Le lendemain, le fameux mercredi, dans ce même petit chemin de fer que je venais de prendre à Balbec, pour aller dîner à la Raspelière, je tenais beaucoup à ne pas manquer Cottard à Graincourt–Saint-Vast où un nouveau téléphonage de Mme Verdurin m′avait dit que je le retrouverais. Il devait monter dans mon train et m′indiquerait où il fallait descendre pour trouver les voitures qu′on envoyait de la Raspelière à la gare. Aussi, le petit train ne s′arrêtant qu′un instant à Graincourt, première station après Doncières, d′avance je m′étais mis à la portière tant j′avais peur de ne pas voir Cottard ou de ne pas être vu de lui. Craintes bien vaines! Je ne m′étais pas rendu compte à quel point le petit clan ayant façonné tous les «habitués» sur le même type, ceux-ci, par surcroît en grande tenue de dîner, attendant sur le quai, se laissaient tout de suite reconnaître à un certain air d′assurance, d′élégance et de familiarité, à des regards qui franchissaient comme un espace vide, où rien n′arrête l′attention, les rangs pressés du vulgaire public, guettaient l′arrivée de quelque habitué qui avait pris le train à une station précédente et pétillaient déjà de la causerie prochaine. Ce signe d′élection, dont l′habitude de dîner ensemble avait marqué les membres du petit groupe, ne les distinguait pas seulement quand, nombreux, en force, ils étaient massés, faisant une tache plus brillante au milieu du troupeau des voyageurs — ce que Brichot appelait le «pecus»— sur les ternes visages desquels ne pouvait se lire aucune notion relative aux Verdurin, aucun espoir de jamais dîner à la Raspelière. D′ailleurs ces voyageurs vulgaires eussent été moins intéressés que moi si devant eux on eût prononcé— et malgré la notoriété acquise par certains — les noms de ces fidèles que je m′étonnais de voir continuer à dîner en ville, alors que plusieurs le faisaient déjà, d′après les récits que j′avais entendus, avant ma naissance, à une époque à la fois assez distante et assez vague pour que je fusse tenté de m′en exagérer l′éloignement. Le contraste entre la continuation non seulement de leur existence, mais du plein de leurs forces, et l′anéantissement de tant d′amis que j′avais déjà vus, ici ou là, disparaître, me donnait ce même sentiment que nous éprouvons quand, à la dernière heure des journaux, nous lisons précisément la nouvelle que nous attendions le moins, par exemple celle d′un décès prématuré et qui nous semble fortuit parce que les causes dont il est l′aboutissant nous sont restées inconnues. Ce sentiment est celui que la mort n′atteint pas uniformément tous les hommes, mais qu′une lame plus avancée de sa montée tragique emporte une existence située au niveau d′autres que longtemps encore les lames suivantes épargneront. Nous verrons, du reste, plus tard la diversité des morts qui circulent invisiblement être la cause de l′inattendu spécial que présentent, dans les journaux, les nécrologies. Puis je voyais qu′avec le temps, non seulement des dons réels, qui peuvent coexister avec la pire vulgarité de conversation, se dévoilent et s′imposent, mais encore que des individus médiocres arrivent à ces hautes places, attachées dans l′imagination de notre enfance à quelques vieillards célèbres, sans songer que le seraient, un certain nombre d′années plus tard, leurs disciples devenus maîtres et inspirant maintenant le respect et la crainte qu′ils éprouvaient jadis. Mais si les noms des fidèles n′étaient pas connus du «pecus», leur aspect pourtant les désignait à ses yeux.   Two days later, on the famous Wednesday, in that same little train, which I had again taken, at Balbec, to go and dine at la Raspelière, I was taking care not to miss Cottard at Graincourt-Saint-Vast, where a second telephone message from Mme. Verdurin had told me that I should find him. He was to join my train and would tell me where we had to get out to pick up the carriages that would be sent from la Raspelière to the station. And so, as the little train barely stopped for a moment at Graincourt, the first station after Doncières, I was standing in readiness at the open window, so afraid was I of not seeing Cottard or of his not seeing me. Vain fears! I had not realised to what an extent the little clan had moulded all its regular members after the same type, so that they, being moreover in full evening dress, as they stood waiting upon the platform, let themselves be recognised immediately by a certain air of assurance, fashion and familiarity, by a look in their eyes which seemed to sweep, like an empty space in which there was nothing to arrest their attention, the serried ranks of the common herd, watched for the arrival of some fellow-member who had taken the train at an earlier station, and sparkled in anticipation of the talk that was to come. This sign of election, with which the habit of dining together had marked the members of the little group, was not all that distinguished them; when numerous, in full strength, they were massed together, forming a more brilliant patch in the midst of the troop of passengers — what Brichot called the pecus — upon whose dull countenances could be read no conception of what was meant by the name Verdurin, no hope of ever dining at la Raspelière. To be sure, these common travellers would have been less interested than myself had anyone quoted in their hearing — notwithstanding the notoriety that several of them had achieved — the names of those of the faithful whom I was astonished to see continuing to dine out, when many of them had already been doing so, according to the stories that I had heard, before my birth, at a period at once so distant and so vague that I was inclined to exaggerate its remoteness. The contrast between the continuance not only of their existence, but of the fulness of their powers, and the annihilation of so many friends whom I had already seen, in one place or another, pass away, gave me the same sentiment that we feel when in the stop-press column of the newspapers we read the very announcement that we least expected, for instance that of an untimely death, which seems to us fortuitous because the causes that have led up to it have remained outside our knowledge. This is the feeling that death does not descend upon all men alike, but that a more oncoming wave of its tragic tide carries off a life placed at the same level as others which the waves that follow will long continue to spare. We shall see later on that the diversity of the forms of death that circulate invisibly is the cause of the peculiar unexpectedness presented, in the newspapers, by their obituary notices. Then I saw that, with the passage of time, not only do the real talents that may coexist with the most commonplace conversation reveal and impose themselves, but furthermore that mediocre persons arrive at those exalted positions, attached in the imagination of our childhood to certain famous elders, when it never occurred to us that, after a certain number of years, their disciples, become masters, would be famous also, and would inspire the respect and awe that once they felt. But if the names of the faithful were unknown to the pecus, their aspect still singled them out in its eyes.
Même dans le train (lorsque le hasard de ce que les uns et les autres d′entre eux avaient eu à faire dans la journée les y réunissait tous ensemble), n′ayant plus à cueillir à une station suivante qu′un isolé, le wagon dans lequel ils se trouvaient assemblés, désigné par le coude du sculpteur Ski, pavoisé par le «Temps» de Cottard, fleurissait de loin comme une voiture de luxe et ralliait, à la gare voulue, le camarade retardataire. Le seul à qui eussent pu échapper, à cause de sa demi-cécité, ces signes de promission était Brichot. Mais aussi l′un des habitués assurait volontairement à l′égard de l′aveugle les fonctions de guetteur et, dès qu′on avait aperçu son chapeau de paille, son parapluie vert et ses lunettes bleues, on le dirigeait avec douceur et hâte vers le compartiment d′élection. De sorte qu′il était sans exemple qu′un des fidèles, à moins d′exciter les plus graves soupçons de bamboche, ou même de ne pas être venu «par le train», n′eût pas retrouvé les autres en cours de route. Quelquefois l′inverse se produisait: un fidèle avait dû aller assez loin dans l′après-midi et, en conséquence, devait faire une partie du parcours seul avant d′être rejoint par le groupe; mais, même ainsi isolé, seul de son espèce, il ne manquait pas le plus souvent de produire quelque effet. Le Futur vers lequel il se dirigeait le désignait à la personne assise sur la banquette d′en face, laquelle se disait: «Ce doit être quelqu′un», discernait, fût-ce autour du chapeau mou de Cottard ou du sculpteur Ski, une vague auréole, et n′était qu′à demi étonnée quand, à la station suivante, une foule élégante, si c′était leur point terminus, accueillait le fidèle à la portière et s′en allait avec lui vers l′une des voitures qui attendaient, salués tous très bas par l′employé de Doville, ou bien, si c′était à une station intermédiaire, envahissait le compartiment. C′est ce que fit, et avec précipitation, car plusieurs étaient arrivés en retard, juste au moment où le train déjà en gare allait repartir, la troupe que Cottard mena au pas de course vers le wagon à la fenêtre duquel il avait vu mes signaux. Brichot, qui se trouvait parmi ces fidèles, l′était devenu davantage au cours de ces années qui, pour d′autres, avaient diminué leur assiduité. Sa vue baissant progressivement l′avait obligé, même à Paris, à diminuer de plus en plus les travaux du soir. D′ailleurs il avait peu de sympathie pour la Nouvelle Sorbonne où les idées d′exactitude scientifique, à l′allemande, commençaient à l′emporter sur l′humanisme. Il se bornait exclusivement maintenant à son cours et aux jurys d′examen; aussi avait-il beaucoup plus de temps à donner à la mondanité. C′est-à-dire aux soirées chez les Verdurin, ou à celles qu′offrait parfois aux Verdurin tel ou tel fidèle, tremblant d′émotion. Il est vrai qu′à deux reprises l′amour avait manqué de faire ce que les travaux ne pouvaient plus: détacher Brichot du petit clan. Mais Mme Verdurin, qui «veillait au grain», et d′ailleurs, en ayant pris l′habitude dans l′intérêt de son salon, avait fini par trouver un plaisir désintéressé dans ce genre de drames et d′exécutions, l′avait irrémédiablement brouillé avec la personne dangereuse, sachant, comme elle le disait, «mettre bon ordre à tout» et «porter le fer rouge dans la plaie». Cela lui avait été d′autant plus aisé pour l′une des personnes dangereuses que c′était simplement la blanchisseuse de Brichot, et Mme Verdurin, ayant ses petites entrées dans le cinquième du professeur, écarlate d′orgueil quand elle daignait monter ses étages, n′avait eu qu′à mettre à la porte cette femme de rien. «Comment, avait dit la Patronne à Brichot, une femme comme moi vous fait l′honneur de venir chez vous, et vous recevez une telle créature?» Brichot n′avait jamais oublié le service que Mme Verdurin lui avait rendu en empêchant sa vieillesse de sombrer dans la fange, et lui était de plus en plus attaché, alors qu′en contraste avec ce regain d′affection, et peut-être à cause de lui, la Patronne commençait à se dégoûter d′un fidèle par trop docile et de l′obéissance de qui elle était sûre d′avance. Mais Brichot tirait de son intimité chez les Verdurin un éclat qui le distinguait entre tous ses collègues de la Sorbonne. Ils étaient éblouis par les récits qu′il leur faisait de dîners auxquels on ne les inviterait jamais, par la mention, dans des revues, ou par le portrait exposé au Salon, qu′avaient fait de lui tel écrivain ou tel peintre réputés dont les titulaires des autres chaires de la Faculté des Lettres prisaient le talent mais n′avaient aucune chance d′attirer l′attention, enfin par l′élégance vestimentaire elle-même du philosophe mondain, élégance qu′ils avaient prise d′abord pour du laisser-aller jusqu′à ce que leur collègue leur eût bienveillamment expliqué que le chapeau haute forme se laisse volontiers poser par terre, au cours d′une visite, et n′est pas de mise pour les dîners à la campagne, si élégants soient-ils, où il doit être remplacé par le chapeau mou, fort bien porté avec le smoking. Pendant les premières secondes où le petit groupe se fut engouffré dans le wagon, je ne pus même pas parler à Cottard, car il était suffoqué, moins d′avoir couru pour ne pas manquer le train, que par l′émerveillement de l′avoir attrapé si juste. Il en éprouvait plus que la joie d′une réussite, presque l′hilarité d′une joyeuse farce. Indeed in the train (when the coincidence of what one or another of them might have been doing during the day, assembled them all together), having to collect at a subsequent station only an isolated member, the carriage in which they were gathered, ticketed with the elbow of the sculptor Ski, flagged with Cottard′s Temps, stood out in the distance like a special saloon, and rallied at the appointed station the tardy comrade. The only one who might, because of his semi-blindness, have missed these welcoming signals, was Brichot. But one of the party would always volunteer to keep a look-out for the blind man, and, as soon as his straw hat, his green umbrella and blue spectacles caught the eye, he would be gently but hastily guided towards the chosen compartment. So that it was inconceivable that one of the faithful, without exciting the gravest suspicions of his being ‘on the loose,′ or even of his not having come ‘by the train,′ should not pick up the others in the course of the journey. Sometimes the opposite process occurred: one of the faithful had been obliged to go some distance down the line during the afternoon and was obliged in consequence to make part of the journey alone before being joined by the group; but even when thus isolated, alone of his kind, he did not fail as a rule to produce a certain effect. The Future towards which he was travelling marked him out to the person on the seat opposite, who would say to himself: “That must be somebody,” would discern, round the soft hat of Cottard or of the sculptor Ski, a vague aureole and would be only half-astonished when at the next station an elegant crowd, if it were their terminal point, greeted the faithful one at the carriage door and escorted him to one of the waiting carriages, all of them reverently saluted by the factotum of Douville station, or, if it were an intermediate station, invaded the compartment. This was what was done, and with precipitation, for some of them had arrived late, just as the train which was already in the station was about to start, by the troop which Cottard led at a run towards the carriage in the window of which he had seen me signalling. Brichot, who was among these faithful, had become more faithful than ever in the course of these years which had diminished the assiduity of others. As his sight became steadily weaker, he had been obliged, even in Paris, to reduce more and more his working hours after dark. Besides he was out of sympathy with the modern Sorbonne, where ideas of scientific exactitude, after the German model, were beginning to prevail over humanism. He now confined himself exclusively to his lectures and to his duties as an examiner; and so had a great deal more time to devote to social pursuits. That is to say, to evenings at the Verdurins′, or to those parties that now and again were offered to the Verdurins by one of the faithful, tremulous with emotion. It is true that on two occasions love had almost succeeded in achieving what his work could no longer do, in detaching Brichot from the little clan. But Mme. Verdurin, who kept her eyes open, and moreover, having acquired the habit in the interests of her salon, had come to take a disinterested pleasure in this sort of drama and execution, had immediately brought about a coolness between him and the dangerous person, being skilled in (as she expressed it) ‘putting things in order′ and ‘applying the red hot iron to the wound.′ This she had found all the more easy in the case of one of the dangerous persons, who was simply Brichot′s laundress, and Mme. Verdurin, having the right of entry into the Professor′s fifth floor rooms, crimson with rage, when she deigned to climb his stairs, had only had to shut the door in the wretched woman′s face. “What!” the Mistress had said to Brichot, “a woman like myself does you the honour of calling upon you, and you receive a creature like that?” Brichot had never forgotten the service that Mme. Verdurin had rendered him by preventing his old age from foundering in the mire, and became more and more strongly attached to her, whereas, in contrast to this revival of affection and possibly because of it, the Mistress was beginning to be tired of a too docile follower, and of an obedience of which she could be certain beforehand. But Brichot derived from his intimacy with the Verdurins a distinction which set him apart from all his colleagues at the Sorbonne. They were dazzled by the accounts that he gave them of dinner-parties to which they would never be invited, by the mention made of him in the reviews, the exhibition of his portrait in the Salon, by some writer or painter of repute whose talent the occupants of the other chairs in the Faculty of Arts esteemed, but without any prospect of attracting his attention, not to mention the elegance of the mundane philosopher′s attire, an elegance which they had mistaken at first for slackness until their colleague kindly explained to them that a tall hat is naturally laid on the floor, when one is paying a call, and is not the right thing for dinners in the country, however smart, where it should be replaced by a soft hat, which goes quite well with a dinner-jacket. For the first few moments after the little group had plunged into the carriage, I could not even speak to Cottard, for he was suffocated, not so much by having run in order not to miss the train as by his astonishment at having caught it so exactly. He felt more than the joy inherent in success, almost the hilarity of an excellent joke.
«Ah! elle est bien bonne! dit-il quand il se fut remis. Un peu plus! nom d′une pipe, c′est ce qui s′appelle arriver à pic!» ajouta-t-il en clignant de l′oeil, non pas pour demander si l′expression était juste, car il débordait maintenant d′assurance, mais par satisfaction. Enfin il put me nommer aux autres membres du petit clan. Je fus ennuyé de voir qu′ils étaient presque tous dans la tenue qu′on appelle à Paris smoking. J′avais oublié que les Verdurin commençaient vers le monde une évolution timide, ralentie par l′affaire Dreyfus, accélérée par la musique «nouvelle», évolution d′ailleurs démentie par eux, et qu′ils continueraient de démentir jusqu′à ce qu′elle eût abouti, comme ces objectifs militaires qu′un général n′annonce que lorsqu′il les a atteints, de façon à ne pas avoir l′air battu s′il les manque. Le monde était d′ailleurs, de son côté, tout préparé à aller vers eux. Il en était encore à les considérer comme des gens chez qui n′allait personne de la société mais qui n′en éprouvent aucun regret. Le salon Verdurin passait pour un Temple de la Musique. C′était là, assurait-on, que Vinteuil avait trouvé inspiration, encouragement. Or si la Sonate de Vinteuil restait entièrement incomprise et à peu près inconnue, son nom, prononcé comme celui du plus grand musicien contemporain, exerçait un prestige extraordinaire. Enfin certains jeunes gens du faubourg s′étant avisés qu′ils devaient être aussi instruits que des bourgeois, il y en avait trois parmi eux qui avaient appris la musique et auprès desquels la Sonate de Vinteuil jouissait d′une réputation énorme. Ils en parlaient, rentrés chez eux, à la mère intelligente qui les avait poussés à se cultiver. Et s′intéressant aux études de leurs fils, au concert les mères regardaient avec un certain respect Mme Verdurin, dans sa première loge, qui suivait la partition. Jusqu′ici cette mondanité latente des Verdurin ne se traduisait que par deux faits. D′une part, Mme Verdurin disait de la princesse de Caprarola: «Ah! celle-là est intelligente, c′est une femme agréable. Ce que je ne peux pas supporter, ce sont les imbéciles, les gens qui m′ennuient, ça me rend folle.» Ce qui eût donné à penser à quelqu′un d′un peu fin que la princesse de Caprarola, femme du plus grand monde, avait fait une visite à Mme Verdurin. Elle avait même prononcé son nom au cours d′une visite de condoléances qu′elle avait faite à Mme Swann après la mort du mari de celle-ci, et lui avait demandé si elle les connaissait. «Comment dites-vous? avait répondu Odette d′un air subitement triste. — Verdurin. — Ah! alors je sais, avait-elle repris avec désolation, je ne les connais pas, ou plutôt je les connais sans les connaître, ce sont des gens que j′ai vus autrefois chez des amis, il y a longtemps, ils sont agréables.» La princesse de Caprarola partie, Odette aurait bien voulu avoir dit simplement la vérité. Mais le mensonge immédiat était non le produit de ses calculs, mais la révélation de ses craintes, de ses désirs. Elle niait non ce qu′il eût été adroit de nier, mais ce qu′elle aurait voulu qui ne fût pas, même si l′interlocuteur devait apprendre dans une heure que cela était en effet. Peu après elle avait repris son assurance et avait même été au-devant des questions en disant, pour ne pas avoir l′air de les craindre: «Mme Verdurin, mais comment, je l′ai énormément connue», avec une affectation d′humilité comme une grande dame qui raconte qu′elle a pris le tramway. «On parle beaucoup des Verdurin depuis quelque temps», disait Mme de Souvré. Odette, avec un dédain souriant de duchesse, répondait: «Mais oui, il me semble en effet qu′on en parle beaucoup. De temps en temps il y a comme cela des gens nouveaux qui arrivent dans la société», sans penser qu′elle était elle-même une des plus nouvelles. «La princesse de Caprarola y a dîné, reprit Mme de Souvré. — Ah! répondit Odette en accentuant son sourire, cela ne m′étonne pas. C′est toujours par la princesse de Caprarola que ces choses-là commencent, et puis il en vient une autre, par exemple la comtesse Molé.» Odette, en disant cela, avait l′air d′avoir un profond dédain pour les deux grandes dames qui avaient l′habitude d′essuyer les plâtres dans les salons nouvellement ouverts. On sentait à son ton que cela voulait dire qu′elle, Odette, comme Mme de Souvré, on ne réussirait pas à les embarquer dans ces galères-là. “Ah! That was a good one!” he said when he had recovered himself. “A minute later! ‘Pon my soul, that′s what they call arriving in the nick of time!” he added, with a wink intended not so much to inquire whether the expression were apt, for he was now overflowing with assurance, but to express his satisfaction. At length he was able to introduce me to the other members of the little clan. I was annoyed to see that they were almost all in the dress which in Paris is called smoking. I had forgotten that the Verdurins were beginning a timid evolution towards fashionable ways, retarded by the Dreyfus case, accelerated by the ‘new′ music, an evolution which for that matter they denied, and continued to deny until it was complete, like those military objectives which a general does not announce until he has reached them, so as not to appear defeated if he fails. In addition to which, Society was quite prepared to go half way to meet them. It went so far as to regard them as people to whose house nobody in Society went but who were not in the least perturbed by the fact. The Verdurin salon was understood to be a Temple of Music. It was there, people assured you, that Vinteuil had found inspiration, encouragement. Now, even if Vinteuil′s sonata remained wholly unappreciated, and almost unknown, his name, quoted as that of the greatest of modern composers, had an extraordinary effect. Moreover, certain young men of the Faubourg having decided that they ought to be more intellectual than the middle classes, there were three of them who had studied music, and among these Vinteuil′s sonata enjoyed an enormous vogue. They would speak of it, on returning to their homes, to the intelligent mothers who had incited them to acquire culture. And, taking an interest in what interested their sons, at a concert these mothers would gaze with a certain respect at Mme. Verdurin in her front box, following the music in the printed score. So far, this social success latent in the Verdurins was revealed by two facts only. In the first place, Mme. Verdurin would say of the Principessa di Caprarola: “Ah! She is intelligent, she is a charming woman. What I cannot endure, are the imbeciles, the people who bore me, they drive me mad.” Which would have made anybody at all perspicacious realise that the Principessa di Caprarola, a woman who moved in the highest society, had called upon Mme. Verdurin. She had even mentioned her name in the course of a visit of condolence which she had paid to Mme. Swann after the death of her husband, and had asked whether she knew them. “What name did you say?” Odette had asked, with a sudden wistfulness. “Verdurin? Oh, yes, of course,” she had continued in a plaintive tone, “I don′t know them, or rather, I know them without really knowing them, they are people I used to meet at people′s houses, years ago, they are quite nice.” When the Principessa di Caprarola had gone, Odette would fain have spoken the bare truth. But the immediate falsehood was not the fruit of her calculations, but the revelation of her fears, of her desires. She denied not what it would have been adroit to deny, but what she would have liked not to have happened, even if the other person was bound to hear an hour later that it was a fact. A little later she had recovered her assurance, and would indeed anticipate questions by saying, so as not to appear to be afraid of them: “Mme. Verdurin, why, I used to know her terribly well!” with an affectation of humility, like a great lady who tells you that she has taken the tram. “There has been a great deal of talk about the Verdurins lately,” said Mme. de Souvré. Odette, with the smiling disdain of a Duchess, replied: “Yes, I do seem to have heard a lot about them lately. Every now and then there are new people who arrive like that in society,” without reflecting that she herself was among the newest. “The Principessa di Caprarola has dined there,” Mme. de Souvré went on. “Ah!” replied Odette, accentuating her smile, “that does not surprise me. That sort of thing always begins with the Principessa di Caprarola, and then some one else follows suit, like Comtesse Mole.” Odette, in saying this, appeared to be filled with a profound contempt for the two great ladies who made a habit of ‘house-warming′ in recently established drawing-rooms. One felt from her tone that the implication was that she, Odette, was, like Mme. de Souvré, not the sort of person to let herself in for that sort of thing.
Après l′aveu qu′avait fait Mme Verdurin de l′intelligence de la princesse de Caprarola, le second signe que les Verdurin avaient conscience du destin futur était que (sans l′avoir formellement demandé, bien entendu) ils souhaitaient vivement qu′on vînt maintenant dîner chez eux en habit du soir; M. Verdurin eût pu maintenant être salué sans honte par son neveu, celui qui était «dans les choux». Parmi ceux qui montèrent dans mon wagon à Graincourt se trouvait Saniette, qui jadis avait été chassé de chez les Verdurin par son cousin Forcheville, mais était revenu. Ses défauts, au point de vue de la vie mondaine, étaient autrefois — malgré des qualités supérieures — un peu du même genre que ceux de Cottard, timidité, désir de plaire, efforts infructueux pour y réussir. Mais si la vie, en faisant revêtir à Cottard (sinon chez les Verdurin, où il était, par la suggestion que les minutes anciennes exercent sur nous quand nous nous retrouvons dans un milieu accoutumé, resté quelque peu le même, du moins dans sa clientèle, dans son service d′hôpital, à l′Académie de Médecine) des dehors de froideur, de dédain, de gravité qui s′accentuaient pendant qu′il débitait devant ses élèves complaisants ses calembours, avait creusé une véritable coupure entre le Cottard actuel et l′ancien, les mêmes défauts s′étaient au contraire exagérés chez Saniette, au fur et à mesure qu′il cherchait à s′en corriger. Sentant qu′il ennuyait souvent, qu′on ne l′écoutait pas, au lieu de ralentir alors, comme l′eût fait Cottard, de forcer l′attention par l′air d′autorité, non seulement il tâchait, par un ton badin, de se faire pardonner le tour trop sérieux de sa conversation, mais pressait son débit, déblayait, usait d′abréviations pour paraître moins long, plus familier avec les choses dont il parlait, et parvenait seulement, en les rendant inintelligibles, à sembler interminable. Son assurance n′était pas comme celle de Cottard qui glaçait ses malades, lesquels aux gens qui vantaient son aménité dans le monde répondaient: «Ce n′est plus le même homme quand il vous reçoit dans son cabinet, vous dans la lumière, lui à contre-jour et les yeux perçants.» Elle n′imposait pas, on sentait qu′elle cachait trop de timidité, qu′un rien suffirait à la mettre en fuite. Saniette, à qui ses amis avaient toujours dit qu′il se défiait trop de lui-même, et qui, en effet, voyait des gens qu′il jugeait avec raison fort inférieurs obtenir aisément les succès qui lui étaient refusés, ne commençait plus une histoire sans sourire de la drôlerie de celle-ci, de peur qu′un air sérieux ne fît pas suffisamment valoir sa marchandise. Quelquefois, faisant crédit au comique que lui-même avait l′air de trouver à ce qu′il allait dire, on lui faisait la faveur d′un silence général. Mais le récit tombait à plat. Un convive doué d′un bon coeur glissait parfois à Saniette l′encouragement, privé, presque secret, d′un sourire d′approbation, le lui faisant parvenir furtivement, sans éveiller l′attention, comme on vous glisse un billet. Mais personne n′allait jusqu′à assumer la responsabilité, à risquer l′adhésion publique d′un éclat de rire. Longtemps après l′histoire finie et tombée, Saniette, désolé, restait seul à se sourire à lui-même, comme goûtant en elle et pour soi la délectation qu′il feignait de trouver suffisante et que les autres n′avaient pas éprouvée. Quant au sculpteur Ski, appelé ainsi à cause de la difficulté qu′on trouvait à prononcer son nom polonais, et parce que lui-même affectait, depuis qu′il vivait dans une certaine société, de ne pas vouloir être confondu avec des parents fort bien posés, mais un peu ennuyeux et très nombreux, il avait, à quarante-cinq ans et fort laid, une espèce de gaminerie, de fantaisie rêveuse qu′il avait gardée pour avoir été jusqu′à dix ans le plus ravissant enfant prodige du monde, coqueluche de toutes les dames. Mme Verdurin prétendait qu′il était plus artiste qu′Elstir. Il n′avait d′ailleurs avec celui-ci que des ressemblances purement extérieures.   After the admission that Mme. Verdurin had made of the Principessa di Caprarola′s intelligence, the second indication that the Verdurins were conscious of their future destiny was that (without, of course, their having formally requested it) they became most anxious that people should now come to dine with them in evening dress. M. Verdurin could now have been greeted without shame by his nephew, the one who was ‘in the cart.′ Among those who entered my carriage at Graincourt was Saniette, who long ago had been expelled from the Verdurins′ by his cousin Forcheville, but had since returned. His faults, from the social point of view, had originally been — notwithstanding his superior qualities — something like Cottard′s, shyness, anxiety to please, fruitless attempts to succeed in doing so. But if the course of life, by making Cottard assume, if not at the Verdurins′, where he had, because of the influence that past associations exert over us when we find ourselves in familiar surroundings, remained more or less the same, at least in his practice, in his hospital ward, at the Academy of Medicine, a shell of coldness, disdain, gravity, that became more accentuated while he rewarded his appreciative students with puns, had made a clean cut between the old Cottard and the new, the same defects had on the contrary become exaggerated in Saniette, the more he sought to correct them. Conscious that he was frequently boring, that people did not listen to him, instead of then slackening his pace as Cottard would have done, of forcing their attention by an air of authority, not only did he try by adopting a humorous tone to make them forgive the unduly serious turn of his conversation, he increased his pace, cleared the ground, used abbreviations in order to appear less long-winded, more familiar with the matters of which he spoke, and succeeded only, by making them unintelligible, in seeming interminable. His self-assurance was not like that of Cottard, freezing his patients, who, when other people praised his social graces, would reply: “He is a different man when he receives you in his consulting room, you with your face to the light, and he with his back to it, and those piercing eyes.” It failed to create an effect, one felt that it was cloaking an excessive shyness, that the merest trifle would be enough to dispel it. Saniette, whose friends had always told him that he was wanting in self-confidence, and who had indeed seen men whom he rightly considered greatly inferior to himself, attain with ease to the success that was denied to him, never began telling a story without smiling at its drollery, fearing lest a serious air might make his hearers underestimate the value of his wares. Sometimes, giving him credit for the comic element which he himself appeared to find in what he was about to say, people would do him the honour of a general silence. But the story would fall flat. A fellow-guest who was endowed with a kind heart would sometimes convey to Saniette the private, almost secret encouragement of a smile of approbation, making it reach him furtively, without attracting attention, as one passes a note from hand to hand. But nobody went so far as to assume the responsibility, to risk the glaring publicity of an honest laugh. Long after the story was ended and had fallen flat, Saniette, crestfallen, would remain smiling to himself, as though relishing in it and for himself the delectation which he pretended to find adequate and which the others had not felt. As for the sculptor Ski, so styled on account of the difficulty they found in pronouncing his Polish surname, and because he himself made an affectation, since he had begun to move in a certain social sphere, of not wishing to be confused with certain relatives, perfectly respectable but slightly boring and very numerous, he had, at forty-four and with no pretension to good looks, a sort of boyishness, a dreamy wistfulness which was the result of his having been, until the age of ten, the most charming prodigal imaginable, the darling of all the ladies. Mme. Verdurin maintained that he was more of an artist than Elstir. Any resemblance that there may have been between them was, however, purely external.
Elles suffisaient pour qu′Elstir, qui avait une fois rencontré Ski, eût pour lui la répulsion profonde que nous inspirent, plus encore que les êtres tout à fait opposés à nous, ceux qui nous ressemblent en moins bien, en qui s′étale ce que nous avons de moins bon, les défauts dont nous nous sommes guéris, nous rappelant fâcheusement ce que nous avons pu paraître à certains avant que nous fussions devenus ce que nous sommes. Mais Mme Verdurin croyait que Ski avait plus de tempérament qu′Elstir parce qu′il n′y avait aucun art pour lequel il n′eût de la facilité, et elle était persuadée que cette facilité il l′eût poussée jusqu′au talent s′il avait eu moins de paresse. Celle-ci paraissait même à la Patronne un don de plus, étant le contraire du travail, qu′elle croyait le lot des êtres sans génie. Ski peignait tout ce qu′on voulait, sur des boutons de manchette ou sur des dessus de porte. Il chantait avec une voix de compositeur, jouait de mémoire, en donnant au piano l′impression de l′orchestre, moins par sa virtuosité que par ses fausses basses signifiant l′impuissance des doigts à indiquer qu′ici il y a un piston que, du reste, il imitait avec la bouche. Cherchant ses mots en parlant pour faire croire à une impression curieuse, de la même façon qu′il retardait un accord plaqué ensuite en disant: «Ping», pour faire sentir les cuivres, il passait pour merveilleusement intelligent, mais ses idées se ramenaient en réalité à deux ou trois, extrêmement courtes. Ennuyé de sa réputation de fantaisiste, il s′était mis en tête de montrer qu′il était un être pratique, positif, d′où chez lui une triomphante affectation de fausse précision, de faux bon sens, aggravés parce qu′il n′avait aucune mémoire et des informations toujours inexactes. Ses mouvements de tête, de cou, de jambes, eussent été gracieux s′il eût eu encore neuf ans, des boucles blondes, un grand col de dentelles et de petites bottes de cuir rouge. Arrivés en avance avec Cottard et Brichot à la gare de Graincourt, ils avaient laissé Brichot dans la salle d′attente et étaient allés faire un tour. Quand Cottard avait voulu revenir, Ski avait répondu: «Mais rien ne presse. Aujourd′hui ce n′est pas le train local, c′est le train départemental». Ravi de voir l′effet que cette nuance dans la précision produisait sur Cottard, il ajouta, parlant de lui-même: «Oui, parce que Ski aime les arts, parce qu′il modèle la glaise, on croit qu′il n′est pas pratique. Personne ne connaît la ligne mieux que moi». Néanmoins ils étaient revenus vers la gare, quand tout d′un coup, apercevant la fumée du petit train qui arrivait, Cottard, poussant un hurlement, avait crié: «Nous n′avons qu′à prendre nos jambes à notre cou.» Ils étaient en effet arrivés juste, la distinction entre le train local et départemental n′ayant jamais existé que dans l′esprit de Ski. «Mais est-ce que la princesse n′est pas dans le train?» demanda d′une voix vibrante Brichot, dont les lunettes énormes, resplendissantes comme ces réflecteurs que les laryngologues s′attachent au front pour éclairer la gorge de leurs malades, semblaient avoir emprunté leur vie aux yeux du professeur, et, peut-être à cause de l′effort qu′il faisait pour accommoder sa vision avec elles, semblaient, même dans les moments les plus insignifiants, regarder elles-mêmes avec une attention soutenue et une fixité extraordinaire. D′ailleurs la maladie, en retirant peu à peu la vue à Brichot, lui avait révélé les beautés de ce sens, comme il faut souvent que nous nous décidions à nous séparer d′un objet, à en faire cadeau par exemple, pour le regarder, le regretter, l′admirer. «Non, non, la princesse a été reconduire jusqu′à Maineville des invités de Mme Verdurin qui prenaient le train de Paris. Il ne serait même pas impossible que Mme Verdurin, qui avait affaire à Saint–Mars, fût avec elle! Comme cela elle voyagerait avec nous et nous ferions route tous ensemble, ce serait charmant. Il s′agira d′ouvrir l′oeil à Maineville, et le bon! Ah! ça ne fait rien, on peut dire que nous avons bien failli manquer le coche. Quand j′ai vu le train j′ai été sidéré. C′est ce qui s′appelle arriver au moment psychologique. Voyez-vous ça que nous ayions manqué le train? Mme Verdurin s′apercevant que les voitures revenaient sans nous? Tableau! ajouta le docteur qui n′était pas encore remis de son émoi. Voilà une équipée qui n′est pas banale. Dites donc, Brichot, qu′est-ce que vous dites de notre petite escapade? demanda le docteur avec une certaine fierté. — Par ma foi, répondit Brichot, en effet, si vous n′aviez plus trouvé le train, c′eût été, comme eût parlé feu Villemain, un sale coup pour la fanfare!» Mais moi, distrait dès les premiers instants par ces gens que je ne connaissais pas, je me rappelai tout d′un coup ce que Cottard m′avait dit dans la salle de danse du petit Casino, et, comme si un chaînon invisible eût pu relier un organe et les images du souvenir, celle d′Albertine appuyant ses seins contre ceux d′Andrée me faisait un mal terrible au coeur. Ce mal ne dura pas: l′idée de relations possibles entre Albertine et des femmes ne me semblait plus possible depuis l′avant-veille, où les avances que mon amie avait faites à Saint–Loup avaient excité en moi une nouvelle jalousie qui m′avait fait oublier la première. J′avais la naîµ¥té des gens qui croient qu′un goût en exclut forcément un autre. A Harambouville, comme le tram était bondé, un fermier en blouse bleue, qui n′avait qu′un billet de troisième, monta dans notre compartiment. Le docteur, trouvant qu′on ne pourrait pas laisser voyager la princesse avec lui, appela un employé, exhiba sa carte de médecin d′une grande compagnie de chemin de fer et força le chef de gare à faire descendre le fermier. Cette scène peina et alarma à un tel point la timidité de Saniette que, dès qu′il la vit commencer, craignant déjà, à cause de la quantité de paysans qui étaient sur le quai, qu′elle ne prît les proportions d′une jacquerie, il feignit d′avoir mal au ventre, et pour qu′on ne pût l′accuser d′avoir sa part de responsabilité dans la violence du docteur, il enfila le couloir en feignant de chercher ce que Cottard appelait les «water». N′en trouvant pas, il regarda le paysage de l′autre extrémité du tortillard. «Si ce sont vos débuts chez Mme Verdurin, Monsieur, me dit Brichot, qui tenait à montrer ses talents à un «nouveau», vous verrez qu′il n′y a pas de milieu où l′on sente mieux la «douceur de vivre», comme disait un des inventeurs du dilettantisme, du je m′enfichisme, de beaucoup de mots en «isme» à la mode chez nos snobinettes, je veux dire M. le prince de Talleyrand.» Car, quand il parlait de ces grands seigneurs du passé, il trouvait spirituel, et «couleur de l′époque» de faire précéder leur titre de Monsieur et disait Monsieur le duc de La Rochefoucauld, Monsieur le cardinal de Retz, qu′il appelait aussi de temps en temps: «Ce struggle for lifer de Gondi, ce «boulangiste» de Marsillac.» Et il ne manquait jamais, avec un sourire, d′appeler Montesquieu, quand il parlait de lui: «Monsieur le Président Secondat de Montesquieu.» Un homme du monde spirituel eût été agacé de ce pédantisme, qui sent l′école. Mais, dans les parfaites manières de l′homme du monde, en parlant d′un prince, il y a un pédantisme aussi qui trahit une autre caste, celle où l′on fait précéder le nom Guillaume de «l′Empereur» et où l′on parle à la troisième personne à une Altesse. «Ah! celui-là, reprit Brichot, en parlant de «Monsieur le prince de Talleyrand», il faut le saluer chapeau bas. C′est un ancêtre. — C′est un milieu charmant, me dit Cottard, vous trouverez un peu de tout, car Mme Verdurin n′est pas exclusive: des savants illustres comme Brichot de la haute noblesse comme, par exemple, la princesse Sherbatoff, une grande dame russe, amie de la grande-duchesse Eudoxie qui même la voit seule aux heures où personne n′est admis.» En effet, la grande-duchesse Eudoxie, ne se souciant pas que la princesse Sherbatoff, qui depuis longtemps n′était plus reçue par personne, vînt chez elle quand elle eût pu y avoir du monde, ne la laissait venir que de très bonne heure, quand l′Altesse n′avait auprès d′elle aucun des amis à qui il eût été aussi désagréable de rencontrer la princesse que cela eût été gênant pour celle-ci. Comme depuis trois ans, aussitôt après avoir quitté, comme une manucure, la grande-duchesse, Mme Sherbatoff partait chez Mme Verdurin, qui venait seulement de s′éveiller, et ne la quittait plus, on peut dire que la fidélité de la princesse passait infiniment celle même de Brichot, si assidu pourtant à ces mercredis, où il avait le plaisir de se croire, à Paris, une sorte de Chateaubriand à l′Abbaye-aux-Bois et où, à la campagne, il se faisait l′effet de devenir l′équivalent de ce que pouvait être chez Mme du Châtelet celui qu′il nommait toujours (avec une malice et une satisfaction de lettré): «M. de Voltaire.» It was enough to make Elstir, who had met Ski once, feel for him the profound repulsion that is inspired in us less by the people who are our exact opposite than by those who resemble us in what is least good, in whom are displayed our worst qualities, the faults of which we have cured ourselves, who irritate by reminding us of how we may have appeared to certain other people before we became what we now are. But Mme. Verdurin thought that Ski had more temperament than Elstir because there was no art in which he had not a facility of expression, and she was convinced that he would have developed that facility into talent if he had not been so lazy. This seemed to the Mistress to be actually an additional gift, being the opposite of hard work which she regarded as the lot of people devoid of genius. Ski would paint anything you asked, on cuff-links or on the panels over doors. He sang with the voice of a composer, played from memory, giving the piano the effect of an orchestra, less by his virtuosity than by his vamped basses, which suggested the inability of the fingers to indicate that at a certain point the cornet entered, which, for that matter, he would imitate with his lips. Choosing his words when he spoke so as to convey an odd impression, just as he would pause before banging out a chord to say ‘Ping!′ so as to let the brasses be heard, he was regarded as marvellously intelligent, but as a matter of fact his ideas could be boiled down to two or three, extremely limited. Bored with his reputation for whimsicality, he had set himself to shew that he was a practical, matter-of-fact person, whence a triumphant affectation of false precision, of false common sense, aggravated by his having no memory and a fund of information that was always inaccurate. The movements of his head, neck, limbs, would have been graceful if he had been still nine years old, with golden curls, a wide lace collar and little boots of red leather. Having reached Graincourt station with Cottard and Brichot, with time to spare, he and Cottard had left Brichot in the waiting-room and had gone for a stroll. When Cottard proposed to turn back, Ski had replied: “But there is no hurry. It isn′t the local train to-day, it′s the departmental train.” Delighted by the effect that this refinement of accuracy produced upon Cottard, he added, with reference to himself: “Yes, because Ski loves the arts, because he models in clay, people think he′s not practical. Nobody knows this line better than I do.” Nevertheless they had turned back towards the station when, all of a sudden, catching sight of the smoke of the approaching train, Cottard, with a wild shout, had exclaimed: “We shall have to put our best foot foremost.” They did as a matter of fact arrive with not a moment to spare, the distinction between local and departmental trains having never existed save in the mind of Ski. “But isn′t the Princess on the train?” came in ringing tones from Brichot, whose huge spectacles, resplendent as the reflectors that laryngologists attach to their foreheads to throw a light into the throats of their patients, seemed to have taken their life from the Professor′s eyes, and possibly because of the effort that he was making to adjust his sight to them, seemed themselves, even at the most trivial moments, to be gazing at themselves with a sustained attention and an extraordinary fixity. Brichot′s malady, as it gradually deprived him of his sight, had revealed to him the beauties of that sense, just as, frequently, we have to have made up our minds to part with some object, to make a present of it for instance, before we can study it, regret it, admire it. “No, no, the Princess went over to Maineville with some of Mme. Verdurin′s guests who were taking the Paris train. It is within the bounds of possibility that Mme. Verdurin, who had some business at Saint-Mars, may be with her! In that case, she will be coming with us, and we shall all travel together, which will be delightful. We shall have to keep our eyes skinned at Maineville and see what we shall see! Oh, but that′s nothing, you may say that we came very near to missing the bus. When I saw the train I was dumbfoundered. That′s what is called arriving at the psychological moment. Can′t you picture us missing the train, Mme. Verdurin seeing the carriages come back without us: Tableau!” added the doctor, who had not yet recovered from his emotion. “That would be a pretty good joke, wouldn′t it? Now then, Brichot, what have you to say about our little escapade?” inquired the doctor with a note of pride. “Upon my soul,” replied Brichot, “why, yes, if you had found the train gone, that would have been what the late Villemain used to call a wipe in the eye!” But I, distracted at first by these people who were strangers to me, was suddenly reminded of what Cottard had said to me in the ball-room of the little casino, and, just as though there were an invisible link uniting an organ to our visual memory, the vision of Albertine leaning her breasts against Andrée′s caused my heart a terrible pain. This pain did not last: the idea of Albertine′s having relations with women seemed no longer possible since the occasion, forty-eight hours earlier, when the advances that my mistress had made to Saint-Loup had excited in me a fresh jealousy which had made me forget the old. I was simple enough to suppose that one taste of necessity excludes another. At Harambouville, as the tram was full, a farmer in a blue blouse who had only a third class ticket got into our compartment. The doctor, feeling that the Princess must not be allowed to travel with such a person, called a porter, shewed his card, describing him as medical officer to one of the big railway companies, and obliged the station-master to make the farmer get out. This incident so pained and alarmed Saniette′s timid spirit that, as soon as he saw it beginning, fearing already lest, in view of the crowd of peasants on the platform, it should assume the proportions of a rising, he pretended to be suffering from a stomach-ache, and, so that he might not be accused of any share in the responsibility for the doctor′s violence, wandered down the corridor, pretending to be looking for what Cottard called the ‘water.′ Failing to find one, he stood and gazed at the scenery from the other end of the ‘twister.′ “If this is your first appearance at Mme. Verdurin′s, Sir,” I was addressed by Brichot, anxious to shew off his talents before a newcomer, “you will find that there is no place where one feels more the ‘amenities of life,′ to quote one of the inventors of dilettantism, of pococurantism, of all sorts of words in — ism that are in fashion among our little snobbesses, I refer to M. le Prince de Talleyrand.” For, when he spoke of these great noblemen of the past, he thought it clever and ‘in the period′ to prefix a ‘M.′ to their titles, and said ‘M. le Duc de La Rochefoucauld,′ ‘M. le Cardinal de Retz,′ referring to these also as ‘That struggle-for-lifer de Gondi,′ ‘that Boulangist de Marcillac.′ And he never failed to call Montesquieu, with a smile, when he referred to him: “Monsieur le Président Secondât de Montesquieu.” An intelligent man of the world would have been irritated by a pedantry which reeked so of the lecture-room. But in the perfect manners of the man of the world when speaking of a Prince, there is a pedantry also, which betrays a different caste, that in which one prefixes ‘the Emperor′ to the name ‘William′ and addresses a Royal Highness in the third person. “Ah, now that is a man,” Brichot continued, still referring to ‘Monsieur le Prince de Talleyrand′—“to whom we take off our hats. He is an ancestor.” “It is a charming house,” Cottard told me, “you will find a little of everything, for Mme. Verdurin is not exclusive, great scholars like Brichot, the high nobility, such as the Princess Sherbatoff, a great Russian lady, a friend of the Grand Duchess Eudoxie, who even sees her alone at hours when no one else is admitted.” As a matter of fact the Grand Duchess Eudoxie, not wishing Princess Sherbatoff, who for years past had been cut by everyone, to come to her house when there might be other people, allowed her to come only in the early morning, when Her Imperial Highness was not at home to any of those friends to whom it would have been as unpleasant to meet the Princess as it would have been awkward for the Princess to meet them. As, for the last three years, as soon as she came away, like a manicurist, from the Grand Duchess, Mme. Sherbatoff would go on to Mme. Verdurin, who had just awoken, and stuck to her for the rest of the day, one might say that the Princess′s loyalty surpassed even that of Brichot, constant as he was at those Wednesdays, both in Paris, where he had the pleasure of fancying himself a sort of Chateaubriand at l′Abbaye-aux-Bois, and in the country, where he saw himself becoming the equivalent of what might have been in the salon of Mme. de Châtelet the man whom he always named (with an erudite sarcasm and satisfaction): “M. de Voltaire.”
Son absence de relations avait permis à la princesse Sherbatoff de montrer, depuis quelques années, aux Verdurin une fidélité qui faisait d′elle plus qu′une «fidèle» ordinaire, la fidèle type, l′idéal que Mme Verdurin avait longtemps cru inaccessible et, qu′arrivée au retour d′âge, elle trouvait enfin incarné en cette nouvelle recrue féminine. De quelque jalousie qu′en eût été torturée la Patronne, il était sans exemple que les plus assidus de ses fidèles ne l′eussent «lâchée» une fois. Les plus casaniers se laissaient tenter par un voyage; les plus continents avaient eu une bonne fortune; les plus robustes pouvaient attraper la grippe, les plus oisifs être pris par leurs vingt-huit jours, les plus indifférents aller fermer les yeux à leur mère mourante. Et c′était en vain que Mme Verdurin leur disait alors, comme l′impératrice romaine, qu′elle était le seul général à qui dût obéir sa légion, comme le Christ ou le Kaiser, que celui qui aimait son père et sa mère autant qu′elle et n′était pas prêt à les quitter pour la suivre n′était pas digne d′elle, qu′au lieu de s′affaiblir au lit ou de se laisser berner par une grue, ils feraient mieux de rester près d′elle, elle, seul remède et seule volupté. Mais la destinée, qui se plaît parfois à embellir la fin des existences qui se prolongent tard, avait fait rencontrer à Mme Verdurin la princesse Sherbatoff. Brouillée avec sa famille, exilée de son pays, ne connaissant plus que la baronne Putbus et la grande-duchesse Eudoxie, chez lesquelles, parce qu′elle n′avait pas envie de rencontrer les amies de la première, et parce que la seconde n′avait pas envie que ses amies rencontrassent la princesse, elle n′allait qu′aux heures matinales où Mme Verdurin dormait encore, ne se souvenant pas d′avoir gardé la chambre une seule fois depuis l′âge de douze ans, où elle avait eu la rougeole, ayant répondu, le 31 décembre, à Mme Verdurin qui, inquiète d′être seule, lui avait demandé si elle ne pourrait pas rester coucher à l′improviste, malgré le jour de l′an: «Mais qu′est-ce qui pourrait m′en empêcher n′importe quel jour? D′ailleurs, ce jour-là, on reste en famille et vous êtes ma famille», vivant dans une pension et changeant de «pension» quand les Verdurin déménageaient, les suivant dans leurs villégiatures, la princesse avait si bien réalisé pour Mme Verdurin le vers de Vigny:   Her want of friends had enabled Princess Sherbatoff to shew for some years past to the Verdurins a fidelity which made her more than an ordinary member of the ‘faithful,′ the type of faithfulness, the ideal which Mme. Verdurin had long thought unattainable and which now, in her later years, she at length found incarnate in this new feminine recruit. However keenly the Mistress might feel the pangs of jealousy, it was without precedent that the most assiduous of her faithful should not have ‘failed′ her at least once. The most stay-at-home yielded to the temptation to travel; the most continent fell from virtue; the most robust might catch influenza, the idlest be caught for his month′s soldiering, the most indifferent go to close the eyes of a dying mother. And it was in vain that Mme. Verdurin told them then, like the Roman Empress, that she was the sole general whom her legion must obey, like the Christ or the Kaiser that he who loved his father or mother more than her and was not prepared to leave them and follow her was not worthy of her, that instead of slacking in bed or letting themselves be made fools of by bad women they would do better to remain in her company, by her, their sole remedy and sole delight. But destiny which is sometimes pleased to brighten the closing years of a life that has passed the mortal span had made Mme. Verdurin meet the Princess Sherbatoff. Out of touch with her family, an exile from her native land, knowing nobody but the Baroness Putbus and the Grand Duchess Eudoxie, to whose houses, because she herself had no desire to meet the friends of the former, and the latter no desire that her friends should meet the Princess, she went only in the early morning hours when Mme. Verdurin was still asleep, never once, so far as she could remember, having been confined to her room since she was twelve years old, when she had had the measles, having on the 31st of December replied to Mme. Verdurin who, afraid of being left alone, had asked her whether she would not ‘shake down′ there for the night, in spite of its being New Year′s Eve: “Why, what is there to prevent me, any day of the year? Besides, to-morrow is a day when one stays at home, and this is my home,” living in a boarding-house, and moving from it whenever the Verdurins moved, accompanying them upon their holidays, the Princess had so completely exemplified to Mme. Verdurin the line of Vigny:
Q1
Toi seule me parus ce qu′on cherche toujours
Thou only didst appear that which one seeks always,
que la Présidente du petit cercle, désireuse de s′assurer une «fidèle» jusque dans la mort, lui avait demandé que celle des deux qui mourrait la dernière se fît enterrer à côté de l′autre. Vis-à-vis des étrangers — parmi lesquels il faut toujours compter celui à qui nous mentons le plus parce que c′est celui par qui il nous serait le plus pénible d′être méprisé: nous-même — la princesse Sherbatoff avait soin de représenter ses trois seules amitiés — avec la grande-duchesse, avec les Verdurin, avec la baronne Putbus — comme les seules, non que des cataclysmes indépendant de sa volonté eussent laissé émerger au milieu de la destruction de tout le reste, mais qu′un libre choix lui avait fait élire de préférence à toute autre, et auxquelles un certain goût de solitude et de simplicité l′avait fait se borner. «Je ne vois personne d′autre», disait-elle en insistant sur le caractère inflexible de ce qui avait plutôt l′air d′une règle qu′on s′impose que d′une nécessité qu′on subit. Elle ajoutait: «Je ne fréquente que trois maisons», comme les auteurs qui, craignant de ne pouvoir aller jusqu′à la quatrième, annoncent que leur pièce n′aura que trois représentations. Que M. et Mme Verdurin ajoutassent foi ou non à cette fiction, ils avaient aidé la princesse à l′inculquer dans l′esprit des fidèles. Et ceux-ci étaient persuadés à la fois que la princesse, entre des milliers de relations qui s′offraient à elle, avait choisi les seuls Verdurin, et que les Verdurin, sollicités en vain par toute la haute aristocratie, n′avaient consenti à faire qu′une exception, en faveur de la princesse.   that the Lady President of the little circle, anxious to make sure of one of her ‘faithful′ even after death, had made her promise that whichever of them survived the other should be buried by her side. Before strangers — among whom we must always reckon him to whom we lie most barefacedly because he is the person whose scorn we should most dread: ourself — Princess Sherbatoff took care to represent her only three friendships — with the Grand Duchess, the Verdurins, and the Baroness Putbus — as the only ones, not which cataclysms beyond her control had allowed to emerge from the destruction of all the rest, but which a free choice had made her elect in preference to any other, and to which a certain love of solitude and simplicity had made her confine herself. “I see nobody else,” she would say, insisting upon the inflexible character of what appeared to be rather a rule that one imposes upon oneself than a necessity to which one submits. She would add: “I visit only three houses,” as a dramatist who fears that it may not run to a fourth announces that there will be only three performances of his play. Whether or not M. and Mme. Verdurin believed in the truth of this fiction, they had helped the Princess to instil it into the minds of the faithful. And they in turn were persuaded both that the Princess, among the thousands of invitations that were offered her, had chosen the Verdurins alone, and that the Verdurins, courted in vain by all the higher aristocracy, had consented to make but a single exception, in favour of the Princess.
A leurs yeux, la princesse, trop supérieure à son milieu d′origine pour ne pas s′y ennuyer, entre tant de gens qu′elle eût pu fréquenter ne trouvait agréables que les seuls Verdurin, et réciproquement ceux-ci, sourds aux avances de toute l′aristocratie qui s′offrait à eux, n′avaient consenti à faire qu′une seule exception, en faveur d′une grande dame plus intelligente que ses pareilles, la princesse Sherbatoff.   In their eyes, the Princess, too far superior to her native element not to find it boring, among all the people whose society she might have enjoyed, found the Verdurins alone entertaining, while they, in return, deaf to the overtures with which they were bombarded by the entire aristocracy, had consented to make but a single exception, in favour of a great lady of more intelligence than the rest of her kind, the Princess Sherbatoff.
La princesse était fort riche; elle avait à toutes les premières une grande baignoire où, avec l′autorisation de Mme Verdurin, elle emmenait les fidèles et jamais personne d′autre. On se montrait cette personne énigmatique et pâle, qui avait vieilli sans blanchir, et plutôt en rougissant comme certains fruits durables et ratatinés des haies. On admirait à la fois sa puissance et son humilité, car, ayant toujours avec elle un académicien, Brichot, un célèbre savant, Cottard, le premier pianiste du temps, plus tard M. de Charlus, elle s′efforçait pourtant de retenir exprès la baignoire la plus obscure, restait au fond, ne s′occupait en rien de la salle, vivait exclusivement pour le petit groupe, qui, un peu avant la fin de la représentation, se retirait en suivant cette souveraine étrange et non dépourvue d′une beauté timide, fascinante et usée. Or, si Mme Sherbatoff ne regardait pas la salle, restait dans l′ombre, c′était pour tâcher d′oublier qu′il existait un monde vivant qu′elle désirait passionnément et ne pouvait pas connaître; la «coterie» dans une «baignoire» était pour elle ce qu′est pour certains animaux l′immobilité quasi cadavérique en présence du danger. Néanmoins, le goût de nouveauté et de curiosité qui travaille les gens du monde faisait qu′ils prêtaient peut-être plus d′attention à cette mystérieuse inconnue qu′aux célébrités des premières loges, chez qui chacun venait en visite. On s′imaginait qu′elle était autrement que les personnes qu′on connaissait; qu′une merveilleuse intelligence, jointe à une bonté divinatrice, retenaient autour d′elle ce petit milieu de gens éminents. La princesse était forcée, si on lui parlait de quelqu′un ou si on lui présentait quelqu′un, de feindre une grande froideur pour maintenir la fiction de son horreur du monde. Néanmoins, avec l′appui de Cottard ou de Mme Verdurin, quelques nouveaux réussissaient à la connaître, et son ivresse d′en connaître un était telle qu′elle en oubliait la fable de l′isolement voulu et se dépensait follement pour le nouveau venu. S′il était fort médiocre, chacun s′étonnait. «Quelle chose singulière que la princesse, qui ne veut connaître personne, aille faire une exception pour cet être si peu caractéristique.» Mais ces fécondantes connaissances étaient rares, et la princesse vivait étroitement confinée au milieu des fidèles.   The Princess was very rich; she engaged for every first night a large box, to which, with the assent of Mme. Verdurin, she invited the faithful and nobody else. People would point to this pale and enigmatic person who had grown old without turning white, turning red rather like certain sere and shrivelled hedgerow fruits. They admired both her influence and her humility, for, having always with her an Academician, Brichot, a famous scientist, Cottard, the leading pianist of the day, at a later date M. de Charlus, she nevertheless made a point of securing the least prominent box in the theatre, remained in the background, paid no attention to the rest of the house, lived exclusively for the little group, who, shortly before the end of the performance, would withdraw in the wake of this strange sovereign, who was not without a certain timid, fascinating, faded beauty. But if Mme. Sherbatoff did not look at the audience, remained in shadow, it was to try to forget that there existed a living world which she passionately desired and was unable to know: the coterie in a box was to her what is to certain animals their almost corpselike immobility in the presence of danger. Nevertheless the thirst for novelty and for the curious which possesses people in society made them pay even more attention perhaps to this mysterious stranger than to the celebrities in the front boxes to whom everybody paid a visit. They imagined that she must be different from the people whom they knew, that a marvellous intellect combined with a discerning bounty retained round about her that little circle of eminent men. The Princess was compelled, if you spoke to her about anyone, or introduced anyone to her, to feign an intense coldness, in order to keep up the fiction of her horror of society. Nevertheless, with the support of Cottard or Mme. Verdurin, several newcomers succeeded in making her acquaintance and such was her excitement at making a fresh acquaintance that she forgot the fable of her deliberate isolation, and went to the wildest extremes to please the newcomer. If he was entirely unimportant, the rest would be astonished. “How strange that the Princess, who refuses to know anyone, should make an exception of such an uninteresting person.” But these fertilising acquaintances were rare, and the Princess lived narrowly confined in the midst of the faithful.
Cottard disait beaucoup plus souvent: «Je le verrai mercredi chez les Verdurin», que: «Je le verrai mardi à l′Académie.» Il parlait aussi des mercredis comme d′une occupation aussi importante et aussi inéluctable. D′ailleurs Cottard était de ces gens peu recherchés qui se font un devoir aussi impérieux de se rendre à une invitation que si elle constituait un ordre, comme une convocation militaire ou judiciaire. Il fallait qu′il fût appelé par une visite bien importante pour qu′il «lâchât» les Verdurin le mercredi, l′importance ayant trait, d′ailleurs, plutôt à la qualité du malade qu′à la gravité de la maladie. Car Cottard, quoique bon homme, renonçait aux douceurs du mercredi non pour un ouvrier frappé d′une attaque, mais pour le coryza d′un ministre. Encore, dans ce cas, disait-il à sa femme: «Excuse-moi bien auprès de Mme Verdurin. Préviens que j′arriverai en retard. Cette Excellence aurait bien pu choisir un autre jour pour être enrhumée.» Un mercredi, leur vieille cuisinière s′étant coupé la veine du bras, Cottard, déjà en smoking pour aller chez les Verdurin, avait haussé les épaules quand sa femme lui avait timidement demandé s′il ne pourrait pas panser la blessée: «Mais je ne peux pas, Léontine, s′était-il écrié en gémissant; tu vois bien que j′ai mon gilet blanc.» Pour ne pas impatienter son mari, Mme Cottard avait fait chercher au plus vite le chef de clinique. Celui-ci, pour aller plus vite, avait pris une voiture, de sorte que la sienne entrant dans la cour au moment où celle de Cottard allait sortir pour le mener chez les Verdurin, on avait perdu cinq minutes à avancer, à reculer. Mme Cottard était gênée que le chef de clinique vît son maître en tenue de soirée. Cottard pestait du retard, peut-être par remords, et partit avec une humeur exécrable qu′il fallut tous les plaisirs du mercredi pour arriver à dissiper.   Cottard said far more often: “I shall see him on Wednesday at the Verdurins′,” than: “I shall see him on Tuesday at the Academy.” He spoke, too, of the Wednesdays as of an engagement equally important and inevitable. But Cottard was one of those people, little sought after, who make it as imperious a duty to respond to an invitation as if such invitations were orders, like a military or judicial summons. It required a call from a very important patient to make him “fail” the Verdurins on a Wednesday, the importance depending moreover rather upon the rank of the patient than upon the gravity of his complaint. For Cottard, excellent fellow as he was, would forego the delights of a Wednesday not for a workman who had had a stroke, but for a Minister′s cold. Even then he would say to his wife: “Make my apologies to Mme. Verdurin. Tell her that I shall be coming later on. His Excellency might really have chosen some other day to catch cold.” One Wednesday their old cook having opened a vein in her arm, Cottard, already in his dinner-jacket to go to the Verdurins′, had shrugged his shoulders when his wife had timidly inquired whether he could not bandage the cut: “Of course I can′t, Léontine,” he had groaned; “can′t you see I′ve got my white waistcoat on?” So as not to annoy her husband, Mme. Cottard had sent post haste for his chief dresser. He, to save time, had taken a cab, with the result that, his carriage entering the courtyard just as Cottard′s was emerging to take him to the Verdurins′, five minutes had been wasted in backing to let one another pass. Mme. Cottard was worried that the dresser should see his master in evening dress. Cottard sat cursing the delay, from remorse perhaps, and started off in a villainous temper which it took all the Wednesday′s pleasures to dispel.
Si un client de Cottard lui demandait: «Rencontrez-vous quelquefois les Guermantes?» c′est de la meilleure foi du monde que le professeur répondait: «Peut-être pas justement les Guermantes, je ne sais pas. Mais je vois tout ce monde-là chez des amis à moi. Vous avez certainement entendu parler des Verdurin. Ils connaissent tout le monde. Et puis eux, du moins, ce ne sont pas des gens chics décatis. Il y a du répondant. On évalue généralement que Mme Verdurin est riche à trente-cinq millions. Dame, trente-cinq millions, c′est un chiffre. Aussi elle n′y va pas avec le dos de la cuiller. Vous me parliez de la duchesse de Guermantes. Je vais vous dire la différence: Mme Verdurin c′est une grande dame, la duchesse de Guermantes est probablement une purée. Vous saisissez bien la nuance, n′est-ce pas? En tout cas, que les Guermantes aillent ou non chez Mme Verdurin, elle reçoit, ce qui vaut mieux, les d′Sherbatoff, les d′Forcheville, et tutti quanti, des gens de la plus haute volée, toute la noblesse de France et de Navarre, à qui vous me verriez parler de pair à compagnon. D′ailleurs ce genre d′individus recherche volontiers les princes de la science», ajoutait-il avec un sourire d′amour-propre béat, amené à ses lèvres par la satisfaction orgueilleuse, non pas tellement que l′expression jadis réservée aux Potain, aux Charcot, s′appliquât maintenant à lui, mais qu′il sût enfin user comme il convenait de toutes celles que l′usage autorise et, qu′après les avoir longtemps piochées, il possédait à fond. Aussi, après m′avoir cité la princesse Sherbatoff parmi les personnes que recevait Mme Verdurin, Cottard ajoutait en clignant de l′oeil: «Vous voyez le genre de la maison, vous comprenez ce que je veux dire?» Il voulait dire ce qu′il y a de plus chic. Or, recevoir une dame russe qui ne connaissait que la grande-duchesse Eudoxie, c′était peu. Mais la princesse Sherbatoff eût même pu ne pas la connaître sans qu′eussent été amoindries l′opinion que Cottard avait relativement à la suprême élégance du salon Verdurin et sa joie d′y être reçu. La splendeur dont nous semblent revêtus les gens que nous fréquentons n′est pas plus intrinsèque que celle de ces personnages de théâtre pour l′habillement desquels il est bien inutile qu′un directeur dépense des centaines de mille francs à acheter des costumes authentiques et des bijoux vrais qui ne feront aucun effet, quand un grand décorateur donnera une impression de luxe mille fois plus somptueuse en dirigeant un rayon factice sur un pourpoint de grosse toile semé de bouchons de verre et sur un manteau en papier. Tel homme a passé sa vie au milieu des grands de la terre qui n′étaient pour lui que d′ennuyeux parents ou de fastidieuses connaissances, parce qu′une habitude contractée dès le berceau les avait dépouillés à ses yeux de tout prestige. Mais, en revanche, il a suffi que celui-ci vînt, par quelque hasard, s′ajouter aux personnes les plus obscures, pour que d′innombrables Cottard aient vécu éblouis par des femmes titrées dont ils s′imaginaient que le salon était le centre des élégances aristocratiques, et qui n′étaient même pas ce qu′étaient Mme de Villeparisis et ses amies (des grandes dames déchues que l′aristocratie qui avait été élevée avec elles ne fréquentait plus); non, celles dont l′amitié a été l′orgueil de tant de gens, si ceux-ci publiaient leurs mémoires et y donnaient les noms de ces femmes et de celles qu′elles recevaient, personne, pas plus Mme de Cambremer que Mme de Guermantes, ne pourrait les identifier. Mais qu′importe! Un Cottard a ainsi sa marquise, laquelle est pour lui la «baronne», comme, dans Marivaux, la baronne dont on ne dit jamais le nom et dont on n′a même pas l′idée qu′elle en a jamais eu un. Cottard croit d′autant plus y trouver résumée l′aristocratie — laquelle ignore cette dame — que plus les titres sont douteux plus les couronnes tiennent de place sur les verres, sur l′argenterie, sur le papier à lettres, sur les malles. De nombreux Cottard, qui ont cru passer leur vie au coeur du faubourg Saint–Germain, ont eu leur imagination peut-être plus enchantée de rêves féodaux que ceux qui avaient effectivement vécu parmi des princes, de même que, pour le petit commerçant qui, le dimanche, va parfois visiter des édifices «du vieux temps», c′est quelquefois dans ceux dont toutes les pierres sont du nôtre, et dont les voûtes ont été, par des élèves de Viollet-le-Duc, peintes en bleu et semées d′étoiles d′or, qu′ils ont le plus la sensation du moyen âge. «La princesse sera à Maineville. Elle voyagera avec nous. Mais je ne vous présenterai pas tout de suite. Il vaudra mieux que ce soit Mme Verdurin qui fasse cela. A moins que je ne trouve un joint. Comptez alors que je sauterai dessus. — De quoi parliez-vous, dit Saniette, qui fit semblant d′avoir été prendre l′air. — Je citai à Monsieur, dit Brichot, un mot que vous connaissez bien de celui qui est à mon avis le premier des fins de siècle (du siècle 18 s′entend), le prénommé Charles–Maurice, abbé de Périgord. Il avait commencé par promettre d′être un très bon journaliste. Mais il tourna mal, je veux dire qu′il devint ministre! La vie a de ces disgrâces. Politicien peu scrupuleux au demeurant, qui, avec des dédains de grand seigneur racé, ne se gênait pas de travailler à ses heures pour le roi de Prusse, c′est le cas de le dire, et mourut dans la peau d′un centre gauche.»   If one of Cottard′s patients were to ask him: “Do you ever see the Guermantes?” it was with the utmost sincerity that the Professor would reply: “Perhaps not actually the Guermantes, I can′t be certain. But I meet all those people at the house of some friends of mine. You must, of course, have heard of the Verdurins. They know everybody. Besides, they certainly are not people who′ve come down in the world. They′ve got the goods, all right. It is generally estimated that Mme. Verdurin is worth thirty-five million. Gad, thirty-five million, that′s a pretty figure. And so she doesn′t make two bites at a cherry. You mentioned the Duchesse de Guermantes. Let me explain the difference. Mme. Verdurin is a great lady, the Duchesse de Guermantes is probably a nobody. You see the distinction, of course. In any case, whether the Guermantes go to Mme. Verdurin′s or not, she entertains all the very best people, the d′Sherbatoffs, the d′Forchevilles, e tutti quanti, people of the highest flight, all the nobility of France and Navarre, with whom you would see me conversing as man to man. Of course, those sort of people are only too glad to meet the princes of science,” he added, with a smile of fatuous conceit, brought to his lips by his proud satisfaction not so much that the expression formerly reserved for men like Potain and Charcot should now be applicable to himself, as that he knew at last how to employ all these expressions that were authorised by custom, and, after a long course of study, had learned them by heart. And so, after mentioning to me Princess Sherbatoff as one of the people who went to Mme. Verdurin′s, Cottard added with a wink: “That gives you an idea of the style of the house, if you see what I mean?” He meant that it was the very height of fashion. Now, to entertain a Russian lady who knew nobody but the Grand Duchess Eudoxie was not fashionable at all. But Princess Sherbatoff might not have known even her, it would in no way have diminished Cottard′s estimate of the supreme elegance of the Verdurin salon or his joy at being invited there. The splendour that seems to us to invest the people whose houses we visit is no more intrinsic than that of kings and queens on the stage, in dressing whom it is useless for a producer to spend hundreds and thousands of francs in purchasing authentic costumes and real jewels, when a great designer will procure a far more sumptuous impression by focussing a ray of light on a doublet of coarse cloth studded with lumps of glass and on a cloak of paper. A man may have spent his life among the great ones of the earth, who to him have been merely boring relatives or tiresome acquaintances, because a familiarity engendered in the cradle had stripped them of all distinction in his eyes. The same man, on the other hand, need only have been led by some chance to mix with the most obscure people, for innumerable Cottards to be permanently dazzled by the ladies of title whose drawing-rooms they imagined as the centres of aristocratic elegance, ladies who were not even what Mme. de Villeparisis and her friends were (great ladies fallen from their greatness, whom the aristocracy that had been brought up with them no longer visited); no, those whose friendship has been the pride of so many men, if these men were to publish their memoirs and to give the names of those women and of the other women who came to their parties, Mme. de Cambremer would be no more able than Mme. de Guermantes to identify them. But what of that! A Cottard has thus his Marquise, who is to him “the Baronne,” as in Marivaux, the Baronne whose name is never mentioned, so much so that nobody supposes that she ever had a name. Cottard is all the more convinced that she embodies the aristocracy — which has never heard of the lady — in that, the more dubious titles are, the more prominently coronets are displayed upon wineglasses, silver, notepaper, luggage. Many Cottards who have supposed that they were living in the heart of the Faubourg Saint-Germain have had their imagination perhaps more enchanted by feudal dreams than the men who did really live among Princes, just as with the small shopkeeper who, on Sundays, goes sometimes to look at “old time” buildings, it is sometimes from those buildings every stone of which is of our own time, the vaults of which have been, by the pupils of Viollet-le-Duc, painted blue and sprinkled with golden stars, that they derive the strongest sensation of the middle ages. “The Princess will be at Maineville. She will be coming with us. But I shall not introduce you to her at once. It will be better to leave that to Mme. Verdurin. Unless I find a loophole. Then you can rely on me to take the bull by the horns.” “What were you saying?” asked Saniette, as he rejoined us, pretending to have gone out to take the air. “I was quoting to this gentleman,” said Brichot, “a saying, which you will remember, of the man who, to my mind, is the first of the fins-de-siècle (of the eighteenth century, that is), by name Charles Maurice, Abbé de Perigord. He began by promising to be an excellent journalist. But he made a bad end, by which I mean that he became a Minister! Life has these tragedies. A far from scrupulous politician to boot who, with the lofty contempt of a thoroughbred nobleman, did not hesitate to work in his time for the King of Prussia, there are no two ways about it, and died in the skin of a ‘Left Centre.′”
A Saint–Pierre-des-Ifs monta une splendide jeune fille qui, malheureusement, ne faisait pas partie du petit groupe. Je ne pouvais détacher mes yeux de sa chair de magnolia, de ses yeux noirs, de la construction admirable et haute de ses formes. Au bout d′une seconde elle voulut ouvrir une glace, car il faisait un peu chaud dans le compartiment, et ne voulant pas demander la permission à tout le monde, comme seul je n′avais pas de manteau, elle me dit d′une voix rapide, fraîche et rieuse: «Ça ne vous est pas désagréable, Monsieur, l′air?» J′aurais voulu lui dire: «Venez avec nous chez les Verdurin», ou: «Dites-moi votre nom et votre adresse.» Je répondis: «Non, l′air ne me gêne pas, Mademoiselle.» Et après, sans se déranger de sa place: «La fumée, ça ne gêne pas vos amis?» et elle alluma une cigarette. A la troisième station elle descendit d′un saut. Le lendemain, je demandai à Albertine qui cela pouvait être. Car, stupidement, croyant qu′on ne peut aimer qu′une chose, jaloux de l′attitude d′Albertine à l′égard de Robert, j′étais rassuré quant aux femmes. Albertine me dit, je crois très sincèrement, qu′elle ne savait pas. «Je voudrais tant la retrouver, m′écriai-je. — Tranquillisez-vous, on se retrouve toujours», répondit Albertine. Dans le cas particulier elle se trompait; je n′ai jamais retrouvé ni identifié la belle fille à la cigarette. On verra du reste pourquoi, pendant longtemps, je dus cesser de la chercher. Mais je ne l′ai pas oubliée. Il m′arrive souvent en pensant à elle d′être pris d′une folle envie. Mais ces retours du désir nous forcent à réfléchir que, si on voulait retrouver ces jeunes filles-là avec le même plaisir, il faudrait revenir aussi à l′année, qui a été suivie depuis de dix autres pendant lesquelles la jeune fille s′est fanée. On peut quelquefois retrouver un être, mais non abolir le temps. Tout cela jusqu′au jour imprévu et triste comme une nuit d′hiver, où on ne cherche plus cette jeune fille-là, ni aucune autre, où trouver vous effraierait même. Car on ne se sent plus assez d′attraits pour plaire, ni de force pour aimer. Non pas, bien entendu, qu′on soit, au sens propre du mot, impuissant. Et quant à aimer, on aimerait plus que jamais. Mais on sent que c′est une trop grande entreprise pour le peu de forces qu′on garde. Le repos éternel a déjà mis des intervalles où l′on ne peut sortir, ni parler. Mettre un pied sur la marche qu′il faut, c′est une réussite comme de ne pas manquer le saut périlleux. Être vu dans cet état par une jeune fille qu′on aime, même si l′on a gardé son visage et tous ses cheveux blonds de jeune homme! On ne peut plus assumer la fatigue de se mettre au pas de la jeunesse. Tant pis si le désir charnel redouble au lieu de s′amortir! On fait venir pour lui une femme à qui l′on ne se souciera pas de plaire, qui ne partagera qu′un soir votre couche et qu′on ne reverra jamais.   At Saint-Pierre-des-Ifs we were joined by a glorious girl who, unfortunately, was not one of the little group. I could not tear my eyes from her magnolia skin, her dark eyes, her bold and admirable outlines. A moment later she wanted to open a window, for it was hot in the compartment, and not wishing to ask leave of everybody, as I alone was without a greatcoat, she said to me in a quick, cool, jocular voice: “Do you mind a little fresh air, Sir?” I would have liked to say to her: “Come with us to the Verdurins′?” or “Give me your name and address.” I answered: “No, fresh air doesn′t bother me, Mademoiselle.” Whereupon, without stirring from her seat: “Do your friends object to smoke?” and she lit a cigarette. At the third station she sprang from the carriage. Next day, I inquired of Albertine, who could she be. For, stupidly thinking that people could have but one sort of love, in my jealousy of Albertine′s attitude towards Robert, I was reassured so far as other women were concerned. Albertine told me, I believe quite sincerely, that she did not know. “I should so much like to see her again,” I exclaimed. “Don′t worry, one always sees people again,” replied Albertine. In this particular instance, she was wrong; I never saw again, nor did I ever identify, the pretty girl with the cigarette. We shall see, moreover, why, for a long time, I ceased to look for her. But I have not forgotten her. I find myself at times, when I think of her, seized by a wild longing. But these recurrences of desire oblige us to reflect that if we wish to rediscover these girls with the same pleasure we must also return to the year which has since been followed by ten others in the course of which her bloom has faded. We can sometimes find a person again, but we cannot abolish time. And so on until the unforeseen day, gloomy as a winter night, when we no longer seek for that girl, or for any other, when to find her would actually frighten us. For we no longer feel that we have sufficient attraction to appeal to her, or strength to love her. Not, of course, that we are, in the strict sense of the word, impotent. And as for loving, we should love her more than ever. But we feel that it is too big an undertaking for the little strength that we have left. Eternal rest has already fixed intervals which we can neither cross nor make our voice be heard across them. To set our foot on the right step is an achievement like not missing the perilous leap. To be seen in such a state by a girl we love, even if we have kept the features and all the golden locks of our youth! We can no longer undertake the strain of keeping pace with youth. All the worse if our carnal desire increases instead of failing! We procure for it a woman whom we need make no effort to attract, who will share our couch for one night only and whom we shall never see again.
«On doit être toujours sans nouvelles du violoniste», dit Cottard. L′événement du jour, dans le petit clan, était en effet le lâchage du violoniste favori de Mme Verdurin. Celui-ci, qui faisait son service militaire près de Doncières, venait trois fois par semaine dîner à la Raspelière, car il avait la permission de minuit. Or, l′avant-veille, pour la première fois, les fidèles n′avaient pu arriver à le découvrir dans le tram. On avait supposé qu′il l′avait manqué. Mais Mme Verdurin avait eu beau envoyer au tram suivant, enfin au dernier, la voiture était revenue vide. «Il a été sûrement fourré au bloc, il n′y a pas d′autre explication de sa fugue. Ah! dame, vous savez, dans le métier militaire, avec ces gaillards-là, il suffit d′un adjudant grincheux. — Ce sera d′autant plus mortifiant pour Mme Verdurin, dit Brichot, s′il lâche encore ce soir, que notre aimable hôtesse reçoit justement à dîner pour la première fois les voisins qui lui ont loué la Raspelière, le marquis et la marquise de Cambremer. — Ce soir, le marquis et la marquise de Cambremer! s′écria Cottard. Mais je n′en savais absolument rien. Naturellement je savais comme vous tous qu′ils devaient venir un jour, mais je ne savais pas que ce fût si proche. Sapristi, dit-il en se tournant vers moi, qu′est-ce que je vous ai dit: la princesse Sherbatoff, le marquis et la marquise de Cambremer.» Et après avoir répété ces noms en se berçant de leur mélodie: «Vous voyez que nous nous mettons bien, me dit-il. N′importe, pour vos débuts, vous mettez dans le mille. Cela va être une chambrée exceptionnellement brillante.» Et se tournant vers Brichot, il ajouta: «La Patronne doit être furieuse. Il n′est que temps que nous arrivions lui prêter main forte.» Depuis que Mme Verdurin était à la Raspelière, elle affectait vis-à-vis des fidèles d′être, en effet, dans l′obligation, et au désespoir d′inviter une fois ses propriétaires. Elle aurait ainsi de meilleures conditions pour l′année suivante, disait-elle, et ne le faisait que par intérêt. Mais elle prétendait avoir une telle terreur, se faire un tel monstre d′un dîner avec des gens qui n′étaient pas du petit groupe, qu′elle le remettait toujours. Il l′effrayait, du reste, un peu pour les motifs qu′elle proclamait, tout en les exagérant, si par un autre côté il l′enchantait pour des raisons de snobisme qu′elle préférait taire. Elle était donc à demi sincère, elle croyait le petit clan quelque chose de si unique au monde, un de ces ensembles comme il faut des siècles pour en constituer un pareil, qu′elle tremblait à la pensée d′y voir introduits ces gens de province, ignorants de la Tétralogie et des «Maîtres», qui ne sauraient pas tenir leur partie dans le concert de la conversation générale et étaient capables, en venant chez Mme Verdurin, de détruire un des fameux mercredis, chefs-d′oeuvre incomparables et fragiles, pareils à ces verreries de Venise qu′une fausse note suffit à briser. «De plus, ils doivent être tout ce qu′il y a de plus anti, et galonnards, avait dit M. Verdurin. — Ah! ça, par exemple, ça m′est égal, voilà assez longtemps qu′on en parle de cette histoire-là», avait répondu Mme Verdurin qui, sincèrement dreyfusarde, eût cependant voulu trouver dans la prépondérance de son salon dreyfusiste une récompense mondaine. Or le dreyfusisme triomphait politiquement, mais non pas mondainement. Labori, Reinach, Picquart, Zola, restaient, pour les gens du monde, des espèces de traîtres qui ne pouvaient que les éloigner du petit noyau. Aussi, après cette incursion dans la politique, Mme Verdurin tenait-elle à rentrer dans l′art. D′ailleurs d′Indy, Debussy, n′étaient-ils pas «mal» dans l′Affaire? «Pour ce qui est de l′Affaire, nous n′aurions qu′à les mettre à côté de Brichot, dit-elle (l′universitaire étant le seul des fidèles qui avait pris le parti de l′État-Major, ce qui l′avait fait beaucoup baisser dans l′estime de Mme Verdurin). On n′est pas obligé de parler éternellement de l′affaire Dreyfus. Non, la vérité, c′est que les Cambremer m′embêtent.» Quant aux fidèles, aussi excités par le désir inavoué qu′ils avaient de connaître les Cambremer, que dupes de l′ennui affecté que Mme Verdurin disait éprouver à les recevoir, ils reprenaient chaque jour, en causant avec elle, les vils arguments qu′elle donnait elle-même en faveur de cette invitation, tâchaient de les rendre irrésistibles. «Décidez-vous une bonne fois, répétait Cottard, et vous aurez les concessions pour le loyer, ce sont eux qui paieront le jardinier, vous aurez la jouissance du pré. Tout cela vaut bien de s′ennuyer une soirée. Je n′en parle que pour vous», ajoutait-il, bien que le coeur lui eût battu une fois que, dans la voiture de Mme Verdurin, il avait croisé celle de la vieille Mme de Cambremer sur la route, et surtout qu′il fût humilié pour les employés du chemin de fer, quand, à la gare, il se trouvait près du marquis. De leur côté, les Cambremer, vivant bien trop loin du mouvement mondain pour pouvoir même se douter que certaines femmes élégantes parlaient avec quelque considération de Mme Verdurin, s′imaginaient que celle-ci était une personne qui ne pouvait connaître que des bohèmes, n′était même peut-être pas légitimement mariée, et, en fait de gens «nés», ne verrait jamais qu′eux. Ils ne s′étaient résignés à y dîner que pour être en bons termes avec une locataire dont ils espéraient le retour pour de nombreuses saisons, surtout depuis qu′ils avaient, le mois précédent, appris qu′elle venait d′hériter de tant de millions. C′est en silence et sans plaisanteries de mauvais goût qu′ils se préparaient au jour fatal. Les fidèles n′espéraient plus qu′il vînt jamais, tant de fois Mme Verdurin en avait déjà fixé devant eux la date, toujours changée. Ces fausses résolutions avaient pour but, non seulement de faire ostentation de l′ennui que lui causait ce dîner, mais de tenir en haleine les membres du petit groupe qui habitaient dans le voisinage et étaient parfois enclins à lâcher. Non que la Patronne devinât que le «grand jour» leur était aussi agréable qu′à elle-même, mais parce que, les ayant persuadés que ce dîner était pour elle la plus terrible des corvées, elle pouvait faire appel à leur dévouement. «Vous n′allez pas me laisser seule en tête à tête avec ces Chinois-là! Il faut au contraire que nous soyons en nombre pour supporter l′ennui. Naturellement nous ne pourrons parler de rien de ce qui nous intéresse. Ce sera un mercredi de raté, que voulez-vous!»   “Still no news, I suppose, of the violinist,” said Cottard. The event of the day in the little clan was, in fact, the failure of Mme. Verdurin′s favourite violinist. Employed on military service near Doncières, he came three times a week to dine at la Raspelière, having a midnight pass. But two days ago, for the first time, the faithful had been unable to discover him on the tram. It was supposed that he had missed it. But albeit Mme. Verdurin had sent to meet the next tram, and so on until the last had arrived, the carriage had returned empty. “He′s certain to have been shoved into the guard-room, there′s no other explanation of his desertion. Gad! In soldiering, you know, with those fellows, it only needs a bad-tempered serjeant.” “It will be all the more mortifying for Mme. Verdurin,” said Brichot, “if he fails again this evening, because our kind hostess has invited to dinner for the first time the neighbours from whom she has taken la Raspelière, the Marquis and Marquise de Cambremer.” “This evening, the Marquis and Marquise de Cambremer!” exclaimed Cottard. “But I knew absolutely nothing about it. Naturally, I knew like everybody else that they would be coming one day, but I had no idea that it was to be so soon. Sapristi!” he went on, turning to myself, “what did I tell you? The Princess Sherbatoff, the Marquis and Marquise de Cambremer.” And, after repeating these names, lulling himself with their melody: “You see that we move in good company,” he said to me. “However, as it′s your first appearance, you′ll be one of the crowd. It is going to be an exceptionally brilliant gathering.” And, turning to Brichot, he went on: “The Mistress will be furious. It is time we appeared to lend her a hand.” Ever since Mme. Verdurin had been at la Raspelière she had pretended for the benefit of the faithful to be at once feeling and regretting the necessity of inviting her landlords for one evening. By so doing she would obtain better terms next year, she explained, and was inviting them for business reasons only. But she pretended to regard with such terror, to make such a bugbear of the idea of dining with people who did not belong to the little group that she kept putting off the evil day. The prospect did for that matter alarm her slightly for the reasons which she professed, albeit exaggerating them, if at the same time it enchanted her for reasons of snobbishness which she preferred to keep to herself. She was therefore partly sincere, she believed the little clan to be something so matchless throughout the world, one of those perfect wholes which it takes centuries of time to produce, that she trembled at the thought of seeing introduced into its midst these provincials, people ignorant of the Ring and the Meistersinger, who would be unable to play their part in the concert of conversation and were capable, by coming to Mme. Verdurin′s, of ruining one of those famous Wednesdays, masterpieces of art incomparable and frail, like those Venetian glasses which one false note is enough to shatter. “Besides, they are bound to be absolutely anti, and militarists,” M. Verdurin had said. “Oh, as for that, I don′t mind, we′ve heard quite enough about all that business,” had replied Mme. Verdurin, who, a sincere Dreyfusard, would nevertheless have been glad to discover a social counterpoise to the preponderant Dreyfusism of her salon. For Dreyfusism was triumphant politically, but not socially. Labori, Reinach, Picquart, Zola were still, to people in society, more or less traitors, who could only keep them aloof from the little nucleus. And so, after this incursion into politics, Mme. Verdurin was determined to return to the world of art. Besides were not Indy, Debussy, on the ‘wrong′ side in the Case? “So far as the Case goes, we need only remember Brichot,” she said (the Don being the only one of the faithful who had sided with the General Staff, which had greatly lowered him in the esteem of Madame Verdurin). “There is no need to be eternally discussing the Dreyfus case. No, the fact of the matter is that the Cambremers bore me.” As for the faithful, no less excited by their unconfessed desire to make the Cambremers′ acquaintance than dupes of the affected reluctance which Mme. Verdurin said she felt to invite them, they returned, day after day, in conversation with her, to the base arguments with which she herself supported the invitation, tried to make them irresistible. “Make up your mind to it once and for all,” Cottard repeated, “and you will have better terms for next year, they will pay the gardener, you will have the use of the meadow. That will be well worth a boring evening. I am thinking only of yourselves,” he added, albeit his heart had leaped on one occasion, when, in Mme. Verdurin′s carriage, he had met the carriage of the old Mme. de Cambremer and, what was more, he had been abased in the sight of the railwaymen when, at the station, he had found himself standing beside the Marquis. For their part, the Cambremers, living far too remote from the social movement ever to suspect that certain ladies of fashion were speaking with a certain consideration of Mme. Verdurin, imagined that she was a person who could know none but Bohemians, was perhaps not even legally married, and so far as people of birth were concerned would never meet any but themselves. They had resigned themselves to the thought of dining with her only to be on good terms with a tenant who, they hoped, would return again for many seasons, especially after they had, in the previous month, learned that she had recently inherited all those millions. It was in silence and without any vulgar pleasantries that they prepared themselves for the fatal day. The faithful had given up hope of its ever coming, so often had Mme. Verdurin already fixed in their hearing a date that was invariably postponed. These false decisions were intended not merely to make a display of the boredom that she felt at the thought of this dinner-party, but to keep in suspense those members of the little group who were staying in the neighbourhood and were sometimes inclined to fail. Not that the Mistress guessed that the “great day” was as delightful a prospect to them as to herself, but in order that, having persuaded them that this dinner-party was to her the most terrible of social duties, she might make an appeal to their devotion. “You are not going to leave me all alone with those Chinese mandarins! We must assemble in full force to support the boredom. Naturally, we shan′t be able to talk about any of the things in which we are interested. It will be a Wednesday spoiled, but what is one to do!”
— En effet, répondit Brichot, en s′adressant à moi, je crois que Mme Verdurin, qui est très intelligente et apporte une grande coquetterie à l′élaboration de ses mercredis, ne tenait guère à recevoir ces hobereaux de grande lignée mais sans esprit. Elle n′a pu se résoudre à inviter la marquise douairière, mais s′est résignée au fils et à la belle-fille. — Ah! nous verrons la marquise de Cambremer? dit Cottard avec un sourire où il crut devoir mettre de la paillardise et du marivaudage, bien qu′il ignorât si Mme de Cambremer était jolie ou non. Mais le titre de marquise éveillait en lui des images prestigieuses et galantes. «Ah! je la connais, dit Ski, qui l′avait rencontrée, une fois qu′il se promenait avec Mme Verdurin. — Vous ne la connaissez pas au sens biblique, dit, en coulant un regard louche sous son lorgnon, le docteur, dont c′était une des plaisanteries favorites. — Elle est intelligente, me dit Ski. Naturellement, reprit-il en voyant que je ne disais rien et appuyant en souriant sur chaque mot, elle est intelligente et elle ne l′est pas, il lui manque l′instruction, elle est frivole, mais elle a l′instinct des jolies choses. Elle se taira, mais elle ne dira jamais une bêtise. Et puis elle est d′une jolie coloration. Ce serait un portrait qui serait amusant à peindre», ajouta-t-il en fermant à demi les yeux comme s′il la regardait posant devant lui. Comme je pensais tout le contraire de ce que Ski exprimait avec tant de nuances, je me contentai de dire qu′elle était la soeur d′un ingénieur très distingué, M. Legrandin. «Hé bien, vous voyez, vous serez présenté à une jolie femme, me dit Brichot, et on ne sait jamais ce qui peut en résulter. Cléopâtre n′était même pas une grande dame, c′était la petite femme, la petite femme inconsciente et terrible de notre Meilhac, et voyez les conséquences, non seulement pour ce jobard d′Antoine, mais pour le monde antique. — J′ai déjà été présenté à Mme de Cambremer, répondis-je. — Ah! mais alors vous allez vous trouver en pays de connaissance. — Je serai d′autant plus heureux de la voir, répondis-je, qu′elle m′avait promis un ouvrage de l′ancien curé de Combray sur les noms de lieux de cette région-ci, et je vais pouvoir lui rappeler sa promesse. Je m′intéresse à ce prêtre et aussi aux étymologies. — Ne vous fiez pas trop à celles qu′il indique, me répondit Brichot; l′ouvrage, qui est à la Raspelière et que je me suis amusé à feuilleter, ne me dit rien qui vaille; il fourmille d′erreurs. Je vais vous en donner un exemple. Le mot Bricq entre dans la formation d′une quantité de noms de lieux de nos environs. Le brave ecclésiastique a eu l′idée passablement biscornue qu′il vient de Briga, hauteur, lieu fortifié. Il le voit déjà dans les peuplades celtiques, Latobriges, Nemetobriges, etc., et le suit jusque dans les noms comme Briand, Brion, etc . . . Pour en revenir au pays que nous avons le plaisir de traverser en ce moment avec vous, Bricquebosc signifierait le bois de la hauteur, Bricqueville l′habitation de la hauteur, Bricquebec, où nous nous arrêterons dans un instant avant d′arriver à Maineville, la hauteur près du ruisseau. Or ce n′est pas du tout cela, pour la raison que bricq est le vieux mot norois qui signifie tout simplement: un pont. De même que fleur, que le protégé de Mme de Cambremer se donne une peine infinie pour rattacher tantôt aux mots scandinaves floi, flo, tantôt au mot irlandais ae et aer, est au contraire, à n′en point douter, le fiord des Danois et signifie: port. De même l′excellent prêtre croit que la station de Saint–Martin-le-Vêtu, qui avoisine la Raspelière, signifie Saint–Martin-le-Vieux (vetus). Il est certain que le mot de vieux a joué un grand rôle dans la toponymie de cette région. Vieux vient généralement de vadum et signifie un gué, comme au lieu dit: les Vieux. C′est ce que les Anglais appelaient «ford» (Oxford, Hereford). Mais, dans le cas particulier, vieux vient non pas de vetus, mais de vastatus, lieu dévasté et nu. Vous avez près d′ici Sottevast, le vast de Setold; Brillevast, le vast de Berold. Je suis d′autant plus certain de l′erreur du curé, que Saint–Martin-le-Vieux s′est appelé autrefois Saint–Martin-du-Gast et même Saint–Martin-de-Terregate. Or le v et le g dans ces mots sont la même lettre. On dit: dévaster mais aussi: gâcher. Jachères et gâtines (du haut allemand wastinna) ont ce même sens: Terregate c′est donc terra vastata. Quant à Saint–Mars, jadis (honni soit qui mal y pense) Saint–Merd, c′est Saint–Medardus, qui est tantôt Saint-Médard, Saint–Mard, Saint–Marc, Cinq–Mars, et jusqu′à Dammas. Il ne faut du reste pas oublier que, tout près d′ici, des lieux, portant ce même nom de Mars, attestent simplement une origine pane (le dieu Mars) restée vivace en ce pays, mais que le saint homme se refuse à reconnaître. Les hauteurs dédiées aux dieux sont en particulier fort nombreuses, comme la montagne de Jupiter (Jeumont). Votre curé n′en veut rien voir et, en revanche, partout où le christianisme a laissé des traces, elles lui échappent. Il a poussé son voyage jusqu′à Loctudy, nom barbare, dit-il, alors que c′est Locus sancti Tudeni, et n′a pas davantage, dans Sammarçoles, deviné Sanctus Martialis. Votre curé, continua Brichot, en voyant qu′il m′intéressait, fait venir les mots en hon, home, holm, du mot holl (hullus), colline, alors qu′il vient du norois holm, île, que vous connaissez bien dans Stockholm, et qui dans tout ce pays-ci est si répandu, la Houlme. Engohomme, Tahoume, Robehomme, Néhomme, Quettehon, etc.» Ces noms me firent penser au jour où Albertine avait voulu aller à Amfreville-la-Bigot (du nom de deux de ses seigneurs successifs, me dit Brichot), et où elle m′avait ensuite proposé de dîner ensemble à Robehomme. Quant à Montmartin, nous allions y passer dans un instant. «Est-ce que Néhomme, demandai-je, n′est pas près de Carquethuit et de Clitourps? — Parfaitement, Néhomme c′est le holm, l′île ou presqu′île du fameux vicomte Nigel dont le nom est resté aussi dans Néville. Carquethuit et Clitourps, dont vous me parlez, sont, pour le protégé de Mme de Cambremer, l′occasion d′autres erreurs. Sans doute il voit bien que carque, c′est une église, la Kirche des Allemands. Vous connaissez Querqueville, sans parler de Dunkerque. Car mieux vaudrait alors nous arrêter à ce fameux mot de Dun qui, pour les Celtes, signifiait une élévation. Et cela vous le retrouverez dans toute la France. Votre abbé s′hypnotisait devant Duneville repris dans l′Eure-et-Loir; il eût trouvé Châteaudun, Dun-le-Roi dans le Cher; Duneau dans la Sarthe; Dun dans l′Ariège; Dune-les-Places dans la Nièvre, etc., etc. Ce Dun lui fait commettre une curieuse erreur en ce qui concerne Doville, où nous descendrons et où nous attendent les confortables voitures de Mme Verdurin. Doville, en latin donvilla, dit-il. En effet Doville est au pied de grandes hauteurs. Votre curé, qui sait tout, sent tout de même qu′il a fait une bévue. Il a lu, en effet, dans un ancien Fouillé Domvilla. Alors il se rétracte; Douville, selon lui, est un fief de l′Abbé, Domino Abbati, du mont Saint–Michel. Il s′en réjouit, ce qui est assez bizarre quand on pense à la vie scandaleuse que, depuis le Capitulaire de Saint–Clair-sur-Epte, on menait au mont Saint–Michel, et ce qui ne serait pas plus extraordinaire que de voir le roi de Danemark suzerain de toute cette côte où il faisait célébrer beaucoup plus le culte d′Odin que celui du Christ. D′autre part, la supposition que l′n a été changée en m ne me choque pas et exige moins d′altération que le très correct Lyon qui, lui aussi, vient de Dun (Lugdunum). Mais enfin l′abbé se trompe. Douville n′a jamais été Douville, mais Doville, Eudonis Villa, le village d′Eudes. Douville s′appelait autrefois Escalecliff, l′escalier de la pente. Vers 1233, Eudes le Bouteiller, seigneur d′Escalecliff, partit pour la Terre–Sainte; au moment de partir il fit remise de l′église à l′abbaye de Blanchelande. Échange de bons procédés: le village prit son nom, d′où actuellement Douville. Mais j′ajoute que la toponymie, où je suis d′ailleurs fort ignare, n′est pas une science exacte; si nous n′avions ce témoignage historique, Douville pourrait fort bien venir d′Ouville, c′est-à-dire: les Eaux. Les formes en ai (Aigues–Mortes), de aqua, se changent fort souvent en eu, en ou. Or il y avait tout près de Douville des eaux renommées, Carquebut. Vous pensez que le curé était trop content de trouver là quelque trace chrétienne, encore que ce pays semble avoir été assez difficile à évangéliser, puisqu′il a fallu que s′y reprissent successivement saint Ursal, saint Gofroi, saint Barsanore, saint Laurent de Brèvedent, lequel passa enfin la main aux moines de Beaubec. Mais pour tuit l′auteur se trompe, il y voit une forme de toft, masure, comme dans Criquetot, Ectot, Yvetot, alors que c′est le thveit, essart, défrichement, comme dans Braquetuit, le Thuit, Regnetuit, etc. De même, s′il reconnaît dans Clitourps le thorp normand, qui veut dire: village, il veut que la première partie du nom dérive de clivus, pente, alors qu′elle vient de cliff, rocher. Mais ses plus grosses bévues viennent moins de son ignorance que de ses préjugés. Si bon Français qu′on soit, faut-il nier l′évidence et prendre Saint–Laurent-en-Bray pour le prêtre romain si connu, alors qu′il s′agit de saint Lawrence Toot, archevêque de Dublin? Mais plus que le sentiment patriotique, le parti pris religieux de votre ami lui fait commettre des erreurs grossières. Ainsi vous avez non loin de chez nos hôtes de la Raspelière deux Montmartin, Montmartin-sur-Mer et Montmartin-en-Graignes. Pour Graignes, le bon curé n′a pas commis d′erreur, il a bien vu que Graignes, en latin Grania, en grec crêné, signifie: étangs, marais; combien de Cresmays, de Croen, de Gremeville, de Lengronne, ne pourrait-on pas citer? Mais pour Montmartin, votre prétendu linguiste veut absolument qu′il s′agisse de paroisses dédiées à saint Martin. Il s′autorise de ce que le saint est leur patron, mais ne se rend pas compte qu′il n′a été pris pour tel qu′après coup; ou plutôt il est aveuglé par sa haine du paganisme; il ne veut pas voir qu′on aurait dit Mont–Saint-Martin comme on dit le mont Saint–Michel, s′il s′était agi de saint Martin, tandis que le nom de Montmartin s′applique, de façon beaucoup plus pane, à des temples consacrés au dieu Mars, temples dont nous ne possédons pas, il est vrai, d′autres vestiges, mais que la présence incontestée, dans le voisinage, de vastes camps romains rendrait des plus vraisemblables même sans le nom de Montmartin qui tranche le doute. Vous voyez que le petit livre que vous allez trouver à la Raspelière n′est pas des mieux faits.» J′objectai qu′à Combray le curé nous avait appris souvent des étymologies intéressantes. «Il était probablement mieux sur son terrain, le voyage en Normandie l′aura dépaysé. — Et ne l′aura pas guéri, ajoutai-je, car il était arrivé neurasthénique et est reparti rhumatisant. — Ah! c′est la faute à la neurasthénie. Il est tombé de la neurasthénie dans la philologie, comme eût dit mon bon maître Pocquelin. Dites donc, Cottard, vous semble-t-il que la neurasthénie puisse avoir une influence fâcheuse sur la philologie, la philologie une influence calmante sur la neurasthénie, et la guérison de la neurasthénie conduire au rhumatisme? — Parfaitement, le rhumatisme et la neurasthénie sont deux formes vicariantes du neuro-arthritisme. On peut passer de l′une à l′autre par métastase. — L′éminent professeur, dit Brichot, s′exprime, Dieu me pardonne, dans un français aussi mêlé de latin et de grec qu′eut pu le faire M. Purgon lui-même, de moliéresque mémoire! A moi, mon oncle, je veux dire notre Sarcey national . . . » Mais il ne put achever sa phrase. Le professeur venait de sursauter et de pousser un hurlement: «Nom de d′là, s′écria-t-il en passant enfin au langage articulé, nous avons passé Maineville (hé! hé!) et même Renneville.» Il venait de voir que le train s′arrêtait à Saint–Mars-le-Vieux, où presque tous les voyageurs descendaient. «Ils n′ont pas dû pourtant brûler l′arrêt. Nous n′aurons pas fait attention en parlant des Cambremer. —Écoutez-moi, Ski, attendez, je vais vous dire «une bonne chose», dit Cottard qui avait pris en affection cette expression usitée dans certains milieux médicaux. La princesse doit être dans le train, elle ne nous aura pas vus et sera montée dans un autre compartiment. Allons à sa recherche. Pourvu que tout cela n′aille pas amener de grabuge!» Et il nous emmena tous à la recherche de la princesse Sherbatoff. Il la trouva dans le coin d′un wagon vide, en train de lire la Revue des Deux–Mondes. Elle avait pris depuis de longues années, par peur des rebuffades, l′habitude de se tenir à sa place, de rester dans son coin, dans la vie comme dans le train, et d′attendre pour donner la main qu′on lui eût dit bonjour. Elle continua à lire quand les fidèles entrèrent dans son wagon. Je la reconnus aussitôt; cette femme, qui pouvait avoir perdu sa situation mais n′en était pas moins d′une grande naissance, qui en tout cas était la perle d′un salon comme celui des Verdurin, c′était la dame que, dans le même train, j′avais cru, l′avant-veille, pouvoir être une tenancière de maison publique. Sa personnalité sociale, si incertaine, me devint claire aussitôt quand je sus son nom, comme quand, après avoir peiné sur une devinette, on apprend enfin le mot qui rend clair tout ce qui était resté obscur et qui, pour les personnes, est le nom. Apprendre le surlendemain quelle était la personne à côté de qui on a voyagé dans le train sans parvenir à trouver son rang social est une surprise beaucoup plus amusante que de lire dans la livraison nouvelle d′une revue le mot de l′énigme proposée dans la précédente livraison. Les grands restaurants, les casinos, les «tortillards» sont le musée des familles de ces énigmes sociales. «Princesse, nous vous aurons manquée à Maineville! Vous permettez que nous prenions place dans votre compartiment? — Mais comment donc», fit la princesse qui, en entendant Cottard lui parler, leva seulement alors de sur sa revue des yeux qui, comme ceux de M. de Charlus, quoique plus doux, voyaient très bien les personnes de la présence de qui elle faisait semblant de ne pas s′apercevoir. Cottard, réfléchissant à ce que le fait d′être invité avec les Cambremer était pour moi une recommandation suffisante, prit, au bout d′un moment, la décision de me présenter à la princesse, laquelle s′inclina avec une grande politesse, mais eut l′air d′entendre mon nom pour la première fois. «Cré nom, s′écria le docteur, ma femme a oublié de faire changer les boutons de mon gilet blanc. Ah! les femmes, ça ne pense à rien. Ne vous mariez jamais, voyez-vous», me dit-il. Et comme c′était une des plaisanteries qu′il jugeait convenables quand on n′avait rien à dire, il regarda du coin de l′oeil la princesse et les autres fidèles, qui, parce qu′il était professeur et académicien, sourirent en admirant sa bonne humeur et son absence de morgue. La princesse nous apprit que le jeune violoniste était retrouvé. Il avait gardé le lit la veille à cause d′une migraine, mais viendrait ce soir et amènerait un vieil ami de son père qu′il avait retrouvé à Doncières. Elle l′avait su par Mme Verdurin avec qui elle avait déjeuné le matin, nous dit-elle d′une voix rapide où le roulement des r, de l′accent russe, était doucement marmonné au fond de la gorge, comme si c′étaient non des r mais des l. «Ah! vous avez déjeuné ce matin avec elle, dit Cottard à la princesse; mais en me regardant, car ces paroles avaient pour but de me montrer combien la princesse était intime avec la Patronne. Vous êtes une fidèle, vous! — Oui, j′aime ce petit celcle intelligent, agléable, pas méchant, tout simple, pas snob et où on a de l′esplit jusqu′au bout des ongles. — Nom d′une pipe, j′ai dû perdre mon billet, je ne le retrouve pas», s′écria Cottard sans s′inquiéter d′ailleurs outre mesure. Il savait qu′à Douville, où deux landaus allaient nous attendre, l′employé le laisserait passer sans billet et ne s′en découvrirait que plus bas afin de donner par ce salut l′explication de son indulgence, à savoir qu′il avait bien reconnu en Cottard un habitué des Verdurin. «On ne me mettra pas à la salle de police pour cela, conclut le docteur. — Vous disiez, Monsieur, demandai-je à Brichot, qu′il y avait près d′ici des eaux renommées; comment le sait-on? — Le nom de la station suivante l′atteste entre bien d′autres témoignages. Elle s′appelle Fervaches. — Je ne complends pas ce qu′il veut dil», grommela la princesse, d′un ton dont elle m′aurait dit par gentillesse: «Il nous embête, n′est-ce pas?» «Mais, princesse, Fervaches veut dire, eaux chaudes, fervidae aquae . . . Mais à propos du jeune violoniste, continua Brichot, j′oubliais, Cottard, de vous parler de la grande nouvelle. Saviez-vous que notre pauvre ami Dechambre, l′ancien pianiste favori de Mme Verdurin, vient de mourir? C′est effrayant. — Il était encore jeune, répondit Cottard, mais il devait faire quelque chose du côté du foie, il devait avoir quelque saleté de ce côté, il avait une fichue tête depuis quelque temps. — Mais il n′était pas si jeune, dit Brichot; du temps où Elstir et Swann allaient chez Mme Verdurin, Dechambre était déjà une notoriété parisienne, et, chose admirable, sans avoir reçu à l′étranger le baptême du succès. Ah! il n′était pas un adepte de l′Évangile selon saint Barnum, celui-là. — Vous confondez, il ne pouvait aller chez Mme Verdurin à ce moment-là, il était encore en nourrice. — Mais, à moins que ma vieille mémoire ne soit infidèle, il me semblait que Dechambre jouait la sonate de Vinteuil pour Swann quand ce cercleux, en rupture d′aristocratie, ne se doutait guère qu′il serait un jour le prince consort embourgeoisé de notre Odette nationale. — C′est impossible, la sonate de Vinteuil a été jouée chez Mme Verdurin longtemps après que Swann n′y allait plus», dit le docteur qui, comme les gens qui travaillent beaucoup et croient retenir beaucoup de choses qu′ils se figurent être utiles, en oublient beaucoup d′autres, ce qui leur permet de s′extasier devant la mémoire de gens qui n′ont rien à faire. «Vous faites tort à vos connaissances, vous n′êtes pourtant pas ramolli», dit en souriant le docteur. Brichot convint de son erreur. Le train s′arrêta. C′était la Sogne. Ce nom m′intriguait. «Comme j′aimerais savoir ce que veulent dire tous ces noms, dis-je à Cottard. — Mais demandez à M. Brichot, il le sait peut-être. — Mais la Sogne, c′est la Cicogne, Siconia», répondit Brichot que je brûlais d′interroger sur bien d′autres noms.   “Indeed,” Brichot explained to me, “I fancy that Mme. Verdurin, who is highly intelligent and takes infinite pains in the elaboration of her Wednesdays, was by no means anxious to see these bumpkins of ancient lineage but scanty brains. She could not bring herself to invite the dowager Marquise, but has resigned herself to having the son and daughter-in-law.” “Ah! We are to see the Marquise de Cambremer?” said Cottard with a smile into which he saw fit to introduce a leer of sentimentality, albeit he had no idea whether Mme. de Cambremer were good-looking or not. But the title Marquise suggested to him fantastic thoughts of gallantry. “Ah! I know her,” said Ski, who had met her once when he was out with Mme. Verdurin. “Not in the biblical sense of the word, I trust,” said the doctor, darting a sly glance through his eyeglass; this was one of his favourite pleasantries. “She is intelligent,” Ski informed me. “Naturally,” he went on, seeing that I said nothing, and dwelling with a smile upon each word, “she is intelligent and at the same time she is not, she lacks education, she is frivolous, but she has an instinct for beautiful things. She may say nothing, but she will never say anything silly. And besides, her colouring is charming. She would be an amusing person to paint,” he added, half shutting his eyes, as though he saw her posing in front of him. As my opinion of her was quite the opposite of what Ski was expressing with so many fine shades, I observed merely that she was the sister of an extremely distinguished engineer, M. Legrandin. “There, you see, you are going to be introduced to a pretty woman,” Brichot said to me, “and one never knows what may come of that. Cleopatra was not even a great lady, she was a little woman, the unconscious, terrible little woman of our Meilhac, and just think of the consequences, not only to that idiot Antony, but to the whole of the ancient world.” “I have already been introduced to Mme. de Cambremer,” I replied. “Ah! In that case, you will find yourself on familiar ground.” “I shall be all the more delighted to meet her,” I answered him, “because she has promised me a book by the former curé of Combray about the place-names of this district, and I shall be able to remind her of her promise. I am interested in that priest, and also in etymologies.” “Don′t put any faith in the ones he gives,” replied Brichot, “there is a copy of the book at la Raspelière, which I have glanced through, but without finding anything of any value; it is a mass of error. Let me give you an example. The word Bricq is found in a number of place-names in this neighbourhood. The worthy cleric had the distinctly odd idea that it comes from Briga, a height, a fortified place. He finds it already in the Celtic tribes, Latobriges, Nemetobriges, and so forth, and traces it down to such names as Briand, Brion, and so forth. To confine ourselves to the region in which we have the pleasure of your company at this moment, Bricquebose means the wood on the height, Bricqueville the habitation on the height, Bricquebec, where we shall be stopping presently before coming to Maineville, the height by the stream. Now there is not a word of truth in all this, for the simple reason that bricq is the old Norse word which means simply a bridge. Just as fleur, which Mme. de Cambremer′s protégé takes infinite pains to connect, in one place with the Scandinavian words floi, flo, in another with the Irish word ae or aer, is, beyond any doubt, the fjord of the Danes, and means harbour. So too, the excellent priest thinks that the station of Saint-Mars-le-Vetu, which adjoins la Raspelière, means Saint-Martin-le-Vieux (vetus). It is unquestionable that the word vieux has played a great part in the toponymy of this region. Vieux comes as a rule from vadum, and means a passage, as at the place called les Vieux. It is what the English call ford (Oxford, Hereford). But, in this particular instance, Vêtu is derived not from vetus, but from vas-tatus, a place that is devastated and bare. You have, round about here, Sottevast, the vast of Setold, Brillevast, the vast of Berold. I am all the more certain of the cure′s mistake, in that Saint-Mars-le-Vetu was formerly called Saint-Mars du Cast and even Saint-Mars-de-Terregate. Now the v and the g in these words are the same letter. We say dévaster, but also gâcher. Jâchères and gatines (from the High German wastinna) have the same meaning: Terregate is therefore terra vasta. As for Saint-Mars, formerly (save the mark) Saint-Merd, it is Saint-Medardus, which appears variously as Saint-Médard, Saint-Mard, Saint-Marc, Cinq-Mars, and even Dammas. Nor must we forget that quite close to here, places bearing the name of Mars are proof simply of a pagan origin (the god Mars) which has remained alive in this country but which the holy man refuses to see. The high places dedicated to the gods are especially frequent, such as the mount of Jupiter (Jeumont). Your curé declines to admit this, but, on the other hand, wherever Christianity has left traces, they escape his notice. He has gone so far afield as to Loctudy, a barbarian name, according to him, whereas it is simply Locus Sancti Tudeni, nor has he in Sammarcoles divined Sanctus Martialis. Your curé,” Brichot continued, seeing that I was interested, “derives the terminations hon, home, holm, from the word holl (hullus), a hill, whereas it cornes from the Norse holm, an island, with which you are familiar in Stockholm, and which is so widespread throughout this district, la Houlme, Engohomme, Tahoume, Robehomme, Néhomme, Quettehon, and so forth.” These names made me think of the day when Albertine had wished to go to Amfreville-la-Bigot (from the name of two successive lords of the manor, Brichot told me), and had then suggested that we should dine together at Robehomme. As for Maineville, we were just coming to it. “Isn′t Néhomme,” I asked, “somewhere near Carquethuit and Clitourps?” “Precisely; Néhomme is the holm, the island or peninsula of the famous Viscount Nigel, whose name has survived also in Neville. The Carquethuit and Clitourps that you mention furnish Mme. de Cambremer′s protégé with an occasion for further blunders. No doubt he has seen that carque is a church, the Kirche of the Germans. You will remember Querqueville, not to mention Dunkerque. For there we should do better to stop and consider the famous word Dun, which to the Celts meant high ground. And that you will find over the whole of France. Your abbé was hypnotised by Duneville, which recurs in the Eure-et-Loir; he would have found Châteaudun, Dun-le-Roi in the Cher, Duneau in the Sarthe, Dun in the Ariège, Dune-les-Places in the Nièvre, and many others. This word Dun leads him into a curious error with regard to Douville where we shall be alighting, and shall find Mme. Verdurin′s comfortable carriages awaiting us. Douville, in Latin donvilla, says he. As a matter of fact, Douville does lie at the foot of high hills. Your curé, who knows everything, feels all the same that he has made a blunder. He has, indeed, found in an old cartulary, the name Domvilla. Whereupon he retracts; Douville, according to him, is a fief belonging to the Abbot, Domino Abbati, of Mont Saint-Michel. He is delighted with the discovery, which is distinctly odd when one thinks of the scandalous life that, according to the Capitulary of Sainte-Claire sur Epte, was led at Mont Saint-Michel, though no more extraordinary than to picture the King of Denmark as suzerain of all this coast, where he encouraged the worship of Odin far more than that of Christ. On the other hand, the supposition that the n has been changed to m does not shock me, and requires less alteration than the perfectly correct Lyon, which also is derived from Dun (Lugdunum). But the fact is, the abbé is mistaken. Douville was never Donville, but Doville, Eudonis villa, the village of Eudes. Douville was formerly called Escalecliff, the steps up the cliff. About the year 1233, Eudes le Bouteiller, Lord of Escalecliff, set out for the Holy Land; on the eve of his departure he made over the church to the Abbey of Blanchelande. By an exchange of courtesies, the village took his name, whence we have Douville to-day. But I must add that toponymy, of which moreover I know little or nothing, is not an exact science; had we not this historical evidence, Douville might quite well come from Ouville, that is to say the Waters. The forms in ai (Aiguës-Mortes), from aqua, are constantly changed to eu or ou. Now there were, quite close to Douville, certain famous springs, Carquethuit. You might suppose that the curé was only too ready to detect there a Christian origin, especially as this district seems to have been pretty hard to convert, since successive attempts were made by Saint Ursal, Saint Gofroi, Saint Barsanore, Saint Laurent of Brèvedent, who finally handed over the task to the monks of Beaubec. But as regards thuit the writer is mistaken, he sees in it a form of toft, a building, as in Cricquetot, Ectot, Yvetot, whereas it is the thveit, the clearing, the reclaimed land, as in Braquetuit, le Thuit, Regnetuit, and so forth. Similarly, if he recognises in Clitourps the Norman thorp which means village, he insists that the first syllable of the word must come from clivus, a slope, whereas it comes from cliff, a precipice. But his biggest blunders are due not so much to his ignorance as to his prejudices. However loyal a Frenchman one is, there is no need to fly in the face of the evidence and take Saint-Laurent en Bray to be the Roman priest, so famous at one time, when he is actually Saint Lawrence ‘Toot, Archbishop of Dublin. But even more than his patriotic sentiments, your friend′s religious bigotry leads him into strange errors. Thus you have not far from our hosts at la Raspelière two places called Montmartin, Montmartin-sur-Mer and Montmartin-en-Graignes. In the case of Graignes, the good curé has been quite right, he has seen that Graignes, in Latin Grania, in Greek Krene, means ponds, marshes; how many instances of Cresmays, Croen, Gremeville, Lengronne, might we not adduce? But, when he comes to Montmartin, your self-styled linguist positively insists that these must be parishes dedicated to Saint Martin. He bases his opinion upon the fact that the Saint is their patron, but does not realise that he was only adopted subsequently; or rather he is blinded by his hatred of paganism; he refuses to see that we should say Mont-Saint-Martin as we say Mont-Saint-Michel, if it were a question of Saint Martin, whereas the name Montmartin refers in a far more pagan fashion to temples consecrated to the god Mars, temples of which, it is true, no other vestige remains, but which the undisputed existence in the neighbourhood of vast Roman camps would render highly probable even without the name Montmartin, which removes all doubt. You see that the little pamphlet which you will find at la Raspelière is far from perfect.” I protested that at Combray the curé had often told us interesting etymologies. “He was probably better on his own ground, the move to Normandy must have made him lose his bearings.” “Nor did it do him any good,” I added, “for he came here with neurasthenia and went away again with rheumatism.” “Ah, his neurasthenia is to blame. He has lapsed from neurasthenia to philology, as my worthy master Pocquelin would have said. Tell us, Cottard, do you suppose that neurasthenia can have a disturbing effect on philology, philology a soothing effect on neurasthenia and the relief from neurasthenia lead to rheumatism?” “Undoubtedly, rheumatism and neurasthenia are subordinate forms of neuro-arthritism. You may pass from one to the other by metastasis.” “The eminent Professor,” said Brichot, “expresses himself in a French as highly infused with Latin and Greek as M. Purgon himself, of Molièresque memory! My uncle, I refer to our national Sarcey. . . . ” But he was prevented from finishing his sentence. The Professor had leaped from his seat with a wild shout: “The devil!” he exclaimed on regaining his power of articulate speech, “we have passed Maineville (d′you hear?) and Renneville too.” He had just noticed that the train was stopping at Saint-Mars-le-Vetu, where most of the passengers alighted. “They can′t have run through without stopping. We must have failed to notice it while we were talking about the Cambremers. Listen to me, Ski, pay attention, I am going to tell you ‘a good one,′” said Cottard, who had taken a fancy to this expression, in common use in certain medical circles. “The Princess must be on the train, she can′t have seen us, and will have got into another compartment. Come along and find her. Let′s hope this won′t land us in trouble!” And he led us all off in search of Princess Sherbatoff. He found her in the corner of an empty compartment, reading the Revue des Deux Mondes. She had long ago, from fear of rebuffs, acquired the habit of keeping in her place, or remaining in her corner, in life as on the train, and of not offering her hand until the other person had greeted her. She went on reading as the faithful trooped into her carriage. I recognised her immediately; this woman who might have forfeited her position but was nevertheless of exalted birth, who in any event was the pearl of a salon such as the Verdurins′, was the lady whom, on the same train, I had put down, two days earlier, as possibly the keeper of a brothel. Her social personality, which had been so vague, became clear to me as soon as I learned her name, just as when, after racking our brains over a puzzle, we at length hit upon the word which clears up all the obscurity, and which, in the case of a person, is his name. To discover two days later who the person is with whom one has travelled in the train is a far more amusing surprise than to read in the next number of a magazine the clue to the problem set in the previous number. Big restaurants, casinos, local trains, are the family portrait galleries of these social enigmas. “Princess, we must have missed you at Maineville! May we come and sit in your compartment?” “Why, of course,” said the Princess who, upon hearing Cottard address her, but only then, raised from her magazine a pair of eyes which, like the eyes of M. de Charlus, although gentler, saw perfectly well the people of whose presence she pretended to be unaware. Cottard, coming to the conclusion that the fact of my having been invited to meet the Cambremers was a sufficient recommendation, decided, after a momentary hesitation, to introduce me to the Princess, who bowed with great courtesy but appeared to be hearing my name for the first time. “Cré nom!” cried the doctor, “my wife has forgotten to make them change the buttons on my white waistcoat. Ah! Those women, they never remember anything. Don′t you ever marry, my boy,” he said to me. And as this was one of the pleasantries which he considered appropriate when he had nothing else to say, he peeped out of the corner of his eye at the Princess and the rest of the faithful, who, because he was a Professor and an Academician, smiled back, admiring his good temper and freedom from pride. The Princess informed us that the young violinist had been found. He had been confined to bed the evening before by a sick headache, but was coming that evening and bringing with him a friend of his father whom he had met at Doncières. She had learned this from Mme. Verdurin with whom she had taken luncheon that morning, she told us in a rapid voice, rolling her rs, with her Russian accent, softly at the back of her throat, as though they were notrrs but ls. “Ah! You had luncheon with her this morning,” Cottard said to the Princess; but turned his eyes to myself, the purport of this remark being to shew me on what intimate terms the Princess was with the Mistress. “You are indeed a faithful adherent!” “Yes, I love the little cirlcle, so intelligent, so agleeable, neverl spiteful, quite simple, not at all snobbish, and clevel to theirl fingle-tips.” “Nom d′une pipe! I must have lost my ticket, I can′t find it anywhere,” cried Cottard, with an agitation that was, in the circumstances, quite unjustified. He knew that at Douville, where a couple of landaus would be awaiting us, the collector would let him pass without a ticket, and would only bare his head all the more humbly, so that the salute might furnish an explanation of his indulgence, to wit that he had of course recognised Cottard as one of the Verdurins′ regular guests. “They won′t shove me in the lock-up for that,” the doctor concluded. “You were saying, Sir,” I inquired of Brichot, “that there used to be some famous waters near here; how do we know that?” “The name of the next station is one of a multitude of proofs. It is called Fervaches.” “I don′t undlestand what he′s talking about,” mumbled the Princess, as though she were saying to me out of politeness: “He′s rather a bore, ain′t he?” “Why, Princess, Fervaches means hot springs. Fervidae aquae. But to return to the young violinist,” Brichot went on, “I was quite forgetting, Cottard, to tell you the great news. Had you heard that our poor friend Dechambre, who used to be Mme. Verdurin′s favourite pianist, has just died? It is terribly sad.” “He was quite young,” replied Cottard, “but he must have had some trouble with his liver, there must have been something sadly wrong in that quarter, he had been looking very queer indeed for a long time past.” “But he was not so young as all that,” said Brichot; “in the days when Elstir and Swann used to come to Mme. Verdurin′s, Dechambre had already made himself a reputation in Paris, and, what is remarkable, without having first received the baptism of success abroad. Ah! He was no follower of the Gospel according to Saint Barnum, that fellow.” “You are mistaken, he could not have been going to Mme. Verdurin′s, at that time, he was still in the nursery.” “But, unless my old memory plays me false, I was under the impression that Dechambre used to play Vinteuil′s sonata for Swann, when that clubman, who had broken with the aristocracy, had still no idea that he was one day to become the embourgeoised Prince Consort of our national Odette.” “It is impossible, Vinteuil′s sonata was played at Mme. Verdurin′s long after Swann ceased to come there,” said the doctor, who, like all people who work hard and think that they remember many things which they imagine to be of use to them, forget many others, a condition which enables them to go into ecstasies over the memories of people who have nothing else to do. “You are hopelessly muddled, though your brain is as sound as ever,” said the doctor with a smile. Brichot admitted that he was mistaken. The train stopped. We were at la Sogne. The name stirred my curiosity. “How I should like to know what all these names mean,” I said to Cottard. “You must ask M. Brichot, he may know, perhaps.” “Why, la Sogne is la Cicogne, Siconia,” replied Brichot, whom I was burning to interrogate about many other names.
Oubliant qu′elle tenait à son «coin», Mme Sherbatoff m′offrit aimablement de changer de place avec moi pour que je pusse mieux causer avec Brichot à qui je voulais demander d′autres étymologies qui m′intéressaient, et elle assura qu′il lui était indifférent de voyager en avant, en arrière, debout, etc . . . Elle restait sur la défensive tant qu′elle ignorait les intentions des nouveaux venus, mais quand elle avait reconnu que celles-ci étaient aimables, elle cherchait de toutes manières à faire plaisir à chacun. Enfin le train s′arrêta à la station de Doville-Féterne, laquelle étant située à peu près à égale distance du village de Féterne et de celui de Doville, portait, à cause de cette particularité, leurs deux noms. «Saperlipopette, s′écria le docteur Cottard, quand nous fûmes devant la barrière où on prenait les billets et feignant seulement de s′en apercevoir, je ne peux pas retrouver mon ticket, j′ai dû le perdre.» Mais l′employé, ôtant sa casquette, assura que cela ne faisait rien et sourit respectueusement. La princesse (donnant des explications au cocher, comme eût fait une espèce de dame d′honneur de Mme Verdurin, laquelle, à cause des Cambremer, n′avait pu venir à la gare, ce qu′elle faisait du reste rarement) me prit, ainsi que Brichot, avec elle dans une des voitures. Dans l′autre montèrent le docteur, Saniette et Ski.   Forgetting her attachment to her ‘corner,′ Mme. Sherbatoff kindly offered to change places with me, so that I might talk more easily with Brichot, whom I wanted to ask about other etymologies that interested me, and assured me that she did not mind in the least whether she travelled with her face or her back to the engine, standing, or seated, or anyhow. She remained on the defensive until she had discovered a newcomer′s intentions, but as soon as she had realised that these were friendly, she would do everything in her power to oblige. At length the train stopped at the station of Douville-Féterne, which being more or less equidistant from the villages of Féterne and Douville, bore for this reason their hyphenated name. “Saperlipopette!” exclaimed Doctor Cottard, when we came to the barrier where the tickets were collected, and, pretending to have only just discovered his loss, “I can′t find my ticket, I must have lost it.” But the collector, taking off his cap, assured him that it did not matter and smiled respectfully. The Princess (giving instructions to the coachman, as though she were a sort of lady in waiting to Mme. Verdurin, who, because of the Cambremers, had not been able to come to the station, as, for that matter, she rarely did) took me, and also Brichot, with herself in one of the carriages. The doctor, Saniette and Ski got into the other.
Le cocher, bien que tout jeune, était le premier cocher des Verdurin, le seul qui fût vraiment cocher en titre; il leur faisait faire, dans le jour, toutes leurs promenades car il connaissait tous les chemins, et le soir allait chercher et reconduire ensuite les fidèles. Il était accompagné d′extras (qu′il choisissait) en cas de nécessité. C′était un excellent garçon, sobre et adroit, mais avec une de ces figures mélancoliques où le regard, trop fixe, signifie qu′on se fait pour un rien de la bile, même des idées noires. Mais il était en ce moment fort heureux car il avait réussi à placer son frère, autre excellente pâte d′homme, chez les Verdurin. Nous traversâmes d′abord Doville. Des mamelons herbus y descendaient jusqu′à la mer en amples pâtés auxquels la saturation de l′humidité et du sel donnent une épaisseur, un moelleux, une vivacité de tons extrêmes. Les îlots et les découpures de Rivebelle, beaucoup plus rapprochés ici qu′à Balbec, donnaient à cette partie de la mer l′aspect nouveau pour moi d′un plan en relief. Nous passâmes devant de petits chalets loués presque tous par des peintres; nous prîmes un sentier où des vaches en liberté, aussi effrayées que nos chevaux, nous barrèrent dix minutes le passage, et nous nous engageâmes dans la route de la corniche. «Mais, par les dieux immortels, demanda tout à coup Brichot, revenons à ce pauvre Dechambre; croyez-vous que Mme Verdurin sache? Lui a-t-on dit?» Mme Verdurin, comme presque tous les gens du monde, justement parce qu′elle avait besoin de la société des autres, ne pensait plus un seul jour à eux après qu′étant morts, ils ne pouvaient plus venir aux mercredis, ni aux samedis, ni dîner en robe de chambre. Et on ne pouvait pas dire du petit clan, image en cela de tous les salons, qu′il se composait de plus de morts que de vivants, vu que, dès qu′on était mort, c′était comme si on n′avait jamais existé. Mais pour éviter l′ennui d′avoir à parler des défunts, voire de suspendre les dîners, chose impossible à la Patronne, à cause d′un deuil, M. Verdurin feignait que la mort des fidèles affectât tellement sa femme que, dans l′intérêt de sa santé, il ne fallait pas en parler. D′ailleurs, et peut-être justement parce que la mort des autres lui semblait un accident si définitif et si vulgaire, la pensée de la sienne propre lui faisait horreur et il fuyait toute réflexion pouvant s′y rapporter. Quant à Brichot, comme il était très brave homme et parfaitement dupe de ce que M. Verdurin disait de sa femme, il redoutait pour son amie les émotions d′un pareil chagrin. «Oui, elle sait tout depuis ce matin, dit la princesse, on n′a pas pu lui cacher. — Ah! mille tonnerres de Zeus, s′écria Brichot, ah! ça a dû être un coup terrible, un ami de vingt-cinq ans! En voilà un qui était des nôtres! —Évidemment, évidemment, que voulez-vous, dit Cottard. Ce sont des circonstances toujours pénibles; mais Mme Verdurin est une femme forte, c′est une cérébrale encore plus qu′une émotive. — Je ne suis pas tout à fait de l′avis du docteur, dit la princesse, à qui décidément son parler rapide, son accent murmuré, donnait l′air à la fois boudeur et mutin. Mme Verdurin, sous une apparence froide, cache des trésors de sensibilité. M. Verdurin m′a dit qu′il avait eu beaucoup de peine à l′empêcher d′aller à Paris pour la cérémonie; il a été obligé de lui faire croire que tout se ferait à la campagne. — Ah! diable, elle voulait aller à Paris. Mais je sais bien que c′est une femme de coeur, peut-être de trop de coeur même. Pauvre Dechambre! Comme le disait Mme Verdurin il n′y a pas deux mois: «A côté de lui Planté, Paderewski, Risler même, rien ne tient.» Ah! il a pu dire plus justement que ce m′as-tu vu de Néron, qui a trouvé le moyen de rouler la science allemande elle-même: «Qualis artifex pereo!» Mais lui, du moins, Dechambre, a dû mourir dans l′accomplissement du sacerdoce, en odeur de dévotion beethovenienne; et bravement, je n′en doute pas; en bonne justice, cet officiant de la musique allemande aurait mérité de trépasser en célébrant la messe en . Mais il était, au demeurant, homme à accueillir la camarde avec un trille, car cet exécutant de génie retrouvait parfois, dans son ascendance de Champenois parisianisé, des crâneries et des élégances de garde-française.»   The driver, although quite young, was the Verdurins′ first coachman, the only one who had any right to the title; he took them, in the daytime, on all their excursions, for he knew all the roads, and in the evening went down to meet the faithful and took them back to the station later on. He was accompanied by extra helpers (whom he selected if necessary). He was an excellent fellow, sober and capable, but with one of those melancholy faces on which a fixed stare indicates that the merest trifle will make the person fly into a passion, not to say nourish dark thoughts. But at the moment he was quite happy, for he had managed to secure a place for his brother, another excellent type of fellow, with the Verdurins. We began by driving through Douville. Grassy knolls ran down from the village to the sea, in wide slopes to which their saturation in moisture and salt gave a richness, a softness, a vivacity of extreme tones. The islands and indentations of Rivebelle, far nearer now than at Balbec, gave this part of the coast the appearance, novel to me, of a relief map. We passed by some little bungalows, almost all of which were let to painters; turned into a track upon which some loose cattle, as frightened as were our horses, barred our way for ten minutes, and emerged upon the cliff road. “But, by the immortal gods,” Brichot suddenly asked, “let us return to that poor Dechambre; do you suppose Mme. Verdurin knows? Has anyone told her?” Mme. Verdurin, like most people who move in society, simply because she needed the society of other people, never thought of them again for a single day, as soon as, being dead, they could no longer come to the Wednesdays, nor to the Saturdays, nor dine without dressing. And one could not say of the little clan, a type in this respect of all salons, that it was composed of more dead than living members, seeing that, as soon as one was dead, it was as though one had never existed. But, to escape the nuisance of having to speak of the deceased, in other words to postpone one of the dinners — a thing impossible to the mistress — as a token of mourning, M. Verdurin used to pretend that the death of the faithful had such an effect on his wife that, in the interest of her health, it must never be mentioned to her. Moreover, and perhaps just because the death of other people seemed to him so conclusive, so vulgar an accident, the thought of his own death filled him with horror and he shunned any consideration that might lead to it. As for Brichot, since he was the soul of honesty and completely taken in by what M. Verdurin said about his wife, he dreaded for his friend′s sake the emotions that such a bereavement must cause her. “Yes, she knew the worst this morning,” said the Princess, “it was impossible to keep it from her.” “Ah! Thousand thunders of Zeus!” cried Brichot. “Ah! it must have been a terrible blow, a friend of twenty-five years′ standing. There was a man who was one of us.” “Of course, of course, what can you expect? Such incidents are bound to be painful; but Madame Verdurin is a brave woman, she is even more cerebral than emotive.” “I don′t altogether agree with the Doctor,” said the Princess, whose rapid speech, her murmured accents, certainly made her appear both sullen and rebellious. “Mme. Verdurin, beneath a cold exterior, conceals treasures of sensibility. M. Verdurin told me that he had had great difficulty in preventing her from going to Paris for the funeral; he was obliged to let her think that it was all to be held in the country.” “The devil! She wanted to go to Paris, did she? Of course, I know that she has a heart, too much heart perhaps. Poor Dechambre! As Madame Verdurin remarked not two months ago: ‘Compared with him, Planté, Paderewski, Risler himself are nowhere!′ Ah, he could say with better reason than that limelighter Nero, who has managed to take in even German scholarship: Qualis artifex pereo! But he at least, Dechambre, must have died in the fulfilment of his priesthood, in the odour of Beethovenian devotion; and gallantly, I have no doubt; he had every right, that interpreter of German music, to pass away while celebrating the Mass in D. But he was, when all is said, the man to greet the unseen with a cheer, for that inspired performer would produce at times from the Parisianised Champagne stock of which he came, the swagger and smartness of a guardsman.”
De la hauteur où nous étions déjà, la mer n′apparaissait plus, ainsi que de Balbec, pareille aux ondulations de montagnes soulevées, mais, au contraire, comme apparaît d′un pic, ou d′une route qui contourne la montagne, un glacier bleuâtre, ou une plaine éblouissante, situés à une moindre altitude. Le déchiquetage des remous y semblait immobilisé et avoir dessiné pour toujours leurs cercles concentriques; l′émail même de la mer, qui changeait insensiblement de couleur, prenait vers le fond de la baie, où se creusait un estuaire, la blancheur bleue d′un lait où de petits bacs noirs qui n′avançaient pas semblaient empêtrés comme des mouches. Il ne me semblait pas qu′on pût découvrir de nulle part un tableau plus vaste. Mais à chaque tournant une partie nouvelle s′y ajoutait, et quand nous arrivâmes à l′octroi de Doville, l′éperon de falaise qui nous avait caché jusque-là une moitié de la baie rentra, et je vis tout à coup à ma gauche un golfe aussi profond que celui que j′avais eu jusque-là devant moi, mais dont il changeait les proportions et doublait la beauté. L′air à ce point si élevé devenait d′une vivacité et d′une pureté qui m′enivraient. J′aimais les Verdurin; qu′ils nous eussent envoyé une voiture me semblait d′une bonté attendrissante. J′aurais voulu embrasser la princesse. Je lui dis que je n′avais jamais rien vu d′aussi beau. Elle fit profession d′aimer aussi ce pays plus que tout autre. Mais je sentais bien que, pour elle comme pour les Verdurin, la grande affaire était non de le contempler en touristes, mais d′y faire de bons repas, d′y recevoir une société qui leur plaisait, d′y écrire des lettres, d′y lire, bref d′y vivre, laissant passivement sa beauté les baigner plutôt qu′ils n′en faisaient l′objet de leur préoccupation.   From the height we had now reached, the sea suggested no longer, as at Balbec, the undulations of swelling mountains, but on the contrary the view, beheld from a mountain-top or from a road winding round its flank, of a blue-green glacier or a glittering plain, situated at a lower level. The lines of the currents seemed to be fixed upon its surface, and to have traced there for ever their concentric circles; the enamelled face of the sea which changed imperceptibly in colour, assumed towards the head of the bay, where an estuary opened, the blue whiteness of milk, in which little black boats that did not move seemed entangled like flies. I felt that from nowhere could one discover a vaster prospect. But at each turn in the road a fresh expanse was added to it and when we arrived at the Douville toll-house, the spur of the cliff which until then had concealed from us half the bay, withdrew, and all of a sudden I descried upon my left a gulf as profound as that which I had already had before me, but one that changed the proportions of the other and doubled its beauty. The air at this lofty point acquired a keenness and purity that intoxicated me. I adored the Verdurins; that they should have sent a carriage for us seemed to me a touching act of kindness. I should have liked to kiss the Princess. I told her that I had never seen anything so beautiful. She professed that she too loved this spot more than any other. But I could see that to her as to the Verdurins the thing that really mattered was not to gaze at the view like tourists, but to partake of good meals there, to entertain people whom they liked, to write letters, to read books, in short to live in these surroundings, passively allowing the beauty of the scene to soak into them rather than making it the object of their attention.
Cottard, docile, avait dit à la Patronne: «Bouleversez-vous comme ça et vous me ferez demain 39 de fièvre», comme il aurait dit à la cuisinière: «Vous me ferez demain du ris de veau.» La médecine, faute de guérir, s′occupe à changer le sens des verbes et des pronoms.
De l′octroi, la voiture s′étant arrêtée pour un instant à une telle hauteur au-dessus de la mer que, comme d′un sommet, la vue du gouffre bleuâtre donnait presque le vertige, j′ouvris le carreau; le bruit distinctement perçu de chaque flot qui se brisait avait, dans sa douceur et dans sa netteté, quelque chose de sublime. N′était-il pas comme un indice de mensuration qui, renversant nos impressions habituelles, nous montre que les distances verticales peuvent être assimilées aux distances horizontales, au contraire de la représentation que notre esprit s′en fait d′habitude; et que, rapprochant ainsi de nous le ciel, elles ne sont pas grandes; qu′elles sont même moins grandes pour un bruit qui les franchit, comme faisait celui de ces petits flots, car le milieu qu′il a à traverser est plus pur? Et, en effet, si on reculait seulement de deux mètres en arrière de l′octroi, on ne distinguait plus ce bruit de vagues auquel deux cents mètres de falaise n′avaient pas enlevé sa délicate, minutieuse et douce précision. Je me disais que ma grand′mère aurait eu pour lui cette admiration que lui inspiraient toutes les manifestations de la nature ou de l′art dans la simplicité desquelles on lit la grandeur. Mon exaltation était à son comble et soulevait tout ce qui m′entourait. J′étais attendri que les Verdurin nous eussent envoyé chercher à la gare. Je le dis à la princesse, qui parut trouver que j′exagérais beaucoup une si simple politesse. Je sais qu′elle avoua plus tard à Cottard qu′elle me trouvait bien enthousiaste; il lui répondit que j′étais trop émotif et que j′aurais eu besoin de calmants et de faire du tricot. Je faisais remarquer à la princesse chaque arbre, chaque petite maison croulant sous ses roses, je lui faisais tout admirer, j′aurais voulu la serrer elle-même contre mon coeur. Elle me dit qu′elle voyait que j′étais doué pour la peinture, que je devrais dessiner, qu′elle était surprise qu′on ne me l′eût pas encore dit. Et elle confessa qu′en effet ce pays était pittoresque. Nous traversâmes, perché sur la hauteur, le petit village d′Englesqueville (Engleberti Villa), nous dit Brichot. «Mais êtes-vous bien sûr que le dîner de ce soir a lieu, malgré la mort de Dechambre, princesse? ajouta-t-il sans réfléchir que la venue à la gare des voitures dans lesquelles nous étions était déjà une réponse. — Oui, dit la princesse, M. Verdurin a tenu à ce qu′il ne soit pas remis, justement pour empêcher sa femme de «penser». Et puis, après tant d′années qu′elle n′a jamais manqué de recevoir un mercredi, ce changement dans ses habitudes aurait pu l′impressionner. Elle est très nerveuse ces temps-ci. M. Verdurin était particulièrement heureux que vous veniez dîner ce soir parce qu′il savait que ce serait une grande distraction pour Mme Verdurin, dit la princesse, oubliant sa feinte de ne pas avoir entendu parler de moi. Je crois que vous ferez bien de ne parler de rien devant Mme Verdurin, ajouta la princesse. — Ah! vous faites bien de me le dire, répondit naîµ¥ment Brichot. Je transmettrai la recommandation à Cottard.» La voiture s′arrêta un instant. Elle repartit, mais le bruit que faisaient les roues dans le village avait cessé. Nous étions entrés dans l′allée d′honneur de la Raspelière où M. Verdurin nous attendait au perron. «J′ai bien fait de mettre un smoking, dit-il, en constatant avec plaisir que les fidèles avaient le leur, puisque j′ai des hommes si chics.» Et comme je m′excusais de mon veston: «Mais, voyons, c′est parfait. Ici ce sont des dîners de camarades. Je vous offrirais bien de vous prêter un des mes smokings mais il ne vous irait pas.» Le shake hand plein d′émotion que, en pénétrant dans le vestibule de la Raspelière, et en manière de condoléances pour la mort du pianiste, Brichot donna au Patron ne provoqua de la part de celui-ci aucun commentaire. Je lui dis mon admiration pour ce pays. «Ah! tant mieux, et vous n′avez rien vu, nous vous le montrerons. Pourquoi ne viendriez-vous pas habiter quelques semaines ici? l′air est excellent.» Brichot craignait que sa poignée de mains n′eût pas été comprise. «Hé bien! ce pauvre Dechambre! dit-il, mais à mi-voix, dans la crainte que Mme Verdurin ne fût pas loin. — C′est affreux, répondit allègrement M. Verdurin. — Si jeune», reprit Brichot.Agacé de s′attarder à ces inutilités, M. Verdurin répliqua d′un ton pressé et avec un gémissement suraigu, non de chagrin, mais d′impatience irritée: «Hé bien oui, mais qu′est-ce que vous voulez, nous n′y pouvons rien, ce ne sont pas nos paroles qui le ressusciteront, n′est-ce pas?» Et la douceur lui revenant avec la jovialité: «Allons, mon brave Brichot, posez vite vos affaires. Nous avons une bouillabaisse qui n′attend pas. Surtout, au nom du ciel, n′allez pas parler de Dechambre à Mme Verdurin! Vous savez qu′elle cache beaucoup ce qu′elle ressent, mais elle a une véritable maladie de la sensibilité. Non, mais je vous jure, quand elle a appris que Dechambre était mort, elle a presque pleuré», dit M. Verdurin d′un ton profondément ironique. A l′entendre on aurait dit qu′il fallait une espèce de démence pour regretter un ami de trente ans, et d′autre part on devinait que l′union perpétuelle de M. Verdurin avec sa femme n′allait pas, de la part de celui-ci, sans qu′il la jugeât toujours et qu′elle l′agaçât souvent. «Si vous lui en parlez elle va encore se rendre malade. C′est déplorable, trois semaines après sa bronchite. Dans ces cas-là, c′est moi qui suis le garde-malade. Vous comprenez que je sors d′en prendre. Affligez-vous sur le sort de Dechambre dans votre coeur tant que vous voudrez. Pensez-y, mais n′en parlez pas. J′aimais bien Dechambre, mais vous ne pouvez pas m′en vouloir d′aimer encore plus ma femme. Tenez, voilà Cottard, vous allez pouvoir lui demander.» Et en effet, il savait qu′un médecin de la famille sait rendre bien des petits services, comme de prescrire par exemple qu′il ne faut pas avoir de chagrin.   After the toll-house, where the carriage had stopped for a moment at such a height above the sea that, as from a mountain-top, the sight of the blue gulf beneath almost made one dizzy, I opened the window; the sound, distinctly caught, of each wave that broke in turn had something sublime in its softness and precision. Was it not like an index of measurement which, upsetting all our ordinary impressions, shews us that vertical distances may be coordinated with horizontal, in contradiction of the idea that our mind generally forms of them; and that, though they bring the sky nearer to us in this way, they are not great; that they are indeed less great for a sound which traverses them as did the sound of those little waves, the medium through which it has to pass being purer. And in fact if one went back but a couple of yards below the toll-house, one could no longer distinguish that sound of waves, which six hundred feet of cliff had not robbed of its delicate, minute and soft precision. I said to myself that my grandmother would have listened to it with the delight that she felt in all manifestations of nature or art, in the simplicity of which one discerns grandeur. I was now at the highest pitch of exaltation, which raised everything round about me accordingly. It melted my heart that the Verdurins should have sent to meet us at the station. I said as much to the Princess, who seemed to think that I was greatly exaggerating so simple an act of courtesy. I know that she admitted subsequently to Cottard that she found me very enthusiastic; he replied that I was too emotional, required sedatives and ought to take to knitting. I pointed out to the Princess every tree, every little house smothered in its mantle of roses, I made her admire everything, I would have liked to take her in my arms and press her to my heart. She told me that she could see that I had a gift for painting, that of course I must sketch, that she was surprised that nobody had told her about it. And she confessed that the country was indeed picturesque. We drove through, where it perched upon its height, the little village of Englesqueville (Engleberti villa, Brichot informed us). “But are you quite sure that there will be a party this evening, in spite of Dechambre′s death, Princess?” he went on, without stopping to think that the presence at the station of the carriage in which we were sitting was in itself an answer to his question. “Yes,” said the Princess, “M. Verldulin insisted that it should not be put off, simply to keep his wife from thinking. And besides, after never failing for all these years to entertain on Wednesdays, such a change in her habits would have been bound to upset her. Her nerves are velly bad just now. M. Verdurin was particularly pleased that you were coming to dine this evening, because he knew that it would be a great distraction for Mme. Verdurin,” said the Princess, forgetting her pretence of having never heard my name before. “I think that it will be as well not to say anything in front of Mme. Verdurin,” the Princess added. “Ah! I am glad you warned me,” Brichot artlessly replied. “I shall pass on your suggestion to Cottard.” The carriage stopped for a moment. It moved on again, but the sound that the wheels had been making in the village street had ceased. We had turned into the main avenue of la Raspelière where M. Verdurin stood waiting for us upon the steps. “I did well to put on a dinner-jacket,” he said, observing with pleasure that the faithful had put on theirs, “since I have such smart gentlemen in my party.” And as I apologised for not having changed: “Why, that′s quite all right. We′re all friends here. I should be delighted to offer you one of my own dinner-jackets, but it wouldn′t fit you.” The handclasp throbbing with emotion which, as he entered the hall of la Raspelière, and by way of condolence at the death of the pianist, Brichot gave our host elicited no response from the latter. I told him how greatly I admired the scenery. “Ah! All the better, and you′ve seen nothing, we must take you round. Why not come and spend a week or two here, the air is excellent.” Brichot was afraid that his handclasp had not been understood. “Ah! Poor Dechambre!” he said, but in an undertone, in case Mme. Verdurin was within earshot. “It is terrible,” replied M. Verdurin lightly. “So young,” Brichot pursued the point. Annoyed at being detained over these futilities, M. Verdurin replied in a hasty tone and with an embittered groan, not of grief but of irritated impatience: “Why yes, of course, but what′s to be done about it, it′s no use crying over spilt milk, talking about him won′t bring him back to life, will it?” And, his civility returning with his joviality: “Come along, my good Brichot, get your things off quickly. We have a bouillabaisse which mustn′t be kept waiting. But, in heaven′s name, don′t start talking about Dechambre to Madame Verdurin. You know that she always hides her feelings, but she is quite morbidly sensitive. I give you my word, when she heard that Dechambre was dead, she almost cried,” said M. Verdurin in a tone of profound irony. One might have concluded, from hearing him speak, that it implied a form of insanity to regret the death of a friend of thirty years′ standing, and on the other hand one gathered that the perpetual union of M. Verdurin and his wife did not preclude his constantly criticising her and her frequently irritating him. “If you mention it to her, she will go and make herself ill again. It is deplorable, three weeks after her bronchitis. When that happens, it is I who have to be sick-nurse. You can understand that I have had more than enough of it. Grieve for Dechambre′s fate in your heart as much as you like. Think of him, but do not speak about him. I was very fond of Dechambre, but you cannot blame me for being fonder still of my wife. Here′s Cottard, now, you can ask him.” And indeed, he knew that a family doctor can do many little services, such as prescribing that one must not give way to grief.
Cottard, docile, avait dit à la Patronne: «Bouleversez-vous comme ça et vous me ferez demain 39 de fièvre», comme il aurait dit à la cuisinière: «Vous me ferez demain du ris de veau.» La médecine, faute de guérir, s′occupe à changer le sens des verbes et des pronoms. M. Verdurin fut heureux de constater que Saniette, malgré les rebuffades que celui-ci avait essuyées l′avant-veille, n′avait pas déserté le petit noyau. En effet, Mme Verdurin et son mari avaient contracté dans l′oisiveté des instincts cruels à qui les grandes circonstances, trop rares, ne suffisaient plus. On avait bien pu brouiller Odette avec Swann, Brichot avec sa maîtresse. On recommencerait avec d′autres, c′était entendu. Mais l′occasion ne s′en présentait pas tous les jours. Tandis que, grâce à sa sensibilité frémissante, à sa timidité craintive et vite affolée, Saniette leur offrait un souffre-douleur quotidien. Aussi, de peur qu′il lâchât, avait-on soin de l′inviter avec des paroles aimables et persuasives comme en ont au lycée les vétérans, au régiment les anciens pour un bleu qu′on veut amadouer afin de pouvoir s′en saisir, à seules fins alors de le chatouiller et de lui faire des brimades quand il ne pourra plus s′échapper. «Surtout, rappela Cottard à Brichot qui n′avait pas entendu M. Verdurin, motus devant Mme Verdurin. — Soyez sans crainte, ô Cottard, vous avez affaire à un sage, comme dit Théocrite. D′ailleurs M. Verdurin a raison, à quoi servent nos plaintes, ajouta-t-il, car, capable d′assimiler des formes verbales et les idées qu′elles amenaient en lui, mais n′ayant pas de finesse, il avait admiré dans les paroles de M. Verdurin le plus courageux stosme. N′importe, c′est un grand talent qui disparaît. — Comment, vous parlez encore de Dechambre? dit M. Verdurin qui nous avait précédés et qui, voyant que nous ne le suivions pas, était revenu en arrière. Écoutez, dit-il à Brichot, il ne faut d′exagération en rien. Ce n′est pas une raison parce qu′il est mort pour en faire un génie qu′il n′était pas. Il jouait bien, c′est entendu, il était surtout bien encadré ici; transplanté, il n′existait plus. Ma femme s′en était engouée et avait fait sa réputation. Vous savez comme elle est. Je dirai plus, dans l′intérêt même de sa réputation il est mort au bon moment, à point, comme les demoiselles de Caen, grillées selon les recettes incomparables de Pampille, vont l′être, j′espère (à moins que vous ne vous éternisiez par vos jérémiades dans cette kasbah ouverte à tous les vents). Vous ne voulez tout de même pas nous faire crever tous parce que Dechambre est mort et quand, depuis un an, il était obligé de faire des gammes avant de donner un concert, pour retrouver momentanément, bien momentanément, sa souplesse. Du reste, vous allez entendre ce soir, ou du moins rencontrer, car ce mâtin-là délaisse trop souvent après dîner l′art pour les cartes, quelqu′un qui est un autre artiste que Dechambre, un petit que ma femme a découvert (comme elle avait découvert Dechambre, et Paderewski et le reste): Morel. Il n′est pas encore arrivé, ce bougre-là. Je vais être obligé d′envoyer une voiture au dernier train. Il vient avec un vieil ami de sa famille qu′il a retrouvé et qui l′embête à crever, mais sans qui il aurait été obligé, pour ne pas avoir de plaintes de son père, de rester sans cela à Doncières à lui tenir compagnie: le baron de Charlus.» Les fidèles entrèrent. M. Verdurin, resté en arrière avec moi pendant que j′ôtais mes affaires, me prit le bras en plaisantant, comme fait à un dîner un maître de maison qui n′a pas d′invitée à vous donner à conduire. «Vous avez fait bon voyage? — Oui, M. Brichot m′a appris des choses qui m′ont beaucoup intéressé», dis-je en pensant aux étymologies et parce que j′avais entendu dire que les Verdurin admiraient beaucoup Brichot. «Cela m′aurait étonné qu′il ne vous eût rien appris, me dit M. Verdurin, c′est un homme si effacé, qui parle si peu des choses qu′il sait.» Ce compliment ne me parut pas très juste. «Il a l′air charmant, dis-je. — Exquis, délicieux, pas pion pour un sou, fantaisiste, léger, ma femme l′adore, moi aussi!» répondit M. Verdurin sur un ton d′exagération et de réciter une leçon. Alors seulement je compris que ce qu′il m′avait dit de Brichot était ironique. Et je me demandai si M. Verdurin, depuis le temps lointain dont j′avais entendu parler, n′avait pas secoué la tutelle de sa femme.   The docile Cottard had said to the Mistress: “Upset yourself like that, and to-morrow you will give me a temperature of 102,” as he might have said to the cook: “To-morrow you will give me a riz de veau.” Medicine, when it fails to cure the sick, busies itself with changing the sense of verbs and pronouns.M. Verdurin was glad to find that Saniette, notwithstanding the snubs that he had had to endure two days earlier, had not deserted the little nucleus. And indeed Mme. Verdurin and her husband had acquired, in their idleness, cruel instincts for which the great occasions, occurring too rarely, no longer sufficed. They had succeeded in effecting a breach between Odette and Swann, between Brichot and his mistress. They would try it again with some one else, that was understood. But the opportunity did not present itself every day. Whereas, thanks to his shuddering sensibility, his timorous and quickly aroused shyness, Saniette provided them with a whipping-block for every day in the year. And so, for fear of his failing them, they took care always to invite him with friendly and persuasive words, such as the bigger boys at school, the old soldiers in a regiment, address to a recruit whom they are anxious to beguile so that they may get him into their clutches, with the sole object of flattering him for the moment and bullying him when he can no longer escape. “Whatever you do,” Brichot reminded Cottard, who had not heard what M. Verdurin was saying, “mum′s the word before Mme. Verdurin. Have no fear, O Cottard, you are dealing with a sage, as Theocritus says. Besides, M. Verdurin is right, what is the use of lamentations,” he went on, for, being capable of assimilating forms of speech and the ideas which they suggested to him, but having no finer perception, he had admired in M. Verdurin′s remarks the most courageous stoicism. “All the same, it is a great talent that has gone from the world.” “What, are you still talking about Dechambre,” said M. Verdurin, who had gone on ahead of us, and, seeing that we were not following him, had turned back. “Listen,” he said to Brichot, “nothing is gained by exaggeration. The fact of his being dead is no excuse for making him out a genius, which he was not. He played well, I admit, and what is more, he was in his proper element here; transplanted, he ceased to exist. My wife was infatuated with him and made his reputation. You know what she is. I will go farther, in the interest of his own reputation he has died at the right moment, he is done to a turn, as the demoiselles de Caen, grilled according to the incomparable recipe of Pampilles, are going to be, I hope (unless you keep us standing here all night with your jeremiads in this Kasbah exposed to all the winds of heaven). You don′t seriously expect us all to die of hunger because Dechambre is dead, when for the last year he was obliged to practise scales before giving a concert; to recover for the moment, and for the moment only, the suppleness of his wrists. Besides, you are going to hear this evening, or at any rate to meet, for the rascal is too fond of deserting his art, after dinner, for the card-table, somebody who is a far greater artist than Dechambre, a youngster whom my wife has discovered” (as she had discovered Dechambre, and Paderewski, and everybody else): “Morel. He has not arrived yet, the devil. He is coming with an old friend of his family whom he has picked up, and who bores him to tears, but otherwise, not to get into trouble with his father, he would have been obliged to stay down at Doncières and keep him company: the Baron de Charlus.” The faithful entered the drawing-room. M. Verdurin, who had remained behind with me while I took off my things, took my arm by way of a joke, as one′s host does at a dinner-party when there is no lady for one to take in. “Did you have a pleasant journey?” “Yes, M. Brichot told me things which interested me greatly,” said I, thinking of the etymologies, and because I had heard that the Verdurins greatly admired Brichot. “I am surprised to hear that he told you anything,” said M. Verdurin, “he is such a retiring man, and talks so little about the things he knows.” This compliment did not strike me as being very apt. “He seems charming,” I remarked. “Exquisite, delicious, not the sort of man you meet every day, such a light, fantastic touch, my wife adores him, and so do I!” replied M. Verdurin in an exaggerated tone, as though repeating a lesson. Only then did I grasp that what he had said to me about Brichot was ironical. And I asked myself whether M. Verdurin, since those far-off days of which I had heard reports, had not shaken off the yoke of his wife′s tutelage.
Le sculpteur fut très étonné d′apprendre que les Verdurin consentaient à recevoir M. de Charlus. Alors que dans le faubourg Saint–Germain, où M. de Charlus était si connu, on ne parlait jamais de ses moeurs (ignorées du plus grand nombre, objet de doute pour d′autres, qui croyaient plutôt à des amitiés exaltées, mais platoniques, à des imprudences, et enfin soigneusement dissimulées par les seuls renseignés, qui haussaient les épaules quand quelque malveillante Gallardon risquait une insinuation), ces moeurs, connues à peine de quelques intimes, étaient au contraire journellement décriées loin du milieu où il vivait, comme certains coups de canon qu′on n′entend qu′après l′interférence d′une zone silencieuse. D′ailleurs dans ces milieux bourgeois et artistes où il passait pour l′incarnation même de l′inversion, sa grande situation mondaine, sa haute origine, étaient entièrement ignorées, par un phénomène analogue à celui qui, dans le peuple roumain, fait que le nom de Ronsard est connu comme celui d′un grand seigneur, tandis que son oeuvre poétique y est inconnue. Bien plus, la noblesse de Ronsard repose en Roumanie sur une erreur. De même, si dans le monde des peintres, des comédiens, M. de Charlus avait si mauvaise réputation, cela tenait à ce qu′on le confondait avec un comte Leblois de Charlus, qui n′avait même pas la moindre parenté avec lui, ou extrêmement lointaine, et qui avait été arrêté, peut-être par erreur, dans une descente de police restée fameuse. En somme, toutes les histoires qu′on racontait sur M. de Charlus s′appliquaient au faux. Beaucoup de professionnels juraient avoir eu des relations avec M. de Charlus et étaient de bonne foi, croyant que le faux Charlus était le vrai, et le faux peut-être favorisant, moitié par ostentation de noblesse, moitié par dissimulation de vice, une confusion qui, pour le vrai (le baron que nous connaissons), fut longtemps préjudiciable, et ensuite, quand il eut glissé sur sa pente, devint commode, car à lui aussi elle permit de dire: «Ce n′est pas moi.» Actuellement, en effet, ce n′était pas de lui qu′on parlait. Enfin, ce qui ajoutait, à la fausseté des commentaires d′un fait vrai (les goûts du baron), il avait été l′ami intime et parfaitement pur d′un auteur qui, dans le monde des théâtres, avait, on ne sait pourquoi, cette réputation et ne la méritait nullement. Quand on les apercevait à une première ensemble, on disait: «Vous savez», de même qu′on croyait que la duchesse de Guermantes avait des relations immorales avec la princesse de Parme; légende indestructible, car elle ne se serait évanouie qu′à une proximité de ces deux grandes dames où les gens qui la répétaient n′atteindraient vraisemblablement jamais qu′en les lorgnant au théâtre et en les calomniant auprès du titulaire du fauteuil voisin. Des moeurs de M. de Charlus le sculpteur concluait, avec d′autant moins d′hésitation, que la situation mondaine du baron devait être aussi mauvaise, qu′il ne possédait sur la famille à laquelle appartenait M. de Charlus, sur son titre, sur son nom, aucune espèce de renseignement. De même que Cottard croyait que tout le monde sait que le titre de docteur en médecine n′est rien, celui d′interne des hôpitaux quelque chose, les gens du monde se trompent en se figurant que tout le monde possède sur l′importance sociale de leur nom les mêmes notions qu′eux-mêmes et les personnes de leur milieu.   The sculptor was greatly astonished to learn that the Verdurins were willing to have M. de Charlus in their house. Whereas in the Faubourg Saint-Germain, where M. de Charlus was so well known, nobody ever referred to his morals (of which most people had no suspicion, others remained doubtful, crediting him rather with intense but Platonic friendships, with behaving imprudently, while the enlightened few strenuously denied, shrugging their shoulders, any insinuation upon which some malicious Gallardon might venture), those morals, the nature of which was known perhaps to a few intimate friends, were, on the other hand, being denounced daily far from the circle in which he moved, just as, at times, the sound of artillery fire is audible only beyond a zone of silence. Moreover, in those professional and artistic circles where he was regarded as the typical instance of inversion, his great position in society, his noble origin were completely unknown, by a process analogous to that which, among the people of Rumania, has brought it about that the name of Ronsard is known as that of a great nobleman, while his poetical work is unknown there. Not only that, the Rumanian estimate of Ronsard′s nobility is founded upon an error. Similarly, if in the world of painters and actors M. de Charlus had such an evil reputation, that was due to their confusing him with a certain Comte Leblois de Charlus who was not even related to him (or, if so, the connexion was extremely remote), and who had been arrested, possibly by mistake, in the course of a police raid which had become historic. In short, all the stories related of our M. de Charlus referred to the other. Many professionals swore that they had had relations with M. de Charlus, and did so in good faith, believing that the false M. de Charlus was the true one, the false one possibly encouraging, partly from an affectation of nobility, partly to conceal his vice, a confusion which to the true one (the Baron whom we already know) was for a long time damaging, and afterwards, when he had begun to go down the hill, became a convenience, for it enabled him likewise to say: “That is not myself.” And in the present instance it was not he to whom the rumours referred. Finally, what enhanced the falsehood of the reports of an actual fact (the Baron′s tendencies), he had had an intimate and perfectly pure friendship with an author who, in the theatrical world, had for some reason acquired a similar reputation which he in no way deserved. When they were seen together at a first night, people would say: “You see,” just as it was supposed that the Duchesse de Guermantes had immoral relations with the Princesse de Parme; an indestructible legend, for it would be disproved only in the presence of those two great ladies themselves, to which the people who repeated it would presumably never come any nearer than by staring at them through their glasses in the theatre and slandering them to the occupant of the next stall. Given M. de Charlus′s morals, the sculptor concluded all the more readily that the Baron′s social position must be equally low, since he had no sort of information whatever as to the family to which M. de Charlus belonged, his title or his name. Just as Cottard imagined that everybody knew that the degree of Doctor of Medicine implied nothing, the title of Consultant to a Hospital meant something, so people in society are mistaken when they suppose that everybody has the same idea of the social importance of their name as they themselves and the other people of their set.
Le prince d′Agrigente passait pour un «rasta» aux yeux d′un chasseur de cercle à qui il devait vingt-cinq louis, et ne reprenait son importance que dans le faubourg Saint–Germain où il avait trois soeurs duchesses, car ce ne sont pas sur les gens modestes, aux yeux de qui il compte peu, mais sur les gens brillants, au courant de ce qu′il est, que fait quelque effet le grand seigneur. M. de Charlus allait, du reste, pouvoir se rendre compte, dès le soir même, que le Patron avait sur les plus illustres familles ducales des notions peu approfondies. Persuadé que les Verdurin allaient faire un pas de clerc en laissant s′introduire dans leur salon si «select» un individu taré, le sculpteur crut devoir prendre à part la Patronne. «Vous faites entièrement erreur, d′ailleurs je ne crois jamais ces choses-là, et puis, quand ce serait vrai, je vous dirai que ce ne serait pas très compromettant pour moi!» lui répondit Mme Verdurin, furieuse, car, Morel étant le principal élément des mercredis, elle tenait avant tout à ne pas le mécontenter. Quant à Cottard il ne put donner d′avis, car il avait demandé à monter un instant «faire une petite commission» dans le «buen retiro» et à écrire ensuite dans la chambre de M. Verdurin une lettre très pressée pour un malade.   The Prince d′Agrigente was regarded as a swindler by a club servant to whom he owed twenty-five louis, and regained his importance only in the Faubourg Saint-Germain where he had three sisters who were Duchesses, for it is not among the humble people in whose eyes he is of small account, but among the smart people who know what is what, that the great nobleman creates an effect. M. de Charlus, for that matter, was to learn in the course of the evening that his host had the vaguest ideas about the most illustrious ducal families.   Certain that the Verdurins were making a grave mistake in allowing an individual of tarnished reputation to be admitted to so ‘select′ a household as theirs, the sculptor felt it his duty to take the Mistress aside. “You are entirely mistaken, besides I never pay any attention to those tales, and even if it were true, I may be allowed to point out that it could hardly compromise me!” replied Mme. Verdurin, furious, for Morel being the principal feature of the Wednesdays, the chief thing for her was not to give any offence to him. As for Cottard, he could not express an opinion, for he had asked leave to go upstairs for a moment to ‘do a little job′ in the buen retiro, and after that, in M. Verdurin′s bedroom, to write an extremely urgent letter for a patient.
Un grand éditeur de Paris venu en visite, et qui avait pensé qu′on le retiendrait, s′en alla brutalement, avec rapidité, comprenant qu′il n′était pas assez élégant pour le petit clan. C′était un homme grand et fort, très brun, studieux, avec quelque chose de tranchant. Il avait l′air d′un couteau à papier en ébène.   A great publisher from Paris who had come to call, expecting to be invited to stay to dinner, withdrew abruptly, quickly, realising that he was not smart enough for the little clan. He was a tall, stout man, very dark, with a studious and somewhat cutting air. He reminded one of an ebony paper-knife.
Mme Verdurin qui, pour nous recevoir dans son immense salon, où des trophées de graminées, de coquelicots, de fleurs des champs, cueillis le jour même, alternaient avec le même motif peint en cama, deux siècles auparavant, par un artiste d′un goût exquis, s′était levée un instant d′une partie qu′elle faisait avec un vieil ami, nous demanda la permission de la finir en deux minutes et tout en causant avec nous. D′ailleurs, ce que je lui dis de mes impressions ne lui fut qu′à demi agréable. D′abord j′étais scandalisé de voir qu′elle et son mari rentraient tous les jours longtemps avant l′heure de ces couchers de soleil qui passaient pour si beaux, vus de cette falaise, plus encore de la terrasse de la Raspelière, et pour lesquels j′aurais fait des lieues. «Oui, c′est incomparable, dit légèrement Mme Verdurin en jetant un coup d′oeil sur les immenses croisées qui faisaient porte vitrée. Nous avons beau voir cela tout le temps, nous ne nous en lassons pas», et elle ramena ses regards vers ses cartes. Or, mon enthousiasme même me rendait exigeant. Je me plaignais de ne pas voir du salon les rochers de Darnetal qu′Elstir m′avait dit adorables à ce moment où ils réfractaient tant de couleurs. «Ah! vous ne pouvez pas les voir d′ici, il faudrait aller au bout du parc, à la «Vue de la baie». Du banc qui est là-bas vous embrassez tout le panorama. Mais vous ne pouvez pas y aller tout seul, vous vous perdriez. Je vais vous y conduire, si vous voulez, ajouta-t-elle mollement. — Mais non, voyons, tu n′as pas assez des douleurs que tu as prises l′autre jour, tu veux en prendre de nouvelles. Il reviendra, il verra la vue de la baie une autre fois.» Je n′insistai pas, et je compris qu′il suffisait aux Verdurin de savoir que ce soleil couchant était, jusque dans leur salon ou dans leur salle à manger, comme une magnifique peinture, comme un précieux émail japonais, justifiant le prix élevé auquel ils louaient la Raspelière toute meublée, mais vers lequel ils levaient rarement les yeux; leur grande affaire ici était de vivre agréablement, de se promener, de bien manger, de causer, de recevoir d′agréables amis à qui ils faisaient faire d′amusantes parties de billard, de bons repas, de joyeux goûters. Je vis cependant plus tard avec quelle intelligence ils avaient appris à connaître ce pays, faisant faire à leurs hôtes des promenades aussi «inédites» que la musique qu′ils leur faisaient écouter. Le rôle que les fleurs de la Raspelière, les chemins le long de la mer, les vieilles maisons, les églises inconnues, jouaient dans la vie de M. Verdurin était si grand, que ceux qui ne le voyaient qu′à Paris et qui, eux, remplaçaient la vie au bord de la mer et à la campagne par des luxes citadins, pouvaient à peine comprendre l′idée que lui-même se faisait de sa propre vie, et l′importance que ses joies lui donnaient à ses propres yeux. Cette importance était encore accrue du fait que les Verdurin étaient persuadés que la Raspelière, qu′ils comptaient acheter, était une propriété unique au monde. Cette supériorité que leur amour-propre leur faisait attribuer à la Raspelière justifia à leurs yeux mon enthousiasme qui, sans cela, les eût agacés un peu, à cause des déceptions qu′il comportait (comme celles que l′audition de la Berma m′avait jadis causées) et dont je leur faisais l′aveu sincère.   Mme. Verdurin who, to welcome us in her immense drawing-room, in which displays of grasses, poppies, field-flowers, plucked only that morning, alternated with a similar theme painted on the walls, two centuries earlier, by an artist of exquisite taste, had risen for a moment from a game of cards which she was playing with an old friend, begged us to excuse her for just one minute while she finished her game, talking to us the while. What I told her about my impressions did not, however, seem altogether to please her. For one thing I was shocked to observe that she and her husband came indoors every day long before the hour of those sunsets which were considered so fine when seen from that cliff, and finer still from the terrace of la Raspelière, and which I would have travelled miles to see. “Yes, it′s incomparable,” said Mme. Verdurin carelessly, with a glance at the huge windows which gave the room a wall of glass. “Even though we have it always in front of us, we never grow tired of it,” and she turned her attention back to her cards. Now my very enthusiasm made me exacting. I expressed my regret that I could not see from the drawing-room the rocks of Darnetal, which, Elstir had told me, were quite lovely at that hour, when they reflected so many colours. “Ah! You can′t see them from here, you would have to go to the end of the park, to the ‘view of the bay.′ From the seat there, you can take in the whole panorama. But you can′t go there by yourself, you will lose your way. I can take you there, if you like,” she added kindly. “No, no, you are not satisfied with the illness you had the other day, you want to make yourself ill again. He will come back, he can see the view of the bay another time.” I did not insist, and understood that it was enough for the Verdurins to know that this sunset made its way into their drawing-room or dining-room, like a magnificent painting, like a priceless Japanese enamel, justifying the high rent that they were paying for la Raspelière, with plate and linen, but a thing to which they rarely raised their eyes; the important thing, here, for them was to live comfortably, to take drives, to feed well, to talk, to entertain agreeable friends whom they provided with amusing games of billiards, good meals, merry tea-parties. I noticed, however, later on, how intelligently they had learned to know the district, taking their guests for excursions as ‘novel′ as the music to which they made them listen. The part which the flowers of la Raspelière, the roads by the sea′s edge, the old houses, the undiscovered churches, played in the life of M. Verdurin was so great that those people who saw him only in Paris and who, themselves, substituted for the life by the seaside and in the country the refinements of life in town could barely understand the idea that he himself formed of his own life, or the importance that his pleasures gave him in his own eyes. This importance was further enhanced by the fact that the Verdurins were convinced that la Raspelière, which they hoped to purchase, was a property without its match in the world. This superiority which their self-esteem made them attribute to la Raspelière justified in their eyes my enthusiasm which, but for that, would have annoyed them slightly, because of the disappointments which it involved (like my disappointment when long ago I had first listened to Berma) and which I frankly admitted to them.
«J′entends la voiture qui revient», murmura tout à coup la Patronne. Disons en un mot que Mme Verdurin, en dehors même des changements inévitables de l′âge, ne ressemblait plus à ce qu′elle était au temps où Swann et Odette écoutaient chez elle la petite phrase. Même quand on la jouait, elle n′était plus obligée à l′air exténué d′admiration qu′elle prenait autrefois, car celui-ci était devenu sa figure. Sous l′action des innombrables névralgies que la musique de Bach, de Wagner, de Vinteuil, de Debussy lui avait occasionnées, le front de Mme Verdurin avait pris des proportions énormes, comme les membres qu′un rhumatisme finit par déformer. Ses tempes, pareilles à deux belles sphères brûlantes, endolories et laiteuses, où roule immortellement l′Harmonie, rejetaient, de chaque côté, des mèches argentées, et proclamaient, pour le compte de la Patronne, sans que celle-ci eût besoin de parler: «Je sais ce qui m′attend ce soir.» Ses traits ne prenaient plus la peine de formuler successivement des impressions esthétiques trop fortes, car ils étaient eux-mêmes comme leur expression permanente dans un visage ravagé et superbe. Cette attitude de résignation aux souffrances toujours prochaines infligées par le Beau, et du courage qu′il y avait eu à mettre une robe quand on relevait à peine de la dernière sonate, faisait que Mme Verdurin, même pour écouter la plus cruelle musique, gardait un visage dédaigneusement impassible et se cachait même pour avaler les deux cuillerées d′aspirine.   “I hear the carriage coming back,” the Mistress suddenly murmured. Let us state briefly that Mme. Verdurin, quite apart from the inevitable changes due to increasing years, no longer resembled what she had been at the time when Swann and Odette used to listen to the little phrase in her house. Even when she heard it played, she was no longer obliged to assume the air of attenuated admiration which she used to assume then, for that had become her normal expression. Under the influence of the countless neuralgias which the music of Bach, Wagner, Vinteuil, Debussy had given her, Mme. Verdurin′s brow had assumed enormous proportions, like limbs that are finally crippled by rheumatism. Her temples, suggestive of a pair of beautiful, pain-stricken, milk-white spheres, in which Harmony rolled endlessly, flung back upon either side her silvered tresses, and proclaimed, on the Mistress′s behalf, without any need for her to say a word: “I know what is in store for me to-night.” Her features no longer took the trouble to formulate successively aesthetic impressions of undue violence, for they had themselves become their permanent expression on a countenance ravaged and superb. This attitude of resignation to the ever impending sufferings inflicted by Beauty, and of the courage that was required to make her dress for dinner when she had barely recovered from the effects of the last sonata, had the result that Mme. Verdurin, even when listening to the most heartrending music, preserved a disdainfully impassive countenance, and actually withdrew into retirement to swallow her two spoonfuls of aspirin.
«Ah! oui, les voici», s′écria M. Verdurin avec soulagement en voyant la porte s′ouvrir sur Morel suivi de M. de Charlus. Celui-ci, pour qui dîner chez les Verdurin n′était nullement aller dans le monde, mais dans un mauvais lieu, était intimidé comme un collégien qui entre pour la première fois dans une maison publique et a mille respects pour la patronne. Aussi le désir habituel qu′avait M. de Charlus de paraître viril et froid fut-il dominé (quand il apparut dans la porte ouverte) par ces idées de politesse traditionnelles qui se réveillent dès que la timidité détruit une attitude factice et fait appel aux ressources de l′inconscient. Quand c′est dans un Charlus, qu′il soit d′ailleurs noble ou bourgeois, qu′agit un tel sentiment de politesse instinctive et atavique envers des inconnus, c′est toujours l′âme d′une parente du sexe féminin, auxiliatrice comme une déesse ou incarnée comme un double, qui se charge de l′introduire dans un salon nouveau et de modeler son attitude jusqu′à ce qu′il soit arrivé devant la maîtresse de maison. Tel jeune peintre, élevé par une sainte cousine protestante, entrera la tête oblique et chevrotante, les yeux au ciel, les mains cramponnées à un manchon invisible, dont la forme évoquée et la présence réelle et tutélaire aideront l′artiste intimidé à franchir sans agoraphobie l′espace creusé d′abîmes qui va de l′antichambre au petit salon. Ainsi la pieuse parente dont le souvenir le guide aujourd′hui entrait il y a bien des années, et d′un air si gémissant qu′on se demandait quel malheur elle venait annoncer quand, à ses premières paroles, on comprenait, comme maintenant pour le peintre, qu′elle venait faire une visite de digestion. En vertu de cette même loi, qui veut que la vie, dans l′intérêt de l′acte encore inaccompli, fasse servir, utilise, dénature, dans une perpétuelle prostitution, les legs les plus respectables, parfois les plus saints, quelquefois seulement les plus innocents du passé, et bien qu′elle engendrât alors un aspect différent, celui des neveux de Mme Cottard qui affligeait sa famille par ses manières efféminées et ses fréquentations faisait toujours une entrée joyeuse, comme s′il venait vous faire une surprise ou vous annoncer un héritage, illuminé d′un bonheur dont il eût été vain de lui demander la cause qui tenait à son hérédité inconsciente et à son sexe déplacé. Il marchait sur les pointes, était sans doute lui-même étonné de ne pas tenir à la main un carnet de cartes de visites, tendait la main en ouvrant la bouche en coeur comme il avait vu sa tante le faire, et son seul regard inquiet était pour la glace où il semblait vouloir vérifier, bien qu′il fût nu-tête, si son chapeau, comme avait un jour demandé Mme Cottard à Swann, n′était pas de travers. Quant à M. de Charlus, à qui la société où il avait vécu fournissait, à cette minute critique, des exemples différents, d′autres arabesques d′amabilité, et enfin la maxime qu′on doit savoir dans certains cas, pour de simples petits bourgeois, mettre au jour et faire servir ses grâces les plus rares et habituellement gardées en réserve, c′est en se trémoussant, avec mièvrerie et la même ampleur dont un enjuponnement eût élargi et gêné ses dandinements, qu′il se dirigea vers Mme Verdurin, avec un air si flatté et si honoré qu′on eût dit qu′être présenté chez elle était pour lui une suprême faveur. Son visage à demi incliné, où la satisfaction le disputait au comme il faut, se plissait de petites rides d′affabilité. On aurait cru voir s′avancer Mme de Marsantes, tant ressortait à ce moment la femme qu′une erreur de la nature avait mise dans le corps de M. de Charlus. Certes cette erreur, le baron avait durement peiné pour la dissimuler et prendre une apparence masculine. Mais à peine y était-il parvenu que, ayant pendant le même temps gardé les mêmes goûts, cette habitude de sentir en femme lui donnait une nouvelle apparence féminine, née celle-là non de l′hérédité, mais de la vie individuelle. Et comme il arrivait peu à peu à penser, même les choses sociales, au féminin, et cela sans s′en apercevoir, car ce n′est pas qu′à force de mentir aux autres, mais aussi de se mentir à soi-même, qu′on cesse de s′apercevoir qu′on ment, bien qu′il eût demandé à son corps de rendre manifeste (au moment où il entrait chez les Verdurin) toute la courtoisie d′un grand seigneur, ce corps, qui avait bien compris ce que M. de Charlus avait cessé d′entendre, déploya, au point que le baron eût mérité l′épithète de lady-like, toutes les séductions d′une grande dame. Au reste, peut-on séparer entièrement l′aspect de M. de Charlus du fait que les fils, n′ayant pas toujours la ressemblance paternelle, même sans être invertis et en recherchant des femmes, consomment dans leur visage la profanation de leur mère? Mais laissons ici ce qui mériterait un chapitre à part: les mères profanées.   “Why, yes, here they are!” M. Verdurin cried with relief when he saw the door open to admit Morel, followed by M. de Charlus. The latter, to whom dining with the Verdurins meant not so much going into society as going into questionable surroundings, was as frightened as a schoolboy making his way for the first time into a brothel with the utmost deference towards its mistress. Moreover the persistent desire that M. de Charlus felt to appear virile and frigid was overcome (when he appeared in the open doorway) by those traditional ideas of politeness which are awakened as soon as shyness destroys an artificial attitude and makes an appeal to the resources of the subconscious. When it is a Charlus, whether he be noble or plebeian, that is stirred by such a sentiment of instinctive and atavistic politeness to strangers, it is always the spirit of a relative of the female sex, attendant like a goddess, or incarnate as a double, that undertakes to introduce him into a strange drawing-room and to mould his attitude until he comes face to face with his hostess. Thus a young painter, brought up by a godly, Protestant, female cousin, will enter a room, his head aslant and quivering, his eyes raised to the ceiling, his hands gripping an invisible muff, the remembered shape of which and its real and tutelary presence will help the frightened artist to cross without agoraphobia the yawning abyss between the hall and the inner drawing-room. Thus it was that the pious relative, whose memory is helping him to-day, used to enter a room years ago, and with so plaintive an air that one was asking oneself what calamity she had come to announce, when from her first words one realised, as now in the case of the painter, that she had come to pay an after-dinner call. By virtue of the same law, which requires that life, in the interests of the still unfulfilled act, shall bring into play, utilise, adulterate, in a perpetual prostitution, the most respectable, it may be the most sacred, sometimes only the most innocent legacies from the past, and albeit in this instance it engendered a different aspect, the one of Mme. Cottard′s nephews who distressed his family by his effeminate ways and the company he kept would always make a joyous entry as though he had a surprise in store for you or were going to inform you that he had been left a fortune, radiant with a happiness which it would have been futile to ask him to explain, it being due to his unconscious heredity and his misplaced sex. He walked upon tiptoe, was no doubt himself astonished that he was not holding a cardcase, offered you his hand parting his lips as he had seen his aunt part hers, and his uneasy glance was directed at the mirror in which he seemed to wish to make certain, albeit he was bare-headed, whether his hat, as Mme. Cottard had once inquired of Swann, was not askew. As for M. de Charlus, whom the society in which he had lived furnished, at this critical moment, with different examples, with other patterns of affability, and above all with the maxim that one must, in certain cases, when dealing with people of humble rank, bring into play and make use of one′s rarest graces, which one normally holds in reserve, it was with a flutter, archly, and with the same sweep with which a skirt would have enlarged and impeded his waddling motion that he advanced upon Mme. Verdurin with so flattered and honoured an air that one would have said that to be taken to her house was for him a supreme favour. One would have thought that it was Mme. de Marsantes who was entering the room, so prominent at that moment was the woman whom a mistake on the part of Nature had enshrined in the body of M. de Charlus. It was true that the Baron had made every effort to obliterate this mistake and to assume a masculine appearance. But no sooner had he succeeded than, he having in the meantime kept the same tastes, this habit of looking at things through a woman′s eyes gave him a fresh feminine appearance, due this time not to heredity but to his own way of living. And as he had gradually come to regard even social questions from the feminine point of view, and without noticing it, for it is not only by dint of lying to other people, but also by lying to oneself that one ceases to be aware that one is lying, albeit he had called upon his body to manifest (at the moment of his entering the Verdurins′ drawing-room) all the courtesy of a great nobleman, that body which had fully understood what M. de Charlus had ceased to apprehend, displayed, to such an extent that the Baron would have deserved the epithet ‘ladylike,′ all the attractions of a great lady. Not that there need be any connexion between the appearance of M. de Charlus and the fact that sons, who do not always take after their fathers, even without being inverts, and though they go after women, may consummate upon their faces the profanation of their mothers. But we need not consider here a subject that deserves a chapter to itself: the Profanation of the Mother.
Bien que d′autres raisons présidassent à cette transformation de M. de Charlus et que des ferments purement physiques fissent «travailler chez lui» la matière, et passer peu à peu son corps dans la catégorie des corps de femme, pourtant le changement que nous marquons ici était d′origine spirituelle. A force de se croire malade, on le devient, on maigrit, on n′a plus la force de se lever, on a des entérites nerveuses. A force de penser tendrement aux hommes on devient femme, et une robe postiche entrave vos pas. L′idée fixe peut modifier (aussi bien que, dans d′autres cas, la santé) dans ceux-là le sexe. Morel, qui le suivait, vint me dire bonjour. Dès ce moment-là, à cause d′un double changement qui se produisit en lui, il me donna (hélas! je ne sus pas assez tôt en tenir compte) une mauvaise impression. Voici pourquoi. J′ai dit que Morel, échappé de la servitude de son père, se complaisait en général à une familiarité fort dédaigneuse. Il m′avait parlé, le jour où il m′avait apporté les photographies, sans même me dire une seule fois Monsieur, me traitant de haut en bas. Quelle fut ma surprise chez Mme Verdurin de le voir s′incliner très bas devant moi, et devant moi seul, et d′entendre, avant même qu′il eût prononcé d′autre parole, les mots de respect, de très respectueux — ces mots que je croyais impossibles à amener sous sa plume ou sur ses lèvres —à moi adressés. J′eus aussitôt l′impression qu′il avait quelque chose à me demander. Me prenant à part au bout d′une minute: «Monsieur me rendrait bien grand service, me dit-il, allant cette fois jusqu′à me parler à la troisième personne, en cachant entièrement à Mme Verdurin et à ses invités le genre de profession que mon père a exercé chez son oncle. Il vaudrait mieux dire qu′il était, dans votre famille, l′intendant de domaines si vastes, que cela le faisait presque l′égal de vos parents.» La demande de Morel me contrariait infiniment, non pas en ce qu′elle me forçait à grandir la situation de son père, ce qui m′était tout à fait égal, mais la fortune au moins apparente du mien, ce que je trouvais ridicule. Mais son air était si malheureux, si urgent que je ne refusai pas. «Non, avant dîner, dit-il d′un ton suppliant, Monsieur a mille prétextes pour prendre à part Mme Verdurin.» C′est ce que je fis en effet, en tâchant de rehausser de mon mieux l′éclat du père de Morel, sans trop exagérer le «train» ni les «biens au soleil» de mes parents. Cela passa comme une lettre à la poste, malgré l′étonnement de Mme Verdurin qui avait connu vaguement mon grand-père. Et comme elle n′avait pas de tact, haî²³ait les familles (ce dissolvant du petit noyau), après m′avoir dit qu′elle avait autrefois aperçu mon arrière-grand-père et m′en avoir parlé comme de quelqu′un d′à peu près idiot qui n′eût rien compris au petit groupe et qui, selon son expression, «n′en était pas», elle me dit: «C′est, du reste, si ennuyeux les familles, on n′aspire qu′à en sortir»; et aussitôt elle me raconta sur le père de mon grand-père ce trait que j′ignorais, bien qu′à la maison j′eusse soupçonné (je ne l′avais pas connu, mais on parlait beaucoup de lui) sa rare avarice (opposée à la générosité un peu trop fastueuse de mon grand-oncle, l′ami de la dame en rose et le patron du père de Morel): «Du moment que vos grands-parents avaient un intendant si chic, cela prouve qu′il y a des gens de toutes les couleurs dans les familles. Le père de votre grand-père était si avare que, presque gâteux à la fin de sa vie — entre nous il n′a jamais été bien fort, vous les rachetez tous — il ne se résignait pas à dépenser trois sous pour son omnibus. De sorte qu′on avait été obligé de le faire suivre, de payer séparément le conducteur, et de faire croire au vieux grigou que son ami, M. de Persigny, ministre d′État, avait obtenu qu′il circulât pour rien dans les omnibus. Du reste, je suis très contente que le père de notre Morel ait été si bien. J′avais compris qu′il était professeur de lycée, ça ne fait rien, j′avais mal compris. Mais c′est de peu d′importance car je vous dirai qu′ici nous n′apprécions que la valeur propre, la contribution personnelle, ce que j′appelle la participation. Pourvu qu′on soit d′art, pourvu en un mot qu′on soit de la confrérie, le reste importe peu.» La façon dont Morel en était — autant que j′ai pu l′apprendre —était qu′il aimait assez les femmes et les hommes pour faire plaisir à chaque sexe à l′aide de ce qu′il avait expérimenté sur l′autre — c′est ce qu′on verra plus tard.   Albeit other reasons dictated this transformation of M. de Charlus, and purely physical ferments set his material substance ‘working′ and made his body pass gradually into the category of women′s bodies, nevertheless the change that we record here was of spiritual origin. By dint of supposing yourself to be ill you become ill, grow thin, are too weak to rise from your bed, suffer from nervous enteritis. By dint of thinking tenderly of men you become a woman, and an imaginary spirit hampers your movements. The obsession, just as in the other instance it affects your health, may in this instance alter your sex. Morel, who accompanied him, came to shake hands with me. From that first moment, owing to a twofold change that occurred in him I formed (alas, I was not warned in time to act upon it!) a bad impression of him. I have said that Morel, having risen above his father′s menial status, was generally pleased to indulge in a contemptuous familiarity. He had talked to me on the day when he brought me the photographs without once addressing me as Monsieur, treating me as an inferior. What was my surprise at Mme. Verdurin′s to see him bow very low before me, and before me alone, and to hear, before he had even uttered a syllable to anyone else, words of respect, most respectful — such words as I thought could not possibly flow from his pen or fall from his lips — addressed to myself. I at once suspected that he had some favour to ask of me. Taking me aside a minute later: “Monsieur would be doing me a very great service,” he said to me, going so far this time as to address me in the third person, “by keeping from Mme. Verdurin and her guests the nature of the profession that my father practised with his uncle. It would be best to say that he was, in your family, the agent for estates so considerable as to put him almost on a level with your parents,” Morel′s request annoyed me intensely because it obliged me to magnify not his father′s position, in which I took not the slightest interest, but the wealth — the apparent wealth of my own, which I felt to be absurd. But he appeared so unhappy, so pressing, that I could not refuse him. “No, before dinner,” he said in an imploring tone, “Monsieur can easily find some excuse for taking Mme. Verdurin aside.” This was what, in the end, I did, trying to enhance to the best of my ability the distinction of Morel′s father, without unduly exaggerating the ‘style,′ the ‘worldly goods′ of my own family. It went like a letter through the post, notwithstanding the astonishment of Mme. Verdurin, who had had a nodding acquaintance with my grandfather. And as she had no tact, hated family life (that dissolvent of the little nucleus), after telling me that she remembered, long ago, seeing my great-grandfather, and after speaking of him as of somebody who was almost an idiot, who would have been incapable of understanding the little group, and who, to use her expression, “was not one of us,” she said to me: “Families are such a bore, the only thing is to get right away from them;” and at once proceeded to tell me of a trait in my great-grandfather′s character of which I was unaware, although I might have suspected it at home (I had never seen him, but they frequently spoke of him), his remarkable stinginess (in contrast to the somewhat excessive generosity of my great-uncle, the friend of the lady in pink and Morel′s father′s employer): “Why, of course, if your grandparents had such a grand agent, that only shews that there are all sorts of people in a family. Your grandfather′s father was so stingy that, at the end of his life, when he was almost half-witted — between you and me, he was never anything very special, you are worth the whole lot of them — he could not bring himself to pay a penny for his ride on the omnibus. So that they were obliged to have him followed by somebody who paid his fare for him, and to let the old miser think that his friend M. de Persigny, the Cabinet Minister, had given him a permit to travel free on the omnibuses. But I am delighted to hear that our Morel′s father held such a good position. I was under the impression that he had been a schoolmaster, but that′s nothing, I must have misunderstood. In any case, it makes not the slightest difference, for I must tell you that here we appreciate only true worth, the personal contribution, what I call the participation. Provided that a person is artistic, provided in a word that he is one of the brotherhood, nothing else matters.” The way in which Morel was one of the brotherhood was — so far as I have been able to discover — that he was sufficiently fond of both women and men to satisfy either sex with the fruits of his experience of the other.
Mais ce qui est essentiel à dire ici, c′est que, dès que je lui eus donné ma parole d′intervenir auprès de Mme Verdurin, dès que je l′eus fait surtout, et sans retour possible en arrière, le «respect» de Morel à mon égard s′envola comme par enchantement, les formules respectueuses disparurent, et même pendant quelque temps il m′évita, s′arrangeant pour avoir l′air de me dédaigner, de sorte que, si Mme Verdurin voulait que je lui disse quelque chose, lui demandasse tel morceau de musique, il continuait à parler avec un fidèle, puis passait à un autre, changeait de place si j′allais à lui. On était obligé de lui dire jusqu′à trois ou quatre fois que je lui avais adressé la parole, après quoi il me répondait, l′air contraint, brièvement, à moins que nous ne fussions seuls. Dans ce cas-là il était expansif, amical, car il avait des parties de caractère charmantes. Je n′en conclus pas moins de cette première soirée que sa nature devait être vile, qu′il ne reculait quand il le fallait devant aucune platitude, ignorait la reconnaissance. En quoi il ressemblait au commun des hommes. Mais comme j′avais en moi un peu de ma grand′mère et me plaisais à la diversité des hommes sans rien attendre d′eux ou leur en vouloir, je négligeai sa bassesse, je me plus à sa gaieté quand cela se présenta, même à ce que je crois avoir été une sincère amitié de sa part quand, ayant fait tout le tour de ses fausses connaissances de la nature humaine, il s′aperçut (par à-coups, car il avait d′étranges retours à sa sauvagerie primitive et aveugle) que ma douceur avec lui était désintéressée, que mon indulgence ne venait pas d′un manque de clairvoyance, mais de ce qu′il appela bonté, et surtout je m′enchantai à son art, qui n′était guère qu′une virtuosité admirable mais me faisait (sans qu′il fût au sens intellectuel du mot un vrai musicien) réentendre ou connaître tant de belle musique. D′ailleurs un manager, M. de Charlus (chez qui j′ignorais ces talents, bien que Mme de Guermantes, qui l′avait connu fort différent dans leur jeunesse, prétendît qu′il lui avait fait une sonate, peint un éventail, etc . . . ), modeste en ce qui concernait ses vraies supériorités, mais de tout premier ordre, sut mettre cette virtuosité au service d′un sens artistique multiple et qu′il décupla. Qu′on imagine quelque artiste, purement adroit, des ballets russes, stylé, instruit, développé en tous sens par M. de Diaghilew. But what it is essential to note here is that as soon as I had given him my word that I would speak on his behalf to Mme. Verdurin, as soon, moreover, as I had actually done so, and without any possibility of subsequent retractation, Morel′s ‘respect′ for myself vanished as though by magic, the formal language of respect melted away, and indeed for some time he avoided me, contriving to appear contemptuous of me, so that if Mme. Verdurin wanted me to give him a message, to ask him to play something, he would continue to talk to one of the faithful, then move on to another, changing his seat if I approached him. The others were obliged to tell him three or four times that I had spoken to him, after which he would reply, with an air of constraint, briefly, that is to say unless we were by ourselves. When that happened, he was expansive, friendly, for there was a charming side to him. I concluded all the same from this first evening that his must be a vile nature, that he would not, at a pinch, shrink from any act of meanness, was incapable of gratitude. In which he resembled the majority of mankind. But inasmuch as I had inherited a strain of my grandmother′s nature, and enjoyed the diversity of other people without expecting anything of them or resenting anything that they did, I overlooked his baseness, rejoiced in his gaiety when it was in evidence, and indeed in what I believe to have been a genuine affection on his part when, having gone the whole circuit of his false ideas of human nature, he realised (with a jerk, for he shewed strange reversions to a blind and primitive savagery) that my kindness to him was disinterested, that my indulgence arose not from a want of perception but from what he called goodness; and, more important still, I was enraptured by his art which indeed was little more than an admirable virtuosity, but which made me (without his being in the intellectual sense of the word a real musician) hear again or for the first time so much good music. Moreover a manager — M. de Charlus (whom I had not suspected of such talents, albeit Mme. de Guermantes, who had known him a very different person in their younger days, asserted that he had composed a sonata for her, painted a fan, and so forth), modest in regard to his true merits, but possessing talents of the first order, contrived to place this virtuosity at the service of a versatile artistic sense which increased it tenfold. Imagine a merely skilful performer in the Russian ballet, formed, educated, developed in all directions by M. Diaghileff.
Je venais de transmettre à Mme Verdurin le message dont m′avait chargé Morel, et je parlais de Saint–Loup avec M. de Charlus, quand Cottard entra au salon en annonçant, comme s′il y avait le feu, que les Cambremer, arrivaient. Mme Verdurin, pour ne pas avoir l′air, vis-à-vis de nouveaux comme M. de Charlus (que Cottard n′avait pas vu) et comme moi, d′attacher tant d′importance à l′arrivée des Cambremer, ne bougea pas, ne répondit pas à l′annonce de cette nouvelle et se contenta de dire au docteur, en s′éventant avec grâce, et du même ton factice qu′une marquise du Théâtre-Français: «Le baron nous disait justement . . . » C′en était trop pour Cottard! Moins vivement qu′il n′eût fait autrefois, car l′étude et les hautes situations avaient ralenti son débit, mais avec cette émotion tout de même qu′il retrouvait chez les Verdurin: «Un baron! Où ça, un baron? Où ça, un baron?» s′écria-t-il en le cherchant des yeux avec un étonnement qui frisait l′incrédulité. Mme Verdurin, avec l′indifférence affectée d′une maîtresse de maison à qui un domestique vient, devant les invités, de casser un verre de prix, et avec l′intonation artificielle et surélevée d′un premier prix du Conservatoire jouant du Dumas fils, répondit, en désignant avec son éventail le protecteur de Morel: «Mais, le baron de Charlus, à qui je vais vous nommer . . . Monsieur le professeur Cottard.» Il ne déplaisait d′ailleurs pas à Mme Verdurin d′avoir l′occasion de jouer à la dame. M. de Charlus tendit deux doigts que le professeur serra avec le sourire bénévole d′un «prince de la science». Mais il s′arrêta net en voyant entrer les Cambremer, tandis que M. de Charlus m′entraînait dans un coin pour me dire un mot, non sans palper mes muscles, ce qui est une manière allemande. M. de Cambremer ne ressemblait guère à la vieille marquise. Il était, comme elle le disait avec tendresse, «tout à fait du côté de son papa». Pour qui n′avait entendu que parler de lui, ou même de lettres de lui, vives et convenablement tournées, son physique étonnait. Sans doute devait-on s′y habituer. Mais son nez avait choisi, pour venir se placer de travers au-dessus de sa bouche, peut-être la seule ligne oblique, entre tant d′autres, qu′on n′eût eu l′idée de tracer sur ce visage, et qui signifiait une bêtise vulgaire, aggravée encore par le voisinage d′un teint normand à la rougeur de pommes. Il est possible que les yeux de M. de Cambremer gardassent dans leurs paupières un peu de ce ciel du Cotentin, si doux par les beaux jours ensoleillés, où le promeneur s′amuse à voir, arrêtées au bord de la route, et à compter par centaines les ombres des peupliers, mais ces paupières lourdes, chassieuses et mal rabattues, eussent empêché l′intelligence elle-même de passer. Aussi, décontenancé par la minceur de ce regard bleu, se reportait-on au grand nez de travers. Par une transposition de sens, M. de Cambremer vous regardait avec son nez. Ce nez de M. de Cambremer n′était pas laid, plutôt un peu trop beau, trop fort, trop fier de son importance. Busqué, astiqué, luisant, flambant neuf, il était tout disposé à compenser l′insuffisance spirituelle du regard; malheureusement, si les yeux sont quelquefois l′organe où se révèle l′intelligence, le nez (quelle que soit d′ailleurs l′intime solidarité et la répercussion insoupçonnée des traits les uns sur les autres), le nez est généralement l′organe où s′étale le plus aisément la bêtise.   I had just given Mme. Verdurin the message with which Morel had charged me and was talking to M. de Charlus about Saint-Loup, when Cottard burst into the room announcing, as though the house were on fire, that the Cambremers had arrived. Mme. Verdurin, not wishing to appear before strangers such as M. de Charlus (whom Cottard had not seen) and myself to attach any great importance to the arrival of the Cambremers, did not move, made no response to the announcement of these tidings, and merely said to the doctor, fanning herself gracefully, and adopting the tone of a Marquise in the Théâtre Français: “The Baron has just been telling us. . . . ” This was too much for Cottard! Less abruptly than he would have done in the old days, for learning and high positions had added weight to his utterance, but with the emotion, nevertheless, which he recaptured at the Verdurins′, he exclaimed: “A Baron! What Baron? Where′s the Baron?” staring around the room with an astonishment that bordered on incredulity. Mme. Verdurin, with the affected indifference of a hostess when a servant has, in front of her guests, broken a valuable glass, and with the artificial, highfalutin tone of a conservatoire prize-winner acting in a play by the younger Dumas, replied, pointing with her fan to Morel′s patron: “Why, the Baron de Charlus, to whom let me introduce you, M. le Professeur Cottard.” Mme. Verdurin was, for that matter, by no means sorry to have an opportunity of playing the leading lady. M. de Charlus proffered two fingers which the Professor clasped with the kindly smile of a ‘Prince of Science.′ But he stopped short upon seeing the Cambremers enter the room, while M. de Charlus led me into a corner to tell me something, not without feeling my muscles, which is a German habit. M. de Cambremer bore no resemblance to the old Marquise. To anyone who had only heard of him, or of letters written by him, well and forcibly expressed, his personal appearance was startling. No doubt, one would grow accustomed to it. But his nose had chosen to place itself aslant above his mouth, perhaps the only crooked line, among so many, which one would never have thought of tracing upon his face, and one that indicated a vulgar stupidity, aggravated still further by the proximity of a Norman complexion on cheeks that were like two ripe apples. It is possible that the eyes of M. de Cambremer retained behind their eyelids a trace of the sky of the Cotentin, so soft upon sunny days when the wayfarer amuses himself in watching, drawn up by the roadside, and counting in their hundreds the shadows of the poplars, but those eyelids, heavy, bleared and drooping, would have prevented the least flash of intelligence from escaping. And so, discouraged by the meagreness of that azure glance, one returned to the big crooked nose. By a transposition of the senses, M. de Cambremer looked at you with his nose. This nose of his was not ugly, it was if anything too handsome, too bold, too proud of its own importance. Arched, polished, gleaming, brand new, it was amply prepared to atone for the inadequacy of his eyes. Unfortunately, if the eyes are sometimes the organ through which our intelligence is revealed, the nose (to leave out of account the intimate solidarity and the unsuspected repercussion of one feature upon the rest), the nose is generally the organ in which stupidity is most readily displayed.
La convenance de vêtements sombres que portait toujours, même le matin, M. de Cambremer, avait beau rassurer ceux qu′éblouissait et exaspérait l′insolent éclat des costumes de plage des gens qu′ils ne connaissaient pas, on ne pouvait comprendre que la femme du premier président déclarât d′un air de flair et d′autorité, en personne qui a plus que vous l′expérience de la haute société d′Alençon, que devant M. de Cambremer on se sentait tout de suite, même avant de savoir qui il était, en présence d′un homme de haute distinction, d′un homme parfaitement bien élevé, qui changeait du genre de Balbec, un homme enfin auprès de qui on pouvait respirer. Il était pour elle, asphyxiée par tant de touristes de Balbec, qui ne connaissaient pas son monde, comme un flacon de sels. Il me sembla au contraire qu′il était des gens que ma grand′mère eût trouvés tout de suite «très mal», et, comme elle ne comprenait pas le snobisme, elle eût sans doute été stupéfaite qu′il eût réussi à être épousé par Mlle Legrandin qui devait être difficile en fait de distinction, elle dont le frère était «si bien». Tout au plus pouvait-on dire de la laideur vulgaire de M. de Cambremer qu′elle était un peu du pays et avait quelque chose de très anciennement local; on pensait, devant ses traits fautifs et qu′on eût voulu rectifier, à ces noms de petites villes normandes sur l′étymologie desquels mon curé se trompait parce que les paysans, articulant mal ou ayant compris de travers le mot normand ou latin qui les désigne, ont fini par fixer dans un barbarisme qu′on trouve déjà dans les cartulaires, comme eût dit Brichot, un contre-sens et un vice de prononciation. La vie dans ces vieilles petites villes peut d′ailleurs se passer agréablement, et M. de Cambremer devait avoir des qualités, car, s′il était d′une mère que la vieille marquise préférât son fils à sa belle-fille, en revanche, elle qui avait plusieurs enfants, dont deux au moins n′étaient pas sans mérites, déclarait souvent que le marquis était à son avis le meilleur de la famille. Pendant le peu de temps qu′il avait passé dans l′armée, ses camarades, trouvant trop long de dire Cambremer, lui avaient donné le surnom de Cancan, qu′il n′avait d′ailleurs mérité en rien. Il savait orner un dîner où on l′invitait en disant au moment du poisson (le poisson fût-il pourri) ou à l′entrée: «Mais dites donc, il me semble que voilà une belle bête.» Et sa femme, ayant adopté en entrant dans la famille tout ce qu′elle avait cru faire partie du genre de ce monde-là, se mettait à la hauteur des amis de son mari et peut-être cherchait à lui plaire comme une maîtresse et comme si elle avait jadis été mêlée à sa vie de garçon, en disant d′un air dégagé, quand elle parlait de lui à des officiers: «Vous allez voir Cancan. Cancan est allé à Balbec, mais il reviendra ce soir.» Elle était furieuse de se compromettre ce soir chez les Verdurin et ne le faisait qu′à la prière de sa belle-mère et de son mari, dans l′intérêt de la location. Mais, moins bien élevée qu′eux, elle ne se cachait pas du motif et depuis quinze jours faisait avec ses amies des gorges chaudes de ce dîner. «Vous savez que nous dînons chez nos locataires. Cela vaudra bien une augmentation. Au fond, je suis assez curieuse de savoir ce qu′ils ont pu faire de notre pauvre vieille Raspelière (comme si elle y fût née, et y retrouvât tous les souvenirs des siens). Notre vieux garde m′a encore dit hier qu′on ne reconnaissait plus rien. Je n′ose pas penser à tout ce qui doit se passer là dedans. Je crois que nous ferons bien de faire désinfecter tout, avant de nous réinstaller.» Elle arriva hautaine et morose, de l′air d′une grande dame dont le château, du fait d′une guerre, est occupé par les ennemis, mais qui se sent tout de même chez elle et tient à montrer aux vainqueurs qu′ils sont des intrus. Mme de Cambremer ne put me voir d′abord, car j′étais dans une baie latérale avec M. de Charlus, lequel me disait avoir appris par Morel que son père avait été «intendant» dans ma famille, et qu′il comptait suffisamment, lui Charlus, sur mon intelligence et ma magnanimité (terme commun à lui et à Swann) pour me refuser l′ignoble et mesquin plaisir que de vulgaires petits imbéciles (j′étais prévenu) ne manqueraient pas, à ma place, de prendre en révélant à nos hôtes des détails que ceux-ci pourraient croire amoindrissants. «Le seul fait que je m′intéresse à lui et étende sur lui ma protection a quelque chose de suréminent et abolit le passé», conclut le baron. Tout en l′écoutant et en lui promettant le silence, que j′aurais gardé même sans l′espoir de passer en échange pour intelligent et magnanime, je regardais Mme de Cambremer. Et j′eus peine à reconnaître la chose fondante et savoureuse que j′avais eue l′autre jour auprès de moi à l′heure du goûter, sur la terrasse de Balbec, dans la galette normande que je voyais, dure comme un galet, où les fidèles eussent en vain essayé de mettre la dent. Irritée d′avance du côté bonasse que son mari tenait de sa mère et qui lui ferait prendre un air honoré quand on lui présenterait l′assistance des fidèles, désireuse pourtant de remplir ses fonctions de femme du monde, quand on lui eut nommé Brichot, elle voulut lui faire faire la connaissance de son mari parce qu′elle avait vu ses amies plus élégantes faire ainsi, mais la rage ou l′orgueil l′emportant sur l′ostentation du savoir-vivre, elle dit, non comme elle aurait dû: «Permettez-moi de vous présenter mon mari», mais: «Je vous présente à mon mari», tenant haut ainsi le drapeau des Cambremer, en dépit d′eux-mêmes, car le marquis s′inclina devant Brichot aussi bas qu′elle avait prévu. Mais toute cette humeur de Mme de Cambremer changea soudain quand elle aperçut M. de Charlus, qu′elle connaissait de vue. Jamais elle n′avait réussi à se le faire présenter, même au temps de la liaison qu′elle avait eue avec Swann. Car M. de Charlus, prenant toujours le parti des femmes, de sa belle-soeur contre les maîtresses de M. de Guermantes, d′Odette, pas encore mariée alors, mais vieille liaison de Swann, contre les nouvelles, avait, sévère défenseur de la morale et protecteur fidèle des ménages, donné à Odette — et tenu — la promesse de ne pas se laisser nommer à Mme de Cambremer. Celle-ci ne s′était certes pas doutée que c′était chez les Verdurin qu′elle connaîtrait enfin cet homme inapprochable. M. de Cambremer savait que c′était une si grande joie pour elle qu′il en était lui-même attendri, et qu′il regarda sa femme d′un air qui signifiait: «Vous êtes contente de vous être décidée à venir, n′est-ce pas?» Il parlait du reste fort peu, sachant qu′il avait épousé une femme supérieure. «Moi, indigne», disait-il à tout moment, et citait volontiers une fable de La Fontaine et une de Florian qui lui paraissaient s′appliquer à son ignorance, et, d′autre part, lui permettre, sous les formes d′une dédaigneuse flatterie, de montrer aux hommes de science qui n′étaient pas du Jockey qu′on pouvait chasser et avoir lu des fables. Le malheur est qu′il n′en connaissait guère que deux. Aussi revenaient-elles souvent. Mme de Cambremer n′était pas bête, mais elle avait diverses habitudes fort agaçantes. Chez elle la déformation des noms n′avait absolument rien du dédain aristocratique. Ce n′est pas elle qui, comme la duchesse de Guermantes (laquelle par sa naissance eût dû être, plus que Mme de Cambremer, à l′abri de ce ridicule), eût dit, pour ne pas avoir l′air de savoir le nom peu élégant (alors qu′il est maintenant celui d′une des femmes les plus difficiles à approcher) de Julien de Monchâteau: «une petite Madame . . .Pic de la Mirandole». Non, quand Mme de Cambremer citait à faux un nom, c′était par bienveillance, pour ne pas avoir l′air de savoir quelque chose et quand, par sincérité, pourtant elle l′avouait, croyant le cacher en le démarquant. Si, par exemple, elle défendait une femme, elle cherchait à dissimuler, tout en voulant ne pas mentir à qui la suppliait de dire la vérité, que Madame une telle était actuellement la maîtresse de M. Sylvain Lévy, et elle disait: «Non . . . je ne sais absolument rien sur elle, je crois qu′on lui a reproché d′avoir inspiré une passion à un monsieur dont je ne sais pas le nom, quelque chose comme Cahn, Kohn, Kuhn; du reste, je crois que ce monsieur est mort depuis fort longtemps et qu′il n′y a jamais rien eu entre eux.» C′est le procédé semblable à celui des menteurs — et inverse du leur — qui, en altérant ce qu′ils ont fait quand ils le racontent à une maîtresse ou simplement à un ami, se figurent que l′une ou l′autre ne verra pas immédiatement que la phrase dite (de même que Cahn, Kohn, Kuhn) est interpolée, est d′une autre espèce que celles qui composent la conversation, est à double fond.   The propriety of the dark clothes which M. de Cambremer invariably wore, even in the morning, might well reassure those who were dazzled and exasperated by the insolent brightness of the seaside attire of people whom they did not know; still it was impossible to understand why the chief magistrate′s wife should have declared with an air of discernment and authority, as a person who knows far more than you about the high society of Alençon, that on seeing M. de Cambremer one immediately felt oneself, even before one knew who he was, in the presence of a man of supreme distinction, of a man of perfect breeding, a change from the sort of person one saw at Balbec, a man in short in whose company one could breathe freely. He was to her, stifled by all those Balbec tourists who did not know her world, like a bottle of smelling salts. It seemed to me on the contrary that he was one of the people whom my grandmother would at once have set down as ‘all wrong,′ and that, as she had no conception of snobbishness, she would no doubt have been stupefied that he could have succeeded in winning the hand of Mlle. Legrandin, who must surely be difficult to please, having a brother who was ‘so refined.′ At best one might have said of M. de Cambremer′s plebeian ugliness that it was redolent of the soil and preserved a very ancient local tradition; one was reminded, on examining his faulty features, which one would have liked to correct, of those names of little Norman towns as to the etymology of which my friend the curé was mistaken because the peasants, mispronouncing the names, or having misunderstood the Latin or Norman words that underlay them, have finally fixed in a barbarism to be found already in the cartularies, as Brichot would have said, a wrong meaning and a fault of pronunciation. Life in these old towns may, for all that, be pleasant enough, and M. de Cambremer must have had his good points, for if it was in a mother′s nature that the old Marquise should prefer her son to her daughter-in-law, on the other hand, she, who had other children, of whom two at least were not devoid of merit, was often heard to declare that the Marquis was, in her opinion, the best of the family. During the short time he had spent in the army, his messmates, finding Cambremer too long a name to pronounce, had given him the nickname Cancan, implying a flow of chatter, which he in no way merited. He knew how to brighten a dinner-party to which he was invited by saying when the fish (even if it were stale) or the entrée came in: “I say, that looks a fine animal.” And his wife, who had adopted upon entering the family everything that she supposed to form part of their customs, put herself on the level of her husband′s friends and perhaps sought to please him, like a mistress, and as though she had been involved in his bachelor existence, by saying in a careless tone when she was speaking of him to officers: “You shall see Cancan presently. Cancan has gone to Balbec, but he will be back this evening.” She was furious at having compromised herself by coming to the Verdurins′ and had done so only upon the entreaties of her mother-in-law and husband, in the hope of renewing the lease. But, being less well-bred than they, she made no secret of the ulterior motive and for the last fortnight had been making fun of this dinner-party to her women friends. “You know we are going to dine with our tenants. That will be well worth an increased rent. As a matter of fact, I am rather curious to see what they have done to our poor old la Raspelière” (as though she had been born in the house, and would find there all her old family associations). “Our old keeper told me only yesterday that you wouldn′t know the place. I can′t bear to think of all that must be going on there. I am sure we shall have to have the whole place disinfected before we move in again.” She arrived haughty and morose, with the air of a great lady whose castle, owing to a state of war, is occupied by the enemy, but who nevertheless feels herself at home and makes a point of shewing the conquerors that they are intruding. Mme. de Cambremer could not see me at first for I was in a bay at the side of the room with M. de Charlus, who was telling me that he had heard from Morel that Morel′s father had been an ‘agent′ in my family, and that he, Charlus, credited me with sufficient intelligence and magnanimity (a term common to himself and Swann) to forego the mean and ignoble pleasure which vulgar little idiots (I was warned) would not have failed, in my place, to give themselves by revealing to our hosts details which they might regard as derogatory. “The mere fact that I take an interest in him and extend my protection over him, gives him a pre-eminence and wipes out the past,” the Baron concluded. As I listened to him and promised the silence which I would have kept even without any hope of being considered in return intelligent and magnanimous, I was looking at Mme. de Cambremer. And I had difficulty in recognising the melting, savoury morsel which I had had beside me the other afternoon at teatime, on the terrace at Balbec, in the Norman rock-cake that I now saw, hard as a rock, in which the faithful would in vain have tried to set their teeth. Irritated in anticipation by the knowledge that her husband inherited his mother′s simple kindliness, which would make him assume a flattered expression whenever one of the faithful was presented to him, anxious however to perform her duty as a leader of society, when Brichot had been named to her she decided to make him and her husband acquainted, as she had seen her more fashionable friends do, but, anger or pride prevailing over the desire to shew her knowledge of the world, she said, not, as she ought to have said: “Allow me to introduce my husband,” but: “I introduce you to my husband,” holding aloft thus the banner of the Cambremers, without avail, for her husband bowed as low before Brichot as she had expected. But all Mme. de Cambremer′s ill humour vanished in an instant when her eye fell on M. de Charlus, whom she knew by sight. Never had she succeeded in obtaining an introduction, even at the time of her intimacy with Swann. For as M. de Charlus always sided with the woman, with his sister-in-law against M. de Guermantes′s mistresses, with Odette, at that time still unmarried, but an old flame of Swann′s, against the new, he had, as a stern defender of morals and faithful protector of homes, given Odette — and kept — the promise that he would never allow himself to be presented to Mme. de Cambremer. She had certainly never guessed that it was at the Verdurins′ that she was at length to meet this unapproachable person. M. de Cambremer knew that this was a great joy to her, so great that he himself was moved by it and looked at his wife with an air that implied: “You are glad now you decided to come, aren′t you?” He spoke very little, knowing that he had married a superior woman. “I, all unworthy,” he would say at every moment, and spontaneously quoted a fable of La Fontaine and one of Florian which seemed to him to apply to his ignorance, and at the same time enable him, beneath the outward form of a contemptuous flattery, to shew the men of science who were not members of the Jockey that one might be a sportsman and yet have read fables. The unfortunate thing was that he knew only two of them. And so they kept cropping up. Mme. de Cambremer was no fool, but she had a number of extremely irritating habits. With her the corruption of names bore absolutely no trace of aristocratic disdain. She was not the person to say, like the Duchesse de Guermantes (whom the mere fact of her birth ought to have preserved even more than Mme. de Cambremer from such an absurdity), with a pretence of not remembering the unfashionable name (albeit it is now that of one of the women whom it is most difficult to approach) of Julien de Monchâteau: “a little Madame . . . Pica della Mirandola.” No, when Mme. de Cambremer said a name wrong it was out of kindness of heart, so as not to appear to know some damaging fact, and when, in her sincerity, she admitted it, she tried to conceal it by altering it. If, for instance, she was defending a woman, she would try to conceal the fact, while determined not to lie to the person who had asked her to tell the truth, that Madame So-and-so was at the moment the mistress of M. Sylvain Levy, and would say: “No . . . I know absolutely nothing about her, I fancy that people used to charge her with having inspired a passion in a gentleman whose name I don′t know, something like Cahn, Kohn, Kuhn; anyhow, I believe the gentleman has been dead for years and that there was never anything between them.” This is an analogous, but contrary process to that adopted by liars who think that if they alter their statement of what they have been doing when they make it to a mistress or merely to another man, their listener will not immediately see that the expression (like her Cahn, Kohn, Kuhn) is interpolated, is of a different texture from the rest of the conversation, has a double meaning.
Mme Verdurin demanda à l′oreille de son mari: «Est-ce que je donne le bras au baron de Charlus? Comme tu auras à ta droite Mme de Cambremer, on aurait pu croiser les politesses. — Non, dit M. Verdurin, puisque l′autre est plus élevé en grade (voulant dire que M. de Cambremer était marquis), M. de Charlus est en somme son inférieur. — Eh bien, je le mettrai à côté de la princesse.» Et Mme Verdurin présenta à M. de Charlus Mme Sherbatoff; ils s′inclinèrent en silence tous deux, de l′air d′en savoir long l′un sur l′autre et de se promettre un mutuel secret. M. Verdurin me présenta à M. de Cambremer. Avant même qu′il n′eût parlé de sa voix forte et légèrement bégayante, sa haute taille et sa figure colorée manifestaient dans leur oscillation l′hésitation martiale d′un chef qui cherche à vous rassurer et vous dit: «On m′a parlé, nous arrangerons cela; je vous ferai lever votre punition; nous ne sommes pas des buveurs de sang; tout ira bien.» Puis, me serrant la main: «Je crois que vous connaissez ma mère», me dit-il. Le verbe «croire» lui semblait d′ailleurs convenir à la discrétion d′une première présentation mais nullement exprimer un doute, car il ajouta: «J′ai du reste une lettre d′elle pour vous.» M. de Cambremer était naîµ¥ment heureux de revoir des lieux où il avait vécu si longtemps. «Je me retrouve», dit-il à Mme Verdurin, tandis que son regard s′émerveillait de reconnaître les peintures de fleurs en trumeaux au-dessus des portes, et les bustes en marbre sur leurs hauts socles. Il pouvait pourtant se trouver dépaysé, car Mme Verdurin avait apporté quantité de vieilles belles choses qu′elle possédait. A ce point de vue, Mme Verdurin, tout en passant aux yeux des Cambremer pour tout bouleverser, était non pas révolutionnaire mais intelligemment conservatrice, dans un sens qu′ils ne comprenaient pas. Ils l′accusaient aussi à tort de détester la vieille demeure et de la déshonorer par de simples toiles au lieu de leur riche peluche, comme un curé ignorant reprochant à un architecte diocésain de remettre en place de vieux bois sculptés laissés au rancart et auxquels l′ecclésiastique avait cru bon de substituer des ornements achetés place Saint–Sulpice. Enfin, un jardin de curé commençait à remplacer devant le château les plates-bandes qui faisaient l′orgueil non seulement des Cambremer mais de leur jardinier. Celui-ci, qui considérait les Cambremer comme ses seuls maîtres et gémissait sous le joug des Verdurin, comme si la terre eût été momentanément occupée par un envahisseur et une troupe de soudards, allait en secret porter ses doléances à la propriétaire dépossédée, s′indignait du mépris où étaient tenus ses araucarias, ses bégonias, ses joubarbes, ses dahlias doubles, et qu′on osât dans une aussi riche demeure faire pousser des fleurs aussi communes que des anthémis et des cheveux de Vénus. Mme Verdurin sentait cette sourde opposition et était décidée, si elle faisait un long bail ou même achetait la Raspelière, à mettre comme condition le renvoi du jardinier, auquel la vieille propriétaire au contraire tenait extrêmement. Il l′avait servie pour rien dans des temps difficiles, l′adorait; mais par ce morcellement bizarre de l′opinion des gens du peuple, où le mépris moral le plus profond s′enclave dans l′estime la plus passionnée, laquelle chevauche à son tour de vieilles rancunes inabolies, il disait souvent de Mme de Cambremer qui, en 70, dans un château qu′elle avait dans l′Est, surprise par l′invasion, avait dû souffrir pendant un mois le contact des Allemands: «Ce qu′on a beaucoup reproché à Madame la marquise, c′est, pendant la guerre, d′avoir pris le parti des Prussiens et de les avoir même logés chez elle. A un autre moment, j′aurais compris; mais en temps de guerre, elle n′aurait pas dû. C′est pas bien.» De sorte qu′il lui était fidèle jusqu′à la mort, la vénérait pour sa bonté et accréditait qu′elle se fût rendue coupable de trahison. Mme Verdurin fut piquée que M. de Cambremer prétendît reconnaître si bien la Raspelière. «Vous devez pourtant trouver quelques changements, répondit-elle. Il y a d′abord de grands diables de bronze de Barbedienne et de petits coquins de sièges en peluche que je me suis empressée d′expédier au grenier, qui est encore trop bon pour eux.» Après cette acerbe riposte adressée à M. de Cambremer, elle lui offrit le bras pour aller à table. Il hésita un instant, se disant: «Je ne peux tout de même pas passer avant M. de Charlus.» Mais, pensant que celui-ci était un vieil ami de la maison du moment qu′il n′avait pas la place d′honneur, il se décida à prendre le bras qui lui était offert et dit à Mme Verdurin combien il était fier d′être admis dans le cénacle (c′est ainsi qu′il appela le petit noyau, non sans rire un peu de la satisfaction de connaître ce terme). Cottard, qui était assis à côté de M. de Charlus, le regardait, pour faire connaissance, sous son lorgnon, et pour rompre la glace, avec des clignements beaucoup plus insistants qu′ils n′eussent été jadis, et non coupés de timidités. Et ses regards engageants, accrus par leur sourire, n′étaient plus contenus par le verre du lorgnon et le débordaient de tous côtés. Le baron, qui voyait facilement partout des pareils à lui, ne douta pas que Cottard n′en fût un et ne lui fît de l′oeil. Aussitôt il témoigna au professeur la dureté des invertis, aussi méprisants pour ceux à qui ils plaisent qu′ardemment empressés auprès de ceux qui leur plaisent. Sans doute, bien que chacun parle mensongèrement de la douceur, toujours refusée par le destin, d′être aimé, c′est une loi générale, et dont l′empire est bien loin de s′étendre sur les seuls Charlus, que l′être que nous n′aimons pas et qui nous aime nous paraisse insupportable. A cet être, à telle femme dont nous ne dirons pas qu′elle nous aime mais qu′elle nous cramponne, nous préférons la société de n′importe quelle autre qui n′aura ni son charme, ni son agrément, ni son esprit. Elle ne les recouvrera pour nous que quand elle aura cessé de nous aimer. En ce sens, on pourrait ne voir que la transposition, sous une forme cocasse, de cette règle universelle, dans l′irritation causée chez un inverti par un homme qui lui déplaît et le recherche. Mais elle est chez lui bien plus forte. Aussi, tandis que le commun des hommes cherche à la dissimuler tout en l′éprouvant, l′inverti la fait implacablement sentir à celui qui la provoque, comme il ne le ferait certainement pas sentir à une femme, M. de Charlus, par exemple, à la princesse de Guermantes dont la passion l′ennuyait, mais le flattait. Mais quand ils voient un autre homme témoigner envers eux d′un goût particulier, alors, soit incompréhension que ce soit le même que le leur, soit fâcheux rappel que ce goût, embelli par eux tant que c′est eux-mêmes qui l′éprouvent, est considéré comme un vice, soit désir de se réhabiliter par un éclat dans une circonstance où cela ne leur coûte pas, soit par une crainte d′être devinés, qu′ils retrouvent soudain quand le désir ne les mène plus, les yeux bandés, d′imprudence en imprudence, soit par la fureur de subir, du fait de l′attitude équivoque d′un autre, le dommage que par la leur, si cet autre leur plaisait, ils ne craindraient pas de lui causer, ceux que cela n′embarrasse pas de suivre un jeune homme pendant des lieues, de ne pas le quitter des yeux au théâtre même s′il est avec des amis, risquant par cela de le brouiller avec eux, on peut les entendre, pour peu qu′un autre qui ne leur plaît pas les regarde, dire: «Monsieur, pour qui me prenez-vous? (simplement parce qu′on les prend pour ce qu′ils sont); je ne vous comprends pas, inutile d′insister, vous faites erreur», aller au besoin jusqu′aux gifles, et, devant quelqu′un qui connaît l′imprudent, s′indigner: «Comment, vous connaissez cette horreur? Elle a une façon de vous regarder! . . . En voilà des manières!» M. de Charlus n′alla pas aussi loin, mais il prit l′air offensé et glacial qu′ont, lorsqu′on a l′air de les croire légères, les femmes qui ne le sont pas, et encore plus celles qui le sont. D′ailleurs, l′inverti, mis en présence d′un inverti, voit non pas seulement une image déplaisante de lui-même, qui ne pourrait, purement inanimée, que faire souffrir son amour-propre, mais un autre lui-même, vivant, agissant dans le même sens, capable donc de le faire souffrir dans ses amours. Aussi est-ce dans un sens d′instinct de conservation qu′il dira du mal du concurrent possible, soit avec les gens qui peuvent nuire à celui-ci (et sans que l′inverti nº 1 s′inquiète de passer pour menteur quand il accable ainsi l′inverti nº2 aux yeux de personnes qui peuvent être renseignées sur son propre cas), soit avec le jeune homme qu′il a «levé», qui va peut-être lui être enlevé et auquel il s′agit de persuader que les mêmes choses qu′il a tout avantage à faire avec lui causeraient le malheur de sa vie s′il se laissait aller à les faire avec l′autre. Pour M. de Charlus, qui pensait peut-être aux dangers (bien imaginaires) que la présence de ce Cottard, dont il comprenait à faux le sourire, ferait courir à Morel, un inverti qui ne lui plaisait pas n′était pas seulement une caricature de lui-même, c′était aussi un rival désigné. Un commerçant, et tenant un commerce rare, en débarquant dans la ville de province où il vient s′installer pour la vie, s′il voit que, sur la même place, juste en face, le même commerce est tenu par un concurrent, il n′est pas plus déconfit qu′un Charlus allant cacher ses amours dans une région tranquille et qui, le jour de l′arrivée, aperçoit le gentilhomme du lieu, ou le coiffeur, desquels l′aspect et les manières ne lui laissent aucun doute. Le commerçant prend souvent son concurrent en haine; cette haine dégénère parfois en mélancolie, et pour peu qu′il y ait hérédité assez chargée, on a vu dans des petites villes le commerçant montrer des commencements de folie qu′on ne guérit qu′en le décidant à vendre son «fonds» et à s′expatrier. La rage de l′inverti est plus lancinante encore. Il a compris que, dès la première seconde, le gentilhomme et le coiffeur ont désiré son jeune compagnon. Il a beau répéter cent fois par jour à celui-ci que le coiffeur et le gentilhomme sont des bandits dont l′approche le déshonorerait, il est obligé, comme Harpagon, de veiller sur son trésor et se relève la nuit pour voir si on ne le lui prend pas. Et c′est ce qui fait sans doute, plus encore que le désir ou la commodité d′habitudes communes, et presque autant que cette expérience de soi-même, qui est la seule vraie, que l′inverti dépiste l′inverti avec une rapidité et une sûreté presque infaillibles. Il peut se tromper un moment, mais une divination rapide le remet dans la vérité. Aussi l′erreur de M. de Charlus fut-elle courte. Le discernement divin lui montra au bout d′un instant que Cottard n′était pas de sa sorte et qu′il n′avait à craindre ses avances ni pour lui-même, ce qui n′eût fait que l′exaspérer, ni pour Morel, ce qui lui eût paru plus grave. Il reprit son calme, et comme il était encore sous l′influence du passage de Vénus androgyne, par moments il souriait faiblement aux Verdurin, sans prendre la peine d′ouvrir la bouche, en déplissant seulement un coin de lèvres, et pour une seconde allumait câlinement ses yeux, lui si féru de virilité, exactement comme eût fait sa belle-soeur la duchesse de Guermantes. «Vous chassez beaucoup, Monsieur? dit Mme Verdurin avec mépris à M. de Cambremer. — Est-ce que Ski vous a raconté qu′il nous en est arrivé une excellente? demanda Cottard à la Patronne. — Je chasse surtout dans la forêt de Chantepie, répondit M. de Cambremer. — Non, je n′ai rien raconté, dit Ski. — Mérite-t-elle son nom?» demanda Brichot à M. de Cambremer, après m′avoir regardé du coin de l′oeil, car il m′avait promis de parler étymologies, tout en me demandant de dissimuler aux Cambremer le mépris que lui inspiraient celles du curé de Combray. «C′est sans doute que je ne suis pas capable de comprendre, mais je ne saisis pas votre question, dit M. de Cambremer. — Je veux dire: Est-ce qu′il y chante beaucoup de pies?» répondit Brichot. Cottard cependant souffrait que Mme Verdurin ignorât qu′ils avaient failli manquer le train. «Allons, voyons, dit Mme Cottard à son mari pour l′encourager, raconte ton odyssée. — En effet, elle sort de l′ordinaire, dit le docteur qui recommença son récit. Quand j′ai vu que le train était en gare, je suis resté médusé. Tout cela par la faute de Ski. Vous êtes plutôt bizarro dans vos renseignements, mon cher! Et Brichot qui nous attendait à la gare! — Je croyais, dit l′universitaire, en jetant autour de lui ce qui lui restait de regard et en souriant de ses lèvres minces, que si vous vous étiez attardé à Graincourt, c′est que vous aviez rencontré quelque péripatéticienne. — Voulez-vous vous taire? si ma femme vous entendait! dit le professeur. La femme à moâ, il est jalouse. — Ah! ce Brichot, s′écria Ski, en qui l′égrillarde plaisanterie de Brichot éveillait la gaieté de tradition, il est toujours le même»; bien qu′il ne sût pas, à vrai dire, si l′universitaire avait jamais été polisson. Et pour ajouter à ces paroles consacrées le geste rituel, il fit mine de ne pouvoir résister au désir de lui pincer la jambe. «Il ne change pas ce gaillard-là», continua Ski, et, sans penser à ce que la quasi-cécité de l′universitaire donnait de triste et de comique à ces mots, il ajouta: «Toujours un petit oeil pour les femmes. — Voyez-vous, dit M. de Cambremer, ce que c′est que de rencontrer un savant. Voilà quinze ans que je chasse dans la forêt de Chantepie et jamais je n′avais réfléchi à ce que son nom voulait dire.» Mme de Cambremer jeta un regard sévère à son mari; elle n′aurait pas voulu qu′il s′humiliât ainsi devant Brichot. Elle fut plus mécontente encore quand, à chaque expression «toute faite» qu′employait Cancan, Cottard, qui en connaissait le fort et le faible parce qu′il les avait laborieusement apprises, démontrait au marquis, lequel confessait sa bêtise, qu′elles ne voulaient rien dire: «Pourquoi: bête comme chou? Croyez-vous que les choux soient plus bêtes qu′autre chose? Vous dites: répéter trente-six fois la même chose. Pourquoi particulièrement trente-six? Pourquoi: dormir comme un pieu? Pourquoi: Tonnerre de Brest? Pourquoi: faire les quatre cents coups?» Mais alors la défense de M. de Cambremer était prise par Brichot, qui expliquait l′origine de chaque locution. Mais Mme de Cambremer était surtout occupée à examiner les changements que les Verdurin avaient apportés à la Raspelière, afin de pouvoir en critiquer certains, en importer à Féterne d′autres, ou peut-être les mêmes. «Je me demande ce que c′est que ce lustre qui s′en va tout de traviole. J′ai peine à reconnaître ma vieille Raspelière», ajouta-t-elle d′un air familièrement aristocratique, comme elle eût parlé d′un serviteur dont elle eût prétendu moins désigner l′âge que dire qu′il l′avait vu naître. Et comme elle était un peu livresque dans son langage: «Tout de même, ajouta-t-elle à mi-voix, il me semble que, si j′habitais chez les autres, j′aurais quelque vergogne à tout changer ainsi. — C′est malheureux que vous ne soyez pas venus avec eux», dit Mme Verdurin à M. de Charlus et à Morel, espérant que M. de Charlus était de «revue» et se plierait à la règle d′arriver tous par le même train. «Vous êtes sûr que Chantepie veut dire la pie qui chante, Chochotte?» ajouta-t-elle pour montrer qu′en grande maîtresse de maison elle prenait part à toutes les conversations à la fois. «Parlez-moi donc un peu de ce violoniste, me dit Mme de Cambremer, il m′intéresse; j′adore la musique, et il me semble que j′ai entendu parler de lui, faites mon instruction.» Elle avait appris que Morel était venu avec M. de Charlus et voulait, en faisant venir le premier, tâcher de se lier avec le second. Elle ajouta pourtant, pour que je ne pusse deviner cette raison: «M. Brichot aussi m′intéresse.» Car si elle était fort cultivée, de même que certaines personnes prédisposées à l′obésité mangent à peine et marchent toute la journée sans cesser d′engraisser à vue d′oeil, de même Mme de Cambremer avait beau approfondir, et surtout à Féterne, une philosophie de plus en plus ésotérique, une musique de plus en plus savante, elle ne sortait de ces études que pour machiner des intrigues qui lui permissent de «couper» les amitiés bourgeoises de sa jeunesse et de nouer des relations qu′elle avait cru d′abord faire partie de la société de sa belle-famille et qu′elle s′était aperçue ensuite être situées beaucoup plus haut et beaucoup plus loin. Un philosophe qui n′était pas assez moderne pour elle, Leibnitz, a dit que le trajet est long de l′intelligence au coeur. Ce trajet, Mme de Cambremer n′avait pas été, plus que son frère, de force à le parcourir. Ne quittant la lecture de Stuart Mill que pour celle de Lachelier, au fur et à mesure qu′elle croyait moins à la réalité du monde extérieur, elle mettait plus d′acharnement à chercher à s′y faire, avant de mourir, une bonne position. Éprise d′art réaliste, aucun objet ne lui paraissait assez humble pour servir de modèle au peintre ou à l′écrivain. Un tableau ou un roman mondain lui eussent donné la nausée; un moujik de Tolstoíª un paysan de Millet étaient l′extrême limite sociale qu′elle ne permettait pas à l′artiste de dépasser. Mais franchir celle qui bornait ses propres relations, s′élever jusqu′à la fréquentation de duchesses, était le but de tous ses efforts, tant le traitement spirituel auquel elle se soumettait, par le moyen de l′étude des chefs-d′oeuvre, restait inefficace contre le snobisme congénital et morbide qui se développait chez elle. Celui-ci avait même fini par guérir certains penchants à l′avarice et à l′adultère, auxquels, étant jeune, elle était encline, pareil en cela à ces états pathologiques singuliers et permanents qui semblent immuniser ceux qui en sont atteints contre les autres maladies. Je ne pouvais, du reste, m′empêcher, en l′entendant parler, de rendre justice, sans y prendre aucun plaisir, au raffinement de ses expressions. C′étaient celles qu′ont, à une époque donnée, toutes les personnes d′une même envergure intellectuelle, de sorte que l′expression raffinée fournit aussitôt, comme l′arc de cercle, le moyen de décrire et de limiter toute la circonférence. Aussi ces expressions font-elles que les personnes qui les emploient m′ennuient immédiatement comme déjà connues, mais aussi passent pour supérieures, et me furent souvent offertes comme voisines délicieuses et inappréciées.   Mme. Verdurin whispered in her husband′s ear: “Shall I offer my arm to the Baron de Charlus? As you will have Mme. de Cambremer on your right, we might divide the honours.” “No,” said M. Verdurin, “since the other is higher in rank” (meaning that M. de Cambremer was a Marquis), “M. de Charlus is, strictly speaking, his inferior.” “Very well, I shall put him beside the Princess.” And Mme. Verdurin introduced Mme. Sherbatoff to M. de Charlus; each of them bowed in silence, with an air of knowing all about the other and of promising a mutual secrecy. M. Verdurin introduced me to M. de Cambremer. Before he had even begun to speak in his loud and slightly stammering voice, his tall figure and high complexion displayed in their oscillation the martial hesitation of a commanding officer who tries to put you at your ease and says: “I have heard about you, I shall see what can be done; your punishment shall be remitted; we don′t thirst for blood here; it will be all right.” Then, as he shook my hand: “I think you know my mother,” he said to me. The word ‘think′ seemed to him appropriate to the discretion of a first meeting, but not to imply any uncertainty, for he went on: “I have a note for you from her.” M. de Cambremer took a childish pleasure in revisiting a place where he had lived for so long. “I am at home again,” he said to Mme. Verdurin, while his eyes marvelled at recognising the flowers painted on panels over the doors, and the marble busts on their high pedestals. He might, all the same, have felt himself at sea, for Mme. Verdurin had brought with her a quantity of fine old things of her own. In this respect, Mme. Verdurin, while regarded by the Cambremers as having turned everything upside down, was not revolutionary but intelligently conservative in a sense which they did not understand. They were thus wrong in accusing her of hating the old house and of degrading it by hanging plain cloth curtains instead of their rich plush, like an ignorant parish priest reproaching a diocesan architect with putting back in its place the old carved wood which the cleric had thrown on the rubbish heap, and had seen fit to replace with ornaments purchased in the Place Saint-Sulpice. Furthermore, a herb garden was beginning to take the place, in front of the mansion, of the borders that were the pride not merely of the Cambremers but of their gardener. The latter, who regarded the Cambremers as his sole masters, and groaned beneath the yoke of the Verdurins, as though the place were under occupation for the moment by an invading army, went in secret to unburden his griefs to its dispossessed mistress, grew irate at the scorn that was heaped upon his araucarias, begonias, house-leeks, double dahlias, and at anyone′s daring in so grand a place to grow such common plants as camomile and maidenhair. Mme. Verdurin felt this silent opposition and had made up her mind, if she took a long lease of la Raspelière or even bought the place, to make one of her conditions the dismissal of the gardener, by whom his old mistress, on the contrary, set great store. He had worked for her without payment, when times were bad, he adored her; but by that odd multiformity of opinion which we find in the lower orders, among whom the most profound moral scorn is embedded in the most passionate admiration, which in turn overlaps old and undying grudges, he used often to say of Mme. de Cambremer who, in ‘70, in a house that she owned in the East of France, surprised by the invasion, had been obliged to endure for a month the contact of the Germans: “What many people can′t forgive Mme. la Marquise is that during the war she took the side of the Prussians and even had them to stay in her house. At any other time, I could understand it; but in war time, she ought not to have done it. It is not right.” So that he was faithful to her unto death, venerated her for her goodness, and firmly believed that she had been guilty of treason. Mme. Verdurin was annoyed that M. de Cambremer should pretend to feel so much at home at la Raspelière. “You must notice a good many changes, all the same,” she replied. “For one thing there were those big bronze Barbedienne devils and some horrid little plush chairs which I packed off at once to the attic, though even that is too good a place for them.” After this bitter retort to M. de Cambremer, she offered him her arm to go in to dinner. He hesitated for a moment, saying to himself: “I can′t, really, go in before M. de Charlus.” But supposing the other to be an old friend of the house, seeing that he was not set in the post of honour, he decided to take the arm that was offered him and told Mme. Verdurin how proud he felt to be admitted into the symposium (so it was that he styled the little nucleus, not without a smile of satisfaction at his knowledge of the term). Cottard, who was seated next to M. de Charlus, beamed at him through his glass, to make his acquaintance and to break the ice, with a series of winks far more insistent than they would have been in the old days, and not interrupted by fits of shyness. And these engaging glances, enhanced by the smile that accompanied them, were no longer dammed by the glass but overflowed on all sides. The Baron, who readily imagined people of his own kind everywhere, had no doubt that Cottard was one, and was making eyes at him. At once he turned on the Professor the cold shoulder of the invert, as contemptuous of those whom he attracts as he is ardent in pursuit of such as attract him. No doubt, albeit each one of us speaks mendaciously of the pleasure, always refused him by destiny, of being loved, it is a general law, the application of which is by no means confined to the Charlus type, that the person whom we do not love and who does love us seems to us quite intolerable. To such a person, to a woman of whom we say not that she loves us but that she bores us, we prefer the society of any other, who has neither her charm, nor her looks, nor her brains. She will recover these, in our estimation, only when she has ceased to love us. In this light, we might see only the transposition, into odd terms, of this universal rule in the irritation aroused in an invert by a man who displeases him and runs after him. And so, whereas the ordinary man seeks to conceal what he feels, the invert is implacable in making it felt by the man who provokes it, as he would certainly not make it felt by a woman, M. de Charlus for instance by the Princesse de Guermantes, whose passion for him bored him, but flattered him. But when they see another man shew a peculiar liking for them, then, whether because they fail to realise that this liking is the same as their own, or because it annoys them to be reminded that this liking, which they glorify so long as it is they themselves that feel it, is regarded as a vice, or from a desire to rehabilitate themselves by a sensational display in circumstances in which it costs them nothing, or from a fear of being unmasked which they at once recover as soon as desire no longer leads them blindfold from one imprudence to another, or from rage at being subjected, by the equivocal attitude of another person, to the injury which, by their own attitude, if that other person attracted them, they would not be afraid to inflict on him, the men who do not in the least mind following a young man for miles, never taking their eyes off him in the theatre, even if he is with friends, and there is therefore a danger of their compromising him with them, may be heard, if a man who does not attract them merely looks at them, to say: “Sir, for what do you take me?” (simply because he takes them for what they are) “I don′t understand, no, don′t attempt to explain, you are quite mistaken,” pass if need be from words to blows, and, to a person who knows the imprudent stranger, wax indignant: “What, you know that loathsome creature. He stares at one so! . . . A fine way to behave!” M. de Charlus did not go quite as far as this, but assumed the offended, glacial air adopted, when one appears to be suspecting them, by women who are not of easy virtue, even more by women who are. Furthermore, the invert brought face to face with an invert sees not merely an unpleasing image of himself which, being purely inanimate, could at the worst only injure his self-esteem, but a second self, living, acting in the same sphere, capable therefore of injuring him in his loves. And so it is from an instinct of self-preservation that he will speak evil of the possible rival, whether to people who are able to do him some injury (nor does invert the first mind being thought a liar when he thus denounces invert the second before people who may know all about his own case), or to the young man whom he has ‘picked up,′ who is perhaps going to be snatched away from him and whom it is important to persuade that the very things which it is to his advantage to do with the speaker would be the bane of his life if he allowed himself to do them with the other person. To M. de Charlus, who was thinking perhaps of the — wholly imaginary — dangers in which the presence of this Cottard whose smile he misinterpreted might involve Morel, an invert who did not attract him was not merely a caricature of himself, but was a deliberate rival. A tradesman, practising an uncommon trade, who, on his arrival in the provincial town where he intends to settle for life discovers that, in the same square, directly opposite, the same trade is being carried on by a competitor, is no more discomfited than a Charlus who goes down to a quiet spot to make love unobserved and, on the day of his arrival, catches sight of the local squire or the barber, whose aspect and manner leave no room for doubt. The tradesman often comes to regard his competitor with hatred; this hatred degenerates at times into melancholy, and, if there be but a sufficient strain of heredity, one has seen in small towns the tradesman begin to shew signs of insanity which is cured only by his deciding to sell his stock and goodwill and remove to another place. The invert′s rage is even more agonising. He has realised that from the first moment the squire and the barber have desired his young companion. Even though he repeat to him a hundred times daily that the barber and the squire are scoundrels whose contact would dishonour him, he is obliged, like Harpagon, to watch over his treasure, and rises in the night to make sure that it is not being stolen. And it is this no doubt that, even more than desire, or the convenience of habits shared in common, and almost as much as that experience of oneself which is the only true experience, makes one invert detect another with a rapidity and certainty that are almost infallible. He may be mistaken for a moment, but a rapid divination brings him back to the truth. And so M. de Charlus′s error was brief. His divine discernment shewed him after the first minute that Cottard was not of his kind, and that he need not fear his advances either for himself, which would merely have annoyed him, or for Morel, which would have seemed to him a more serious matter. He recovered his calm, and as he was still beneath the influence of the transit of Venus Androgyne, now and again, he smiled a faint smile at the Verdurins without taking the trouble to open his mouth, merely curving his lips at one corner, and for an instant kindled a coquettish light in his eyes, he so obsessed with virility, exactly as his sister-in-law the Duchesse de Guermantes might have done. “Do you shoot much, Sir?” said M. Verdurin with a note of contempt to M. de Cambremer. “Has Ski told you of the near shave we had to-day?” Cottard inquired of the mistress. “I shoot mostly in the forest of Chantepie,” replied M. de Cambremer. “No, I have told her nothing,” said Ski. “Does it deserve its name?” Brichot asked M. de Cambremer, after a glance at me from the corner of his eye, for he had promised me that he would introduce the topic of derivations, begging me at the same time not to let the Cambremers know the scorn that he felt for those furnished by the Combray curé. “I am afraid I must be very stupid, but I don′t grasp your question,” said M. de Cambremer. “I mean to say: do many pies sing in it?” replied Brichot. Cottard meanwhile could not bear Mme. Verdurin′s not knowing that they had nearly missed the train. “Out with it,” Mme. Cottard said to her husband encouragingly, “tell us your odyssey.” “Well, really, it is quite out of the Ordinary,” said the doctor, and repeated his narrative from the beginning. “When I saw that the train was in the station, I stood thunderstruck. It was all Ski′s fault. You are somewhat wide of the mark in your information, my dear fellow! And there was Brichot waiting for us at the station!” “I assumed,” said the scholar, casting around him what he could still muster of a glance and smiling with his thin lips, “that if you had been detained at Graincourt, it would mean that you had encountered some peripatetic siren.” “Will you hold your tongue, if my wife were to hear you!” said the Professor. “This wife of mine, it is jealous.” “Ah! That Brichot,” cried Ski, moved to traditional merriment by Brichot′s spicy witticism, “he is always the same;” albeit he had no reason to suppose that the university don had ever indulged in obscenity. And, to embellish this consecrated utterance with the ritual gesture, he made as though he could not resist the desire to pinch Brichot′s leg. “He never changes, the rascal,” Ski went on, and without stopping to think of the effect, at once tragic and comic, that the don′s semi-blindness gave to his words: “Always a sharp look-out for the ladies.” “You see,” said M. de Cambremer, “what it is to meet with a scholar. Here have I been shooting for fifteen years in the forest of Chantepie, and I′ve never even thought of what the name meant.” Mme. de Cambremer cast a stern glance at her husband; she did not like him to humble himself thus before Brichot. She was even more annoyed when, at every ‘ready-made′ expression that Cancan employed, Cottard, who knew the ins and outs of them all, having himself laboriously acquired them, pointed out to the Marquis, who admitted his stupidity, that they meant nothing. “Why ‘stupid as a cabbage?′ Do you suppose cabbages are stupider than anything else? You say: ‘repeat the same thing thirty-six times.′ Why thirty-six? Why do you say: ‘sleep like a top?′ Why ‘Thunder of Brest?′ Why ‘play four hundred tricks?′” But at this, the defence of M. de Cambremer was taken up by Brichot who explained the origin of each of these expressions. But Mme. de Cambremer was occupied principally in examining the changes that the Verdurins had introduced at la Raspelière, in order that she might be able to criticise some, and import others, or possibly the same ones, to Féterne. “I keep wondering what that lustre is that′s hanging all crooked. I can hardly recognise my old Raspelière,” she went on, with a familiarly aristocratic air, as she might have spoken of an old servant meaning not so much to indicate his age as to say that she had seen him in his cradle. And, as she was a trifle bookish in her speech: “All the same,” she added in an undertone, “I can′t help feeling that if I were inhabiting another person′s house, I should feel some compunction about altering everything like this.” “It is a pity you didn′t come with them,” said Mme. Verdurin to M. de Charlus and Morel, hoping that M. de Charlus was now ‘enrolled′ and would submit to the rule that they must all arrive by the same train. “You are sure that Chantepie means the singing magpie, Chochotte?” she went on, to shew that, like the great hostess that she was, she could join in every conversation at the same time. “Tell me something about this violinist,” Mme. de Cambremer said to me, “he interests me; I adore music, and it seems to me that I have heard of him before, complete my education.” She had heard that Morel had come with M. de Charlus and hoped, by getting the former to come to her house, to make friends with the latter. She added, however, so that I might not guess her reason for asking, “M. Brichot, too, interests me.” For, even if she was highly cultivated, just as certain persons inclined to obesity eat hardly anything, and take exercise all day long without ceasing to grow visibly fatter, so Mme. de Cambremer might in vain master, and especially at Féterne, a philosophy that became ever more esoteric, music that became ever more subtle, she emerged from these studies only to weave plots that would enable her to cut the middle-class friends of her girlhood and to form the connexions which she had originally supposed to be part of the social life of her ‘in laws,′ and had then discovered to be far more exalted and remote. A philosopher who was not modern enough for her, Leibnitz, has said that the way is long from the intellect to the heart. This way Mme. de Cambremer had been no more capable than her brother of traversing. Abandoning the study of John Stuart Mill only for that of Lachelier, the less she believed in the reality of the external world, the more desperately she sought to establish herself, before she died, in a good position in it. In her passion for realism in art, no object seemed to her humble enough to serve as a model to painter or writer. A fashionable picture or novel would have made her feel sick; Tolstoi′s mujiks, or Millet′s peasants, were the extreme social boundary beyond which she did not allow the artist to pass. But to cross the boundary that limited her own social relations, to raise herself to an intimate acquaintance with Duchesses, this was the goal of all her efforts, so ineffective had the spiritual treatment to which she subjected herself, by the study of great masterpieces, proved in overcoming the congenital and morbid snobbishness that had developed in her. This snobbishness had even succeeded in curing certain tendencies to avarice and adultery to which in her younger days she had been inclined, just as certain peculiar and permanent pathological conditions seem to render those who are subject to them immune to other maladies. I could not, all the same, refrain, as I listened to her, from giving her credit, without deriving any pleasure from them, for the refinement of her expressions. They were those that are used, at a given date, by all the people of the same intellectual breadth, so that the refined expression provides us at once, like the arc of a circle, with the means to describe and limit the entire circumference. And so the effect of these expressions is that the people who employ them bore me immediately, because I feel that I already know them, but are generally regarded as superior persons, and have often been offered me as delightful and unappreciated companions.
«Vous n′ignorez pas, Madame, que beaucoup de régions forestières tirent leur nom des animaux qui les peuplent. A côté de la forêt de Chantepie, vous avez le bois de Chantereine. — Je ne sais pas de quelle reine il s′agit, mais vous n′êtes pas galant pour elle, dit M. de Cambremer. — Attrapez, Chochotte, dit Mme. Verdurin. Et à part cela, le voyage s′est bien passé? — Nous n′avons rencontré que de vagues humanités qui remplissaient le train. Mais je réponds à la question de M. de Cambremer; reine n′est pas ici la femme d′un roi, mais la grenouille. C′est le nom qu′elle a gardé longtemps dans ce pays, comme en témoigne la station de Renneville, qui devrait s′écrire Reineville. — Il me semble que vous avez là une belle bête», dit M. de Cambremer à Mme Verdurin, en montrant un poisson. C′était là un de ces compliments à l′aide desquels il croyait payer son écot à un dîner, et déjà rendre sa politesse. («Les inviter est inutile, disait-il souvent en parlant de tels de leurs amis à sa femme. Ils ont été enchantés de nous avoir. C′étaient eux qui me remerciaient.») «D′ailleurs je dois vous dire que je vais presque chaque jour à Renneville depuis bien des années, et je n′y ai vu pas plus de grenouilles qu′ailleurs. Mme de Cambremer avait fait venir ici le curé d′une paroisse où elle a de grands biens et qui a la même tournure d′esprit que vous, à ce qu′il semble. Il a écrit un ouvrage. — Je crois bien, je l′ai lu avec infiniment d′intérêt», répondit hypocritement Brichot. La satisfaction que son orgueil recevait indirectement de cette réponse fit rire longuement M. de Cambremer. «Ah! eh bien, l′auteur, comment dirais-je, de cette géographie, de ce glossaire, épilogue longuement sur le nom d′une petite localité dont nous étions autrefois, si je puis dire, les seigneurs, et qui se nomme Pont-à-Couleuvre. Or je ne suis évidemment qu′un vulgaire ignorant à côté de ce puits de science, mais je suis bien allé mille fois à Pont-à-Couleuvre pour lui une, et du diable si j′y ai jamais vu un seul de ces vilains serpents, je dis vilains, malgré l′éloge qu′en fait le bon La Fontaine (L′Homme et la couleuvre était une des deux fables). — Vous n′en avez pas vu, et c′est vous qui avez vu juste, répondit Brichot. Certes, l′écrivain dont vous parlez connaît à fond son sujet, il a écrit un livre remarquable. — Voire! s′exclama Mme de Cambremer, ce livre, c′est bien le cas de le dire, est un véritable travail de Bénédictin. — Sans doute il a consulté quelques pouillés (on entend par là les listes des bénéfices et des cures de chaque diocèse), ce qui a pu lui fournir le nom des patrons la et des collateurs ecclésiastiques. Mais il est d′autres sources. Un de mes plus savants amis y a puisé. Il a trouvé que le même lieu était dénommé Pont-à-Quileuvre. Ce nom bizarre l′incita à remonter plus haut encore, à un texte latin où le pont que votre ami croit infesté de couleuvres est désigné: Pons cui aperit. Pont fermé qui ne s′ouvrait que moyennant une honnête rétribution. — Vous parlez de grenouilles. Moi, en me trouvant au milieu de personnes si savantes, je me fais l′effet de la grenouille devant l′aréopage» (c′était la seconde fable), dit Cancan qui faisait souvent, en riant beaucoup, cette plaisanterie grâce à laquelle il croyait à la fois, par humilité et avec à-propos, faire profession d′ignorance et étalage de savoir. Quant à Cottard, bloqué par le silence de M. de Charlus et essayant de se donner de l′air des autres côtés, il se tourna vers moi et me fit une de ces questions qui frappaient ses malades s′il était tombé juste et montraient ainsi qu′il était pour ainsi dire dans leur corps; si, au contraire, il tombait à faux, lui permettaient de rectifier certaines théories, d′élargir les points de vue anciens. «Quand vous arrivez à ces sites relativement élevés comme celui où nous nous trouvons en ce moment, remarquez-vous que cela augmente votre tendance aux étouffements?» me demanda-t-il, certain ou de faire admirer, ou de compléter son instruction. M. de Cambremer entendit la question et sourit. «Je ne peux pas vous dire comme ça m′amuse d′apprendre que vous avez des étouffements», me jeta-t-il à travers la table. Il ne voulait pas dire par cela que cela l′égayait, bien que ce fût vrai aussi. Car cet homme excellent ne pouvait cependant pas entendre parler du malheur d′autrui sans un sentiment de bien-être et un spasme d′hilarité qui faisaient vite place à la pitié d′un bon coeur. Mais sa phrase avait un autre sens, que précisa celle qui la suivit: «Ça m′amuse, me dit-il, parce que justement ma soeur en a aussi.» En somme, cela l′amusait comme s′il m′avait entendu citer comme un des mes amis quelqu′un qui eût fréquenté beaucoup chez eux. «Comme le monde est petit», fut la réflexion qu′il formula mentalement et que je vis écrite sur son visage souriant quand Cottard me parla de mes étouffements. Et ceux-ci devinrent, à dater de ce dîner, comme une sorte de relation commune et dont M. de Cambremer ne manquait jamais de me demander des nouvelles, ne fût-ce que pour en donner à sa soeur. Tout en répondant aux questions que sa femme me posait sur Morel, je pensais à une conversation que j′avais eue avec ma mère dans l′après-midi. Comme, tout en ne me déconseillant pas d′aller chez les Verdurin si cela pouvait me distraire, elle me rappelait que c′était un milieu qui n′aurait pas plu à mon grand-père et lui eût fait crier: «A la garde», ma mère avait ajouté: «Écoute, le président Toureuil et sa femme m′ont dit qu′ils avaient déjeuné avec Mme Bontemps. On ne m′a rien demandé. Mais j′ai cru comprendre qu′un mariage entre Albertine et toi serait le rêve de sa tante. Je crois que la vraie raison est que tu leur es à tous très sympathique. Tout de même, le luxe qu′ils croient que tu pourrais lui donner, les relations qu′on sait plus ou moins que nous avons, je crois que tout cela n′y est pas étranger, quoique secondaire. Je ne t′en aurais pas parlé, parce que je n′y tiens pas, mais comme je me figure qu′on t′en parlera, j′ai mieux aimé prendre les devants. — Mais toi, comment la trouves-tu? avais-je demandé à ma mère. — Mais moi, ce n′est pas moi qui l′épouserai. Tu peux certainement faire mille fois mieux comme mariage. Mais je crois que ta grand′mère n′aurait pas aimé qu′on t′influence. Actuellement je ne peux pas te dire comment je trouve Albertine, je ne la trouve pas. Je te dirai comme Mme de Sévigné: «Elle a de bonnes qualités, du moins je le crois. Mais, dans ce commencement, je ne sais la louer que par des négatives. Elle n′est point ceci, elle n′a point l′accent de Rennes. Avec le temps, je dirai peut-être: elle est cela. Et je la trouverai toujours bien si elle doit te rendre heureux.» Mais par ces mots mêmes, qui remettaient entre mes mains de décider de mon bonheur, ma mère m′avait mis dans cet état de doute où j′avais déjà été quand, mon père m′ayant permis d′aller à Phèdre et surtout d′être homme de lettres, je m′étais senti tout à coup une responsabilité trop grande, la peur de le peiner, et cette mélancolie qu′il y a quand on cesse d′obéir à des ordres qui, au jour le jour, vous cachent l′avenir, de se rendre, compte qu′on a enfin commencé de vivre pour de bon, comme une grande personne, la vie, la seule vie qui soit à la disposition de chacun de nous. “You cannot fail to be aware, Madame, that many forest regions take their name from the animals that inhabit them. Next to the forest of Chantepie, you have the wood Chantereine.” “I don′t know who the queen may be, but you are not very polite to her,” said M. de Cambremer. “One for you, Chochotte,” said Mme. de Verdurin. “And apart from that, did you have a pleasant journey?” “We encountered only vague human beings who thronged the train. But I must answer M. de Cambremer′s question; reine, in this instance, is not the wife of a king, but a frog. It is the name that the frog has long retained in this district, as is shewn by the station, Renneville, which ought to be spelt Reineville.” “I say, that seems a fine animal,” said M. de Cambremer to Mme. Verdurin, pointing to a fish. (It was one of the compliments by means of which he considered that he paid his scot at a dinner-party, and gave an immediate return of hospitality. “There is no need to invite them,” he would often say, in speaking of one or other couple of their friends to his wife. “They were delighted to have us. It was they that thanked me for coming.”) “I must tell you, all the same, that I have been going every day for years to Renneville, and I have never seen any more frogs there than anywhere else. Madame de Cambremer brought the curé here from a parish where she owns a considerable property, who has very much the same turn of mind as yourself, it seems to me. He has written a book.” “I know, I have read it with immense interest,” Brichot replied hypocritically. The satisfaction that his pride received indirectly from this answer made M. de Cambremer laugh long and loud. “Ah! well, the author of, what shall I say, this geography, this glossary, dwells at great length upon the name of a little place of which we were formerly, if I may say so, the Lords, and which is called Pont-a-Couleuvre. Of course I am only an ignorant rustic compared with such a fountain of learning, but I have been to Pont-à-Couleuvre a thousand times if he′s been there once, and devil take me if I ever saw one of his beastly serpents there, I say beastly, in spite of the tribute the worthy La Fontaine pays them.” (The Man and the Serpent was one of his two fables.) “You have not seen any, and you have been quite right,” replied Brichot. “Undoubtedly, the writer you mention knows his subject through and through, he has written a remarkable book.” “There!” exclaimed Mme. de Cambremer, “that book, there′s no other word for it, is a regular Benedictine opus.” “No doubt he has consulted various polyptychs (by which we mean the lists of benefices and cures of each diocese), which may have furnished him with the names of lay patrons and ecclesiastical collators. But there are other sources. One of the most learned of my friends has delved into them. He found that the place in question was named Pont-a-Quileuvre. This odd name encouraged him to carry his researches farther, to a Latin text in which the bridge that your friend supposes to be infested with serpents is styled Pons cui aperit: A closed bridge that was opened only upon due payment.” “You were speaking of frogs. I, when I find myself among such learned folk, feel like the frog before the areopagus,” (this being his other fable) said Cancan who often indulged, with a hearty laugh, in this pleasantry thanks to which he imagined himself to be making, at one and the same time, out of humility and with aptness, a profession of ignorance and a display of learning. As for Cottard, blocked upon one side by M. de Charlus′s silence, and driven to seek an outlet elsewhere, he turned to me with one of those questions which so impressed his patients when it hit the mark and shewed them that he could put himself so to speak inside their bodies; if on the other hand it missed the mark, it enabled him to check certain theories, to widen his previous point of view. “When you come to a relatively high altitude, such as this where we now are, do you find that the change increases your tendency to choking fits?” he asked me with the certainty of either arousing admiration or enlarging his own knowledge. M. de Cambremer heard the question and smiled. “I can′t tell you how amused I am to hear that you have choking fits,” he flung at me across the table. He did not mean that it made him happy, though as a matter of fact it did. For this worthy man could not hear any reference to another person′s sufferings without a feeling of satisfaction and a spasm of hilarity which speedily gave place to the instinctive pity of a kind heart. But his words had another meaning which was indicated more precisely by the clause that followed. “It amuses me,” he explained, “because my sister has them too.” And indeed it did amuse him, as it would have amused him to hear me mention as one of my friends a person who was constantly coming to their house. “How small the world is,” was the reflexion which he formed mentally and which I saw written upon his smiling face when Cottard spoke to me of my choking fits. And these began to establish themselves, from the evening of this dinner-party, as a sort of interest in common, after which M. de Cambremer never failed to inquire, if only to hand on a report to his sister. As I answered the questions with which his wife kept plying me about Morel, my thoughts returned to a conversation I had had with my mother that afternoon. Having, without any attempt to dissuade me from going to the Verdurins′ if there was a chance of my being amused there, suggested that it was a house of which my grandfather would not have approved, which would have made him exclaim: “On guard!” my mother had gone on to say: “Listen, Judge Toureuil and his wife told me they had been to luncheon with Mme. Bontemps. They asked me no questions. But I seemed to gather from what was said that your marriage to Albertine would be the joy of her aunt′s life. I think the real reason is that they are all extremely fond of you. At the same time the style in which they suppose that you would be able to keep her, the sort of friends they more or less know that we have, all that is not, I fancy, left out of account, although it may be a minor consideration. I should not have mentioned it to you myself, because I attach no importance to it, but as I imagine that people will mention it to you, I prefer to get a word in first.” “But you yourself, what do you think of her?” I asked my mother. “Well, it′s not I that am going to marry her. You might certainly do a thousand times better. But I feel that your grandmother would not have liked me to influence you. As a matter of fact, I cannot tell you what I think of Albertine; I don′t think of her. I shall say to you, like Madame de Sévigné: ‘She has good qualities, at least I suppose so. But at this first stage I can praise her only by negatives. One thing she is not, she has not the Rennes accent. In time, I shall perhaps say, she is something else. And I shall always think well of her if she can make you happy.′” But by these very words which left it to myself to decide my own happiness, my mother had plunged me in that state of doubt in which I had been plunged long ago when, my father having allowed me to go to Phèdre and, what was more, to take to writing, I had suddenly felt myself burdened with too great a responsibility, the fear of distressing him, and that melancholy which we feel when we cease to obey orders which, from one day to another, keep the future hidden, and realise that we have at last begun to live in real earnest, as a grown-up person, the life, the only life that any of us has at his disposal.
Peut-être le mieux serait-il d′attendre un peu, de commencer par voir Albertine comme par le passé pour tâcher d′apprendre si je l′aimais vraiment. Je pourrais l′amener chez les Verdurin pour la distraire, et ceci me rappela que je n′y étais venu moi-même ce soir que pour savoir si Mme Putbus y habitait ou allait y venir. En tout cas, elle ne dînait pas. «A propos de votre ami Saint–Loup, me dit Mme de Cambremer, usant ainsi d′une expression qui marquait plus de suite dans les idées que ses phrases ne l′eussent laissé croire, car si elle me parlait de musique elle pensait aux Guermantes, vous savez que tout le monde parle de son mariage avec la nièce de la princesse de Guermantes. Je vous dirai que, pour ma part, de tous ces potins mondains je ne me préoccupe mie.» Je fus pris de la crainte d′avoir parlé sans sympathie devant Robert de cette jeune fille faussement originale, et dont l′esprit était aussi médiocre que le caractère était violent. Il n′y a presque pas une nouvelle que nous apprenions qui ne nous fasse regretter un de nos propos. Je répondis à Mme de Cambremer, ce qui du reste était vrai, que je n′en savais rien, et que d′ailleurs la fiancée me paraissait encore bien jeune. «C′est peut-être pour cela que ce n′est pas encore officiel; en tout cas on le dit beaucoup. — J′aime mieux vous prévenir, dit sèchement Mme Verdurin à Mme. de Cambremer, ayant entendu que celle-ci m′avait parlé de Morel, et, quand elle avait baissé la voix pour me parler des fiançailles de Saint–Loup, ayant cru qu′elle m′en parlait encore. Ce n′est pas de la musiquette qu′on fait ici. En art, vous savez, les fidèles de mes mercredis, mes enfants comme je les appelle, c′est effrayant ce qu′ils sont avancés, ajouta-t-elle avec un air d′orgueilleuse terreur. Je leur dis quelquefois: «Mes petites bonnes gens, vous marchez plus vite que votre patronne à qui les audaces ne passent pas pourtant pour avoir jamais fait peur.» Tous les ans ça va un peu plus loin; je vois bientôt le jour où ils ne marcheront plus pour Wagner et pour d′Indy. — Mais c′est très bien d′être avancé, on ne l′est jamais assez», dit Mme de Cambremer, tout en inspectant chaque coin de la salle à manger, en cherchant à reconnaître les choses qu′avait laissées sa belle-mère, celles qu′avait apportées Mme Verdurin, et à prendre celle-ci en flagrant délit de faute de goût. Cependant, elle cherchait à me parler du sujet qui l′intéressait le plus, M. de Charlus. Elle trouvait touchant qu′il protégeât un violoniste. «Il a l′air intelligent. — Même d′une verve extrême pour un homme déjà un peu âgé, dis-je. — Agé? Mais il n′a pas l′air âgé, regardez, le cheveu est resté jeune.» (Car depuis trois ou quatre ans le mot «cheveu» avait été employé au singulier par un de ces inconnus qui sont les lanceurs des modes littéraires, et toutes les personnes ayant la longueur de rayon de Mme de Cambremer disaient «le cheveu», non sans un sourire affecté. A l′heure actuelle on dit encore «le cheveu», mais de l′excès du singulier renaîtra le pluriel.) «Ce qui m′intéresse surtout chez M. de Charlus, ajouta-t-elle, c′est qu′on sent chez lui le don. Je vous dirai que je fais bon marché du savoir. Ce qui s′apprend ne m′intéresse pas.» Ces paroles ne sont pas en contradiction avec la valeur particulière de Mme de Cambremer, qui était précisément imitée et acquise. Mais justement une des choses qu′on devait savoir à ce moment-là, c′est que le savoir n′est rien et ne pèse pas un fétu à côté de l′originalité. Mme de Cambremer avait appris, comme le reste, qu′il ne faut rien apprendre. «C′est pour cela, me dit-elle, que Brichot, qui a son côté curieux, car je ne fais pas fi d′une certaine érudition savoureuse, m′intéresse pourtant beaucoup moins.» Mais Brichot, à ce moment-là, n′était occupé que d′une chose: entendant qu′on parlait musique, il tremblait que le sujet ne rappelât à Mme Verdurin la mort de Dechambre. Il voulait dire quelque chose pour écarter ce souvenir funeste. M. de Cambremer lui en fournit l′occasion par cette question: «Alors, les lieux boisés portent toujours des noms d′animaux? — Que non pas, répondit Brichot, heureux de déployer son savoir devant tant de nouveaux, parmi lesquels je lui avais dit qu′il était sûr d′en intéresser au moins un. Il suffit de voir combien, dans les noms de personnes elles-mêmes, un arbre est conservé, comme une fougère dans de la houille. Un de nos pères conscrits s′appelle M. de Saulces de Freycinet, ce qui signifie, sauf erreur, lieu planté de saules et de frênes, salix et fraxinetum; son neveu M. de Selves réunit plus d′arbres encore, puisqu′il se nomme de Selves, sylva.» Saniette voyait avec joie la conversation prendre un tour si animé. Il pouvait, puisque Brichot parlait tout le temps, garder un silence qui lui éviterait d′être l′objet des brocards de M. et Mme Verdurin. Et devenu plus sensible encore dans sa joie d′être délivré, il avait été attendri d′entendre M. Verdurin, malgré la solennité d′un tel dîner, dire au maître d′hôtel de mettre une carafe d′eau près de M. Saniette qui ne buvait pas autre chose. (Les généraux qui font tuer le plus de soldats tiennent à ce qu′ils soient bien nourris.) Enfin Mme Verdurin avait une fois souri à Saniette. Décidément, c′étaient de bonnes gens. Il ne serait plus torturé. A ce moment le repas fut interrompu par un convive que j′ai oublié de citer, un illustre philosophe norvégien, qui parlait le français très bien mais très lentement, pour la double raison, d′abord que, l′ayant appris depuis peu et ne voulant pas faire de fautes (il en faisait pourtant quelques-unes), il se reportait pour chaque mot à une sorte de dictionnaire intérieur; ensuite parce qu′en tant que métaphysicien, il pensait toujours ce qu′il voulait dire pendant qu′il le disait, ce qui, même chez un Français, est une cause de lenteur. C′était, du reste, un être délicieux, quoique pareil en apparence à beaucoup d′autres, sauf sur un point. Cet homme au parler si lent (il y avait un silence entre chaque mot) devenait d′une rapidité vertigineuse pour s′échapper dès qu′il avait dit adieu. Sa précipitation faisait croire la première fois qu′il avait la colique ou encore un besoin plus pressant.   Perhaps the best thing would be to wait a little longer, to begin by regarding Albertine as in the past, so as to find out whether I really loved her. I might take her, as a distraction, to see the Verdurins, and this thought reminded me that I had come there myself that evening only to learn whether Mme. Putbus was staying there or was expected. In any case, she was not dining with them. “Speaking of your friend Saint-Loup,” said Mme. de Cambremer, using an expression which shewed a closer sequence in her ideas than her remarks might have led one to suppose, for if she spoke to me about music she was thinking about the Guermantes; “you know that everybody is talking about his marriage to the niece of the Princesse de Guermantes. I may tell you that, so far as I am concerned, all that society gossip leaves me cold.” I was seized by a fear that I might have spoken unfeelingly to Robert about the girl in question, a girl full of sham originality, whose mind was as mediocre as her actions were violent. Hardly ever do we hear anything that does not make us regret something that we have said. I replied to Mme. de Cambremer, truthfully as it happened, that I knew nothing about it, and that anyhow I thought that the girl was still too young to be engaged. “That is perhaps why it is not yet official, anyhow there is a lot of talk about it.” “I ought to warn you,” Mme. Verdurin observed dryly to Mme. de Cambremer, having heard her talking to me about Morel and supposing, when Mme. de Cambremer lowered her voice to speak of Saint-Loup′s engagement, that Morel was still under discussion. “You needn′t expect any light music here. In matters of art, you know, the faithful who come to my Wednesdays, my children as I call them, are all fearfully advanced,” she added with an air of proud terror. “I say to them sometimes: My dear people, you move too fast for your Mistress, not that she has ever been said to be afraid of anything daring. Every year it goes a little farther; I can see the day coming when they will have no more use for Wagner or Indy.” “But it is splendid to be advanced, one can never be advanced enough,” said Mme. de Cambremer, scrutinising as she spoke every corner of the dining-room, trying to identify the things that her mother-in-law had left there, those that Mme. Verdurin had brought with her, and to convict the latter red-handed of want of taste. At the same time, she tried to get me to talk of the subject that interested her most, M. de Charlus. She thought it touching that he should be looking after a violinist. “He seems intelligent.” “Why, his mind is extremely active for a man of his age,” said I. “Age? But he doesn′t seem at all old, look, the hair is still young.” (For, during the last three or four years, the word hair had been used with the article by one of those unknown persons who launch the literary fashions, and everybody at the same radius from the centre as Mme. de Cambremer would say ‘the hair,′ not without an affected smile. At the present day, people still say ‘the hair′ but, from an excessive use of the article, the pronoun will be born again.) “What interests me most about M. de Charlus,” she went on, “is that one can feel that he has the gift. I may tell you that I attach little importance to knowledge. Things that can be learned do not interest me.” This speech was not incompatible with Mme. de Cambremer′s own distinction which was, in the fullest sense, imitated and acquired. But it so happened that one of the things which one had to know at that moment was that knowledge is nothing, and is not worth a straw when compared with originality. Mme. de Cambremer had learned, with everything else, that one ought not to learn anything. “That is why,” she explained to me, “Brichot, who has an interesting side to him, for I am not one to despise a certain spicy erudition, interests me far less.” But Brichot, at that moment, was occupied with one thing only; hearing people talk about music, he trembled lest the subject should remind Mme. Verdurin of the death of Dechambre. He decided to say something that would avert that harrowing memory. M. de Cambremer provided him with an opportunity with the question: “You mean to say that wooded places always take their names from animals?” “Not at all,” replied Brichot, proud to display his learning before so many strangers, among whom, I had told him, he would be certain to interest one at least. “We have only to consider how often, even in the names of people, a tree is preserved, like a fern in a piece of coal. One of our Conscript Fathers is called M. de Saulces de Freycinet, which means, if I be not mistaken, a spot planted with willows and ashes, salix et fraxinetum; his nephew M. de Selves combines more trees still, since he is named de Selves, de sylvis.” Saniette was delighted to see the conversation take so animated a turn. He could, since Brichot was talking all the time, preserve a silence which would save him from being the butt of M. and Mme. Verdurin′s wit. And growing even more sensitive in his joy at being set free, he had been touched when he heard M. Verdurin, notwithstanding the formality of so grand a dinner-party, tell the butler to put a decanter of water in front of M. Saniette who never drank anything else. (The generals responsible for the death of most soldiers insist upon their being well fed.) Moreover, Mme. Verdurin had actually smiled once at Saniette. Decidedly, they were kind people. He was not going to be tortured any more. At this moment the meal was interrupted by one of the party whom I have forgotten to mention, an eminent Norwegian philosopher who spoke French very well but very slowly, for the twofold reason that, in the first place, having learned the language only recently and not wishing to make mistakes (he did, nevertheless, make some), he referred each word to a sort of mental dictionary, and secondly, being a metaphysician, he always thought of what he intended to say while he was saying it, which, even in a Frenchman, causes slowness of utterance. He was, otherwise, a charming person, although similar in appearance to many other people, save in one respect. This man so slow in his diction (there was an interval of silence after every word) acquired a startling rapidity in escaping from the room as soon as he had said good-bye. His haste made one suppose, the first time one saw him, that he was suffering from colic or some even more urgent need.
— Mon cher — collègue, dit-il à Brichot, après avoir délibéré dans son esprit si «collègue» était le terme qui convenait, j′ai une sorte de — désir pour savoir s′il y a d′autres arbres dans la — nomenclature de votre belle langue — française — latine — normande. Madame (il voulait dire Mme Verdurin quoiqu′il n′osât la regarder) m′a dit que vous saviez toutes choses. N′est-ce pas précisément le moment? — Non, c′est le moment de manger», interrompit Mme Verdurin qui voyait que le dîner n′en finissait pas. «Ah! bien; répondit le Scandinave, baissant la tête dans son assiette, avec un sourire triste et résigné. Mais je dois faire observer à Madame que, si je me suis permis ce questionnaire — pardon, ce questation — c′est que je dois retourner demain à Paris pour dîner chez la Tour d′Argent ou chez l′Hôtel Meurice. Mon confrère — français — M. Boutroux, doit nous y parler des séances de spiritisme — pardon, des évocations spiritueuses — qu′il a contrôlées. — Ce n′est pas si bon qu′on dit, la Tour d′Argent, dit Mme Verdurin agacée. J′y ai même fait des dîners détestables. — Mais est-ce que je me trompe, est-ce que la nourriture qu′on mange chez Madame n′est pas de la plus fine cuisine française? — Mon Dieu, ce n′est pas positivement mauvais, répondit Mme Verdurin radoucie. Et si vous venez mercredi prochain ce sera meilleur. — Mais je pars lundi pour Alger, et de là je vais à Cap. Et quand je serai à Cap de Bonne–Espérance, je ne pourrai plus rencontrer mon illustre collègue — pardon, je ne pourrai plus rencontrer mon confrère.» Et il se mit, par obéissance, après avoir fourni ces excuses rétrospectives, à manger avec une rapidité vertigineuse. Mais Brichot était trop heureux de pouvoir donner d′autres étymologies végétales et il répondit, intéressant tellement le Norvégien que celui-ci cessa de nouveau de manger, mais en faisant signe qu′on pouvait ôter son assiette pleine et passer au plat suivant: «Un des Quarante, dit Brichot, a nom Houssaye, ou lieu planté de houx; dans celui d′un fin diplomate, d′Ormesson, vous retrouvez l′orme, l′ulmus cher à Virgile et qui a donné son nom à la ville d′Ulm; dans celui de ses collègues, M. de La Boulaye, le bouleau; M. d′Aunay, l′aune; M. de Bussière, le buis; M. Albaret, l′aubier (je me promis de le dire à Céleste); M. de Cholet, le chou, et le pommier dans le nom de M. de La Pommeraye, que nous entendîmes conférencier, Saniette, vous en souvient-il, du temps que le bon Porel avait été envoyé aux confins du monde, comme proconsul en Odéonie? Au nom de Saniette prononcé par Brichot, M. Verdurin lança à sa femme et à Cottard un regard ironique qui démonta le timide. — Vous disiez que Cholet vient de chou, dis-je à Brichot. Est-ce qu′une station où j′ai passé avant d′arriver à Doncières, Saint–Frichoux, vient aussi de chou? — Non, Saint–Frichoux, c′est Sanctus Fructuosus, comme Sanctus Ferreolus donna Saint–Fargeau, mais ce n′est pas normand du tout. — Il sait trop de choses, il nous ennuie, gloussa doucement la princesse. — Il y a tant d′autres noms qui m′intéressent, mais je ne peux pas tout vous demander en une fois.» Et me tournant vers Cottard: «Est-ce que Mme Putbus est ici?» lui demandai-je. «Non, Dieu merci, répondit Mme Verdurin qui avait entendu ma question. J′ai tâché de dériver ses villégiatures vers Venise, nous en sommes débarrassés pour cette année. — Je vais avoir moi-même droit à deux arbres, dit M. de Charlus, car j′ai à peu près retenu une petite maison entre Saint–Martin-du-Chêne et Saint–Pierre-des-Ifs. — Mais c′est très près d′ici, j′espère que vous viendrez souvent en compagnie de Charlie Morel. Vous n′aurez qu′à vous entendre avec notre petit groupe pour les trains, vous êtes à deux pas de Doncières», dit Mme Verdurin qui détestait qu′on ne vînt pas par le même train et aux heures où elle envoyait des voitures. Elle savait combien la montée à la Raspelière, même en faisant le tour par des lacis, derrière Féterne, ce qui retardait d′une demi-heure, était dure, elle craignait que ceux qui feraient bande à part ne trouvassent pas de voitures pour les conduire, ou même, étant en réalité restés chez eux, puissent prendre le prétexte de n′en avoir pas trouvé à Doville-Féterne et de ne pas s′être senti la force de faire une telle ascension à pied. A cette invitation M. de Charlus se contenta de répondre par une muette inclinaison. «Il ne doit pas être commode tous les jours, il a un air pincé, chuchota à Ski le docteur qui, étant resté très simple malgré une couche superficielle d′orgueil, ne cherchait pas à cacher que Charlus le snobait. Il ignore sans doute que dans toutes les villes d′eau, et même à Paris dans les cliniques, les médecins, pour qui je suis naturellement le «grand chef», tiennent à honneur de me présenter à tous les nobles qui sont là, et qui n′en mènent pas large. Cela rend même assez agréable pour moi le séjour des stations balnéaires, ajouta-t-il d′un air léger. Même à Doncières, le major du régiment, qui est le médecin traitant du colonel, m′a invité à déjeuner avec lui en me disant que j′étais en situation de dîner avec le général. Et ce général est un monsieur de quelque chose. Je ne sais pas si ses parchemins sont plus ou moins anciens que ceux de ce baron. — Ne vous montez pas le bourrichon, c′est une bien pauvre couronne», répondit Ski à mi-voix, et il ajouta quelque chose de confus avec un verbe, où je distinguai seulement les dernières syllabes «arder», occupé que j′étais d′écouter ce que Brichot disait à M. de Charlus. «Non probablement, j′ai le regret de vous le dire, vous n′avez qu′un seul arbre, car si Saint–Martin-du-Chêne est évidemment Sanctus Martinus juxta quercum, en revanche le mot if peut être simplement la racine, ave, eve, qui veut dire humide comme dans Aveyron, Lodève, Yvette, et que vous voyez subsister dans nos éviers de cuisine. C′est l′«eau», qui en breton se dit Ster, Stermaria, Sterlaer, Sterbouest, Ster-en-Dreuchen.» Je n′entendis pas la fin, car, quelque plaisir que j′eusse eu à réentendre le nom de Stermaria, malgré moi j′entendais Cottard, près duquel j′étais, qui disait tout bas à Ski: «Ah! mais je ne savais pas. Alors c′est un monsieur qui sait se retourner dans la vie. Comment! il est de la confrérie! Pourtant il n′a pas les yeux bordés de jambon. Il faudra que je fasse attention à mes pieds sous la table, il n′aurait qu′à en pincer pour moi. Du reste, cela ne m′étonne qu′à moitié. Je vois plusieurs nobles à la douche, dans le costume d′Adam, ce sont plus ou moins des dégénérés. Je ne leur parle pas parce qu′en somme je suis fonctionnaire et que cela pourrait me faire du tort. Mais ils savent parfaitement qui je suis.» Saniette, que l′interpellation de Brichot avait effrayé, commençait à respirer, comme quelqu′un qui a peur de l′orage et qui voit que l′éclair n′a été suivi d′aucun bruit de tonnerre, quand il entendit M. Verdurin le questionner, tout en attachant sur lui un regard qui ne lâchait pas le malheureux tant qu′il parlait, de façon à le décontenancer tout de suite et à ne pas lui permettre de reprendre ses esprits. «Mais vous nous aviez toujours caché que vous fréquentiez les matinées de l′Odéon, Saniette?» Tremblant comme une recrue devant un sergent tourmenteur, Saniette répondit, en donnant à sa phrase les plus petites dimensions qu′il put afin qu′elle eût plus de chance d′échapper aux coups: «Une fois, à la Chercheuse. — Qu′est-ce qu′il dit», hurla M. Verdurin, d′un air à la fois écoeuré et furieux, en fronçant les sourcils comme s′il n′avait pas assez de toute son attention pour comprendre quelque chose d′inintelligible. «D′abord on ne comprend pas ce que vous dites, qu′est-ce que vous avez dans la bouche?» demanda M. Verdurin de plus en plus violent, et faisant allusion au défaut de prononciation de Saniette. «Pauvre Saniette, je ne veux pas que vous le rendiez malheureux», dit Mme Verdurin sur un ton de fausse pitié et pour ne laisser un doute à personne sur l′intention insolente de son mari.» J′étais à la Ch . . ., Che . . . — Che, che, tâchez de parler clairement, dit M. Verdurin, je ne vous entends même pas.» Presque aucun des fidèles ne se retenait de s′esclaffer, et ils avaient l′air d′une bande d′anthropophages chez qui une blessure faite à un blanc a réveillé le goût du sang. Car l′instinct d′imitation et l′absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules. Et tout le monde rit de quelqu′un dont on voit se moquer, quitte à le vénérer dix ans plus tard dans un cercle où il est admiré. C′est de la même façon que le peuple chasse ou acclame les rois. «Voyons, ce n′est pas sa faute, dit Mme Verdurin. — Ce n′est pas la mienne non plus, on ne dîne pas en ville quand on ne peut plus articuler. — J′étais à la Chercheuse d′esprit de Favart. — Quoi? c′est la Chercheuse d′esprit que vous appelez la Chercheuse? Ah! c′est magnifique, j′aurais pu chercher cent ans sans trouver», s′écria M. Verdurin qui pourtant aurait jugé du premier coup que quelqu′un n′était pas lettré, artiste, «n′en était pas», s′il l′avait entendu dire le titre complet de certaines oeuvres. Par exemple il fallait dire le Malade, le Bourgeois; et ceux qui auraient ajouté «imaginaire» ou «gentilhomme» eussent témoigné qu′ils n′étaient pas de la «boutique», de même que, dans un salon, quelqu′un prouve qu′il n′est pas du monde en disant: M. de Montesquiou–Fezensac pour M. de Montesquiou. «Mais ce n′est pas si extraordinaire», dit Saniette essoufflé par l′émotion mais souriant, quoiqu′il n′en eût pas envie. Mme Verdurin éclata: «Oh! si, s′écria-t-elle en ricanant. Soyez convaincu que personne au monde n′aurait pu deviner qu′il s′agissait de la Chercheuse d′esprit.» M. Verdurin reprit d′une voix douce et s′adressant à la fois à Saniette et à Brichot: «C′est une jolie pièce, d′ailleurs, la Chercheuse d′esprit.» Prononcée sur un ton sérieux, cette simple phrase, où on ne pouvait trouver trace de méchanceté, fit à Saniette autant de bien et excita chez lui autant de gratitude qu′une amabilité. Il ne put proférer une seule parole et garda un silence heureux. Brichot fut plus loquace. «Il est vrai, répondit-il à M. Verdurin, et si on la faisait passer pour l′oeuvre de quelque auteur sarmate ou scandinave, on pourrait poser la candidature de la Chercheuse d′esprit à la situation vacante de chef-d′oeuvre. Mais, soit dit sans manquer de respect aux mânes du gentil Favart, il n′était pas de tempérament ibsénien. (Aussitôt il rougit jusqu′aux oreilles en pensant au philosophe norvégien, lequel avait un air malheureux parce qu′il cherchait en vain à identifier quel végétal pouvait être le buis que Brichot avait cité tout à l′heure à propos de Bussière.) D′ailleurs, la satrapie de Porel étant maintenant occupée par un fonctionnaire qui est un tolstont de rigoureuse observance, il se pourrait que nous vissions Anna Karénine ou Résurrection sous l′architrave odéonienne. — Je sais le portrait de Favart dont vous voulez parler, dit M. de Charlus. J′en ai vu une très belle épreuve chez la comtesse Molé.» Le nom de la comtesse Molé produisit une forte impression sur Mme Verdurin. «Ah! vous allez chez Mme de Molé», s′écria-t-elle. Elle pensait qu′on disait la comtesse Molé, Madame Molé, simplement par abréviation, comme elle entendait dire les Rohan, ou, par dédain, comme elle-même disait: Madame La Trémoe. Elle n′avait aucun doute que la comtesse Molé, connaissant la reine de Grèce et la princesse de Caprarola, eût autant que personne droit à la particule, et pour une fois elle était décidée à la donner à une personne si brillante et qui s′était montrée fort aimable pour elle. Aussi, pour bien montrer qu′elle avait parlé ainsi à dessein et ne marchandait pas ce «de» à la comtesse, elle reprit: «Mais je ne savais pas du tout que vous connaissiez Madame de Molé!» comme si ç‘avait été doublement extraordinaire et que M. de Charlus connût cette dame et que Mme Verdurin ne sût pas qu′il la connaissait. Or le monde, ou du moins ce que M. de Charlus appelait ainsi, forme un tout relativement homogène et clos. Autant il est compréhensible que, dans l′immensité disparate de la bourgeoisie, un avocat dise à quelqu′un qui connaît un de ses camarades de collège: «Mais comment diable connaissez-vous un tel?» en revanche, s′étonner qu′un Français connût, le sens du mot «temple» ou «forêt» ne serait guère plus extraordinaire que d′admirer les hasards qui avaient pu conjoindre M. de Charlus et la comtesse Molé.De plus, même si une telle connaissance n′eût pas tout naturellement découlé des lois mondaines, si elle eût été fortuite, comment eût-il été bizarre que Mme Verdurin l′ignorât puisqu′elle voyait M. de Charlus pour la première fois, et que ses relations avec Mme Molé étaient loin d′être la seule chose qu′elle ne sût pas relativement à lui, de qui, à vrai dire, elle ne savait rien. «Qu′est-ce qui jouait cette Chercheuse d′esprit, mon petit Saniette?» demanda M. Verdurin. Bien que sentant l′orage passé, l′ancien archiviste hésitait à répondre: «Mais aussi, dit Mme Verdurin, tu l′intimides, tu te moques de tout ce qu′il dit, et puis tu veux qu′il réponde. Voyons, dites, qui jouait ça? on vous donnera de la galantine à emporter», dit Mme Verdurin, faisant une méchante allusion à la ruine où Saniette s′était précipité lui-même en voulant en tirer un ménage de ses amis. «Je me rappelle seulement que c′était Mme Samary qui faisait la Zerbine, dit Saniette. — La Zerbine? Qu′est-ce que c′est que ça? cria M. Verdurin comme s′il y avait le feu. — C′est un emploi de vieux répertoire, voir le Capitaine Fracasse, comme qui dirait le Tranche Montagne, le Pédant. — Ah! le pédant, c′est vous. La Zerbine! Non, mais il est toqué», s′écria M. Verdurin. Mme Verdurin regarda ses convives en riant comme pour excuser Saniette. «La Zerbine, il s′imagine que tout le monde sait aussitôt ce que cela veut dire. Vous êtes comme M. de Longepierre, l′homme le plus bête que je connaisse, qui nous disait familièrement l′autre jour «le Banat». Personne n′a su de quoi il voulait parler. Finalement on a appris que c′était une province de Serbie.» Pour mettre fin au supplice de Saniette, qui me faisait plus de mal qu′à lui, je demandai à Brichot s′il savait ce que signifiait Balbec. «Balbec est probablement une corruption de Dalbec, me dit-il. Il faudrait pouvoir consulter les chartes des rois d′Angleterre, suzerains de la Normandie, car Balbec dépendait de la baronnie de Douvres, à cause de quoi on disait souvent Balbec d′Outre–Mer, Balbec-en-Terre. Mais la baronnie de Douvres elle-même relevait de l′évêché de Bayeux, et malgré des droits qu′eurent momentanément les Templiers sur l′abbaye, à partir de Louis d′Harcourt, patriarche de Jérusalem et évêque de Bayeux, ce furent les évêques de ce diocèse qui furent collateurs aux biens de Balbec. C′est ce que m′a expliqué le doyen de Doville, homme chauve, éloquent, chimérique et gourmet, qui vit dans l′obédience de Brillat–Savarin, et m′a exposé avec des termes un tantinet sibyllins d′incertaines pédagogies, tout en me faisant manger d′admirables pommes de terre frites.» Tandis que Brichot souriait, pour montrer ce qu′il y avait de spirituel à unir des choses aussi disparates et à employer pour des choses communes un langage ironiquement élevé, Saniette cherchait à placer quelque trait d′esprit qui pût le relever de son effondrement de tout à l′heure. Le trait d′esprit était ce qu′on appelait un «à peu près», mais qui avait changé de forme, car il y a une évolution pour les calembours comme pour les genres littéraires, les épidémies qui disparaissent remplacées par d′autres, etc . . . Jadis la forme de l′«à peu près» était le «comble». Mais elle était surannée, personne ne l′employait plus, il n′y avait plus que Cottard pour dire encore parfois, au milieu d′une partie de «piquet»: «Savez-vous quel est le comble de la distraction? c′est de prendre l′édit de Nantes pour une Anglaise.» Les combles avaient été remplacés par les surnoms. Au fond, c′était toujours le vieil «à peu près», mais, comme le surnom était à la mode, on ne s′en apercevait pas. Malheureusement pour Saniette, quand ces «à peu près» n′étaient pas de lui et d′habitude inconnus au petit noyau, il les débitait si timidement que, malgré le rire dont il les faisait suivre pour signaler leur caractère humoristique, personne ne les comprenait. Et si, au contraire, le mot était de lui, comme il l′avait généralement trouvé en causant avec un des fidèles, celui-ci l′avait répété en se l′appropriant, le mot était alors connu, mais non comme étant de Saniette. Aussi quand il glissait un de ceux-là on le reconnaissait, mais, parce qu′il en était l′auteur, on l′accusait de plagiat. «Or donc, continua Brichot, Bec en normand est ruisseau; il y a l′abbaye du Bec; Mobec, le ruisseau du marais (Mor ou Mer voulait dire marais, comme dans Morville, ou dans Bricquemar, Alvimare, Cambremer); Bricquebec, le ruisseau de la hauteur, venant de Briga, lieu fortifié, comme dans Bricqueville, Bricquebosc, le Bric, Briand, ou bien brice, pont, qui est le même que bruck en allemand (Innsbruck) et qu′en anglais bridge qui termine tant de noms de lieux (Cambridge, etc.). Vous avez encore en Normandie bien d′autres bec: Caudebec, Bolbec, le Robec, le Bec–Hellouin, Becquerel. C′est la forme normande du germain Bach, Offenbach, Anspach; Varaguebec, du vieux mot varaigne, équivalent de garenne, bois, étangs réservés. Quant à Dal, reprit Brichot, c′est une forme de thal, vallée: Darnetal, Rosendal, et même jusque près de Louviers, Becdal. La rivière qui a donné son nom à Dalbec est d′ailleurs charmante. Vue d′une falaise (fels en allemand, vous avez même non loin d′ici, sur une hauteur, la jolie ville de Falaise), elle voisine les flèches de l′église, située en réalité à une grande distance, et a l′air de les refléter.-Je crois bien, dis-je, c′est un effet qu′Elstir aime beaucoup. J′en ai vu plusieurs esquisses chez lui.-Elstir! Vous connaissez Tiche? s′écria Mme Verdurin. Mais vous savez que je l′ai connu dans la dernière intimité. Grâce au ciel je ne le vois plus. Non, mais demandez à Cottard, à Brichot, il avait son couvert mis chez moi, il venait tous les jours. En voilà un dont on peut dire que ça ne lui a pas réussi de quitter notre petit noyau. Je vous montrerai tout à l′heure des fleurs qu′il a peintes pour moi; vous verrez quelle différence avec ce qu′il fait aujourd′hui et que je n′aime pas du tout, mais pas du tout! Mais comment! je lui avais fait faire un portrait de Cottard, sans compter tout ce qu′il a fait d′après moi.-Et il avait fait au professeur des cheveux mauves, dit Mme Cottard, oubliant qu′alors son mari n′était pas agrégé. Je ne sais, Monsieur, si vous trouvez que mon mari a des cheveux mauves.-Ça ne fait rien, dit Mme Verdurin en levant le menton d′un air de dédain pour Mme Cottard et d′admiration pour celui dont elle parlait, c′était d′un fier coloriste, d′un beau peintre. Tandis que, ajouta-t-elle en s′adressant de nouveau à moi, je ne sais pas si vous appelez cela de la peinture, toutes ces grandes diablesses de compositions, ces grandes machines qu′il expose depuis qu′il ne vient plus chez moi. Moi, j′appelle cela du barbouillé, c′est d′un poncif, et puis ça manque de relief, de personnalité. Il y a de tout le monde là dedans.-Il restitue la grâce du XVIIIe, mais moderne, dit précipitamment Saniette, tonifié et remis en selle par mon amabilité. Mais j′aime mieux Helleu.-Il n′y a aucun rapport avec Helleu, dit Mme Verdurin.-Si, c′est du XVIIIe siècle fébrile. C′est un Watteau à vapeur, et il se mit à rire. — Oh! connu, archiconnu, il y a des années qu′on me le ressert», dit M. Verdurin à qui, en effet, Ski l′avait raconté autrefois, mais comme fait par lui-même. «Ce n′est pas de chance que, pour une fois que vous prononcez intelligiblement quelque chose d′assez drôle, ce ne soit pas de vous. —Ça me fait de la peine, reprit Mme Verdurin, parce que c′était quelqu′un de doué, il a gâché un joli tempérament de peintre. Ah! s′il était resté ici! Mais il serait devenu le premier paysagiste de notre temps. Et c′est une femme qui l′a conduit si bas! Ça ne m′étonne pas d′ailleurs, car l′homme était agréable, mais vulgaire. Au fond c′était un médiocre. Je vous dirai que je l′ai senti tout de suite. Dans le fond, il ne m′a jamais intéressée. Je l′aimais bien, c′était tout. D′abord, il était d′un sale. Vous aimez beaucoup ça, vous, les gens qui ne se lavent jamais? — Qu′est-ce que c′est que cette chose si jolie de ton que nous mangeons? demanda Ski. — Cela s′appelle de la mousse à la fraise, dit Mme Verdurin. — Mais c′est ra-vis-sant. Il faudrait faire déboucher des bouteilles de Château-Margaux, de Château-Lafite, de Porto. — Je ne peux pas vous dire comme il m′amuse, il ne boit que de l′eau, dit Mme Verdurin pour dissimuler sous l′agrément qu′elle trouvait à cette fantaisie l′effroi que lui causait cette prodigalité. — Mais ce n′est pas pour boire, reprit Ski, vous en remplirez tous nos verres, on apportera de merveilleuses pêches, d′énormes brugnons, là, en face du soleil couché; ça sera luxuriant comme un beau Véronèse. —Ça coûtera presque aussi cher, murmura M. Verdurin. — Mais enlevez ces fromages si vilains de ton, dit-il en essayant de retirer l′assiette du Patron, qui défendit son gruyère de toutes ses forces. — Vous comprenez que je ne regrette pas Elstir, me dit Mme Verdurin, celui-ci est autrement doué. Elstir, c′est le travail, l′homme qui ne sait pas lâcher sa peinture quand il en a envie. C′est le bon élève, la bête à concours. Ski, lui, ne connaît que sa fantaisie. Vous le verrez allumer sa cigarette au milieu du dîner. — Au fait, je ne sais pas pourquoi vous n′avez pas voulu recevoir sa femme, dit Cottard, il serait ici comme autrefois. — Dites donc, voulez-vous être poli, vous? Je ne reçois pas de gourgandines, Monsieur le Professeur», dit Mme Verdurin, qui avait, au contraire, fait tout ce qu′elle avait pu pour faire revenir Elstir, même avec sa femme. Mais avant qu′ils fussent mariés elle avait cherché à les brouiller, elle avait dit à Elstir que la femme qu′il aimait était bête, sale, légère, avait volé. Pour une fois elle n′avait pas réussi la rupture. C′est avec le salon Verdurin qu′Elstir avait rompu; et il s′en félicitait comme les convertis bénissent la maladie ou le revers qui les a jetés dans la retraite et leur a fait connaître la voie du salut. «Il est magnifique, le Professeur, dit-elle. Déclarez plutôt que mon salon est une maison de rendez-vous. Mais on dirait que vous ne savez pas ce que c′est que Mme Elstir. J′aimerais mieux recevoir la dernière des filles! Ah! non, je ne mange pas de ce pain-là. D′ailleurs je vous dirai que j′aurais été d′autant plus bête de passer sur la femme que le mari ne m′intéresse plus, c′est démodé, ce n′est même plus dessiné. — C′est extraordinaire pour un homme d′une pareille intelligence, dit Cottard. — Oh! non, répondit Mme Verdurin, même à l′époque où il avait du talent, car il en a eu, le gredin, et à revendre, ce qui agaçait chez lui c′est qu′il n′était aucunement intelligent.» Mme Verdurin, pour porter ce jugement sur Elstir, n′avait pas attendu leur brouille et qu′elle n′aimât plus sa peinture. C′est que, même au temps où il faisait partie du petit groupe, il arrivait qu′Elstir passait des journées entières avec telle femme qu′à tort ou à raison Mme Verdurin trouvait «bécasse», ce qui, à son avis, n′était pas le fait d′un homme intelligent. «Non, dit-elle d′un air d′équité, je crois que sa femme et lui sont très bien faits pour aller ensemble. Dieu sait que je ne connais pas de créature plus ennuyeuse sur la terre et que je deviendrais enragée s′il me fallait passer deux heures avec elle. Mais on dit qu′il la trouve très intelligente. C′est qu′il faut bien l′avouer, notre Tiche était surtout excessivement bête! Je l′ai vu épaté par des personnes que vous n′imaginez pas, par de braves idiotes dont on n′aurait jamais voulu dans notre petit clan. Hé bien! il leur écrivait, il discutait avec elles, lui, Elstir! Ça n′empêche pas des côtés charmants, ah! charmants, charmants et délicieusement absurdes, naturellement.» Car Mme Verdurin était persuadée que les hommes vraiment remarquables font mille folies. Idée fausse où il y a pourtant quelque vérité. Certes les «folies» des gens sont insupportables. Mais un déséquilibre qu′on ne découvre qu′à la longue est la conséquence de l′entrée dans un cerveau humain de délicatesses pour lesquelles il n′est pas habituellement fait. En sorte que les étrangetés des gens charmants exaspèrent, mais qu′il n′y a guère de gens charmants qui ne soient, par ailleurs, étranges. «Tenez, je vais pouvoir vous montrer tout de suite ses fleurs», me dit-elle en voyant que son mari lui faisait signe qu′on pouvait se lever de table. Et elle reprit le bras de M. de Cambremer.M. Verdurin voulut s′en excuser auprès de M. de Charlus, dès qu′il eut quitté Mme de Cambremer, et lui donner ses raisons, surtout pour le plaisir de causer de ces nuances mondaines avec un homme titré, momentanément l′inférieur de ceux qui lui assignaient la place à laquelle ils jugeaient qu′il avait droit. Mais d′abord il tint à montrer à M. de Charlus qu′intellectuellement il l′estimait trop pour penser qu′il pût faire attention à ces bagatelles: «Excusez-moi de vous parler de ces riens, commença-t-il, car je suppose bien le peu de cas que vous en faites. Les esprits bourgeois y font attention, mais les autres, les artistes, les gens qui «en sont» vraiment, s′en fichent. Or dès les premiers mots que nous avons échangés, j′ai compris que vous «en étiez»! M. de Charlus, qui donnait à cette locution un sens fort différent, eut un haut-le-corps. Après les oeillades du docteur, l′injurieuse franchise du Patron le suffoquait. «Ne protestez pas, cher Monsieur, vous «en êtes», c′est clair comme le jour, reprit M. Verdurin. Remarquez que je ne sais pas si vous exercez un art quelconque, mais ce n′est pas nécessaire. Ce n′est pas toujours suffisant. Degrange, qui vient de mourir, jouait parfaitement avec le plus robuste mécanisme, mais «n′en était» pas, on sentait tout de suite qu′il «n′en était» pas. Brichot n′en est pas. Morel en est, ma femme en est, je sens que vous en êtes . . . — Qu′alliez-vous me dire?» interrompit M. de Charlus, qui commençait à être rassuré sur ce que voulait signifier M. Verdurin, mais qui préférait qu′il criât moins haut ces paroles à double sens. «Nous vous avons mis seulement à gauche», répondit M. Verdurin. M. de Charlus, avec un sourire compréhensif, bonhomme et insolent, répondit: «Mais voyons! Cela n′a aucune importance, ici!» Et il eut un petit rire qui lui était spécial — un rire qui lui venait probablement de quelque grand′mère bavaroise ou lorraine, qui le tenait elle-même, tout identique, d′une ale, de sorte qu′il sonnait ainsi, inchangé, depuis pas mal de siècles, dans de vieilles petites cours de l′Europe, et qu′on goûtait sa qualité précieuse comme celle de certains instruments anciens devenus rarissimes. Il y a des moments où, pour peindre complètement quelqu′un, il faudrait que l′imitation phonétique se joignît à la description, et celle du personnage que faisait M. de Charlus risque d′être incomplète par le manque de ce petit rire si fin, si léger, comme certaines oeuvres de Bach ne sont jamais rendues exactement parce que les orchestres manquent de ces «petites trompettes» au son si particulier, pour lesquelles l′auteur a écrit telle ou telle partie. «Mais, expliqua M. Verdurin, blessé, c′est à dessein. Je n′attache aucune importance aux titres de noblesse, ajouta-t-il, avec ce sourire dédaigneux que j′ai vu tant de personnes que j′ai connues, à l′encontre de ma grand′mère et de ma mère, avoir pour toutes les choses qu′elles ne possèdent pas, devant ceux qui ainsi, pensent-ils, ne pourront pas se faire, à l′aide d′elles, une supériorité sur eux. Mais enfin puisqu′il y avait justement M. de Cambremer et qu′il est marquis, comme vous n′êtes que baron . . . — Permettez, répondit M. de Charlus, avec un air de hauteur, à M. Verdurin étonné, je suis aussi duc de Brabant, damoiseau de Montargis, prince d′Oléron, de Carency, de Viazeggio et des Dunes. D′ailleurs, cela ne fait absolument rien. Ne vous tourmentez pas, ajouta-t-il en reprenant son fin sourire, qui s′épanouit sur ces derniers mots: J′ai tout de suite vu que vous n′aviez pas l′habitude.»   “My dear — colleague,” he said to Brichot, after deliberating in his mind whether colleague was the correct term, “I have a sort of — desire to know whether there are other trees in the — nomenclature of your beautiful French — Latin — Norman tongue. Madame” (he meant Madame Verdurin, although he dared not look at her) “has told me that you know everything. Is not this precisely the moment?” “No, it is the moment for eating,” interrupted Mme. Verdurin, who saw the dinner becoming interminable. “Very well,” the Scandinavian replied, bowing his head over his plate with a resigned and sorrowful smile. “But I must point out to Madame that if I have permitted myself this questionnaire — pardon me, this questation — it is because I have to return to-morrow to Paris to dine at the Tour d′Argent or at the Hôtel Meurice, My French — brother — M. Boutroux is to address us there about certain seances of spiritualism — pardon me, certain spirituous evocations which he has controlled.” “The Tour d′Argent is not nearly as good as they make out,” said Mme. Verdurin sourly. “In fact, I have had some disgusting dinners there.” “But am I mistaken, is not the food that one consumes at Madame′s table an example of the finest French cookery?” “Well, it is not positively bad,” replied Mme. Verdurin, sweetening. “And if you come next Wednesday, it will be better.” “But I am leaving on Monday for Algiers, and from there I am going to the Cape. And when I am at the Cape of Good Hope, I shall no longer be able to meet my illustrious colleague — pardon me, I shall no longer be able to meet my brother.” And he set to work obediently, after offering these retrospective apologies, to devour his food at a headlong pace. But Brichot was only too delighted to be able to furnish other vegetable etymologies, and replied, so greatly interesting the Norwegian that he again stopped eating, but with a sign to the servants that they might remove his plate and help him to the next course. “One of the Forty,” said Brichot, “is named Houssaye, or a place planted with hollies; in the name of a brilliant diplomat, d′Ormesson, you will find the elm, the ulmus beloved of Virgil, which has given its name to the town of Ulm; in the names of his colleagues, M. de la Boulaye, the birch (bouleau), M. d′Aunay, the alder (aune), M. de Buissière, the box (buis), M. Albaret, the sapwood (aubier)” (I made a mental note that I must tell this to Céleste), “M. de Cholet, the cabbage (chou), and the apple-tree (pommier) in the name of M. de la Pommeraye, whose lectures we used to attend, do you remember, Saniette, in the days when the worthy Porel had been sent to the farthest ends of the earth, as Proconsul in Odeonia?” “You said that Cholet was derived from chou,” I remarked to Brichot. “Am I to suppose that the name of a station I passed before reaching Doncières, Saint-Frichoux, comes from chou also?” “No, Saint-Frichoux is Sanctus Fructuosus, as Sanctus Ferreolus gave rise to Saint-Fargeau, but that is not Norman in the least.” “He knows too much, he′s boring us,” the Princess muttered softly. “There are so many other names that interest me, but I can′t ask you everything at once.” And, turning to Cottard, “Is Madame Putbus here?” I asked him. On hearing Brichot utter the name of Saniette, M. Verdurin cast at his wife and at Cottard an ironical glance which confounded their timid guest. “No, thank heaven,” replied Mme. Verdurin, who had overheard my question, “I have managed to turn her thoughts in the direction of Venice, we are rid of her for this year.” “I shall myself be entitled presently to two trees,” said M. de Charlus, “for I have more or less taken a little house between Saint-Martin-du-Chene and Saint-Pierre-des-Ifs.” “But that is quite close to here, I hope that you will come over often with Charlie Morel. You have only to come to an arrangement with our little group about the trains, you are only a step from Doncières,” said Mme. Verdurin, who hated people′s not coming by the same train and not arriving at the hours when she sent carriages to meet them. She knew how stiff the climb was to la Raspelière, even if you took the zigzag path, behind Féterne, which was half-an-hour longer; she was afraid that those of her guests who kept to themselves might not find carriages to take them, or even, having in reality stayed away, might plead the excuse that they had not found a carriage at Douville-Féterne, and had not felt strong enough to make so stiff a climb on foot. To this invitation M. de Charlus responded with a silent bow. “He′s not the sort of person you can talk to any day of the week, he seems a tough customer,” the doctor whispered to Ski, for having remained quite simple, notwithstanding a surface-dressing of pride, he made no attempt to conceal the fact that Charlus had snubbed him. “He is doubtless unaware that at all the watering-places, and even in Paris in the wards, the physicians, who naturally regard me as their ‘chief,′ make it a point of honour to introduce me to all the noblemen present, not that they need to be asked twice. It makes my stay at the spas quite enjoyable,” he added carelessly. “Indeed at Doncières the medical officer of the regiment, who is the doctor who attends the Colonel, invited me to luncheon to meet him, saying that I was fully entitled to dine with the General. And that General is a Monsieur de something. I don′t know whether his title-deeds are more or less ancient than those of this Baron.” “Don′t you worry about him, his is a very humble coronet,” replied Ski in an undertone, and added some vague statement including a word of which I caught only the last syllable, -ast, being engaged in listening to what Brichot was saying to M. de Charlus. “No, as for that, I am sorry to say, you have probably one tree only, for if Saint-Martin-du-Chêne is obviously Sanctus Martinus juxta quercum, on the other hand, the word if may be simply the root ave, eve, which means moist, as in Aveyron, Lodève, Yvette, and which you see survive in our kitchen-sinks (éviers). It is the word eau which in Breton is represented by ster, Stermaria, Sterlaer, Sterbouest, Ster-en-Dreuchen.” I heard no more, for whatever the pleasure I might feel on hearing again the name Stermaria, I could not help listening to Cottard, next to whom I was seated, as he murmured to Ski: “Indeed! I was not aware of it. So he is a gentleman who has learned to look behind! He is one of the happy band, is he? He hasn′t got rings of fat round his eyes, all the same. I shall have to keep my feet well under me, or he may start squeezing them. But I′m not at all surprised. I am used to seeing noblemen in the bath, in their birthday suits, they are all more or less degenerates. I don′t talk to them, because after all I am in an official position and it might do me harm. But they know quite well who I am.” Saniette, whom Brichot′s appeal had frightened, was beginning to breathe again, like a man who is afraid of the storm when he finds that the lightning has not been followed by any sound of thunder, when he heard M. Verdurin interrogate him, fastening upon him a stare which did not spare the wretch until he had finished speaking, so as to put him at once out of countenance and prevent him from recovering his composure. “But you never told us that you went to those matinées at the Odéon, Saniette?” Trembling like a recruit before a bullying serjeant, Saniette replied, making his speech as diminutive as possible, so that it might have a better chance of escaping the blow: “Only once, to the Chercheuse.” “What′s that he says?” shouted M. Verdurin, with an air of disgust and fury combined, knitting his brows as though it was all he could do to grasp something unintelligible. “It is impossible to understand what you say, what have you got in your mouth?” inquired M. Verdurin, growing more and more furious, and alluding to Saniette′s defective speech. “Poor Saniette, I won′t have him made unhappy,” said Mme. Verdurin in a tone of false pity, so as to leave no one in doubt as to her husband′s insolent intention. “I was at the Ch . . . Che..” “Che, che, try to speak distinctly,” said M. Verdurin, “I can′t understand a word you say.” Almost without exception, the faithful burst out laughing and they suggested a band of cannibals in whom the sight of a wound on a white man′s skin has aroused the thirst for blood. For the instinct of imitation and absence of courage govern society and the mob alike. And we all of us laugh at a person whom we see being made fun of, which does not prevent us from venerating him ten years later in a circle where he is admired. It is in like manner that the populace banishes or acclaims its kings. “Come, now, it is not his fault,” said Mme. Verdurin. “It is not mine either, people ought not to dine out if they can′t speak properly.” “I was at the Chercheuse d′Esprit by Favart.” “What! It′s the Chercheuse d′Esprit that you call the Chercheuse? Why, that′s marvellous! I might have tried for a hundred years without guessing it,” cried M. Verdurin, who all the same would have decided immediately that you were not literary, were not artistic, were not ‘one of us,′ if he had heard you quote the full title of certain works. For instance, one was expected to say the Malade, the Bourgeois; and whoso would have added imaginaire or gentilhomme would have shewn that he did not understand ‘shop,′ just as in a drawing-room a person proves that he is not in society by saying ‘M. de Montesquiou-Fézensac′ instead of ‘M. de Montesquieu.′ “But it is not so extraordinary,” said Saniette, breathless with emotion but smiling, albeit he was in no smiling mood. Mme. Verdurin could not contain herself. “Yes, indeed!” she cried with a titter. “You may be quite sure that nobody would ever have guessed that you meant the Chercheuse d′Esprit.” M. Verdurin went on in a gentler tone, addressing both Saniette and Brichot: “It is quite a pretty piece, all the same, the Chercheuse d′Esprit.” Uttered in a serious tone, this simple phrase, in which one could detect no trace of malice, did Saniette as much good and aroused in him as much gratitude as a deliberate compliment. He was unable to utter a single word and preserved a happy silence. Brichot was more loquacious. “It is true,” he replied to M. Verdurin, “and if it could be passed off as the work of some Sarmatian or Scandinavian author, we might put forward the Chercheuse d′Esprit as a candidate for the vacant post of masterpiece. But, be it said without any disrespect to the shade of the gentle Favart, he had not the Ibsenian temperament.” (Immediately he blushed to the roots of his hair, remembering the Norwegian philosopher who appeared troubled because he was seeking in vain to discover what vegetable the buis might be that Brichot had cited a little earlier in connexion with the name Bussière.) “However, now that Porel′s satrapy is filled by a functionary who is a Tolstoist of rigorous observance, it may come to pass that we shall witness Anna Karenina or Resurrection beneath the Odéonian architrave.” “I know the portrait of Favart to which you allude,” said M. de Charlus. “I have seen a very fine print of it at Comtesse Molé‘s.” The name of Comtesse Molé made a great impression upon Mme. Verdurin. “Oh! So you go to Mme. de Molé‘s!” she exclaimed. She supposed that people said Comtesse Molé, Madame Molé, simply as an abbreviation, as she heard people say ‘the Rohans′ or in contempt, as she herself said: ‘Madame la Trémoe.′ She had no doubt that Comtesse Molé, who knew the Queen of Greece and the Principessa di Caprarola, had as much right as anybody to the particle, and for once in a way had decided to bestow it upon so brilliant a personage, and one who had been extremely civil to herself. And so, to make it clear that she had spoken thus on purpose and did not grudge the Comtesse her ‘de,′ she went on: “But I had no idea that you knew Madame de Molé!” as though it had been doubly extraordinary, both that M. de Charlus should know the lady, and that Mme. Verdurin should not know that he knew her. Now society, or at least the people to whom M. de Charlus gave that name, forms a relatively homogeneous and compact whole. And so it is comprehensible that, in the incongruous vastness of the middle classes, a barrister may say to somebody who knows one of his school friends: “But how in the world do you come to know him?” whereas to be surprised at a Frenchman′s knowing the meaning of the word temple or forest would be hardly more extraordinary than to wonder at the hazards that might have brought together M. de Charlus and the Comtesse Molé. What is more, even if such an acquaintance had not been derived quite naturally from the laws that govern society, how could there be anything strange in the fact of Mme. Verdurin′s not knowing of it, since she was meeting M. de Charlus for the first time, and his relations with Mme. Molé were far from being the only thing that she did not know with regard to him, about whom, to tell the truth, she knew nothing. “Who was it that played this Chercheuse d′Esprit, my good Saniette?” asked M. Verdurin. Albeit he felt that the storm had passed, the old antiquarian hesitated before answering. “There you go,” said Mme. Verdurin, “you frighten him, you make fun of everything that he says, and then you expect him to answer. Come along, tell us who played the part, and you shall have some galantine to take home,” said Mme. Verdurin, making a cruel allusion to the penury into which Saniette had plunged himself by trying to rescue the family of a friend. “I can remember only that it was Mme. Samary who played the Zerbine,” said Saniette. “The Zerbine? What in the world is that,” M. Verdurin shouted, as though the house were on fire. “It is one of the parts in the old repertory, like Captain Fracasse, as who should say the Fire-eater, the Pedant.” “Ah, the pedant, that′s yourself. The Zerbine! No, really the man′s mad,” exclaimed M. Verdurin. Mme. Verdurin looked at her guests and laughed as though to apologise for Saniette. “The Zerbine, he imagines that everybody will know at once what it means. You are like M. de Longepierre, the stupidest man I know, who said to us quite calmly the other day ‘the Banat.′ Nobody had any idea what he meant. Finally we were informed that it was a province in Serbia.” To put an end to Saniette′s torture, which hurt me more than it hurt him, I asked Brichot if he knew what the word Balbec meant. “Balbec is probably a corruption of Dalbec,” he told me. “One would have to consult the charters of the Kings of England, Overlords of Normandy, for Balbec was held of the Barony of Dover, for which reason it was often styled Balbec d′Outre-Mer, Balbec-en-Terre. But the Barony of Dover was itself held of the Bishopric of Bayeux, and, notwithstanding the rights that were temporarily enjoyed in the abbey by the Templars, from the time of Louis d′Harcourt, Patriarch of Jerusalem and Bishop of Bayeux; it was the Bishops of that diocese who collated to the benefice of Balbec. So it was explained to me by the incumbent of Douville, a bald person, eloquent, fantastic, and a devotee of the table, who lives by the Rule of Brillat-Savarin, and who expounded to me in slightly sibylline language a loose pedagogy, while he fed me upon some admirable fried potatoes.” While Brichot smiled to shew how witty it was to combine matters so dissimilar and to employ an ironically lofty diction in treating of commonplace things, Saniette was trying to find a loophole for some clever remark which would raise him from the abyss into which he had fallen. The witty remark was what was known as a ‘comparison,′ but had changed its form, for there is an evolution in wit as in literary styles, an epidemic that disappears has its place taken by another, and so forth. . . . At one time the typical ‘comparison′ was the ‘height of. . . . ′ But this was out of date, no one used it any more, there was only Cottard left to say still, on occasion, in the middle of a game of piquet: “Do you know what is the height of absent-mindedness, it is to think that the Edict (l′edit) of Nantes was an Englishwoman.” These ‘heights′ had been replaced by nicknames. In reality it was still the old ‘comparison,′ but, as the nickname was in fashion, people did not observe the survival. Unfortunately for Saniette, when these ‘comparisons′ were not his own, and as a rule were unknown to the little nucleus, he produced them so timidly that, notwithstanding the laugh with which he followed them up to indicate their humorous nature, nobody saw the point. And if on the other hand the joke was his own, as he had generally hit upon it in conversation with one of the faithful, and the latter had repeated it, appropriating the authorship, the joke was in that case known, but not as being Saniette′s. And so when he slipped in one of these it was recognised, but, because he was its author, he was accused of plagiarism. “Very well, then,” Brichot continued, “Bee, in Norman, is a stream; there is the Abbey of Bee, Mobec, the stream from the marsh (Mor or Mer meant a marsh, as in Morville, or in Bricquemar, Alvimare, Cambremer), Bricquebac the stream from the high ground coming from Briga, a fortified place, as in Bricqueville, Bricquebose, le Bric, Briand, or indeed Brice, bridge, which is the same as bruck in German (Innsbruck), and as the English bridge which ends so many place-names (Cambridge, for instance). You have moreover in Normandy many other instances of bec: Caudebec, Bolbec, le Robec, le Bec-Hellouin, Becquerel. It is the Norman form of the German bach, Offenbach, Anspach. Varaguebec, from the old word varaigne, equivalent to warren, preserved woods or ponds. As for Dal,” Brichot went on, “it is a form of thal, a valley: Darnetal, Rosendal, and indeed, close to Louviers, Becdal. The river that has given its name to Balbec, is, by the way, charming. Seen from a falaise (fels in German, you have indeed, not far from here, standing on a height, the picturesque town of Falaise), it runs close under the spires of the church, which is actually a long way from it, and seems to be reflecting them.” “I should think,” said I, “that is an effect that Elstir admires greatly. I have seen several sketches of it in his studio.” “Elstir! You know Tiche,” cried Mme. Verdurin. “But do you know that we used to be the dearest friends? Thank heaven, I never see him now. No, but ask Cottard, Brichot, he used to have his place laid at my table, he came every day. Now, there′s a man of whom you can say that it has done him no good to leave our little nucleus. I shall shew you presently some flowers he painted for me; you shall see the difference from the things he is doing now, which I don′t care for at all, not at all! Why! I made him do me a portrait of Cottard, not to mention all the sketches he has made of me.” “And he gave the Professor purple hair,” said Mme. Cottard, forgetting that at the time her husband had not been even a Fellow of the College. “I don′t know, Sir, whether you find that my husband has purple hair.” “That doesn′t matter,” said Mme. Verdurin, raising her chin with an air of contempt for Mme. Cottard and of admiration for the man of whom she was speaking, “he was a brave colourist, a fine painter. Whereas,” she added, turning again to myself, “I don′t know whether you call it painting, all those huge she-devils of composition, those vast structures he exhibits now that he has given up coming to me. For my part, I call it daubing, it′s all so hackneyed, and besides, it lacks relief, personality. It′s anybody′s work.” “He revives the grace of the eighteenth century, but in a modern form,” Saniette broke out, fortified and reassured by my affability. “But I prefer Helleu.” “He′s not in the least like Helleu,” said Mme. Verdurin. “Yes, he has the fever of the eighteenth century. He′s a steam Watteau,” and he began to laugh. “Old, old as the hills, I′ve had that served up to me for years,” said M. Verdurin, to whom indeed Ski had once repeated the remark, but as his own invention. “It′s unfortunate that when once in a way you say something quite amusing and make it intelligible, it is not your own.” “I′m sorry about it,” Mme. Verdurin went on, “because he was really gifted, he has wasted a charming temperament for painting. Ah! if he had stayed with us! Why, he would have become the greatest landscape painter of our day. And it is a woman that has dragged him down so low! Not that that surprises me, for he was a pleasant enough man, but common. At bottom, he was a mediocrity. I may tell you that I felt it at once. Really, he never interested me. I was very fond of him, that was all. For one thing, he was so dirty. Tell me, do you, now, really like people who never wash?” “What is this charmingly coloured thing that we are eating?” asked Ski. “It is called strawberry mousse,” said Mme. Verdurin. “But it is ex-qui-site. You ought to open bottles of Château-Margaux, Château-Lafite, port wine.” “I can′t tell you how he amuses me, he never drinks anything but water,” said Mme. Verdurin, seeking to cloak with her delight at such a flight of fancy her alarm at the thought of so prodigal an outlay. “But not to drink,” Ski went on, “you shall fill all our glasses, they will bring in marvelous peaches, huge nectarines, there against the sunset; it will be as gorgeous as a fine Veronese.” “It would cost almost as much,” M. Verdurin murmured. “But take away those cheeses with their hideous colour,” said Ski, trying to snatch the plate from before his host, who defended his gruyère with his might and main. “You can realise that I don′t regret Elstir,” Mme. Verdurin said to me, “that one is far more gifted. Elstir is simply hard work, the man who can′t make himself give up painting when he would like to. He is the good student, the slavish competitor. Ski, now, only follows his own fancy. You will see him light a cigarette in the middle of dinner.” “After all, I can′t see why you wouldn′t invite his wife,” said Cottard, “he would be with us still.” “Will you mind what you′re saying, please, I don′t open my doors to street-walkers, Monsieur le Professeur,” said Mme. Verdurin, who had, on the contrary, done everything in her power to make Elstir return, even with his wife. But before they were married she had tried to make them quarrel, had told Elstir that the woman he loved was stupid, dirty, immoral, a thief. For once in a way she had failed to effect a breach. It was with the Verdurin salon that Elstir had broken; and he was glad of it, as converts bless the illness or misfortune that has withdrawn them from the world and has made them learn the way of salvation. “He really is magnificent, the Professor,” she said. “Why not declare outright that I keep a disorderly house? Anyone would think you didn′t know what Madame Elstir was like. I would sooner have the lowest street-walker at my table! Oh no, I don′t stand for that sort of thing. Besides I may tell you that it would have been stupid of me to overlook the wife, when the husband no longer interests me, he is out of date, he can′t even draw.” “That is extraordinary in a man of his intelligence,” said Cottard. “Oh, no!” replied Mme. Verdurin, “even at the time when he had talent, for he had it, the wretch, and to spare, what was tiresome about him was that he had not a spark of intelligence.” Mme. Verdurin, in passing this judgment upon Elstir, had not waited for their quarrel, or until she had ceased to care for his painting. The fact was that, even at the time when he formed part of the little group, it would happen that Elstir spent the whole day in the company of some woman whom, rightly or wrongly, Mme. Verdurin considered a goose, which, in her opinion, was not the conduct of an intelligent man. “No,” she observed with an air of finality, “I consider that his wife and he are made for one another. Heaven knows, there isn′t a more boring creature on the face of the earth, and I should go mad if I had to spend a couple of hours with her. But people say that he finds her very intelligent. There′s no use denying it, our Tiche was extremely stupid. I have seen him bowled over by people you can′t conceive, worthy idiots we should never have allowed into our little clan. Well! He wrote to them, he argued with them, he, Elstir! That doesn′t prevent his having charming qualities, oh, charming and deliciously absurd, naturally.” For Mme. Verdurin was convinced that men who are truly remarkable are capable of all sorts of follies. A false idea in which there is nevertheless a grain of truth. Certainly, people′s follies are insupportable. But a want of balance which we discover only in course of time is the consequence of the entering into a human brain of delicacies for which it is not regularly adapted. So that the oddities of charming people exasperate us, but there are few if any charming people who are not, at the same time, odd. “Look, I shall be able to shew you his flowers now,” she said to me, seeing that her husband was making signals to her to rise. And she took M. de Cambremer′s arm again. M. Verdurin tried to apologise for this to M. de Charlus, as soon as he had got rid of Mme. de Cambremer, and to give him his reasons, chiefly for the pleasure of discussing these social refinements with a gentleman of title, momentarily the inferior of those who assigned to him the place to which they considered him entitled. But first of all he was anxious to make it clear to M. de Charlus that intellectually he esteemed him too highly to suppose that he could pay any attention to these trivialities. “Excuse my mentioning so small a point,” he began, “for I can understand how little such things mean to you. Middle-class minds pay attention to them, but the others, the artists, the people who are really of our sort, don′t give a rap for them. Now, from the first words we exchanged, I realised that you were one of us!” M. de Charlus, who gave a widely different meaning to this expression, drew himself erect. After the doctor′s oglings, he found his host′s insulting frankness suffocating. “Don′t protest, my dear Sir, you are one of us, it is plain as daylight,” replied M. Verdurin. “Observe that I have no idea whether you practise any of the arts, but that is not necessary. It is not always sufficient. Dechambre, who has just died, played exquisitely, with the most vigorous execution, but he was not one of us, you felt at once that he was not one of us. Brichot is not one of us. Morel is, my wife is, I can feel that you are. . . . ” “What were you going to tell me?” interrupted M. de Charlus, who was beginning to feel reassured as to M. Verdurin′s meaning, but preferred that he should not utter these misleading remarks quite so loud. “Only that we put you on the left,” replied M. Verdurin. M. de Charlus, with a comprehending, genial, insolent smile, replied: “Why! That is not of the slightest importance, here!” And he gave a little laugh that was all his own — a laugh that came to him probably from some Bavarian or Lorraine grandmother, who herself had inherited it, in identical form, from an ancestress, so that it had been sounding now, without change, for not a few centuries in little old-fashioned European courts, and one could relish its precious quality like that of certain old musical instruments that have now grown rare. There are times when, to paint a complete portrait of some one, we should have to add a phonetic imitation to our verbal description, and our portrait of the figure that M. de Charlus presented is liable to remain incomplete in the absence of that little laugh, so delicate, so light, just as certain compositions are never accurately rendered because our orchestras lack those ‘small trumpets,′ with a sound so entirely their own, for which the composer wrote this or that part. “But,” M. Verdurin explained, stung by his laugh, “we did it on purpose. I attach no importance whatever to title of nobility,” he went on, with that contemptuous smile which I have seen so many people whom I have known, unlike my grandmother and my mother, assume when they spoke of anything that they did not possess, before others who thus, they supposed, would be prevented from using that particular advantage to crow over them. “But, don′t you see, since we happened to have M. de Cambremer here, and he is a Marquis, while you are only a Baron. . . . ” “Pardon me,” M. de Charlus replied with an arrogant air to the astonished Verdurin, “I am also Duc de Brabant, Damoiseau de Montargis, Prince d′Oloron, de Carency, de Viareggio and des Dunes. However, it is not of the slightest importance. Please do not distress yourself,” he concluded, resuming his subtle smile which spread itself over these final words: “I could see at a glance that you were not accustomed to society.”
Mme Verdurin vint à moi pour me montrer les fleurs d′Elstir. Si cet acte, devenu depuis longtemps si indifférent pour moi, aller dîner en ville, m′avait au contraire, sous la forme, qui le renouvelait entièrement, d′un voyage le long de la côte, suivi d′une montée en voiture jusqu′à deux cents mètres au-dessus de la mer, procuré une sorte d′ivresse, celle-ci ne s′était pas dissipée à la Raspelière. «Tenez, regardez-moi ça, me dit la Patronne, en me montrant de grosses et magnifiques roses d′Elstir, mais dont l′onctueux écarlate et la blancheur fouettée s′enlevaient avec un relief un peu trop crémeux sur la jardinière où elles étaient posées. Croyez-vous qu′il aurait encore assez de patte pour attraper ça? Est-ce assez fort! Et puis, c′est beau comme matière, ça serait amusant à tripoter. Je ne peux pas vous dire comme c′était amusant de les lui voir peindre. On sentait que ça l′intéressait de chercher cet effet-là.» Et le regard de la Patronne s′arrêta rêveusement sur ce présent de l′artiste où se trouvaient résumés, non seulement son grand talent, mais leur longue amitié qui ne survivait plus qu′en ces souvenirs qu′il lui en avait laissés; derrière les fleurs autrefois cueillies par lui pour elle-même, elle croyait revoir la belle main qui les avait peintes, en une matinée, dans leur fraîcheur, si bien que, les unes sur la table, l′autre adossé à un fauteuil de la salle à manger, avaient pu figurer en tête à tête, pour le déjeuner de la Patronne, les roses encore vivantes et leur portrait à demi ressemblant. A demi seulement, Elstir ne pouvant regarder une fleur qu′en la transplantant d′abord dans ce jardin intérieur où nous sommes forcés de rester toujours. Il avait montré dans cette aquarelle l′apparition des roses qu′il avait vues et que sans lui on n′eût connues jamais; de sorte qu′on peut dire que c′était une variété nouvelle dont ce peintre, comme un ingénieux horticulteur, avait enrichi la famille des Roses. «Du jour où il a quitté le petit noyau, ça a été un homme fini. Il paraît que mes dîners lui faisaient perdre du temps, que je nuisais au développement de son génie, dit-elle sur un ton d′ironie. Comme si la fréquentation d′une femme comme moi pouvait ne pas être salutaire à un artiste», s′écria-t-elle dans un mouvement d′orgueil. Tout près de nous, M. de Cambremer, qui était déjà assis, esquissa, en voyant M. de Charlus debout, le mouvement de se lever et de lui donner sa chaise. Cette offre ne correspondait peut-être, dans la pensée du marquis, qu′à une intention de vague politesse. M. de Charlus préféra y attacher la signification d′un devoir que le simple gentilhomme savait qu′il avait à rendre à un prince, et ne crut pas pouvoir mieux établir son droit à cette préséance qu′en la déclinant. Aussi s′écria-t-il: «Mais comment donc! Je vous en prie! Par exemple!» Le ton astucieusement véhément de cette protestation avait déjà quelque chose de fort «Guermantes», qui s′accusa davantage dans le geste impératif, inutile et familier avec lequel M. de Charlus pesa de ses deux mains, et comme pour le forcer à se rasseoir, sur les épaules de M. de Cambremer, qui ne s′était pas levé: «Ah! voyons, mon cher, insista le baron, il ne manquerait plus que ça! Il n′y a pas de raison! de notre temps on réserve ça aux princes du sang.» Je ne touchai pas plus les Cambremer que Mme Verdurin par mon enthousiasme pour leur maison. Car j′étais froid devant des beautés qu′ils me signalaient et m′exaltais de réminiscences confuses; quelquefois même je leur avouais ma déception, ne trouvant pas quelque chose conforme à ce que son nom m′avait fait imaginer. J′indignai Mme de Cambremer en lui disant que j′avais cru que c′était plus campagne. En revanche, je m′arrêtai avec extase à renifler l′odeur d′un vent coulis qui passait par la porte. «Je vois que vous aimez les courants d′air», me dirent-ils. Mon éloge du morceau de lustrine verte bouchant un carreau cassé n′eut pas plus de succès: «Mais quelle horreur!» s′écria la marquise. Le comble fut quand je dis: «Ma plus grande joie a été quand je suis arrivé. Quand j′ai entendu résonner mes pas dans la galerie, je ne sais pas dans quel bureau de mairie de village, où il y a la carte du canton, je me crus entré.» Cette fois Mme de Cambremer me tourna résolument le dos. «Vous n′avez pas trouvé tout cela trop mal arrangé? lui demanda son mari avec la même sollicitude apitoyée que s′il se fût informé comment sa femme avait supporté une triste cérémonie. Il y a de belles choses.» Mais comme la malveillance, quand les règles fixes d′un goût sûr ne lui imposent pas de bornes inévitables, trouve tout à critiquer, de leur personne ou de leur maison, chez les gens qui vous ont supplantés: «Oui, mais elles ne sont pas à leur place. Et voire, sont-elles si belles que ça? — Vous avez remarqué, dit M. de Cambremer avec une tristesse que contenait quelque fermeté, il y a des toiles de Jouy qui montrent la corde, des choses tout usées dans ce salon! — Et cette pièce d′étoffe avec ses grosses roses, comme un couvre-pied de paysanne», dit Mme de Cambremer, dont la culture toute postiche s′appliquait exclusivement à la philosophie idéaliste, à la peinture impressionniste et à la musique de Debussy. Et pour ne pas requérir uniquement au nom du luxe mais aussi du goût: «Et ils ont mis des brise-bise! Quelle faute de style! Que voulez-vous, ces gens, ils ne savent pas, où auraient-ils appris? ça doit être de gros commerçants retirés. C′est déjà pas mal pour eux. — Les chandeliers m′ont paru beaux», dit le marquis, sans qu′on sût pourquoi il exceptait les chandeliers, de même qu′inévitablement, chaque fois qu′on parlait d′une église, que ce fût la cathédrale de Chartres, de Reims, d′Amiens, ou l′église de Balbec, ce qu′il s′empressait toujours de citer comme admirable c′était: «le buffet d′orgue, la chaire et les oeuvres de miséricorde». «Quant au jardin, n′en parlons pas, dit Mme de Cambremer. C′est un massacre. Ces allées qui s′en vont tout de guingois!» Je profitai de ce que Mme Verdurin servait le café pour aller jeter un coup d′oeil sur la lettre que M. de Cambremer m′avait remise, et où sa mère m′invitait à dîner. Avec ce rien d′encre, l′écriture traduisait une individualité désormais pour moi reconnaissable entre toutes, sans qu′il y eût plus besoin de recourir à l′hypothèse de plumes spéciales que des couleurs rares et mystérieusement fabriquées ne sont nécessaires au peintre pour exprimer sa vision originale.   Mme. Verdurin came across to me to shew me Elstir′s flowers. If this action, to which I had grown so indifferent, of going out to dinner, had on the contrary, taking the form that made it entirely novel, of a journey along the coast, followed by an ascent in a carriage to a point six hundred feet above the sea, produced in me a sort of intoxication, this feeling had not been dispelled at la Raspelière. “Just look at this, now,” said the Mistress, shewing me some huge and splendid roses by Elstir, whose unctuous scarlet and rich white stood out, however, with almost too creamy a relief from the flower-stand upon which they were arranged. “Do you suppose he would still have to touch to get that? Don′t you call that striking? And besides, it′s fine as matter, it would be amusing to handle. I can′t tell you how amusing it was to watch him painting them. One could feel that he was interested in trying to get just that effect.” And the Mistress′s gaze rested musingly on this present from the artist in which were combined not merely his great talent but their long friendship which survived only in these mementoes of it which he had bequeathed to her; behind the flowers which long ago he had picked for her, she seemed to see the shapely hand that had painted them, in the course of a morning, in their freshness, so that, they on the table, it leaning against the back of a chair, had been able to meet face to face at the Mistress′s luncheon party, the roses still alive and their almost lifelike portrait. Almost only, for Elstir was unable to look at a flower without first transplanting it to that inner garden in which we are obliged always to remain. He had shewn in this water-colour the appearance of the roses which he had seen, and which, but for him, no one would ever have known; so that one might say that they were a new variety with which this painter, like a skilful gardener, had enriched the family of the Roses. “From the day he left the little nucleus, he was finished. It seems, my dinners made him waste his time, that I hindered the development of his genius,” she said in a tone of irony. “As if the society of a woman like myself could fail to be beneficial to an artist,” she exclaimed with a burst of pride. Close beside us, M. de Cambremer, who was already seated, seeing that M. de Charlus was standing, made as though to rise and offer him his chair. This offer may have arisen, in the Marquis′s mind, from nothing more than a vague wish to be polite. M. de Charlus preferred to attach to it the sense of a duty which the plain gentleman knew that he owed to a Prince, and felt that he could not establish his right to this precedence better than by declining it. And so he exclaimed: “What are you doing? I beg of you! The idea!” The astutely vehement tone of this protest had in itself something typically ‘Guermantes′ which became even more evident in the imperative, superfluous and familiar gesture with which he brought both his hands down, as though to force him to remain seated, upon the shoulders of M. de Cambremer who had not risen. “Come, come, my dear fellow,” the Baron insisted, “this is too much. There is no reason for it! In these days we keep that for Princes of the Blood.” I made no more effect on the Cambremers than on Mme. Verdurin by my enthusiasm for their house. For I remained cold to the beauties which they pointed out to me and grew excited over confused reminiscences; at times I even confessed my disappointment at not finding something correspond to what its name had made me imagine. I enraged Mme. de Cambremer by telling her that I had supposed the place to be more in the country. On the other hand I broke off in an ecstasy to sniff the fragrance of a breeze that crept in through the chink of the door. “I see you like draughts,” they said to me. My praise of the patch of green lining-cloth that had been pasted over a broken pane met with no greater success: “How frightful!” cried the Marquise. The climax came when I said: “My greatest joy was when I arrived. When I heard my step echoing along the gallery, I felt that I had come into some village council-office, with a map of the district on the wall.” This time, Mme. de Cambremer resolutely turned her back on me. “You don′t think the arrangement too bad?” her husband asked her with the same compassionate anxiety with which he would have inquired how his wife had stood some painful ceremony. “They have some fine things.” But, inasmuch as malice, when the hard and fast rules of sure taste do not confine it within fixed limits, finds fault with everything, in the persons or in the houses, of the people who have supplanted the critic: “Yes, but they are not in the right places. Besides, are they really as fine as all that?” “You noticed,” said M. de Cambremer, with a melancholy that was controlled by a note of firmness, “there are some Jouy hangings that are worn away, some quite threadbare things in this drawing-room!” “And that piece of stuff with its huge roses, like a peasant woman′s quilt,” said Mme. de Cambremer whose purely artificial culture was confined exclusively to idealist philosophy, impressionist painting and Debussy′s music. And, so as not to criticise merely in the name of smartness but in that of good taste: “And they have put up windscreens! Such bad style! What can you expect of such people, they don′t know, where could they have learned? They must be retired tradespeople. It′s really not bad for them.” “I thought the chandeliers good,” said the Marquis, though it was not evident why he should make an exception of the chandeliers, just as inevitably, whenever anyone spoke of a church, whether it was the Cathedral of Chartres, or of Rheims, or of Amiens, or the church at Balbec, what he would always make a point of mentioning as admirable would be: “the organ-loft, the pulpit and the misericords.” “As for the garden, don′t speak about it,” said Mme. de Cambremer. “It′s a massacre. Those paths running all crooked.” I seized the opportunity while Mme. Verdurin was pouring out coffee to go and glance over the letter which M. de Cambremer had brought me, and in which his mother invited me to dinner. With that faint trace of ink, the handwriting revealed an individuality which in the future I should be able to recognise among a thousand, without any more need to have recourse to the hypothesis of special pens, than to suppose that rare and mysteriously blended colours are necessary to enable a painter to express his original vision.
Même un paralysé, atteint d′agraphie après une attaque et réduit à regarder les caractères comme un dessin, sans savoir les lire, aurait compris que Mme de Cambremer appartenait à une vieille famille où la culture enthousiaste des lettres et des arts avait donné un peu d′air aux traditions aristocratiques. Il aurait deviné aussi vers quelles années la marquise avait appris simultanément à écrire et à jouer Chopin. C′était l′époque où les gens bien élevés observaient la règle d′être aimables et celle dite des trois adjectifs. Mme de Cambremer les combinait toutes les deux. Un adjectif louangeux ne lui suffisait pas, elle le faisait suivre (après un petit tiret) d′un second, puis (après un deuxième tiret) d′un troisième. Mais ce qui lui était particulier, c′est que, contrairement au but social et littéraire qu′elle se proposait, la succession des trois épithètes revêtait, dans les billets de Mme de Cambremer, l′aspect non d′une progression, mais d′un diminuendo. Mme de Cambremer me dit, dans cette première lettre, qu′elle avait vu Saint–Loup et avait encore plus apprécié que jamais ses qualités «uniques — rares — réelles», et qu′il devait revenir avec un de ses amis (précisément celui qui aimait la belle-fille), et que, si je voulais venir, avec ou sans eux, dîner à Féterne, elle en serait «ravie — heureuse — contente». Peut-être était-ce parce que le désir d′amabilité n′était pas égalé chez elle par la fertilité de l′imagination et la richesse du vocabulaire que cette dame tenait à pousser trois exclamations, n′avait la force de donner dans la deuxième et la troisième qu′un écho affaibli de la première. Qu′il y eût eu seulement un quatrième adjectif, et de l′amabilité initiale il ne serait rien resté. Enfin, par une certaine simplicité raffinée qui n′avait pas dû être sans produire une impression considérable dans la famille et même le cercle des relations, Mme de Cambremer avait pris l′habitude de substituer au mot, qui pouvait finir par avoir l′air mensonger, de «sincère», celui de «vrai». Et pour bien montrer qu′il s′agissait en effet de quelque chose de sincère, elle rompait l′alliance conventionnelle qui eût mis «vrai» avant le substantif, et le plantait bravement après. Ses lettres finissaient par: «Croyez à mon amitié vraie.» «Croyez à ma sympathie vraie.» Malheureusement c′était tellement devenu une formule que cette affectation de franchise donnait plus l′impression de la politesse menteuse que les antiques formules au sens desquelles on ne songe plus. J′étais d′ailleurs gêné pour lire par le bruit confus des conversations que dominait la voix plus haute de M. de Charlus n′ayant pas lâché son sujet et disant à M. de Cambremer: «Vous me faisiez penser, en voulant que je prisse votre place, à un Monsieur qui m′a envoyé ce matin une lettre en mettant comme adresse: «A son Altesse, le Baron de Charlus», et qui la commençait par: «Monseigneur». — En effet, votre correspondant exagérait un peu», répondit M. de Cambremer en se livrant à une discrète hilarité. M. de Charlus l′avait provoquée; il ne la partagea pas. «Mais dans le fond, mon cher, dit-il, remarquez que, héraldiquement parlant, c′est lui qui est dans le vrai; je n′en fais pas une question de personne, vous pensez bien. J′en parle comme s′il s′agissait d′un autre. Mais que voulez-vous, l′histoire est l′histoire, nous n′y pouvons rien et il ne dépend pas de nous de la refaire. Je ne vous citerai pas l′empereur Guillaume qui, à Kiel, n′a jamais cessé de me donner du Monseigneur. J′ai ouퟤire qu′il appelait ainsi tous les ducs français, ce qui est abusif, et ce qui est peut-être simplement une délicate attention qui, par-dessus notre tête, vise la France. — Délicate et plus ou moins sincère, dit M. de Cambremer. Ah! je ne suis pas de votre avis. Remarquez que, personnellement, un seigneur de dernier ordre comme ce Hohenzollern, de plus protestant, et qui a dépossédé mon cousin le roi de Hanovre, n′est pas pour me plaire, ajouta M. de Charlus, auquel le Hanovre semblait tenir plus à coeur que l′Alsace–Lorraine. Mais je crois le penchant qui porte l′Empereur vers nous profondément sincère. Les imbéciles vous diront que c′est un Empereur de théâtre. Il est au contraire merveilleusement intelligent, il ne s′y connaît pas en peinture, et il a forcé M. Tschudi de retirer les Elstir des musées nationaux. Mais Louis XIV n′aimait pas les maîtres hollandais, avait aussi le goût de l′apparat, et a été, somme toute, un grand souverain. Encore Guillaume Il a-t-il armé son pays, au point de vue militaire et naval, comme Louis XIV n′avait pas fait, et j′espère que son règne ne connaîtra jamais les revers qui ont assombri, sur la fin, le règne de celui qu′on appelle banalement le Roi Soleil. La République a commis une grande faute, à mon avis, en repoussant les amabilités du Hohenzollern ou en ne les lui rendant qu′au compte-gouttes. Il s′en rend lui-même très bien compte et dit, avec ce don d′expression qu′il a: «Ce que je veux, c′est une poignée de mains, ce n′est pas un coup de chapeau.» Comme homme, il est vil; il a abandonné, livré, renié ses meilleurs amis dans des circonstances où son silence a été aussi misérable que le leur a été grand, continua M. de Charlus qui, emporté toujours sur sa pente, glissait vers l′affaire Eulenbourg et se rappelait le mot que lui avait dit l′un des inculpés les plus haut placés: «Faut-il que l′Empereur ait confiance en notre délicatesse pour avoir osé permettre un pareil procès. Mais, d′ailleurs, il ne s′est pas trompé en ayant eu foi dans notre discrétion. Jusque sur l′échafaud nous aurions fermé la bouche.» Du reste, tout cela n′a rien à voir avec ce que je voulais dire, à savoir qu′en Allemagne, princes médiatisés, nous sommes Durchlaucht, et qu′en France notre rang d′Altesse était publiquement reconnu. Saint–Simon prétend que nous l′avions pris par abus, ce en quoi il se trompe parfaitement. La raison qu′il en donne, à savoir que Louis XIV nous fit faire défense de l′appeler le Roi très chrétien, et nous ordonna de l′appeler le Roi tout court, prouve simplement que nous relevions de lui et nullement que nous n′avions pas la qualité de prince. Sans quoi, il aurait fallu le dénier au duc de Lorraine et à combien d′autres. D′ailleurs, plusieurs de nos titres viennent de la Maison de Lorraine par Thérèse d′Espinoy, ma bisale, qui était la fille du damoiseau de Commercy.» S′étant aperçu que Morel l′écoutait, M. de Charlus développa plus amplement les raisons de sa prétention. «J′ai fait observer à mon frère que ce n′est pas dans la troisième partie du Gotha, mais dans la deuxième, pour ne pas dire dans la première, que la notice sur notre famille devrait se trouver, dit-il sans se rendre compte que Morel ne savait pas ce qu′était le Gotha. Mais c′est lui que ça regarde, il est mon chef d′armes, et du moment qu′il le trouve bon ainsi et qu′il laisse passer la chose, je n′ai qu′à fermer les yeux. — M. Brichot m′a beaucoup intéressé, dis-je à Mme Verdurin qui venait à moi, et tout en mettant la lettre de Mme de Cambremer dans ma poche. — C′est un esprit cultivé et un brave homme, me répondit-elle froidement. Il manque évidemment d′originalité et de goût, il a une terrible mémoire. On disait des «ax» des gens que nous avons ce soir, les émigrés, qu′ils n′avaient rien oublié. Mais ils avaient du moins l′excuse, dit-elle en prenant à son compte un mot de Swann, qu′ils n′avaient rien appris. Tandis que Brichot sait tout, et nous jette à la tête, pendant le dîner, des piles de dictionnaires. Je crois que vous n′ignorez plus rien de ce que veut dire le nom de telle ville, de tel village.» Pendant que Mme Verdurin parlait, je pensais que je m′étais promis de lui demander quelque chose, mais je ne pouvais me rappeler ce que c′était. «Je suis sûr que vous parlez de Brichot. Hein, Chantepie, et Freycinet, il ne vous a fait grâce de rien. Je vous ai regardée, ma petite Patronne. — Je vous ai bien vu, j′ai failli éclater.» Je ne saurais dire aujourd′hui comment Mme Verdurin était habillée ce soir-là. Peut-être, au moment, ne le savais-je pas davantage, car je n′ai pas l′esprit d′observation. Mais, sentant que sa toilette n′était pas sans prétention, je lui dis quelque chose d′aimable et même d′admiratif. Elle était comme presque toutes les femmes, lesquelles s′imaginent qu′un compliment qu′on leur fait est la stricte expression de la vérité, et que c′est un jugement qu′on porte impartialement, irrésistiblement, comme s′il s′agissait d′un objet d′art ne se rattachant pas à une personne. Aussi fut-ce avec un sérieux qui me fit rougir de mon hypocrisie qu′elle me posa cette orgueilleuse et naîµ¥ question, habituelle en pareilles circonstances: «Cela vous plaît? — Vous parlez de Chantepie, je suis sûr», dit M. Verdurin s′approchant de nous. J′avais été seul, pensant à ma lustrine verte et à une odeur de bois, à ne pas remarquer qu′en énumérant ces étymologies, Brichot avait fait rire de lui. Et comme les impressions qui donnaient pour moi leur valeur aux choses étaient de celles que les autres personnes ou n′éprouvent pas, ou refoulent sans y penser, comme insignifiantes, et que, par conséquent, si j′avais pu les communiquer elles fussent restées incomprises ou auraient été dédaignées, elles étaient entièrement inutilisables pour moi et avaient de plus l′inconvénient de me faire passer pour stupide aux yeux de Mme Verdurin, qui voyait que j′avais «gobé» Brichot, comme je l′avais déjà paru à Mme de Guermantes parce que je me plaisais chez Mme d′Arpajon. Pour Brichot pourtant il y avait une autre raison. Je n′étais pas du petit clan. Et dans tout clan, qu′il soit mondain, politique, littéraire, on contracte une facilité perverse à découvrir dans une conversation, dans un discours officiel, dans une nouvelle, dans un sonnet, tout ce que l′honnête lecteur n′aurait jamais songé à y voir. Que de fois il m′est arrivé, lisant avec une certaine émotion un conte habilement filé par un académicien disert et un peu vieillot, d′être sur le point de dire à Bloch ou à Mme de Guermantes: «Comme c′est joli!» quand, avant que j′eusse ouvert la bouche, ils s′écriaient, chacun dans un langage différent: «Si vous voulez passer un bon moment, lisez un conte de un tel. La stupidité humaine n′a jamais été aussi loin.» Le mépris de Bloch provenait surtout de ce que certains effets de style, agréables du reste, étaient un peu fanés; celui de Mme de Guermantes de ce que le conte semblait prouver justement le contraire de ce que voulait dire l′auteur, pour des raisons de fait qu′elle avait l′ingéniosité de déduire mais auxquelles je n′eusse jamais pensé. Je fus aussi surpris de voir l′ironie que cachait l′amabilité apparente des Verdurin pour Brichot que d′entendre, quelques jours plus tard, à Féterne, les Cambremer me dire, devant l′éloge enthousiaste que je faisais de la Raspelière: «Ce n′est pas possible que vous soyez sincère, après ce qu′ils en ont fait.» Il est vrai qu′ils avouèrent que la vaisselle était belle. Pas plus que les choquants brise-bise, je ne l′avais vue. «Enfin, maintenant, quand vous retournerez à Balbec, vous saurez ce que Balbec signifie», dit ironiquement M. Verdurin. C′était justement les choses que m′apprenait Brichot qui m′intéressaient. Quant à ce qu′on appelait son esprit, il était exactement le même qui avait été si goûté autrefois dans le petit clan. Il parlait avec la même irritante facilité, mais ses paroles ne portaient plus, avaient à vaincre un silence hostile ou de désagréables échos; ce qui avait changé était, non ce qu′il débitait, mais l′acoustique du salon et les dispositions du public. «Gare», dit à mi-voix Mme Verdurin en montrant Brichot. Celui-ci, ayant gardé l′ouplus perçante que la vue, jeta sur la Patronne un regard, vite détourné, de myope et de philosophe. Si ses yeux étaient moins bons, ceux de son esprit jetaient en revanche sur les choses un plus large regard. Il voyait le peu qu′on pouvait attendre des affections humaines, il s′y était résigné. Certes il en souffrait. Il arrive que, même celui qui un seul soir, dans un milieu où il a l′habitude de plaire, devine qu′on l′a trouvé ou trop frivole, ou trop pédant, ou trop gauche, ou trop cavalier, etc . . ., rentre chez lui malheureux. Souvent c′est à cause d′une question d′opinions, de système, qu′il a paru à d′autres absurde ou vieux-jeu. Souvent il sait à merveille que ces autres ne le valent pas. Il pourrait aisément disséquer les sophismes à l′aide desquels on l′a condamné tacitement, il veut aller faire une visite, écrire une lettre: plus sage, il ne fait rien, attend l′invitation de la semaine suivante. Parfois aussi ces disgrâces, au lieu de finir en une soirée, durent des mois. Dues à l′instabilité des jugements mondains, elles l′augmentent encore. Car celui qui sait que Mme X . . . le méprise, sentant qu′on l′estime chez Mme Y . . ., la déclare bien supérieure et émigre dans son salon. Au reste, ce n′est pas le lieu de peindre ici ces hommes, supérieurs à la vie mondaine mais n′ayant pas su se réaliser en dehors d′elle, heureux d′être reçus, aigris d′être méconnus, découvrant chaque année les tares de la maîtresse de maison qu′ils encensaient, et le génie de celle qu′ils n′avaient pas appréciée à sa valeur, quitte à revenir à leurs premières amours quand ils auront souffert des inconvénients qu′avaient aussi les secondes, et que ceux des premières seront un peu oubliés. On peut juger, par ces courtes disgrâces, du chagrin que causait à Brichot celle qu′il savait définitive. Il n′ignorait pas que Mme Verdurin riait parfois publiquement de lui, même de ses infirmités, et sachant le peu qu′il faut attendre des affections humaines, s′y étant soumis, il ne considérait pas moins la Patronne comme sa meilleure amie. Mais à la rougeur qui couvrit le visage de l′universitaire, Mme Verdurin comprit qu′il l′avait entendue et se promit d′être aimable pour lui pendant la soirée. Je ne pus m′empêcher de lui dire qu′elle l′était bien peu pour Saniette. «Comment, pas gentille! Mais il nous adore, vous ne savez pas ce que nous sommes pour lui! Mon mari est quelquefois un peu agacé de sa stupidité, et il faut avouer qu′il y a de quoi, mais dans ces moments-là, pourquoi ne se rebiffe-t-il pas davantage, au lieu de prendre ces airs de chien couchant? Ce n′est pas franc. Je n′aime pas cela. Ça n′empêche pas que je tâche toujours de calmer mon mari parce que, s′il allait trop loin, Saniette n′aurait qu′à ne pas revenir; et cela je ne le voudrais pas parce que je vous dirai qu′il n′a plus un sou, il a besoin de ses dîners. Et puis, après tout, si il se froisse, qu′il ne revienne pas, moi ce n′est pas mon affaire, quand on a besoin des autres on tâche de ne pas être aussi idiot. — Le duché d′Aumale a été longtemps dans notre famille avant d′entrer dans la Maison de France, expliquait M. de Charlus à M. de Cambremer, devant Morel ébahi et auquel, à vrai dire, toute cette dissertation était sinon adressée du moins destinée. Nous avions le pas sur tous les princes étrangers; je pourrais vous en donner cent exemples. La princesse de Croy ayant voulu, à l′enterrement de Monsieur, se mettre à genoux après ma trisale, celle-ci lui fit vertement remarquer qu′elle n′avait pas droit au carreau, le fit retirer par l′officier de service et porta la chose au Roi, qui ordonna à Mme de Croy d′aller faire des excuses à Mme de Guermantes chez elle. Le duc de Bourgogne étant venu chez nous avec les huissiers, la baguette levée, nous obtînmes du Roi de la faire abaisser. Je sais qu′il y a mauvaise grâce à parler des vertus des siens. Mais il est bien connu que les nôtres ont toujours été de l′avant à l′heure du danger. Notre cri d′armes, quand nous avons quitté celui des ducs de Brabant, a été «Passavant». De sorte qu′il est, en somme, assez légitime que ce droit d′être partout les premiers, que nous avions revendiqué pendant tant de siècles à la guerre, nous l′ayons obtenu ensuite à la Cour. Et dame, il nous y a toujours été reconnu. Je vous citerai encore comme preuve la princesse de Baden. Comme elle s′était oubliée jusqu′à vouloir disputer son rang à cette même duchesse de Guermantes de laquelle je vous parlais tout à l′heure, et avait voulu entrer la première chez le Roi en profitant d′un mouvement d′hésitation qu′avait peut-être eu ma parente (bien qu′il n′y en eût pas à avoir), le Roi cria vivement: «Entrez, entrez, ma cousine, Madame de Baden sait trop ce qu′elle vous doit.» Et c′est comme duchesse de Guermantes qu′elle avait ce rang, bien que par elle-même elle fût d′assez grande naissance puisqu′elle était par sa mère nièce de la Reine de Pologne, de la Reine d′Hongrie, de l′Électeur Palatin, du prince de Savoie–Carignan et du prince d′Hanovre, ensuite Roi d′Angleterre. — Mæcenas atavis edite regibus! dit Brichot en s′adressant à M. de Charlus, qui répondit par une légère inclinaison de tête à cette politesse. — Qu′est-ce que vous dites? demanda Mme Verdurin à Brichot, envers qui elle aurait voulu tâcher de réparer ses paroles de tout à l′heure. Je parlais, Dieu m′en pardonne, d′un dandy qui était la fleur du gratin (Mme Verdurin fronça les sourcils), environ le siècle d′Auguste (Mme Verdurin, rassurée par l′éloignement de ce gratin, prit une expression plus sereine), d′un ami de Virgile et d′Horace qui poussaient la flagornerie jusqu′à lui envoyer en pleine figure ses ascendances plus qu′aristocratiques, royales, en un mot je parlais de Mécène, d′un rat de bibliothèque qui était ami d′Horace, de Virgile, d′Auguste. Je suis sûr que M. de Charlus sait très bien à tous égards qui était Mécène.» Regardant gracieusement Mme Verdurin du coin de l′oeil, parce qu′il l′avait entendue donner rendez-vous à Morel pour le surlendemain et qu′il craignait de ne pas être invité: «Je crois, dit M. de Charlus, que Mécène, c′était quelque chose comme le Verdurin de l′antiquité.» Mme Verdurin ne put réprimer qu′à moitié un sourire de satisfaction. Elle alla vers Morel. «Il est agréable l′ami de vos parents, lui dit-elle. On voit que c′est un homme instruit, bien élevé. Il fera bien dans notre petit noyau. Où donc demeure-t-il à Paris?» Morel garda un silence hautain et demanda seulement à faire une partie de cartes. Mme Verdurin exigea d′abord un peu de violon. A l′étonnement général, M. de Charlus, qui ne parlait jamais des grands dons qu′il avait, accompagna, avec le style le plus pur, le dernier morceau (inquiet, tourmenté, schumanesque, mais enfin antérieur à la Sonate de Franck) de la Sonate pour piano et violon de Fauré. Je sentis qu′il donnerait à Morel, merveilleusement doué pour le son et la virtuosité, précisément ce qui lui manquait, la culture et le style. Mais je songeai avec curiosité à ce qui unit chez un même homme une tare physique et un don spirituel. M. de Charlus n′était pas très différent de son frère, le duc de Guermantes. Même, tout à l′heure (et cela était rare), il avait parlé un aussi mauvais français que lui. Me reprochant (sans doute pour que je parlasse en termes chaleureux de Morel à Mme Verdurin) de n′aller jamais le voir, et moi invoquant la discrétion, il m′avait répondu: «Mais puisque c′est moi qui vous le demande, il n′y a que moi qui pourrais m′en formaliser.» Cela aurait pu être dit par le duc de Guermantes. M. de Charlus n′était, en somme, qu′un Guermantes. Mais il avait suffi que la nature déséquilibrât suffisamment en lui le système nerveux pour qu′au lieu d′une femme, comme eût fait son frère le duc, il préférât un berger de Virgile ou un élève de Platon, et aussitôt des qualités inconnues au duc de Guermantes, et souvent liées à ce déséquilibre, avaient fait de M. de Charlus un pianiste délicieux, un peintre amateur qui n′était pas sans goût, un éloquent discoureur. Le style rapide, anxieux, charmant avec lequel M. de Charlus jouait le morceau schumanesque de la Sonate de Fauré, qui aurait pu discerner que ce style avait son correspondant — on n′ose dire sa cause — dans des parties toutes physiques, dans les défectuosités de M. de Charlus? Nous expliquerons plus tard ce mot de défectuosités nerveuses et pour quelles raisons un Grec du temps de Socrate, un Romain du temps d′Auguste, pouvaient être ce qu′on sait tout en restant des hommes absolument normaux, et non des hommes-femmes comme on en voit aujourd′hui. De même qu′il avait de réelles dispositions artistiques, non venues à terme, M. de Charlus avait, bien plus que le duc, aimé leur mère, aimé sa femme, et même des années après, quand on lui en parlait, il avait des larmes, mais superficielles, comme la transpiration d′un homme trop gros, dont le front pour un rien s′humecte de sueur. Avec la différence qu′à ceux-ci on dit: «Comme vous avez chaud», tandis qu′on fait semblant de ne pas voir les pleurs des autres. On, c′est-à-dire le monde; car le peuple s′inquiète de voir pleurer, comme si un sanglot était plus grave qu′une hémorragie. La tristesse qui suivit la mort de sa femme, grâce à l′habitude de mentir, n′excluait pas chez M. de Charlus une vie qui n′y était pas conforme. Plus tard même, il eut l′ignominie de laisser entendre que, pendant la cérémonie funèbre, il avait trouvé le moyen de demander son nom et son adresse à l′enfant de choeur. Et c′était peut-être vrai. Indeed a paralytic, stricken with agraphia after a seizure, and compelled to look at the script as at a drawing without being able to read it, would have gathered that Mme. de Cambremer belonged to an old family in which the zealous cultivation of literature and the arts had supplied a margin to its artistocratic traditions. He would have guessed also the period in which the Marquise had learned simultaneously to write and to play Chopin′s music. It was the time when well-bred people observed the rule of affability and what was called the rule of the three adjectives. Mme. de Cambremer combined the two rules in one. A laudatory adjective was not enough for her, she followed it (after a little stroke of the pen) with a second, then (after another stroke), with a third. But, what was peculiar to herself was that, in defiance of the literary and social object at which she aimed, the sequence of the three epithets assumed in Mme. de Cambremer′s notes the aspect not of a progression but of a diminuendo. Mme. de Cambremer told me in this first letter that she had seen Saint-Loup and had appreciated more than ever his ‘unique — rare — real′ qualities, that he was coming to them again with one of his friends (the one who was in love with her daughter-in-law), and that if I cared to come, with or without them, to dine at Féterne she would be ‘delighted — happy — pleased.′ Perhaps it was because her desire to be friendly outran the fertility of her imagination and the riches of her vocabulary that the lady, while determined to utter three exclamations, was incapable of making the second and third anything more than feeble echoes of the first. Add but a fourth adjective, and, of her initial friendliness, there would be nothing left. Moreover, with a certain refined simplicity which cannot have failed to produce a considerable impression upon her family and indeed in her circle of acquaintance, Mme. de Cambremer had acquired the habit of substituting for the word (which might in time begin to ring false) ‘sincere,′ the word ‘true.′ And to shew that it was indeed by sincerity that she was impelled, she broke the conventional rule that would have placed the adjective ‘true′ before its noun, and planted it boldly after. Her letters ended with: “Croyez à mon amitié vraie.” “Croyez à ma sympathie vraie.” Unfortunately, this had become so stereotyped a formula that the affectation of frankness was more suggestive of a polite fiction than the time-honoured formulas, of the meaning of which people have ceased to think. I was, however, hindered from reading her letter by the confused sound of conversation over which rang out the louder accents of M. de Charlus, who, still on the same topic, was saying to M. de Cambremer: “You reminded me, when you offered me your chair, of a gentleman from whom I received a letter this morning, addressed: ‘To His Highness, the Baron de Charlus,′ and beginning ‘Monseigneur.′” “To be sure, your correspondent was slightly exaggerating,” replied M. de Cambremer, giving way to a discreet show of mirth. M. de Charlus had provoked this; he did not partake in it. “Well, if it comes to that, my dear fellow,” he said, “I may observe that, heraldically speaking, he was entirely in the right. I am not regarding it as a personal matter, you understand. I should say the same of anyone else. But one has to face the facts, history is history, we can′t alter it and it is not in our power to rewrite it. I need not cite the case of the Emperor William, who at Kiel never ceased to address me as ‘Monseigneur.′ I have heard it said that he gave the same title to all the Dukes of France, which was an abuse of the privilege, but was perhaps simply a delicate attention aimed over our heads at France herself.” “More delicate, perhaps, than sincere,” said M. de Cambremer. “Ah! There I must differ from you. Observe that, personally, a gentleman of the lowest rank such as that Hohenzollern, a Protestant to boot, and one who has usurped the throne of my cousin the King of Hanover, can be no favourite of mine,” added M. de Charlus, with whom the annexation of Hanover seemed to rankle more than that of Alsace-Lorraine. “But I believe the feeling that turns the Emperor in our direction to be profoundly sincere. Fools will tell you that he is a stage emperor. He is on the contrary marvellously intelligent; it is true that he knows nothing about painting, and has forced Herr Tschudi to withdraw the Elstirs from the public galleries. But Louis XIV did not appreciate the Dutch Masters, he had the same fondness for display, and yet he was, when all is said, a great Monarch. Besides, William II has armed his country from the military and naval point of view in a way that Louis XIV failed to do, and I hope that his reign will never know the reverses that darkened the closing days of him who is fatuously styled the Roi Soleil. The Republic made a great mistake, to my mind, in rejecting the overtures of the Hohenzollern, or responding to them only in driblets. He is very well aware of it himself and says, with that gift that he has for the right expression: ‘What I want is a clasped hand, not a raised hat.′ As a man, he is vile; he has abandoned, surrendered, denied his best friends, in circumstances in which his silence was as deplorable as theirs was grand,” continued M. de Charlus, who was irresistibly drawn by his own tendencies to the Eulenburg affair, and remembered what one of the most highly placed of the culprits had said to him: “The Emperor must have relied upon our delicacy to have dared to allow such a trial. But he was not mistaken in trusting to our discretion. We would have gone to the scaffold with our lips sealed.” “All that, however, has nothing to do with what I was trying to explain, which is that, in Germany, mediatised Princes like ourselves are Durchlaucht, and in France our rank of Highness was publicly recognised. Saint-Simon tries to make out that this was an abuse on our part, in which he is entirely mistaken. The reason that he gives, namely that Louis XIV forbade us to style him the Most Christian King and ordered us to call him simply the King, proves merely that we held our title from him, and not that we had not the rank of Prince. Otherwise, it would have to be withheld from the Duc de Lorraine and ever so many others. Besides, several of our titles come from the House of Lorraine through Thérèse d′Espinay, my great-grandmother, who was the daughter of the Damoiseau de Commercy.” Observing that Morel was listening, M. de Charlus proceeded to develop the reasons for his claim. “I have pointed out to my brother that it is not in the third part of Gotha, but in the second, not to say the first, that the account of our family ought to be included,” he said, without stopping to think that Morel did not know what ‘Gotha′ was. “But that is his affair, he is the Head of my House, and so long as he raises no objection and allows the matter to pass, I have only to shut my eyes.” “M. Brichot interests me greatly,” I said to Mme. Verdurin as she joined me, and I slipped Mme. de Cambremer′s letter into my pocket. “He has a cultured mind and is an excellent man,” she replied coldly. “Of course what he lacks is originality and taste, he has a terrible memory. They used to say of the ‘forebears′ of the people we have here this evening, the émigrés, that they had forgotten nothing. But they had at least the excuse,” she said, borrowing one of Swann′s epigrams, “that they had learned nothing. Whereas Brichot knows everything, and hurls chunks of dictionary at our heads during dinner. I′m sure you know everything now about the names of all the towns and villages.” While Mme. Verdurin was speaking, it occurred to me that I had determined to ask her something, but I could not remember what it was. I could not at this moment say what Mme. Verdurin was wearing that evening. Perhaps even then I was no more able to say, for I have not an observant mind. But feeling that her dress was not unambitious I said to her something polite and even admiring. She was like almost all women, who imagine that a compliment that is paid to them is a literal statement of the truth, and is a judgment impartially, irresistibly pronounced, as though it referred to a work of art that has no connexion with a person. And so it was with an earnestness which made me blush for my own hypocrisy that she replied with the proud and artless question, habitual in the circumstances: “You like it?” “I know you′re talking about Brichot. Eh, Chantepie, Freycinet, he spared you nothing. I had my eye on you, my little Mistress!” “I saw you, it was all I could do not to laugh.” “You are talking about Chantepie, I am certain,” said M. Verdurin, as he came towards us. I had been alone, as I thought of my strip of green cloth and of a scent of wood, in failing to notice that, while he discussed etymologies, Brichot had been provoking derision. And inasmuch as the expressions which, for me, gave their value to things were of the sort which other people either do not feel or reject without thinking of them, as unimportant, they were entirely useless to me and had the additional drawback of making me appear stupid in the eyes of Mme. Verdurin who saw that I had ‘swallowed′ Brichot, as before I had appeared stupid to Mme. de Guermantes, because I enjoyed going to see Mme. d′Arpajon. With Brichot, however, there was another reason. I was not one of the little clan. And in every clan, whether it be social, political, literary, one contracts a perverse facility in discovering in a conversation, in an official speech, in a story, in a sonnet, everything that the honest reader would never have dreamed of finding there. How many times have I found myself, after reading with a certain emotion a tale skilfully told by a learned and slightly old-fashioned Academician, on the point of saying to Bloch or to Mme. de Guermantes: “How charming this is!” when before I had opened my mouth they exclaimed, each in a different language: “If you want to be really amused, read a tale by So-and-so. Human stupidity has never sunk to greater depths.” Bloch′s scorn was aroused principally by the discovery that certain effects of style, pleasant enough in themselves, were slightly faded; that of Mme. de Guermantes because the tale seemed to prove the direct opposite of what the author meant, for reasons of fact which she had the ingenuity to deduce but which would never have occurred to me. I was no less surprised to discover the irony that underlay the Verdurins′ apparent friendliness for Brichot than to hear, some days later, at Féterne, the Cambremers say to me, on hearing my enthusiastic praise of la Raspelière: “It′s impossible that you can be sincere, after all they′ve done to it.” It is true that they admitted that the china was good. Like the shocking windscreens, it had escaped my notice. “Anyhow, when you go back to Balbec, you will know what Balbec means,” said M. Verdurin ironically. It was precisely the things Brichot had told me that interested me. As for what they called his mind, it was exactly the same mind that had at one time been so highly appreciated by the little clan. He talked with the same irritating fluency, but his words no longer carried, having to overcome a hostile silence or disagreeable echoes; what had altered was not the things that he said but the acoustics of the room and the attitude of his audience. “Take care,” Mme. Verdurin murmured, pointing to Brichot. The latter, whose hearing remained keener than his vision, darted at the mistress the hastily withdrawn gaze of a short-sighted philosopher. If his bodily eyes were less good, his mind′s eye on the contrary had begun to take a larger view of things. He saw how little was to be expected of human affection, and resigned himself to it. Undoubtedly the discovery pained him. It may happen that even the man who on one evening only, in a circle where he is usually greeted with joy, realises that the others have found him too frivolous or too pedantic or too loud, or too forward, or whatever it may be, returns home miserable. Often it is a difference of opinion, or of system, that has made him appear to other people absurd or old-fashioned. Often he is perfectly well aware that those others are inferior to himself. He could easily dissect the sophistries with which he has been tacitly condemned, he is tempted to pay a call, to write a letter: on second thoughts, he does nothing, awaits the invitation for the following week. Sometimes, too, these discomfitures, instead of ending with the evening, last for months. Arising from the instability of social judgments, they increase that instability further. For the man who knows that Mme. X despises him, feeling that he is respected at Mme. Y′s, pronounces her far superior to the other and emigrates to her house. This however is not the proper place to describe those men, superior to the life of society but lacking the capacity to realise their own worth outside it, glad to be invited, embittered by being disparaged, discovering annually the faults of the hostess to whom they have been offering incense and the genius of her whom they have never properly appreciated, ready to return to the old love when they shall have felt the drawbacks to be found equally in the new, and when they have begun to forget those of the old. We may judge by these temporary discomfitures the grief that Brichot felt at one which he knew to be final. He was not unaware that Mme. Verdurin sometimes laughed at him publicly, even at his infirmities, and knowing how little was to be expected of human affection, submitting himself to the facts, he continued nevertheless to regard the Mistress as his best friend. But, from the blush that swept over the scholar′s face, Mme. Verdurin saw that he had heard her, and made up her mind to be kind to him for the rest of the evening. I could not help remarking to her that she had not been very kind to Saniette. “What! Not kind to him! Why, he adores us, you can′t imagine what we are to him. My husband is sometimes a little irritated by his stupidity, and you must admit that he has every reason, but when that happens why doesn′t he rise in revolt, instead of cringing like a whipped dog? It is not honest. I don′t like it. That doesn′t mean that I don′t always try to calm my husband, because if he went too far, all that would happen would be that Saniette would stay away; and I don′t want that because I may tell you that he hasn′t a penny in the world, he needs his dinners. But after all, if he does mind, he can stay away, it has nothing to do with me, when a person depends on other people he should try not to be such an idiot.” “The Duchy of Aumale was in our family for years before passing to the House of France,” M. de Charlus was explaining to M. de Cambremer, before a speechless Morel, for whom, as a matter of fact, the whole of this dissertation was, if not actually addressed to him, intended. “We took precedence over all foreign Princes; I could give you a hundred examples. The Princesse de Croy having attempted, at the burial of Monsieur, to fall on her knees after my great-great-grandmother, that lady reminded her sharply that she had not the privilege of the hassock, made the officer on duty remove it, and reported the matter to the King, who ordered Mme. de Croy to call upon Mme. de Guermantes and offer her apologies. The Duc de Bourgogne having come to us with ushers with raised wands, we obtained the King′s authority to have them lowered. I know it is not good form to speak of the merits of one′s own family. But it is well known that our people were always to the fore in the hour of danger. Our battle-cry, after we abandoned that of the Dukes of Brabant, was Passavant! So that it is fair enough after all that this right to be everywhere the first, which we had established for so many centuries in war, should afterwards have been confirmed to us at Court. And, egad, it has always been admitted there. I may give you a further instance, that of the Princess of Baden. As she had so far forgotten herself as to attempt to challenge the precedence of that same Duchesse de Guermantes of whom I was speaking just now, and had attempted to go in first to the King′s presence, taking advantage of a momentary hesitation which my relative may perhaps have shewn (although there could be no reason for it), the King called out: ‘Come in, cousin, come in; Mme. de Baden knows very well what her duty is to you.′ And it was as Duchesse de Guermantes that she held this rank, albeit she was of no mean family herself, since she was through her mother niece to the Queen of Poland, the Queen of Hungary, the Elector Palatine, the Prince of Savoy-Carignano and the Elector of Hanover, afterwards King of England.” “Maecenas atavis édite regibus!” said Brichot, addressing M. de Charlus, who acknowledged the compliment with a slight inclination of his head. “What did you say?” Mme. Verdurin asked Brichot, anxious to make amends to him for her previous speech. “I was referring, Heaven forgive me, to a dandy who was the pick of the basket” (Mme. Verdurin winced) “about the time of Augustus” (Mme. Verdurin, reassured by the remoteness in time of this basket, assumed a more serene expression), “of a friend of Virgil and Horace who carried their sycophancy to the extent of proclaiming to his face his more than aristocratic, his royal descent, in a word I was referring to Maecenas, a bookworm who was the friend of Horace, Virgil, Augustus. I am sure that M. de Charlus knows all about Maecenas.” With a gracious, sidelong glance at Mme. Verdurin, because he had heard her make an appointment with Morel for the day after next and was afraid that she might not invite him also, “I should say,” said M. de Charlus, “that Maecenas was more or less the Verdurin of antiquity.” Mme. Verdurin could not altogether suppress a smile of satisfaction. She went over to Morel. “He′s nice, your father′s friend,” she said to him. “One can see that he′s an educated man, and well bred. He will get on well in our little nucleus. What is his address in Paris?” Morel preserved a haughty silence and merely proposed a game of cards. Mme. Verdurin insisted upon a little violin music first. To the general astonishment, M. de Charlus, who never referred to his own considerable gifts, accompanied, in the purest style, the closing passage (uneasy, tormented, Schumannesque, but, for all that, earlier than Franck′s Sonata) of the Sonata for piano and violin by Fauré. I felt that he would furnish Morel, marvellously endowed as to tone and virtuosity, with just those qualities that he lacked, culture and style. But I thought with curiosity of this combination in a single person of a physical blemish and a spiritual gift. M. de Charlus was not very different from his brother, the Duc de Guermantes. Indeed, a moment ago (though this was rare), he had spoken as bad French as his brother. He having reproached me (doubtless in order that I might speak in glowing terms of Morel to Mme. Verdurin) with never coming to see him, and I having pleaded discretion, he had replied: “But, since it is I that asks you, there is no one but I who am in a position to take offence.” This might have been said by the Duc de Guermantes. M. de Charlus was only a Guermantes when all was said. But it had been enough that nature should upset the balance of his nervous system sufficiently to make him prefer to the woman that his brother the Duke would have chosen one of Virgil′s shepherds or Plato′s disciples, and at once qualities unknown to the Duc de Guermantes and often combined with this want of balance had made M. de Charlus an exquisite pianist, an amateur painter who was not devoid of taste, an eloquent talker. Who would ever have detected that the rapid, eager, charming style with which M. de Charlus played the Schumannesque passage of Fauré‘s Sonata had its equivalent — one dares not say its cause — in elements entirely physical, in the nervous defects of M. de Charlus? We shall explain later on what we mean by nervous defects, and why it is that a Greek of the time of Socrates, a Roman of the time of Augustus might be what we know them to have been and yet remain absolutely normal men, and not men-women such as we see around us to-day. Just as he had genuine artistic tendencies, which had never come to fruition, so M. de Charlus had, far more than the Duke, loved their mother, loved his own wife, and indeed, years after her death, if anyone spoke of her to him would shed tears, but superficial tears, like the perspiration of an over-stout man, whose brow will glisten with sweat at the slightest exertion. With this difference, that to the latter we say: “How hot you are,” whereas we pretend not to notice other people′s tears. We, that is to say, people in society; for the humbler sort are as distressed by the sight of tears as if a sob were more serious than a hemorrhage. His sorrow after the death of his wife, thanks to the habit of falsehood, did not debar M. de Charlus from a life which was not in harmony with it. Indeed later on, he sank so low as to let it be known that, during the funeral rites, he had found an opportunity of asking the acolyte for his name and address. And it may have been true.
Le morceau fini, je me permis de réclamer du Franck, ce qui eut l′air de faire tellement souffrir Mme de Cambremer que je n′insistai pas. «Vous ne pouvez pas aimer cela», me dit-elle. Elle demanda à la place Fêtes de Debussy, ce qui fit crier: «Ah! c′est sublime!» dès la première note. Mais Morel s′aperçut qu′il ne savait que les premières mesures et, par gaminerie, sans aucune intention de mystifier, il commença une marche de Meyerbeer. Malheureusement, comme il laissa peu de transitions et ne fit pas d′annonce, tout le monde crut que c′était encore du Debussy, et on continua à crier: «Sublime!» Morel, en révélant que l′auteur n′était pas celui de Pelléas, mais de Robert le Diable, jeta un certain froid. Mme de Cambremer n′eut guère le temps de le ressentir pour elle-même, car elle venait de découvrir un cahier de Scarlatti et elle s′était jetée dessus avec une impulsion d′hystérique. «Oh! jouez ça, tenez, ça, c′est divin», criait-elle. Et pourtant de cet auteur longtemps dédaigné, promu depuis peu aux plus grands honneurs, ce qu′elle élisait, dans son impatience fébrile, c′était un de ces morceaux maudits qui vous ont si souvent empêché de dormir et qu′une élève sans pitié recommence indéfiniment à l′étage contigu au vôtre. Mais Morel avait assez de musique, et comme il tenait à jouer aux cartes, M. de Charlus, pour participer à la partie, aurait voulu un whist. «Il a dit tout à l′heure au Patron qu′il était prince, dit Ski à Mme Verdurin, mais ce n′est pas vrai, il est d′une simple bourgeoisie de petits architectes. — Je veux savoir ce que vous disiez de Mécène. Ça m′amuse, moi, na!» redit Mme Verdurin à Brichot, par une amabilité qui grisa celui-ci. Aussi pour briller aux yeux de la Patronne et peut-être aux miens: «Mais à vrai dire, Madame, Mécène m′intéresse surtout parce qu′il est le premier apôtre de marque de ce Dieu chinois qui compte aujourd′hui en France plus de sectateurs que Brahma, que le Christ lui-même, le très puissant Dieu Jemenfou.» Mme Verdurin ne se contentait plus, dans ces cas-là, de plonger sa tête dans sa main. Elle s′abattait, avec la brusquerie des insectes appelés éphémères, sur la princesse Sherbatoff; si celle-ci était à peu de distance, la Patronne s′accrochait à l′aisselle de la princesse, y enfonçait ses ongles, et cachait pendant quelques instants sa tête comme un enfant qui joue à cache-cache. Dissimulée par cet écran protecteur, elle était censée rire aux larmes et pouvait aussi bien ne penser à rien du tout que les gens qui, pendant qu′ils font une prière un peu longue, ont la sage précaution d′ensevelir leur visage dans leurs mains. Mme Verdurin les imitait en écoutant les quatuors de Beethoven pour montrer à la fois qu′elle les considérait comme une prière et pour ne pas laisser voir qu′elle dormait. «Je parle fort sérieusement, Madame, dit Brichot. Je crois que trop grand est aujourd′hui le nombre des gens qui passent leur temps à considérer leur nombril comme s′il était le centre du monde. En bonne doctrine, je n′ai rien à objecter à je ne sais quel nirvana qui tend à nous dissoudre dans le grand Tout (lequel, comme Munich et Oxford, est beaucoup plus près de Paris qu′Asnières ou Bois–Colombes), mais il n′est ni d′un bon Français, ni même d′un bon Européen, quand les Japonais sont peut-être aux portes de notre Byzance, que des antimilitaristes socialisés discutent gravement sur les vertus cardinales du vers libre.» Mme Verdurin crut pouvoir lâcher l′épaule meurtrie de la princesse et elle laissa réapparaître sa figure, non sans feindre de s′essuyer les yeux et sans reprendre deux ou trois fois haleine. Mais Brichot voulait que j′eusse ma part de festin, et ayant retenu des soutenances de thèses, qu′il présidait comme personne, qu′on ne flatte jamais tant la jeunesse qu′en la morigénant, en lui donnant de l′importance, en se faisant traiter par elle de réactionnaire: «Je ne voudrais pas blasphémer les Dieux de la Jeunesse, dit-il en jetant sur moi ce regard furtif qu′un orateur accorde à la dérobée à quelqu′un présent dans l′assistance et dont il cite le nom. Je ne voudrais pas être damné comme hérétique et relaps dans la chapelle mallarméenne, où notre nouvel ami, comme tous ceux de son âge, a dû servir la messe ésotérique, au moins comme enfant de choeur, et se montrer déliquescent ou Rose–Croix. Mais vraiment, nous en avons trop vu de ces intellectuels adorant l′Art, avec un grand A, et qui, quand il ne leur suffit plus de s′alcooliser avec du Zola, se font des piqûres de Verlaine. Devenus éthéromanes par dévotion baudelairienne, ils ne seraient plus capables de l′effort viril que la patrie peut un jour ou l′autre leur demander, anesthésiés qu′ils sont par la grande névrose littéraire, dans l′atmosphère chaude, énervante, lourde de relents malsains, d′un symbolisme de fumerie d′opium.» Incapable de feindre l′ombre d′admiration pour le couplet inepte et bigarré de Brichot, je me détournai vers Ski et lui assurai qu′il se trompait absolument sur la famille à laquelle appartenait M. de Charlus; il me répondit qu′il était sûr de son fait et ajouta que je lui avais même dit que son vrai nom était Gandin, Le Gandin. «Je vous ai dit, lui répondis-je, que Mme de Cambremer était la soeur d′un ingénieur, M. Legrandin. Je ne vous ai jamais parlé de M. de Charlus. Il y a autant de rapport de naissance entre lui et Mme de Cambremer qu′entre le Grand Condé et Racine. — Ah! je croyais», dit Ski légèrement sans plus s′excuser de son erreur que, quelques heures avant, de celle qui avait failli nous faire manquer le train. «Est-ce que vous comptez rester longtemps sur la côte? demanda Mme Verdurin à M. de Charlus, en qui elle pressentait un fidèle et qu′elle tremblait de voir rentrer trop tôt à Paris. — Mon Dieu, on ne sait jamais, répondit d′un ton nasillard et traînant M. de Charlus. J′aimerais rester jusqu′à la fin de septembre. — Vous avez raison, dit Mme Verdurin; c′est le moment des belles tempêtes. — A bien vrai dire ce n′est pas ce qui me déterminerait. J′ai trop négligé depuis quelque temps l′Archange saint Michel, mon patron, et je voudrais le dédommager en restant jusqu′à sa fête, le 29 septembre, à l′Abbaye du Mont. —Ça vous intéresse beaucoup, ces affaires-là?» demanda Mme Verdurin, qui eût peut-être réussi à faire taire son anticléricalisme blessé si elle n′avait craint qu′une excursion aussi longue ne fit «lâcher» pendant quarante-huit heures le violoniste et le baron. «Vous êtes peut-être affligée de surdité intermittente, répondit insolemment M. de Charlus. Je vous ai dit que saint Michel était un de mes glorieux patrons.» Puis, souriant avec une bienveillante extase, les yeux fixés au loin, la voix accrue par une exaltation qui me sembla plus qu′esthétique, religieuse: «C′est si beau à l′offertoire, quand Michel se tient debout près de l′autel, en robe blanche, balançant un encensoir d′or, et avec un tel amas de parfums que l′odeur en monte jusqu′à Dieu. — On pourrait y aller en bande, suggéra Mme Verdurin, malgré son horreur de la calotte. — A ce moment-là, dès l′offertoire, reprit M. de Charlus qui, pour d′autres raisons mais de la même manière que les bons orateurs à la Chambre, ne répondait jamais à une interruption et feignait de ne pas l′avoir entendue, ce serait ravissant de voir notre jeune ami palestrinisant et exécutant même une Aria de Bach. Il serait fou de joie, le bon Abbé aussi, et c′est le plus grand hommage, du moins le plus grand hommage public, que je puisse rendre à mon Saint Patron. Quelle édification pour les fidèles! Nous en parlerons tout à l′heure au jeune Angelico musical, militaire comme saint Michel.»   When the piece came to an end, I ventured to ask for some Franck, which appeared to cause Mme. de Cambremer such acute pain that I did not insist. “You can′t admire that sort of thing,” she said to me. Instead she asked for Debussy′s Fêtes, which made her exclaim: “Ah! How sublime!” from the first note. But Morel discovered that he remembered the opening bars only, and in a spirit of mischief, without any intention to deceive, began a March by Meyerbeer. Unfortunately, as he left little interval and made no announcement, everybody supposed that he was still playing Debussy, and continued to exclaim ‘Sublime!′ Morel, by revealing that the composer was that not of Pelléas but of Robert le Diable created a certain chill. Mme. de Cambremer had scarcely time to feel it, for she had just discovered a volume of Scarlatti, and had flung herself upon it with an hysterical impulse. “Oh! Play this, look, this piece, it′s divine,” she cried. And yet, of this composer long despised, recently promoted to the highest honours, what she had selected in her feverish impatience was one of those infernal pieces which have so often kept us from sleeping, while a merciless pupil repeats them indefinitely on the next floor. But Morel had had enough music, and as he insisted upon cards, M. de Charlus, to be able to join in, proposed a game of whist. “He was telling the Master just now that he is a Prince,” said Ski to Mme. Verdurin, “but it′s not true, they′re quite a humble family of architects.” “I want to know what it was you were saying about Maecenas. It interests me, don′t you know!” Mme. Verdurin repeated to Brichot, with an affability that carried him off his feet. And so, in order to shine in the Mistress′s eyes, and possibly in mine: “Why, to tell you the truth, Madame, Maecenas interests me chiefly because he is the earliest apostle of note of that Chinese god who numbers more followers in France to-day than Brahma, than Christ himself, the all-powerful God Ubedamd.” Mme. Verdurin was no longer content, upon these occasions, with burying her head in her hands. She would descend with the suddenness of the insects called ephemeral upon Princess Sherbatoff; were the latter within reach the Mistress would cling to her shoulder, dig her nails into it, and hide her face against it for a few moments like a child playing at hide and seek. Concealed by this protecting screen, she was understood to be laughing until she cried and was as well able to think of nothing at all as people are who while saying a prayer that is rather long take the wise precaution of burying their faces in their hands. Mme. Verdurin used to imitate them when she listened to Beethoven quartets, so as at the same time to let it be seen that she regarded them as a prayer and not to let it be seen that she was asleep. “I am quite serious, Madame,” said Brichot. “Too numerous, I consider, to-day is become the person who spends his time gazing at his navel as though it were the hub of the universe. As a matter of doctrine, I have no objection to offer to some Nirvana which will dissolve us in the great Whole (which, like Munich and Oxford, is considerably nearer to Paris than Asnières or Bois-Colombes), but it is unworthy either of a true Frenchman, or of a true European even, when the Japanese are possibly at the gates of our Byzantium, that socialised anti-militarists should be gravely discussing the cardinal virtues of free verse.” Mme. Verdurin felt that she might dispense with the Princess′s mangled shoulder, and allowed her face to become once more visible, not without pretending to wipe her eyes and gasping two or three times for breath. But Brichot was determined that I should have my share in the entertainment, and having learned, from those oral examinations which he conducted so admirably, that the best way to flatter the young is to lecture them, to make them feel themselves important, to make them regard you as a reactionary: “I have no wish to blaspheme against the Gods of Youth,” he said, with that furtive glance at myself which a speaker turns upon a member of his audience whom he has mentioned by name. “I have no wish to be damned as a heretic and renegade in the Mallarméan chapel in which our new friend, like all the young men of his age, must have served the esoteric mass, at least as an acolyte, and have shewn himself deliquescent or Rosicrucian. But, really, we have seen more than enough of these intellectuals worshipping art with a big A, who, when they can no longer intoxicate themselves upon Zola, inject themselves with Verlaine. Become etheromaniacs out of Baudelairean devotion, they would no longer be capable of the virile effort which the country may, one day or another, demand of them, anaesthetised as they are by the great literary neurosis in the heated, enervating atmosphere, heavy with unwholesome vapours, of a symbolism of the opium-pipe.” Feeling incapable of feigning any trace of admiration for Brichot′s inept and motley tirade, I turned to Ski and assured him that he was entirely mistaken as to the family to which M. de Charlus belonged; he replied that he was certain of his facts, and added that I myself had said that his real name was Gandin, Le Gandin. “I told you,” was my answer, “that Mme. de Cambremer was the sister of an engineer, M. Legrandin. I never said a word to you about M. de Charlus. There is about as much connexion between him and Mme. de Cambremer as between the Great Condé and Racine.” “Indeed! I thought there was,” said Ski lightly, with no more apology for his mistake than he had made a few hours earlier for the mistake that had nearly made his party miss the train. “Do you intend to remain long on this coast?” Mme. Verdurin asked M. de Charlus, in whom she foresaw an addition to the faithful and trembled lest he should be returning too soon to Paris. “Good Lord, one never knows,” replied M. de Charlus in a nasal drawl. “I should like to stay here until the end of September.” “You are quite right,” said Mme. Verdurin; “that is the time for fine storms at sea.” “To tell you the truth, that is not what would influence me. I have for some time past unduly neglected the Archangel Saint Michael, my patron, and I should like to make amends to him by staying for his feast, on the 29th of September, at the Abbey on the Mount.” “You take an interest in all that sort of thing?” asked Mme. Verdurin, who might perhaps have succeeded in hushing the voice of her outraged anti-clericalism, had she not been afraid that so long an expedition might make the violinist and the Baron ‘fail′ her for forty-eight hours. “You are perhaps afflicted with intermittent deafness,” M. de Charlus replied insolently. “I have told you that Saint Michael is one of my glorious patrons.” Then, smiling with a benevolent ecstasy, his eyes gazing into the distance, his voice strengthened by an excitement which seemed now to be not merely aesthetic but religious: “It is so beautiful at the offertory when Michael stands erect by the altar, in a white robe, swinging a golden censer heaped so high with perfumes that the fragrance of them mounts up to God.” “We might go there in a party,” suggested Mme. Verdurin, notwithstanding her horror of the clergy. “At that moment, when the offertory begins,” went on M. de Charlus who, for other reasons but in the same manner as good speakers in Parliament, never replied to an interruption and would pretend not to have heard it, “it would be wonderful to see our young friend Palestrinising, indeed performing an aria by Bach. The worthy Abbot, too, would be wild with joy, and that is the greatest homage, at least the greatest public homage that I can pay to my Holy Patron. What an edification for the faithful! We must mention it presently to the young Angelico of music, a warrior like Saint Michael.”
Saniette, appelé pour faire le mort, déclara qu′il ne savait pas jouer au whist. Et Cottard, voyant qu′il n′y avait plus grand temps avant l′heure du train, se mit tout de suite à faire une partie d′écarté avec Morel. M. Verdurin, furieux, marcha d′un air terrible sur Saniette: «Vous ne savez donc jouer à rien!» cria-t-il, furieux d′avoir perdu l′occasion de faire un whist, et ravi d′en avoir trouvé une d′injurier l′ancien archiviste. Celui-ci, terrorisé, prit un air spirituel: «Si, je sais jouer du piano», dit-il. Cottard et Morel s′étaient assis face à face. «A vous l′honneur, dit Cottard. — Si nous nous approchions un peu de la table de jeu, dit à M. de Cambremer M. de Charlus, inquiet de voir le violoniste avec Cottard. C′est aussi intéressant que ces questions d′étiquette qui, à notre époque, ne signifient plus grand′chose. Les seuls rois qui nous restent, en France du moins, sont les rois des Jeux de Cartes, et il me semble qu′ils viennent à foison dans la main du jeune virtuose», ajouta-t-il bientôt, par une admiration pour Morel qui s′étendait jusqu′à sa manière de jouer, pour le flatter aussi, et enfin pour expliquer le mouvement qu′il faisait de se pencher sur l′épaule du violoniste. «Ié coupe», dit, en contrefaisant l′accent rastaquouère, Cottard, dont les enfants s′esclaffèrent comme faisaient ses élèves et le chef de clinique, quand le maître, même au lit d′un malade gravement atteint, lançait, avec un masque impassible d′épileptique, une de ses coutumières facéties. «Je ne sais pas trop ce que je dois jouer, dit Morel en consultant M. de Cambremer. — Comme vous voudrez, vous serez battu de toutes façons, ceci ou ça, c′est égal. —Égal . . . Ingalli? dit le docteur en coulant vers M. de Cambremer un regard insinuant et bénévole. C′était ce que nous appelons la véritable diva, c′était le rêve, une Carmen comme on n′en reverra pas. C′était la femme du rôle. J′aimais aussi y entendre Ingalli — marié.» Le marquis se leva avec cette vulgarité méprisante des gens bien nés qui ne comprennent pas qu′ils insultent le maître de maison en ayant l′air de ne pas être certains qu′on puisse fréquenter ses invités et qui s′excusent sur l′habitude anglaise pour employer une expression dédaigneuse: «Quel est ce Monsieur qui joue aux cartes? qu′est-ce qu′il fait dans la vie? qu′est-ce qu′il vend? J′aime assez à savoir avec qui je me trouve, pour ne pas me lier avec n′importe qui. Or je n′ai pas entendu son nom quand vous m′avez fait l′honneur de me présenter à lui.» Si M. Verdurin, s′autorisant de ces derniers mots, avait, en effet, présenté à ses convives M. de Cambremer, celui-ci l′eût trouvé fort mauvais. Mais sachant que c′était le contraire qui avait lieu, il trouvait gracieux d′avoir l′air bon enfant et modeste sans péril. La fierté qu′avait M. Verdurin de son intimité avec Cottard n′avait fait que grandir depuis que le docteur était devenu un professeur illustre. Mais elle ne s′exprimait plus sous la forme naîµ¥ d′autrefois. Alors, quand Cottard était à peine connu, si on parlait à M. Verdurin des névralgies faciales de sa femme: «Il n′y a rien à faire, disait-il, avec l′amour-propre nades gens qui croient que ce qu′ils connaissent est illustre et que tout le monde connaît le nom du professeur de chant de leur famille. Si elle avait un médecin de second ordre on pourrait chercher un autre traitement, mais quand ce médecin s′appelle Cottard (nom qu′il prononçait comme si c′eût été Bouchard ou Charcot), il n′y a qu′à tirer l′échelle.» Usant d′un procédé inverse, sachant que M. de Cambremer avait certainement entendu parler du fameux professeur Cottard, M. Verdurin prit un air simplet. «C′est notre médecin de famille, un brave coeur que nous adorons et qui se ferait couper en quatre pour nous; ce n′est pas un médecin, c′est un ami; je ne pense pas que vous le connaissiez ni que son nom vous dirait quelque chose; en tout cas, pour nous c′est le nom d′un bien bon homme, d′un bien cher ami, Cottard.» Ce nom, murmuré d′un air modeste, trompa M. de Cambremer qui crut qu′il s′agissait d′un autre. «Cottard? vous ne parlez pas du professeur Cottard?» On entendait précisément la voix dudit professeur qui, embarrassé par un coup, disait en tenant ses cartes: «C′est ici que les Athéniens s′atteignirent. — Ah! si, justement, il est professeur, dit M. Verdurin. — Quoi! le professeur Cottard! Vous ne vous trompez pas! Vous êtes bien sûr que c′est le même! celui qui demeure rue du Bac! — Oui, il demeure rue du Bac, 43. Vous le connaissez? — Mais tout le monde connaît le professeur Cottard. C′est une sommité! C′est comme si vous me demandiez si je connais Bouffe de Saint–Blaise ou Courtois–Suffit. J′avais bien vu, en l′écoutant parler, que ce n′était pas un homme ordinaire, c′est pourquoi je me suis permis de vous demander. — Voyons, qu′est-ce qu′il faut jouer? atout?» demandait Cottard. Puis brusquement, avec une vulgarité qui eût été agaçante même dans une circonstance héroî°µe, où un soldat veut prêter une expression familière au mépris de la mort, mais qui devenait doublement stupide dans le passe-temps sans danger des cartes, Cottard, se décidant à jouer atout, prit un air sombre, «cerveau brûlé», et, par allusion à ceux qui risquent leur peau, joua sa carte comme si c′eût été sa vie, en s′écriant: «Après tout, je m′en fiche!» Ce n′était pas ce qu′il fallait jouer, mais il eut une consolation. Au milieu du salon, dans un large fauteuil, Mme Cottard, cédant à l′effet, irrésistible chez elle, de l′après-dîner, s′était soumise, après de vains efforts, au sommeil vaste et léger qui s′emparait d′elle. Elle avait beau se redresser à des instants, pour sourire, soit par moquerie de soi-même, soit par peur de laisser sans réponse quelque parole aimable qu′on lui eût adressée, elle retombait malgré elle, en proie au mal implacable et délicieux. Plutôt que le bruit, ce qui l′éveillait ainsi, pour une seconde seulement, c′était le regard (que par tendresse elle voyait même les yeux fermés, et prévoyait, car la même scène se produisait tous les soirs et hantait son sommeil comme l′heure où on aura à se lever), le regard par lequel le professeur signalait le sommeil de son épouse aux personnes présentes. Il se contentait, pour commencer, de la regarder et de sourire, car si, comme médecin, il blâmait ce sommeil d′après le dîner (du moins donnait-il cette raison scientifique pour se fâcher vers la fin, mais il n′est pas sûr qu′elle fût déterminante, tant il avait là-dessus de vues variées), comme mari tout-puissant et taquin, il était enchanté de se moquer de sa femme, de ne l′éveiller d′abord qu′à moitié, afin qu′elle se rendormît et qu′il eût le plaisir de la réveiller de nouveau.   Saniette, summoned to make a fourth, declared that he did not know how to play whist. And Cottard, seeing that there was not much time left before our train, embarked at once on a game of écarté with Morel. M. Verdurin was furious, and bore down with a terrible expression upon Saniette. “Is there anything in the world that you can play?” he cried, furious at being deprived of the opportunity for a game of whist, and delighted to have found one to insult the old registrar. He, in his terror, did his best to look clever. “Yes, I can play the piano,” he said. Cottard and Morel were seated face to face. “Your deal,” said Cottard. “Suppose we go nearer to the card-table,” M. de Charlus, worried by the sight of Morel in Cottard′s company, suggested to M. de Cambremer. “It is quite as interesting as those questions of etiquette which in these days have ceased to count for very much. The only kings that we have left, in France at least, are the kings in the pack of cards, who seem to me to be positively swarming in the hand of our young virtuoso,” he added a moment later, from an admiration for Morel which extended to his way of playing cards, to flatter him also, and finally to account for his suddenly turning to lean over the young violinist′s shoulder. “I-ee cut,” said (imitating the accent of a cardsharper) Cottard, whose children burst out laughing, like his students and the chief dresser, whenever the master, even by the bedside of a serious case, uttered with the emotionless face of an epileptic one of his hackneyed witticisms. “I don′t know what to play,” said Morel, seeking advice from M. de Charlus. “Just as you please, you′re bound to lose, whatever you play, it′s all the same (c′est égal).” “Egal . . . Ingalli?” said the doctor, with an insinuating, kindly glance at M. de Cambremer. “She was what we call a true diva, she was a dream, a Carmen such as we shall never see again. She was wedded to the part. I used to enjoy too listening to Ingalli — married.” The Marquis drew himself up with that contemptuous vulgarity of well-bred people who do not realise that they are insulting their host by appearing uncertain whether they ought to associate with his guests, and adopt English manners by way of apology for a scornful expression: “Who is that gentleman playing cards, what does he do for a living, what does he sell? I rather like to know whom I am meeting, so as not to make friends with any Tom, Dick or Harry. But I didn′t catch his name when you did me the honour of introducing me to him.” If M. Verdurin, availing himself of this phrase, had indeed introduced M. de Cambremer to his fellow-guests, the other would have been greatly annoyed. But, knowing that it was the opposite procedure that was observed, he thought it gracious to assume a genial and modest air, without risk to himself. The pride that M. Verdurin took in his intimacy with Cottard had increased if anything now that the doctor had become an eminent professor. But it no longer found expression in the artless language of earlier days. Then, when Cottard was scarcely known to the public, if you spoke to M. Verdurin of his wife′s facial neuralgia: “There is nothing to be done,” he would say, with the artless self-satisfaction of people who assume that anyone whom they know must be famous, and that everybody knows the name of their family singing-master. “If she had an ordinary doctor, one might look for a second opinion, but when that doctor is called Cottard” (a name which he pronounced as though it were Bouchard or Charcot) “one has simply to bow to the inevitable.” Adopting a reverse procedure, knowing that M. de Cambremer must certainly have heard of the famous Professor Cottard, M. Verdurin adopted a tone of simplicity. “He′s our family doctor, a worthy soul whom we adore and who would let himself be torn in pieces for our sakes; he is not a doctor, he is a friend, I don′t suppose you have ever heard of him or that his name would convey anything to you, in any case to us it is the name of a very good man, of a very dear friend, Cottard.” This name, murmured in a modest tone, took in M. de Cambremer who supposed that his host was referring to some one else. “Cottard? You don′t mean Professor Cottard?” At that moment one heard the voice of the said Professor who, at an awkward point in the game, was saying as he looked at his cards: “This is where Greek meets Greek.” “Why, yes, to be sure, he is a professor,” said M. Verdurin. “What! Professor Cottard! You are not making a mistake? You are quite sure it′s the same man? The one who lives in the Rue du Bac?” “Yes, his address is 43, Rue du Bac. You know him?” “But everybody knows Professor Cottard. He′s at the top of the tree! You might as well ask me if I knew Bouffe de Saint-Biaise or Courtois-Suffit. I could see when I heard him speak that he was not an ordinary person, that is why I took the liberty of asking you.” “Come now, what shall I play, trumps?” asked Cottard. Then abruptly, with a vulgarity which would have been offensive even in heroic circumstances, as when a soldier uses a coarse expression to convey his contempt for death, but became doubly stupid in the safe pastime of a game of cards, Cottard, deciding to play a trump, assumed a sombre, suicidal air, and, borrowing the language of people who are risking their skins, played his card as though it were his life, with the exclamation: “There it is, and be damned to it!” It was not the right card to play, but he had a consolation. In the middle of the room, in a deep armchair, Mme. Cottard, yielding to the effect, which she always found irresistible, of a good dinner, had succumbed after vain efforts to the vast and gentle slumbers that were overpowering her. In vain might she sit up now and again, and smile, whether at her own absurdity or from fear of leaving unanswered some polite speech that might have been addressed to her, she sank back, in spite of herself, into the clutches of the implacable and delicious malady. More than the noise, what awakened her thus for an instant only, was the glance (which, in her wifely affection she could see even when her eyes were shut, and foresaw, for the same scene occurred every evening and haunted her dreams like the thought of the hour at which one will have to rise), the glance with which the Professor drew the attention of those present to his wife′s slumbers. To begin with, he merely looked at her and smiled, for if as a doctor he disapproved of this habit of falling asleep after dinner (or at least gave this scientific reason for growing annoyed later on, but it is not certain whether it was a determining reason, so many and diverse were the views that he held about it), as an all-powerful and teasing husband, he was delighted to be able to make a fool of his wife, to rouse her only partly at first, so that she might fall asleep again and he have the pleasure of waking her afresh.
Maintenant Mme Cottard dormait tout à fait. «Hé bien! Léontine, tu pionces, lui cria le professeur. — J′écoute ce que dit Mme Swann, mon ami, répondit faiblement Mme Cottard, qui retomba dans sa léthargie. — C′est insensé, s′écria Cottard, tout à l′heure elle nous affirmera qu′elle n′a pas dormi. C′est comme les patients qui se rendent à une consultation et qui prétendent qu′ils ne dorment jamais. — Ils se le figurent peut-être», dit en riant M. de Cambremer. Mais le docteur aimait autant à contredire qu′à taquiner, et surtout n′admettait pas qu′un profane osât lui parler médecine. «On ne se figure pas qu′on ne dort pas, promulgua-t-il d′un ton dogmatique. — Ah! répondit en s′inclinant respectueusement le marquis, comme eût fait Cottard jadis. — On voit bien, reprit Cottard, que vous n′avez pas comme moi administré jusqu′à deux grammes de trional sans arriver à provoquer la somnescence. — En effet, en effet, répondit le marquis en riant d′un air avantageux, je n′ai jamais pris de trional, ni aucune de ces drogues qui bientôt ne font plus d′effet mais vous détraquent l′estomac. Quand on a chassé toute la nuit comme moi, dans la forêt de Chantepie, je vous assure qu′on n′a pas besoin de trional pour dormir. — Ce sont les ignorants qui disent cela, répondit le professeur. Le trional relève parfois d′une façon remarquable le tonus nerveux. Vous parlez de trional, savez-vous seulement ce que c′est? — Mais . . . j′ai entendu dire que c′était un médicament pour dormir. — Vous ne répondez pas à ma question, reprit doctoralement le professeur qui, trois fois par semaine, à la Faculté, était d′«examen». Je ne vous demande pas si ça fait dormir ou non, mais ce que c′est. Pouvez-vous me dire ce qu′il contient de parties d′amyle et d′éthyle? — Non, répondit M. de Cambremer embarrassé. Je préfère un bon verre de fine ou même de porto 345. — Qui sont dix fois plus toxiques, interrompit le professeur. — Pour le trional, hasarda M. de Cambremer, ma femme est abonnée à tout cela, vous feriez mieux d′en parler avec elle. — Qui doit en savoir à peu près autant que vous. En tout cas, si votre femme prend du trional pour dormir, vous voyez que ma femme n′en a pas besoin. Voyons, Léontine, bouge-toi, tu t′ankyloses, est-ce que je dors après dîner, moi? qu′est-ce que tu feras à soixante ans si tu dors maintenant comme une vieille? Tu vas prendre de l′embonpoint, tu t′arrêtes la circulation . . . Elle ne m′entend même plus. — C′est mauvais pour la santé, ces petits sommes après dîner, n′est-ce pas, docteur? dit M. de Cambremer pour se réhabiliter auprès de Cottard. Après avoir bien mangé il faudrait faire de l′exercice. — Des histoires! répondit le docteur. On a prélevé une même quantité de nourriture dans l′estomac d′un chien qui était resté tranquille, et dans l′estomac d′un chien qui avait couru, et c′est chez le premier que la digestion était la plus avancée. — Alors c′est le sommeil qui coupe la digestion? — Cela dépend s′il s′agit de la digestion oesophagique, stomacale, intestinale; inutile de vous donner des explications que vous ne comprendriez pas, puisque vous n′avez pas fait vos études de médecine. Allons, Léontine, en avant . . . harche, il est temps de partir.» Ce n′était pas vrai, car le docteur allait seulement continuer sa partie de cartes, mais il espérait contrarier ainsi, de façon plus brusque, le sommeil de la muette à laquelle il adressait, sans plus recevoir de réponse, les plus savantes exhortations. Soit qu′une volonté de résistance à dormir persistât chez Mme Cottard, même dans l′état de sommeil, soit que le fauteuil ne prêtât pas d′appui à sa tête, cette dernière fut rejetée mécaniquement de gauche à droite et de bas en haut, dans le vide, comme un objet inerte, et Mme Cottard, balancée quant au chef, avait tantôt l′air d′écouter de la musique, tantôt d′être entrée dans la dernière phase de l′agonie. Là où les admonestations de plus en plus véhémentes de son mari échouaient, le sentiment de sa propre sottise réussit: «Mon bain est bien comme chaleur, murmura-t-elle, mais les plumes du dictionnaire . . . s′écria-t-elle en se redressant. Oh! mon Dieu, que je suis sotte! Qu′est-ce que je dis? je pensais à mon chapeau, j′ai dû dire une bêtise, un peu plus j′allais m′assoupir, c′est ce maudit feu.» Tout le monde se mit à rire car il n′y avait pas de feu.   By this time, Mme. Cottard was sound asleep. “Now then, Léontine you′re snoring,” the professor called to her. “I am listening to Mme. Swann, my dear,” Mme. Cottard replied faintly, and dropped back into her lethargy. “It′s perfect nonsense,” exclaimed Cottard, “she′ll be telling us presently that she wasn′t asleep. She′s like the patients who come to consult us and insist that they never sleep at all.” “They imagine it, perhaps,” said M. de Cambremer with a laugh. But the doctor enjoyed contradicting no less than teasing, and would on no account allow a layman to talk medicine to him. “People do not imagine that they never sleep,” he promulgated in a dogmatic tone. “Ah!” replied the Marquis with a respectful bow, such as Cottard at one time would have made. “It is easy to see,” Cottard went on, “that you have never administered, as I have, as much as two grains of trional without succeeding in provoking somnolescence.” “Quite so, quite so,” replied the Marquis, laughing with a superior air, “I have never taken trional, or any of those drugs which soon cease to have any effect but ruin your stomach. When a man has been out shooting all night, like me, in the forest of Chantepie, I can assure you he doesn′t need any trional to make him sleep.” “It is only fools who say that,” replied the Professor. “Trional frequently has a remarkable effect on the nervous tone. You mention trional, have you any idea what it is?” “Well . . . I′ve heard people say that it is a drug to make one sleep.” “You are not answering my question,” replied the Professor, who, thrice weekly, at the Faculty, sat on the board of examiners. “I don′t ask you whether it makes you sleep or not, but what it is. Can you tell me what percentage it contains of amyl and ethyl?” “No,” replied M. de Cambremer with embarrassment. “I prefer a good glass of old brandy or even 345 Port.” “Which are ten times as toxic,” the Professor interrupted. “As for trional,” M. de Cambremer ventured, “my wife goes in for all that sort of thing, you′d better talk to her about it.” “She probably knows just as much about it as yourself. In any case, if your wife takes trional to make her sleep, you can see that mine has no need of it. Come along, Léontine, wake up, you′re getting ankylosed, did you ever see me fall asleep after dinner? What will you be like when you′re sixty, if you fall asleep now like an old woman? You′ll go and get fat, you′re arresting the circulation. She doesn′t even hear what I′m saying.” “They′re bad for one′s health, these little naps after dinner, ain′t they, Doctor?” said M. de Cambremer, seeking to rehabilitate himself with Cottard. “After a heavy meal one ought to take exercise.” “Stuff and nonsense!” replied the Doctor. “We have taken identical quantities of food from the stomach of a dog that has lain quiet and from the stomach of a dog that has been running about and it is in the former that digestion is more advanced.” “Then it is sleep that stops digestion.” “That depends upon whether you mean oesophagic digestion, stomachic digestion, intestinal digestion; it is useless to give you explanations which you would not understand since you have never studied medicine. Now then, Léontine, quick march, it is time we were going.” This was not true, for the doctor was going merely to continue his game, but he hoped thus to cut short in a more drastic fashion the slumbers of the deaf mute to whom he had been addressing without a word of response the most learned exhortations. Whether a determination to remain awake survived in Mme. Cottard, even in the state of sleep, or because the armchair offered no support to her head, it was jerked mechanically from left to right, and up and down, in the empty air, like a lifeless object, and Mme. Cottard, with her nodding poll, appeared now to be listening to music, now to be in the last throes of death. Where her husband′s increasingly vehement admonitions failed of their effect, her sense of her own stupidity proved successful. “My bath is nice and hot,” she murmured, “but the feathers in the dictionary . . . ” she exclaimed as she sat bolt upright. “Oh! Good lord, what a fool I am. Whatever have I been saying, I was thinking about my hat, I′m sure I said something silly, in another minute I should have been asleep, it′s that wretched fire.” Everybody began to laugh, for there was no fire in the room.
…   [Note: In the French text of Sodome et Gomorrhe, Volume II ends at this point.]
«Vous vous moquez de moi, dit en riant elle-même Mme Cottard, qui effaça de la main sur son front, avec une légèreté de magnétiseur et une adresse de femme qui se recoiffe, les dernières traces du sommeil, je veux présenter mes humbles excuses à la chère Madame Verdurin et savoir d′elle la vérité.» Mais son sourire devint vite triste, car le professeur, qui savait que sa femme cherchait à lui plaire et tremblait de n′y pas réussir, venait de lui crier: «Regarde-toi dans la glace, tu es rouge comme si tu avais une éruption d′acné, tu as l′air d′une vieille paysanne. — Vous savez, il est charmant, dit Mme Verdurin, il a un joli côté de bonhomie narquoise. Et puis il a ramené mon mari des portes du tombeau quand toute la Faculté l′avait condamné. Il a passé trois nuits près de lui, sans se coucher. Aussi Cottard pour moi, vous savez, ajouta-t-elle d′un ton grave et presque menaçant, en levant la main vers les deux sphères aux mèches blanches de ses tempes musicales et comme si nous avions voulu toucher au docteur, c′est sacré! Il pourrait demander tout ce qu′il voudrait. Du reste, je ne l′appelle pas le Docteur Cottard, je l′appelle le Docteur Dieu! Et encore en disant cela je le calomnie, car ce Dieu répare dans la mesure du possible une partie des malheurs dont l′autre est responsable. — Jouez atout, dit à Morel M. de Charlus d′un air heureux. — Atout, pour voir, dit le violoniste. — Il fallait annoncer d′abord votre roi, dit M. de Charlus, vous êtes distrait, mais comme vous jouez bien! — J′ai le roi, dit Morel. — C′est un bel homme, répondit le professeur. — Qu′est-ce que c′est que cette affaire-là avec ces piquets? demanda Mme Verdurin en montrant à M. de Cambremer un superbe écusson sculpté au-dessus de la cheminée. Ce sont vos armes? ajouta-t-elle avec un dédain ironique. — Non, ce ne sont pas les nôtres, répondit M. de Cambremer. Nous portons d′or à trois fasces bretèchées et contre-bretèchées de gueules à cinq pièces chacune chargée d′un trèfle d′or. Non, celles-là ce sont celles des d′Arrachepel, qui n′étaient pas de notre estoc, mais de qui nous avons hérité la maison, et jamais ceux de notre lignage n′ont rien voulu y changer. Les Arrachepel (jadis Pelvilain, dit-on) portaient d′or à cinq pieux épointés de gueules. Quand ils s′allièrent aux Féterne, leur écu changea mais resta cantonné de vingt croisettes recroisettées au pieu péri fiché d′or avec à droite un vol d′hermine. — Attrape, dit tout bas Mme de Cambremer. — Mon arrière-grand′mère était une d′Arrachepel ou de Rachepel, comme vous voudrez, car on trouve les deux noms dans les vieilles chartes, continua M. de Cambremer, qui rougit vivement, car il eut, seulement alors, l′idée dont sa femme lui avait fait honneur et il craignit que Mme Verdurin ne se fût appliqué des paroles qui ne la visaient nullement. L′histoire veut qu′au onzième siècle, le premier Arrachepel, Macé, dit Pelvilain, ait montré une habileté particulière dans les sièges pour arracher les pieux. D′où le surnom d′Arrachepel sous lequel il fut anobli, et les pieux que vous voyez à travers les siècles persister dans leurs armes. Il s′agit des pieux que, pour rendre plus inabordables les fortifications, on plantait, on fichait, passez-moi l′expression, en terre devant elles, et qu′on reliait entre eux. Ce sont eux que vous appeliez très bien des piquets et qui n′avaient rien des bâtons flottants du bon La Fontaine. Car ils passaient pour rendre une place inexpugnable. Évidemment, cela fait sourire avec l′artillerie moderne. Mais il faut se rappeler qu′il s′agit du onzième siècle. — Cela manque d′actualité, dit Mme Verdurin, mais le petit campanile a du caractère. — Vous avez, dit Cottard, une veine de . . . turlututu, mot qu′il répétait volontiers pour esquiver celui de Molière. Savez-vous pourquoi le roi de carreau est réformé? — Je voudrais bien être à sa place, dit Morel que son service militaire ennuyait. — Ah! le mauvais patriote, s′écria M. de Charlus, qui ne put se retenir de pincer l′oreille au violoniste. — Non, vous ne savez pas pourquoi le roi de carreau est réformé? reprit Cottard, qui tenait à ses plaisanteries, c′est parce qu′il n′a qu′un oeil. — Vous avez affaire à forte partie, docteur, dit M. de Cambremer pour montrer à Cottard qu′il savait qui il était. — Ce jeune homme est étonnant, interrompit naîµ¥ment M. de Charlus, en montrant Morel. Il joue comme un dieu.» Cette réflexion ne plut pas beaucoup au docteur qui répondit: «Qui vivra verra. A roublard, roublard et demi. — La dame, l′as,» annonça triomphalement Morel, que le sort favorisait. Le docteur courba la tête comme ne pouvant nier cette fortune et avoua, fasciné: «C′est beau. — Nous avons été très contents de dîner avec M. de Charlus, dit Mme de Cambremer à Mme Verdurin. — Vous ne le connaissiez pas? Il est assez agréable, il est particulier, il est d′une époque» (elle eût été bien embarrassée de dire laquelle), répondit Mme Verdurin avec le sourire satisfait d′une dilettante, d′un juge et d′une maîtresse de maison. Mme de Cambremer me demanda si je viendrais à Féterne avec Saint–Loup. Je ne pus retenir un cri d′admiration en voyant la lune suspendue comme un lampion orangé à la voûte des chênes qui partait du château. «Ce n′est encore rien; tout à l′heure, quand la lune sera plus haute et que la vallée sera éclairée, ce sera mille fois plus beau. Voilà ce que vous n′avez pas à Féterne! dit-elle d′un ton dédaigneux à Mme de Cambremer, laquelle ne savait que répondre, ne voulant pas déprécier sa propriété, surtout devant les locataires. — Vous restez encore quelque temps dans la région, Madame, demanda M. de Cambremer à Mme Cottard, ce qui pouvait passer pour une vague intention de l′inviter et ce qui dispensait actuellement de rendez-vous plus précis. — Oh! certainement, Monsieur, je tiens beaucoup pour les enfants à cet exode annuel. On a beau dire, il leur faut le grand air. La Faculté voulait m′envoyer à Vichy; mais c′est trop étouffé, et je m′occuperai de mon estomac quand ces grands garçons-là auront encore un peu poussé. Et puis le Professeur, avec les examens qu′il fait passer, a toujours un fort coup de collier à donner, et les chaleurs le fatiguent beaucoup. Je trouve qu′on a besoin d′une franche détente quand on a été comme lui toute l′année sur la brèche. De toutes façons nous resterons encore un bon mois. — Ah! alors nous sommes gens de revue. — D′ailleurs, je suis d′autant plus obligée de rester que mon mari doit aller faire un tour en Savoie, et ce n′est que dans une quinzaine qu′il sera ici en poste fixe. — J′aime encore mieux le côté de la vallée que celui de la mer, reprit Mme Verdurin. — Vous allez avoir un temps splendide pour revenir. — Il faudrait même voir si les voitures sont attelées, dans le cas où vous tiendriez absolument à rentrer ce soir à Balbec, me dit M. Verdurin, car moi je n′en vois pas la nécessité. On vous ferait ramener demain matin en voiture. Il fera sûrement beau. Les routes sont admirables.» Je dis que c′était impossible. «Mais en tout cas il n′est pas l′heure, objecta la Patronne. Laisse-les tranquilles, ils ont bien le temps. Ça les avancera bien d′arriver une heure d′avance à la gare. Ils sont mieux ici. Et vous, mon petit Mozart, dit-elle à Morel, n′osant pas s′adresser directement à M. de Charlus, vous ne voulez pas rester? Nous avons de belles chambres sur la mer. — Mais il ne peut pas, répondit M. de Charlus pour le joueur attentif, qui n′avait pas entendu. Il n′a que la permission de minuit. Il faut qu′il rentre se coucher, comme un enfant bien obéissant, bien sage», ajouta-t-il d′une voix complaisante, maniérée, insistante, comme s′il trouvait quelque sadique volupté à employer cette chaste comparaison et aussi à appuyer au passage sa voix sur ce qui concernait Morel, à le toucher, à défaut de la main, avec des paroles qui semblaient le palper.   “You are making fun of me,” said Mme. Cottard, herself laughing, and raising her hand to her brow to wipe away, with the light touch of a hypnotist and the sureness of a woman putting her hair straight, the last traces of sleep, “I must offer my humble apologies to dear Mme. Verdurin and ask her to tell me the truth.” But her smile at once grew sorrowful, for the Professor who knew that his wife sought to please him and trembled lest she should fail, had shouted at her: “Look at yourself in the glass, you are as red as if you had an eruption of acne, you look just like an old peasant.” “You know, he is charming,” said Mme. Verdurin, “he has such a delightfully sarcastic side to his character. And then, he snatched my husband from the jaws of death when the whole Faculty had given him up. He spent three nights by his bedside, without ever lying down. And so Cottard to me, you know,” she went on, in a grave and almost menacing tone, raising her hand to the twin spheres, shrouded in white tresses, of her musical temples, and as though we had wished to assault the doctor, “is sacred! He could ask me for anything in the world! As it is, I don′t call him Doctor Cottard, I call him Doctor God! And even in saying that I am slandering him, for this God does everything in his power to remedy some of the disasters for which the other is responsible.” “Play a trump,” M. de Charlus said to Morel with a delighted air. “A trump, here goes,” said the violinist. “You ought to have declared your king first,” said M. de Charlus, “you′re not paying attention to the game, but how well you play!” “I have the king,” said Morel. “He′s a fine man,” replied the Professor. “What′s all that business up there with the sticks?” asked Mme. Verdurin, drawing M. de Cambremer′s attention to a superb escutcheon carved over the mantelpiece. “Are they your arms?” she added with an ironical disdain. “No, they are not ours,” replied M. de Cambremer. “We bear, barry of five, embattled counter-embattled or and gules, as many trefoils countercharged. No, those are the arms of the Arrachepels, who were not of our stock, but from whom we inherited the house, and nobody of our line has ever made any changes here. The Arrachepels (formerly Pelvilains, we are told) bore or five piles couped in base gules. When they allied themselves with the Féterne family, their blazon changed, but remained cantoned within twenty cross crosslets fitchee in base or, a dexter canton ermine.” “That′s one for her!” muttered Mme. de Cambremer. “My great-grandmother was a d′Arrachepel or de Rachepel, as you please, for both forms are found in the old charters,” continued M. de Cambremer, blushing vividly, for only then did the idea for which his wife had given him credit occur to him, and he was afraid that Mme. Verdurin might have applied to herself a speech which had been made without any reference to her. “The history books say that, in the eleventh century, the first Arrachepel, Mace, named Pelvilain, shewed a special aptitude, in siege warfare, in tearing up piles. Whence the name Arrachepel by which he was ennobled, and the piles which you see persisting through the centuries in their arms. These are the piles which, to render fortifications more impregnable, used to be driven, plugged, if you will pardon the expression, into the ground in front of them, and fastened together laterally. They are what you quite rightly called sticks, though they had nothing to do with the floating sticks of our good Lafontaine. For they were supposed to render a stronghold unassailable. Of course, with our modern artillery, they make one smile. But you must bear in mind that I am speaking of the eleventh century.” “It is all rather out of date,” said Mme. Verdurin, “but the little campanile has a character.” “You have,” said Cottard, “the luck of . . . turlututu,” a word which he gladly repeated to avoid using Molière′s. “Do you know why the king of diamonds was turned out of the army?” “I shouldn′t mind being in his shoes,” said Morel, who was tired of military service. “Oh! What a bad patriot,” exclaimed M. de Charlus, who could not refrain from pinching the violinist′s ear. “No, you don′t know why the king of diamonds was turned out of the army,” Cottard pursued, determined to make his joke, “it′s because he has only one eye.” “You are up against it, Doctor,” said M. de Cambremer, to shew Cottard that he knew who he was. “This young man is astonishing,” M. de Charlus interrupted innocently. “He plays like a god.” This observation did not find favour with the doctor, who replied: “Never too late to mend. Who laughs last, laughs longest.” “Queen, ace,” Morel, whom fortune was favouring, announced triumphantly. The doctor bowed his head as though powerless to deny this good fortune, and admitted, spellbound: “That′s fine.” “We are so pleased to have met M. de Charlus,” said Mme. de Cambremer to Mme. Verdurin. “Had you never met him before? He is quite nice, he is unusual, he is of a period“ (she would have found it difficult to say which), replied Mme. Verdurin with the satisfied smile of a connoisseur, a judge and a hostess. Mme. de Cambremer asked me if I was coming to Féterne with Saint-Loup. I could not suppress a cry of admiration when I saw the moon hanging like an orange lantern beneath the vault of oaks that led away from the house. “That′s nothing, presently, when the moon has risen higher and the valley is lighted up, it will be a thousand times better.” “Are you staying any time in this neighbourhood, Madame?” M. de Cambremer asked Mme. Cottard, a speech that might be interpreted as a vague intention to invite and dispensed him for the moment from making any more precise engagement. “Oh, certainly, Sir, I regard this annual exodus as most important for the children. Whatever you may say, they must have fresh air. The Faculty wanted to send me to Vichy; but it is too stuffy there, and I can look after my stomach when those big boys of mine have grown a little bigger. Besides, the Professor, with all the examinations he has to hold, has always got his shoulder to the wheel, and the hot weather tires him dreadfully. I feel that a man needs a thorough rest after he has been on the go all the year like that. Whatever happens we shall stay another month at least.” “Ah! In that case we shall meet again.” “Besides, I shall be all the more obliged to stay here as my husband has to go on a visit to Savoy, and won′t be finally settled here for another fortnight.” “I like the view of the valley even more than the sea view,” Mme. Verdurin went on. “You are going to have a splendid night for your journey.” “We ought really to find out whether the carriages are ready, if you are absolutely determined to go back to Balbec to-night,” M. Verdurin said to me, “for I see no necessity for it myself. We could drive you over to-morrow morning. It is certain to be fine. The roads are excellent.” I said that it was impossible. “But in any case it is not time yet,” the Mistress protested. “Leave them alone, they have heaps of time. A lot of good it will do them to arrive at the station with an hour to wait. They are far happier here. And you, my young Mozart,” she said to Morel, not venturing to address M. de Charlus directly, “won′t you stay the night? We have some nice rooms facing the sea.” “No, he can′t,” M. de Charlus replied on behalf of the absorbed card-player who had not heard. “He has a pass until midnight only. He must go back to bed like a good little boy, obedient, and well-behaved,” he added in a complaisant, mannered, insistent voice, as though he derived some sadic pleasure from the use of this chaste comparison and also from letting his voice dwell, in passing, upon any reference to Morel, from touching him with (failing his fingers) words that seemed to explore his person.
Du sermon que m′avait adressé Brichot, M. de Cambremer avait conclu que j′étais dreyfusard. Comme il était aussi antidreyfusard que possible, par courtoisie pour un ennemi il se mit à me faire l′éloge d′un colonel juif, qui avait toujours été très juste pour un cousin des Chevrigny et lui avait fait donner l′avancement qu′il méritait. «Et mon cousin était dans des idées absolument opposées», dit M. de Cambremer, glissant sur ce qu′étaient ces idées, mais que je sentis aussi anciennes et mal formées que son visage, des idées que quelques familles de certaines petites villes devaient avoir depuis bien longtemps. «Eh bien! vous savez, je trouve ça très beau!» conclut M. de Cambremer. Il est vrai qu′il n′employait guère le mot «beau» dans le sens esthétique où il eût désigné, pour sa mère ou sa femme, des oeuvres différentes, mais des oeuvres d′art. M. de Cambremer se servait plutôt de ce qualificatif en félicitant, par exemple, une personne délicate qui avait un peu engraissé. «Comment, vous avez repris trois kilos en deux mois? Savez-vous que c′est très beau!» Des rafraîchissements étaient servis sur une table. Mme Verdurin invita les messieurs à aller eux-mêmes choisir la boisson qui leur convenait. M. de Charlus alla boire son verre et vite revint s′asseoir près de la table de jeu et ne bougea plus. Mme Verdurin lui demanda: «Avez-vous pris de mon orangeade?» Alors M. de Charlus, avec un sourire gracieux, sur un ton cristallin qu′il avait rarement et avec mille moues de la bouche et déhanchements de la taille, répondit: «Non, j′ai préféré la voisine, c′est de la fraisette, je crois, c′est délicieux.» Il est singulier qu′un certain ordre d′actes secrets ait pour conséquence extérieure une manière de parler ou de gesticuler qui les révèle. Si un monsieur croit ou non à l′Immaculée Conception, ou à l′innocence de Dreyfus, ou à la pluralité des mondes, et veuille s′en taire, on ne trouvera, dans sa voix ni dans sa démarche, rien qui laisse apercevoir sa pensée. Mais en entendant M. de Charlus dire, de cette voix aiguë et avec ce sourire et ces gestes de bras: «Non, j′ai préféré sa voisine, la fraisette», on pouvait dire: «Tiens, il aime le sexe fort», avec la même certitude, pour un juge, que celle qui permet de condamner un criminel qui n′a pas avoué; pour un médecin, un paralytique général qui ne sait peut-être pas lui-même son mal, mais qui a fait telle faute de prononciation d′où on peut déduire qu′il sera mort dans trois ans. Peut-être les gens qui concluent de la manière de dire: «Non, j′ai préféré sa voisine, la fraisette» à un amour dit antiphysique, n′ont-ils pas besoin de tant de science. Mais c′est qu′ici il y a rapport plus direct entre le signe révélateur et le secret. Sans se le dire précisément, on sent que c′est une douce et souriante dame qui vous répond, et qui paraît maniérée parce qu′elle se donne pour un homme et qu′on n′est pas habitué à voir les hommes faire tant de manières. Et il est peut-être plus gracieux de penser que depuis longtemps un certain nombre de femmes angéliques ont été comprises par erreur dans le sexe masculin où, exilées, tout en battant vainement des ailes vers les hommes à qui elles inspirent une répulsion physique, elles savent arranger un salon, composer des «intérieurs». M. de Charlus ne s′inquiétait pas que Mme Verdurin fût debout et restait installé dans son fauteuil pour être plus près de Morel. «Croyez-vous, dit Mme Verdurin au baron, que ce n′est pas un crime que cet être-là, qui pourrait nous enchanter avec son violon, soit là à une table d′écarté. Quand on joue du violon comme lui! — Il joue bien aux cartes, il fait tout bien, il est si intelligent», dit M. de Charlus, tout en regardant les jeux, afin de conseiller Morel. Ce n′était pas, du reste, sa seule raison de ne pas se soulever de son fauteuil devant Mme Verdurin. Avec le singulier amalgame qu′il avait fait de ses conceptions sociales, à la fois de grand seigneur et d′amateur d′art, au lieu d′être poli de la même manière qu′un homme de son monde l′eût été, il se faisait, d′après Saint–Simon, des espèces de tableaux vivants; et, en ce moment, s′amusait à figurer le maréchal d′Uxelles, lequel l′intéressait par d′autres côtés encore et dont il est dit qu′il était glorieux jusqu′à ne pas se lever de son siège, par un air de paresse, devant ce qu′il y avait de plus distingué à la Cour. «Dites donc, Charlus, dit Mme Verdurin, qui commençait à se familiariser, vous n′auriez pas dans votre faubourg quelque vieux noble ruiné qui pourrait me servir de concierge? — Mais si . . . mais si . . ., répondit M. de Charlus en souriant d′un air bonhomme, mais je ne vous le conseille pas. — Pourquoi? — Je craindrais pour vous que les visiteurs élégants n′allassent pas plus loin que la loge.» Ce fut entre eux la première escarmouche. Mme Verdurin y prit à peine garde. Il devait malheureusement y en avoir d′autres à Paris. M. de Charlus continua à ne pas quitter sa chaise. Il ne pouvait, d′ailleurs, s′empêcher de sourire imperceptiblement en voyant combien confirmait ses maximes favorites sur le prestige de l′aristocratie et la lâcheté des bourgeois la soumission si aisément obtenue de Mme Verdurin. La Patronne n′avait l′air nullement étonnée par la posture du baron, et si elle le quitta, ce fut seulement parce qu′elle avait été inquiète de me voir relancé par M. de Cambremer. Mais avant cela, elle voulait éclaircir la question des relations de M. de Charlus avec la comtesse Molé. «Vous m′avez dit que vous connaissiez Mme de Molé. Est-ce que vous allez chez elle?» demanda-t-elle en donnant aux mots: «aller chez elle» le sens d′être reçu chez elle, d′avoir reçu d′elle l′autorisation d′aller la voir. M. de Charlus répondit, avec une inflexion de dédain, une affectation de précision et un ton de psalmodie: «Mais quelquefois.» Ce «quelquefois» donna des doutes à Mme Verdurin, qui demanda: «Est-ce que vous y avez rencontré le duc de Guermantes? — Ah! je ne me rappelle pas. — Ah! dit Mme Verdurin, vous ne connaissez pas le duc de Guermantes? — Mais comment est-ce que je ne le connaîtrais pas», répondit M. de Charlus, dont un sourire fit onduler la bouche. Ce sourire était ironique; mais comme le baron craignait de laisser voir une dent en or, il le brisa sous un reflux de ses lèvres, de sorte que la sinuosité qui en résulta fut celle d′un sourire de bienveillance: «Pourquoi dites-vous: Comment est-ce que je ne le connaîtrais pas? — Mais puisque c′est mon frère», dit négligemment M. de Charlus en laissant Mme Verdurin plongée dans la stupéfaction et l′incertitude de savoir si son invité se moquait d′elle, était un enfant naturel, ou le fils d′un autre lit. L′idée que le frère du duc de Guermantes s′appelât le baron de Charlus ne lui vint pas à l′esprit. Elle se dirigea vers moi: «J′ai entendu tout à l′heure que M. de Cambremer vous invitait à dîner. Moi, vous comprenez, cela m′est égal. Mais, dans votre intérêt, j′espère bien que vous n′irez pas. D′abord c′est infesté d′ennuyeux. Ah! si vous aimez à dîner avec des comtes et des marquis de province que personne ne connaît, vous serez servi à souhait. — Je crois que je serai obligé d′y aller une fois ou deux. Je ne suis, du reste, pas très libre car j′ai une jeune cousine que je ne peux pas laisser seule (je trouvais que cette prétendue parenté simplifiait les choses pour sortir avec Albertine). Mais pour les Cambremer, comme je la leur ai déjà présentée . . . — Vous ferez ce que vous voudrez. Ce que je peux vous dire: c′est excessivement malsain; quand vous aurez pincé une fluxion de poitrine, ou les bons petits rhumatismes des familles, vous serez bien avancé? — Mais est-ce que l′endroit n′est pas très joli? — Mmmmouiii . . . Si on veut. Moi j′avoue franchement que j′aime cent fois mieux la vue d′ici sur cette vallée. D′abord, on nous aurait payés que je n′aurais pas pris l′autre maison, parce que l′air de la mer est fatal à M. Verdurin. Pour peu que votre cousine soit nerveuse . . . Mais, du reste, vous êtes nerveux, je crois . . . vous avez des étouffements. Hé bien! vous verrez. Allez-y une fois, vous ne dormirez pas de huit jours, mais ce n′est pas notre affaire.» Et sans penser à ce que sa nouvelle phrase allait avoir de contradictoire avec les précédentes: «Si cela vous amuse de voir la maison, qui n′est pas mal, jolie est trop dire, mais enfin amusante, avec le vieux fossé, le vieux pont-levis, comme il faudra que je m′exécute et que j′y dîne une fois, hé bien! venez-y ce jour-là, je tâcherai d′amener tout mon petit cercle, alors ce sera gentil. Après-demain nous irons à Harambouville en voiture. La route est magnifique, il y a du cidre délicieux. Venez donc. Vous, Brichot, vous viendrez aussi. Et vous aussi, Ski. Ça fera une partie que, du reste, mon mari a dû arranger d′avance. Je ne sais trop qui il a invité. Monsieur de Charlus, est-ce que vous en êtes?» Le baron, qui n′entendit pas cette phrase et ne savait pas qu′on parlait d′une excursion à Harambouville, sursauta: «Étrange question», murmura-t-il d′un ton narquois par lequel Mme Verdurin se sentit piquée. «D′ailleurs, me dit-elle, en attendant le dîner Cambremer, pourquoi ne l′amèneriez-vous pas ici, votre cousine? Aime-t-elle la conversation, les gens intelligents? Est-elle agréable? Oui, eh bien alors, très bien. Venez avec elle. Il n′y a pas que les Cambremer au monde. Je comprends qu′ils soient heureux de l′inviter, ils ne peuvent arriver à avoir personne. Ici elle aura un bon air, toujours des hommes intelligents. En tout cas je compte que vous ne me lâchez pas pour mercredi prochain. J′ai entendu que vous aviez un goûter à Rivebelle avec votre cousine, M. de Charlus, je ne sais plus encore qui. Vous devriez arranger de transporter tout ça ici, ça serait gentil, un petit arrivage en masse. Les communications sont on ne peut plus faciles, les chemins sont ravissants; au besoin je vous ferai chercher. Je ne sais pas, du reste, ce qui peut vous attirer à Rivebelle, c′est infesté de moustiques. Vous croyez peut-être à la réputation de la galette. Mon cuisinier les fait autrement bien. Je vous en ferai manger, moi, de la galette normande, de la vraie, et des sablés, je ne vous dis que ça. Ah! si vous tenez à la cochonnerie qu′on sert à Rivebelle, ça je ne veux pas, je n′assassine pas mes invités, Monsieur, et, même si je voulais, mon cuisinier ne voudrait pas faire cette chose innommable et changerait de maison. Ces galettes de là-bas, on ne sait pas avec quoi c′est fait. Je connais une pauvre fille à qui cela a donné une péritonite qui l′a enlevée en trois jours. Elle n′avait que 17 ans. C′est triste pour sa pauvre mère, ajouta Mme Verdurin, d′un air mélancolique sous les sphères de ses tempes chargées d′expérience et de douleur. Mais enfin, allez goûter à Rivebelle si cela vous amuse d′être écorché et de jeter l′argent par les fenêtres. Seulement, je vous en prie, c′est une mission de confiance que je vous donne: sur le coup de six heures, amenez-moi tout votre monde ici, n′allez pas laisser les gens rentrer chacun chez soi, à la débandade. Vous pouvez amener qui vous voulez. Je ne dirais pas cela à tout le monde. Mais je suis sûre que vos amis sont gentils, je vois tout de suite que nous nous comprenons. En dehors du petit noyau, il vient justement des gens très agréables mercredi. Vous ne connaissez pas la petite Madame de Longpont? Elle est ravissante et pleine d′esprit, pas snob du tout, vous verrez qu′elle vous plaira beaucoup. Et elle aussi doit amener toute une bande d′amis, ajouta Mme Verdurin, pour me montrer que c′était bon genre et m′encourager par l′exemple. On verra qu′est-ce qui aura le plus d′influence et qui amènera le plus de monde, de Barbe de Longpont ou de vous. Et puis je crois qu′on doit aussi amener Bergotte, ajouta-t-elle d′un air vague, ce concours d′une célébrité étant rendu trop improbable par une note parue le matin dans les journaux et qui annonçait que la santé du grand écrivain inspirait les plus vives inquiétudes. Enfin vous verrez que ce sera un de mes mercredis les plus réussis, je ne veux pas avoir de femmes embêtantes. Du reste, ne jugez pas par celui de ce soir, il était tout à fait raté. Ne protestez pas, vous n′avez pas pu vous ennuyer plus que moi, moi-même je trouvais que c′était assommant. Ce ne sera pas toujours comme ce soir, vous savez! Du reste, je ne parle pas des Cambremer, qui sont impossibles, mais j′ai connu des gens du monde qui passaient pour être agréables, hé bien! à côté de mon petit noyau cela n′existait pas. Je vous ai entendu dire que vous trouviez Swann intelligent. D′abord, mon avis est que c′était très exagéré, mais sans même parler du caractère de l′homme, que j′ai toujours trouvé foncièrement antipathique, sournois, en dessous, je l′ai eu souvent à dîner le mercredi. Hé bien, vous pouvez demander aux autres, même à côté de Brichot, qui est loin d′être un aigle, qui est un bon professeur de seconde que j′ai fait entrer à l′Institut tout de même, Swann n′était plus rien. Il était d′un terne!» Et comme j′émettais un avis contraire: «C′est ainsi. Je ne veux rien vous dire contre lui, puisque c′était votre ami; du reste, il vous aimait beaucoup, il m′a parlé de vous d′une façon délicieuse, mais demandez à ceux-ci s′il a jamais dit quelque chose d′intéressant, à nos dîners. C′est tout de même la pierre de touche. Hé bien! je ne sais pas pourquoi, mais Swann, chez moi, ça ne donnait pas, ça ne rendait rien. Et encore le peu qu′il valait il l′a pris ici.» J′assurai qu′il était très intelligent. «Non, vous croyiez seulement cela parce que vous le connaissiez depuis moins longtemps que moi. Au fond on en avait très vite fait le tour. Moi, il m′assommait. (Traduction: il allait chez les La Trémoe et les Guermantes et savait que je n′y allais pas.) Et je peux tout supporter, excepté l′ennui. Ah! ça, non!» L′horreur de l′ennui était maintenant chez Mme Verdurin la raison qui était chargée d′expliquer la composition du petit milieu. Elle ne recevait pas encore de duchesses parce qu′elle était incapable de s′ennuyer, comme de faire une croisière, à cause du mal de mer. Je me disais que ce que Mme Verdurin disait n′était pas absolument faux, et alors que les Guermantes eussent déclaré Brichot l′homme le plus bête qu′ils eussent jamais rencontré, je restais incertain s′il n′était pas au fond supérieur, sinon à Swann même, au moins aux gens ayant l′esprit des Guermantes et qui eussent eu le bon goût d′éviter ses pédantesques facéties, et la pudeur d′en rougir; je me le demandais comme si la nature de l′intelligence pouvait être en quelque mesure éclaircie par la réponse que je me ferais et avec le sérieux d′un chrétien influencé par Port–Royal qui se pose le problème de la Grâce. «Vous verrez, continua Mme Verdurin, quand on a des gens du monde avec des gens vraiment intelligents, des gens de notre milieu, c′est là qu′il faut les voir, l′homme du monde le plus spirituel dans le royaume des aveugles n′est plus qu′un borgne ici. Et puis les autres, qui ne se sentent plus en confiance. C′est au point que je me demande si, au lieu d′essayer des fusions qui gâtent tout, je n′aurai pas des séries rien que pour les ennuyeux, de façon à bien jouir de mon petit noyau. Concluons: vous viendrez avec votre cousine. C′est convenu. Bien. Au moins, ici, vous aurez tous les deux à manger. A Féterne c′est la faim et la soif. Ah! par exemple, si vous aimez les rats, allez-y tout de suite, vous serez servi à souhait. Et on vous gardera tant que vous voudrez. Par exemple, vous mourrez de faim. Du reste, quand j′irai, je dînerai avant de partir. Et pour que ce soit plus gai, vous devriez venir me chercher. Nous goûterions ferme et nous souperions en rentrant. Aimez-vous les tartes aux pommes? Oui, eh bien! notre chef les fait comme personne. Vous voyez que j′avais raison de dire que vous étiez fait pour vivre ici. Venez donc y habiter. Vous savez qu′il y a beaucoup plus de place chez moi que ça n′en a l′air. Je ne le dis pas, pour ne pas attirer d′ennuyeux. Vous pourriez amener à demeure votre cousine. Elle aurait un autre air qu′à Balbec. Avec l′air d′ici, je prétends que je guéris les incurables. Ma parole, j′en ai guéri, et pas d′aujourd′hui. Car j′ai habité autrefois tout près d′ici, quelque chose que j′avais déniché, que j′avais eu pour un morceau de pain et qui avait autrement de caractère que leur Raspelière. Je vous montrerai cela si nous nous promenons. Mais je reconnais que, même ici, l′air est vraiment vivifiant. Encore je ne veux pas trop en parler, les Parisiens n′auraient qu′à se mettre à aimer mon petit coin. Ça a toujours été ma chance. Enfin, dites-le à votre cousine. On vous donnera deux jolies chambres sur la vallée, vous verrez ça, le matin, le soleil dans la brume! Et qu′est-ce que c′est que ce Robert de Saint–Loup dont vous parliez? dit-elle d′un air inquiet, parce qu′elle avait entendu que je devais aller le voir à Doncières et qu′elle craignit qu′il me fît lâcher. Vous pourriez plutôt l′amener ici si ce n′est pas un ennuyeux. J′ai entendu parler de lui par Morel; il me semble que c′est un de ses grands amis», dit Mme Verdurin, mentant complètement, car Saint–Loup et Morel ne connaissaient même pas l′existence l′un de l′autre. Mais ayant entendu que Saint–Loup connaissait M. de Charlus, elle pensait que c′était par le violoniste et voulait avoir l′air au courant. «Il ne fait pas de médecine, par hasard, ou de littérature? Vous savez que, si vous avez besoin de recommandations pour des examens, Cottard peut tout, et je fais de lui ce que je veux. Quant à l′Académie, pour plus tard, car je pense qu′il n′a pas l′âge, je dispose de plusieurs voix. Votre ami serait ici en pays de connaissance et ça l′amuserait peut-être de voir la maison. Ce n′est pas folichon, Doncières. Enfin, vous ferez comme vous voudrez, comme cela vous arrangera le mieux», conclut-elle sans insister, pour ne pas avoir l′air de chercher à connaître de la noblesse, et parce que sa prétention était que le régime sous lequel elle faisait vivre les fidèles, la tyrannie, fût appelé liberté. «Voyons, qu′est-ce que tu as», dit-elle, en voyant M. Verdurin qui, en faisant des gestes d′impatience, gagnait la terrasse en planches qui s′étendait, d′un côté du salon, au-dessus de la vallée, comme un homme qui étouffe de rage et a besoin de prendre l′air. «C′est encore Saniette qui t′a agacé? Mais puisque tu sais qu′il est idiot, prends-en ton parti, ne te mets pas dans des états comme cela . . . Je n′aime pas cela, me dit-elle, parce que c′est mauvais pour lui, cela le congestionne. Mais aussi je dois dire qu′il faut parfois une patience d′ange pour supporter Saniette, et surtout se rappeler que c′est une charité de le recueillir. Pour ma part, j′avoue que la splendeur de sa bêtise fait plutôt ma joie. Je pense que vous avez entendu après le dîner son mot: «Je ne sais pas jouer au whist, mais je sais jouer du piano.» Est-ce assez beau! C′est grand comme le monde, et d′ailleurs un mensonge, car il ne sait pas plus l′un que l′autre. Mais mon mari, sous ses apparences rudes, est très sensible, très bon, et cette espèce d′égoî²­e de Saniette, toujours préoccupé de l′effet qu′il va faire, le met hors de lui . . . Voyons, mon petit, calme-toi, tu sais bien que Cottard t′a dit que c′était mauvais pour ton foie. Et c′est sur moi que tout va retomber, dit Mme Verdurin. Demain Saniette va venir avoir sa petite crise de nerfs et de larmes. Pauvre homme! il est très malade. Mais enfin ce n′est pas une raison pour qu′il tue les autres. Et puis, même dans les moments où il souffre trop, où on voudrait le plaindre, sa bêtise arrête net l′attendrissement. Il est par trop stupide. Tu n′as qu′à lui dire très gentiment que ces scènes vous rendent malades tous deux, qu′il ne revienne pas; comme c′est ce qu′il redoute le plus, cela aura un effet calmant sur ses nerfs», souffla Mme Verdurin à son mari.   From the sermon that Brichot had addressed to me, M. de Cambremer had concluded that I was a Dreyfusard. As he himself was as anti-Dreyfusard as possible, out of courtesy to a foe, he began to sing me the praises of a Jewish colonel who had always been very decent to a cousin of the Chevregny and had secured for him the promotion he deserved. “And my cousin′s opinions were the exact opposite,” said M. de Cambremer; he omitted to mention what those opinions were, but I felt that they were as antiquated and misshapen as his own face, opinions which a few families in certain small towns must long have entertained. “Well, you know, I call that really fine!” was M. de Cambremer′s conclusion. It is true that he was hardly employing the word ‘fine′ in the aesthetic sense in which it would have suggested to his wife and mother different works, but works, anyhow, of art. M. de Cambremer often made use of this term, when for instance he was congratulating a delicate person who had put on a little flesh. “What, you have gained half-a-stone in two months. I say, that′s fine!” Refreshments were set out on a table. Mme. Verdurin invited the gentlemen to go and choose whatever drinks they preferred. M. de Charlus went and drank his glass and at once returned to a seat by the card-table from which he did not stir. Mme. Verdurin asked him: “Have you tasted my orangeade?” Upon which M. de Charlus, with a gracious smile, in a crystalline tone which he rarely sounded and with endless motions of his lips and body, replied: “No, I preferred its neighbour, it was strawberry-juice, I think, it was delicious.” It is curious that a certain order of secret actions has the external effect of a manner of speaking or gesticulating which reveals them. If a gentleman believes or disbelieves in the Immaculate Conception, or in the innocence of Dreyfus, or in a plurality of worlds, and wishes to keep his opinion to himself, you will find nothing in his voice or in his movements that will let you read his thoughts. But on hearing M. de Charlus say in that shrill voice and with that smile and waving his arms: “No, I preferred its neighbour, the strawberry-juice,” one could say: “There, he likes the stronger sex,” with the same certainty as enables a judge to sentence a criminal who has not confessed, a doctor a patient suffering from general paralysis who himself is perhaps unaware of his malady but has made some mistake in pronunciation from which one can deduce that he will be dead in three years. Perhaps the people who conclude from a man′s way of saying: “No, I preferred its neighbour, the strawberry-juice,” a love of the kind called unnatural, have no need of any such scientific knowledge. But that is because there is a more direct relation between the revealing sign and the secret. Without saying it in so many words to oneself, one feels that it is a gentle, smiling lady who is answering and who appears mannered because she is pretending to be a man and one is not accustomed to seeing men adopt such mannerisms. And it is perhaps more pleasant to think that for long years a certain number of angelic women have been included by mistake in the masculine sex where, in exile, ineffectually beating their wings towards men in whom they inspire a physical repulsion, they know how to arrange a drawing-room, compose ‘interiors.′ M. de Charlus was not in the least perturbed that Mme. Verdurin should be standing, and remained installed in his armchair so as to be nearer to Morel. “Don′t you think it criminal,” said Mme. Verdurin to the Baron, “that that creature who might be enchanting us with his violin should be sitting there at a card-table. When anyone can play the violin like that!” “He plays cards well, he does everything well, he is so intelligent,” said M. de Charlus, keeping his eye on the game, so as to be able to advise Morel. This was not his only reason, however, for not rising from his chair for Mme. Verdurin. With the singular amalgam that he had made of the social conceptions at once of a great nobleman and an amateur of art, instead of being polite in the same way that a man of his world would be, he would create a sort of tableau-vivant for himself after Saint-Simon; and at that moment was amusing himself by impersonating the Maréchal d′Uxelles, who interested him from other aspects also, and of whom it is said that he was so proud as to remain seated, with a pretence of laziness, before all the most distinguished persons at court. “By the way, Charlus,” said Mme. Verdurin, who was beginning to grow familiar, “you don′t know of any ruined old nobleman in your Faubourg who would come to me as porter?” “Why, yes . . . why, yes,” replied M. de Charlus with a genial smile, “but I don′t advise it.” “Why not?” “I should be afraid for your sake, that your smart visitors would call at the lodge and go no farther.” This was the first skirmish between them. Mme. Verdurin barely noticed it. There were to be others, alas, in Paris. M. de Charlus remained glued to his chair. He could not, moreover, restrain a faint smile, seeing how his favourite maxims as to aristocratic prestige and middle-class cowardice were confirmed by the so easily won submission of Mme. Verdurin. The Mistress appeared not at all surprised by the Baron′s posture, and if she left him it was only because she had been perturbed by seeing me taken up by M. de Cambremer. But first of all, she wished to clear up the mystery of M. de Charlus′s relations with Comtesse Mole. “You told me that you knew Mme. de Molê. Does that mean, you go there?” she asked, giving to the words ‘go there′ the sense of being received there, of having received authority from the lady to go and call upon her. M. de Charlus replied with an inflexion of disdain, an affectation of precision and in a sing-song tone: “Yes, sometimes.” This ‘sometimes′ inspired doubts in Mme. Verdurin, who asked: “Have you ever met the Duc de Guermantes there?” “Ah! That I don′t remember.” “Oh!” said Mme. Verdurin, “you don′t know the Duc de Guermantes?” “And how should I not know him?” replied M. de Charlus, his lips curving in a smile. This smile was ironical; but as the Baron was afraid of letting a gold tooth be seen, he stopped it with a reverse movement of his lips, so that the resulting sinuosity was that of a good-natured smile. “Why do you say: ‘How should I not know him?′ “ “Because he is my brother,” said M. de Charlus carelessly, leaving Mme. Verdurin plunged in stupefaction and in the uncertainty whether her guest was making fun of her, was a natural son, or a son by another marriage. The idea that the brother of the Duc de Guermantes might be called Baron de Charlus never entered her head. She bore down upon me. “I heard M. de Cambremer invite you to dinner just now. It has nothing to do with me, you understand. But for your own sake, I do hope you won′t go. For one thing, the place is infested with bores. Oh! If you like dining with provincial Counts and Marquises whom nobody knows, you will be supplied to your heart′s content.” “I think I shall be obliged to go there once or twice. I am not altogether free, however, for I have a young cousin whom I cannot leave by herself” (I felt that this fictitious kinship made it easier for me to take Albertine about). “But as for the Cambremers, as I have been introduced to them. . . . ” “You shall do just as you please. One thing I can tell you: it′s extremely unhealthy; when you have caught pneumonia, or a nice little chronic rheumatism, you′ll be a lot better off!” “But isn′t the place itself very pretty?” “Mmmmyess. . . . If you like. For my part, I confess frankly that I would a hundred times rather have the view from here over this valley. To begin with, if they′d paid us I wouldn′t have taken the other house because the sea air is fatal to M. Verdurin. If your cousin suffers at all from nerves. . . . But you yourself have bad nerves, I think you have choking fits. Very well! You shall see. Go there once, you won′t sleep for a week after it; but it′s not my business.” And without thinking of the inconsistency with what she had just been saying: “If it would amuse you to see the house, which is not bad, pretty is too strong a word, still it is amusing with its old moat, and the old drawbridge, as I shall have to sacrifice myself and dine there once, very well, come that day, I shall try to bring all my little circle, then it will be quite nice. The day after to-morrow we are going to Harambouville in the carriage. It′s a magnificent drive, the cider is delicious. Come with us. You, Brichot, you shall come too. And you too, Ski. That will make a party which, as a matter of fact, my husband must have arranged already. I don′t know whom all he has invited, Monsieur de Charlus, are you one of them?” The Baron, who had not heard the whole speech, and did not know that she was talking of an excursion to Harambouville, gave a start. “A strange question,” he murmured in a mocking tone by which Mme. Verdurin felt hurt. “Anyhow,” she said to me, “before you dine with the Cambremers, why not bring her here, your cousin? Does she like conversation, and clever people? Is she pleasant? Yes, very well then. Bring her with you. The Cambremers aren′t the only people in the world. I can understand their being glad to invite her, they must find it difficult to get anyone. Here she will have plenty of fresh air, and lots of clever men. In any case, I am counting on you not to fail me next Wednesday. I heard you were having a tea-party at Rivebelle with your cousin, and M. de Charlus, and I forget who′ else. You must arrange to bring the whole lot on here, it would be nice if you all came in a body. It′s the easiest thing in the world to get here, the roads are charming; if you like I can send down for you. I can′t imagine what you find attractive in Rivebelle, it′s infested with mosquitoes. You are thinking perhaps of the reputation of the rock-cakes. My cook makes them far better. I can let you have them, here, Norman rock-cakes, the real article, and shortbread; I need say no more. Ah! If you like the filth they give you at Rivebelle, that I won′t give you, I don′t poison my guests, Sir, and even if I wished to, my cook would refuse to make such abominations and would leave my service. Those rock-cakes you get down there, you can′t tell what they are made of. I knew a poor girl who got peritonitis from them, which carried her off in three days. She was only seventeen. It was sad for her poor mother,” added Mme. Verdurin with a melancholy air beneath the spheres of her temples charged with experience and suffering. “However, go and have tea at Rivebelle, if you enjoy being fleeced and flinging money out of the window. But one thing I beg of you, it is a confidential mission I am charging you with, on the stroke of six, bring all your party here, don′t allow them to go straggling away by themselves. You can bring whom you please. I wouldn′t say that to everybody. But I am sure that your friends are nice, I can see at once that we understand one another. Apart from the little nucleus, there are some very pleasant people coming on Wednesday. You don′t know little Madame de Longpont. She is charming, and so witty, not in the least a snob, you will find, you′ll like her immensely. And she′s going to bring a whole troop of friends too,” Mme. Verdurin added to shew me that this was the right thing to do and encourage me by the other′s example. “We shall see which has most influence and brings most people, Barbe de Longpont or you. And then I believe somebody′s going to bring Bergotte,” she added with a vague air, this meeting with a celebrity being rendered far from likely by a paragraph which had appeared in the papers that morning, to the effect that the great writer′s health was causing grave anxiety. “Anyhow, you will see that it will be one of my most successful Wednesdays, I don′t want to have any boring women. You mustn′t judge by this evening, it has been a complete failure. Don′t try to be polite, you can′t have been more bored than I was, I thought myself it was deadly. It won′t always be like to-night, you know! I′m not thinking of the Cambremers, who are impossible, but I have known society people who were supposed to be pleasant, well, compared with my little nucleus, they didn′t exist. I heard you say that you thought Swann clever. I must say, to my mind, his cleverness was greatly exaggerated, but without speaking of the character of the man, which I have always found fundamentally antipathetic, sly, underhand, I have often had him to dinner on Wednesdays. Well, you can ask the others, even compared with Brichot, who is far from being anything wonderful, a good assistant master, whom I got into the Institute, Swann was simply nowhere. He was so dull!” And, as I expressed a contrary opinion: “It′s the truth. I don′t want to say a word against him to you, since he was your friend, indeed he was very fond of you, he has spoken to me about you in the most charming way, but ask the others here if he ever said anything interesting, at our dinners. That, after all, is the supreme test. Well, I don′t know why it was, but Swann, in my house, never seemed to come off, one got nothing out of him. And yet anything there ever was in him he picked up here.” I assured her that he was highly intelligent. “No, you only think that, because you haven′t known him as long as I have. One got to the end of him very soon. I was always bored to death by him.” (Which may be interpreted: “He went to the La Trémoes and the Guermantes and knew that I didn′t.”) “And I can put up with anything, except being bored. That, I cannot and will not stand!” Her horror of boredom was now the reason upon which Mme. Verdurin relied to explain the composition of the little group. She did not yet entertain duchesses because she was incapable of enduring boredom, just as she was unable to go for a cruise, because of sea-sickness. I thought to myself that what Mme. Verdurin said was not entirely false, and, whereas the Guermantes would have declared Brichot to be the stupidest man they had ever met, I remained uncertain whether he were not in reality superior, if not to Swann himself, at least to the other people endowed with the wit of the Guermantes who would have had the good taste to avoid and the modesty to blush at his pedantic pleasantries; I asked myself the question as though a fresh light might be thrown on the nature of the intellect by the answer that I should make, and with the earnestness of a Christian influenced by Port-Royal when he considers the problem of Grace. “You will see,” Mme. Verdurin continued, “when one has society people together with people of real intelligence, people of our set, that′s where one has to see them, the society man who is brilliant in the kingdom of the blind, is only one-eyed here. Besides, the others don′t feel at home any longer. So much so that I′m inclined to ask myself whether, instead of attempting mixtures that spoil everything, I shan′t start special evenings confined to the bores so as to have the full benefit of my little nucleus. However: you are coming again with your cousin. That′s settled. Good. At any rate you will both find something to eat here. Féterne is starvation corner. Oh, by the way, if you like rats, go there at once, you will get as many as you want. And they will keep you there as long as you are prepared to stay. Why, you′ll die of hunger. I′m sure, when I go there, I shall have my dinner before I start. The more the merrier, you must come here first and escort me. We shall have high tea, and supper when we get back. Do you like apple-tarts? Yes, very well then, our chef makes the best in the world. You see, I was quite right when I told you that you were meant to live here. So come and stay. You know, there is far more room in the house than people think. I don′t speak of it, so as not to let myself in for bores. You might bring your cousin to stay. She would get a change of air from Balbec. With this air here, I maintain I can cure incurables. I have cured them, I may tell you, and not only this time. For I have stayed quite close to here before, a place I discovered and got for a mere song, a very different style of house from their Raspelicre. I can shew you it if we go for a drive together. But I admit that even here the air is invigorating. Still, I don′t want to say too much about it, the whole of Paris would begin to take a fancy to my little corner. That has always been my luck. Anyhow, give your cousin my message. We shall put you in two nice rooms looking over the valley, you ought to see it in the morning, with the sun shining on the mist! By the way, who is this Robert de Saint-Loup of whom you were speaking?” she said with a troubled air, for she had heard that I was to pay him a visit at Doncières, and was afraid that he might make me fail her. “Why not bring him here instead, if he′s not a bore. I have heard of him from Morel; I fancy he′s one of his greatest friends,” said Mme. Verdurin with entire want of truth, for Saint-Loup and Morel were not even aware of one another′s existence. But having heard that Saint-Loup knew M. de Charlus, she supposed that it was through the violinist, and wished to appear to know all about them. “He′s not taking up medicine, by any chance, or literature? You know, if you want any help about examinations, Cottard can do anything, and I make what use of him I please. As for the Academy later on, for I suppose he′s not old enough yet, I have several notes in my pocket. Your friend would find himself on friendly soil here, and it might amuse him perhaps to see over the house. Life′s not very exciting at Doncières. But you shall do just what you please, then you can arrange what you think best,” she concluded, without insisting, so as not to appear to be trying to know people of noble birth, and because she always maintained that the system by which she governed the faithful, to wit despotism, was named liberty. “Why, what′s the matter with you,” she said, at the sight of M. Verdurin who, with gestures of impatience, was making for the wooden terrace that ran along the side of the drawing-room above the valley, like a man who is bursting with rage and must have fresh air. “Has Saniette been annoying you again? But you know what an idiot he is, you have to resign yourself to him, don′t work yourself up into such a state. I dislike this sort of thing,” she said to me, “because it is bad for him, it sends the blood to his head. But I must say that one would need the patience of an angel at times to put up with Saniette, and one must always remember that it is a charity to have him in the house. For my part I must admit that he′s so gloriously silly, I can′t help enjoying him. I dare say you heard what he said after dinner: ‘I can′t play whist, but I can the piano.′ Isn′t it superb? It is positively colossal, and incidentally quite untrue, for he knows nothing at all about either. But my husband, beneath his rough exterior, is very sensitive, very kind-hearted, and Saniette′s self-centred way of always thinking about the effect he is going to make drives him crazy. Come, dear, calm yourself, you know Cottard told you that it was bad for your liver. And it is I that will have to bear the brunt of it all,” said Mme. Verdurin. “To-morrow Saniette will come back all nerves and tears. Poor man, he is very ill indeed. Still, that is no reason why he should kill other people. Besides, even at times when he is in pain, when one would like to be sorry for him, his silliness hardens one′s heart. He is really too stupid. You have only to tell him quite politely that these scenes make you both ill, and he is not to come again, since that′s what he′s most afraid of, it will have a soothing effect on his nerves,” Mme. Verdurin whispered to her husband.
On distinguait à peine la mer par les fenêtres de droite. Mais celles de l′autre côté montraient la vallée sur qui était maintenant tombée la neige du clair de lune. On entendait de temps à autre la voix de Morel et celle de Cottard. «Vous avez de l′atout? — Yes. — Ah! vous en avez de bonnes, vous, dit à Morel, en réponse à sa question, M. de Cambremer, car il avait vu que le jeu du docteur était plein d′atout. — Voici la femme de carreau, dit le docteur. Ça est de l′atout, savez-vous? Ié coupe, ié prends. — Mais il n′y a plus de Sorbonne, dit le docteur à M. de Cambremer; il n′y a plus que l′Université de Paris.» M. de Cambremer confessa qu′il ignorait pourquoi le docteur lui faisait cette observation. «Je croyais que vous parliez de la Sorbonne, reprit le docteur. J′avais entendu que vous disiez: tu nous la sors bonne, ajouta-t-il en clignant de l′oeil, pour montrer que c′était un mot. Attendez, dit-il en montrant son adversaire, je lui prépare un coup de Trafalgar.» Et le coup devait être excellent pour le docteur, car dans sa joie il se mit en riant à remuer voluptueusement les deux épaules, ce qui était dans la famille, dans le «genre» Cottard, un trait presque zoologique de la satisfaction. Dans la génération précédente, le mouvement de se frotter les mains comme si on se savonnait accompagnait le mouvement. Cottard lui-même avait d′abord usé simultanément de la double mimique, mais un beau jour, sans qu′on sût à quelle intervention, conjugale, magistrale peut-être, cela était dû, le frottement des mains avait disparu. Le docteur, même aux dominos, quand il forçait son partenaire à «piocher» et à prendre le double-six, ce qui était pour lui le plus vif des plaisirs, se contentait du mouvement des épaules. Et quand — le plus rarement possible — il allait dans son pays natal pour quelques jours, en retrouvant son cousin germain, qui, lui, en était encore au frottement des mains, il disait au retour à Mme Cottard: «J′ai trouvé ce pauvre René bien commun.» «Avez-vous de la petite chaôse? dit-il en se tournant vers Morel. Non? Alors je joue ce vieux David. — Mais alors vous avez cinq, vous avez gagné! — Voilà une belle victoire, docteur, dit le marquis. — Une victoire à la Pyrrhus, dit Cottard en se tournant vers le marquis et en regardant par-dessus son lorgnon pour juger de l′effet de son mot. Si nous avons encore le temps, dit-il à Morel, je vous donne votre revanche. C′est à moi de faire . . . Ah! non, voici les voitures, ce sera pour vendredi, et je vous montrerai un tour qui n′est pas dans une musette.» M. et Mme Verdurin nous conduisirent dehors. La Patronne fut particulièrement câline avec Saniette afin d′être certaine qu′il reviendrait le lendemain. «Mais vous ne m′avez pas l′air couvert, mon petit, me dit M. Verdurin, chez qui son grand âge autorisait cette appellation paternelle. On dirait que le temps a changé.» Ces mots me remplirent de joie, comme si la vie profonde, le surgissement de combinaisons différentes qu′ils impliquaient dans la nature, devait annoncer d′autres changements, ceux-là se produisant dans ma vie, et y créer des possibilités nouvelles. Rien qu′en ouvrant la porte sur le parc, avant de partir, on sentait qu′un autre «temps» occupait depuis un instant la scène; des souffles frais, volupté estivale, s′élevaient dans la sapinière (où jadis Mme de Cambremer rêvait de Chopin) et presque imperceptiblement, en méandres caressants, en remous capricieux, commençaient leurs légers nocturnes. Je refusai la couverture que, les soirs suivants, je devais accepter, quand Albertine serait là, plutôt pour le secret du plaisir que contre le danger du froid. On chercha en vain le philosophe norvégien. Une colique l′avait-elle saisi? Avait-il eu peur de manquer le train? Un aéroplane était-il venu le chercher? Avait-il été emporté dans une Assomption? Toujours est-il qu′il avait disparu sans qu′on eût eu le temps de s′en apercevoir, comme un dieu. «Vous avez tort, me dit M. de Cambremer, il fait un froid de canard. — Pourquoi de canard? demanda le docteur. — Gare aux étouffements, reprit le marquis. Ma soeur ne sort jamais le soir. Du reste, elle est assez mal hypothéquée en ce moment. Ne restez pas en tout cas ainsi tête nue, mettez vite votre couvre-chef. — Ce ne sont pas des étouffements a frigore, dit sentencieusement Cottard. — Ah! ah! dit M. de Cambremer en s′inclinant, du moment que c′est votre avis . . . — Avis au lecteur!» dit le docteur en glissant ses regards hors de son lorgnon pour sourire. M. de Cambremer rit, mais, persuadé qu′il avait raison, il insista. «Cependant, dit-il, chaque fois que ma soeur sort le soir, elle a une crise. — Il est inutile d′ergoter, répondit le docteur, sans se rendre compte de son impolitesse. Du reste, je ne fais pas de médecine au bord de la mer, sauf si je suis appelé en consultation. Je suis ici en vacances.» Il y était, du reste, plus encore peut-être qu′il n′eût voulu. M. de Cambremer lui ayant dit, en montant avec lui en voiture: «Nous avons la chance d′avoir aussi près de nous (pas de votre côté de la baie, de l′autre, mais elle est si resserrée à cet endroit-là) une autre célébrité médicale, le docteur du Boulbon.» Cottard qui d′habitude, par déontologie, s′abstenait de critiquer ses confrères, ne put s′empêcher de s′écrier, comme il avait fait devant moi le jour funeste où nous étions allés dans le petit Casino: «Mais ce n′est pas un médecin. Il fait de la médecine littéraire, c′est de la thérapeutique fantaisiste, du charlatanisme. D′ailleurs, nous sommes en bons termes. Je prendrais le bateau pour aller le voir une fois si je n′étais obligé de m′absenter.» Mais à l′air que prit Cottard pour parler de du Boulbon à M. de Cambremer, je sentis que le bateau avec lequel il fût allé volontiers le trouver eût beaucoup ressemblé à ce navire que, pour aller ruiner les eaux découvertes par un autre médecin littéraire, Virgile (lequel leur enlevait aussi toute leur clientèle), avaient frété les docteurs de Salerne, mais qui sombra avec eux pendant la traversée. «Adieu, mon petit Saniette, ne manquez pas de venir demain, vous savez que mon mari vous aime beaucoup. Il aime votre esprit, votre intelligence; mais si, vous le savez bien, il aime prendre des airs brusques, mais il ne peut pas se passer de vous voir. C′est toujours la première question qu′il me pose: «Est-ce que Saniette vient? j′aime tant le voir! — Je n′ai jamais dit ça», dit M. Verdurin à Saniette avec une franchise simulée qui semblait concilier parfaitement ce que disait la Patronne avec la façon dont il traitait Saniette. Puis regardant sa montre, sans doute pour ne pas prolonger les adieux dans l′humidité du soir, il recommanda aux cochers de ne pas traîner, mais d′être prudents à la descente, et assura que nous arriverions avant le train. Celui-ci devait déposer les fidèles l′un à une gare, l′autre à une autre, en finissant par moi, aucun autre n′allant aussi loin que Balbec, et en commençant par les Cambremer. Ceux-ci, pour ne pas faire monter leurs chevaux dans la nuit jusqu′à la Raspelière, prirent le train avec nous à Donville-Féterne. La station la plus rapprochée de chez eux n′était pas, en effet, celle-ci, qui, déjà un peu distante du village, l′est encore plus du château, mais la Sogne. En arrivant à la gare de Donville-Féterne, M. de Cambremer tint à donner la «pièce», comme disait Françoise, au cocher des Verdurin (justement le gentil cocher sensible, à idées mélancoliques), car M. de Cambremer était généreux, et en cela était plutôt «du côté de sa maman». Mais, soit que «le côté de son papa» intervînt ici, tout en donnant il éprouvait le scrupule d′une erreur commise — soit par lui qui, voyant mal, donnerait, par exemple, un sou pour un franc, soit par le destinataire qui ne s′apercevrait pas de l′importance du don qu′il lui faisait. Aussi fit-il remarquer à celui-ci: «C′est bien un franc que je vous donne, n′est-ce pas?» en faisant miroiter la pièce dans la lumière, et pour que les fidèles pussent le répéter à Mme Verdurin. «N′est-ce pas? c′est bien vingt sous? comme ce n′est qu′une petite course . . . » Lui et Mme de Cambremer nous quittèrent à la Sogne. «Je dirai à ma soeur, me répéta-t-il, que vous avez des étouffements, je suis sûr de l′intéresser.» Je compris qu′il entendait: de lui faire plaisir. Quant à sa femme, elle employa, en prenant congé de moi, deux de ces abréviations qui, même écrites, me choquaient alors dans une lettre, bien qu′on s′y soit habitué depuis, mais qui, parlées, me semblent encore, même aujourd′hui, avoir, dans leur négligé voulu, dans leur familiarité apprise, quelque chose d′insupportablement pédant: «Contente d′avoir passé la soirée avec vous, me dit-elle; amitiés à Saint–Loup, si vous le voyez.» En me disant cette phrase, Mme de Cambremer prononça Saint–Loupe. Je n′ai jamais appris qui avait prononcé ainsi devant elle, ou ce qui lui avait donné à croire qu′il fallait prononcer ainsi. Toujours est-il que, pendant quelques semaines, elle prononça Saint–Loupe, et qu′un homme qui avait une grande admiration pour elle et ne faisait qu′un avec elle fit de même. Si d′autres personnes disaient Saint–Lou, ils insistaient, disaient avec force Saint–Loupe, soit pour donner indirectement une leçon aux autres, soit pour se distinguer d′eux. Mais sans doute, des femmes plus brillantes que Mme de Cambremer lui dirent, ou lui firent indirectement comprendre, qu′il ne fallait pas prononcer ainsi, et que ce qu′elle prenait pour de l′originalité était une erreur qui la ferait croire peu au courant des choses du monde, car peu de temps après Mme de Cambremer redisait Saint–Lou, et son admirateur cessait également toute résistance, soit qu′elle l′eût chapitré, soit qu′il eût remarqué qu′elle ne faisait plus sonner la finale, et s′était dit que, pour qu′une femme de cette valeur, de cette énergie et de cette ambition, eût cédé, il fallait que ce fût à bon escient. Le pire de ses admirateurs était son mari. Mme de Cambremer aimait à faire aux autres des taquineries, souvent fort impertinentes. Sitôt qu′elle s′attaquait de la sorte, soit à moi, soit à un autre, M. de Cambremer se mettait à regarder la victime en riant. Comme le marquis était louche — ce qui donne une intention d′esprit à la gaieté même des imbéciles — l′effet de ce rire était de ramener un peu de pupille sur le blanc, sans cela complet, de l′oeil. Ainsi une éclaircie met un peu de bleu dans un ciel ouaté de nuages. Le monocle protégeait, du reste, comme un verre sur un tableau précieux, cette opération délicate. Quant à l′intention même du rire, on ne sait trop si elle était aimable: «Ah! gredin! vous pouvez dire que vous êtes à envier. Vous êtes dans les faveurs d′une femme d′un rude esprit»; ou rosse: «Hé bien, monsieur, j′espère qu′on vous arrange, vous en avalez des couleuvres»; ou serviable: «Vous savez, je suis là, je prends la chose en riant parce que c′est pure plaisanterie, mais je ne vous laisserais pas malmener»; ou cruellement complice: «Je n′ai pas à mettre mon petit grain de sel, mais, vous voyez, je me tords de toutes les avanies qu′elle vous prodigue. Je rigole comme un bossu, donc j′approuve, moi le mari. Aussi, s′il vous prenait fantaisie de vous rebiffer, vous trouveriez à qui parler, mon petit monsieur. Je vous administrerais d′abord une paire de claques, et soignées, puis nous irions croiser le fer dans la forêt de Chantepie.»   One could barely make out the sea from the windows on the right. But those on the other side shewed the valley, now shrouded in a snowy cloak of moonlight. Now and again one heard the voices of Morel and Cottard. “You have a trump?” “Yes.” “Ah! You′re in luck, you are,” said M. de Cambremer to Morel, in answer to his question, for he had seen that the doctor′s hand was full of trumps. “Here comes the lady of diamonds,” said the doctor. “That′s a trump, you know? My trick. But there isn′t a Sorbonne any longer,” said the doctor to M. de Cambremer; “there′s only the University of Paris.” M. de Cambremer confessed his inability to understand why the doctor made this remark to him. “I thought you were talking about the Sorbonne,” replied the doctor. “I heard you say: tu nous la sors bonne,” he added, with a wink, to shew that this was meant for a pun. “Just wait a moment,” he said, pointing to his adversary, “I have a Trafalgar in store for him.” And the prospect must have been excellent for the doctor, for in his joy his shoulders began to shake rapturously with laughter, which in his family, in the ‘breed′ of the Cottards, was an almost zoological sign of satisfaction. In the previous generation the gesture of rubbing the hands together as though one were soaping them used to accompany this movement. Cottard himself had originally employed both forms simultaneously, but one fine day, nobody ever knew by whose intervention, wifely, professorial perhaps, the rubbing of the hands had disappeared. The doctor even at dominoes, when he got his adversary on the run, and made him take the double six, which was to him the keenest of pleasures, contented himself with shaking his shoulders. And when — which was as seldom as possible — he went down to his native village for a few days, and met his first cousin, who was still at the hand-rubbing stage, he would say to Mme. Cottard on his return: “I thought poor René very common.” “Have you the little dee-ar?” he said, turning to Morel. “No? Then I play this old David.” “Then you have five, you have won!” “That′s a great victory, Doctor,” said the Marquis. “A Pyrrhic victory,” said Cottard, turning to face the Marquis and looking at him over his glasses to judge the effect of his remark. “If there is still time,” he said to Morel, “I give you your revenge. It is my deal. Ah! no, here come the carriages, it will have to be Friday, and I shall shew you a trick you don′t see every day.” M. and Mme. Verdurin accompanied us to the door. The Mistress was especially coaxing with Saniette so as to make certain of his returning next time. “But you don′t look to me as if you were properly wrapped up, my boy,” said M. Verdurin, whose age allowed him to address me in this paternal tone. “One would say the weather had changed.” These words filled me with joy, as though the profoundly hidden life, the uprising of different combinations which they implied in nature, hinted at other changes, these occurring in my own life, and created fresh possibilities in it. Merely by opening the door upon the park, before leaving, one felt that a different ‘weather′ had, at that moment, taken possession of the scene; cooling breezes, one of the joys of summer, were rising in the fir plantation (where long ago Mme. de Cambremer had dreamed of Chopin) and almost imperceptibly, in caressing coils, capricious eddies, were beginning their gentle nocturnes. I declined the rug which, on subsequent evenings, I was to accept when Albertine was with me, more to preserve the secrecy of my pleasure than to avoid the risk of cold. A vain search was made for the Norwegian philosopher. Had he been seized by a colic? Had he been afraid of missing the train? Had an aeroplane come to fetch him? Had he been carried aloft in an Assumption? In any case he had vanished without anyone′s noticing his departure, like a god. “You are unwise,” M. de Cambremer said to me, “it′s as cold as charity.” “Why charity?” the doctor inquired. “Beware of choking,” the Marquis went on. “My sister never goes out at night. However, she is in a pretty bad state at present. In any case you oughtn′t to stand about bare-headed, put your tile on at once.” “They are not frigorifie chokings,” said Cottard sententiously. “Oh, indeed!” M. de Cambremer bowed. “Of course, if that′s your opinion. . . . ” “Opinions of the press!” said the doctor, smiling round his glasses. M. de Cambremer laughed, but, feeling certain that he was in the right, insisted: “All the same,” he said, “whenever my sister goes out after dark, she has an attack.” “It′s no use quibbling,” replied the doctor, regardless of his want of manners. “However, I don′t practise medicine by the seaside, unless I am called in for a consultation. I am here on holiday.” He was perhaps even more on holiday than he would have liked. M. de Cambremer having said to him as they got into the carriage together: “We are fortunate in having quite close to us (not on your side of the bay, on the opposite side, but it is quite narrow at that point) another medical celebrity, Doctor du Boulbon,” Cottard, who, as a rule, from ‘deontology,′ abstained from criticising his colleagues, could not help exclaiming, as he had exclaimed to me on the fatal day when we had visited the little casino: “But he is not a doctor. He practises a literary medicine, it is all fantastic therapeutics, charlatanism. All the same, we are on quite good terms. I should take the boat and go over and pay him a visit, if I weren′t leaving.” But, from the air which Cottard assumed in speaking of du Boulbon to M. de Cambremer, I felt that the boat which he would gladly have taken to call upon him would have greatly resembled that vessel which, in order to go and ruin the waters discovered by another literary doctor, Virgil (who took all their patients from them as well), the doctors of Salerno had chartered, but which sank with them on the voyage. “Good-bye, my dear Saniette, don′t forget to come to-morrow, you know how my husband enjoys seeing you. He enjoys your wit, your intellect; yes indeed, you know quite well, he takes sudden moods, but he can′t live without seeing you. It′s always the first thing he asks me: ‘Is Saniette coming? I do so enjoy seeing him.′” “I never said anything of the sort,” said M. Verdurin to Saniette with a feigned frankness which seemed perfectly to reconcile what the Mistress had just said with the manner in which he treated Saniette. Then looking at his watch, doubtless so as not to prolong the leave-taking in the damp night air, he warned the coachmen not to lose any time, but to be careful when going down the hill, and assured us that we should be in plenty of time for our train. This was to set down the faithful, one at one station, another at another, ending with myself, for no one else was going as far as Balbec, and beginning with the Cambremers. They, so as not to bring their horses all the way up to la Raspelière at night, took the train with us at Douville-Féterne. The station nearest to them was indeed not this, which, being already at some distance from the village, was farther still from the mansion, but la Sogne. On arriving at the station of Douville-Féterne, M. de Cambremer made a point of giving a ‘piece,′ as Françoise used to say, to the Verdurins′ coachman (the nice, sensitive coachman, with melancholy thoughts), for M. de Cambremer was generous, and in that respect took, rather, ‘after his mamma.′ But, possibly because his ‘papa′s′ strain intervened at this point, he felt a scruple, or else that there might be a mistake — either on his part, if, for instance, in the dark, he were to give a sou instead of a franc, or on the recipient′s who might not perceive the importance of the present that was being given him. And so he drew attention to it: “It is a franc I′m giving you, isn′t it?” he said to the coachman, turning the coin until it gleamed in the lamplight, and so that the faithful might report his action to Mme. Verdurin. “Isn′t it? Twenty sous is right, as it′s only a short drive.” He and Mme. de Cambremer left us at la Sogne. “I shall tell my sister,” he repeated to me, “that you have choking fits, I am sure she will be interested.” I understood that he meant: ‘will be pleased.′ As for his wife, she employed, in saying good-bye to me, two abbreviations which, even in writing, used to shock me at that time in a letter, although one has grown accustomed to them since, but which, when spoken, seem to me to-day even to contain in their deliberate carelessness, in their acquired familiarity, something insufferably pedantic: “Pleased to have met you,” she said to me; “greetings to Saint-Loup, if you see him.” In making this speech, Mme. de Cambremer pronounced the name ‘Saint-Loupe.′ I have never discovered who had pronounced it thus in her hearing, or what had led her to suppose that it ought to be so pronounced. However it may be, for some weeks afterwards, she continued to say ‘Saint-Loupe′ and a man who had a great admiration for her and echoed her in every way did the same. If other people said ‘Saint-Lou,′ they would insist, would say emphatically ‘Saint-Loupe,′ whether to teach the others an indirect lesson or to be different from them. But, no doubt, women of greater brilliance than Mme. de Cambremer told her, or gave her indirectly to understand that this was not the correct pronunciation, and that what she regarded as a sign of originality was a mistake which would make people think her little conversant with the usages of society, for shortly afterwards Mme. de Cambremer was again saying ‘Saint-Lou,′ and her admirer similarly ceased to hold out, whether because she had lectured him, or because he had noticed that she no longer sounded the final consonant, and had said to himself that if a woman of such distinction, energy and ambition had yielded, it must have been on good grounds. The worst of her admirers was her husband. Mme. de Cambremer loved to tease other people in a way that was often highly impertinent. As soon as she began to attack me, or anyone else, in this fashion, M. de Cambremer would start watching her victim, laughing the while. As the Marquis had a squint — a blemish which gives an effect of wit to the mirth even of imbeciles — the effect of this laughter was to bring a segment of pupil into the otherwise complete whiteness of his eye. So a sudden rift brings a patch of blue into an otherwise clouded sky. His monocle moreover protected, like the glass over a valuable picture, this delicate operation. As for the actual intention of his laughter, it was hard to say whether it was friendly: “Ah! You rascal! You′re in an enviable position, aren′t you. You have won the favour of a lady who has a pretty wit!” Or coarse: “Well, Sir, I hope you′ll learn your lesson, you′ve got to eat a slice of humble pie.” Or obliging: “I′m here, you know, I take it with a laugh because it′s all pure fun, but I shan′t let you be ill-treated.” Or cruelly accessory: “I don′t need to add my little pinch of salt, but you can see, I′m revelling in all the insults she is showering on you. I′m wriggling like a hunchback, therefore I approve, I, the husband. And so, if you should take it into your head to answer back, you would have me to deal with, my young Sir. I should first of all give you a pair of resounding smacks, well aimed, then we should go and cross swords in the forest of Chantepie.”
Quoi qu′il en fût de ces diverses interprétations de la gaîté du mari, les foucades de la femme prenaient vite fin. Alors M. de Cambremer cessait de rire, la prunelle momentanée disparaissait, et comme on avait perdu depuis quelques minutes l′habitude de l′oeil tout blanc, il donnait à ce rouge Normand quelque chose à la fois d′exsangue et d′extatique, comme si le marquis venait d′être opéré ou s′il implorait du ciel, sous son monocle, les palmes du martyre.   Whatever the correct interpretation of the husband′s merriment, the wife′s whimsies soon came to an end. Whereupon M. de Cambremer ceased to laugh, the temporary pupil vanished and as one had forgotten for a minute or two to expect an entirely white eyeball, it gave this ruddy Norman an air at once anaemic and ecstatic, as though the Marquis had just undergone an operation, or were imploring heaven, through his monocle, for the palms of martyrdom.





Chapitre Troisième

Tristesses de M. de Charlus. Son duel fictif. Les stations du «Transatlantique». Fatigué d′Albertine, je veux rompre avec elle.

CHAPTER THREE

The sorrows of M. de Charlus. — His sham duel. — The stations on the ‘Transatlantic.′— Weary of Albertine I decide to break with her.
Je tombais de sommeil. Je fus monté en ascenseur jusqu′à mon étage non par le liftier, mais par le chasseur louche, qui engagea la conversation pour me raconter que sa soeur était toujours avec le Monsieur si riche, et qu′une fois, comme elle avait envie de retourner chez elle au lieu de rester sérieuse, son Monsieur avait été trouver la mère du chasseur louche et des autres enfants plus fortunés, laquelle avait ramené au plus vite l′insensée chez son ami. «Vous savez, Monsieur, c′est une grande dame que ma soeur. Elle touche du piano, cause l′espagnol. Et vous ne le croiriez pas, pour la soeur du simple employé qui vous fait monter l′ascenseur, elle ne se refuse rien; Madame a sa femme de chambre à elle, je ne serais pas épaté qu′elle ait un jour sa voiture. Elle est très jolie, si vous la voyiez, un peu trop fière, mais dame! ça se comprend. Elle a beaucoup d′esprit. Elle ne quitte jamais un hôtel sans se soulager dans une armoire, une commode, pour laisser un petit souvenir à la femme de chambre qui aura à nettoyer. Quelquefois même, dans une voiture, elle fait ça, et après avoir payé sa course, se cache dans un coin, histoire de rire en voyant rouspéter le cocher qui a à relaver sa voiture. Mon père était bien tombé aussi en trouvant pour mon jeune frère ce prince indien qu′il avait connu autrefois. Naturellement, c′est un autre genre. Mais la position est superbe. S′il n′y avait pas les voyages, ce serait le rêve. Il n′y a que moi jusqu′ici qui suis resté sur le carreau. Mais on ne peut pas savoir. La chance est dans ma famille; qui sait si je ne serai pas un jour président de la République? Mais je vous fais babiller (je n′avais pas dit une seule parole et je commençais à m′endormir en écoutant les siennes). Bonsoir, Monsieur. Oh! merci, Monsieur. Si tout le monde avait aussi bon coeur que vous il n′y aurait plus de malheureux. Mais, comme dit ma soeur, il faudra toujours qu′il y en ait pour que, maintenant que je suis riche, je puisse un peu les emmerder. Passez-moi l′expression. Bonne nuit, Monsieur.»   I was dropping with sleep. I was taken up to my floor not by the liftboy, but by the squinting page, who to make conversation informed me that his sister was still with the gentleman who was so rich, and that, on one occasion, when she had made up her mind to return home instead of sticking to her business, her gentleman friend had paid a visit to the mother of the squinting page and of the other more fortunate children, who had very soon made the silly creature return to her protector. “You know, Sir, she′s a fine lady, my sister is. She plays the piano, she talks Spanish. And you would never take her for the sister of the humble employee who brings you up in the lift, she denies herself nothing; Madame has a maid to herself, I shouldn′t be surprised if one day she keeps her carriage. She is very pretty, if you could see her, a little too high and mighty, but, good lord, you can understand that. She′s full of fun. She never leaves a hotel without doing something first in a wardrobe or a drawer, just to leave a little keepsake with the chambermaid who will have to wipe it up. Sometimes she does it in a cab, and after she′s paid her fare, she′ll hide behind a tree, and she doesn′t half laugh when the cabby finds he′s got to clean his cab after her. My father had another stroke of luck when he found my young brother that Indian Prince he used to know long ago. It′s not the same style of thing, of course. But it′s a superb position. The travelling by itself would be a dream. I′m the only one still on the shelf. But you never know. We′re a lucky family; perhaps one day I shall be President of the Republic. But I′m keeping you talking” (I had not uttered a single word and was beginning to fall asleep as I listened to the flow of his). “Good-night, Sir. Oh! Thank you, Sir. If everybody had as kind a heart as you, there wouldn′t be any poor people left. But, as my sister says, ‘there will always have to be the poor so that now I′m rich I can s—t on them.′ You′ll pardon the expression. Goodnight, Sir.”
Peut-être chaque soir acceptons-nous le risque de vivre, en dormant, des souffrances que nous considérons comme nulles et non avenues parce qu′elles seront ressenties au cours d′un sommeil que nous croyons sans conscience. En effet, ces soirs où je rentrais tard de la Raspelière, j′avais très sommeil. Mais, dès que les froids vinrent, je ne pouvais m′endormir tout de suite car le feu éclairait comme si on eût allumé une lampe. Seulement ce n′était qu′une flambée, et -- comme une lampe aussi, comme le jour quand le soir tombe -- sa trop vive lumière ne tardait pas à baisser; et j′entrais dans le sommeil, lequel est comme un second appartement que nous aurions et où, délaissant le nôtre, nous serions allé dormir. Il a des sonneries à lui, et nous y sommes quelquefois violemment réveillés par un bruit de timbre, parfaitement entendu de nos oreilles, quand pourtant personne n′a sonné. Il a ses domestiques, ses visiteurs particuliers qui viennent nous chercher pour sortir, de sorte que nous sommes prêts à nous lever quand force nous est de constater, par notre presque immédiate transmigration dans l′autre appartement, celui de la veille, que la chambre est vide, que personne n′est venu.   Perhaps every night we accept the risk of facing, while we are asleep, sufferings which we regard as unreal and unimportant because they will be felt in the course of a sleep which we suppose to be unconscious. And indeed on these evenings when I came back late from la Raspelière I was very sleepy. But after the weather turned cold I could not get to sleep at once, for the fire lighted up the room as though there were a lamp burning in it. Only it was nothing more than a blazing log, and — like a lamp too, for that matter, like the day when night gathers — its too bright light was not long in fading; and I entered a state of slumber which is like a second room that we take, into which, leaving our own room, we go when we want to sleep. It has noises of its own and we are sometimes violently awakened by the sound of a bell, perfectly heard by our ears, although nobody has rung. It has its servants, its special visitors who call to take us out so that we are ready to get up when we are compelled to realise, by our almost immediate transmigration into the other room, the room of overnight, that it is empty, that nobody has called.
La race qui l′habite, comme celle des premiers humains, est androgyne. Un homme y apparaît au bout d′un instant sous l′aspect d′une femme. Les choses y ont une aptitude à devenir des hommes, les hommes des amis et des ennemis. Le temps qui s′écoule pour le dormeur, durant ces sommeils-là, est absolument différent du temps dans lequel s′accomplit la vie de l′homme réveillé. Tantôt son cours est beaucoup plus rapide, un quart d′heure semble une journée; quelquefois beaucoup plus long, on croit n′avoir fait qu′un léger somme, on a dormi tout le jour. Alors, sur le char du sommeil, on descend dans des profondeurs où le souvenir ne peut plus le rejoindre et en deçà desquelles l′esprit a été obligé de rebrousser chemin. L′attelage du sommeil, semblable à celui du soleil, va d′un pas si égal, dans une atmosphère où ne peut plus l′arrêter aucune résistance, qu′il faut quelque petit caillou aérolithique étranger à nous (dardé de l′azur par quel Inconnu) pour atteindre le sommeil régulier (qui sans cela n′aurait aucune raison de s′arrêter et durerait d′un mouvement pareil jusque dans les siècles des siècles) et le faire, d′une brusque courbe, revenir vers le réel, brûler les étapes, traverser les régions voisines de la vie -- où bientôt le dormeur entendra, de celle-ci, les rumeurs presque vagues encore, mais déjà perceptibles, bien que déformées -- et atterrir brusquement au réveil. Alors de ces sommeils profonds on s′éveille dans une aurore, ne sachant qui on est, n′étant personne, neuf, prêt à tout, le cerveau se trouvant vidé de ce passé qui était la vie jusque-là. Et peut-être est-ce plus beau encore quand l′atterrissage du réveil se fait brutalement et que nos pensées du sommeil, dérobées par une chape d′oubli, n′ont pas le temps de revenir progressivement avant que le sommeil ne cesse. Alors du noir orage qu′il nous semble avoir traversé (mais nous ne disons même pas nous) nous sortons gisants, sans pensées, un «nous» qui serait sans contenu. Quel coup de marteau l′être ou la chose qui est là a-t-elle reçu pour tout ignorer, stupéfaite jusqu′au moment où la mémoire accourue lui rend la conscience ou la personnalité? Encore, pour ces deux genres de réveil, faut-il ne pas s′endormir, même profondément, sous la loi de l′habitude. Car tout ce que l′habitude enserre dans ses filets, elle le surveille, il faut lui échapper, prendre le sommeil au moment où on croyait faire tout autre chose que dormir, prendre en un mot un sommeil qui ne demeure pas sous la tutelle de la prévoyance, avec la compagnie, même cachée, de la réflexion.   The race that inhabits it is, like that of our first human ancestors, androgynous. A man in it appears a moment later in the form of a woman. Things in it shew a tendency to turn into men, men into friends and enemies. The time that elapses for the sleeper, during these spells of slumber, is absolutely different from the time in which the life of the waking man is passed. Sometimes its course is far more rapid, a quarter of an hour seems a day, at other times far longer, we think we have taken only a short nap, when we have slept through the day. Then, in the chariot of sleep, we descend into depths in which memory can no longer overtake it, and on the brink of which the mind has been obliged to retrace its steps. The horses of sleep, like those of the sun, move at so steady a pace, in an atmosphere in which there is no longer any resistance, that it requires some little aerolith extraneous to ourselves (hurled from the azure by some Unknown) to strike our regular sleep (which otherwise would have no reason to stop, and would continue with a similar motion world without end) and to make it swing sharply round, return towards reality, travel without pause, traverse the regions bordering on life in which presently the sleeper will hear the sounds that come from life, quite vague still, but already perceptible, albeit corrupted — and come to earth suddenly and awake. Then from those profound slumbers we awake in a dawn, not knowing who we are, being nobody, newly born, ready for anything, our brain being emptied of that past which was previously our life. And perhaps it is more pleasant still when our landing at the waking-point is abrupt and the thoughts of our sleep, hidden by a cloak of oblivion, have not time to return to us in order, before sleep ceases. Then, from the black tempest through which we seem to have passed (but we do not even say we), we emerge prostrate, without a thought, a we that is void of content. What hammer-blow has the person or thing that is lying there received to make it unconscious of anything, stupefied until the moment when memory, flooding back, restores to it consciousness or personality? Moreover, for both these kinds of awakening, we must avoid falling asleep, even into deep slumber, under the law of habit. For everything that habit ensnares in her nets, she watches closely, we must escape her, take our sleep at a moment when we thought we were doing anything else than sleeping, take, in a word, a sleep that does not dwell under the tutelage of foresight, in the company, albeit latent, of reflexion.
Du moins, dans ces réveils tels que je viens de les décrire, et qui étaient la plupart du temps les miens quand j′avais dîné la veille à la Raspelière, tout se passait comme s′il en était ainsi, et je peux en témoigner, moi l′étrange humain qui, en attendant que la mort le délivre, vis les volets clos, ne sais rien du monde, reste immobile comme un hibou et, comme celui-ci, ne vois un peu clair que dans les ténèbres. Tout se passe comme s′il en était ainsi, mais peut-être seule une couche d′étoupe a-t-elle empêché le dormeur de percevoir le dialogue intérieur des souvenirs et le verbiage incessant du sommeil. Car (ce qui peut, du reste, s′expliquer aussi bien dans le premier système, plus vaste, plus mystérieux, plus astral) au moment où le réveil se produit, le dormeur entend une voix intérieure qui lui dit: «Viendrez-vous à ce dîner ce soir, cher ami? comme ce serait agréable!» et pense: «Oui, comme ce sera agréable, j′irai»; puis, le réveil s′accentuant, il se rappelle soudain: «Ma grand′mère n′a plus que quelques semaines à vivre, assure le docteur.» Il sonne, il pleure à l′idée que ce ne sera pas, comme autrefois, sa grand′mère, sa grand′mère mourante, mais un indifférent valet de chambre qui va venir, lui répondre. Du reste, quand le sommeil l′emmenait si loin hors du monde habité par le souvenir et la pensée, à travers un éther où il était seul, plus que seul, n′ayant même pas ce compagnon où l′on s′aperçoit soi-même, il était hors du temps et de ses mesures. Déjà le valet de chambre entre, et il n′ose lui demander l′heure, car il ignore s′il a dormi, combien d′heures il a dormi (il se demande si ce n′est pas combien de jours, tant il revient le corps rompu et l′esprit reposé, le coeur nostalgique, comme d′un voyage trop lointain pour n′avoir pas duré longtemps). Certes on peut prétendre qu′il n′y a qu′un temps, pour la futile raison que c′est en regardant la pendule qu′on a constaté n′être qu′un quart d′heure ce qu′on avait cru une journée. Mais au moment où on le constate, on est justement un homme éveillé, plongé dans le temps des hommes éveillés, on a déserté l′autre temps. Peut-être même plus qu′un autre temps: une autre vie. Les plaisirs qu′on a dans le sommeil, on ne les fait pas figurer dans le compte des plaisirs éprouvés au cours de l′existence. Pour ne faire allusion qu′au plus vulgairement sensuel de tous, qui de nous, au réveil, n′a ressenti quelque agacement d′avoir éprouvé, en dormant, un plaisir que, si l′on ne veut pas trop se fatiguer, on ne peut plus, une fois éveillé, renouveler indéfiniment ce jour-là? C′est comme du bien perdu. On a eu du plaisir dans une autre vie qui n′est pas la nôtre. Souffrances et plaisirs du rêve (qui généralement s′évanouissent bien vite au réveil), si nous les faisons figurer dans un budget, ce n′est pas dans celui de la vie courante. At least, in these awakenings which I have just described, and which I experienced as a rule when I had been dining overnight at la Raspelière, everything occurred as though by this process, and I can testify to it, I the strange human being who, while he waits for death to release him, lives behind closed shutters, knows nothing of the world, sits motionless as an owl, and like that bird begins to see things a little plainly only when darkness falls. Everything occurs as though by this process, but perhaps only a layer of wadding has prevented the sleeper from taking in the internal dialogue of memories and the incessant verbiage of sleep. For (and this may be equally manifest in the other system, vaster, more mysterious, more astral) at the moment of his entering the waking state, the sleeper hears a voice inside him saying: “Will you come to this dinner to-night, my dear friend, it would be such fun?” and thinks: “Yes, what fun it will be, I shall go”; then, growing wider awake, he suddenly remembers: “My grandmother has only a few weeks to live, the Doctor assures us.” He rings, he weeps at the thought that it will not be, as in the past, his grandmother, his dying grandmother, but an indifferent waiter that will come in answer to his summons. Moreover, when sleep bore him so far away from the world inhabited by memory and thought, through an ether in which he was alone, more than alone; not having that companion in whom we perceive things, ourself, he was outside the range of time and its measures. But now the footman is in the room, and he dares not ask him the time, for he does not know whether he has slept, for how many hours he has slept (he asks himself whether it should not be how many days, returning thus with weary body and mind refreshed, his heart sick for home, as from a journey too distant not to have taken a long time). We may of course insist that there is but one time, for the futile reason that it is by looking at the clock that we have discovered to have been merely a quarter of an hour what we had supposed a day. But at the moment when we make this discovery we are a man awake, plunged in the time of waking men, we have deserted the other time. Perhaps indeed more than another time: another life. The pleasures that we enjoy in sleep, we do not include them in the list of the pleasures that we have felt in the course of our existence. To allude only to the most grossly sensual of them all, which of us, on waking, has not felt a certain irritation at having experienced in his sleep a pleasure which, if he is anxious not to tire himself, he is not, once he is awake, at liberty to repeat indefinitely during the day. It seems a positive waste. We have had pleasure, in another life, which is not ours. Sufferings and pleasures of the dream-world (which generally vanish soon enough after our waking), if we make them figure in a budget, it is not in the current account of our life.
J′ai dit deux temps; peut-être n′y en a-t-il qu′un seul, non que celui de l′homme éveillé soit valable pour le dormeur, mais peut-être parce que l′autre vie, celle où on dort, n′est pas -- dans sa partie profonde -- soumise à la catégorie du temps. Je me le figurais quand, aux lendemains des dîners à la Raspelière, je m′endormais si complètement. Voici pourquoi. Je commençais à me désespérer, au réveil, en voyant qu′après que j′avais sonné dix fois, le valet de chambre n′était pas venu. A la onzième il entrait. Ce n′était que la première. Les dix autres n′étaient que des ébauches, dans mon sommeil qui durait encore, du coup de sonnette que je voulais. Mes mains gourdes n′avaient seulement pas bougé. Or ces matins-là (et c′est ce qui me fait dire que le sommeil ignore peut-être la loi du temps), mon effort pour m′éveiller consistait surtout en un effort pour faire entrer le bloc obscur, non défini, du sommeil que je venais de vivre, aux cadres du temps. Ce n′est pas tâche facile; le sommeil, qui ne sait si nous avons dormi deux heures ou deux jours, ne peut nous fournir aucun point de repère. Et si nous n′en trouvons pas au dehors, ne parvenant pas à rentrer dans le temps, nous nous rendormons pour cinq minutes, qui nous semblent trois heures.   Two times, I have said; perhaps there is only one after all, not that the time of the waking man has any validity for the sleeper, but perhaps because the other life, the life in which he sleeps, is not — in its profounder part — included in the category of time. I came to this conclusion when on the mornings after dinners at la Raspelière I used to lie so completely asleep. For this reason. I was beginning to despair, on waking, when I found that, after I had rung the bell ten times, the waiter did not appear. At the eleventh ring he came. It was only the first after all. The other ten had been mere suggestions in my sleep which still hung about me, of the peal that I had been meaning to sound. My numbed hands had never even moved. Well, on those mornings (and this is what makes me say that sleep is perhaps unconscious of the law of time) my effort to awaken consisted chiefly in an effort to make the obscure, undefined mass of the sleep in which I had just been living enter into the scale of time. It is no easy task; sleep, which does not know whether we have slept for two hours or two days, cannot provide any indication. And if we do not find one outside, not being able to re-enter time, we fall asleep again, for five minutes which seem to us three hours.
J′ai toujours dit -- et expérimenté-- que le plus puissant des hypnotiques est le sommeil. Après avoir dormi profondément deux heures, s′être battu avec tant de géants, et avoir noué pour toujours tant d′amitiés, il est bien plus difficile de s′éveiller qu′après avoir pris plusieurs grammes de véronal. Aussi, raisonnant de l′un à l′autre, je fus surpris d′apprendre par le philosophe norvégien, qui le tenait de M. Boutroux, «son éminent collègue -- pardon, son confrère» -- ce que M. Bergson pensait des altérations particulières de la mémoire dues aux hypnotiques. «Bien entendu, aurait dit M. Bergson à M. Boutroux, à en croire le philosophe norvégien, les hypnotiques pris de temps en temps, à doses modérées, n′ont pas d′influence sur cette solide mémoire de notre vie de tous les jours, si bien installée en nous. Mais il est d′autres mémoires, plus hautes, plus instables aussi. Un de mes collègues fait un cours d′histoire ancienne. Il m′a dit que si, la veille, il avait pris un cachet pour dormir, il avait de la peine, pendant son cours, à retrouver les citations grecques dont il avait besoin. Le docteur qui lui avait recommandé ces cachets lui assura qu′ils étaient sans influence sur la mémoire. «C′est peut-être que vous n′avez pas à faire de citations grecques», lui avait répondu l′historien, non sans un orgueil moqueur.»   I have always said — and have proved by experiment — that the most powerful soporific is sleep itself. After having slept profoundly for two hours, having fought against so many giants, and formed so many lifelong friendships, it is far more difficult to awake than after taking several grammes of veronal. And so, reasoning from one thing to the other, I was surprised to hear from the Norwegian philosopher, who had it from M. Boutroux, “my eminent colleague — pardon me, my brother,” what M. Bergson thought of the peculiar effects upon the memory of soporific drugs. “Naturally,” M. Bergson had said to M. Boutroux, if one was to believe the Norwegian philosopher, “soporifics, taken from time to time in moderate doses, have no effect upon that solid memory of our everyday life which is so firmly established within us. But there are other forms of memory, loftier, but also more unstable. One of my colleagues lectures upon ancient history. He tells me that if, overnight, he has taken a tablet to make him sleep, he has great difficulty, during his lecture, in recalling the Greek quotations that he requires. The doctor who recommended these tablets assured him that they had no effect upon the memory. ‘That is perhaps because you do not have to quote Greek,′ the historian answered, not without a note of derisive pride.”
Je ne sais si cette conversation entre M. Bergson et M. Boutroux est exacte. Le philosophe norvégien, pourtant si profond et si clair, si passionnément attentif, a pu mal comprendre. Personnellement mon expérience m′a donné des résultats opposés. Les moments d′oubli qui suivent, le lendemain, l′ingestion de certains narcotiques ont une ressemblance partielle seulement, mais troublante, avec l′oubli qui règne au cours d′une nuit de sommeil naturel et profond. Or, ce que j′oublie dans l′un et l′autre cas, ce n′est pas tel vers de Baudelaire qui me fatigue plutôt, «ainsi qu′un tympanon», ce n′est pas tel concept d′un des philosophes cités, c′est la réalité elle-même des choses vulgaires qui m′entourent -- si je dors -- et dont la non-perception fait de moi un fou; c′est, si je suis éveillé et sors à la suite d′un sommeil artificiel, non pas le système de Porphyre ou de Plotin, dont je puis discuter aussi bien qu′un autre jour, mais la réponse que j′ai promis de donner à une invitation, au souvenir de laquelle s′est substitué un pur blanc. L′idée élevée est restée à sa place; ce que l′hypnotique a mis hors d′usage c′est le pouvoir d′agir dans les petites choses, dans tout ce qui demande de l′activité pour ressaisir juste à temps, pour empoigner tel souvenir de la vie de tous les jours. Malgré tout ce qu′on peut dire de la survie après la destruction du cerveau, je remarque qu′à chaque altération du cerveau correspond un fragment de mort. Nous possédons tous nos souvenirs, sinon la faculté de nous les rappeler, dit d′après M. Bergson le grand philosophe norvégien, dont je n′ai pas essayé, pour ne pas ralentir encore, d′imiter le langage. Sinon la faculté de se les rappeler. Mais qu′est-ce qu′un souvenir qu′on ne se rappelle pas? Ou bien, allons plus loin. Nous ne nous rappelons pas nos souvenirs des trente dernières années; mais ils nous baignent tout entiers; pourquoi alors s′arrêter à trente années, pourquoi ne pas prolonger jusqu′au delà de la naissance cette vie antérieure? Du moment que je ne connais pas toute une partie des souvenirs qui sont derrière moi, du moment qu′ils me sont invisibles, que je n′ai pas la faculté de les appeler à moi, qui me dit que, dans cette masse inconnue de moi, il n′y en a pas qui remontent à bien au delà de ma vie humaine? Si je puis avoir en moi et autour de moi tant de souvenirs dont je ne me souviens pas, cet oubli (du moins oubli de fait puisque je n′ai pas la faculté de rien voir) peut porter sur une vie que j′ai vécue dans le corps d′un autre homme, même sur une autre planète. Un même oubli efface tout. Mais alors que signifie cette immortalité de l′âme dont le philosophe norvégien affirmait la réalité? L′être que je serai après la mort n′a pas plus de raisons de se souvenir de l′homme que je suis depuis ma naissance que ce dernier ne se souvient de ce que j′ai été avant elle.   I cannot say whether this conversation between M. Bergson and M. Boutroux is accurately reported. The Norwegian philosopher, albeit so profound and so lucid, so passionately attentive, may have misunderstood. Personally, in my own experience I have found the opposite result. The moments of oblivion that come to us in the morning after we have taken certain narcotics have a resemblance that is only partial, though disturbing, to the oblivion that reigns during a night of natural and profound sleep. Now what I find myself forgetting in either case is not some line of Baudelaire, which on the other hand keeps sounding in my ear, it is not some concept of one of the philosophers above-named, it is the actual reality of the ordinary things that surround me — if I am asleep — my non-perception of which makes me an idiot; it is, if I am awakened and proceed to emerge from an artificial slumber, not the system of Porphyry or Plotinus, which I can discuss as fluently as at any other time, but the answer that I have promised to give to an invitation, the memory of which is replaced by a universal blank. The lofty thought remains in its place; what the soporific has put out of action is the power to act in little things, in everything that demands activity in order to seize at the right moment, to grasp some memory of everyday life. In spite of all that may be said about survival after the destruction of the brain, I observe that each alteration of the brain is a partial death. We possess all our memories, but not the faculty of recalling them, said, echoing M. Bergson, the eminent Norwegian philosopher whose language I have made no attempt to imitate in order not to prolong my story unduly. But not the faculty of recalling them. But what, then, is a memory which we do not recall? Or, indeed, let us go farther. We do not recall our memories of the last thirty years; but we are wholly steeped in them; why then stop short at thirty years, why not prolong back to before out birth this anterior life? The moment that I do not know a whole section of the memories that are behind me, the moment that they are invisible to me, that I have not the faculty of calling them to me, who can assure me that in that mass unknown to me there are not some that extend back much farther than my human life. If I can have in me and round me so many memories which I do not remember, this oblivion (a de facto oblivion, at least, since I have not the faculty of seeing anything) may extend over a life which I have lived in the body of another man, even upon another planet. A common oblivion effaces all. But what, in that case, signifies that immortality of the soul the reality of which the Norwegian philosopher affirmed? The person that I shall be after death has no more reason to remember the man whom I have been since my birth than the latter to remember what I was before it.
Le valet de chambre entrait. Je ne lui disais pas que j′avais sonné plusieurs fois, car je me rendais compte que je n′avais fait jusque-là que le rêve que je sonnais. J′étais effrayé pourtant de penser que ce rêve avait eu la netteté de la connaissance. La connaissance aurait-elle, réciproquement, l′irréalité du rêve?   The waiter came in. I did not mention to him that I had rung several times, for I was beginning to realise that hitherto I had only dreamed that I was ringing. I was alarmed nevertheless by the thought that this dream had had the clear precision of experience. Experience would, reciprocally, have the irreality of a dream.
En revanche, je lui demandais qui avait tant sonné cette nuit. Il me disait: personne, et pouvait l′affirmer, car le «tableau» des sonneries eût marqué. Pourtant j′entendais les coups répétés, presque furieux, qui vibraient encore dans mon oreille et devaient me rester perceptibles pendant plusieurs jours. Il est pourtant rare que le sommeil jette ainsi dans la vie éveillée des souvenirs qui ne meurent pas avec lui. On peut compter ces aérolithes. Si c′est une idée que le sommeil a forgée, elle se dissocie très vite en fragments ténus, irretrouvables. Mais, là, le sommeil avait fabriqué des sons. Plus matériels et plus simples, ils duraient davantage.J′étais étonné de l′heure relativement matinale que me disait le valet de chambre. Je n′en étais pas moins reposé. Ce sont les sommeils légers qui ont une longue durée, parce qu′intermédiaires entre la veille et le sommeil, gardant de la première une notion un peu effacée mais permanente, il leur faut infiniment plus de temps pour nous reposer qu′un sommeil profond, lequel peut être court. Je me sentais bien à mon aise pour une autre raison. S′il suffit de se rappeler qu′on s′est fatigué pour sentir péniblement sa fatigue, se dire: «Je me suis reposé» suffit à créer le repos. Or j′avais rêvé que M. de Charlus avait cent dix ans et venait de donner une paire de claques à sa propre mère; de Mme Verdurin, qu′elle avait acheté cinq milliards un bouquet de violettes; j′étais donc assuré d′avoir dormi profondément, rêvé à rebours de mes notions de la veille et de toutes les possibilités de la vie courante; cela suffisait pour que je me sentisse tout reposé.   Instead I asked him who it was that had been ringing so often during the night. He told me: “Nobody,” and could prove his statement, for the bell-board would have registered any ring. And yet I could hear the repeated, almost furious peals which were still echoing in my ears and were to remain perceptible for several days. It is however seldom that sleep thus projects into our waking life memories that do not perish with it. We can count these aeroliths. If it is an idea that sleep has forged, it soon breaks up into slender, irrecoverable fragments. But, in this instance, sleep had fashioned sounds. More material and simpler, they lasted longer. I was astonished by the relative earliness of the hour, as told me by the waiter. I was none the less refreshed. It is the light sleeps that have a long duration, because, being an intermediate state between waking and sleeping, preserving a somewhat faded but permanent impression of the former, they require infinitely more time to refresh us than a profound sleep, which may be short. I felt quite comfortable for another reason. If remembering that we are tired is enough to make us feel our tiredness, saying to oneself: “I am refreshed,” is enough to create refreshment. Now I had been dreaming that M. de Charlus was a hundred and ten years old, and had just boxed the ears of his own mother, Madame Verdurin, because she had paid five thousand millions for a bunch of violets; I was therefore assured that I had slept profoundly, had dreamed the reverse of what had been in my thoughts overnight and of all the possibilities of life at the moment; this was enough to make me feel entirely refreshed.
J′aurais bien étonné ma mère, qui ne pouvait comprendre l′assiduité de M. de Charlus chez les Verdurin, si je lui avais raconté (précisément le jour où avait été commandée la toque d′Albertine, sans rien lui en dire et pour qu′elle en eût la surprise) avec qui M. de Charlus était venu dîner dans un salon au Grand-Hôtel de Balbec. L′invité n′était autre que le valet de pied d′une cousine des Cambremer. Ce valet de pied était habillé avec une grande élégance et, quand il traversa le hall avec le baron, il «fit homme du monde» aux yeux des touristes, comme aurait dit Saint-Loup. Même les jeunes chasseurs, les «lévites» qui descendaient en foule les degrés du temple à ce moment, parce que c′était celui de la relève, ne firent pas attention aux deux arrivants, dont l′un, M. de Charlus, tenait, en baissant les yeux, à montrer qu′il leur en accordait très peu. Il avait l′air de se frayer un passage au milieu d′eux. «Prospérez, cher espoir d′une nation sainte», dit-il en se rappelant des vers de Racine, cités dans un tout autre sens. «Plaît-il?» demanda le valet de pied, peu au courant des classiques. M. de Charlus ne lui répondit pas, car il mettait un certain orgueil à ne pas tenir compte des questions et à marcher droit devant lui comme s′il n′y avait pas eu d′autres clients de l′hôtel et s′il n′existait au monde que lui, baron de Charlus. Mais ayant continué les vers de Josabeth: «Venez, venez, mes filles», il se sentit dégoûté et n′ajouta pas, comme elle: «il faut les appeler», car ces jeunes enfants n′avaient pas encore atteint l′âge où le sexe est entièrement formé et qui plaisait à M. de Charlus. D′ailleurs, s′il avait écrit au valet de pied de Mme de Chevregny, parce qu′il ne doutait pas de sa docilité, il l′avait espéré plus viril. Il le trouvait, à le voir, plus efféminé qu′il n′eût voulu. Il lui dit qu′il aurait cru avoir affaire à quelqu′un d′autre, car il connaissait de vue un autre valet de pied de Mme de Chevregny, qu′en effet il avait remarqué sur la voiture. C′était une espèce de paysan fort rustaud, tout l′opposé de celui-ci, qui, estimant au contraire ses mièvreries autant de supériorités et ne doutant pas que ce fussent ces qualités d′homme du monde qui eussent séduit M. de Charlus, ne comprit même pas de qui le baron voulait parler. «Mais je n′ai aucun camarade qu′un que vous ne pouvez pas avoir reluqué, il est affreux, il a l′air d′un gros paysan». Et à l′idée que c′était peut-être ce rustre que le baron avait vu, il éprouva une piqûre d′amour-propre. Le baron la devina et, élargissant son enquête: «Mais je n′ai pas fait un voeu spécial de ne connaître que des gens de Mme de Chevregny, dit-il. Est-ce que ici, ou à Paris puisque vous partez bientôt, vous ne pourriez pas me présenter beaucoup de vos camarades d′une maison ou d′une autre? -- Oh! non! répondit le valet de pied, je ne fréquente personne de ma classe. Je ne leur parle que pour le service. Mais il y a quelqu′un de très bien que je pourrai vous faire connaître. -- Qui? demanda le baron. -- Le prince de Guermantes.» M. de Charlus fut dépité qu′on ne lui offrît qu′un homme de cet âge, et pour lequel, du reste, il n′avait pas besoin de la recommandation d′un valet de pied. Aussi déclina-t-il l′offre d′un ton sec et, ne se laissant pas décourager par les prétentions mondaines du larbin, recommença à lui expliquer ce qu′il voudrait, le genre, le type, soit un jockey, etc . . . Craignant que le notaire, qui passait à ce moment-là, ne l′eût entendu, il crut fin de montrer qu′il parlait de tout autre chose que de ce qu′on aurait pu croire et dit avec insistance et à la cantonade, mais comme s′il ne faisait que continuer sa conversation: «Oui, malgré mon âge j′ai gardé le goût de bibeloter, le goût des jolis bibelots, je fais des folies pour un vieux bronze, pour un lustre ancien. J′adore le Beau.»   I should greatly have astonished my mother, who could not understand M. de Charlus′s assiduity in visiting the Verdurins, had I told her whom (on the very day on which Albertine′s toque had been ordered, without a word about it to her, in order that it might come as a surprise) M. de Charlus had brought to dine in a private room at the Grand Hotel, Balbec. His guest was none other than the footman of a lady who was a cousin of the Cambremers. This footman was very smartly dressed, and, as he crossed the hall, with the Baron, ‘did the man of fashion′ as Saint-Loup would have said in the eyes of the visitors. Indeed, the young page-boys, the Lévites who were swarming down the temple steps at that moment because it was the time when they came on duty, paid no attention to the two strangers, one of whom, M. de Charlus, kept his eyes lowered to shew that he was paying little if any to them. He appeared to be trying to carve his way through their midst. “Prosper, dear hope of a sacred nation,” he said, recalling a passage from Racine, and applying to it a wholly different meaning. “Pardon?” asked the footman, who was not well up in the classics. M. de Charlus made no reply, for he took a certain pride in never answering questions and in marching straight ahead as though there were no other visitors in the hotel, or no one existed in the world except himself, Baron de Charlus. But, having continued to quote the speech of Josabeth: “Come, come, my children,” he felt a revulsion and did not, like her, add: “Bid them approach,” for these young people had not yet reached the age at which sex is completely developed, and which appealed to M. de Charlus. Moreover, if he had written to Madame de Chevregny′s footman, because he had had no doubt of his docility, he had hoped to meet some one more virile. On seeing him, he found him more effeminate than he would have liked. He told him that he had been expecting some one else, for he knew by sight another of Madame de Chevregny′s footmen, whom he had noticed upon the box of her carriage. This was an extremely rustic type of peasant, the very opposite of him who had come, who, on the other hand, regarding his own effeminate ways as adding to his attractiveness, and never doubting that it was this man-of-the-world air that had captivated M. de Charlus, could not even guess whom the Baron meant. “But there is no one else in the house, except one that you can′t have given the eye to, he is hideous, just like a great peasant.” And at the thought that it was perhaps this rustic whom the Baron had seen, he felt his self-esteem wounded. The Baron guessed this, and, widening his quest: “But I have not taken a vow that I will know only Mme. de Chevregny′s men,” he said. “Surely there are plenty of fellows in one house or another here or in Paris, since you are leaving soon, that you could introduce to me?” “Oh, no!” replied the footman, “I never go with anyone of my own class. I only speak to them on duty. But there is one very nice person I can make you know.” “Who?” asked the Baron. “The Prince de Guermantes.” M. de Guermantes was vexed at being offered only a man so advanced in years, one, moreover, to whom he had no need to apply to a footman for an introduction. And so he declined the offer in a dry tone and, not letting himself be discouraged by the menial′s social pretensions, began to explain to him again what he wanted, the style, the type, a jockey, for instance, and so on. . . . Fearing lest the solicitor, who went past at that moment, might have heard them, he thought it cunning to shew that he was speaking of anything in the world rather than what his hearer might suspect, and said with emphasis and in ringing tones, but as though he were simply continuing his conversation: “Yes, in spite of my age, I still keep up a passion for collecting, a passion for pretty things, I will do anything to secure an old bronze, an early lustre. I adore the Beautiful.”
Mais pour faire comprendre au valet de pied le changement de sujet qu′il avait exécuté si rapidement, M. de Charlus pesait tellement sur chaque mot, et de plus, pour être entendu du notaire, il les criait tous si fort, que tout ce jeu de scène eût suffi à déceler ce qu′il cachait pour des oreilles plus averties que celles de l′officier ministériel. Celui-ci ne se douta de rien, non plus qu′aucun autre client de l′hôtel, qui virent tous un élégant étranger dans le valet de pied si bien mis. En revanche, si les hommes du monde s′y trompèrent et le prirent pour un Américain très chic, à peine parut-il devant les domestiques qu′il fut deviné par eux, comme un forçat reconnaît un forçat, même plus vite, flairé à distance comme un animal par certains animaux. Les chefs de rang levèrent l′oeil. Aimé jeta un regard soupçonneux. Le sommelier, haussant les épaules, dit derrière sa main, parce qu′il crut cela de la politesse, une phrase désobligeante que tout le monde entendit. Et même notre vieille Françoise, dont la vue baissait et qui passait à ce moment-là au pied de l′escalier pour aller dîner «aux courriers», leva la tête, reconnut un domestique là où des convives de l′hôtel ne le soupçonnaient pas -- comme la vieille nourrice Euryclée reconnaît Ulysse bien avant les prétendants assis au festin -- et, voyant marcher familièrement avec lui M. de Charlus, eut une expression accablée, comme si tout d′un coup des méchancetés qu′elle avait entendu dire et n′avait pas crues eussent acquis à ses yeux une navrante vraisemblance. Elle ne me parla jamais, ni à personne, de cet incident, mais il dut faire faire à son cerveau un travail considérable, car plus tard, chaque fois qu′à Paris elle eut l′occasion de voir Jupien, qu′elle avait jusque-là tant aimé, elle eut toujours avec lui de la politesse, mais qui avait refroidi et était toujours additionnée d′une forte dose de réserve. Ce même incident amena au contraire quelqu′un d′autre à me faire une confidence; ce fut Aimé. Quand j′avais croisé M. de Charlus, celui-ci, qui n′avait pas cru me rencontrer, me cria, en levant la main: «bonsoir», avec l′indifférence, apparente du moins, d′un grand seigneur qui se croit tout permis et qui trouve plus habile d′avoir l′air de ne pas se cacher. Or Aimé, qui, à ce moment, l′observait d′un oeil méfiant et qui vit que je saluais le compagnon de celui en qui il était certain de voir un domestique, me demanda le soir même qui c′était. But to make the footman understand the change of subject he had so rapidly executed, M. de Charlus laid such stress upon each word, and what was more, to be heard by the solicitor, he shouted his words so loud that this charade should in itself have been enough to reveal what it concealed from ears more alert than those of the officer of the court. He suspected nothing, any more than any of the other residents in the hotel, all of whom saw a fashionable foreigner in the footman so smartly attired. On the other hand, if the gentlemen were deceived and took him for a distinguished American, no sooner did he appear before the servants than he was spotted by them, as one convict recognises another, indeed scented afar off, as certain animals scent one another. The head waiters raised their eyebrows. Aimé cast a suspicious glance. The wine waiter, shrugging his shoulders, uttered behind his hand (because he thought it polite) an offensive expression which everybody heard. And even our old Françoise, whose sight was failing and who went past at that moment at the foot of the staircase to dine with the courriers, raised her head, recognised a servant where the hotel guests never suspected one — as the old nurse Euryclea recognises Ulysses long before the suitors seated at the banquet — and seeing, arm in arm with him, M. de Charlus, assumed an appalled expression, as though all of a sudden slanders which she had heard repeated and had not believed had acquired a heartrending probability in her eyes. She never spoke to me, nor to anyone else, of this incident, but it must have caused a considerable commotion in her brain, for afterwards, whenever in Paris she happened to see ‘Julien,′ to whom until then she had been so greatly attached, she still treated him with politeness, but with a politeness that had cooled and was always tempered with a strong dose of reserve. This same incident led some one else to confide in me: this was Aimé. When I encountered M. de Charlus, he, not having expected to meet me, raised his hand and called out “Good evening” with the indifference — outwardly, at least — of a great nobleman who believes that everything is allowed him and thinks it better not to appear to be hiding anything. Aimé, who at that moment was watching him with a suspicious eye and saw that I greeted the companion of the person in whom he was certain that he detected a servant, asked me that same evening who he was.
Car depuis quelque temps Aimé aimait à causer ou plutôt, comme il disait, sans doute pour marquer le caractère selon lui philosophique de ces causeries, à «discuter» avec moi. Et comme je lui disais souvent que j′étais gêné qu′il restât debout près de moi pendant que je dînais au lieu qu′il pût s′asseoir et partager mon repas, il déclarait qu′il n′avait jamais vu un client ayant «le raisonnement aussi juste». Il causait en ce moment avec deux garçons. Ils m′avaient salué, je ne savais pas pourquoi; leurs visages m′étaient inconnus, bien que dans leur conversation résonnât une rumeur qui ne me semblait pas nouvelle. Aimé les morigénait tous deux à cause de leurs fiançailles, qu′il désapprouvait. Il me prit à témoin, je dis que je ne pouvais avoir d′opinion, ne les connaissant pas. Ils me rappelèrent leur nom, qu′ils m′avaient souvent servi à Rivebelle. Mais l′un avait laissé pousser sa moustache, l′autre l′avait rasée et s′était fait tondre; et à cause de cela, bien que ce fût leur tête d′autrefois qui était posée sur leurs épaules (et non une autre, comme dans les restaurations fautives de Notre-Dame), elle m′était restée aussi invisible que ces objets qui échappent aux perquisitions les plus minutieuses, et qui traînent simplement aux yeux de tous, lesquels ne les remarquent pas, sur une cheminée. Dès que je sus leur nom, je reconnus exactement la musique incertaine de leur voix parce que je revis leur ancien visage qui la déterminait. «Ils veulent se marier et ils ne savent seulement pas l′anglais!» me dit Aimé, qui ne songeait pas que j′étais peu au courant de la profession hôtelière et comprenais mal que, si on ne sait pas les langues étrangères, on ne peut pas compter sur une situation. Moi qui croyais qu′il saurait aisément que le nouveau dîneur était M. de Charlus, et me figurais même qu′il devait se le rappeler, l′ayant servi dans la salle à manger quand le baron était venu, pendant mon premier séjour à Balbec, voir Mme de Villeparisis, je lui dis son nom. Or non seulement Aimé ne se rappelait pas le baron de Charlus, mais ce nom parut lui produire une impression profonde. Il me dit qu′il chercherait le lendemain dans ses affaires une lettre que je pourrais peut-être lui expliquer. Je fus d′autant plus étonné que M. de Charlus, quand il avait voulu me donner un livre de Bergotte, à Balbec, la première année, avait fait spécialement demander Aimé, qu′il avait dû retrouver ensuite dans ce restaurant de Paris où j′avais déjeuné avec Saint-Loup et sa maîtresse et où M. de Charlus était venu nous espionner. Il est vrai qu′Aimé n′avait pu accomplir en personne ces missions, étant, une fois, couché et, la seconde fois, en train de servir. J′avais pourtant de grands doutes sur sa sincérité quand il prétendait ne pas connaître M. de Charlus. D′une part, il avait dû convenir au baron. Comme tous les chefs d′étage de l′hôtel de Balbec, comme plusieurs valets de chambre du prince de Guermantes, Aimé appartenait à une race plus ancienne que celle du prince, donc plus noble. Quand on demandait un salon, on se croyait d′abord seul. Mais bientôt dans l′office on apercevait un sculptural maître d′hôtel, de ce genre étrusque roux dont Aimé était le type, un peu vieilli par les excès de champagne et voyant venir l′heure nécessaire de l′eau de Contrexéville. Tous les clients ne leur demandaient pas que de les servir. Les commis, qui étaient jeunes, scrupuleux, pressés, attendus par une maîtresse en ville, se dérobaient. Aussi Aimé leur reprochait-il de n′être pas sérieux. Il en avait le droit. Sérieux, lui l′était. Il avait une femme et des enfants, de l′ambition pour eux. Aussi les avances qu′une étrangère ou un étranger lui faisaient, il ne les repoussait pas, fallût-il rester toute la nuit. Car le travail doit passer avant tout. Il avait tellement le genre qui pouvait plaire à M. de Charlus que je le soupçonnai de mensonge quand il me dit ne pas le connaître. Je me trompais. C′est en toute vérité que le groom avait dit au baron qu′Aimé (qui lui avait passé un savon le lendemain) était couché (ou sorti), et l′autre fois en train de servir. Mais l′imagination suppose au delà de la réalité. Et l′embarras du groom avait probablement excité chez M. de Charlus, quant à la sincérité de ses excuses, des doutes qui avaient blessé chez lui des sentiments qu′Aimé ne soupçonnait pas. On a vu aussi que Saint-Loup avait empêché Aimé d′aller à la voiture où M. de Charlus qui, je ne sais comment, s′était procuré la nouvelle adresse du maître d′hôtel, avait éprouvé une nouvelle déception. Aimé, qui ne l′avait pas remarqué, éprouva un étonnement qu′on peut concevoir quand, le soir même du jour où j′avais déjeuné avec Saint-Loup et sa maîtresse, il reçut une lettre fermée par un cachet aux armes de Guermantes et dont je citerai ici quelques passages comme exemple de folie unilatérale chez un homme intelligent s′adressant à un imbécile sensé. For, for some time past, Aimé had shewn a fondness for talking, or rather, as he himself put it, doubtless in order to emphasise the character — philosophical, according to him — of these talks, ‘discussing′ with me. And as I often said to him that it distressed me that he should have to stand beside the table while I ate instead of being able to sit down and share my meal, he declared that he had never seen a guest shew such ‘sound reasoning.′ He was talking at that moment to two waiters. They had bowed to me, I did not know why their faces were unfamiliar, albeit their conversation sounded a note which seemed to me not to be novel. Aimé was scolding them both because of their matrimonial engagements, of which he disapproved. He appealed to me, I said that I could not have any opinion on the matter since I did not know them. They told me their names, reminded me that they had often waited upon me at Rivebelle. But one had let his moustache grow, the other had shaved his off and had had his head cropped; and for this reason, albeit it was the same head as before that rested upon the shoulders of each of them (and not a different head as in the faulty restorations of Notre-Dame), it had remained almost as invisible to me as those objects which escape the most minute search and are actually staring everybody in the face where nobody notices them, on the mantelpiece. As soon as I knew their names, I recognised exactly the uncertain music of their voices because I saw once more the old face which made it clear. “They want to get married and they haven′t even learned English!” Aimé said to me, without reflecting that I was little versed in the ways of hotel service, and could not be aware that a person who does not know foreign languages cannot be certain of getting a situation. I, who supposed that he would have no difficulty in finding out that the newcomer was M. de Charlus, and indeed imagined that he must remember him, having waited upon him in the dining-room when the Baron came, during my former visit to Balbec, to see Mme. de Villeparisis, I told him his name. Not only did Aimé not remember the Baron de Charlus, but the name appeared to make a profound impression upon him. He told me that he would look for a letter next day in his room which I might perhaps be able to explain to him. I was all the more astonished in that M. de Charlus, when he had wished to give me one of Bergotte′s books, at Balbec, the other year, had specially asked for Aimé, whom he must have recognised later on in that Paris restaurant where I had taken luncheon with Saint-Loup and his mistress and where M. de Charlus had come to spy upon us. It is true that Aimé had not been able to execute these commissions in person, being on the former occasion in bed, and on the latter engaged in waiting. I had nevertheless grave doubts as to his sincerity, when he pretended not to know M. de Charlus. For one thing, he must have appealed to the Baron. Like all the upstairs waiters of the Balbec Hotel, like several of the Prince de Guermantes′s footmen, Aimé belonged to a race more ancient than that of the Prince, therefore more noble. When you asked for a sitting-room, you thought at first that you were alone. But presently, in the service-room you caught sight of a sculptural waiter, of that ruddy Etruscan kind of which Aimé was typical, slightly aged by excessive consumption of champagne and seeing the inevitable hour approach for Contrexéville water. Not all the visitors asked them merely to wait upon them. The underlings who were young, conscientious, busy, who had mistresses waiting for them outside, made off. Whereupon Aimé reproached them with not being serious. He had every right to do so. He himself was serious. He had a wife and children, and was ambitious on their behalf. And so the advances made to him by a strange lady or gentleman he never repulsed, though it meant his staying all night. For business must come before everything. He was so much of the type that attracted M. de Charlus that I suspected him of falsehood when he told me that he did not know him. I was wrong. The page had been perfectly truthful when he told the Baron that Aimé (who had given him a dressing-down for it next day) had gone to bed (or gone out), and on the other occasion was busy waiting. But imagination outreaches reality. And the page-boy′s embarrassment had probably aroused in M. de Charlus doubts as to the sincerity of his excuses that had wounded sentiments of which Aimé had no suspicion. We have seen moreover that Saint-Loup had prevented Aimé from going out to the carriage in which M. de Charlus, who had managed somehow or other to discover the waiter′s new address, received a further disappointment. Aimé, who had not noticed him, felt an astonishment that may be imagined when, on the evening of that very day on which I had taken luncheon with Saint-Loup and his mistress, he received a letter sealed with the Guermantes arms, from which I shall quote a few passages here as an example of unilateral insanity in an intelligent man addressing an imbecile endowed with sense.
«Monsieur, je n′ai pu réussir, malgré des efforts qui étonneraient bien des gens cherchant inutilement à être reçus et salués par moi, à obtenir que vous écoutiez les quelques explications que vous ne me demandiez pas mais que je croyais de ma dignité et de la vôtre de vous offrir. Je vais donc écrire ici ce qu′il eût été plus aisé de vous dire de vive voix. Je ne vous cacherai pas que, la première fois que je vous ai vu à Balbec, votre figure m′a été franchement antipathique.» Suivaient alors des réflexions sur la ressemblance -- remarquée le second jour seulement -- avec un ami défunt pour qui M. de Charlus avait eu une grande affection. «J′avais eu alors un moment l′idée que vous pouviez, sans gêner en rien votre profession, venir, en faisant avec moi les parties de cartes avec lesquelles sa gaieté savait dissiper ma tristesse, me donner l′illusion qu′il n′était pas mort. Quelle que soit la nature des suppositions plus ou moins sottes que vous avez probablement faites et plus à la portée d′un serviteur (qui ne mérite même pas ce nom puisque il n′a pas voulu servir) que la compréhension d′un sentiment si élevé, vous avez probablement cru vous donner de l′importance, ignorant qui j′étais et ce que j′étais, en me faisant répondre, quand je vous faisais demander un livre, que vous étiez couché; or c′est une erreur de croire qu′un mauvais procédé ajoute jamais à la grâce, dont vous êtes d′ailleurs entièrement dépourvu. J′aurais brisé là si par hasard, le lendemain matin, je ne vous avais pu parler. Votre ressemblance avec mon pauvre ami s′accentua tellement, faisant disparaître jusqu′à la forme insupportable de votre menton proéminent, que je compris que c′était le défunt qui à ce moment vous prêtait de son expression si bonne afin de vous permettre de me ressaisir, et de vous empêcher de manquer la chance unique qui s′offrait à vous. En effet, quoique je ne veuille pas, puisque tout cela n′a plus d′objet et que je n′aurai plus l′occasion de vous rencontrer en cette vie, mêler à tout cela de brutales questions d′intérêt, j′aurais été trop heureux d′obéir à la prière du mort (car je crois à la communion des saints et à leur velléité d′intervention dans le destin des vivants), d′agir avec vous comme avec lui, qui avait sa voiture, ses domestiques, et à qui il était bien naturel que je consacrasse la plus grande partie de mes revenus puisque je l′aimais comme un fils. Vous en avez décidé autrement. A ma demande que vous me rapportiez un livre, vous avez fait répondre que vous aviez à sortir. Et ce matin, quand je vous ai fait demander de venir à ma voiture, vous m′avez, si je peux, parler ainsi sans sacrilège, renié pour la troisième fois. Vous m′excuserez de ne pas mettre dans cette enveloppe les pourboires élevés que je comptais vous donner à Balbec et auxquels il me serait trop pénible de m′en tenir à l′égard de quelqu′un avec qui j′avais cru un moment tout partager. Tout au plus pourriez-vous m′éviter de faire auprès de vous, dans votre restaurant, une quatrième tentative inutile et jusqu′à laquelle ma patience n′ira pas. (Et ici M. de Charlus donnait son adresse, l′indication des heures où on le trouverait, etc . . . ) Adieu, Monsieur. Comme je crois que, ressemblant tant à l′ami que j′ai perdu, vous ne pouvez être entièrement stupide, sans quoi la physiognomonie serait une science fausse, je suis persuadé qu′un jour, si vous repensez à cet incident, ce ne sera pas sans éprouver quelque regret et quelque remords. Pour ma part, croyez que bien sincèrement je n′en garde aucune amertume. J′aurais mieux aimé que nous nous quittions sur un moins mauvais souvenir que cette troisième démarche inutile. Elle sera vite oubliée. Nous sommes comme ces vaisseaux que vous avez dû apercevoir parfois de Balbec, qui se sont croisés un moment; il eût pu y avoir avantage pour chacun d′eux à stopper; mais l′un a jugé différemment; bientôt ils ne s′apercevront même plus à l′horizon, et la rencontre est effacée; mais avant cette séparation définitive, chacun salue l′autre, et c′est ce que fait ici, Monsieur, en vous souhaitant bonne chance, le Baron de Charlus.» Sir, I have been unsuccessful, notwithstanding efforts that would astonish many people who have sought in vain to be greeted and welcomed by myself, in persuading you to listen to certain explanations which you have not asked of me but which I have felt it to be incumbent upon my dignity and your own to offer you. I am going therefore to write down here what it would have been more easy to say to you in person. I shall not conceal from you that, the first time that I set eyes upon you at Balbec, I found your face frankly antipathetic.” Here followed reflexions upon the resemblance — remarked only on the following day — to a deceased friend to whom M. de Charlus had been deeply attached. “The thought then suddenly occurred to me that you might, without in any way encroaching upon the demands of your profession, come to see me and, by joining me in the card games with which his mirth used to dispel my gloom, give me the illusion that he was not dead. Whatever the nature of the more or less fatuous suppositions which you probably formed, suppositions more within the mental range of a servant (who does not even deserve the name of servant since he has declined to serve) than the comprehension of so lofty a sentiment, you probably thought that you were giving yourself importance, knowing not who I was nor what I was, by sending word to me, when I asked you to fetch me a book, that you were in bed; but it is a mistake to imagine that impolite behaviour ever adds to charm, in which you moreover are entirely lacking. I should have ended matters there had I not, by chance, the following morning, found an opportunity of speaking to you. Your resemblance to my poor friend was so accentuated, banishing even the intolerable protuberance of your too prominent chin, that I realised that it was the deceased who at that moment was lending you his own kindly expression so as to permit you to regain your hold over me and to prevent you from missing the unique opportunity that was being offered you. Indeed, although I have no wish, since there is no longer any object and it is unlikely that I shall meet you again in this life, to introduce coarse questions of material interest, I should have been only too glad to obey the prayer of my dead friend (for I believe in the Communion of Saints and in their deliberate intervention in the destiny of the living), that I should treat you as I used to treat him, who had his carriage, his servants, and to whom it was quite natural that I should consecrate the greater part of my fortune since I loved him as a father loves his son. You have decided otherwise. To my request that you should fetch me a book you sent the reply that you were obliged to go out. And this morning when I sent to ask you to come to my carriage, you then, if I may so speak without blasphemy, denied me for the third time. You will excuse my not enclosing in this envelope the lavish gratuity which I intended to give you at Balbec and to which it would be too painful to me to restrict myself in dealing with a person with whom I had thought for a moment of sharing all that I possess. At least you might spare me the trouble of making a fourth vain attempt to find you at your restaurant, to which my patience will not extend.” (Here M. de Charlus gave his address, stated the hours at which he would be at home, etc.) “Farewell, Sir. Since I assume that, resembling so strongly the friend whom I have lost, you cannot be entirely stupid, otherwise physiognomy would be a false science, I am convinced that if, one day, you think of this incident again, it will not be without feeling some regret and some remorse. For my part, believe that I am quite sincere in saying that I retain no bitterness. I should have preferred that we should part with a less unpleasant memory than this third futile endeavour. It will soon be forgotten. We are like those vessels which you must often have seen at Balbec, which have crossed one another′s course for a moment; it might have been to the advantage of each of them to stop; but one of them has decided otherwise; presently they will no longer even see one another on the horizon and their meeting is a thing out of mind; but, before this final parting, each of them salutes the other, and so at this point, Sir, wishing you all good fortune, does The Baron de Charlus.”
Aimé n′avait pas même lu cette lettre jusqu′au bout, n′y comprenant rien et se méfiant d′une mystification. Quand je lui eus expliqué qui était le baron, il parut quelque peu rêveur et éprouva ce regret que M. de Charlus lui avait prédit. Je ne jurerais même pas qu′il n′eût alors écrit pour s′excuser à un homme qui donnait des voitures à ses amis. Mais dans l′intervalle M. de Charlus avait fait la connaissance de Morel. Tout au plus, les relations avec celui-ci étant peut-être platoniques, M. de Charlus recherchait-il parfois, pour un soir, une compagnie comme celle dans laquelle je venais de le rencontrer dans le hall. Mais il ne pouvait plus détourner de Morel le sentiment violent qui, libre quelques années plus tôt, n′avait demandé qu′à se fixer sur Aimé et qui avait dicté la lettre dont j′étais gêné pour M. de Charlus et que m′avait montrée le maître d′hôtel. Elle était, à cause de l′amour antisocial qu′était celui de M. de Charlus, un exemple plus frappant de la force insensible et puissante qu′ont ces courants de la passion et par lesquels l′amoureux, comme un nageur entraîné sans s′en apercevoir, bien vite perd de vue la terre. Sans doute l′amour d′un homme normal peut aussi, quand l′amoureux, par l′intervention successive de ses désirs, de ses regrets, de ses déceptions, de ses projets, construit tout un roman sur une femme qu′il ne connaît pas, permettre de mesurer un assez notable écartement de deux branches de compas. Tout de même un tel écartement était singulièrement élargi par le caractère d′une passion qui n′est pas généralement partagée et par la différence des conditions de M. de Charlus et d′Aimé.   Aimé had not even read this letter through, being able to make nothing of it and suspecting a hoax. When I had explained to him who the Baron was, he appeared to be lost in thought and to be feeling the regret that M. de Charlus had anticipated. I would not be prepared to swear that he would not at that moment have written a letter of apology to a man who gave carriages to his friends. But in the interval M. de Charlus had made Morel′s acquaintance. It was true that, his relations with Morel being possibly Platonic, M. de Charlus occasionally sought to spend an evening in company such as that in which I had just met him in the hall. But he was no longer able to divert from Morel the violent sentiment which, at liberty a few years earlier, had asked nothing better than to fasten itself upon Aimé and had dictated the letter which had distressed me, for its writer′s sake, when the head waiter shewed me it. It was, in view of the anti-social nature of M. de Charlus′s love, a more striking example of the insensible, sweeping force of these currents of passion by which the lover, like a swimmer, is very soon carried out of sight of land. No doubt the love of a normal man may also, when the lover, by the successive invention of his desires, regrets, disappointments, plans, constructs a whole romance about a woman whom he does not know, allow the two legs of the compass to gape at a quite remarkably wide angle. All the same, such an angle was singularly enlarged by the character of a passion which is not generally shared and by the difference in social position between M. de Charlus and Aimé.
Tous les jours, je sortais avec Albertine. Elle s′était décidée à se remettre à la peinture et avait d′abord choisi, pour travailler, l′église Saint-Jean de la Haise qui n′est plus fréquentée par personne et est connue de très peu, difficile à se faire indiquer, impossible à découvrir sans être guidé, longue à atteindre dans son isolement, à plus d′une demi-heure de la station d′Épreville, les dernières maisons du village de Quetteholme depuis longtemps passées. Pour le nom d′Épreville, je ne trouvai pas d′accord le livre du curé et les renseignements de Brichot. D′après l′un, Épreville était l′ancienne Sprevilla; l′autre indiquait comme étymologie Aprivilla. La première fois nous prîmes un petit chemin de fer dans la direction opposée à Féterne, c′est-à-dire vers Grattevast. Mais c′était la canicule et ç′avait déjà été terrible de partir tout de suite après le déjeuner. J′eusse mieux aimé ne pas sortir si tôt; l′air lumineux et brûlant éveillait des idées d′indolence et de rafraîchissement. Il remplissait nos chambres, à ma mère et à moi, selon leur exposition, à des températures inégales, comme des chambres de balnéation. Le cabinet de toilette de maman, festonné par le soleil, d′une blancheur éclatante et mauresque, avait l′air plongé au fond d′un puits, à cause des quatre murs en plâtras sur lesquels il donnait, tandis que tout en haut, dans le carré laissé vide, le ciel, dont on voyait glisser, les uns par-dessus les autres, les flots moelleux et superposés, semblait (à cause du désir qu′on avait), situé sur une terrasse ou, vu à l′envers dans quelque glace accrochée à la fenêtre, une piscine pleine d′une eau bleue, réservée aux ablutions. Malgré cette brûlante température, nous avions été prendre le train d′une heure. Mais Albertine avait eu très chaud dans le wagon, plus encore dans le long trajet à pied, et j′avais peur qu′elle ne prît froid en restant ensuite immobile dans ce creux humide que le soleil n′atteint pas. D′autre part, et dès nos premières visites à Elstir, m′étant rendu compte qu′elle eût apprécié non seulement le luxe, mais même un certain confort dont son manque d′argent la privait, je m′étais entendu avec un loueur de Balbec afin que tous les jours une voiture vînt nous chercher. Pour avoir moins chaud nous prenions par la forêt de Chantepie. L′invisibilité des innombrables oiseaux, quelques-uns à demi marins, qui s′y répondaient à côté de nous dans les arbres donnait la même impression de repos qu′on a les yeux fermés. A côté d′Albertine, enchaîné par ses bras au fond de la voiture, j′écoutais ces Océanides. Et quand par hasard j′apercevais l′un de ces musiciens qui passaient d′une feuille sous une autre, il y avait si peu de lien apparent entre lui et ses chants que je ne croyais pas voir la cause de ceux-ci dans le petit corps sautillant, humble, étonné et sans regard. La voiture ne pouvait pas nous conduire jusqu′à l′église. Je la faisais arrêter au sortir de Quetteholme et je disais au revoir à Albertine. Car elle m′avait effrayé en me disant de cette église comme d′autres monuments, de certains tableaux: «Quel plaisir ce serait de voir cela avec vous!» Ce plaisir-là, je ne me sentais pas capable de le donner. Je n′en ressentais devant les belles choses que si j′étais seul, ou feignais de l′être et me taisais. Mais puisqu′elle avait cru pouvoir éprouver, grâce à moi, des sensations d′art qui ne se communiquent pas ainsi, je trouvais plus prudent de lui dire que je la quittais, viendrais la rechercher à la fin de la journée, mais que d′ici là il fallait que je retournasse avec la voiture faire une visite à Mme Verdurin ou aux Cambremer, ou même passer une heure avec maman à Balbec, mais jamais plus loin. Du moins, les premiers temps. Car Albertine m′ayant une fois dit par caprice: «C′est ennuyeux que la nature ait si mal fait les choses et qu′elle ait mis Saint-Jean de la Haise d′un côté, la Raspelière d′un autre, qu′on soit pour toute la journée emprisonnée dans l′endroit qu′on a choisi»; dès que j′eus reçu la toque et le voile, je commandai, pour mon malheur, une automobile à Saint-Fargeau (Sanctus Ferreolus selon le livre du curé). Albertine, laissée par moi dans l′ignorance, et qui était venue me chercher, fut surprise en entendant devant l′hôtel le ronflement du moteur, ravie quand elle sut que cette auto était pour nous. Je la fis monter un instant dans ma chambre. Elle sautait de joie. «Nous allons faire une visite aux Verdurin? -- Oui, mais il vaut mieux que vous n′y alliez pas dans cette tenue puisque vous allez avoir votre auto. Tenez, vous serez mieux ainsi.» Et je sortis la toque et le voile, que j′avais cachés. «C′est à moi? Oh! ce que vous êtes gentil», s′écria-t-elle en me sautant au cou. Aimé, nous rencontrant dans l′escalier, fier de l′élégance d′Albertine et de notre moyen de transport, car ces voitures étaient assez rares à Balbec, se donna le plaisir de descendre derrière nous. Albertine, désirant être vue un peu dans sa nouvelle toilette, me demanda de faire relever la capote, qu′on baisserait ensuite pour que nous soyons plus librement ensemble. «Allons, dit Aimé au mécanicien, qu′il ne connaissait d′ailleurs pas et qui n′avait pas bougé, tu n′entends pas qu′on te dit de relever ta capote?» Car Aimé, dessalé par la vie d′hôtel, où il avait conquis, du reste, un rang éminent, n′était pas aussi timide que le cocher de fiacre pour qui Françoise était une «dame»; malgré le manque de présentation préalable, les plébéiens qu′il n′avait jamais vus il les tutoyait, sans qu′on sût trop si c′était de sa part dédain aristocratique ou fraternité populaire. «Je ne suis pas libre, répondit le chauffeur qui ne me connaissait pas. Je suis commandé pour Mlle Simonet. Je ne peux pas conduire Monsieur.» Aimé s′esclaffa: «Mais voyons, grand gourdiflot, répondit-il au mécanicien, qu′il convainquit aussitôt, c′est justement Mlle Simonet, et Monsieur, qui te commande de lever ta capote, est justement ton patron.» Et comme Aimé, quoique n′ayant pas personnellement de sympathie pour Albertine, était à cause de moi fier de la toilette qu′elle portait, il glissa au chauffeur: «T′en conduirais bien tous les jours, hein! si tu pouvais, des princesses comme ça!» Cette première fois, ce ne fut pas moi seul qui pus aller à la Raspelière, comme je fis d′autres jours pendant qu′Albertine peignait; elle voulut y venir avec moi. Elle pensait bien que nous pourrions nous arrêter çà et là sur la route, mais croyait impossible de commencer par aller à Saint-Jean de la Haise, c′est-à-dire dans une autre direction, et de faire une promenade qui semblait vouée à un jour différent. Elle apprit au contraire du mécanicien que rien n′était plus facile que d′aller à Saint-Jean où il serait en vingt minutes, et que nous y pourrions rester, si nous le voulions, plusieurs heures, ou pousser beaucoup plus loin, car de Quetteholme à la Raspelière il ne mettrait pas plus de trente-cinq minutes. Nous le comprîmes dès que la voiture, s′élançant, franchit d′un seul bond vingt pas d′un excellent cheval. Les distances ne sont que le rapport de l′espace au temps et varient avec lui. Nous exprimons la difficulté que nous avons à nous rendre à un endroit, dans un système de lieues, de kilomètres, qui devient faux dès que cette difficulté diminue. L′art en est aussi modifié, puisqu′un village, qui semblait dans un autre monde que tel autre, devient son voisin dans un paysage dont les dimensions sont changées. En tout cas, apprendre qu′il existe peut-être un univers où 2 et 2 font 5 et où la ligne droite n′est pas le chemin le plus court d′un point à un autre, eût beaucoup moins étonné Albertine que d′entendre le mécanicien lui dire qu′il était facile d′aller dans une même après-midi à Saint-Jean et à la Raspelière. Douville et Quetteholme, Saint-Mars-le-Vieux et Saint-Mars-le-Vêtu, Gourville et Balbec-le-Vieux, Tourville et Féterne, prisonniers aussi hermétiquement enfermés jusque-là dans la cellule de jours distincts que jadis Méséglise et Guermantes, et sur lesquels les mêmes yeux ne pouvaient se poser dans un seul après-midi, délivrés maintenant par le géant aux bottes de sept lieues, vinrent assembler autour de l′heure de notre goûter leurs clochers et leurs tours, leurs vieux jardins que le bois avoisinant s′empressait de découvrir.   Every day I went out with Albertine. She had decided to take up painting again and had chosen as the subject of her first attempts the church of Saint-Jean de la Haise which nobody ever visited and very few had even heard of, a spot difficult to describe, impossible to discover without a guide, slow of access in its isolation, more than half an hour from the Epreville station, after one had long left behind one the last houses of the village of Quetteholme. As to the name Epreville I found that the curé‘s book and Brichot′s information were at variance. According to one, Epreville was the ancient Sprevilla; the other derived the name from Aprivilla. On our first visit we took a little train in the opposite direction from Féterne, that is to say towards Grattevast. But we were in the dog days and it had been a terrible strain simply to go out of doors immediately after luncheon. I should have preferred not to start so soon; the luminous and burning air provoked thoughts of indolence and cool retreats. It filled my mother′s room and mine, according to their exposure, at varying temperatures, like rooms in a Turkish bath. Mamma′s dressing-room, festooned by the sun with a dazzling, Moorish whiteness, appeared to be sunk at the bottom of a well, because of the four plastered walls on which it looked out, while far above, in the empty space, the sky, whose fleecy white waves one saw slip past, one behind another, seemed (because of the longing that one felt), whether built upon a terrace or seen reversed in a mirror hung above the window, a tank filled with blue water, reserved for bathers. Notwithstanding this scorching temperature, we had taken the one o′clock train. But Albertine had been very hot in the carriage, hotter still in the long walk across country, and I was afraid of her catching cold when she proceeded to sit still in that damp hollow where the sun′s rays did not penetrate. Having, on the other hand, as long ago as our first visits to Elstir, made up my mind that she would appreciate not merely luxury but even a certain degree of comfort of which her want of money deprived her, I had made arrangements with a Balbec jobmaster that a carriage was to be sent every day to take us out. To escape from the heat we took the road through the forest of Chantepie. The invisibility of the innumerable birds, some of them almost sea-birds, that conversed with one another from the trees on either side of us, gave the same impression of repose that one has when one shuts one′s eyes. By Albertine′s side, enchained by her arms within the carriage, I listened to these Oceanides. And when by chance I caught sight of one of these musicians as he flitted from one leaf to the shelter of another, there was so little apparent connexion between him and his songs that I could not believe that I beheld their cause in the little body, fluttering, humble, startled and unseeing. The carriage could not take us all the way to the church. I stopped it when we had passed through Quetteholme and bade Albertine good-bye. For she had alarmed me by saying to me of this church as of other buildings, of certain pictures: “What a pleasure it would be to see that with you!” This pleasure was one that I did not feel myself capable of giving her. I felt it myself in front of beautiful things only if I was alone or pretended to be alone and did not speak. But since she supposed that she might, thanks to me, feel sensations of art which are not communicated thus — I thought it more prudent to say that I must leave her, would come back to fetch her at the end of the day, but that in the meantime I must go back with the carriage to pay a call on Mme. Verdurin or on the Cambremers, or even spend an hour with Mamma at Balbec, but never farther afield. To begin with, that is to say. For, Albertine having once said to me petulantly: “It′s a bore that Nature has arranged things so badly and put Saint-Jean de la Haise in one direction, la Raspelière in another, so that you′re imprisoned for the whole day in the part of the country you′ve chosen;” as soon as the toque and veil had come I ordered, to my eventual undoing, a motor-car from Saint-Fargeau (Sanctus Ferreolus, according to the curé‘s book). Albertine, whom I had kept in ignorance and who had come to call for me, was surprised when she heard in front of the hotel the purr of the engine, delighted when she learned that this motor was for ourselves. I made her come upstairs for a moment to my room. She jumped for joy. “We are going to pay a call on the Verdurins.” “Yes, but you′d better not go dressed like that since you are going to have your motor. There, you will look better in these.” And I brought out the toque and veil which I had hidden. “They′re for me? Oh! You are an angel,” she cried, throwing her arms round my neck. Aimé who met us on the stairs, proud of Albertine′s smart attire and of our means of transport, for these vehicles were still comparatively rare at Balbec, gave himself the pleasure of coming downstairs behind us. Albertine, anxious to display herself in her new garments, asked me to have the car opened, as we could shut it later on when we wished to be more private. “Now then,” said Aimé to the driver, with whom he was not acquainted and who had not stirred, “don′t you (tu) hear, you′re to open your roof?” For Aimé, sophisticated by hotel life, in which moreover he had won his way to exalted rank, was not as shy as the cab driver to whom Françoise was a ‘lady′; notwithstanding the want of any formal introduction, plebeians whom he had never seen before he addressed as tu, though it was hard to say whether this was aristocratic disdain on his part or democratic fraternity. “I am engaged,” replied the chauffeur, who did not know me by sight. “I am ordered for Mlle. Simonet. I can′t take this gentleman.” Aimé burst out laughing: “Why, you great pumpkin,” he said to the driver, whom he at once convinced, “this is Mademoiselle Simonet, and Monsieur, who tells you to open the roof of your car, is the person who has engaged you.” And as Aimé, although personally he had no feeling for Albertine, was for my sake proud of the garments she was wearing, he whispered to the chauffeur: “Don′t get the chance of driving a Princess like that every day, do you?” On this first occasion it was not I alone that was able to go to la Raspelière as I did on other days, while Albertine painted; she decided to go there with me. She did indeed think that we might stop here and there on our way, but supposed it to be impossible to start by going to Saint-Jean de la Haise. That is to say in another direction, and to make an excursion which seemed to be reserved for a different day. She learned on the contrary from the driver that nothing could be easier than to go to Saint-Jean, which he could do in twenty minutes, and that we might stay there if we chose for hours, or go on much farther, for from Quetteholme to la Raspelière would not take more than thirty-five minutes. We realised this as soon as the vehicle, starting off, covered in one bound twenty paces of an excellent horse. Distances are only the relation of space to time and vary with that relation. We express the difficulty that we have in getting to a place in a system of miles or kilometres which becomes false as soon as that difficulty decreases. Art is modified by it also, when a village which seemed to be in a different world from some other village becomes its neighbour in a landscape whose dimensions are altered. In any case the information that there may perhaps exist a universe in which two and two make five and the straight line is not the shortest way between two points would have astonished Albertine far less than to hear the driver say that it was easy to go in a single afternoon to Saint-Jean and la Raspelière, Douville and Quetteholme, Saint-Mars le Vieux and Saint-Mars le Vêtu, Gourville and Old Balbec, Tourville and Féterne, prisoners hitherto as hermetically confined in the cells of distinct days as long ago were Méséglise and Guermantes, upon which the same eyes could not gaze in the course of one afternoon, delivered now by the giant with the seven-league boots, came and clustered about our tea-time their towers and steeples, their old gardens which the encroaching wood sprang back to reveal.
Arrivée au bas de la route de la Corniche, l′auto monta d′un seul trait, avec un bruit continu comme un couteau qu′on repasse, tandis que la mer, abaissée, s′élargissait au-dessous de nous. Les maisons anciennes et rustiques de Montsurvent accoururent en tenant serrés contre elles leur vigne ou leur rosier; les sapins de la Raspelière, plus agités que quand s′élevait le vent du soir, coururent dans tous les sens pour nous éviter, et un domestique nouveau que je n′avais encore jamais vu vint nous ouvrir au perron, pendant que le fils du jardinier, trahissant des dispositions précoces, dévorait des yeux la place du moteur. Comme ce n′était pas un lundi, nous ne savions pas si nous trouverions Mme Verdurin, car sauf ce jour-là, où elle recevait, il était imprudent d′aller la voir à l′improviste. Sans doute elle restait chez elle «en principe», mais cette expression, que Mme Swann employait au temps où elle cherchait elle aussi à se faire son petit clan et à attirer les clients en ne bougeant pas, dût-elle souvent ne pas faire ses frais, et qu′elle traduisait avec contresens en «par principe», signifiait seulement «en règle générale», c′est-à-dire avec de nombreuses exceptions. Car non seulement Mme Verdurin aimait à sortir, mais elle poussait fort loin les devoirs de l′hôtesse, et quand elle avait eu du monde à déjeuner, aussitôt après le café, les liqueurs et les cigarettes (malgré le premier engourdissement de la chaleur et de la digestion où on eût mieux aimé, à travers les feuillages de la terrasse, regarder le paquebot de Jersey passer sur la mer d′émail), le programme comprenait une suite de promenades au cours desquelles les convives, installés de force en voiture, étaient emmenés malgré eux vers l′un ou l′autre des points de vue qui foisonnent autour de Douville.   Coming to the foot of the cliff road, the car took it in its stride, with a continuous sound like that of a knife being ground, while the sea falling away grew broader beneath us. The old rustic houses of Montsurvent ran towards us, clasping to their bosoms vine or rose-bush; the firs of la Raspelière, more agitated than when the evening breeze was rising, ran in every direction to escape from us and a new servant whom I had never seen before came to open the door for us on the terrace, while the gardener′s son, betraying a precocious bent, devoured the machine with his gaze. As it was not a Monday we did not know whether we should find Mme. Verdurin, for except upon that day, when she was at home, it was unsafe to call upon her without warning. No doubt she was ‘principally′ at home, but this expression, which Mme. Swann employed at the time when she too was seeking to form her little clan, and to draw visitors to herself without moving towards them, an expression which she interpreted as meaning ‘on principle,′ meant no more than ‘as a general rule,′ that is to say with frequent exceptions. For not only did Mme. Verdurin like going out, but she carried her duties as a hostess to extreme lengths, and when she had had people to luncheon, immediately after the coffee, liqueurs and cigarettes (notwithstanding the first somnolent effects of the heat and of digestion in which they would have preferred to watch through the leafy boughs of the terrace the Jersey packet passing over the enamelled sea), the programme included a series of excursions in the course of which her guests, installed by force in carriages, were conveyed, willy-nilly, to look at one or other of the views that abound in the neighbourhood of Douville.
Cette deuxième partie de la fête n′était pas, du reste (l′effort de se lever et de monter en voiture accompli), celle qui plaisait le moins aux invités, déjà préparés par les mets succulents, les vins fins ou le cidre mousseux, à se laisser facilement griser par la pureté de la brise et la magnificence des sites. Mme Verdurin faisait visiter ceux-ci aux étrangers un peu comme des annexes (plus ou moins lointaines) de sa propriété, et qu′on ne pouvait pas ne pas aller voir du moment qu′on venait déjeuner chez elle et, réciproquement, qu′on n′aurait pas connus si on n′avait pas été reçu chez la Patronne. Cette prétention de s′arroger un droit unique sur les promenades comme sur le jeu de Morel et jadis de Dechambre, et de contraindre les paysages à faire partie du petit clan, n′était pas, du reste, aussi absurde qu′elle semble au premier abord. Mme Verdurin se moquait non seulement de l′absence de goût que, selon elle, les Cambremer montraient dans l′ameublement de la Raspelière et l′arrangement du jardin, mais encore de leur manque d′initiative dans les promenades qu′ils faisaient, ou faisaient faire, aux environs. De même que, selon elle, la Raspelière ne commençait à devenir ce qu′elle aurait dû être que depuis qu′elle était l′asile du petit clan, de même elle affirmait que les Cambremer, refaisant perpétuellement dans leur calèche, le long du chemin de fer, au bord de la mer, la seule vilaine route qu′il y eût dans les environs, habitaient le pays de tout temps mais ne le connaissaient pas. Il y avait du vrai dans cette assertion. Par routine, défaut d′imagination, incuriosité d′une région qui semble rebattue parce qu′elle est si voisine, les Cambremer ne sortaient de chez eux que pour aller toujours aux mêmes endroits et par les mêmes chemins. Certes ils riaient beaucoup de la prétention des Verdurin de leur apprendre leur propre pays. Mais, mis au pied du mur, eux, et même leur cocher, eussent été incapables de nous conduire aux splendides endroits, un peu secrets, où nous menait M. Verdurin, levant ici la barrière d′une propriété privée, mais abandonnée, où d′autres n′eussent pas cru pouvoir s′aventurer; là descendant de voiture pour suivre un chemin qui n′était pas carrossable, mais tout cela avec la récompense certaine d′un paysage merveilleux. Disons, du reste, que le jardin de la Raspelière était en quelque sorte un abrégé de toutes les promenades qu′on pouvait faire à bien des kilomètres alentour. D′abord à cause de sa position dominante, regardant d′un côté la vallée, de l′autre la mer, et puis parce que, même d′un seul côté, celui de la mer par exemple, des percées avaient été faites au milieu des arbres de telle façon que d′ici on embrassait tel horizon, de là tel autre. Il y avait à chacun de ces points de vue un banc; on venait s′asseoir tour à tour sur celui d′où on découvrait Balbec, ou Parville, ou Douville. Même, dans une seule direction, avait été placé un banc plus ou moins à pic sur la falaise, plus ou moins en retrait. De ces derniers, on avait un premier plan de verdure et un horizon qui semblait déjà le plus vaste possible, mais qui s′agrandissait infiniment si, continuant par un petit sentier, on allait jusqu′à un banc suivant d′où l′on embrassait tout le cirque de la mer. Là on percevait exactement le bruit des vagues, qui ne parvenait pas au contraire dans les parties plus enfoncées du jardin, là où le flot se laissait voir encore, mais non plus entendre. Ces lieux de repos portaient, à la Raspelière, pour les maîtres de maison, le nom de «vues». Et en effet ils réunissaient autour du château les plus belles «vues» des pays avoisinants, des plages ou des forêts, aperçus fort diminués par l′éloignement, comme Hadrien avait assemblé dans sa villa des réductions des monuments les plus célèbres des diverses contrées. Le nom qui suivait le mot «vue» n′était pas forcément celui d′un lieu de la côte, mais souvent de la rive opposée de la baie et qu′on découvrait, gardant un certain relief malgré l′étendue du panorama. De même qu′on prenait un ouvrage dans la bibliothèque de M. Verdurin pour aller lire une heure à la «vue de Balbec», de même, si le temps était clair, on allait prendre des liqueurs à la «vue de Rivebelle», à condition pourtant qu′il ne fît pas trop de vent, car, malgré les arbres plantés de chaque côté, là l′air était vif. Pour en revenir aux promenades en voiture que Mme Verdurin organisait pour l′après-midi, la Patronne, si au retour elle trouvait les cartes de quelque mondain «de passage sur la côte», feignait d′être ravie mais était désolée d′avoir manqué sa visite, et (bien qu′on ne vînt encore que pour voir «la maison» ou connaître pour un jour une femme dont le salon artistique était célèbre, mais infréquentable à Paris) le faisait vite inviter par M. Verdurin à venir dîner au prochain mercredi. Comme souvent le touriste était obligé de repartir avant, ou craignait les retours tardifs, Mme Verdurin avait convenu que, le samedi, on la trouverait toujours à l′heure du goûter. Ces goûters n′étaient pas extrêmement nombreux et j′en avais connu à Paris de plus brillants chez la princesse de Guermantes, chez Mme de Galliffet ou Mme d′Arpajon. Mais justement, ici ce n′était plus Paris et le charme du cadre ne réagissait pas pour moi que sur l′agrément de la réunion, mais sur la qualité des visiteurs. La rencontre de tel mondain, laquelle à Paris ne me faisait aucun plaisir, mais qui à la Raspelière, où il était venu de loin par Féterne ou la forêt de Chantepie, changeait de caractère, d′importance, devenait un agréable incident. Quelquefois c′était quelqu′un que je connaissais parfaitement bien et que je n′eusse pas fait un pas pour retrouver chez les Swann. Mais son nom sonnait autrement sur cette falaise, comme celui d′un acteur qu′on entend souvent dans un théâtre, imprimé sur l′affiche, en une autre couleur, d′une représentation extraordinaire et de gala, où sa notoriété se multiplie tout à coup de l′imprévu du contexte. Comme à la campagne on ne se gêne pas, le mondain prenait souvent sur lui d′amener les amis chez qui il habitait, faisant valoir tout bas comme excuse à Mme Verdurin qu′il ne pouvait les lâcher, demeurant chez eux; à ces hôtes, en revanche, il feignait d′offrir comme une sorte de politesse de leur faire connaître ce divertissement, dans une vie de plage monotone, d′aller dans un centre spirituel, de visiter une magnifique demeure et de faire un excellent goûter. Cela composait tout de suite une réunion de plusieurs personnes de demi-valeur; et si un petit bout de jardin avec quelques arbres, qui paraîtrait mesquin à la campagne, prend un charme extraordinaire avenue Gabriel, ou bien rue de Monceau, où des multimillionnaires seuls peuvent se l′offrir, inversement des seigneurs qui sont de second plan dans une soirée parisienne prenaient toute leur valeur, le lundi après-midi, à la Raspelière. A peine assis autour de la table couverte d′une nappe brodée de rouge et sous les trumeaux en cama, on leur servait des galettes, des feuilletés normands, des tartes en bateaux, remplies de cerises comme des perles de corail, des «diplomates», et aussitôt ces invités subissaient, de l′approche de la profonde coupe d′azur sur laquelle s′ouvraient les fenêtres et qu′on ne pouvait pas ne pas voir en même temps qu′eux, une altération, une transmutation profonde qui les changeait en quelque chose de plus précieux.   This second part of the entertainment was, as it happened (once the effort to rise and enter the carriage had been made), no less satisfactory than the other to the guests, already prepared by the succulent dishes, the vintage wines or sparkling cider to let themselves be easily intoxicated by the purity of the breeze and the magnificence of the views. Mme. Verdurin used to make strangers visit these rather as though they were portions (more or less detached) of her property, which you could not help going to see the moment you came to luncheon with her and which conversely you would never have known had you not been entertained by the Mistress. This claim to arrogate to herself the exclusive right over walks and drives, as over Morel′s and formerly Dechambre′s playing, and to compel the landscapes to form part of the little clan, was not for that matter so absurd as it appears at first sight. Mme. Verdurin deplored the want of taste which, according to her, the Cambremers shewed in the furnishing of la Raspelière and the arrangement of the garden, but still more their want of initiative in the excursions that they took or made their guests take in the surrounding country. Just as, according to her, la Raspelière was only beginning to become what it should always have been now that it was the asylum of the little clan, so she insisted that the Cambremers, perpetually exploring in their barouche, along the railway line, by the shore, the one ugly road that there was in the district, had been living in the place all their lives but did not know it. There was a grain of truth in this assertion. From force of habit, lack of imagination, want of interest in a country which seemed hackneyed because it was so near, the Cambremers when they left their home went always to the same places and by the same roads. To be sure they laughed heartily at the Verdurins′ offer to shew them their native country. But when it came to that, they and even their coachman would have been incapable of taking us to the splendid, more or less secret places, to which M. Verdurin brought us, now forcing the barrier of a private but deserted property upon which other people would not have thought it possible to venture, now leaving the carriage to follow a path which was not wide enough for wheeled traffic, but in either case with the certain recompense of a marvellous view. Let us say in passing that the garden at la Raspelière was in a sense a compendium of all the excursions to be made in a radius of many miles. For one thing because of its commanding position, overlooking on one side the valley, on the other the sea, and also because, on one and the same side, the seaward side for instance, clearings had been made through the trees in such a way that from one point you embraced one horizon, from another another. There was at each of these points of view a bench; you went and sat down in turn upon the bench from which there was the view of Balbec, or Parville, or Douville. Even to command a single view one bench would have been placed more or less on the edge of the cliff, another farther back. From the latter you had a foreground of verdure and a horizon which seemed already the vastest imaginable, but which became infinitely larger if, continuing along a little path, you went to the next bench from which you scanned the whole amphitheatre of the sea. There you could make out exactly the sound of the waves which did not penetrate to the more secluded parts of the garden, where the sea was still visible but no longer audible. These resting-places bore at la Raspelière among the occupants of the house the name of ‘views.′ And indeed they assembled round the mansion the finest views of the neighbouring places, coastline or forest, seen greatly diminished by distance, as Hadrian collected in his villa reduced models of the most famous monuments of different countries. The name that followed the word ‘view′ was not necessarily that of a place on the coast, but often that of the opposite shore of the bay which you could make out, standing out in a certain relief notwithstanding the extent of the panorama. Just as you took a book from M. Verdurin′s library to go and read for an hour at the ‘view of Balbec,′ so if the sky was clear the liqueurs would be served at the ‘view of Rivebelle,′ on condition however that the wind was not too strong, for, in spite of the trees planted on either side, the air up there was keen. To come back to the carriage parties that Mme. Verdurin used to organise for the afternoons, the Mistress, if on her return she found the cards of some social butterfly ‘on a flying visit to the coast,′ would pretend to be overjoyed, but was actually broken-hearted at having missed his visit and (albeit people at this date came only to ‘see the house′ or to make the acquaintance for a day of a woman whose artistic salon was famous, but outside the pale in Paris) would at once make M. Verdurin invite him to dine on the following Wednesday. As the tourist was often obliged to leave before that day, or was afraid to be out late, Mme. Verdurin had arranged that on Mondays she was always to be found at teatime. These tea-parties were not at all large, and I had known more brilliant gatherings of the sort in Paris, at the Princesse de Guermantes′s, at Mme. de Gallifet′s or Mme. d′Arpajon′s. But this was not Paris, and the charm of the setting enhanced, in my eyes, not merely the pleasantness of the party but the merits of the visitors. A meeting with some social celebrity, which in Paris would have given me no pleasure, but which at la Raspelière, whither he had come from a distance by Féterne or the forest of Chantepie, changed in character, in importance, became an agreeable incident. Sometimes it was a person whom I knew quite well and would not have gone a yard to meet at the Swanns′. But his name sounded differently upon this cliff, like the name of an actor whom one has constantly heard in a theatre, printed upon the announcement, in a different colour, of an extraordinary gala performance, where his notoriety is suddenly multiplied by the unexpectedness of the rest. As in the country people behave without ceremony, the social celebrity often took it upon him to bring the friends with whom he was staying, murmuring the excuse in Mme. Verdurin′s ear that he could not leave them behind as he was living in their house; to his hosts on the other hand he pretended to offer, as a sort of courtesy, the distraction, in a monotonous seaside life, of being taken to a centre of wit and intellect, of visiting a magnificent mansion and of making an excellent tea. This composed at once an assembly of several persons of semi-distinction; and if a little slice of garden with a few trees, which would seem shabby in the country, acquires an extraordinary charm in the Avenue Gabriel or let us say the Rue de Monceau, where only multi-millionaires can afford such a luxury, inversely gentlemen who are of secondary importance at a Parisian party stood out at their full value on a Monday afternoon at la Raspelière. No sooner did they sit down at the table covered with a cloth embroidered in red, beneath the painted panels, to partake of the rock cakes, Norman puff pastry, tartlets shaped like boats filled with cherries like beads of coral, ‘diplomatic′ cakes, than these guests were subjected, by the proximity of the great bowl of azure upon which the window opened, and which you could not help seeing when you looked at them, to a profound alteration, a transmutation which changed them into something more precious than before.
Bien plus, même avant de les avoir vus, quand on venait le lundi chez Mme Verdurin, les gens qui, à Paris, n′avaient plus que des regards fatigués par l′habitude pour les élégants attelages qui stationnaient devant un hôtel somptueux, sentaient leur coeur battre à la vue des deux ou trois mauvaises tapissières arrêtées devant la Raspelière, sous les grands sapins. Sans doute c′était que le cadre agreste était différent et que les impressions mondaines, grâce à cette transposition, redevenaient fraîches. C′était aussi parce que la mauvaise voiture prise pour aller voir Mme Verdurin évoquait une belle promenade et un coûteux «forfait» conclu avec un cocher qui avait demandé «tant» pour la journée. Mais la curiosité légèrement émue à l′égard des arrivants, encore impossibles à distinguer, tenait aussi de ce que chacun se demandait: «Qui est-ce que cela va être?» question à laquelle il était difficile de répondre, ne sachant pas qui avait pu venir passer huit jours chez les Cambremer ou ailleurs, et qu′on aime toujours à se poser dans les vies agrestes, solitaires, où la rencontre d′un être humain qu′on n′a pas vu depuis longtemps, ou la présentation à quelqu′un qu′on ne connaît pas, cesse d′être cette chose fastidieuse qu′elle est dans la vie de Paris, et interrompt délicieusement l′espace vide des vies trop isolées, où l′heure même du courrier devient agréable. Et le jour où nous vînmes en automobile à la Raspelière, comme ce n′était pas lundi, M. et Mme Verdurin devaient être en proie à ce besoin de voir du monde qui trouble les hommes et les femmes et donne envie de se jeter par la fenêtre au malade qu′on a enfermé loin des siens, pour une cure d′isolement. Car le nouveau domestique aux pieds plus rapides, et déjà familiarisé avec ces expressions, nous ayant répondu que «si Madame n′était pas sortie elle devait être à la «vue de Douville», «qu′il allait aller voir», il revint aussitôt nous dire que celle-ci allait nous recevoir. Nous la trouvâmes un peu décoiffée, car elle arrivait du jardin, de la basse-cour et du potager, où elle était allée donner à manger à ses paons et à ses poules, chercher des oeufs, cueillir des fruits et des fleurs pour «faire son chemin de table», chemin qui rappelait en petit celui du parc; mais, sur la table, il donnait cette distinction de ne pas lui faire supporter que des choses utiles et bonnes à manger; car, autour de ces autres présents du jardin qu′étaient les poires, les oeufs battus à la neige, montaient de hautes tiges de vipérines, d′oeillets, de roses et de coreopsis entre lesquels on voyait, comme entre des pieux indicateurs et fleuris, se déplacer, par le vitrage de la fenêtre, les bateaux du large. A l′étonnement que M. et Mme Verdurin, s′interrompant de disposer les fleurs pour recevoir les visiteurs annoncés, montrèrent, en voyant que ces visiteurs n′étaient autres qu′Albertine et moi, je vis bien que le nouveau domestique, plein de zèle, mais à qui mon nom n′était pas encore familier, l′avait mal répété et que Mme Verdurin, entendant le nom d′hôtes inconnus, avait tout de même dit de faire entrer, ayant besoin de voir n′importe qui. Et le nouveau domestique contemplait ce spectacle, de la porte, afin de comprendre le rôle que nous jouions dans la maison. Puis il s′éloigna en courant, à grandes enjambées, car il n′était engagé que de la veille. Quand Albertine eut bien montré sa toque et son voile aux Verdurin, elle me jeta un regard pour me rappeler que nous n′avions pas trop de temps devant nous pour ce que nous désirions faire. Mme Verdurin voulait que nous attendissions le goûter, mais nous refusâmes, quand tout d′un coup se dévoila un projet qui eût mis à néant tous les plaisirs que je me promettais de ma promenade avec Albertine: la Patronne, ne pouvant se décider à nous quitter, ou peut-être à laisser échapper une distraction nouvelle, voulait revenir avec nous. Habituée dès longtemps à ce que, de sa part, les offres de ce genre ne fissent pas plaisir, et n′étant probablement pas certaine que celle-ci nous en causerait un, elle dissimula sous un excès d′assurance la timidité qu′elle éprouvait en nous l′adressant, et n′ayant même pas l′air de supposer qu′il pût y avoir doute sur notre réponse, elle ne nous posa pas de question, mais dit à son mari, en parlant d′Albertine et de moi, comme si elle nous faisait une faveur: «Je les ramènerai, moi.» En même temps s′appliqua sur sa bouche un sourire qui ne lui appartenait pas en propre, un sourire que j′avais déjà vu à certaines gens quand ils disaient à Bergotte, d′un air fin: «J′ai acheté votre livre, c′est comme cela», un de ces sourires collectifs, universaux, que, quand ils en ont besoin -- comme on se sert du chemin de fer et des voitures de déménagement -- empruntent les individus, sauf quelques-uns très raffinés, comme Swann ou comme M. de Charlus, aux lèvres de qui je n′ai jamais vu se poser ce sourire-là. Dès lors ma visite était empoisonnée. Je fis semblant de ne pas avoir compris. Au bout d′un instant il devint évident que M. Verdurin serait de la fête. «Mais ce sera bien long pour M. Verdurin, dis-je. -- Mais non, me répondit Mme Verdurin d′un air condescendant et égayé, il dit que ça l′amusera beaucoup de refaire avec cette jeunesse cette route qu′il a tant suivie autrefois; au besoin il montera à côté du wattman, cela ne l′effraye pas, et nous reviendrons tous les deux bien sagement par le train, comme de bons époux. Regardez, il a l′air enchanté.» Elle semblait parler d′un vieux grand peintre plein de bonhomie qui, plus jeune que les jeunes, met sa joie à barbouiller des images pour faire rire ses petits-enfants. Ce qui ajoutait à ma tristesse est qu′Albertine semblait ne pas la partager et trouver amusant de circuler ainsi par tout le pays avec les Verdurin. Quant à moi, le plaisir que je m′étais promis de prendre avec elle était si impérieux que je ne voulus pas permettre à la Patronne de le gâcher; j′inventai des mensonges, que les irritantes menaces de Mme Verdurin rendaient excusables, mais qu′Albertine, hélas! contredisait. «Mais nous avons une visite à faire, dis-je. -- Quelle visite? demanda Albertine. -- Je vous expliquerai, c′est indispensable. -- Hé bien! nous vous attendrons», dit Mme Verdurin résignée à tout. A la dernière minute, l′angoisse de me sentir ravir un bonheur si désiré me donna le courage d′être impoli. Je refusai nettement, alléguant à l′oreille de Mme Verdurin, qu′à cause d′un chagrin qu′avait eu Albertine et sur lequel elle désirait me consulter, il fallait absolument que je fusse seul avec elle. La Patronne prit un air courroucé: «C′est bon, nous ne viendrons pas», me dit-elle d′une voix tremblante de colère. Je la sentis si fâchée que, pour avoir l′air de céder un peu: «Mais on aurait peut-être pu . . . -- Non, reprit-elle, plus furieuse encore, quand j′ai dit non, c′est non.» Je me croyais brouillé avec elle, mais elle nous rappela à la porte pour nous recommander de ne pas «lâcher» le lendemain mercredi, et de ne pas venir avec cette affaire-là, qui était dangereuse la nuit, mais par le train, avec tout le petit groupe, et elle fit arrêter l′auto déjà en marche sur la pente du parc parce que le domestique avait oublié de mettre dans la capote le carré de tarte et les sablés qu′elle avait fait envelopper pour nous. Nous repartîmes escortés un moment par les petites maisons accourues avec leurs fleurs. La figure du pays nous semblait toute changée tant, dans l′image topographique que nous nous faisons de chacun d′eux, la notion d′espace est loin d′être celle qui joue le plus grand rôle. Nous avons dit que celle du temps les écarte davantage. Elle n′est pas non plus la seule. Certains lieux que nous voyons toujours isolés nous semblent sans commune mesure avec le reste, presque hors du monde, comme ces gens que nous avons connus dans des périodes à part de notre vie, au régiment, dans notre enfance, et que nous ne relions à rien. La première année de mon séjour à Balbec, il y avait une hauteur où Mme de Villeparisis aimait à nous conduire, parce que de là on ne voyait que l′eau et les bois, et qui s′appelait Beaumont. Comme le chemin qu′elle faisait prendre pour y aller, et qu′elle trouvait le plus joli à cause de ses vieux arbres, montait tout le temps, sa voiture était obligée d′aller au pas et mettait très longtemps. Une fois arrivés en haut, nous descendions, nous nous promenions un peu, remontions en voiture, revenions par le même chemin, sans avoir rencontré aucun village, aucun château. Je savais que Beaumont était quelque chose de très curieux, de très loin, de très haut, je n′avais aucune idée de la direction où cela se trouvait, n′ayant jamais pris le chemin de Beaumont pour aller ailleurs; on mettait, du reste, beaucoup de temps en voiture pour y arriver. Cela faisait évidemment partie du même département (ou de la même province) que Balbec, mais était situé pour moi dans un autre plan, jouissait d′un privilège spécial d′exterritorialité. Mais l′automobile, qui ne respecte aucun mystère, après avoir dépassé Incarville, dont j′avais encore les maisons dans les yeux, comme nous descendions la côte de traverse qui aboutit à Parville (Paterni villa), apercevant la mer d′un terre-plein où nous étions, je demandai comment s′appelait cet endroit, et avant même que le chauffeur m′eût répondu, je reconnus Beaumont, à côté duquel je passais ainsi sans le savoir chaque fois que je prenais le petit chemin de fer, car il était à deux minutes de Parville. Comme un officier de mon régiment qui m′eût semblé un être spécial, trop bienveillant et simple pour être de grande famille, trop lointain déjà et mystérieux pour être simplement d′une grande famille, et dont j′aurais appris qu′il était beau-frère, cousin de telles ou telles personnes avec qui je dînais en ville, ainsi Beaumont, relié tout d′un coup à des endroits dont je le croyais si distinct, perdit son mystère et prit sa place dans la région, me faisant penser avec terreur que Madame Bovary et la Sanseverina m′eussent peut-être semblé des êtres pareils aux autres si je les eusse rencontrées ailleurs que dans l′atmosphère close d′un roman. Il peut sembler que mon amour pour les féeriques voyages en chemin de fer aurait dû m′empêcher de partager l′émerveillement d′Albertine devant l′automobile qui mène, même un malade, là où il veut, et empêche -- comme je l′avais fait jusqu′ici -- de considérer l′emplacement comme la marque individuelle, l′essence sans succédané des beautés inamovibles. Et sans doute, cet emplacement, l′automobile n′en faisait pas, comme jadis le chemin de fer, quand j′étais venu de Paris à Balbec, un but soustrait aux contingences de la vie ordinaire, presque idéal au départ et qui, le restant à l′arrivée, à l′arrivée dans cette grande demeure où n′habite personne et qui porte seulement le nom de la ville, la gare, a l′air d′en promettre enfin l′accessibilité, comme elle en serait la matérialisation. Non, l′automobile ne nous menait pas ainsi féeriquement dans une ville que nous voyions d′abord dans l′ensemble que résume son nom, et avec les illusions du spectateur dans la salle. Elle nous faisait entrer dans la coulisse des rues, s′arrêtait à demander un renseignement à un habitant. Mais, comme compensation d′une progression si familière, on a les tâtonnements mêmes du chauffeur incertain de sa route et revenant sur ses pas, les chassés-croisés de la perspective faisant jouer un château aux quatre coins avec une colline, une église et la mer, pendant qu′on se rapproche de lui, bien qu′il se blottisse vainement sous sa feuillée séculaire; ces cercles, de plus en plus rapprochés, que décrit l′automobile autour d′une ville fascinée qui fuit dans tous les sens pour échapper, et sur laquelle finalement elle fonce tout droit, à pic, au fond de la vallée où elle reste gisante à terre; de sorte que cet emplacement, point unique, que l′automobile semble avoir dépouillé du mystère des trains express, elle donne par contre l′impression de le découvrir, de le déterminer nous-même comme avec un compas, de nous aider à sentir d′une main plus amoureusement exploratrice, avec une plus fine précision, la véritable géométrie, la belle mesure de la terre. What was more, even before you set eyes on them, when you came on a Monday to Mme. Verdurin′s, people who in Paris would scarcely turn their heads to look, so familiar was the sight of a string of smart carriages waiting outside a great house, felt their hearts throb at the sight of the two or three broken-down dog-carts drawn up in front of la Raspelière, beneath the tall firs. No doubt this was because the rustic setting was different, and social impressions thanks to this transposition regained a kind of novelty. It was also because the broken-down carriage that one hired to pay a call upon Mme. Verdurin called to mind a pleasant drive and a costly bargain struck with a coachman who had demanded ‘so much′ for the whole day. But the slight stir of curiosity with regard to fresh arrivals, whom it was still impossible to distinguish, made everybody ask himself: “Who can this be?” a question which it was difficult to answer, when one did not know who might have come down to spend a week with the Cambremers or elsewhere, but which people always enjoy putting to themselves in rustic, solitary lives where a meeting with a human creature whom one has not seen for a long time ceases to be the tiresome affair that it is in the life of Paris, and forms a delicious break in the empty monotony of lives that are too lonely, in which even the postman′s knock becomes a pleasure. And on the day on which we arrived in a motor-car at la Raspelière, as it was not Monday, M. and Mme. Verdurin must have been devoured by that craving to see people which attacks men and women and inspires a longing to throw himself out of the window in the patient who has been shut up away from his family and friends, for a cure of strict isolation. For the new and more swift-footed servant, who had already made himself familiar with these expressions, having replied that “if Madame has not gone out she must be at the view of Douville,” and that he would go and look for her, came back immediately to tell us that she was coming to welcome us. We found her slightly dishevelled, for she came from the flower beds, farmyard and kitchen garden, where she had gone to feed her peacocks and poultry, to hunt for eggs, to gather fruit and flowers to ‘make her table-centre,′ which would suggest her park in miniature; but on the table it conferred the distinction of making it support the burden of only such things as were useful and good to eat; for round those other presents from the garden which were the pears, the whipped eggs, rose the tall stems of bugloss, carnations, roses and coreopsis, between which one saw, as between blossoming boundary posts, move from one to another beyond the glazed windows, the ships at sea. From the astonishment which M. and Mme. Verdurin, interrupted while arranging their flowers to receive the visitors that had been announced, shewed upon finding that these visitors were merely Albertine and myself, it was easy to see that the new servant, full of zeal but not yet familiar with my name, had repeated it wrongly and that Mme. Verdurin, hearing the names of guests whom she did not know, had nevertheless bidden him let them in, in her need of seeing somebody, no matter whom. And the new servant stood contemplating this spectacle from the door in order to learn what part we played in the household. Then he made off at a run, taking long strides, for he had entered upon his duties only the day before. When Albertine had quite finished displaying her toque and veil to the Verdurins, she gave me a warning look to remind me that we had not too much time left for what we meant to do. Mme. Verdurin begged us to stay to tea, but we refused, when all of a sudden a suggestion was mooted which would have made an end of all the pleasures that I promised myself from my drive with Albertine: the Mistress, unable to face the thought of tearing herself from us, or perhaps of allowing a novel distraction to escape, decided to accompany us. Accustomed for years past to the experience that similar offers on her part were not well received, and being probably dubious whether this offer would find favour with us, she concealed beneath an excessive assurance the timidity that she felt when addressing us and, without even appearing to suppose that there could be any doubt as to our answer, asked us no question, but said to her husband, speaking of Albertine and myself, as though she were conferring a favour on us: “I shall see them home, myself.” At the same time there hovered over her lips a smile that did not belong to them, a smile which I had already seen on the faces of certain people when they said to Bergotte with a knowledgeable air: “I have bought your book, it′s not bad,” one of those collective, universal smiles which, when they feel the need of them — as we make use of railways and removal vans — individuals borrow, except a few who are extremely refined, like Swann or M. de Charlus on whose lips I have never seen that smile settle. From that moment my visit was poisoned. I pretended not to have understood. A moment later it became evident that M. Verdurin was to be one of the party. “But it will be too far for M. Verdurin,” I objected. “Not at all,” replied Mme. Verdurin with a condescending, cheerful air, “he says it will amuse him immensely to go with you young people over a road he has travelled so many times; if necessary, he will sit beside the engineer, that doesn′t frighten him, and we shall come back quietly by the train like a good married couple. Look at him, he′s quite delighted.” She seemed to be speaking of an aged and famous painter full of friendliness, who, younger than the youngest, takes a delight in scribbling figures on paper to make his grandchildren laugh. What added to my sorrow was that Albertine seemed not to share it and to find some amusement in the thought of dashing all over the countryside like this with the Verdurins. As for myself, the pleasure that I had vowed that I would take with her was so imperious that I refused to allow the Mistress to spoil it; I invented falsehoods which the irritating threats of Mme. Verdurin made excusable, but which Albertine, alas, contradicted. “But we have a call to pay,” I said. “What call?” asked Albertine. “You shall hear about it later, there′s no getting out of it.” “Very well, we can wait outside,” said Mme. Verdurin, resigned to anything. At the last minute my anguish at seeing wrested from me a happiness for which I had so longed gave me the courage to be impolite. I refused point blank, alleging in Mme. Verdurin′s ear that because of some trouble which had befallen Albertine and about which she wished to consult me, it was absolutely necessary that I should be alone with her. The Mistress appeared vexed: “All right, we shan′t come,” she said to me in a voice tremulous with rage. I felt her to be so angry that, so as to appear to be giving way a little: “But we might perhaps . . . ” I began. “No,” she replied, more furious than ever, “when I say no, I mean no.” I supposed that I was out of favour with her, but she called us back at the door to urge us not to ‘fail′ on the following Wednesday, and not to come with that contraption, which was dangerous at night, but by the train with the little group, and she made me stop the car, which was moving down hill across the park, because the footman had forgotten to put in the hood the slice of tart and the shortbread which she had had made into a parcel for us. We started off, escorted for a moment by the little houses that came running to meet us with their flowers. The face of the countryside seemed to us entirely changed, so far, in the topographical image that we form in our minds of separate places, is the notion of space from being the most important factor. We have said that the notion of time segregates them even farther. It is not the only factor either. Certain places which we see always in isolation seem to us to have no common measure with the rest, to be almost outside the world, like those people whom we have known in exceptional periods of our life, during our military service, in our childhood, and whom we associate with nothing. In my first year at Balbec there was a piece of high ground to which Mme. de Villeparisis liked to take us because from it you saw only the water and the woods, and which was called Beaumont. As the road that she took to approach it, and preferred to other routes because of its old trees, went up hill all the way, her carriage was obliged to go at a crawling pace and took a very long time. When we reached the top we used to alight, stroll about for a little, get into the carriage again, return by the same road, without seeing a single village, a single country house. I knew that Beaumont was something very special, very remote, very high, I had no idea of the direction in which it was to be found, having never taken the Beaumont road to go anywhere else; besides, it took a very long time to get there in a carriage. It was obviously in the same Department (or in the same Province) as Balbec, but was situated for me on another plane, enjoyed a special privilege of extra-territoriality. But the motor-car respects no mystery, and, having passed beyond Incarville, whose houses still danced before my eyes, as we were going down the cross road that leads to Parville (Paterni villa), catching sight of the sea from a natural terrace over which we were passing, I asked the name of the place, and before the chauffeur had time to reply recognised Beaumont, close by which I passed thus unconsciously whenever I took the little train, for it was within two minutes of Parville. Like an officer of my regiment who might have seemed to me a creature apart, too kindly and simple to be of a great family, too remote already and mysterious to be simply of a great family, and of whom I was afterwards to learn that he was the brother-in-law, the cousin of people with whom I was dining, so Beaumont, suddenly brought in contact with places from which I supposed it to be so distinct, lost its mystery and took its place in the district, making me think with terror that Madame Bovary and the Sanseverina might perhaps have seemed to me to be like ordinary people, had I met them elsewhere than in the close atmosphere of a novel. It may be thought that my love of magic journeys by train ought to have prevented me from sharing Albertine′s wonder at the motor-car which takes even the invalid wherever he wishes to go and destroys our conception — which I had held hitherto — of position in space as the individual mark, the irreplaceable essence of irremovable beauties. And no doubt this position in space was not to the motor-car, as it had been to the railway train, when I came from Paris to Balbec, a goal exempt from the contingencies of ordinary life, almost ideal at the moment of departure, and, as it remains so at that of arrival, at our arrival in that great dwelling where no one dwells and which bears only the name of the town, the station, seeming to promise at last the accessibility of the town, as though the station were its materialisation. No, the motor-car did not convey us thus by magic into a town which we saw at first in the whole that is summarised by ite name, and with the illusions of a spectator in a theatre. It made us enter that theatre by the wings which were the streets, stopped to ask the way of an inhabitant. But, as a compensation for so familiar a progress one has the gropings of the chauffeur uncertain of his way and retracing his course, the ‘general post′ of perspective which sets a castle dancing about with a hill, a church and the sea, while one draws nearer to it, in spite of its vain efforts to hide beneath its primeval foliage; those ever narrowing circles which the motor-car describes round a spellbound town which darts off in every direction to escape it and upon which finally it drops down, straight, into the heart of the valley where it lies palpitating on the ground; so that this position in space, this unique point, which the motor-car seems to have stripped of the mystery of express trains, it gives us on the contrary the impression of discovering, of determining for ourselves as with a compass, of helping us to feel with a more fondly exploring hand, with a finer precision, the true geometry, the fair measure of the earth.
Ce que malheureusement j′ignorais à ce moment-là et que je n′appris que plus de deux ans après, c′est qu′un des clients du chauffeur était M. de Charlus, et que Morel, chargé de le payer et gardant une partie de l′argent pour lui (en faisant tripler et quintupler par le chauffeur le nombre des kilomètres), s′était beaucoup lié avec lui (tout en ayant l′air de ne pas le connaître devant le monde) et usait de sa voiture pour des courses lointaines. Si j′avais su cela alors, et que la confiance qu′eurent bientôt les Verdurin en ce chauffeur venait de là, à leur insu peut-être, bien des chagrins de ma vie à Paris, l′année suivante, bien des malheurs relatifs à Albertine, eussent été évités; mais je ne m′en doutais nullement. En elles-mêmes, les promenades de M. de Charlus en auto avec Morel n′étaient pas d′un intérêt direct pour moi. Elles se bornaient, d′ailleurs, plus souvent à un déjeuner ou à un dîner dans un restaurant de la côte, où M. de Charlus passait pour un vieux domestique ruiné et Morel, qui avait mission de payer les notes, pour un gentilhomme trop bon. Je raconte un de ces repas, qui peut donner une idée des autres. C′était dans un restaurant de forme oblongue, à Saint-Mars-le-Vêtu. «Est-ce qu′on ne pourrait pas enlever ceci?» demanda M. de Charlus à Morel comme à un intermédiaire et pour ne pas s′adresser directement aux garçons. Il désignait par «ceci» trois roses fanées dont un maître d′hôtel bien intentionné avait cru devoir décorer la table. «Si . . ., dit Morel embarrassé. Vous n′aimez pas les roses? -- Je prouverais au contraire, par la requête en question, que je les aime, puisqu′il n′y a pas de roses ici (Morel parut surpris), mais en réalité je ne les aime pas beaucoup. Je suis assez sensible aux noms; et dès qu′une rose est un peu belle, on apprend qu′elle s′appelle la Baronne de Rothschild ou la Maréchale Niel, ce qui jette un froid. Aimez-vous les noms? Avez-vous trouvé de jolis titres pour vos petits morceaux de concert? -- Il y en a un qui s′appelle Poème triste. -- C′est affreux, répondit M. de Charlus d′une voix aiguë et claquante comme un soufflet. Mais j′avais demandé du Champagne? dit-il au maître d′hôtel qui avait cru en apporter en mettant près des deux clients deux coupes remplies de vin mousseux. -- Mais, Monsieur . . . --Ôtez cette horreur qui n′a aucun rapport avec le plus mauvais Champagne. C′est le vomitif appelé cup où on fait généralement traîner trois fraises pourries dans un mélange de vinaigre et d′eau de Seltz . . . Oui, continua-t-il en se retournant vers Morel, vous semblez ignorer ce que c′est qu′un titre. Et même, dans l′interprétation de ce que vous jouez le mieux, vous semblez ne pas apercevoir le côté médiumnimique de la chose. -- Vous dites?» demanda Morel qui, n′ayant absolument rien compris à ce qu′avait dit le baron, craignait d′être privé d′une information utile, comme, par exemple, une invitation à déjeuner. M. de Charlus, ayant négligé de considérer «Vous dites?» comme une question, Morel, n′ayant en conséquence pas reçu de réponse, crut devoir changer la conversation et lui donner un tour sensuel: «Tenez, la petite blonde qui vend ces fleurs que vous n′aimez pas; encore une qui a sûrement une petite amie. Et la vieille qui dîne à la table du fond aussi. -- Mais comment sais-tu tout cela? demanda M. de Charlus émerveillé de la prescience de Morel. -- Oh! en une seconde je les devine. Si nous nous promenions tous les deux dans une foule, vous verriez que je ne me trompe pas deux fois.» Et qui eût regardé en ce moment Morel, avec son air de fille au milieu de sa mâle beauté, eût compris l′obscure divination qui ne le désignait pas moins à certaines femmes que elles à lui. Il avait envie de supplanter Jupien, vaguement désireux d′ajouter à son «fixe» les revenus que, croyait-il, le giletier tirait du baron. «Et pour les gigolos, je m′y connais mieux encore, je vous éviterais toutes les erreurs. Ce sera bientôt la foire de Balbec, nous trouverions bien des choses. Et à Paris alors, vous verriez que vous vous amuseriez.» Mais une prudence héréditaire du domestique lui fit donner un autre tour à la phrase que déjà il commençait. De sorte que M. de Charlus crut qu′il s′agissait toujours de jeunes filles. «Voyez-vous, dit Morel, désireux d′exalter d′une façon qu′il jugeait moins compromettante pour lui-même (bien qu′elle fût en réalité plus immorale) les sens du baron, mon rêve, ce serait de trouver une jeune fille bien pure, de m′en faire aimer et de lui prendre sa virginité.» M. de Charlus ne put se retenir de pincer tendrement l′oreille de Morel, mais ajouta naîµ¥ment: «A quoi cela te servirait-il? Si tu prenais son pucelage, tu serais bien obligé de l′épouser. -- L′épouser? s′écria Morel, qui sentait le baron grisé ou bien qui ne songeait pas à l′homme, en somme plus scrupuleux qu′il ne croyait, avec lequel il parlait; l′épouser? Des nèfles! Je le promettrais, mais, dès la petite opération menée à bien, je la plaquerais le soir même.» M. de Charlus avait l′habitude, quand une fiction pouvait lui causer un plaisir sensuel momentané, d′y donner son adhésion, quitte à la retirer tout entière quelques instants après, quand le plaisir serait épuisé. «Vraiment, tu ferais cela? dit-il à Morel en riant et en le serrant de plus près. -- Et comment! dit Morel, voyant qu′il ne déplaisait pas au baron en continuant à lui expliquer sincèrement ce qui était en effet un de ses désirs. -- C′est dangereux, dit M. de Charlus. -- Je ferais mes malles d′avance et je ficherais le camp sans laisser d′adresse. -- Et moi? demanda M. de Charlus. -- Je vous emmènerais avec moi, bien entendu, s′empressa de dire Morel qui n′avait pas songé à ce que deviendrait le baron, lequel était le cadet de ses soucis. Tenez, il y a une petite qui me plairait beaucoup pour ça, c′est une petite couturière qui a sa boutique dans l′hôtel de M. le duc. -- La fille de Jupien, s′écria le baron pendant que le sommelier entrait. Oh! jamais, ajouta-t-il, soit que la présence d′un tiers l′eût refroidi, soit que, même dans ces espèces de messes noires où il se complaisait à souiller les choses les plus saintes, il ne pût se résoudre à faire entrer des personnes pour qui il avait de l′amitié. Jupien est un brave homme, la petite est charmante, il serait affreux de leur causer du chagrin.» Morel sentit qu′il était allé trop loin et se tut, mais son regard continuait, dans le vide, à se fixer sur la jeune fille devant laquelle il avait voulu un jour que je l′appelasse «cher grand artiste» et à qui il avait commandé un gilet. Très travailleuse, la petite n′avait pas pris de vacances, mais j′ai su depuis que, tandis que Morel le violoniste était dans les environs de Balbec, elle ne cessait de penser à son beau visage, ennobli de ce qu′ayant vu Morel avec moi, elle l′avait pris pour un «monsieur».   What unfortunately I did not know at that moment and did not learn until more than two years later was that one of the chauffeur′s patrons was M. de Charlus, and that Morel, instructed to pay him and keeping part of the money for himself (making the chauffeur triple and quintuple the mileage), had become very friendly with him (while pretending not to know him before other people) and made use of his car for long journeys. If I had known this at the time, and that the confidence which the Verdurins were presently to feel in this chauffeur came, unknown to them, from that source, perhaps many of the sorrows of my life in Paris, in the year that followed, much of my trouble over Albertine would have been avoided, but I had not the slightest suspicion of it. In themselves M. de Charlus′s excursions by motor-car with Morel were of no direct interest to me. They were moreover confined as a rule to a luncheon or dinner in some restaurant along the coast where M. de Charlus was regarded as an old and penniless servant and Morel, whose duty it was to pay the bill, as a too kind-hearted gentleman. I report the conversation at one of these meals, which may give an idea of the others. It was in a restaurant of elongated shape at Saint-Mars le Vêtu. “Can′t you get them to remove this thing?” M. de Charlus asked Morel, as though appealing to an intermediary without having to address the staff directly. ‘This thing′ was a vase containing three withered roses with which a well-meaning head waiter had seen fit to decorate the table. “Yes . . . ” said Morel in embarrassment. “You don′t like roses?” “My request ought on the contrary to prove that I do like them, since there are no roses here” (Morel appeared surprised) “but as a matter of fact I do not care much for them. I am rather sensitive to names; and whenever a rose is at all beautiful, one learns that it is called Baronne de Rothschild or Maréchale Niel, which casts a chill. Do you like names? Have you found beautiful titles for your little concert numbers?” “There is one that is called Poème triste.” “That is horrible,” replied M. de Charlus in a shrill voice that rang out like a blow. “But I ordered champagne?” he said to the head waiter who had supposed he was obeying the order by placing by the diners two glasses of foaming liquid. “Yes, Sir.” “Take away that filth, which has no connexion with the worst champagne in the world. It is the emetic known as cup, which consists, as a rule, of three rotten strawberries swimming in a mixture of vinegar and soda-water. Yes,” he went on, turning again to Morel, “you don′t seem to know what a title is. And even in the interpretation of the things you play best, you seem not to be aware of the mediumistic side.” “You mean to say?” asked Morel, who, not having understood one word of what the Baron had said, was afraid that he might be missing something of importance, such as an invitation to luncheon. M. de Charlus having failed to regard “You mean to say?” as a question, Morel, having in Consequence received no answer, thought it best to change the conversation and to give it a sensual turn: “There, look at the fair girl selling the flowers you don′t like; I′m certain she′s got a little mistress. And the old woman dining at the table at the end, too.” “But how do you know all that?” asked M. de Charlus, amazed at Morel′s intuition. “Oh! I can spot them in an instant. If we went out together in a crowd, you would see that I never make a mistake.” And anyone looking at Morel at that moment, with his girlish air enshrined in his masculine beauty, would have understood the obscure divination which made him no less obvious to certain women than them to him. He was anxious to supplant Jupien, vaguely desirous of adding to his regular income the profits which, he supposed, the tailor derived from the Baron. “And with boys I am surer still, I could save you from making any mistake. We shall be having the fair soon at Balbec, we shall find lots of things there. And in Paris too, you′ll see, you′ll have a fine time.” But the inherited caution of a servant made him give a different turn to the sentence on which he had already embarked. So that M. de Charlus supposed that he was still referring to girls. “Listen,” said Morel, anxious to excite in a fashion which he considered less compromising for himself (albeit it was actually more immoral) the Baron′s senses, “what I should like would be to find a girl who was quite pure, make her fall in love with me, and take her virginity.” M. de Charlus could not refrain from pinching Morel′s ear affectionately, but added innocently: “What good would that be to you? If you took her maidenhead, you would be obliged to marry her.” “Marry her?” cried Morel, guessing that the Baron was fuddled, or else giving no thought to the man, more scrupulous in reality than he supposed, to whom he was speaking. “Marry her? Balls! I should promise, but once the little operation was performed, I should clear out and leave her.” M. de Charlus was in the habit, when a fiction was capable of causing him a momentary sensual pleasure, of believing in its truth, while keeping himself free to withdraw his credulity altogether a minute later, when his pleasure was at an end. “You would really do that?” he said to Morel with a laugh, squeezing him more tightly still. “And why not?” said Morel, seeing that he was not shocking the Baron by continuing to expound to him what was indeed one of his desires. “It is dangerous,” said M. de Charlus. “I should have my kit packed and ready, and buzz off and leave no address.” “And what about me?” asked M. de Charlus. “I should take you with me, of course,” Morel made haste to add, never having thought of what would become of the Baron who was the least of his responsibilities. “I say, there′s a kid I should love to try that game on, she′s a little seamstress who keeps a shop in M. le Due′s hôtel.” “Jupien′s girl,” the Baron exclaimed, as the wine-waiter entered the room. “Oh! Never,” he added, whether because the presence of a third person had cooled his ardour, or because even in this sort of black mass in which he took a delight in defiling the most sacred things, he could not bring himself to allow the mention of people to whom he was bound by ties of friendship. “Jupien is a good man, the child is charming, it would be a shame to make them unhappy.” Morel felt that he had gone too far and was silent, but his gaze continued to fix itself in imagination upon the girl for whose benefit he had once begged me to address him as ‘dear great master′ and from whom he had ordered a waistcoat. An industrious worker, the child had not taken any holiday, but I learned afterwards that while the violinist was in the neighbourhood of Balbec she never ceased to think of his handsome face, ennobled by the accident that having seen Morel in my company she had taken him for a ‘gentleman.′
«Je n′ai jamais entendu jouer Chopin, dit le baron, et pourtant j′aurais pu, je prenais des leçons avec Stamati, mais il me défendit d′aller entendre, chez ma tante Chimay, le Maître des Nocturnes. -- Quelle bêtise il a faite là, s′écria Morel. -- Au contraire, répliqua vivement, d′une voix aiguë, M. de Charlus. Il prouvait son intelligence. Il avait compris que j′étais une «nature» et que je subirais l′influence de Chopin. Ça ne fait rien puisque j′ai abandonné tout jeune la musique, comme tout, du reste. Et puis on se figure un peu, ajouta-t-il d′une voix nasillarde, ralentie et traînante, il y a toujours des gens qui ont entendu, qui vous donnent une idée. Mais enfin Chopin n′était qu′un prétexte pour revenir au côté médiumnimique, que vous négligez.»   “I never heard Chopin play,” said the Baron, “and yet I might have done so, I took lessons from Stamati, but he forbade me to go and hear the Master of the Nocturnes at my aunt Chimay′s.” “That was damned silly of him,” exclaimed Morel. “On the contrary,” M. de Charlus retorted warmly, in a shrill voice. “He shewed his intelligence. He had realised that I had a ‘nature′ and that I would succumb to Chopin′s influence. It made no difference, because when I was quite young I gave up music, and everything else, for that matter. Besides one can more or less imagine him,” he added in a slow, nasal, drawling tone, “there are still people who did hear him, who can give you an idea. However, Chopin was only an excuse to come back to the mediumistic aspect which you are neglecting.”
On remarquera qu′après une interpolation du langage vulgaire, celui de M. de Charlus était brusquement redevenu aussi précieux et hautain qu′il était d′habitude. C′est que l′idée que Morel «plaquerait» sans remords une jeune fille violée lui avait fait brusquement goûter un plaisir complet. Dès lors ses sens étaient apaisés pour quelque temps et le sadique (lui, vraiment médiumnimique) qui s′était substitué pendant quelques instants à M. de Charlus avait fui et rendu la parole au vrai M. de Charlus, plein de raffinement artistique, de sensibilité, de bonté. «Vous avez joué l′autre jour la transcription au piano du XVe quatuor, ce qui est déjà absurde parce que rien n′est moins pianistique. Elle est faite pour les gens à qui les cordes trop tendues du glorieux Sourd font mal aux oreilles. Or c′est justement ce mysticisme presque aigre qui est divin. En tout cas vous l′avez très mal jouée, en changeant tous les mouvements. Il faut jouer ça comme si vous le composiez: le jeune Morel, affligé d′une surdité momentanée et d′un génie inexistant, reste un instant immobile. Puis, pris du délire sacré, il joue, il compose les premières mesures. Alors, épuisé par un pareil effort d′entrance, il s′affaisse, laissant tomber la jolie mèche pour plaire à Mme Verdurin, et, de plus, il prend ainsi le temps de refaire la prodigieuse quantité de substance grise qu′il a prélevée pour l′objectivation pythique. Alors, ayant retrouvé ses forces, saisi d′une inspiration nouvelle et suréminente, il s′élance vers la sublime phrase intarissable que le virtuose berlinois (nous croyons que M. de Charlus désignait ainsi Mendelssohn) devait infatigablement imiter. C′est de cette façon, seule vraiment transcendante et animatrice, que je vous ferai jouer à Paris.» Quand M. de Charlus lui donnait des avis de ce genre, Morel était beaucoup plus effrayé que de voir le maître d′hôtel remporter ses roses et son «cup» dédaignés, car il se demandait avec anxiété quel effet cela produirait à la «classe». Mais il ne pouvait s′attarder à ces réflexions, car M. de Charlus lui disait impérieusement: «Demandez au maître d′hôtel s′il a du bon chrétien. -- Du bon chrétien? je ne comprends pas. -- Vous voyez bien que nous sommes au fruit, c′est une poire. Soyez sûr que Mme de Cambremer en a chez elle, car la comtesse d′Escarbagnas, qu′elle est, en avait. M. Thibaudier la lui envoie et elle dit: «Voilà du bon chrétien qui est fort beau.»-- Non, je ne savais pas. -- Je vois, du reste, que vous ne savez rien. Si vous n′avez même pas lu Molière . . . Hé bien, puisque vous ne devez pas savoir commander, plus que le reste, demandez tout simplement une poire qu′on recueille justement près d′ici, la «Louise-Bonne d′Avranches.»-- Là . . .? -- Attendez, puisque vous êtes si gauche je vais moi-même en demander d′autres, que j′aime mieux: Maître d′hôtel, avez-vous de la Doyenné des Comices? Charlie, vous devriez lire la page ravissante qu′a écrite sur cette poire la duchesse Émilie de Clermont-Tonnerre. -- Non, Monsieur, je n′en ai pas. -- Avez-vous du Triomphe de Jodoigne? -- Non, Monsieur. -- De la Virginie-Dallet? de la Passe-Colmar? Non? eh bien, puisque vous n′avez rien nous allons partir. La «Duchesse-d′Angoulême» n′est pas encore mûre; allons, Charlie, partons.» Malheureusement pour M. de Charlus, son manque de bon sens, peut-être la chasteté des rapports qu′il avait probablement avec Morel, le firent s′ingénier, dès cette époque, à combler le violoniste d′étranges bontés que celui-ci ne pouvait comprendre et auxquelles sa nature, folle dans son genre, mais ingrate et mesquine, ne pouvait répondre que par une sécheresse ou une violence toujours croissantes, et qui plongeaient M. de Charlus -- jadis si fier, maintenant tout timide -- dans des accès de vrai désespoir. On verra comment, dans les plus petites choses, Morel, qui se croyait devenu un M. de Charlus mille fois plus important, avait compris de travers, en les prenant à la lettre, les orgueilleux enseignements du baron quant à l′aristocratie. Disons simplement, pour l′instant, tandis qu′Albertine m′attend à Saint-Jean de la Haise, que s′il y avait une chose que Morel mît au-dessus de la noblesse (et cela était en son principe assez noble, surtout de quelqu′un dont le plaisir était d′aller chercher des petites filles --«ni vu ni connu»-- avec le chauffeur), c′était sa réputation artistique et ce qu′on pouvait penser à la classe de violon. Sans doute il était laid que, parce qu′il sentait M. de Charlus tout à lui, il eût l′air de le renier, de se moquer de lui, de la même façon que, dès que j′eus promis le secret sur les fonctions de son père chez mon grand-oncle, il me traita de haut en bas. Mais, d′autre part, son nom d′artiste diplômé, Morel, lui paraissait supérieur à un «nom». Et quand M. de Charlus, dans ses rêves de tendresse platonique, voulait lui faire prendre un titre de sa famille, Morel s′y refusait énergiquement.   The reader will observe that, after an interpolation of common parlance, M. de Charlus had suddenly become as precious and haughty in his speech as ever. The idea of Morel′s ‘dropping′ without compunction a girl whom he had outraged had given him a sudden and entire pleasure. From that moment his sensual appetites were satisfied for a time and the sadist (a true medium, he, if you like) who had for a few moments taken the place of M. de Charlus had fled, leaving a clear field for the real M. de Charlus, full of artistic refinement, sensibility, goodness. “You were playing the other day the transposition for the piano of the Fifteenth Quartet, which is absurd in itself because nothing could be less pianistic. It is meant for people whose ears are hurt by the too highly strained chords of the glorious Deaf One. Whereas it is precisely that almost bitter mysticism that is divine. In any case you played it very badly and altered all the movements. You ought to play it as though you were composing it: the young Morel, afflicted with a momentary deafness and with a non-existent genius stands for an instant motionless. Then, seized by the divine frenzy, he plays, he composes the opening bars. After which, exhausted by this initial effort, he gives way, letting droop his charming forelock to please Mme. Verdurin, and, what is more, gives himself time to recreate the prodigious quantity of grey matter which he has commandeered for the Pythian objectivation. Then, having regained his strength, seized by a fresh and overmastering inspiration, he flings himself upon the sublime, imperishable phrase which the virtuoso of Berlin” (we suppose M. de Charlus to have meant by this expression Mendelssohn) “was to imitate without ceasing. It is in this, the only really transcendent and animating fashion, that I shall make you play in Paris.” When M. de Charlus gave him advice of this sort, Morel was far more alarmed than when he saw the head waiter remove his scorned roses and ‘cup,′ for he asked himself with anxiety what effect it would create among his ‘class.′ But he was unable to dwell upon these reflexions, for M. de Charlus said to him imperiously: “Ask the head waiter if he has a Bon Chrétien.” “A good Christian, I don′t understand.” “Can′t you see we′ve reached the dessert, it′s a pear. You may be sure, Mme. de Cambremer has them in her garden, for the Comtesse d′Escarbagnas whose double she is had them. M. Thibaudier sends her them, saying: ‘Here is a Bon Chrétien which is worth tasting.′” “No, I didn′t know.” “I can see that you know nothing. If you have never even read Molière. . . . Oh, well, since you are no more capable of ordering food than of anything else, ask simply for a pear which is grown in this neighbourhood, the Louise-Bonne d′Avranches.” “The?” “Wait a minute, since you are so stupid, I shall ask him myself for others, which I prefer. Waiter, have you any Doyennée des Cornices? Charlie, you must read the exquisite passage about that pear by the Duchesse Emilie de Clermont-Tonnerre.” “No, Sir, there aren′t any.” “Have you Triomphe de Jodoigne?” “No, Sir.” “Any Virginie-Dallet? Or Passe-Colmar? No? Very well, since you′ve nothing, we may as well go. The Duchesse d′Angoulême is not in season yet, come along, Charlie.” Unfortunately for M. de Charlus, his want of common sense, perhaps too the chastity of what were probably his relations with Morel, made him go out of his way at this period to shower upon the violinist strange bounties which the other was incapable of understanding, and to which his nature, impulsive in its own way, but mean and ungrateful, could respond only by a harshness or a violence that were steadily intensified and plunged M. de Charlus — formerly so proud, now quite timid — in fits of genuine despair. We shall see how, in the smallest matters, Morel, who fancied himself a M. de Charlus a thousand times more important, completely misunderstood, by taking it literally, the Baron′s arrogant information with regard to the aristocracy. Let us for the moment say simply this, while Albertine waits for me at Saint-Jean de la Haise, that if there was one thing which Morel set above nobility (and this was in itself distinctly noble, especially in a person whose pleasure was to pursue little girls — on the sly — with the chauffeur), it was his artistic reputation and what the others might think of him in the violin class. No doubt it was an ugly trait in his character that because he felt M. de Charlus to be entirely devoted to him he appeared to disown him, to make fun of him, in the same way as, when I had promised not to reveal the secret of his father′s position with my great-uncle, he treated me with contempt. But on the other hand his name, as that of a recognised artist, Morel, appeared to him superior to a ‘name.′ And when M. de Charlus, in his dreams of Platonic affection, tried to make him adopt one of his family titles, Morel stoutly refused.
Quand Albertine trouvait plus sage de rester à Saint-Jean de la Haise pour peindre, je prenais l′auto, et ce n′était pas seulement à Gourville et à Féterne, mais à Saint-Mars-le-Vieux et jusqu′à Criquetot que je pouvais aller avant de revenir la chercher. Tout en feignant d′être occupé d′autre chose que d′elle, et d′être obligé de la délaisser pour d′autres plaisirs, je ne pensais qu′à elle. Bien souvent je n′allais pas plus loin que la grande plaine qui domine Gourville, et comme elle ressemble un peu à celle qui commence au-dessus de Combray, dans la direction de Méséglise, même à une assez grande distance d′Albertine j′avais la joie de penser que, si mes regards ne pouvaient pas aller jusqu′à elle, portant plus loin qu′eux, cette puissante et douce brise marine qui passait à côté de moi devait dévaler, sans être arrêtée par rien, jusqu′à Quetteholme, venir agiter les branches des arbres qui ensevelissent Saint-Jean de la Haise sous leur feuillage, en caressant la figure de mon amie, et jeter ainsi un double lien d′elle à moi dans cette retraite indéfiniment agrandie, mais sans risques, comme dans ces jeux où deux enfants se trouvent par moments hors de la portée de la voix et de la vue l′un de l′autre, et où tout en étant éloignés ils restent réunis. Je revenais par ces chemins d′où l′on aperçoit la mer, et où autrefois, avant qu′elle apparût entre les branches, je fermais les yeux pour bien penser que ce que j′allais voir, c′était bien la plaintive ale de la terre, poursuivant, comme au temps qu′il n′existait pas encore d′êtres vivants, sa démente et immémoriale agitation. Maintenant, ils n′étaient plus pour moi que le moyen d′aller rejoindre Albertine, quand je les reconnaissais tout pareils, sachant jusqu′où ils allaient filer droit, où ils tourneraient; je me rappelais que je les avais suivis en pensant à Mlle de Stermaria, et aussi que la même hâte de retrouver Albertine, je l′avais eue à Paris en descendant les rues par où passait Mme de Guermantes; ils prenaient pour moi la monotonie profonde, la signification morale d′une sorte de ligne que suivait mon caractère. C′était naturel, et ce n′était pourtant pas indifférent; ils me rappelaient que mon sort était de ne poursuivre que des fantômes, des êtres dont la réalité, pour une bonne part, était dans mon imagination; il y a des êtres en effet -- et ç′avait été, dès la jeunesse, mon cas -- pour qui tout ce qui a une valeur fixe, constatable par d′autres, la fortune, le succès, les hautes situations, ne comptent pas; ce qu′il leur faut, ce sont des fantômes. Ils y sacrifient tout le reste, mettent tout en oeuvre, font tout servir à rencontrer tel fantôme. Mais celui-ci ne tarde pas à s′évanouir; alors on court après tel autre, quitte à revenir ensuite au premier. Ce n′était pas la première fois que je recherchais Albertine, la jeune fille vue la première année devant la mer. D′autres femmes, il est vrai, avaient été intercalées entre Albertine aimée la première fois et celle que je ne quittais guère en ce moment; d′autres femmes, notamment la duchesse de Guermantes. Mais, dira-t-on, pourquoi se donner tant de soucis au sujet de Gilberte, prendre tant de peine pour Mme de Guermantes, si, devenu l′ami de celle-ci, c′est à seule fin de n′y plus penser, mais seulement à Albertine? Swann, avant sa mort, aurait pu répondre, lui qui avait été amateur de fantômes. De fantômes poursuivis, oubliés, recherchés à nouveau, quelquefois pour une seule entrevue, et afin de toucher à une vie irréelle laquelle aussitôt s′enfuyait, ces chemins de Balbec étaient pleins. En pensant que leurs arbres, poiriers, pommiers, tamaris, me survivraient, il me semblait recevoir d′eux le conseil de me mettre enfin au travail pendant que n′avait pas encore sonné l′heure du repos éternel.   When Albertine thought it better to remain at Saint-Jean de la Haise and paint, I would take the car, and it was not merely to Gourville and Féterne, but to Saint-Mars le Vêtu and as far as Criquetot that I was able to penetrate before returning to fetch her. While pretending to be occupied with anything rather than herself, and to be obliged to forsake her for other pleasures, I thought only of her. As often as not I went no farther than the great plain which overlooks Gourville, and as it resembles slightly the plain that begins above Combray, in the direction of Méséglise, even at a considerable distance from Albertine, I had the joy of thinking that if my gaze could not reach her, still, travelling farther than in my vision, that strong and gentle sea breeze which was sweeping past me must be flowing down, without anything to arrest it as far as Quetteholme, until it stirred the branches of the trees that bury Saint-Jean de la Haise in their foliage, caressing the face of my mistress, and must thus be extending a double tie between her and myself in this retreat indefinitely enlarged, but without danger, as in those games in which two children find themselves momentarily out of sight and earshot of one another, and yet, while far apart, remain together. I returned by those roads from which there is a view of the sea, and on which in the past, before it appeared among the branches, I used to shut my eyes to reflect that what I was going to see was indeed the plaintive ancestress of the earth, pursuing as in the days when no living creature yet existed its lunatic, immemorial agitation. Now, these roads were no longer, simply the means of rejoining Albertine; when I recognised each of them in their uniformity, knowing how far they would run in a straight line, where they would turn, I remembered that I had followed them while I thought of Mlle. de Stermaria, and also that this same eagerness to find Albertine I had felt in Paris as I walked the streets along which Mme. de Guermantes might pass; they assumed for me the profound monotony, the moral significance of a sort of ruled line that my character must follow. It was natural, and yet it was not without importance; they reminded me that it was my fate to pursue only phantoms, creatures whose reality existed to a great extent in my imagination; there are people indeed — and this had been my case from my childhood — for whom all the things that have a fixed value, assessable by others, fortune, success, high positions, do not count; what they must have, is phantoms. They sacrifice all the rest, leave no stone unturned, make everything else subservient to the capture of some phantom. But this soon fades away; then they run after another, prepared to return later on to the first. It was not the first time that I had gone in quest of Albertine, the girl I had seen that first year outlined against the sea. Other women, it is true, had been interposed between the Albertine whom I had first loved and her from whom I was scarcely separated at this moment; other women, notably the Duchesse de Guermantes. But, the reader will say, why give yourself so much anxiety with regard to Gilberte, take so much trouble over Madame de Guermantes, if, when you have become the friend of the latter, it is with the sole result of thinking no more of her, but only of Albertine? Swann, before his own death, might have answered the question, he who had been a lover of phantoms. Of phantoms pursued, forgotten, sought afresh sometimes for a single meeting and in order to establish contact with an unreal life which at once escaped, these Balbec roads were full. When I thought that their trees, pear trees, apple trees, tamarisks, would outlive me, I seemed to receive from them the warning to set myself to work at last, before the hour should strike of rest everlasting.
Je descendais de voiture à Quetteholme, courais dans la raide cavée, passais le ruisseau sur une planche et trouvais Albertine qui peignait devant l′église toute en clochetons, épineuse et rouge, fleurissant comme un rosier. Le tympan seul était uni; et à la surface riante de la pierre affleuraient des anges qui continuaient, devant notre couple du XXe siècle, à célébrer, cierges en mains, les cérémonies du XIIIe. C′était eux dont Albertine cherchait à faire le portrait sur sa toile préparée et, imitant Elstir, elle donnait de grands coups de pinceau, tâchant d′obéir au noble rythme qui faisait, lui avait dit le grand maître, ces anges-là si différents de tous ceux qu′il connaissait. Puis elle reprenait ses affaires. Appuyés l′un sur l′autre nous remontions la cavée, laissant la petite église, aussi tranquille que si elle ne nous avait pas vus, écouter le bruit perpétuel du ruisseau. Bientôt l′auto filait, nous faisait prendre pour le retour un autre chemin qu′à l′aller. Nous passions devant Marcouville l′Orgueilleuse. Sur son église, moitié neuve, moitié restaurée, le soleil déclinant étendait sa patine aussi belle que celle des siècles. A travers elle les grands bas-reliefs semblaient n′être vus que sous une couche fluide, moitié liquide, moitié lumineuse; la Sainte Vierge, sainte Élisabeth, saint Joachim, nageaient encore dans l′impalpable remous, presque à sec, à fleur d′eau ou à fleur de soleil. Surgissant dans une chaude poussière, les nombreuses statues modernes se dressaient sur des colonnes jusqu′à mi-hauteur des voiles dorés du couchant. Devant l′église un grand cyprès semblait dans une sorte d′enclos consacré. Nous descendions un instant pour le regarder et faisions quelques pas. Tout autant que de ses membres, Albertine avait une conscience directe de sa toque de paille d′Italie et de l′écharpe de soie (qui n′étaient pas pour elle le siège de moindres sensations de bien-être), et recevait d′elles, tout en faisant le tour de l′église, un autre genre d′impulsion, traduite par un contentement inerte mais auquel je trouvais de la grâce; écharpe et toque qui n′étaient qu′une partie récente, adventice, de mon amie, mais qui m′était déjà chère et dont je suivais des yeux le sillage, le long du cyprès, dans l′air du soir. Elle-même ne pouvait le voir, mais se doutait que ces élégances faisaient bien, car elle me souriait tout en harmonisant le port de sa tête avec la coiffure qui la complétait: «Elle ne me plaît pas, elle est restaurée», me dit-elle en me montrant l′église et se souvenant de ce qu′Elstir lui avait dit sur la précieuse, sur l′inimitable beauté des vieilles pierres. Albertine savait reconnaître tout de suite une restauration. On ne pouvait que s′étonner de la sûreté de goût qu′elle avait déjà en architecture, au lieu du déplorable qu′elle gardait en musique. Pas plus qu′Elstir, je n′aimais cette église, c′est sans me faire plaisir que sa façade ensoleillée était venue se poser devant mes yeux, et je n′étais descendu la regarder que pour être agréable à Albertine. Et pourtant je trouvais que le grand impressionniste était en contradiction avec lui-même; pourquoi ce fétichisme attaché à la valeur architecturale objective, sans tenir compte de la transfiguration de l′église dans le couchant? «Non décidément, me dit Albertine, je ne l′aime pas; j′aime son nom d′Orgueilleuse. Mais ce qu′il faudra penser à demander à Brichot, c′est pourquoi Saint-Mars s′appelle le Vêtu. On ira la prochaine fois, n′est-ce pas?» me disait-elle en me regardant de ses yeux noirs sur lesquels sa toque était abaissée comme autrefois son petit polo. Son voile flottait. Je remontais en auto avec elle, heureux que nous dussions le lendemain aller ensemble à Saint-Mars, dont, par ces temps ardents où on ne pensait qu′au bain, les deux antiques clochers d′un rose saumon, aux tuiles en losange, légèrement infléchis et comme palpitants, avaient l′air de vieux poissons aigus, imbriqués d′écailles, moussus et roux, qui, sans avoir l′air de bouger, s′élevaient dans une eau transparente et bleue. En quittant Marcouville, pour raccourcir, nous bifurquions à une croisée de chemins où il y a une ferme. Quelquefois Albertine y faisait arrêter et me demandait d′aller seul chercher, pour qu′elle pût le boire dans la voiture, du calvados ou du cidre, qu′on assurait n′être pas mousseux et par lequel nous étions tout arrosés. Nous étions pressés l′un contre l′autre. Les gens de la ferme apercevaient à peine Albertine dans la voiture fermée, je leur rendais les bouteilles; nous repartions, comme afin de continuer cette vie à nous deux, cette vie d′amants qu′ils pouvaient supposer que nous avions, et dont cet arrêt pour boire n′eût été qu′un moment insignifiant; supposition qui eût paru d′autant moins invraisemblable si on nous avait vus après qu′Albertine avait bu sa bouteille de cidre; elle semblait alors, en effet, ne plus pouvoir supporter entre elle et moi un intervalle qui d′habitude ne la gênait pas; sous sa jupe de toile ses jambes se serraient contre mes jambes, elle approchait de mes joues ses joues qui étaient devenues blêmes, chaudes et rouges aux pommettes, avec quelque chose d′ardent et de fané comme en ont les filles de faubourgs. A ces moments-là, presque aussi vite que de personnalité elle changeait de voix, perdait la sienne pour en prendre une autre, enrouée, hardie, presque crapuleuse. Le soir tombait. Quel plaisir de la sentir contre moi, avec son écharpe et sa toque, me rappelant que c′est ainsi toujours, côte à côte, qu′on rencontre ceux qui s′aiment. J′avais peut-être de l′amour pour Albertine, mais n′osant pas le lui laisser apercevoir, bien que, s′il existait en moi, ce ne pût être que comme une vérité sans valeur jusqu′à ce qu′on ait pu la contrôler par l′expérience; or il me semblait irréalisable et hors du plan de la vie. Quant à ma jalousie, elle me poussait à quitter le moins possible Albertine, bien que je susse qu′elle ne guérirait tout à fait qu′en me séparant d′elle à jamais. Je pouvais même l′éprouver auprès d′elle, mais alors m′arrangeais pour ne pas laisser se renouveler la circonstance qui l′avait éveillée en moi. C′est ainsi qu′un jour de beau temps nous allâmes déjeuner à Rivebelle. Les grandes portes vitrées de la salle à manger de ce hall en forme de couloir, qui servait pour les thés, étaient ouvertes de plain-pied avec les pelouses dorées par le soleil et desquelles le vaste restaurant lumineux semblait faire partie. Le garçon, à la figure rose, aux cheveux noirs tordus comme une flamme, s′élançait dans toute cette vaste étendue moins vite qu′autrefois, car il n′était plus commis mais chef de rang; néanmoins, à cause de son activité naturelle, parfois au loin, dans la salle à manger, parfois plus près, mais au dehors, servant des clients qui avaient préféré déjeuner dans le jardin, on l′apercevait tantôt ici, tantôt là, comme des statues successives d′un jeune dieu courant, les unes à l′intérieur, d′ailleurs bien éclairé, d′une demeure qui se prolongeait en gazons verts, tantôt sous les feuillages, dans la clarté de la vie en plein air. Il fut un moment à côté de nous. Albertine répondit distraitement à ce que je lui disais. Elle le regardait avec des yeux agrandis. Pendant quelques minutes je sentis qu′on peut être près de la personne qu′on aime et cependant ne pas l′avoir avec soi. Ils avaient l′air d′être dans un tête-à-tête mystérieux, rendu muet par ma présence, et suite peut-être de rendez-vous anciens que je ne connaissais pas, ou seulement d′un regard qu′il lui avait jeté-- et dont j′étais le tiers gênant et de qui on se cache. Même quand, rappelé avec violence par son patron, il se fut éloigné, Albertine, tout en continuant à déjeuner, n′avait plus l′air de considérer le restaurant et les jardins que comme une piste illuminée, où apparaissait çà et là, dans des décors variés, le dieu coureur aux cheveux noirs. Un instant je m′étais demandé si, pour le suivre, elle n′allait pas me laisser seul à ma table. Mais dès les jours suivants je commençai à oublier pour toujours cette impression pénible, car j′avais décidé de ne jamais retourner à Rivebelle, j′avais fait promettre à Albertine, qui m′assura y être venue pour la première fois, qu′elle n′y retournerait jamais. Et je niai que le garçon aux pieds agiles n′eût eu d′yeux que pour elle, afin qu′elle ne crût pas que ma compagnie l′avait privée d′un plaisir. Il m′arriva parfois de retourner à Rivebelle, mais seul, de trop boire, comme j′y avais déjà fait. Tout en vidant une dernière coupe je regardais une rosace peinte sur le mur blanc, je reportais sur elle le plaisir que j′éprouvais. Elle seule au monde existait pour moi; je la poursuivais, la touchais, et la perdais tour à tour de mon regard fuyant, et j′étais indifférent à l′avenir, me contentant de ma rosace comme un papillon qui tourne autour d′un papillon posé, avec lequel il va finir sa vie dans un acte de volupté suprême. Le moment était peut-être particulièrement bien choisi pour renoncer à une femme à qui aucune souffrance bien récente et bien vive ne m′obligeait à demander ce baume contre un mal, que possèdent celles qui l′ont causé. J′étais calmé par ces promenades mêmes, qui, bien que je ne les considérasse, au moment, que comme une attente d′un lendemain qui lui-même, malgré le désir qu′il m′inspirait, ne devait pas être différent de la veille, avaient le charme d′être arrachées aux lieux où s′était trouvée jusque-là Albertine et où je n′étais pas avec elle, chez sa tante, chez ses amies. Charme non d′une joie positive, mais seulement de l′apaisement d′une inquiétude, et bien fort pourtant. Car à quelques jours de distance, quand je repensais à la ferme devant laquelle nous avions bu du cidre, ou simplement aux quelques pas que nous avions faits devant Saint-Mars-le-Vêtu, me rappelant qu′Albertine marchait à côté de moi sous sa toque, le sentiment de sa présence ajoutait tout d′un coup une telle vertu à l′image indifférente de l′église neuve, qu′au moment où la façade ensoleillée venait se poser ainsi d′elle-même dans mon souvenir, c′était comme une grande compresse calmante qu′on eût appliquée à mon coeur.   I left the carriage at Quetteholme, ran down the sunken path, crossed the brook by a plank and found Albertine painting in front of the church all spires and crockets, thorny and red, blossoming like a rose bush. The lantern alone shewed an unbroken front; and the smiling surface of the stone was abloom with angels who continued, before the twentieth century couple that we were, to celebrate, taper in hand, the ceremonies of the thirteenth. It was they that Albertine was endeavouring to portray on her prepared canvas, and, imitating Elstir, she was laying on the paint in sweeping strokes, trying to obey the noble rhythm set, the great master had told her, by those angels so different from any that he knew. Then she collected her things. Leaning upon one another we walked back up the sunken path, leaving the little church, as quiet as though it had never seen us, to listen to the perpetual sound of the brook. Presently the car started, taking us home by a different way. We passed Marcouville l′Orgueilleuse. Over its church, half new, half restored, the setting sun spread its patina as fine as that of centuries. Through it the great bas-reliefs seemed to be visible only through a floating layer, half liquid, half luminous; the Blessed Virgin, Saint Elizabeth, Saint Joachim swam in the impalpable tide, almost on dry land, on the water′s or the sunlight′s surface. Rising in a warm dust, the many modern statues reached, on their pillars, halfway up the golden webs of sunset. In front of the church a tall cypress seemed to be in a sort of consecrated enclosure. We left the car for a moment to look at it and strolled for a little. No less than of her limbs, Albertine was directly conscious of her toque of Leghorn straw and of the silken veil (which were for her the source of no less satisfaction), and derived from them, as we strolled round the church, a different sort of impetus, revealed by a contentment which was inert but in which I found a certain charm; veil and toque which were but a recent, adventitious part of my friend, but a part that was already dear to me, as I followed its trail with my eyes, past the cypress in the evening air. She herself could not see it, but guessed that the effect was pleasing, for she smiled at me, harmonising the poise of her head with the headgear that completed it. “I don′t like it, it′s restored,” she said to me, pointing to the church and remembering what Elstir had said to her about the priceless, inimitable beauty of old stone. Albertine could tell a restoration at a glance. One could not help feeling surprised at the sureness of the taste she had already acquired in architecture, as contrasted with the deplorable taste she still retained in music. I cared no more than Elstir for this church, it was with no pleasure to myself that its sunlit front had come and posed before my eyes, and I had got out of the car to examine it only out of politeness to Albertine. I found, however, that the great impressionist had contradicted himself; why exalt this fetish of its objective architectural value, and not take into account the transfiguration of the church by the sunset? “No, certainly not,” said Albertine, “I don′t like it; I like its name orgueilleuse. But what I must remember to ask Brichot is why Saint-Mars is called le Vêtu. We shall be going there next, shan′t we?” she said, gazing at me out of her black eyes over which her toque was pulled down, like her little polo cap long ago. Her veil floated behind her. I got back into the car with her, happy in the thought that we should be going next day to Saint-Mars, where, in this blazing weather when one could think only of the delights of a bath, the two ancient steeples, salmon-pink, with their lozenge-shaped tiles, gaping slightly as though for air, looked like a pair of old, sharp-snouted fish, coated in scales, moss-grown and red, which without seeming to move were rising in a blue, transparent water. On leaving Marcouville, to shorten the road, we turned aside at a crossroads where there is a farm. Sometimes Albertine made the car stop there and asked me to go alone to fetch, so that she might drink it in the car, a bottle of calvados or cider, which the people assured me was not effervescent, and which proceeded to drench us from head to foot. We sat pressed close together. The people of the farm could scarcely see Albertine in the closed car, I handed them back their bottles; we moved on again, as though to continue that private life by ourselves, that lovers′ existence which they might suppose us to lead, and of which this halt for refreshment had been only an insignificant moment; a supposition that would have appeared even less far-fetched if they had seen us after Albertine had drunk her bottle of cider; she seemed then positively unable to endure the existence of an interval between herself and me which as a rule did not trouble her; beneath her linen skirt her legs were pressed against mine, she brought close against my cheeks her own cheeks which had turned pale, warm and red over the cheekbones, with something ardent and faded about them such as one sees in girls from the slums. At such moments, almost as quickly as her personality, her voice changed also, she forsook her own voice to adopt another, raucous, bold, almost dissolute. Night began to fall. What a pleasure to feel her leaning against me, with her toque and her veil, reminding me that it is always thus, seated side by side, that we meet couples who are in love. I was perhaps in love with Albertine, but as I did not venture to let her see my love, although it existed in me, it could only be like an abstract truth, of no value until one has succeeded in checking it by experiment; as it was, it seemed to me unrealisable and outside the plane of life. As for my jealousy, it urged me to leave Albertine as little as possible, although I knew that it would not be completely cured until I had parted from her for ever. I could even feel it in her presence, but would then take care that the circumstances should not be repeated which had aroused it. Once, for example, on a fine morning, we went to luncheon at Rivebelle. The great glazed doors of the dining-room and of that hall in the form of a corridor in which tea was served stood open revealing the sunlit lawns beyond, of which the huge restaurant seemed to form a part. The waiter with the flushed face and black hair that writhed like flames was flying from end to end of that vast expanse less rapidly than in the past, for he was no longer an assistant but was now in charge of a row of tables; nevertheless, owing to his natural activity, sometimes far off, in the dining-room, at other times nearer, but out of doors, serving visitors who had preferred to feed in the garden, one caught sight of him, now here, now there, like successive statues of a young god running, some in the interior, which for that matter was well lighted, of a mansion bounded by a vista of green grass, others beneath the trees, in the bright radiance of an open air life. For a moment he was close to ourselves. Albertine replied absent mindedly to what I had just said to her. She was gazing at him with rounded eyes. For a minute or two I felt that one may be close to the person whom one loves and yet not have her with one. They had the appearance of being engaged in a mysterious conversation, rendered mute by my presence, and the sequel possibly of meetings in the past of which I knew nothing, or merely of a glance that he had given her — at which I was the terzo incomodo, from whom the others try to hide things. Even when, forcibly recalled by his employer, he had withdrawn from us, Albertine while continuing her meal seemed to be regarding the restaurant and its gardens merely as a lighted running-track, on which there appeared here and there amid the varied scenery the swift-foot god with the black tresses. At one moment I asked myself whether she was not going to rise up and follow him, leaving me alone at my table. But in the days that followed I began to forget for ever this painful impression, for I had decided never to return to Rivebelle, I had extracted a promise from Albertine, who assured me that she had never been there before and would never return there. And I denied that the nimble-footed waiter had had eyes only for her, so that she should not believe that my company had deprived her of a pleasure. It happened now and again that I would revisit Rivebelle, but alone, and drink too much, as I had done there in the past. As I drained a final glass I gazed at a round pattern painted on the white wall, concentrated upon it the pleasure that I felt. It alone in the world had any existence for me; I pursued it, touched it and lost it by turns with my wavering glance, and felt indifferent to the future, contenting myself with my painted pattern like a butterfly circling about a poised butterfly with which it is going to end its life in an act of supreme consummation. The moment was perhaps particularly well chosen for giving up a woman whom no very recent or very keen suffering obliged me to ask for this balm for a malady which they possess who have caused it. I was calmed by these very drives, which, even if I did not think of them at the moment save as a foretaste of a morrow which itself, notwithstanding the longing with which it filled me, was not to be different from to-day, had the charm of having been torn from the places which Albertine had frequented hitherto and where I had not been with her, her aunt′s house, those of her girl friends. The charm not of a positive joy, but only of the calming of an anxiety, and quite strong nevertheless. For at an interval of a few days, when my thoughts turned to the farm outside which we had sat drinking cider, or simply to the stroll we had taken round Saint-Mars le Vêtu, remembering that Albertine had been walking by my side in her toque, the sense of her presence added of a sudden so strong a virtue to the trivial image of the modern church that at the moment when the sunlit front came thus of its own accord to pose before me in memory, it was like a great soothing compress laid upon my heart.
Je déposais Albertine à Parville, mais pour la retrouver le soir et aller m′étendre à côté d′elle, dans l′obscurité, sur la grève. Sans doute je ne la voyais pas tous les jours, mais pourtant je pouvais me dire: «Si elle racontait l′emploi de son temps, de sa vie, c′est encore moi qui y tiendrais-le plus de place»; et nous passions ensemble de longues heures de suite qui mettaient dans mes journées un enivrement si doux que même quand, à Parville, elle sautait de l′auto que j′allais lui renvoyer une heure après, je ne me sentais pas plus seul dans la voiture que si, avant de la quitter, elle y eût laissé des fleurs. J′aurais pu me passer de la voir tous les jours; j′allais la quitter heureux, je sentais que l′effet calmant de ce bonheur pouvait se prolonger plusieurs jours. Mais alors j′entendais Albertine, en me quittant, dire à sa tante ou à une amie: «Alors, demain à 8 heures 1/2. Il ne faut pas être en retard, ils seront prêts dès 8 heures 1/4.» La conversation d′une femme qu′on aime ressemble à un sol qui recouvre une eau souterraine et dangereuse; on sent à tout moment derrière les mots la présence, le froid pénétrant d′une nappe invisible; on aperçoit çà et là son suintement perfide, mais elle-même reste cachée. Aussitôt la phrase d′Albertine entendue, mon calme était détruit. Je voulais lui demander de la voir le lendemain matin, afin de l′empêcher d′aller à ce mystérieux rendez-vous de 8 heures 1/2 dont on n′avait parlé devant moi qu′à mots couverts. Elle m′eût sans doute obéi les premières fois, regrettant pourtant de renoncer à ses projets; puis elle eût découvert mon besoin permanent de les déranger; j′eusse été celui pour qui l′on se cache de tout. Et d′ailleurs, il est probable que ces fêtes dont j′étais exclu consistaient en fort peu de chose, et que c′était peut-être par peur que je trouvasse telle invitée vulgaire ou ennuyeuse qu′on ne me conviait pas. Malheureusement cette vie si mêlée à celle d′Albertine n′exerçait pas d′action que sur moi; elle me donnait du calme; elle causait à ma mère des inquiétudes dont la confession le détruisit. Comme je rentrais content, décidé à terminer d′un jour à l′autre une existence dont je croyais que la fin dépendait de ma seule volonté, ma mère me dit, entendant que je faisais dire au chauffeur d′aller chercher Albertine: «Comme tu dépenses de l′argent! (Françoise, dans son langage simple et expressif, disait avec plus de force: «L′argent file.») Tâche, continua maman, de ne pas devenir comme Charles de Sévigné, dont sa mère disait: «Sa main est un creuset où l′argent se fond.» Et puis je crois que tu es vraiment assez sorti avec Albertine. Je t′assure que c′est exagéré, que même pour elle cela peut sembler ridicule. J′ai été enchantée que cela te distraie, je ne te demande pas de ne plus la voir, mais enfin qu′il ne soit pas impossible de vous rencontrer l′un sans l′autre.» Ma vie avec Albertine, vie dénuée de grands plaisirs -- au moins de grands plaisirs perçus -- cette vie que je comptais changer d′un jour à l′autre, en choisissant une heure de calme, me redevint tout d′un coup pour un temps nécessaire, quand, par ces paroles de maman, elle se trouva menacée. Je dis à ma mère que ses paroles venaient de retarder de deux mois peut-être la décision qu′elles demandaient et qui sans elles eût été prise avant la fin de la semaine. Maman se mit à rire (pour ne pas m′attrister) de l′effet qu′avaient produit instantanément ses conseils, et me promit de ne pas m′en reparler pour ne pas empêcher que renaquît ma bonne intention. Mais depuis la mort de ma grand′mère, chaque fois que maman se laissait aller à rire, le rire commencé s′arrêtait net et s′achevait sur une expression presque sanglotante de souffrance, soit par le remords d′avoir pu un instant oublier, soit par la recrudescence dont cet oubli si bref avait ravivé encore sa cruelle préoccupation. Mais à celle que lui causait le souvenir de ma grand′-mère, installé en ma mère comme une idée fixe, je sentis que cette fois s′en ajoutait une autre, qui avait trait à moi, à ce que ma mère redoutait des suites de mon intimité avec Albertine; intimité qu′elle n′osa pourtant pas entraver à cause de ce que je venais de lui dire. Mais elle ne parut pas persuadée que je ne me trompais pas. Elle se rappelait pendant combien d′années ma grand′mère et elle ne m′avaient plus parlé de mon travail et d′une règle de vie plus hygiénique que, disais-je, l′agitation où me mettaient leurs exhortations m′empêchait seule de commencer, et que, malgré leur silence obéissant, je n′avais pas poursuivie. Après le dîner l′auto ramenait Albertine; il faisait encore un peu jour; l′air était moins chaud, mais, après une brûlante journée, nous rêvions tous deux de fraîcheurs inconnues; alors à nos yeux enfiévrés la lune toute étroite parut d′abord (telle le soir où j′étais allé chez la princesse de Guermantes et où Albertine m′avait téléphoné) comme la légère et mince pelure, puis comme le frais quartier d′un fruit qu′un invisible couteau commençait à écorcer dans le ciel. Quelquefois aussi, c′était moi qui allais chercher mon amie, un peu plus tard; alors elle devait m′attendre devant les arcades du marché, à Maineville. Aux premiers moments je ne la distinguais pas; je m′inquiétais déjà qu′elle ne dût pas venir, qu′elle eût mal compris. Alors je la voyais, dans sa blouse blanche à pois bleus, sauter à côté de moi dans la voiture avec le bond léger plus d′un jeune animal que d′une jeune fille. Et c′est comme une chienne encore qu′elle commençait aussitôt à me caresser sans fin. Quand la nuit était tout à fait venue et que, comme me disait le directeur de l′hôtel, le ciel était tout parcheminé d′étoiles, si nous n′allions pas nous promener en forêt avec une bouteille de Champagne, sans nous inquiéter des promeneurs déambulant encore sur la digue faiblement éclairée, mais qui n′auraient rien distingué à deux pas sur le sable noir, nous nous étendions en contrebas des dunes; ce même corps dans la souplesse duquel vivait toute la grâce féminine, marine et sportive, des jeunes filles que j′avais vu passer la première fois devant l′horizon du flot, je le tenais serré contre le mien, sous une même couverture, tout au bord de la mer immobile divisée par un rayon tremblant; et nous l′écoutions sans nous lasser et avec le même plaisir, soit quand elle retenait sa respiration, assez longtemps suspendue pour qu′on crût le reflux arrêté, soit quand elle exhalait enfin à nos pieds le murmure attendu et retardé. Je finissais par ramener Albertine à Parville. Arrivé devant chez elle, il fallait interrompre nos baisers de peur qu′on ne nous vît; n′ayant pas envie de se coucher, elle revenait avec moi jusqu′à Balbec, d′où je la ramenais une dernière fois à Parville; les chauffeurs de ces premiers temps de l′automobile étaient des gens qui se couchaient à n′importe quelle heure. Et de fait, je ne rentrais à Balbec qu′avec la première humidité matinale, seul cette fois, mais encore tout entouré de la présence de mon amie, gorgé d′une provision de baisers longue à épuiser. Sur ma table je trouvais un télégramme ou une carte postale. C′était d′Albertine encore! Elle les avait écrits à Quetteholme pendant que j′étais parti seul en auto et pour me dire qu′elle pensait à moi. Je me mettais au lit en les relisant. Alors j′apercevais au-dessus des rideaux la raie du grand jour et je me disais que nous devions nous aimer tout de même pour avoir passé la nuit à nous embrasser. Quand, le lendemain matin, je voyais Albertine sur la digue, j′avais si peur qu′elle me répondît qu′elle n′était pas libre ce jour-là et ne pouvait acquiescer à ma demande de nous promener ensemble, que, cette demande, je retardais le plus que je pouvais de la lui adresser. J′étais d′autant plus inquiet qu′elle avait l′air froid, préoccupé; des gens de sa connaissance passaient; sans doute avait-elle formé pour l′après-midi des projets dont j′étais exclu. Je la regardais, je regardais ce corps charmant, cette tête rose d′Albertine, dressant en face de moi l′énigme de ses intentions, la décision inconnue qui devait faire le bonheur ou le malheur de mon après-midi. C′était tout un état d′âme, tout un avenir d′existence qui avait pris devant moi la forme allégorique et fatale d′une jeune fille. Et quand enfin je me décidais, quand, de l′air le plus indifférent que je pouvais, je demandais: «Est-ce que nous nous promenons ensemble tantôt et ce soir?» et qu′elle me répondait: «Très volontiers», alors tout le brusque remplacement, dans la figure rose, de ma longue inquiétude par une quiétude délicieuse, me rendait encore plus précieuses ces formes auxquelles je devais perpétuellement le bien-être, l′apaisement qu′on éprouve après qu′un orage a éclaté. Je me répétais: «Comme elle est gentille, quel être adorable!» dans une exaltation moins féconde que celle due à l′ivresse, à peine plus profonde que celle de l′amitié, mais très supérieure à celle de la vie mondaine. Nous ne décommandions l′automobile que les jours où il y avait un dîner chez les Verdurin et ceux où, Albertine n′étant pas libre de sortir avec moi, j′en avais profité pour prévenir les gens qui désiraient me voir que je resterais à Balbec. Je donnais à Saint-Loup autorisation de venir ces jours-là, mais ces jours-là seulement. Car une fois qu′il était arrivé à l′improviste, j′avais préféré me priver de voir Albertine plutôt que de risquer qu′il la rencontrât, que fût compromis l′état de calme heureux où je me trouvais depuis quelque temps et que fût ma jalousie renouvelée. Et je n′avais été tranquille qu′une fois Saint-Loup reparti. Aussi s′astreignait-il avec regret, mais scrupule, à ne jamais venir à Balbec sans appel de ma part. Jadis, songeant avec envie aux heures que Mme de Guermantes passait avec lui, j′attachais un tel prix à le voir! Les êtres ne cessent pas de changer de place par rapport à nous. Dans la marche insensible mais éternelle du monde, nous les considérons comme immobiles, dans un instant de vision trop court pour que le mouvement qui les entraîne soit perçu. Mais nous n′avons qu′à choisir dans notre mémoire deux images prises d′eux à des moments différents, assez rapprochés cependant pour qu′ils n′aient pas changé en eux-mêmes, du moins sensiblement, et la différence des deux images mesure le déplacement qu′ils ont opéré par rapport à nous. Il m′inquiéta affreusement en me parlant des Verdurin, j′avais peur qu′il ne me demandât à y être reçu, ce qui eût suffi, à cause de la jalousie que je n′eusse cessé de ressentir, à gâter tout le plaisir que j′y trouvais avec Albertine. Mais heureusement Robert m′avoua, tout au contraire, qu′il désirait par-dessus tout ne pas les connaître. «Non, me dit-il, je trouve ce genre de milieux cléricaux exaspérants.» Je ne compris pas d′abord l′adjectif «clérical» appliqué aux Verdurin, mais la fin de la phrase de Saint-Loup m′éclaira sa pensée, ses concessions à des modes de langage qu′on est souvent étonné de voir adopter par des hommes intelligents. «Ce sont des milieux, me dit-il, où on fait tribu, où on fait congrégation et chapelle. Tu ne me diras pas que ce n′est pas une petite secte; on est tout miel pour les gens qui en sont, on n′a pas assez de dédain pour les gens qui n′en sont pas. La question n′est pas, comme pour Hamlet, d′être ou de ne pas être, mais d′en être ou de ne pas en être. Tu en es, mon oncle Charlus en est. Que veux-tu? moi je n′ai jamais aimé ça, ce n′est pas ma faute.» I dropped Albertine at Parville, but only to join her again in the evening and lie stretched out by her side, in the darkness, upon the beach. No doubt I did not see her every day, still I could say to myself: “If she were to give an account of how she spent her time, of her life, it would still be myself that played the largest part in it;” and we spent together long hours on end which brought into my days so sweet an intoxication that even when, at Parville, she jumped from the car which I was to send to fetch her an hour later, I no more felt myself to be alone in it than if before leaving me she had strewn it with flowers. I might have dispensed with seeing her every day; I was going to be happy when I left her, and I knew that the calming effect of that happiness might be prolonged over many days. But at that moment I heard Albertine as she left me say to her aunt or to a girl friend: “Then to-morrow at eight-thirty. We mustn′t be late, the others will be ready at a quarter past.” The conversation of a woman one loves is like the soil that covers a subterranean and dangerous water; one feels at every moment beneath the words the presence, the penetrating chill of an invisible pool; one perceives here and there its treacherous percolation, but the water itself remains hidden. The moment I heard these words of Albertine, my calm was destroyed. I wanted to ask her to let me see her the following morning, so as to prevent her from going to this mysterious rendezvous at half-past eight which had been mentioned in my presence only in covert terms. She would no doubt have begun by obeying me, while regretting that she had to give up her plans; in time she would have discovered my permanent need to upset them; I should have become the person from whom one hides everything. Besides, it is probable that these gatherings from which I was excluded amounted to very little, and that it was perhaps from the fear that I might find one of the other girls there vulgar or boring that I was not invited to them. Unfortunately this life so closely involved with Albertine′s had a reaction not only upon myself; to me it brought calm; to my mother it caused an anxiety, her confession of which destroyed my calm. As I entered the hotel happy in my own mind, determined to terminate, one day soon, an existence the end of which I imagined to depend upon my own volition, my mother said to me, hearing me send a message to the chauffeur to go and fetch Albertine: “How you do waste your money.” (Françoise in her simple and expressive language said with greater force: “That′s the way the money goes.”) “Try,” Mamma went on, “not to become like Charles de Sévigné, of whom his mother said: ‘His hand is a crucible in which money melts.′ Besides, I do really think you have gone about quite enough with Albertine. I assure you, you′re overdoing it, even to her it may seem ridiculous. I was delighted to think that you found her a distraction, I am not asking you never to see her again, but simply that it may not be impossible to meet one of you without the other.” My life with Albertine, a life devoid of keen pleasures — that is to say of keen pleasures that I could feel — that life which I intended to change at any moment, choosing a calm interval, became once again suddenly and for a time necessary to me when, by these words of Mamma′s, it found itself threatened. I told my mother that what she had just said would delay for perhaps two months the decision for which she asked, which otherwise I would have reached before the end of that week. Mamma began to laugh (so as not to depress me) at this instantaneous effect of her advice, and promised not to speak of the matter to me again so as not to prevent the rebirth of my good intentions. But since my grandmother′s death, whenever Mamma allowed herself to laugh, the incipient laugh would be cut short and would end in an almost heartbroken expression of sorrow, whether from remorse at having been able for an instant to forget, or else from the recrudescence which this brief moment of oblivion had given to her cruel obsession. But to the thoughts aroused in her by the memory of my grandmother, which was rooted in my mother′s mind, I felt that on this occasion there were added others, relative to myself, to what my mother dreaded as the sequel of my intimacy with Albertine; an intimacy to which she dared not, however, put a stop, in view of what I had just told her. But she did not appear convinced that I was not mistaken. She remembered all the years in which my grandmother and she had refrained from speaking to me of my work, and of a more wholesome rule of life which, I said, the agitation into which their exhortations threw me alone prevented me from beginning, and which, notwithstanding their obedient silence, I had failed to pursue. After dinner the car brought Albertine back; there was still a glimmer of daylight; the air was not so warm, but after a scorching day we both dreamed of strange and delicious coolness; then to our fevered eyes the narrow slip of moon appeared at first (as on the evening when I had gone to the Princesse de Guermantes′s and Albertine had telephoned to me) like the slight, fine rind, then like the cool section of a fruit which an invisible knife was beginning to peel in the sky. Sometimes too, it was I that went in search of my mistress, a little later in that case; she would be waiting for me before the arcade of the market at Maineville. At first I could not make her out; I would begin to fear that she might not be coming, that she had misunderstood me. Then I saw her in her white blouse with blue spots spring into the car by my side with the light bound of a young animal rather than a girl. And it was like a dog too that she began to caress me interminably. When night had fallen and, as the manager of the hotel remarked to me, the sky was all ‘studied′ with stars, if we did not go for a drive in the forest with a bottle of champagne, then, without heeding the strangers who were still strolling upon the faintly lighted front, but who could not have seen anything a yard away on the dark sand, we would lie down in the shelter of the dunes; that same body in whose suppleness abode all the feminine, marine and sportive grace of the girls whom I had seen for the first time pass before a horizon of waves, I held pressed against my own, beneath the same rug, by the edge of the motionless sea divided by a tremulous path of light; and we listened to the sea without tiring and with the same pleasure, both when it held its breath, suspended for so long that one thought the reflux would never come, and when at last it gasped out at our feet the long awaited murmur. Finally I took Albertine back to Parville. When we reached her house, we were obliged to break off our kisses for fear lest some one should see us; not wishing to go to bed she returned with me to Balbec, from where I took her back for the last time to Parville; the chauffeurs of those early days of the motor-car were people who went to bed at all hours. And as a matter of fact I returned to Balbec only with the first dews of morning, alone this time, but still surrounded with the presence of my mistress, gorged with an inexhaustible provision of kisses. On my table I would find a telegram or a postcard. Albertine again! She had written them at Quetteholme when I had gone off by myself in the car, to tell me that she was thinking of me. I got into bed as I read them over. Then I caught sight, over the curtains, of the bright streak of daylight and said to myself that we must be in love with one another after all, since we had spent the night in one another′s arms. When next morning I caught sight of Albertine on the front, I was so afraid of her telling me that she was not free that day, and could not accede to my request that we should go out together, that I delayed as long as possible making the request. I was all the more uneasy since she wore a cold, preoccupied air; people were passing whom she knew; doubtless she had made plans for the afternoon from which I was excluded. I looked at her, I looked at that charming body, that blushing head of Albertine, rearing in front of me the enigma of her intentions, the unknown decision which was to create the happiness or misery of my afternoon. It was a whole state of the soul, a whole future existence that had assumed before my eyes the allegorical and fatal form of a girl. And when at last I made up my mind, when with the most indifferent air that I could muster, I asked: “Are we to go out together now, and again this evening?” and she replied: “With the greatest pleasure,” then the sudden replacement, in the rosy face, of my long uneasiness by a delicious sense of ease made even more precious to me those outlines to which I was perpetually indebted for the comfort, the relief that we feel after a storm has broken. I repeated to myself: “How sweet she is, what an adorable creature!” in an excitement less fertile than that caused by intoxication, scarcely more profound than that of friendship, but far superior to the excitement of social life. We cancelled our order for the car only on the days when there was a dinner-party at the Verdurins′ and on those when, Albertine not being free to go out with me, I took the opportunity to inform anybody who wished to see me that I should be remaining at Balbec. I gave Saint-Loup permission to come on these days, but on these days only. For on one occasion when he had arrived unexpectedly, I had preferred to forego the pleasure of seeing Albertine rather than run the risk of his meeting her, than endanger the state of happy calm in which I had been dwelling for some time and see my jealousy revive. And I had been at my ease only after Saint-Loup had gone. And so he pledged himself, with regret, but with scrupulous observance, never to come to Balbec unless summoned there by myself. In the past, when I thought with longing of the hours that Mme. de Guermantes passed in his company, how I valued the privilege of seeing him! Other people never cease to change places in relation to ourselves. In the imperceptible but eternal march of the world, we regard them as motionless in a moment of vision, too short for us to perceive the motion that is sweeping them on. But we have only to select in our memory two pictures taken of them at different moments, close enough together however for them not to have altered in themselves — perceptibly, that is to say — and the difference between the two pictures is a measure of the displacement that they have undergone in relation to us. He alarmed me dreadfully by talking to me of the Verdurins, I was afraid that he might ask me to take him there, which would have been quite enough, what with the jealousy that I should be feeling all the time, to spoil all the pleasure that I found in going there with Albertine. But fortunately Robert assured me that, on the contrary, the one thing he desired above all others was not to know them. “No,” he said to me, “I find that sort of clerical atmosphere maddening.” I did not at first understand the application of the adjective clerical to the Verdurins, but the end of Saint-Loup′s speech threw a light on his meaning, his concessions to those fashions in words which one is often astonished to see adopted by intelligent men. “I mean the houses,” he said, “where people form a tribe, a religious order, a chapel. You aren′t going to tell me that they′re not a little sect; they′re all butter and honey to the people who belong, no words bad enough for those who don′t. The question is not, as for Hamlet, to be or not to be, but to belong or not to belong. You belong, my uncle Charlus belongs. I can′t help it, I never have gone in for that sort of thing, it isn′t my fault.”
Bien entendu, la règle que j′avais imposée à Saint-Loup de ne me venir voir que sur un appel de moi, je l′édictai aussi stricte pour n′importe laquelle des personnes avec qui je m′étais peu à peu lié à la Raspelière, à Féterne, à Montsurvent et ailleurs; et quand j′apercevais de l′hôtel la fumée du train de trois heures qui, dans l′anfractuosité des falaises de Parville, laissait son panache stable, qui restait longtemps accroché au flanc des pentes vertes, je n′avais aucune hésitation sur le visiteur qui allait venir goûter avec moi et m′était encore, à la façon d′un Dieu, dérobé sous ce petit nuage. Je suis obligé d′avouer que ce visiteur, préalablement autorisé par moi à venir, ne fut presque jamais Saniette, et je me le suis bien souvent reproché. Mais la conscience que Saniette avait d′ennuyer (naturellement encore bien plus en venant faire une visite qu′en racontant une histoire) faisait que, bien qu′il fût plus instruit, plus intelligent et meilleur que bien d′autres, il semblait impossible d′éprouver auprès de lui, non seulement aucun plaisir, mais autre chose qu′un spleen presque intolérable et qui vous gâtait votre après-midi. Probablement, si Saniette avait avoué franchement cet ennui qu′il craignait de causer, on n′eût pas redouté ses visites. L′ennui est un des maux les moins graves qu′on ait à supporter, le sien n′existait peut-être que dans l′imagination des autres, ou lui avait été inoculé grâce à une sorte de suggestion par eux, laquelle avait trouvé prise sur son agréable modestie. Mais il tenait tant à ne pas laisser voir qu′il n′était pas recherché, qu′il n′osait pas s′offrir. Certes il avait raison de ne pas faire comme les gens qui sont si contents de donner des coups de chapeau dans un lieu public, que, ne vous ayant pas vu depuis longtemps et vous apercevant dans une loge avec des personnes brillantes qu′ils ne connaissent pas, ils vous jettent un bonjour furtif et retentissant en s′excusant sur le plaisir, sur l′émotion qu′ils ont eus à vous apercevoir, à constater que vous renouez avec les plaisirs, que vous avez bonne mine, etc. Mais Saniette, au contraire, manquait par trop d′audace. Il aurait pu, chez Mme Verdurin ou dans le petit tram, me dire qu′il aurait grand plaisir à venir me voir à Balbec s′il ne craignait pas de me déranger. Une telle proposition ne m′eût pas effrayé. Au contraire il n′offrait rien, mais, avec un visage torturé et un regard aussi indestructible qu′un émail cuit, mais dans la composition duquel entrait, avec un désir pantelant de vous voir --à moins qu′il ne trouvât quelqu′un d′autre de plus amusant -- la volonté de ne pas laisser voir ce désir, il me disait d′un air détaché: «Vous ne savez pas ce que vous faites ces jours-ci? parce que j′irai sans doute près de Balbec. Mais non, cela ne fait rien, je vous le demandais par hasard.» Cet air ne trompait pas, et les signes inverses à l′aide desquels nous exprimons nos sentiments par leur contraire sont d′une lecture si claire qu′on se demande comment il y a encore des gens qui disent par exemple: «J′ai tant d′invitations que je ne sais où donner de la tête» pour dissimuler qu′ils ne sont pas invités. Mais, de plus, cet air détaché, à cause probablement de ce qui entrait dans sa composition trouble, vous causait ce que n′eût jamais pu faire la crainte de l′ennui ou le franc aveu du désir de vous voir, c′est-à-dire cette espèce de malaise, de répulsion, qui, dans l′ordre des relations de simple politesse sociale, est l′équivalent de ce qu′est, dans l′amour, l′offre déguisée que fait à une dame l′amoureux qu′elle n′aime pas, de la voir le lendemain, tout en protestant qu′il n′y tient pas, ou même pas cette offre, mais une attitude de fausse froideur. Aussitôt émanait de la personne de Saniette je ne sais quoi qui faisait qu′on lui répondait de l′air le plus tendre du monde: «Non, malheureusement, cette semaine, je vous expliquerai . . . » Et je laissais venir, à la place, des gens qui étaient loin de le valoir, mais qui n′avaient pas son regard chargé de la mélancolie, et sa bouche plissée de toute l′amertume de toutes les visites qu′il avait envie, en la leur taisant, de faire aux uns et aux autres. Malheureusement il était bien rare que Saniette ne rencontrât pas dans le tortillard l′invité qui venait me voir, si même celui-ci ne m′avait pas dit, chez les Verdurin: «N′oubliez pas que je vais vous voir jeudi», jour où j′avais précisément dit à Saniette ne pas être libre. De sorte qu′il finissait par imaginer la vie comme remplie de divertissements organisés à son insu, sinon même contre lui. D′autre part, comme on n′est jamais tout un, ce trop discret était maladivement indiscret. La seule fois où par hasard il vint me voir malgré moi, une lettre, je ne sais de qui, traînait sur la table. Au bout d′un instant je vis qu′il n′écoutait que distraitement ce que je lui disais. La lettre, dont il ignorait complètement la provenance, le fascinait et je croyais à tout moment que ses prunelles émaillées allaient se détacher de leur orbite pour rejoindre la lettre quelconque, mais que sa curiosité aimantait. On aurait dit un oiseau qui va se jeter fatalement sur un serpent. Finalement il n′y put tenir, la changea de place d′abord comme pour mettre de l′ordre dans ma chambre. Cela ne lui suffisant plus, il la prit, la tourna, la retourna, comme machinalement. Une autre forme de son indiscrétion, c′était que, rivé à vous, il ne pouvait partir. Comme j′étais souffrant ce jour-là, je lui demandai de reprendre le train suivant et de partir dans une demi-heure. Il ne doutait pas que je souffrisse, mais me répondit: «Je resterai une heure un quart, et après je partirai.» Depuis, j′ai souffert de ne pas lui avoir dit, chaque fois où je le pouvais, de venir. Qui sait? Peut-être eusse-je conjuré son mauvais sort, d′autres l′eussent invité pour qui il m′eût immédiatement lâché, de sorte que mes invitations auraient eu le double avantage de lui rendre la joie et de me débarrasser de lui.   I need hardly say that the rule which I had imposed upon Saint-Loup, never to come and see me unless I had expressly invited him, I promulgated no less strictly for all and sundry of the persons with whom I had gradually begun to associate at la Raspelière, Féterne, Montsurvent, and elsewhere; and when I saw from the hotel the smoke of the three o′clock train which in the anfractuosity of the cliffs of Parville left its stable plume which long remained hanging from the flank of the green slopes, I had no hesitation as to the identity of the visitor who was coming to tea with me and was still, like a classical deity, concealed from me by that little cloud. I am obliged to confess that this visitor, authorised by me beforehand to come, was hardly ever Saniette, and I have often reproached myself for this omission. But Saniette′s own consciousness of his being a bore (far more so, naturally, when he came to pay a call than when he told a story) had the effect that, albeit he was more learned, more intelligent and a better man all round than most people, it seemed impossible to feel in his company, I do not say any pleasure, but anything save an almost intolerable irritation which spoiled one′s whole afternoon. Probably if Saniette had frankly admitted this boredom which he was afraid of causing, one would not have dreaded his visits. Boredom is one of the least of the evils that we have to endure, his boringness existed perhaps only in the imagination of other people, or had been inoculated into him by them by some process of suggestion which had taken root in his charming modesty. But he was so anxious not to let it be seen that he was not sought after, that he dared not offer himself. Certainly he was right in not behaving like the people who are so glad to be able to raise their hats in a public place, that when, not having seen you for years, they catch sight of you in a box with smart people whom they do not know, they give you a furtive but resounding good-evening, seeking an excuse in the pleasure, the emotion that they felt on seeing you, on learning that you are going about again, that you are looking well, etc. Saniette, on the contrary, was lacking in courage. He might, at Mme. Verdurin′s or in the little tram, have told me that it would give him great pleasure to come and see me at Balbec, were he not afraid of disturbing me. Such a suggestion would not have alarmed me. On the contrary, he offered nothing, but with a tortured expression on his face and a stare as indestructible as a fired enamel, into the composition of which, however, there entered, with a passionate desire to see one — provided he did not find some one else who was more entertaining — the determination not to let this desire be manifest, said to me with a detached air: “You don′t happen to know what you will be doing in the next few days, because I shall probably be somewhere in the neighbourhood of Balbec? Not that it makes the slightest difference, I just thought I would ask you.” This air deceived nobody, and the inverse signs whereby we express our sentiments by their opposites are so clearly legible that we ask ourselves how thete can still be people who say, for instance: “I have so many invitations that I don′t know where to lay my head” to conceal the fact that they have been invited nowhere. But what was more, this detached air, probably on account of the heterogeneous elements that had gone to form it, gave you, what you would never have felt in the fear of boredom or in a frank admission of the desire to see you, that is to say that sort of distaste, of repulsion, which in the category of relations of simple social courtesy corresponds to — in that of love — the disguised offer made to a lady by the lover whom she does not love to see her on the following day, he protesting the while that it does not really matter, or indeed not that offer but an attitude of false coldness. There emanated at once from Saniette′s person something or other which made you answer him in the tenderest of tones: “No, unfortunately, this week, I must explain to you. . . . ” And I allowed to call upon me instead people who were a long way his inferiors but had not his gaze charged with melancholy or his mouth wrinkled with all the bitterness of all the calls which he longed, while saying nothing about them, to pay upon this person and that. Unfortunately it was very rarely that Saniette did not meet in the ‘crawler′ the guest who was coming to see me, if indeed the latter had not said to me at the Verdurins′: “Don′t forget, I′m coming to see you on Thursday,” the very day on which I had just told Saniette that I should not be at home. So that he came in the end to imagine life as filled with entertainments arranged behind his back, if not actually at his expense. On the other hand, as none of us is ever a single person, this too discreet of men was morbidly indiscreet. On the one occasion on which he happened to come and see me uninvited, a letter, I forget from whom, had been left lying on my table. After the first few minutes, I saw that he was paying only the vaguest attention to what I was saying. The letter, of whose subject he knew absolutely nothing, fascinated him and at every moment I expected his glittering eyeballs to detach themselves from their sockets and fly to the letter which, of no importance in itself, his curiosity had made magnetic. You would have called him a bird about to dash into the jaws of a serpent. Finally he could restrain himself no longer, he began by altering its position, as though he were trying to tidy my room. This not sufficing him, he took it up, turned it over, turned it back again, as though mechanically. Another form of his indiscretion was that once he had fastened himself to you he could not tear himself away. As I was feeling unwell that day, I asked him to go back by the next train, in half-an-hour′s time. He did not doubt that I was feeling unwell, but replied: “I shall stay for an hour and a quarter, and then I shall go.” Since then I have regretted that I did not tell him, whenever I had an opportunity, to come and see me. Who knows? Possibly I might have charmed away his ill fortune, other people would have invited him for whom he would immediately have deserted myself, so that my invitations would have had the twofold advantage of giving him pleasure and ridding me of his company.
Les jours qui suivaient ceux où j′avais reçu, je n′attendais naturellement pas de visites, et l′automobile revenait nous chercher, Albertine et moi. Et quand nous rentrions, Aimé, sur le premier degré de l′hôtel, ne pouvait s′empêcher, avec des yeux passionnés, curieux et gourmands, de regarder quel pourboire je donnais au chauffeur. J′avais beau enfermer ma pièce ou mon billet dans ma main close, les regards d′Aimé écartaient mes doigts. Il détournait la tête au bout d′une seconde, car il était discret, bien élevé et même se contentait lui-même de bénéfices relativement petits. Mais l′argent qu′un autre recevait excitait en lui une curiosité incompressible et lui faisait venir l′eau à la bouche. Pendant ces courts instants, il avait l′air attentif et fiévreux d′un enfant qui lit un roman de Jules Verne, ou d′un dîneur assis non loin de vous, dans un restaurant, et qui, voyant qu′on vous découpe un faisan que lui-même ne peut pas ou ne veut pas s′offrir, délaisse un instant ses pensées sérieuses pour attacher sur la volaille un regard que font sourire l′amour et l′envie.   On the days following those on which I had been ‘at home,′ I naturally did not expect any visitors and the motor-car would come to fetch us, Albertine and myself. And, when we returned, Aimé, on the lowest step of the hotel, could not help looking, with passionate, curious, greedy eyes, to see what tip I was giving the chauffeur. It was no use my enclosing my coin or note in my clenched fist, Aimé‘s gaze tore my fingers apart. He turned his head away a moment later, for he was discreet, well bred, and indeed was himself content with relatively small wages. But the money that another person received aroused in him an irrepressible curiosity and made his mouth water. During these brief moments, he wore the attentive, feverish air of a boy reading one of Jules Verne′s tales, or of a diner seated at a neighbouring table in a restaurant who, seeing the waiter carving for you a pheasant which he himself either could not afford or would not order, abandons for an instant his serious thoughts to fasten upon the bird a gaze which love and longing cause to smile.
Ainsi se succédaient quotidiennement ces promenades en automobile. Mais une fois, au moment où je remontais par l′ascenseur, le lift me dit: «Ce Monsieur est venu, il m′a laissé une commission pour vous.» Le lift me dit ces mots d′une voix absolument cassée et en me toussant et crachant à la figure. «Quel rhume que je tiens!» ajouta-t-il, comme si je n′étais pas capable de m′en apercevoir tout seul. «Le docteur dit que c′est la coqueluche», et il recommença à tousser et à cracher sur moi. «Ne vous fatiguez pas à parler», lui dis-je d′un air de bonté, lequel était feint. Je craignais de prendre la coqueluche qui, avec ma disposition aux étouffements, m′eût été fort pénible. Mais il mit sa gloire, comme un virtuose qui ne veut pas se faire porter malade, à parler et à cracher tout le temps. «Non, ça ne fait rien, dit-il (pour vous peut-être, pensai-je, mais pas pour moi). Du reste, je vais bientôt rentrer à Paris (tant mieux, pourvu qu′il ne me la passe pas avant). Il paraît, reprit-il, que Paris c′est très superbe. Cela doit être encore plus superbe qu′ici et qu′à Monte-Carlo, quoique des chasseurs, même des clients, et jusqu′à des maîtres d′hôtel qui allaient à Monte-Carlo pour la saison, m′aient souvent dit que Paris était moins superbe que Monte-Carlo. Ils se gouraient peut-être, et pourtant, pour être maître d′hôtel il ne faut pas être un imbécile; pour prendre toutes les commandes, retenir les tables, il en faut une tête! On m′a dit que c′était encore plus terrible que d′écrire des pièces et des livres.» Nous étions presque arrivés à mon étage quand le lift me fit redescendre jusqu′en bas parce qu′il trouvait que le bouton fonctionnait mal, et en un clin d′oeil il l′arrangea. Je lui dis que je préférais remonter à pied, ce qui voulait dire et cacher que je préférais ne pas prendre la coqueluche. Mais d′un accès de toux cordial et contagieux, le lift me rejeta dans l′ascenseur. «Ça ne risque plus rien, maintenant, j′ai arrangé le bouton.» Voyant qu′il ne cessait pas de parler, préférant connaître le nom du visiteur et la commission qu′il avait laissée au parallèle entre les beautés de Balbec, Paris et Monte-Carlo, je lui dis (comme à un ténor qui vous excède avec Benjamin Godard, chantez-moi de préférence du Debussy): «Mais qui est-ce qui est venu pour me voir? -- C′est le monsieur avec qui vous êtes sorti hier. Je vais aller chercher sa carte qui est chez mon concierge.» Comme, la veille, j′avais déposé Robert de Saint-Loup à la station de Doncières avant d′aller chercher Albertine, je crus que le lift voulait parler de Saint-Loup, mais c′était le chauffeur. Et en le désignant par ces mots: «Le monsieur avec qui vous êtes sorti», il m′apprenait par la même occasion qu′un ouvrier est tout aussi bien un monsieur que ne l′est un homme du monde. Leçon de mots seulement. Car, pour la chose, je n′avais jamais fait de distinction entre les classes. Et si j′avais, à entendre appeler un chauffeur un monsieur, le même étonnement que le comte X . . . qui ne l′était que depuis huit jours et à qui, ayant dit: «la Comtesse a l′air fatigué», je fis tourner la tête derrière lui pour voir de qui je voulais parler, c′était simplement par manque d′habitude du vocabulaire; je n′avais jamais fait de différence entre les ouvriers, les bourgeois et les grands seigneurs, et j′aurais pris indifféremment les uns et les autres pour amis. Avec une certaine préférence pour les ouvriers, et après cela pour les grands seigneurs, non par goût, mais sachant qu′on peut exiger d′eux plus de politesse envers les ouvriers qu′on ne l′obtient de la part des bourgeois, soit que les grands seigneurs ne dédaignent pas les ouvriers comme font les bourgeois, ou bien parce qu′ils sont volontiers polis envers n′importe qui, comme les jolies femmes heureuses de donner un sourire qu′elles savent accueilli avec tant de joie. Je ne peux, du reste, pas dire que cette façon que j′avais de mettre les gens du peuple sur le pied d′égalité avec les gens du monde, si elle fut très bien admise de ceux-ci, satisfît en revanche toujours pleinement ma mère. Non qu′humainement elle fît une différence quelconque entre les êtres, et si jamais Françoise avait du chagrin ou était souffrante, elle était toujours consolée et soignée par maman avec la même amitié, avec le même dévouement que sa meilleure amie. Mais ma mère était trop la fille de mon grand-père pour ne pas faire socialement acception des castes. Les gens de Combray avaient beau avoir du coeur, de la sensibilité, acquérir les plus belles théories sur l′égalité humaine, ma mère, quand un valet de chambre s′émancipait, disait une fois «vous» et glissait insensiblement à ne plus me parler à la troisième personne, avait de ces usurpations le même mécontentement qui éclate dans les «Mémoires» de Saint-Simon chaque fois qu′un seigneur qui n′y a pas droit saisit un prétexte de prendre la qualité d′«Altesse» dans un acte authentique, ou de ne pas rendre aux ducs ce qu′il leur devait et ce dont peu à peu il se dispense. Il y avait un «esprit de Combray» si réfractaire qu′il faudra des siècles de bonté (celle de ma mère était infinie), de théories égalitaires, pour arriver à le dissoudre. Je ne peux pas dire que chez ma mère certaines parcelles de cet esprit ne fussent pas restées insolubles. Elle eût donné aussi difficilement la main à un valet de chambre qu′elle lui donnait aisément dix francs (lesquels lui faisaient, du reste, beaucoup plus de plaisir). Pour elle, qu′elle l′avouât ou non, les maîtres étaient les maîtres et les domestiques étaient les gens qui mangeaient à la cuisine. Quand elle voyait un chauffeur d′automobile dîner avec moi dans la salle à manger, elle n′était pas absolument contente et me disait: «Il me semble que tu pourrais avoir mieux comme ami qu′un mécanicien», comme elle aurait dit, s′il se fût agi de mariage: «Tu pourrais trouver mieux comme parti.» Le chauffeur (heureusement je ne songeai jamais à inviter celui-là) était venu me dire que la Compagnie d′autos qui l′avait envoyé à Balbec pour la saison lui faisait rejoindre Paris dès le lendemain. Cette raison, d′autant plus que le chauffeur était charmant et s′exprimait si simplement qu′on eût toujours dit paroles d′évangile, nous sembla devoir être conforme à la vérité. Elle ne l′était qu′à demi. Il n′y avait en effet plus rien à faire à Balbec. Et en tout cas, la Compagnie, n′ayant qu′à demi confiance dans la véracité du jeune évangéliste, appuyé sur sa roue de consécration, désirait qu′il revînt au plus vite à Paris. Et en effet, si le jeune apôtre accomplissait miraculeusement la multiplication des kilomètres quand il les comptait à M. de Charlus, en revanche, dès qu′il s′agissait de rendre compte à sa Compagnie, il divisait par 6 ce qu′il avait gagné. En conclusion de quoi la Compagnie, pensant, ou bien que personne ne faisait plus de promenades à Balbec, ce que la saison rendait vraisemblable, soit qu′elle était volée, trouvait dans l′une et l′autre hypothèse que le mieux était de le rappeler à Paris, où on ne faisait d′ailleurs pas grand′chose. Le désir du chauffeur était d′éviter, si possible, la morte-saison. J′ai dit -- ce que j′ignorais alors et ce dont la connaissance m′eût évité bien des chagrins -- qu′il était très lié (sans qu′ils eussent jamais l′air de se connaître devant les autres) avec Morel. A partir du jour où il fut rappelé, sans savoir encore qu′il avait un moyen de ne pas partir, nous dûmes nous contenter pour nos promenades de louer une voiture, ou quelquefois, pour distraire Albertine et comme elle aimait l′équitation, des chevaux de selle. Les voitures étaient mauvaises. «Quel tacot!» disait Albertine. J′aurais d′ailleurs souvent aimé d′y être seul. Sans vouloir me fixer une date, je souhaitais que prit fin cette vie à laquelle je reprochais de me faire renoncer, non pas même tant au travail qu′au plaisir. Pourtant il arrivait aussi que les habitudes qui me retenaient fussent soudain abolies, le plus souvent quand quelque ancien moi, plein du désir de vivre avec allégresse, remplaçait pour un instant le moi actuel. J′éprouvai notamment ce désir d′évasion un jour qu′ayant laissé Albertine chez sa tante, j′étais allé à cheval voir les Verdurin et que j′avais pris dans les bois une route sauvage dont ils m′avaient vanté la beauté. Épousant les formes de la falaise, tour à tour elle montait, puis, resserrée entre des bouquets d′arbres épais, elle s′enfonçait en gorges sauvages. Un instant, les rochers dénudés dont j′étais entouré, la mer qu′on apercevait par leurs déchirures, flottèrent devant mes yeux comme des fragments d′un autre univers: j′avais reconnu le paysage montagneux et marin qu′Elstir a donné pour cadre à ces deux admirables aquarelles, «Poète rencontrant une Muse», «Jeune homme rencontrant un Centaure», que j′avais vues chez la duchesse de Guermantes. Leur souvenir replaçait les lieux où je me trouvais tellement en dehors du monde actuel que je n′aurais pas été étonné si, comme le jeune homme de l′âge antéhistorique que peint Elstir, j′avais, au cours de ma promenade, croisé un personnage mythologique. Tout à coup mon cheval se cabra; il avait entendu un bruit singulier, j′eus peine à le maîtriser et à ne pas être jeté à terre, puis je levai vers le point d′où semblait venir ce bruit mes yeux pleins de larmes, et je vis à une cinquantaine de mètres au-dessus de moi, dans le soleil, entre deux grandes ailes d′acier étincelant qui l′emportaient, un être dont la figure peu distincte me parut ressembler à celle d′un homme. Je fus aussi ému que pouvait l′être un Grec qui voyait pour la première fois un demi-Dieu. Je pleurais aussi, car j′étais prêt à pleurer, du moment que j′avais reconnu que le bruit venait d′au-dessus de ma tête -- les aéroplanes étaient encore rares à cette époque --à la pensée que ce que j′allais voir pour la première fois c′était un aéroplane. Alors, comme quand on sent venir dans un journal une parole émouvante, je n′attendais que d′avoir aperçu l′avion pour fondre en larmes. Cependant l′aviateur sembla hésiter sur sa voie; je sentais ouvertes devant lui -- devant moi, si l′habitude ne m′avait pas fait prisonnier -- toutes les routes de l′espace, de la vie; il poussa plus loin, plana quelques instants au-dessus de la mer, puis prenant brusquement son parti, semblant céder à quelque attraction inverse de celle de la pesanteur, comme retournant dans sa patrie, d′un léger mouvement de ses ailes d′or il piqua droit vers le ciel.   And so, day after day, these excursions in the motor-car followed one another. But once, as I was being taken up to my room, the lift-boy said to me: “That gentleman has been, he gave me a message for you.” The lift-boy uttered these words in an almost inaudible voice, coughing and expectorating in my face. “I haven′t half caught cold!” he went on, as though I were incapable of perceiving this for myself. “The doctor says it′s whooping-cough,” and he began once more to cough and expectorate over me. “Don′t tire yourself by trying to speak,” I said to him with an air of kindly interest, which was feigned. I was afraid of catching the whooping-cough which, with my tendency to choking fits, would have been a serious matter to me. But he made a point of honour, like a virtuoso who refuses to let himself be taken to hospital, of talking and expectorating all the time. “No, it doesn′t matter,” he said (“Perhaps not to you,” I thought, “but to me it does”). “Besides, I shall be returning soon to Paris.” (“Excellent, provided he doesn′t give it to me first.”) “It seems,” he went on, “that Paris is quite superb. It must be even more superb than here or Monte-Carlo, although pages, in fact visitors, and even head waiters who have been to Monte-Carlo for the season have often told me that Paris was not so superb as Monte-Carlo. They were cheated, perhaps, and yet, to be a head waiter, you′ve got to have your wits about you; to take all the orders, reserve tables, you need a head! I′ve heard it said that it′s even more terrible than writing plays and books.” We had almost reached my landing when the lift-boy carried me down again to the ground floor because he found that the button was not working properly, and in a moment had put it right. I told him that I preferred to walk upstairs, by which I meant, without putting it in so many words, that I preferred not to catch whooping-cough. But with a cordial and contagious burst of coughing the boy thrust me back into the lift. “There′s no danger now, I′ve fixed the button.” Seeing that he was not ceasing to talk, preferring to learn the name of my visitor and the message that he had left, rather than the comparative beauties of Balbec, Paris and Monte-Carlo, I said to him (as one might say to a tenor who is wearying one with Benjamin Godard, “Won′t you sing me some Debussy?”) “But who is the person that called to see me?” “It′s the gentleman you went out with yesterday. I am going to fetch his card, it′s with my porter.” As, the day before, I had dropped Robert de Saint-Loup at Doncières station before going to meet Albertine, I supposed that the lift-boy was referring to him, but it was the chauffeur. And by describing him in the words: “The gentleman you went out with,” he taught me at the same time that a working man is just as much a gentleman as a man about town. A lesson in the use of words only. For in point of fact I had never made any distinction between the classes. And if I had felt, on hearing a chauffeur called a gentleman, the same astonishment as Comte X who had only held that rank for a week and whom, by saying: “the Comtesse looks tired,” I made turn his head round to see who it was that I meant, it was simply because I was not familiar with that use of the word; I had never made any difference between working men, professional men and noblemen, and I should have been equally ready to make any of them my friends. With a certain preference for the working men, and after them for the noblemen, not because I liked them better, but because I knew that one could expect greater courtesy from them towards the working men than one finds among professional men, whether because the great nobleman does not despise the working man as the professional man does or else because they are naturally polite to anybody, as beautiful women are glad to bestow a smile which they know to be so joyfully received. I cannot however pretend that this habit that I had of putting people of humble station on a level with people in society, even if it was quite understood by the latter, was always entirely satisfactory to my mother. Not that, humanly speaking, she made any difference between one person and another, and if Françoise was ever in sorrow or in pain she was comforted and tended by Mamma with the same devotion as her best friend. But my mother was too much my grandmother′s daughter not to accept, in social matters, the rule of caste. People at Combray might have kind hearts, sensitive natures, might have adopted the most perfect theories of human equality, my mother, when a footman became emancipated, began to say ‘you′ and slipped out of the habit of addressing me in the third person, was moved by these presumptions to the same wrath that breaks out in Saint-Simon′s Memoirs, whenever a nobleman who is not entitled to it seizes a pretext for assuming the style of ‘Highness′ in an official document, or for not paying dukes the deference he owes to them and is gradually beginning to lay aside. There was a ‘Combray spirit′ so refractory that it will require centuries of good nature (my mother′s was boundless), of theories of equality, to succeed in dissolving it. I cannot swear that in my mother certain particles of this spirit had not remained insoluble. She would have been as reluctant to give her hand to a footman as she would have been ready to give him ten francs (which for that matter he was far more glad to receive). To her, whether she admitted it or not, masters were masters, and servants were the people who fed in the kitchen. When she saw the driver of a motor-car dining with me in the restaurant, she was not altogether pleased, and said to me: “It seems to me you might have a more suitable friend than a mechanic,” as she might have said, had it been a question of my marriage: “You might find somebody better than that.” This particular chauffeur (fortunately I never dreamed of inviting him to dinner) had come to tell me that the motor-car company which had sent him to Balbec for the season had ordered him to return to Paris on the following day. This excuse, especially as the chauffeur was charming and expressed himself so simply that one would always have taken anything he said for Gospel, seemed to us to be most probably true. It was only half so. There was as a matter of fact no more work for him at Balbec. And in any case, the Company being only half convinced of the veracity of the young Evangelist, bowed over the consecration cross of his steering-wheel, was anxious that he should return as soon as possible to Paris. And indeed if the young Apostle wrought a miracle in multiplying his mileage when he was calculating it for M. de Charlus, when on the other hand it was a matter of rendering his account to the Company, he divided what he had earned by six. In consequence of which the Company, coming to the conclusion either that nobody wanted a car now at Balbec, which, so late in the season, was quite probable, or that it was being robbed, decided that, upon either hypothesis, the best thing was to recall him to Paris, not that there was very much work for him there. What the chauffeur wished was to avoid, if possible, the dead season. I have said — though I was unaware of this at the time, when the knowledge of it would have saved me much annoyance — that he was on intimate terms (without their ever shewing any sign of acquaintance before other people) with Morel. Starting from the day on which he was ordered back, before he realised that there was still a way out of going, we were obliged to content ourselves for our excursions with hiring a carriage, or sometimes, as an amusement for Albertine and because she was fond of riding, a pair of saddle-horses. The carriages were unsatisfactory. “What a rattle-trap,” Albertine would say. I would often, as it happened, have preferred to be driving by myself. Without being ready to fix a date, I longed to put an end to this existence which I blamed for making me renounce not so much work as pleasure. It would happen also, however, that the habits which bound me were suddenly abolished, generally when some former self, full of the desire to live a merry life, took the place of what was my self at the moment. I felt this longing to escape especially strong one day when, having left Albertine at her aunt′s, I had gone on horseback to call on the Verdurins and had taken an unfrequented path through the woods the beauty of which they had extolled to me. Clinging to the outline of the cliffs, it alternately climbed and then, hemmed in by dense woods on either side, dived into savage gorges. For a moment the barren rocks by which I was surrounded, the sea visible in their jagged intervals, swam before my eyes, like fragments of another universe: I had recognised the mountainous and marine landscape which Elstir had made the scene of those two admirable water colours: ‘Poet meeting a Muse,′ ‘Young Man meeting a Centaur′ which I had seen at the Duchesse de Guermantes′s. The thought of them transported the place in which I was so far beyond the world of to-day that I should not have been surprised if, like the young man of the prehistoric age that Elstir painted, I had in the course of my ride come upon a mythological personage. Suddenly, my horse gave a start; he had heard a strange sound; it was all I could do to hold him and remain in the saddle, then I raised in the direction from which the sound seemed to come my eyes filled with tears and saw, not two hundred feet above my head, against the sun, between two great wings of flashing metal which were carrying him on, a creature whose barely visible face appeared to me to resemble that of a man. I was as deeply moved as a Greek upon seeing for the first time a demigod. I cried also, for I was ready to cry the moment I realised that the sound came from above my head — aeroplanes were still rare in those days — at the thought that what I was going to see for the first time was an aeroplane. Then, just as when in a newspaper one feels that one is coming to a moving passage, the mere sight of the machine was enough to make me burst into tears. Meanwhile the airman seemed to be uncertain of his course; I felt that there lay open before him — before me, had not habit made me a prisoner — all the routes in space, in life itself; he flew on, let himself glide for a few moments, over the sea, then quickly making up his mind, seeming to yield to some attraction the reverse of gravity, as though returning to his native element, with a slight movement of his golden wings, rose sheer into the sky.
Pour revenir au mécanicien, il demanda non seulement à Morel que les Verdurin remplaçassent leur break par une auto (ce qui, étant donné la générosité des Verdurin à l′égard des fidèles, était relativement facile), mais, chose plus malaisée, leur principal cocher, le jeune homme sensible et porté aux idées noires, par lui, le chauffeur. Cela fut exécuté en quelques jours de la façon suivante. Morel avait commencé par faire voler au cocher tout ce qui lui était nécessaire pour atteler. Un jour il ne trouvait pas le mors, un jour la gourmette. D′autres fois, c′était son coussin de siège qui avait disparu, jusqu′à son fouet, sa couverture, le martinet, l′éponge, la peau de chamois. Mais il s′arrangea toujours avec des voisins; seulement il arrivait en retard, ce qui agaçait contre lui M. Verdurin et le plongeait dans un état de tristesse et d′idées noires. Le chauffeur, pressé d′entrer, déclara à Morel qu′il allait revenir à Paris. Il fallait frapper un grand coup. Morel persuada aux domestiques de M. Verdurin que le jeune cocher avait déclaré qu′il les ferait tous tomber dans un guet-apens et se faisait fort d′avoir raison d′eux six, et il leur dit qu′ils ne pouvaient pas laisser passer cela. Pour sa part, il ne pouvait pas s′en mêler, mais les prévenait afin qu′ils prissent les devants. Il fut convenu que, pendant que M. et Mme Verdurin et leurs amis seraient en promenade, ils tomberaient tous à l′écurie sur le jeune homme. Je rapporterai, bien que ce ne fût que l′occasion de ce qui allait avoir lieu, mais parce que les personnages m′ont intéressé plus tard, qu′il y avait, ce jour-là, un ami des Verdurin en villégiature chez eux et à qui on voulait faire faire une promenade à pied avant son départ, fixé au soir même.   To come back to the mechanic, he demanded of Morel that the Verdurins should not merely replace their break by a motor-car (which, granted their generosity towards the faithful, was comparatively easy), but, what was less easy, replace their head coachman, the sensitive young man who was inclined to dark thoughts, by himself, the chauffeur. This change was carried out in a few days by the following device. Morel had begun by seeing that the coachman was robbed of everything that he needed for the carriage. One day it was the bit that was missing, another day the curb. At other times it was the cushion of his box-seat that had vanished, or his whip, his rug, his hammer, sponge, chamois-leather. But he always managed to borrow what he required from a neighbour; only he was late in bringing round the carriage, which put him in M. Verdurin′s bad books and plunged him in a state of melancholy and dark thoughts. The chauffeur, who was in a hurry to take his place, told Morel that he would have to return to Paris. It was time to do something desperate. Morel persuaded M. Verdurin′s servants that the young coachman had declared that he would set a trap for the lot of them, boasting that he could take on all six of them at once, and assured them that they could not overlook such an insult. He himself could not take any part in the quarrel, but he warned them so that they might be on their guard. It was arranged that while M. and Mme. Verdurin and their guests were out walking the servants should fall upon the young man in the coach house. I may mention, although it was only the pretext for what was bound to happen, but because the people concerned interested me later on, that the Verdurins had a friend staying with them that day whom they had promised to take for a walk before his departure, which was fixed for that same evening.
Ce qui me surprit beaucoup quand on partit en promenade, c′est que, ce jour-là, Morel, qui venait avec nous en promenade à pied, où il devait jouer du violon dans les arbres, me dit: «Écoutez, j′ai mal au bras, je ne veux pas le dire à Mme Verdurin, mais priez-la d′emmener un de ses valets, par exemple Howsler, il portera mes instruments. -- Je crois qu′un autre serait mieux choisi, répondis-je. On a besoin de lui pour le dîner.» Une expression de colère passa sur le visage de Morel. «Mais non, je ne veux pas confier mon violon à n′importe qui.» Je compris plus tard la raison de cette préférence. Howsler était le frère très aimé du jeune cocher, et, s′il était resté à la maison, aurait pu lui porter secours. Pendant la promenade, assez bas pour que Howsler aîné ne pût nous entendre: «Voilà un bon garçon, dit Morel. Du reste, son frère l′est aussi. S′il n′avait pas cette funeste habitude de boire . . . -- Comment, boire, dit Mme Verdurin, pâlissant à l′idée d′avoir un cocher qui buvait. -- Vous ne vous en apercevez pas. Je me dis toujours que c′est un miracle qu′il ne lui soit pas arrivé d′accident pendant qu′il vous conduisait. -- Mais il conduit donc d′autres personnes? -- Vous n′avez qu′à voir combien de fois il a versé, il a aujourd′hui la figure pleine d′ecchymoses. Je ne sais pas comment il ne s′est pas tué, il a cassé ses brancards. -- Je ne l′ai pas vu aujourd′hui, dit Mme Verdurin tremblante à la pensée de ce qui aurait pu lui arriver à elle, vous me désolez.» Elle voulut abréger la promenade pour rentrer, Morel choisit un air de Bach avec des variations infinies pour la faire durer. Dès le retour elle alla à la remise, vit le brancard neuf et Howsler en sang. Elle allait lui dire, sans lui faire aucune observation, qu′elle n′avait plus besoin de cocher et lui remettre de l′argent, mais de lui-même, ne voulant pas accuser ses camarades à l′animosité de qui il attribuait rétrospectivement le vol quotidien de toutes les selles, etc., et voyant que sa patience ne conduisait qu′à se faire laisser pour mort sur le carreau, il demanda à s′en aller, ce qui arrangea tout. Le chauffeur entra le lendemain et, plus tard, Mme Verdurin (qui avait été obligée d′en prendre un autre) fut si satisfaite de lui, qu′elle me le recommanda chaleureusement comme homme d′absolue confiance. Moi qui ignorais tout, je le pris à la journée à Paris. Mais je n′ai que trop anticipé, tout cela se retrouvera dès l′histoire d′Albertine. En ce moment nous sommes à la Raspelière où je viens dîner pour la première fois avec mon amie, et M. de Charlus avec Morel, fils supposé d′un «intendant» qui gagnait trente mille francs par an de fixe, avait une voiture et nombre de majordomes subalternes, de jardiniers, de régisseurs et de fermiers sous ses ordres. Mais puisque j′ai tellement anticipé, je ne veux cependant pas laisser le lecteur sous l′impression d′une méchanceté absolue qu′aurait eue Morel. Il était plutôt plein de contradictions, capable à certains jours d′une gentillesse véritable.   What surprised me greatly when we started off for our walk was that Morel, who was coming with us, and was to play his violin under the trees, said to me: “Listen, I have a sore arm, I don′t want to say anything about it to Mme. Verdurin, but you might ask her to send for one of her footmen, Howsler for instance, he can carry my things.” “I think you ought to suggest some one else,” I replied. “He will be wanted here for dinner.” A look of anger passed over Morel′s face. “No, I′m not going to trust my violin to any Tom, Dick or Harry.” I realised later on his reason for this selection. Howsler was the beloved brother of the young coachman, and, if he had been left at home, might have gone to his rescue. During our walk, dropping his voice so that the elder Howsler should not overhear: “What a good fellow he is,” said Morel. “So is his brother, for that matter. If he hadn′t that fatal habit of drinking. . . . ” “Did you say drinking?” said Mme. Verdurin, turning pale at the idea of having a coachman who drank. “You′ve never noticed it. I always say to myself it′s a miracle that he′s never had an accident while he′s been driving you.” “Does he drive anyone else, then?” “You can easily see how many spills he′s had, his face to-day is a mass of bruises. I don′t know how he′s escaped being killed, he′s broken his shafts.” “I haven′t seen him to-day,” said Mme. Verdurin, trembling at the thought of what might have happened to her, “you appal me.” She tried to cut short the walk so as to return at once, but Morel chose an aria by Bach with endless variations to keep her away from the house. As soon as we got back she went to the stable, saw the new shaft and Howsler streaming with blood. She was on the point of telling him, without making any comment on what she had seen, that she did not require a coachman any longer, and of paying him his wages, but of his own accord, not wishing to accuse his fellow-servants, to whose animosity he attributed retrospectively the theft of all his saddlery, and seeing that further patience would only end in his being left for dead on the ground, he asked leave to go at once, which made everything quite simple. The chauffeur began his duties next day and, later on, Mme. Verdurin (who had been obliged to engage another) was so well satisfied with him that she recommended him to me warmly, as a man on whom I might rely. I, knowing nothing of all this, used to engage him by the day in Paris, but I am anticipating events, I shall come to all this when I reach the story of Albertine. At the present moment we are at la Raspelière, where I have just been dining for the first time with my mistress, and M. de Charlus with Morel, the reputed son of an ‘Agent′ who drew a fixed salary of thirty thousand francs annually, kept his carriage, and had any number of major-domos, subordinates, gardeners, bailiffs and farmers at his beck and call. But, since I have so far anticipated, I do not wish to leave the reader under the impression that Morel was entirely wicked. He was, rather, a mass of contradictions, capable on certain days of being genuinely kind.
Je fus naturellement bien étonné d′apprendre que le cocher avait été mis à la porte, et bien plus de reconnaître dans son remplaçant le chauffeur qui nous avait promenés, Albertine et moi. Mais il me débita une histoire compliquée, selon laquelle il était censé être rentré à Paris, d′où on l′avait demandé pour les Verdurin, et je n′eus pas une seconde de doute. Le renvoi du cocher fut cause que Morel causa un peu avec moi, afin de m′exprimer sa tristesse relativement au départ de ce brave garçon. Du reste, même en dehors des moments où j′étais seul et où il bondissait littéralement vers moi avec une expansion de joie, Morel, voyant que tout le monde me faisait fête à la Raspelière et sentant qu′il s′excluait volontairement de la familiarité de quelqu′un qui était sans danger pour lui, puisqu′il m′avait fait couper les ponts et ôté toute possibilité d′avoir envers lui des airs protecteurs (que je n′avais, d′ailleurs, nullement songé à prendre), cessa de se tenir éloigné de moi. J′attribuai son changement d′attitude à l′influence de M. de Charlus, laquelle, en effet, le rendait, sur certains points, moins borné, plus artiste, mais sur d′autres, où il appliquait à la lettre les formules éloquentes, mensongères, et d′ailleurs momentanées, du maître, le bêtifiait encore davantage. Ce qu′avait pu lui dire M. de Charlus, ce fut, en effet, la seule chose que je supposai. Comment aurais-je pu deviner alors ce qu′on me dit ensuite (et dont je n′ai jamais été certain, les affirmations d′Andrée sur tout ce qui touchait Albertine, surtout plus tard, m′ayant toujours semblé fort sujettes à caution car, comme nous l′avons vu autrefois, elle n′aimait pas sincèrement mon amie et était jalouse d′elle), ce qui en tout cas, si c′était vrai, me fut remarquablement caché par tous les deux: qu′Albertine connaissait beaucoup Morel. La nouvelle attitude que, vers ce moment du renvoi du cocher, Morel adopta à mon égard me permit de changer d′avis sur son compte. Je gardai de son caractère la vilaine idée que m′en avait fait concevoir la bassesse que ce jeune homme m′avait montrée quand il avait eu besoin de moi, suivie, tout aussitôt le service rendu, d′un dédain jusqu′à sembler ne pas me voir. A cela il fallait l′évidence de ses rapports de vénalité avec M. de Charlus, et aussi des instincts de bestialité sans suite dont la non satisfaction (quand cela arrivait), ou les complications qu′ils entraînaient, causaient ses tristesses; mais ce caractère n′était pas si uniformément laid et plein de contradictions. Il ressemblait à un vieux livre du moyen âge, plein d′erreurs, de traditions absurdes, d′obscénités, il était extraordinairement composite. J′avais cru d′abord que son art, où il était vraiment passé maître, lui avait donné des supériorités qui dépassaient la virtuosité de l′exécutant. Une fois que je disais mon désir de me mettre au travail: «Travaillez, devenez illustre, me dit-il. -- De qui est cela? lui demandai-je. -- De Fontanes à Chateaubriand.» Il connaissait aussi une correspondance amoureuse de Napoléon. Bien, pensai-je, il est lettré. Mais cette phrase, qu′il avait lue je ne sais pas où, était sans doute la seule qu′il connût de toute la littérature ancienne et moderne, car il me la répétait chaque soir. Une autre, qu′il répétait davantage pour m′empêcher de rien dire de lui à personne, c′était celle-ci, qu′il croyait également littéraire, qui est à peine française ou du moins n′offre aucune espèce de sens, sauf peut-être pour un domestique cachottier: «Méfions-nous des méfiants.» Au fond, en allant de cette stupide maxime jusqu′à la phrase de Fontanes à Chateaubriand, on eût parcouru toute une partie, variée mais moins contradictoire qu′il ne semble, du caractère de Morel. Ce garçon qui, pour peu qu′il y trouvât de l′argent, eût fait n′importe quoi, et sans remords -- peut-être pas sans une contrariété bizarre, allant jusqu′à la surexcitation nerveuse, mais à laquelle le nom de remords irait fort mal -- qui eût, s′il y trouvait son intérêt, plongé dans la peine, voire dans le deuil, des familles entières, ce garçon qui mettait l′argent au-dessus de tout et, sans parler de bonté, au-dessus des sentiments de simple humanité les plus naturels, ce même garçon mettait pourtant au-dessus de l′argent son diplôme de Ier prix du Conservatoire et qu′on ne pût tenir aucun propos désobligeant sur lui à la classe de flûte ou de contrepoint. Aussi ses plus grandes colères, ses plus sombres et plus injustifiables accès de mauvaise humeur venaient-ils de ce qu′il appelait (en généralisant sans doute quelques cas particuliers où il avait rencontré des malveillants) la fourberie universelle. Il se flattait d′y échapper en ne parlant jamais de personne, en cachant son jeu, en se méfiant de tout le monde. (Pour mon malheur, à cause de ce qui devait en résulter après mon retour à Paris, sa méfiance n′avait pas «joué» à l′égard du chauffeur de Balbec, en qui il avait sans doute reconnu un pareil, c′est-à-dire, contrairement à sa maxime, un méfiant dans la bonne acception du mot, un méfiant qui se tait obstinément devant les honnêtes gens et a tout de suite partie liée avec une crapule). Il lui semblait -- et ce n′était pas absolument faux -- que cette méfiance lui permettrait de tirer toujours son épingle du jeu, de glisser, insaisissable, à travers les plus dangereuses aventures, et sans qu′on pût rien, non pas même prouver, mais avancer contre lui, dans l′établissement de la rue Bergère. Il travaillerait, deviendrait illustre, serait peut-être un jour, avec une respectabilité intacte, maître du jury de violon aux concours de ce prestigieux Conservatoire.   I was naturally greatly surprised to hear that the coachman had been dismissed, and even more surprised when I recognised his successor as the chauffeur who had been taking Albertine and myself in his car. But he poured out a complicated story, according to which he had thought that he was summoned back to Paris, where an order had come for him to go to the Verdurins, and I did not doubt his word for an instant. The coachman′s dismissal was the cause of Morel′s talking to me for a few minutes, to express his regret at the departure of that worthy fellow. However, even apart from the moments when I was alone, and he literally bounded towards me beaming with joy, Morel, seeing that everybody made much of me at la Raspelière and feeling that he was deliberately cutting himself off from the society of a person who could in no way imperil him, since he had made me burn my boats and had destroyed all possibility of my treating him with an air of patronage (which I had never, for that matter, dreamed of adopting), ceased to hold aloof from me. I attributed his change of attitude to the influence of M. de Charlus, which as a matter of fact did make him in certain respects less limited, more of an artist, but in others, when he interpreted literally the eloquent, insincere, and moreover transient formulas of his master, made him stupider than ever. That M. de Charlus might have said something to him was as a matter of fact the only thing that occurred to me. How was I to have guessed then what I was told afterwards (and have never been certain of its truth, Andrée′s assertions as to everything that concerned Albertine, especially later on, having always seemed to me to be statements to be received with caution, for, as we have already seen, she was not genuinely fond of my mistress and was jealous of her), a thing which in any event, even if it was true, was remarkably well concealed from me by both of them: that Albertine was on the best of terms with Morel? The novel attitude which, about the time of the coachman′s dismissal, Morel adopted with regard to myself, enabled me to change my opinion of him. I retained the ugly impression of his character which had been suggested by the servility which this young man had shewn me when he needed my services, followed, as soon as the service had been rendered, by a scornful aloofness as though he did not even see me. I still lacked evidence of his venal relations with M. de Charlus, and also of his bestial and purposeless instincts, the non-gratification of which (when it occurred) or the complications that they involved, were the cause of his sorrows; but his character was not so uniformly vile and was full of contradictions. He resembled an old book of the middle ages, full of mistakes, of absurd traditions, of obscenities; he was extraordinarily composite. I had supposed at first that his art, in which he was really a past-master, had given him superiorities that went beyond the virtuosity of the mere performer. Once when I spoke of my wish to start work: “Work, become famous,” he said to me. “Who said that?” I inquired. “Fontanes, to Chateaubriand.” He also knew certain love letters of Napoleon. Good, I thought to myself, he reads. But this phrase which he had read I know not where was doubtless the only one that he knew in the whole of ancient or modern literature, for he repeated it to me every evening. Another which he quoted even more frequently to prevent me from breathing a word about him to anybody was the following, which he considered equally literary, whereas it is barely grammatical, or at any rate makes no kind of sense, except perhaps to a mystery-loving servant: “Beware of the wary.” As a matter of fact, if one cast back from this stupid maxim to what Fontanes had said to Chateaubriand, one explored a whole side, varied but less contradictory than one might suppose, of Morel′s character. This youth who, provided there was money to be made by it, would have done anything in the world, and without remorse — perhaps not without an odd sort of vexation, amounting to nervous excitement, to which however the name remorse could not for a moment be applied — who would, had it been to his advantage, have plunged in distress, not to say mourning, whole families, this youth who set money above everything, above, not to speak of unselfish kindness, the most natural sentiments of common humanity, this same youth nevertheless set above money his certificate as first-prize winner at the Conservatoire and the risk of there being anything said to his discredit in the flute or counterpoint class. And so his most violent rages, his most sombre and unjustifiable fits of ill-temper arose from what he himself (generalising doubtless from certain particular cases in which he had met with spiteful people) called universal treachery. He flattered himself that he escaped from this fault by never speaking about anyone, by concealing his tactics, by distrusting everybody. (Alas for me, in view of what was to happen after my return to Paris, his distrust had not ‘held′ in the case of the Balbec chauffeur, in whom he had doubtless recognised a peer, that is to say, in contradiction of his maxim, a wary person in the good sense of the word, a wary person who remains obstinately silent before honest folk and at once comes to an understanding with a blackguard.) It seemed to him — and he was not absolutely wrong — that his distrust would enable him always to save his bacon, to slip unscathed out of the most perilous adventures, without anyone′s being able not indeed to prove but even to suggest anything against him, in the institution in the Rue Bergère. He would work, become famous, would perhaps be one day, with his respectability still intact, examiner in the violin on the Board of that great and glorious Conservatoire.
Mais c′est peut-être encore trop de logique dans la cervelle de Morel que d′y faire sortir les unes des autres les contradictions. En réalité, sa nature était vraiment comme un papier sur lequel on a fait tant de plis dans tous les sens qu′il est impossible de s′y retrouver. Il semblait avoir des principes assez élevés, et avec une magnifique écriture, déparée par les plus grossières fautes d′orthographe, passait des heures à écrire à son frère qu′il avait mal agi avec ses soeurs, qu′il était leur aîné, leur appui; à ses soeurs qu′elles avaient commis une inconvenance vis-à-vis de lui-même.   But it is perhaps crediting Morel′s brain with too much logic to attempt to discriminate between these contradictions. As a matter of fact his nature was just like a sheet of paper that has been folded so often in every direction that it is impossible to straighten it out. He seemed to act upon quite lofty principles, and in a magnificent hand, marred by the most elementary mistakes in spelling, spent hours writing to his brother that he had behaved badly to his sisters, that he was their elder, their natural support, etc., and to his sisters that they had shewn a want of respect for himself.
Bientôt même, l′été finissant, quand on descendait du train à Douville, le soleil, amorti par la brume, n′était déjà plus, dans le ciel uniformément mauve, qu′un bloc rouge. A la grande paix qui descend, le soir, sur ces prés drus et salins et qui avait conseillé à beaucoup de Parisiens, peintres pour la plupart, d′aller villégiaturer à Douville, s′ajoutait une humidité qui les faisait rentrer de bonne heure dans les petits chalets. Dans plusieurs de ceux-ci la lampe était déjà allumée. Seules quelques vaches restaient dehors à regarder la mer en meuglant, tandis que d′autres, s′intéressant plus à l′humanité, tournaient leur attention vers nos voitures. Seul un peintre qui avait dressé son chevalet sur une mince éminence travaillait à essayer de rendre ce grand calme, cette lumière apaisée. Peut-être les vaches allaient-elles lui servir inconsciemment et bénévolement de modèles, car leur air contemplatif et leur présence solitaire, quand les humains sont rentrés, contribuaient, à leur manière, à la puissante impression de repos que dégage le soir. Et quelques semaines plus tard, la transposition ne fut pas moins agréable quand, l′automne s′avançant, les jours devinrent tout à fait courts et qu′il fallut faire ce voyage dans la nuit. Si j′avais été faire un tour dans l′après-midi, il fallait rentrer s′habiller au plus tard à cinq heures, où maintenant le soleil rond et rouge était déjà descendu au milieu de la glace oblique, jadis détestée, et, comme quelque feu grégeois, incendiait la mer dans les vitres de toutes mes bibliothèques. Quelque geste incantateur ayant suscité, pendant que je passais mon smoking, le moi alerte et frivole qui était le mien quand j′allais avec Saint-Loup dîner à Rivebelle et le soir où j′avais cru emmener Mlle de Stermaria dîner dans l′île du Bois, je fredonnais inconsciemment le même air qu′alors; et c′est seulement en m′en apercevant qu′à la chanson je reconnaissais le chanteur intermittent, lequel, en effet, ne savait que celle-là. La première fois que je l′avais chantée, je commençais d′aimer Albertine, mais je croyais que je ne la connaîtrais jamais. Plus tard, à Paris, c′était quand j′avais cessé de l′aimer et quelques jours après l′avoir possédée pour la première fois. Maintenant, c′était en l′aimant de nouveau et au moment d′aller dîner avec elle, au grand regret du directeur, qui croyait que je finirais par habiter la Raspelière et lâcher son hôtel, et qui assurait avoir entendu dire qu′il régnait par là des fièvres dues aux marais du Bac et à leurs eaux «accroupies». J′étais heureux de cette multiplicité que je voyais ainsi à ma vie déployée sur trois plans; et puis, quand on redevient pour un instant un homme ancien, c′est-à-dire différent de celui qu′on est depuis longtemps, la sensibilité, n′étant plus amortie par l′habitude, reçoit des moindres chocs des impressions si vives qu′elles font pâlir tout ce qui les a précédées et auxquelles, à cause de leur intensité, nous nous attachons avec l′exaltation passagère d′un ivrogne. Il faisait déjà nuit quand nous montions dans l′omnibus ou la voiture qui allait nous mener à la gare prendre le petit chemin de fer. Et dans le hall, le premier président nous disait: «Ah! vous allez à la Raspelière! Sapristi, elle a du toupet, Mme Verdurin, de vous faire faire une heure de chemin de fer dans la nuit, pour dîner seulement. Et puis recommencer le trajet à dix heures du soir, dans un vent de tous les diables. On voit bien qu′il faut que vous n′ayez rien à faire», ajoutait-il en se frottant les mains. Sans doute parlait-il ainsi par mécontentement de ne pas être invité, et aussi à cause de la satisfaction qu′ont les hommes «occupés»-- fût-ce par le travail le plus sot -- de «ne pas avoir le temps» de faire ce que vous faites.   Presently, as summer came to an end, when one got out of the train at Douville, the sun dimmed by the prevailing mist had ceased to be anything more in a sky that was uniformly mauve than a lump of redness. To the great peace which descends at nightfall over these tufted salt-marshes, and had tempted a number of Parisians, painters mostly, to spend their holidays at Douville, was added a moisture which made them seek shelter early in their little bungalows. In several of these the lamp was already lighted. Only a few cows remained out of doors gazing at the sea and lowing, while others, more interested in humanity, turned their attention towards our carriages. A single painter who had set up his easel where the ground rose slightly was striving to render that great calm, that hushed luminosity. Perhaps the cattle were going to serve him unconsciously and kindly as models, for their contemplative air and their solitary presence when the human beings had withdrawn, contributed in their own way to enhance the strong impression of repose that evening conveys. And, a few weeks later, the transposition was no less agreeable when, as autumn advanced, the days became really short, and we were obliged to make our journey in the dark. If I had been out anywhere in the afternoon, I had to go back to change my clothes, at the latest, by five o′clock, when at this season the round, red sun had already sunk half way down the slanting sheet of glass, which formerly I had detested, and, like a Greek fire, was inflaming the sea in the glass fronts of all my bookcases. Some wizard′s gesture having revived, as I put on my dinner-jacket, the alert and frivolous self that was mine when I used to go with Saint-Loup to dine at Rivebelle and on the evening when I looked forward to taking Mme. de Stermaria to dine on the island in the Bois, I began unconsciously to hum the same tune that I had hummed then; and it was only when I realised this that by the song I recognised the resurrected singer, who indeed knew no other tune. The first time that I sang it, I was beginning to be in love with Albertine, but I imagined that I would never get to know her. Later on, in Paris, it was when I had ceased to be in love with her and some days after I had enjoyed her for the first time. Now it was when I was in love with her again and on the point of going out to dinner with her, to the great regret of the manager who supposed that I would end by staying at la Raspelière altogether and deserting his hotel, and assured me that he had heard that fever was prevalent in that neighbourhood, due to the marshes of the Bac and their ‘stagnous′ water. I was delighted by the multiplicity in which I saw my life thus spread over three planes; and besides, when one becomes for an instant one′s former self, that is to say different from what one has been for some time past, one′s sensibility, being no longer dulled by habit, receives the slightest shocks of those vivid impressions which make everything that has preceded them fade into insignificance, and to which, because of their intensity, we attach ourselves with the momentary enthusiasm of a drunken man. It was already night when we got into the omnibus or carriage which was to take us to the station where we would find the little train. And in the hall the chief magistrate was saying to us: “Ah! You are going to la Raspelière! Sapristi, she has a nerve, your Mme. Verdurin, to make you travel an hour by train in the dark, simply to dine with her. And then to start off again at ten o′clock at night, with a wind blowing like the very devil. It is easy to see that you have nothing else to do,” he added, rubbing his hands together. No doubt he spoke thus from annoyance at not having been invited, and also from the satisfaction that people feel who are ‘busy′— though it be with the most idiotic occupation — at ‘not having time′ to do what you are doing.
Certes il est légitime que l′homme qui rédige des rapports, aligne des chiffres, répond à des lettres d′affaires, suit les cours de la bourse, éprouve, quand il vous dit en ricanant: «C′est bon pour vous qui n′avez rien à faire», un agréable sentiment de sa supériorité. Mais celle-ci s′affirmerait tout aussi dédaigneuse, davantage même (car dîner en ville, l′homme occupé le fait aussi), si votre divertissement était d′écrire Hamlet ou seulement de le lire. En quoi les hommes occupés manquent de réflexion. Car la culture désintéressée, qui leur paraît comique passe-temps d′oisifs quand ils la surprennent au moment qu′on la pratique, ils devraient songer que c′est la même qui, dans leur propre métier, met hors de pair des hommes qui ne sont peut-être pas meilleurs magistrats ou administrateurs qu′eux, mais devant l′avancement rapide desquels ils s′inclinent en disant: «Il paraît que c′est un grand lettré, un individu tout à fait distingué.»   Certainly it is only right that the man who draws up reports, adds up figures, answers business letters, follows the movements of the stock exchange, should feel when he says to you with a sneer: “It′s all very well for you; you have nothing better to do,” an agreeable sense of his own superiority. But this would be no less contemptuous, would be even more so (for dining out is a thing that the busy man does also) were your recreation writing Hamlet or merely reading it. Wherein busy men shew a want of reflexion. For the disinterested culture which seems to them a comic pastime of idle people at the moment when they find them engaged in it is, they ought to remember, the same that in their own profession brings to the fore men who may not be better magistrates or administrators than themselves but before whose rapid advancement they bow their heads, saying: “It appears he′s a great reader, a most distinguished individual.”
Mais surtout le premier président ne se rendait pas compte que ce qui me plaisait dans ces dîners à la Raspelière, c′est que, comme il le disait avec raison, quoique par critique, ils «représentaient un vrai voyage», un voyage dont le charme me paraissait d′autant plus vif qu′il n′était pas son but à lui-même, qu′on n′y cherchait nullement le plaisir, celui-ci étant affecté à la réunion vers laquelle on se rendait, et qui ne laissait pas d′être fort modifié par toute l′atmosphère qui l′entourait. Il faisait déjà nuit maintenant quand j′échangeais la chaleur de l′hôtel -- de l′hôtel devenu mon foyer -- pour le wagon où nous montions avec Albertine et où le reflet de la lanterne sur la vitre apprenait, à certains arrêts du petit train poussif, qu′on était arrivé à une gare. Pour ne pas risquer que Cottard ne nous aperçût pas, et n′ayant pas entendu crier la station, j′ouvrais la portière, mais ce qui se précipitait dans le wagon, ce n′était pas les fidèles, mais le vent, la pluie, le froid. Dans l′obscurité je distinguais les champs, j′entendais la mer, nous étions en rase campagne. Albertine, avant que nous rejoignions le petit noyau, se regardait dans un petit miroir extrait d′un nécessaire en or qu′elle emportait avec elle. En effet, les premières fois, Mme Verdurin l′ayant fait monter dans son cabinet de toilette pour qu′elle s′arrangeât avant le dîner, j′avais, au sein du calme profond où je vivais depuis quelque temps, éprouvé un petit mouvement d′inquiétude et de jalousie à être obligé de laisser Albertine au pied de l′escalier, et je m′étais senti si anxieux pendant que j′étais seul au salon, au milieu du petit clan, et me demandais ce que mon amie faisait en haut, que j′avais le lendemain, par dépêche, après avoir demandé des indications à M. de Charlus sur ce qui se faisait de plus élégant, commandé chez Cartier un nécessaire qui était la joie d′Albertine et aussi la mienne. Il était pour moi un gage de calme et aussi de la sollicitude de mon amie. Car elle avait certainement deviné que je n′aimais pas qu′elle restât sans moi chez Mme Verdurin et s′arrangeait à faire en wagon toute la toilette préalable au dîner. But above all the chief magistrate did not take into account that what pleased me about these dinners at la Raspelière was that, as he himself said quite rightly, though as a criticism, they ‘meant a regular journey,′ a journey whose charm appeared to me all the more thrilling in that it was not an object in itself, and no one made any attempt to find pleasure in it — that being reserved for the party for which we were bound, and greatly modified by all the atmosphere that surrounded it. It was already night now when I exchanged the warmth of the hotel — the hotel that had become my home — for the railway carriage into which I climbed with Albertine, in which a glimmer of lamplight on the window shewed, at certain halts of the panting little train, that we had arrived at a station. So that there should be no risk of Cottard′s missing us, and not having heard the name of the station, I opened the door, but what burst headlong into the carriage was not any of the faithful, but the wind, the rain, the cold. In the darkness I could make out fields, I could hear the sea, we were in the open country. Albertine, before we were engulfed in the little nucleus, examined herself in a little mirror, extracted from a gold bag which she carried about with her. The fact was that on our first visit, Mme. Verdurin having taken her upstairs to her dressing-room so that she might make herself tidy before dinner, I had felt, amid the profound calm in which I had been living for some time, a slight stir of uneasiness and jealousy at being obliged to part from Albertine at the foot of the stair, and had become so anxious while I was by myself in the drawing-room, among the little clan, and asking myself what my mistress could be doing, that I had sent a telegram the next day, after finding out from M. de Charlus what the correct thing was at the moment, to order from Cartier′s a bag which was the joy of Albertine′s life and also of mine. It was for me a guarantee of peace of mind, and also of my mistress′s solicitude. For she had evidently seen that I did not like her to be parted from me at Mme. Verdurin′s and arranged to make in the train all the toilet that was necessary before dinner.
Au nombre des habitués de Mme Verdurin, et le plus fidèle de tous, comptait maintenant, depuis plusieurs mois, M. de Charlus. Régulièrement, trois fois par semaine, les voyageurs qui stationnaient dans les salles d′attente ou sur le quai de Doncières-Ouest voyaient passer ce gros homme aux cheveux gris, aux moustaches noires, les lèvres rougies d′un fard qui se remarque moins à la fin de la saison que l′été, où le grand jour le rendait plus cru et la chaleur à demi liquide. Tout en se dirigeant vers le petit chemin de fer, il ne pouvait s′empêcher (seulement par habitude de connaisseur, puisque maintenant il avait un sentiment qui le rendait chaste ou du moins, la plupart du temps, fidèle) de jeter sur les hommes de peine, les militaires, les jeunes gens en costume de tennis, un regard furtif, à la fois inquisitorial et timoré, après lequel il baissait aussitôt ses paupières sur ses yeux presque clos avec l′onction d′un ecclésiastique en train de dire son chapelet, avec la réserve d′une épouse vouée à son unique amour ou d′une jeune fille bien élevée. Les fidèles étaient d′autant plus persuadés qu′il ne les avait pas vus, qu′il montait dans un compartiment autre que le leur (comme faisait souvent aussi la princesse Sherbatoff), en homme qui ne sait point si l′on sera content ou non d′être vu avec lui et qui vous laisse la faculté de venir le trouver si vous en avez l′envie. Celle-ci n′avait pas été éprouvée, les toutes premières fois, par le docteur, qui avait voulu que nous le laissions seul dans son compartiment. Portant beau son caractère hésitant depuis qu′il avait une grande situation médicale, c′est en souriant, en se renversant en arrière, en regardant Ski par-dessus le lorgnon, qu′il dit par malice ou pour surprendre de biais l′opinion des camarades: «Vous comprenez, si j′étais seul, garçon . . ., mais, à cause de ma femme, je me demande si je peux le laisser voyager avec nous après ce que vous m′avez dit, chuchota le docteur. -- Qu′est-ce que tu dis? demanda Mme Cottard. -- Rien, cela ne te regarde pas, ce n′est pas pour les femmes», répondit en clignant de l′oeil le docteur, avec une majestueuse satisfaction de lui-même qui tenait le milieu entre l′air pince-sans-rire qu′il gardait devant ses élèves et ses malades et l′inquiétude qui accompagnait jadis ses traits d′esprit chez les Verdurin, et il continua à parler tout bas. Mme Cottard ne distingua que les mots «de la confrérie» et «tapette», et comme dans le langage du docteur le premier désignait la race juive et le second les langues bien pendues, Mme Cottard conclut que M. de Charlus devait être un Israélite bavard. Elle ne comprit pas qu′on tînt le baron à l′écart à cause de cela, trouva de son devoir de doyenne du clan d′exiger qu′on ne le laissât pas seul et nous nous acheminâmes tous vers le compartiment de M. de Charlus, guidés par Cottard, toujours perplexe. Du coin où il lisait un volume de Balzac, M. de Charlus perçut cette hésitation; il n′avait pourtant pas levé les yeux. Mais comme les sourds-muets reconnaissent à un courant d′air, insensible pour les autres, que quelqu′un arrive derrière eux, il avait, pour être averti de la froideur qu′on avait à son égard, une véritable hyperacuité sensorielle. Celle-ci, comme elle a coutume de faire dans tous les domaines, avait engendré chez M. de Charlus des souffrances imaginaires. Comme ces névropathes qui, sentant une légère fraîcheur, induisent qu′il doit y avoir une fenêtre ouverte à l′étage au-dessus, entrent en fureur et commencent à éternuer, M. de Charlus, si une personne avait devant lui montré un air préoccupé, concluait qu′on avait répété à cette personne un propos qu′il avait tenu sur elle. Mais il n′y avait même pas besoin qu′on eût l′air distrait, ou l′air sombre, ou l′air rieur, il les inventait. En revanche la cordialité lui masquait aisément les médisances qu′il ne connaissait pas. Ayant deviné la première fois l′hésitation de Cottard, si, au grand étonnement des fidèles qui ne se croyaient pas aperçus encore par le liseur aux yeux baissés, il leur tendit la main quand ils furent à distance convenable, il se contenta d′une inclinaison de tout le corps, aussitôt vivement redressé, pour Cottard, sans prendre avec sa main gantée de Suède la main que le docteur lui avait tendue.   Included in the number of Mme. Verdurin′s regular frequenters, and reckoned the most faithful of them all, had been, for some months now, M. de Charlus. Regularly, thrice weekly, the passengers who were sitting in the waiting-rooms or standing upon the platform at Doncières-Ouest used to see that stout gentleman go past with his grey hair, his black moustaches, his lips reddened with a salve less noticeable at the end of the season than in summer when the daylight made it more crude and the heat used to melt it. As he made his way towards the little train, he could not refrain (simply from force of habit, as a connoisseur, since he now had a sentiment which kept him chaste, or at least, for most of the time, faithful) from casting at the labourers, soldiers, young men in tennis flannels, a furtive glance at once inquisitorial and timorous, after which he immediately let his eyelids droop over his half-shut eyes with the unction of an ecclesiastic engaged in telling his beads, with the modesty of a bride vowed to the one love of her life or of a well-brought-up girl. The faithful were all the more convinced that he had not seen them, since he got into a different compartment from theirs (as, often enough, did Princess Sherbatoff also), like a man who does not know whether people will be pleased or not to be seen with him and leaves them the option of coming and joining him if they choose. This option had not been taken, at first, by the Doctor, who had asked us to leave him by himself in his compartment. Making a virtue of his natural hesitation now that he occupied a great position in the medical world, it was with a smile, throwing back his head, looking at Ski over his glasses, that he said, either from malice or in the hope of eliciting the opinion of the ‘comrades′: “You can understand that if I was by myself, a bachelor, but for my wife′s sake I ask myself whether I ought to allow him to travel with us after what you have told me,” the Doctor whispered. “What′s that you′re saying?” asked Mme. Cottard. “Nothing, it doesn′t concern you, it′s not meant for ladies to hear,” the Doctor replied with a wink, and with a majestic self-satisfaction which held the balance between the dryly malicious air he adopted before his pupils and patients and the uneasiness that used in the past to accompany his shafts of wit at the Verdurins′, and went on talking in a lowered tone. Mme. Cottard could make out only the words ‘one of the brotherhood′ and ‘tapette,′ and as in the Doctor′s vocabulary the former expression denoted the Jewish race and the latter a wagging tongue, Mme. Cottard concluded that M. de Charlus must be a garrulous Israelite. She could not understand why people should keep aloof from the Baron for that reason, felt it her duty as the senior lady of the clan to insist that he should not be left alone, and so we proceeded in a body to M. de Charlus′s compartment, led by Cottard who was still perplexed. From the corner in which he was reading a volume of Balzac, M. de Charlus observed this hesitation; and yet he had not raised his eyes. But just as deaf-mutes detect, from a movement of the air imperceptible to other people, that some one is standing behind them, so he had, to warn him of other people′s coldness towards him, a positive hyperaesthesia. This had, as it habitually does in every sphere, developed in M. de Charlus imaginary sufferings. Like those neuropaths who, feeling a slight lowering of the temperature, induce from this that there must be a window open on the floor above, become violently excited and start sneezing, M. de Charlus, if a person appeared preoccupied in his presence, concluded that somebody had repeated to that person a remark that he had made about him. But there was no need even for the other person to have a distracted, or a sombre, or a smiling air, he would invent them. On the other hand, cordiality completely concealed from him the slanders of which he had not heard.
«Nous avons tenu absolument à faire route avec vous, Monsieur, et à ne pas vous laisser comme cela seul dans votre petit coin. C′est un grand plaisir pour nous, dit avec bonté Mme Cottard au baron. -- Je suis très honoré, récita le baron en s′inclinant d′un air froid. -- J′ai été très heureuse d′apprendre que vous aviez définitivement choisi ce pays pour y fixer vos tabern . . . » Elle allait dire tabernacles, mais ce mot lui sembla hébraî°µe et désobligeant pour un juif, qui pourrait y voir une allusion. Aussi se reprit-elle pour choisir une autre des expressions qui lui étaient familières, c′est-à-dire une expression solennelle: «pour y fixer, je voulais dire «vos pénates» (il est vrai que ces divinités n′appartiennent pas à la religion chrétienne non plus, mais à une qui est morte depuis si longtemps qu′elle n′a plus d′adeptes qu′on puisse craindre de froisser). «Nous, malheureusement, avec la rentrée des classes, le service d′hôpital du docteur, nous ne pouvons jamais bien longtemps élire domicile dans un même endroit.» Et lui montrant un carton: «oyez d′ailleurs comme nous autres femmes nous sommes moins heureuses que le sexe fort; pour aller aussi près que chez nos amis Verdurin nous sommes obligées d′emporter avec nous toute une gamme d′impedimenta.» Moi je regardais pendant ce temps-là le volume de Balzac du baron. Ce n′était pas un exemplaire broché, acheté au hasard, comme le volume de Bergotte qu′il m′avait prêté la première année. C′était un livre de sa bibliothèque et, comme tel, portant la devise: «Je suis au Baron de Charlus», à laquelle faisaient place parfois, pour montrer le goût studieux des Guermantes: «In proeliis non semper», et une autre encore: «Non sine labore». Mais nous les verrons bientôt remplacées par d′autres, pour tâcher de plaire à Morel. Mme Cottard, au bout d′un instant, prit un sujet qu′elle trouvait plus personnel au baron. «Je ne sais pas si vous êtes de mon avis, Monsieur, lui dit-elle au bout d′un instant, mais je suis très large d′idées et, selon moi, pourvu qu′on les pratique sincèrement, toutes les religions sont bonnes. Je ne suis pas comme les gens que la vue d′un . . . protestant rend hydrophobes. -- On m′a appris que la mienne était la vraie», répondit M. de Charlus. «C′est un fanatique, pensa Mme Cottard; Swann, sauf sur la fin, était plus tolérant, il est vrai qu′il était converti.» Or, tout au contraire, le baron était non seulement chrétien, comme on le sait, mais pieux à la façon du moyen âge. Pour lui, comme pour les sculpteurs du XIIIe siècle, l′Église chrétienne était, au sens vivant du mot, peuplée d′une foule d′êtres, crus parfaitement réels: prophètes, apôtres, anges, saints personnages de toute sorte, entourant le Verbe incarné, sa mère et son époux, le Père Éternel, tous les martyrs et docteurs; tel que leur peuple en plein relief, chacun d′eux se presse au porche ou remplit le vaisseau des cathédrales. Entre eux tous M. de Charlus avait choisi comme patrons intercesseurs les archanges Michel, Gabriel et Raphaël, avec lesquels il avait de fréquents entretiens pour qu′ils communiquassent ses prières au Père Éternel, devant le trône de qui ils se tiennent. Aussi l′erreur de Mme Cottard m′amusa-t-elle beaucoup.   Having begun by detecting Cottard′s hesitation, if, greatly to the surprise of the faithful who did not suppose that their presence had yet been observed by the reader′s lowered gaze, he held out his hand to them when they were at a convenient distance, he contented himself with a forward inclination of his whole person which he quickly drew back for Cottard, without taking in his own gloved hand the hand which the Doctor had held out to him. “We felt we simply must come and keep you company, Sir, and not leave you alone like that in your little corner. It is a great pleasure to us,” Mme. Cottard began in a friendly tone to the Baron. “I am greatly honoured,” the Baron intoned, bowing coldly. “I was so pleased to hear that you have definitely chosen this neighbourhood to set up your taber. . . . ” She was going to say ‘tabernacle′ but it occurred to her that the word was Hebraic and discourteous to a Jew who might see an allusion in it. And so she paused for a moment to choose another of the expressions that were familiar to her, that is to say a consecrated expression: “to set up, I should say, your penates.” (It is true that these deities do not appertain to the Christian religion either, but to one which has been dead for so long that it no longer claims any devotees whose feelings one need be afraid of hurting.) “We, unfortunately, what with term beginning, and the Doctor′s hospital duties, can never choose our domicile for very long in one place.” And glancing at a cardboard box: “You see too how we poor women are less fortunate than the sterner sex, to go only such a short distance as to our friends the Verdurins′, we are obliged to take a whole heap of impedimenta.” I meanwhile was examining the Baron′s volume of Balzac. It was not a paper-covered copy, picked up on a bookstall, like the volume of Bergotte which he had lent me at our first meeting. It was a book from his own library, and as such bore the device: “I belong to the Baron de Charlus,” for which was substituted at times, to shew the studious tastes of the Guermantes: “In proeliis non semper,” or yet another motto: “Non sine labore.” But we shall see these presently replaced by others, in an attempt to please Morel. Mme. Cottard, a little later, hit upon a subject which she felt to be of more personal interest to the Baron. “I don′t know whether you agree with me, Sir,” she said to him presently, “but I hold very broad views, and, to my mind, there is a great deal of good in all religions. I am not one of the people who get hydrophobia at the sight of a . . . Protestant.” “I was taught that mine is the true religion,” replied M. de Charlus. “He′s a fanatic,” thought Mme. Cottard, “Swann, until recently, was more tolerant; it is true that he was a converted one.” Now, so far from this being the case, the Baron was not only a Christian, as we know, but pious with a mediaeval fervour. To him as to the sculptors of the middle ages, the Christian church was, in the living sense of the word, peopled with a swarm of beings, whom he believed to be entirely real, Prophets, Apostles, Anpels, holy personages of every sort, surrounding the Incarnate Word, His Mother and Her Spouse, the Eternal Father, all the Martyrs and Doctors of the Church, as they may be seen carved in high relief, thronging the porches or lining the naves of the cathedrals. Out of all these M. de Charlus had chosen as his patrons and intercessors the Archangels Michael, Gabriel and Raphael, to whom he made frequent appeals that they would convey his prayers to the Eternal Father, about Whose Throne they stand. And so Mme. Cottard′s mistake amused me greatly.
Pour quitter le terrain religieux, disons que le docteur, venu à Paris avec le maigre bagage de conseils d′une mère paysanne, puis absorbé par les études, presque purement matérielles, auxquelles ceux qui veulent pousser loin leur carrière médicale sont obligés de se consacrer pendant un grand nombre d′années, ne s′était jamais cultivé; il avait acquis plus d′autorité, mais non pas d′expérience; il prit à la lettre ce mot d′«honoré», en fut à la fois satisfait parce qu′il était vaniteux, et affligé parce qu′il était bon garçon. «Ce pauvre de Charlus, dit-il le soir à sa femme, il m′a fait de la peine quand il m′a dit qu′il était honoré de voyager avec nous. On sent, le pauvre diable, qu′il n′a pas de relations, qu′il s′humilie.»   To leave the religious sphere, let us mention that the Doctor, who had come to Paris meagrely equipped with the counsels of a peasant mother, and had then been absorbed in the almost purely materialistic studies to which those who seek to advance in a medical career are obliged to devote themselves for a great many years, had never become cultured, had acquired increasing authority but never any experience, took the word ‘honoured′ in its literal meaning and was at once flattered by it because he was vain and distressed because he had a kind heart. “That poor de Charlus,” he said to his wife that evening, “made me feel sorry for him when he said he was honoured by travelling with us. One feels, poor devil, that he knows nobody, that he has to humble himself.”
Mais bientôt, sans avoir besoin d′être guidés par la charitable Mme Cottard, les fidèles avaient réussi à dominer la gêne qu′ils avaient tous plus ou moins éprouvée, au début, à se trouver à côté de M. de Charlus. Sans doute en sa présence ils gardaient sans cesse à l′esprit le souvenir des révélations de Ski et l′idée de l′étrangeté sexuelle qui était incluse en leur compagnon de voyage. Mais cette étrangeté même exerçait sur eux une espèce d′attrait. Elle donnait pour eux à la conversation du baron, d′ailleurs remarquable, mais en des parties qu′ils ne pouvaient guère apprécier, une saveur qui faisait paraître à côté la conversation des plus intéressants, de Brichot lui-même, comme un peu fade. Dès le début d′ailleurs, on s′était plu à reconnaître qu′il était intelligent. «Le génie peut être voisin de la folie», énonçait le docteur, et si la princesse, avide de s′instruire, insistait, il n′en disait pas plus, cet axiome étant tout ce qu′il savait sur le génie et ne lui paraissant pas, d′ailleurs, aussi démontré que tout ce qui a trait à la fièvre typho et à l′arthritisme. Et comme il était devenu superbe et resté mal élevé: «Pas de questions, princesse, ne m′interrogez pas, je suis au bord de la mer pour me reposer. D′ailleurs vous ne me comprendriez pas, vous ne savez pas la médecine.» Et la princesse se taisait en s′excusant, trouvant Cottard un homme charmant, et comprenant que les célébrités ne sont pas toujours abordables. A cette première période on avait donc fini par trouver M. de Charlus intelligent malgré son vice (ou ce que l′on nomme généralement ainsi). Maintenant, c′était, sans s′en rendre compte, à cause de ce vice qu′on le trouvait plus intelligent que les autres. Les maximes les plus simples que, adroitement provoqué par l′universitaire ou le sculpteur, M. de Charlus énonçait sur l′amour, la jalousie, la beauté, à cause de l′expérience singulière, secrète, raffinée et monstrueuse où il les avait puisées, prenaient pour les fidèles ce charme du dépaysagement qu′une psychologie, analogue à celle que nous a offerte de tout temps notre littérature dramatique, revêt dans une pièce russe ou japonaise, jouée par des artistes de là-bas. On risquait encore, quand il n′entendait pas, une mauvaise plaisanterie: «Oh! chuchotait le sculpteur, en voyant un jeune employé aux longs cils de bayadère et que M. de Charlus n′avait pu s′empêcher de dévisager, si le baron se met à faire de l′oeil au contrôleur, nous ne sommes pas prêts d′arriver, le train va aller à reculons. Regardez-moi la manière dont il le regarde, ce n′est plus un petit chemin de fer où nous sommes, c′est un funiculeur.» Mais au fond, si M. de Charlus ne venait pas, on était presque déçu de voyager seulement entre gens comme tout le monde et de n′avoir pas auprès de soi ce personnage peinturluré, pansu et clos, semblable à quelque boîte de provenance exotique et suspecte qui laisse échapper la curieuse odeur de fruits auxquels l′idée de goûter seulement vous soulèverait le coeur.   But presently, without any need to be guided by the charitable Mme. Cottard, the faithful had succeeded in overcoming the qualms which they had all more or less felt at first, on finding themselves in the company of M. de Charlus. No doubt in his presence they were incessantly reminded of Ski′s revelations, and conscious of the sexual abnormality embodied in their travelling companion. But this abnormality itself had a sort of attraction for them. It gave for them to the Baron′s conversation, remarkable in itself but in ways which they could scarcely appreciate, a savour which made the most interesting conversation, that of Brichot himself, appear slightly insipid in comparison. From the very outset, moreover, they had been pleased to admit that he was intelligent. “The genius that is perhaps akin to madness,” the Doctor declaimed, and albeit the Princess, athirst for knowledge, insisted, said not another word, this axiom being all that he knew about genius and seeming to him less supported by proof than our knowledge of typhoid fever and arthritis. And as he had become proud and remained ill-bred: “No questions, Princess, do not interrogate me, I am at the seaside for a rest. Besides, you would not understand, you know nothing about medicine.” And the Princess held her peace with apologies, deciding that Cottard was a charming man and realising that celebrities were not always approachable. In this initial period, then, they had ended by finding M. de Charlus an agreeable person notwithstanding his vice (or what is generally so named). Now it was, quite unconsciously, because of that vice that they found him more intelligent than the rest. The most simple maxims to which, adroitly provoked by the sculptor or the don, M. de Charlus gave utterance concerning love, jealousy, beauty, in view of the experience, strange, secret, refined and monstrous, upon which he founded them, assumed for the faithful that charm of unfamiliarity with which a psychology analogous to that which our own dramatic literature has always offered us bedecks itself in a Russian or Japanese play performed by native actors. One might still venture, when he was not listening, upon a malicious witticism at his expense. “Oh!” whispered the sculptor, seeing a young railwayman with the sweeping eyelashes of a dancing girl at whom M. de Charlus could not help staring, “if the Baron begins making eyes at the conductor, we shall never get there, the train will start going backwards. Just look at the way he′s staring at him, this is not a steam-tram we′re on, it′s a funicular.” But when all was said, if M. de Charlus did not appear, it was almost a disappointment to be travelling only with people who were just like everybody else, and not to have by one′s side this painted, paunchy, tightly-buttoned personage, reminding one of a box of exotic and dubious origin from which escapes the curious odour of fruits the mere thought of tasting which stirs the heart.
A ce point de vue, les fidèles de sexe masculin avaient des satisfactions plus vives, dans la courte partie du trajet qu′on faisait entre Saint-Martin-du-Chêne, où montait M. de Charlus, et Doncières, station où on était rejoint par Morel. Car tant que le violoniste n′était pas là (et si les dames et Albertine, faisant bande à part pour ne pas gêner la conversation, se tenaient éloignées), M. de Charlus ne se gênait pas pour ne pas avoir l′air de fuir certains sujets et parler de «ce qu′on est convenu d′appeler les mauvaises moeurs». Albertine ne pouvait le gêner, car elle était toujours avec les dames, par grâce de jeune fille qui ne veut pas que sa présence restreigne la liberté de la conversation. Or je supportais aisément de ne pas l′avoir à côté de moi, à condition toutefois qu′elle restât dans le même wagon. Car moi qui n′éprouvais plus de jalousie ni guère d′amour pour elle, ne pensais pas à ce qu′elle faisait les jours où je ne la voyais pas, en revanche, quand j′étais là, une simple cloison, qui eût pu à la rigueur dissimuler une trahison, m′était insupportable, et si elle allait avec les dames dans le compartiment voisin, au bout d′un instant, ne pouvant plus tenir en place, au risque de froisser celui qui parlait, Brichot, Cottard ou Charlus, et à qui je ne pouvais expliquer la raison de ma fuite, je me levais, les plantais là et, pour voir s′il ne s′y faisait rien d′anormal, passais à côté. Et jusqu′à Doncières, M. de Charlus, ne craignant pas de choquer, parlait parfois fort crûment de moeurs qu′il déclarait ne trouver pour son compte ni bonnes ni mauvaises. Il le faisait par habileté, pour montrer sa largeur d′esprit, persuadé qu′il était que les siennes n′éveillaient guère de soupçon dans l′esprit des fidèles. Il pensait bien qu′il y avait dans l′univers quelques personnes qui étaient, selon une expression qui lui devint plus tard familière, «fixées sur son compte». Mais il se figurait que ces personnes n′étaient pas plus de trois ou quatre et qu′il n′y en avait aucune sur la côte normande. Cette illusion peut étonner de la part de quelqu′un d′aussi fin, d′au ssi inquiet. Même pour ceux qu′il croyait plus ou moins renseignés, il se flattait que ce ne fût que dans le vague, et avait la prétention, selon qu′il leur dirait telle ou telle chose, de mettre telle personne en dehors des suppositions d′un interlocuteur qui, par politesse, faisait semblant d′accepter ses dires. Même se doutant de ce que je pouvais savoir ou supposer sur lui, il se figurait que cette opinion, qu′il croyait beaucoup plus ancienne de ma part qu′elle ne l′était en réalité, était toute générale, et qu′il lui suffisait de nier tel ou tel détail pour être cru, alors qu′au contraire, si la connaissance de l′ensemble précède toujours celle des détails, elle facilite infiniment l′investigation de ceux-ci et, ayant détruit le pouvoir d′invisibilité, ne permet plus au dissimulateur de cacher ce qu′il lui plaît. Certes, quand M. de Charlus, invité à un dîner par tel fidèle ou tel ami des fidèles, prenait les détours les plus compliqués pour amener, au milieu des noms de dix personnes qu′il citait, le nom de Morel, il ne se doutait guère qu′aux raisons toujours différentes qu′il donnait du plaisir ou de la commodité qu′il pourrait trouver ce soir-là à être invité avec lui, ses hôtes, en ayant l′air de le croire parfaitement, en substituaient une seule, toujours la même, et qu′il croyait ignorée d′eux, à savoir qu′il l′aimait. De même Mme Verdurin, semblant toujours avoir l′air d′admettre entièrement les motifs mi-artistiques, mi-humanitaires, que M. de Charlus lui donnait de l′intérêt qu′il portait à Morel, ne cessait de remercier avec émotion le baron des bontés touchantes, disait-elle, qu′il avait pour le violoniste. Or quel étonnement aurait eu M. de Charlus si, un jour que Morel et lui étaient en retard et n′étaient pas venus par le chemin de fer, il avait entendu la Patronne dire: «Nous n′attendons plus que ces demoiselles!» Le baron eût été d′autant plus stupéfait que, ne bougeant guère de la Raspelière, il y faisait figure de chapelain, d′abbé du répertoire, et quelquefois (quand Morel avait quarante-huit heures de permission) y couchait deux nuits de suite. Mme Verdurin leur donnait alors deux chambres communicantes et, pour les mettre à l′aise, disait: «Si vous avez envie de faire de la musique, ne vous gênez pas, les murs sont comme ceux d′une forteresse, vous n′avez personne à votre étage, et mon mari a un sommeil de plomb.» Ces jours-là, M. de Charlus relayait la princesse en allant chercher les nouveaux à la gare, excusait Mme Verdurin de ne pas être venue à cause d′un état de santé qu′il décrivait si bien que les invités entraient avec une figure de circonstance et poussaient un cri d′étonnement en trouvant la Patronne alerte et debout, en robe à demi décolletée. From this point of view, the faithful of the masculine sex enjoyed a keener satisfaction in the short stage of the journey between Saint-Martin du Chêne, where M. de Charlus got in, and Doncières, the station at which Morel joined the party. For so long as the violinist was not there (and provided the ladies and Albertine, keeping to themselves so as not to disturb our conversation, were out of hearing), M. de Charlus made no attempt to appear to be avoiding certain subjects and did not hesitate to speak of ‘what it is customary to call degenerate morals.′ Albertine could not hamper him, for she was always with the ladies, like a well-bred girl who does not wish her presence to restrict the freedom of grown-up conversation. And I was quite resigned to not having her by my side, on condition however that she remained in the same carriage. For I, who no longer felt any jealousy and scarcely any love for her, never thought of what she might be doing on the days when I did not see her; on the other hand, when I was there, a mere partition which might at a pinch be concealing a betrayal was intolerable to me, and if she retired with the ladies to the next compartment, a moment later, unable to remain in my seat any longer, at the risk of offending whoever might be talking, Brichot, Cottard or Charlus, to whom I could not explain the reason for my flight, I would rise, leave them without ceremony, and, to make certain that nothing abnormal was going on, walk down the corridor. And, till we came to Doncières, M. de Charlus, without any fear of shocking his audience, would speak sometimes in the plainest terms of morals which, he declared, for his own part he did not consider either good or evil. He did this from cunning, to shew his breadth of mind, convinced as he was that his own morals aroused no suspicion in the minds of the faithful. He was well aware that there did exist in the world several persons who were, to use an expression which became habitual with him later on, ‘in the know′ about himself. But he imagined that these persons were not more than three or four, and that none of them was at that moment upon the coast of Normandy. This illusion may appear surprising in so shrewd, so suspicious a man. Even in the case of those whom he believed to be more or less well informed, he flattered himself that their information was all quite vague, and hoped, by telling them this or that fact about anyone, to clear the person in question from all suspicion on the part of a listener who out of politeness pretended to accept his statements. Indeed, being uncertain as to what I might know or guess about him, he supposed that my opinion, which he imagined to be of far longer standing than it actually was, was quite general, and that it was sufficient for him to deny this or that detail to be believed, whereas on the contrary, if our knowledge of the whole always precedes our knowledge of details, it makes our investigation of the latter infinitely easier and having destroyed his cloak of invisibility no longer allows the pretender to conceal what he wishes to keep secret. Certainly when M. de Charlus, invited to a dinner-party by one of the faithful or of their friends, took the most complicated precautions to introduce among the names of ten people whom he mentioned that of Morel, he never imagined that for the reasons, always different, which he gave for the pleasure or convenience which he would find that evening in being invited to meet him, his hosts, while appearing to believe him implicitly, substituted a single reason, always the same, of which he supposed them to be ignorant, namely that he was in love with him. Similarly, Mme. Verdurin, seeming always entirely to admit the motives, half artistic, half charitable, with which M. de Charlus accounted to her for the interest that he took in Morel, never ceased to thank the Baron with emotion for his kindness — his touching kindness, she called it — to the violinist. And how astonished M. de Charlus would have been, if, one day when Morel and he were delayed and had not come by the train, he had heard the Mistress say: “We′re all here now except the young ladies.” The Baron would have been all the more stupefied in that, going hardly anywhere save to la Raspelière, he played the part there of a family chaplain, like the abbé in a stock company, and would sometimes (when Morel had 48 hours′ leave) sleep there for two nights in succession. Mme. Verdurin would then give them communicating rooms and, to put them at their ease, would say: “If you want to have a little music, don′t worry about us, the walls are as thick as a fortress, you have nobody else on your floor, and my husband sleeps like lead.” On such days M. de Charlus would relieve the Princess of the duty of going to meet strangers at the station, apologise for Mme. Verdurin′s absence on the grounds of a state of health which he described so vividly that the guests entered the drawing-room with solemn faces, and uttered cries of astonishment on finding the Mistress up and doing and wearing what was almost a low dress.
Car M. de Charlus était momentanément devenu, pour Mme Verdurin, le fidèle des fidèles, une seconde princesse Sherbatoff. De sa situation mondaine elle était beaucoup moins sûre que de celle de la princesse, se figurant que, si celle-ci ne voulait voir que le petit noyau, c′était par mépris des autres et prédilection pour lui. Comme cette feinte était justement le propre des Verdurin, lesquels traitaient d′ennuyeux tous ceux qu′ils ne pouvaient fréquenter, il est incroyable que la Patronne pût croire la princesse une âme d′acier, détestant le chic. Mais elle n′en démordait pas et était persuadée que, pour la grande dame aussi, c′était sincèrement et par goût d′intellectualité qu′elle ne fréquentait pas les ennuyeux. Le nombre de ceux-ci diminuait, du reste, à l′égard des Verdurin. La vie de bains de mer ôtait à une présentation les conséquences pour l′avenir qu′on eût pu redouter à Paris. Des hommes brillants, venus à Balbec sans leur femme, ce qui facilitait tout, à la Raspelière faisaient des avances et d′ennuyeux devenaient exquis. Ce fut le cas pour le prince de Guermantes, que l′absence de la princesse n′aurait pourtant pas décidé à aller «en garçon» chez les Verdurin, si l′aimant du dreyfusisme n′eût été si puissant qu′il lui fit monter d′un seul trait les pentes qui mènent à la Raspelière, malheureusement un jour où la Patronne était sortie. Mme Verdurin, du reste, n′était pas certaine que lui et M. de Charlus fussent du même monde. Le baron avait bien dit que le duc de Guermantes était son frère, mais c′était peut-être le mensonge d′un aventurier. Si élégant se fût-il montré, si aimable, si «fidèle» envers les Verdurin, la Patronne hésitait presque à l′inviter avec le prince de Guermantes. Elle consulta Ski et Brichot: «Le baron et le prince de Guermantes, est-ce que ça marche? -- Mon Dieu, Madame, pour l′un des deux je crois pouvoir le dire. -- Mais l′un des deux, qu′est-ce que ça peut me faire? avait repris Mme Verdurin irritée. Je vous demande s′ils marchent ensemble? -- Ah! Madame, voilà des choses qui sont bien difficiles à savoir.» Mme Verdurin n′y mettait aucune malice. Elle était certaine des moeurs du baron, mais quand elle s′exprimait ainsi elle n′y pensait nullement, mais seulement à savoir si on pouvait inviter ensemble le prince et M. de Charlus, si cela corderait. Elle ne mettait aucune intention malveillante dans l′emploi de ces expressions toutes faites et que les «petits clans» artistiques favorisent. Pour se parer de M. de Guermantes, elle voulait l′emmener, l′après-midi qui suivrait le déjeuner, à une fête de charité et où des marins de la côte figureraient un appareillage. Mais n′ayant pas le temps de s′occuper de tout, elle délégua ses fonctions au fidèle des fidèles, au baron. «Vous comprenez, il ne faut pas qu′ils restent immobiles comme des moules, il faut qu′ils aillent, qu′ils viennent, qu′on voie le branle-bas, je ne sais pas le nom de tout ça. Mais vous, qui allez souvent au port de Balbec-Plage, vous pourriez bien faire faire une répétition sans vous fatiguer. Vous devez vous y entendre mieux que moi, M. de Charlus, à faire marcher des petits marins. Mais, après tout, nous nous donnons bien du mal pour M. de Guermantes. C′est peut-être un imbécile du Jockey. Oh! mon Dieu, je dis du mal du Jockey, et il me semble me rappeler que vous en êtes. Hé baron, vous ne me répondez pas, est-ce que vous en êtes? Vous ne voulez pas sortir avec nous? Tenez, voici un livre que j′ai reçu, je pense qu′il vous intéressera. C′est de Roujon. Le titre est joli: «Parmi les hommes   For M. de Charlus had for the moment become for Mme. Verdurin the faithfullest of the faithful, a second Princess Sherbatoff. Of his position in society she was not nearly so certain as of that of the Princess, imagining that if the latter cared to see no one outside the little nucleus it was out of contempt for other people and preference for it. As this pretence was precisely the Verdurins′ own, they treating as bores everyone to whose society they were not admitted, it is incredible that the Mistress can have believed the Princess to possess a heart of steel, detesting what was fashionable. But she stuck to her guns, and was convinced that in the case of the great lady also it was in all sincerity and from a love of things intellectual that she avoided the company of bores. The latter were, as it happened, diminishing in numbers from the Verdurins′ point of view. Life by the seaside robbed an introduction of the ulterior consequences which might be feared in Paris. Brilliant men who had come down to Balbec without their wives (which made everything much easier) made overtures to la Raspelière and, from being bores, became too charming. This was the case with the Prince de Guermantes, whom the absence of his Princess would not, however, have decided to go ‘as a bachelor′ to the Verdurins′, had not the lodestone of Dreyfusism been so powerful as to carry him in one stride up the steep ascent to la Raspelière, unfortunately upon a day when the Mistress was not at home. Mme. Verdurin as it happened was not certain that he and M. de Charlus moved in the same world. The Baron had indeed said that the Duc de Guermantes was his brother, but this was perhaps the untruthful boast of an adventurer. Man of the world as he had shewn himself to be, so friendly, so ‘faithful′ to the Verdurins, the Mistress still almost hesitated to invite him to meet the Prince de Guermantes. She consulted Ski and Brichot: “The Baron and the Prince de Guermantes, will they be all right together?” “Good gracious, Madame, as to one of the two I think I can safely say.” “What good is that to me?” Mme. Verdurin had retorted crossly. “I asked you whether they would mix well together.” “Ah! Madame, that is one of the things that it is hard to tell.” Mme. Verdurin had been impelled by no malice. She was certain of the Baron′s morals, but when she expressed herself in these terms had not been thinking about them for a moment, but had merely wished to know whether she could invite the Prince and M. de Charlus on the same evening, without their clashing. She had no malevolent intention when she employed these ready-made expressions which are popular in artistic ‘little clans.′ To make the most of M. de Guermantes, she proposed to take him in the afternoon, after her luncheon-party, to a charity entertainment at which sailors from the neighbourhood would give a representation of a ship setting sail. But, not having time to attend to everything, she delegated her duties to the faithfullest of the faithful, the Baron. “You understand, I don′t want them to hang about like mussels on a rock, they must keep moving, we must see them weighing anchor, or whatever it′s called. Now you are always going down to the harbour at Balbec-Plage, you can easily arrange a dress rehearsal without tiring yourself. You must know far more than I do, M. de Charlus, about getting hold of sailors. But after all, we′re giving ourselves a great deal of trouble for M. de Guermantes. Perhaps he′s only one of those idiots from the Jockey Club. Oh! Heavens, I′m running down the Jockey Club, and I seem to remember that you′re one of them. Eh, Baron, you don′t answer me, are you one of them? You don′t care to come out with us? Look, here is a book that has just come, I think you′ll find it interesting. It is by Roujon. The title is attractive: Life among men.”
Pour ma part, j′étais d′autant plus heureux que M. de Charlus fût assez souvent substitué à la princesse Sherbatoff, que j′étais très mal avec celle-ci, pour une raison à la fois insignifiante et profonde. Un jour que j′étais dans le petit train, comblant de mes prévenances, comme toujours, la princesse Sherbatoff, j′y vis monter Mme de Villeparisis. Elle était en effet venue passer quelques semaines chez la princesse de Luxembourg, mais, enchaîné à ce besoin quotidien de voir Albertine, je n′avais jamais répondu aux invitations multipliées de la marquise et de son hôtesse royale. J′eus du remords en voyant l′amie de ma grand′mère et, par pur devoir (sans quitter la princesse Sherbatoff) je causai assez longtemps avec elle. J′ignorais, du reste, absolument que Mme de Villeparisis savait très bien qui était ma voisine, mais ne voulait pas la connaître. A la station suivante, Mme de Villeparisis quitta le wagon, je me reprochai même de ne pas l′avoir aidée à descendre; j′allai me rasseoir à côté de la princesse. Mais on eût dit -- cataclysme fréquent chez les personnes dont la situation est peu solide et qui craignent qu′on n′ait entendu parler d′elles en mal, qu′on les méprise -- qu′un changement à vue s′était opéré. Plongée dans sa Revue des Deux-Mondes, Mme Sherbatoff répondit à peine du bout des lèvres à mes questions et finit par me dire que je lui donnais la migraine. Je ne comprenais rien à mon crime. Quand je dis au revoir à la princesse, le sourire habituel n′éclaira pas son visage, un salut sec abaissa son menton, elle ne me tendit même pas la main et ne m′a jamais reparlé depuis. Mais elle dut parler -- je ne sais pas pour dire quoi -- aux Verdurin, car dès que je demandais à ceux-ci si je ne ferais pas bien de faire une politesse à la princesse Sherbatoff, tous en choeur se précipitaient: «Non! Non! Non! Surtout pas! Elle n′aime pas les amabilités!» On ne le faisait pas pour me brouiller avec elle, mais elle avait réussi à faire croire qu′elle était insensible aux prévenances, une âme inaccessible aux vanités de ce monde. Il faut avoir vu l′homme politique qui passe pour le plus entier, le plus intransigeant, le plus inapprochable depuis qu′il est au pouvoir; il faut l′avoir vu au temps de sa disgrâce, mendier timidement, avec un sourire brillant d′amoureux, le salut hautain d′un journaliste quelconque; il faut avoir vu le redressement de Cottard (que ses nouveaux malades prenaient pour une barre de fer), et savoir de quels dépits amoureux, de quels échecs de snobisme étaient faits l′apparente hauteur, l′anti-snobisme universellement admis de la princesse Sherbatoff, pour comprendre que dans l′humanité la règle -- qui comporte des exceptions naturellement -- est que les durs sont des faibles dont on n′a pas voulu, et que les forts, se souciant peu qu′on veuille ou non d′eux, ont seuls cette douceur que le vulgaire prend pour de la faiblesse.   For my part, I was all the more glad that M. de Charlus often took the place of Princess Sherbatoff, inasmuch as I was thoroughly in her bad books, for a reason that was at once trivial and profound. One day when I was in the little train, paying every attention, as was my habit, to Princess Sherbatoff, I saw Mme. de Villeparisis get in. She had as a matter of fact come down to spend some weeks with the Princesse de Luxembourg, but, chained to the daily necessity of seeing Albertine, I had never replied to the repeated invitations of the Marquise and her royal hostess. I felt remorse at the sight of my grandmother′s friend, and, purely from a sense of duty (without deserting Princess Sherbatoff), sat talking to her for some time. I was, as it happened, entirely unaware that Mme. de Villeparisis knew quite well who my companion was but did not wish to speak to her. At the next station, Mme. de Villeparisis left the carriage, indeed I reproached myself with not having helped her on to the platform; I resumed my seat by the side of the Princess. But one would have thought — a cataclysm frequent among people whose position is far from stable and who are afraid that one may have heard something to their discredit, and may be looking down upon them — that the curtain had risen upon a fresh scene. Buried in her Revue des Deux Mondes, Madame Sherbatoff barely moved her lips in reply to my questions and finally told me that I was making her head ache. I had not the faintest idea of the nature of my crime. When I bade the Princess good-bye, the customary smile did not light up her face, her chin drooped in a dry acknowledgment, she did not even offer me her hand, nor did she ever speak to me again. But she must have spoken — though what she said I cannot tell — to the Verdurins; for as soon as I asked them whether I ought not to say something polite to Princess Sherbatoff, they replied in chorus: “No! No! No! Nothing of the sort! She does not care for polite speeches!” They did not say this to effect a breach between us, but she had succeeded in making them believe that she was unmoved by civilities, that hers was a spirit unassailed by the vanities of this world. One needs to have seen the politician who was reckoned the most single-minded, the most uncompromising, the most unapproachable, so long as he was in office, one must have seen him in the hour of his disgrace, humbly soliciting, with a bright, affectionate smile, the haughty greeting of some unimportant journalist, one must have seen Cottard (whom his new patients regarded as a rod of iron) draw himself erect, one must know out of what disappointments in love, what rebuffs to snobbery were built up the apparent pride, the universally acknowledged anti-snobbery of Princess Sherbatoff, in order to grasp that among the human race the rule — which admits of exceptions, naturally — is that the reputedly hard people are weak people whom nobody wants, and that the strong, caring little whether they are wanted or not, have alone that meekness which the common herd mistake for weakness.
Au reste je ne dois pas juger sévèrement la princesse Sherbatoff. Son cas est si fréquent! Un jour, à l′enterrement d′un Guermantes, un homme remarquable placé à côté de moi me montra un Monsieur élancé et pourvu d′une jolie figure. «De tous les Guermantes, me dit mon voisin, celui-là est le plus inouíª le plus singulier. C′est le frère du duc.» Je lui répondis imprudemment qu′il se trompait, que ce Monsieur, sans parenté aucune avec les Guermantes, s′appelait Fournier-Sarlovèze. L′homme remarquable me tourna le dos et ne m′a plus jamais salué depuis.   However, I ought not to judge Princess Sherbatoff severely. Her case is so common! One day, at the funeral of a Guermantes, a distinguished man who was standing next to me drew my attention to a slim person with handsome features. “Of all the Guermantes,” my neighbour informed me, “that is the most astonishing, the most singular. He is the Duke′s brother.” I replied imprudently that he was mistaken, that the gentleman in question, who was in no way related to the Guermantes, was named Journier-Sarlovèze. The distinguished man turned his back upon me, and has never even bowed to me since.
Un grand musicien, membre de l′Institut, haut dignitaire officiel, et qui connaissait Ski, passa par Harembouville, où il avait une nièce, et vint à un mercredi des Verdurin. M. de Charlus fut particulièrement aimable avec lui (à la demande de Morel) et surtout pour qu′au retour à Paris, l′académicien lui permît d′assister à différentes séances privées, répétitions, etc., où jouait le violoniste. L′académicien flatté, et d′ailleurs homme charmant, promit et tint sa promesse. Le baron fut très touché de toutes les amabilités que ce personnage (d′ailleurs, en ce qui le concernait, aimant uniquement et profondément les femmes) eut pour lui, de toutes les facilités qu′il lui procura pour voir Morel dans les lieux officiels où les profanes n′entrent pas, de toutes les occasions données par le célèbre artiste au jeune virtuose de se produire, de se faire connaître, en le désignant, de préférence à d′autres, à talent égal, pour des auditions qui devaient avoir un retentissement particulier. Mais M. de Charlus ne se doutait pas qu′il en devait au maître d′autant plus de reconnaissance que celui-ci, doublement méritant, ou, si l′on aime mieux, deux fois coupable, n′ignorait rien des relations du violoniste et de son noble protecteur. Il les favorisa, certes sans sympathie pour elles, ne pouvant comprendre d′autre amour que celui de la femme, qui avait inspiré toute sa musique, mais par indifférence morale, complaisance et serviabilité professionnelles, amabilité mondaine, snobisme. Quant à des doutes sur le caractère de ces relations, il en avait si peu que, dès le premier dîner à la Raspelière, il avait demandé à Ski, en parlant de M. de Charlus et de Morel comme il eût fait d′un homme et de sa maîtresse: «Est-ce qu′il y a longtemps qu′ils sont ensemble?» Mais trop homme du monde pour en laisser rien voir aux intéressés, prêt, si parmi les camarades de Morel il s′était produit quelques commérages, à les réprimer et à rassurer Morel en lui disant paternellement: «On dit cela de tout le monde aujourd′hui», il ne cessa de combler le baron de gentillesses que celui-ci trouva charmantes, mais naturelles, incapable de supposer chez l′illustre maître tant de vice ou tant de vertu. Car les mots qu′on disait en l′absence de M. de Charlus, les «à peu près» sur Morel, personne n′avait l′âme assez basse pour les lui répéter. Et pourtant cette simple situation suffit à montrer que même cette chose universellement décriée, qui ne trouverait nulle part un défenseur: «le potin», lui aussi, soit qu′il ait pour objet nous-même et nous devienne ainsi particulièrement désagréable, soit qu′il nous apprenne sur un tiers quelque chose que nous ignorions, a sa valeur psychologique. Il empêche l′esprit de s′endormir sur la vue factice qu′il a de ce qu′il croit les choses et qui n′est que leur apparence. Il retourne celle-ci avec la dextérité magique d′un philosophe idéaliste et nous présente rapidement un coin insoupçonné du revers de l′étoffe. M. de Charlus eût-il pu imaginer ces mots dits par certaine tendre parente: «Comment veux-tu que Mémé soit amoureux de moi? tu oublies donc que je suis une femme!» Et pourtant elle avait un attachement véritable, profond, pour M. de Charlus. Comment alors s′étonner que, pour les Verdurin, sur l′affection et la bonté desquels il n′avait aucun droit de compter, les propos qu′ils disaient loin de lui (et ce ne furent pas seulement, on le verra, des propos) fussent si différents de ce qu′il les imaginait être, c′est-à-dire du simple reflet de ceux qu′il entendait quand il était là? Ceux-là seuls ornaient d′inscriptions affectueuses le petit pavillon idéal où M. de Charlus venait parfois rêver seul, quand il introduisait un instant son imagination dans l′idée que les Verdurin avaient de lui. L′atmosphère y était si sympathique, si cordiale, le repos si réconfortant, que, quand M. de Charlus, avant de s′endormir, était venu s′y délasser un instant de ses soucis, il n′en sortait jamais sans un sourire. Mais, pour chacun de nous, ce genre de pavillon est double: en face de celui que nous croyons être l′unique, il y a l′autre, qui nous est habituellement invisible, le vrai, symétrique avec celui que nous connaissons, mais bien différent et dont l′ornementation, où nous ne reconnaîtrions rien de ce que nous nous attendions à voir, nous épouvanterait comme faite avec les symboles odieux d′une hostilité insoupçonnée. Quelle stupeur pour M. de Charlus, s′il avait pénétré dans un de ces pavillons adverses, grâce à quelque potin, comme par un de ces escaliers de service où des graffiti obscènes sont charbonnés à la porte des appartements par des fournisseurs mécontents ou des domestiques renvoyés! Mais, tout autant que nous sommes privés de ce sens de l′orientation dont sont doués certains oiseaux, nous manquons du sens de la visibilité, comme nous manquons de celui des distances, nous imaginant toute proche l′attention intéressée des gens qui, au contraire, ne pensent jamais à nous et ne soupçonnant pas que nous sommes, pendant ce temps-là, pour d′autres leur seul souci. Ainsi M. de Charlus vivait dupé comme le poisson qui croit que l′eau où il nage s′étend au delà du verre de son aquarium qui lui en présente le reflet, tandis qu′il ne voit pas à côté de lui, dans l′ombre, le promeneur amusé qui suit ses ébats ou le pisciculteur tout-puissant qui, au moment imprévu et fatal, différé en ce moment à l′égard du baron (pour qui le pisciculteur, à Paris, sera Mme Verdurin), le tirera sans pitié du milieu où il aimait vivre pour le rejeter dans un autre. Au surplus, les peuples, en tant qu′ils ne sont que des collections d′individus, peuvent offrir des exemples plus vastes, mais identiques en chacune de leurs parties, de cette cécité profonde, obstinée et déconcertante. Jusqu′ici, si elle était cause que M. de Charlus tenait, dans le petit clan, des propos d′une habileté inutile ou d′une audace qui faisait sourire en cachette, elle n′avait pas encore eu pour lui ni ne devait avoir, à Balbec, de graves inconvénients. Un peu d′albumine, de sucre, d′arythmie cardiaque, n′empêche pas la vie de continuer normale pour celui qui ne s′en aperçoit même pas, alors que seul le médecin y voit la prophétie de catastrophes. Actuellement le goût -- platonique ou non -- de M. de Charlus pour Morel poussait seulement le baron à dire volontiers, en l′absence de Morel, qu′il le trouvait très beau, pensant que cela serait entendu en toute innocence, et agissant en cela comme un homme fin qui, appelé à déposer devant un tribunal, ne craindra pas d′entrer dans des détails qui semblent en apparence désavantageux pour lui, mais qui, à cause de cela même, ont plus de naturel et moins de vulgarité que les protestations conventionnelles d′un accusé de théâtre. Avec la même liberté, toujours entre Doncières-Ouest et Saint-Martin-du-Chêne -- ou le contraire au retour -- M. de Charlus parlait volontiers de gens qui ont, paraît-il, des moeurs très étranges, et ajoutait même: «Après tout, je dis étranges, je ne sais pas pourquoi, car cela n′a rien de si étrange», pour se montrer à soi-même combien il était à l′aise avec son public. Et il l′était en effet, à condition que ce fût lui qui eût l′initiative des opérations et qu′il sût la galerie muette et souriante, désarmée par la crédulité ou la bonne éducation.   A great musician, a member of the Institute, occupying a high official position, who was acquainted with Ski, came to Harambouville, where he had a niece staying, and appeared at one of the Verdurins′ Wednesdays. M. de Charlus was especially polite to him (at Morel′s request), principally in order that on his return to Paris the Academician might enable him to attend various private concerts, rehearsals and so forth, at which the violinist would be playing. The Academician, who was flattered, and was naturally a charming person, promised, and kept his promise. The Baron was deeply touched by all the consideration which this personage (who, for his own part, was exclusively and passionately a lover of women) shewed him, all the facilities that he procured to enable him to see Morel in those official quarters which the profane world may not enter, all the opportunities by which the celebrated artist secured that the young virtuoso might shew himself, might make himself known, by naming him in preference to others of equal talent for auditions which were likely to make a special stir. But M. de Charlus never suspected that he ought to be all the more grateful to the maestro in that the latter, doubly deserving, or, if you prefer it, guilty twice over, was completely aware of the relations between the young violinist and his noble patron. He favoured them, certainly without any sympathy for them, being unable to comprehend any other love than that for the woman who had inspired the whole of his music, but from moral indifference, a professional readiness to oblige, social affability, snobbishness. As for his doubts as to the character of those relations, they were so scanty that, at his first dinner at la Raspelière, he had inquired of Ski, speaking of M. de Charlus and Morel, as he might have spoken of a man and his mistress: “Have they been long together?” But, too much the man of the world to let the parties concerned see what was in his mind, prepared, should any gossip arise among Morel′s fellow-students, to rebuke them, and to reassure Morel by saying to him in a fatherly tone: “One hears that sort of thing about everybody nowadays,” he did not cease to load the Baron with civilities which the latter thought charming, but quite natural, being incapable of suspecting the eminent maestro of so much vice or of so much virtue. For the things that were said behind M. de Charlus′s back, the expressions used about Morel, nobody was ever base enough to repeat to him. And yet this simple situation is enough to shew that even that thing universally decried, which would find no defender anywhere: the breath of scandal, has itself, whether it be aimed at us and so become especially disagreeable to us, or inform us of something about a third person of which we were unaware, a psychological value of its own. It prevents the mind from falling asleep over the fictitious idea that it has of what it supposes things to be when it is actually no more than their outward appearance. It turns this appearance inside out with the magic dexterity of an idealist philosopher and rapidly presents to our gaze an unsuspected corner of the reverse side of the fabric. How could M. de Charlus have imagined the remark made of him by a certain tender relative: “How on earth can you suppose that Mémé is in love with me, you forget that I am a woman!” And yet she was genuinely, deeply attached to M. de Charlus. Why then need we be surprised that in the case of the Verdurins, whose affection and goodwill he had no title to expect, the remarks which they made behind his back (and they did not, as we shall see, confine themselves to remarks), were so different from what he imagined them to be, that is to say from a mere repetition of the remarks that he heard when he was present? The latter alone decorated with affectionate inscriptions the little ideal tent to which M. de Charlus retired at times to dream by himself, when he introduced his imagination for a moment into the idea that the Verdurins held of him. Its atmosphere was so congenial, so cordial, the repose it offered so comforting, that when M. de Charlus, before going to sleep, had withdrawn to it for a momentary relief from his worries, he never emerged from it without a smile. But, for each one of us, a tent of this sort has two sides: as well as the side which we suppose to be the only one, there is the other which is normally invisible to us, the true front, symmetrical with the one that we know, but very different, whose decoration, in which we should recognise nothing of what we expected to see, would horrify us, as being composed of the hateful symbols of an unsuspected hostility. What a shock for M. de Charlus, if he had found his way into one of these enemy tents, by means of some piece of scandal as though by one of those service stairs where obscene drawings are scribbled outside the back doors of flats by unpaid tradesmen or dismissed servants. But, just as we do not possess that sense of direction with which certain birds are endowed, so we lack the sense of our own visibility as we lack that of distances, imagining as quite close to us the interested attention of the people who on the contrary never give us a thought, and not suspecting that we are at the same time the sole preoccupation of others. And so M. de Charlus lived in a state of deception like the fish which thinks that the water in which it is swimming extends beyond the glass wall of its aquarium which mirrors it, while it does not see close beside it in the shadow the human visitor who is amusing himself by watching its movements, or the all-powerful keeper who, at the unforeseen and fatal moment, postponed for the present in the case of the Baron (for whom the keeper, in Paris, will be Mme. Verdurin), will extract it without compunction from the place in which it was happily living to cast it into another. Moreover, the races of mankind, in so far as they are not merely collections of individuals, may furnish us with examples more vast, but identical in each of their parts, of this profound, obstinate and disconcerting blindness. Up to the present, if it was responsible for M. de Charlus′s discoursing to the little clan remarks of a wasted subtlety or of an audacity which made his listeners smile at him in secret, it had not yet caused him, nor was it to cause him at Balbec any serious inconvenience. A trace of albumen, of sugar, of cardiac arythmia, does not prevent life from remaining normal for the man who is not even conscious of it, when only the physician sees in it a prophecy of catastrophes in store. At present the fondness — whether Platonic or not — that M. de Charlus felt for Morel merely led the Baron to say spontaneously in Morel′s absence that he thought him very good looking, supposing that this would be taken in all innocence, and thereby acting like a clever man who when summoned to make a statement before a Court of Law will not be afraid to enter into details which are apparently to his disadvantage but for that very reason are more natural and less vulgar than the conventional protestations of a stage culprit. With the same freedom, always between Saint-Martin du Châne and Doncières-Ouest — or conversely on the return journey — M. de Charlus would readily speak of men who had, it appeared, very strange morals, and would even add: “After all, I say strange, I don′t know why, for there′s nothing so very strange about that,” to prove to himself how thoroughly he was at his ease with his audience. And so indeed he was, provided that it was he who retained the initiative, and that he knew his gallery to be mute and smiling, disarmed by credulity or good manners.
Quand M. de Charlus ne parlait pas de son admiration pour la beauté de Morel, comme si elle n′eût eu aucun rapport avec un goût -- appelé vice -- il traitait de ce vice, mais comme s′il n′avait été nullement le sien. Parfois même il n′hésitait pas à l′appeler par son nom. Comme, après avoir regardé la belle reliure de son Balzac, je lui demandais ce qu′il préférait dans la Comédie Humaine, il me répondit, dirigeant sa pensée vers une idée fixe: «Tout l′un ou tout l′autre, les petites miniatures comme le Curé de Tours et la Femme abandonnée, ou les grandes fresques comme la série des Illusions perdues. Comment! vous ne connaissez pas les Illusions perdues? C′est si beau, le moment où Carlos Herrera demande le nom du château devant lequel passe sa calèche: c′est Rastignac, la demeure du jeune homme qu′il a aimé autrefois. Et l′abbé alors de tomber dans une rêverie que Swann appelait, ce qui était bien spirituel, la Tristesse d′Olympio de la pédérastie. Et la mort de Lucien! je ne me rappelle plus quel homme de goût avait eu cette réponse, à qui lui demandait quel événement l′avait le plus affligé dans sa vie: «La mort de Lucien de Rubempré dans Splendeurs et Misères.»-- Je sais que Balzac se porte beaucoup cette année, comme l′an passé le pessimisme, interrompit Brichot. Mais, au risque de contrister les âmes en mal de déférence balzacienne, sans prétendre, Dieu me damne, au rôle de gendarme de lettres et dresser procès-verbal pour fautes de grammaire, j′avoue que le copieux improvisateur, dont vous me semblez surfaire singulièrement les élucubrations effarantes, m′a toujours paru un scribe insuffisamment méticuleux. J′ai lu ces Illusions Perdues dont vous nous parlez, baron, en me torturant pour atteindre à une ferveur d′initié, et je confesse en toute simplicité d′âme que ces romans-feuilletons, rédigés en pathos, en galimatias double et triple (Esther heureuse, Où mènent les mauvais chemins, A combien l′amour revient aux vieillards), m′ont toujours fait l′effet des mystères de Rocambole, promus par inexplicable faveur à la situation précaire de chef-d′oeuvre. -- Vous dites cela parce que vous ne connaissez pas la vie, dit le baron doublement agacé, car il sentait que Brichot ne comprendrait ni ses raisons d′artiste, ni les autres. -- J′entends bien, répondit Brichot, que, pour parler comme Maître François Rabelais, vous voulez dire que je suis moult sorbonagre, sorbonicole et sorboniforme. Pourtant, tout autant que les camarades, j′aime qu′un livre donne l′impression de la sincérité et de la vie, je ne suis pas de ces clercs . . . -- Le quart d′heure de Rabelais, interrompit le docteur Cottard avec un air non plus de doute, mais de spirituelle assurance. -- . . . qui font voeu de littérature en suivant la règle de l′Abbaye-aux-Bois dans l′obédience de M. le vicomte de Chateaubriand, grand maître du chiqué, selon la règle stricte des humanistes. M. le vicomte de Chateaubriand . . . -- Chateaubriand aux pommes? interrompit le docteur Cottard. -- C′est lui le patron de la confrérie, continua Brichot sans relever la plaisanterie du docteur, lequel, en revanche, alarmé par la phrase de l′universitaire, regarda M. de Charlus avec inquiétude. Brichot avait semblé manquer de tact à Cottard, duquel le calembour avait amené un fin sourire sur les lèvres de la princesse Sherbatoff. -- Avec le professeur, l′ironie mordante du parfait sceptique ne perd jamais ses droits, dit-elle par amabilité et pour montrer que le «mot» du médecin n′avait pas passé inaperçu pour elle. -- Le sage est forcément sceptique, répondit le docteur. Que sais-je? [Greek: gnôthi seauton], disait Socrate. C′est très juste, l′excès en tout est un défaut. Mais je reste bleu quand je pense que cela a suffi à faire durer le nom de Socrate jusqu′à nos jours. Qu′est-ce qu′il y a dans cette philosophie? peu de chose en somme. Quand on pense que Charcot et d′autres ont fait des travaux mille fois plus remarquables et qui s′appuient, au moins, sur quelque chose, sur la suppression du réflexe pupillaire comme syndrome de la paralysie générale, et qu′ils sont presque oubliés! En somme, Socrate, ce n′est pas extraordinaire. Ce sont des gens qui n′avaient rien à faire, qui passaient toute leur journée à se promener, à discutailler. C′est comme Jésus-Christ: Aimez-vous les uns les autres, c′est très joli. -- Mon ami . . ., pria Mme Cottard. -- Naturellement, ma femme proteste, ce sont toutes des névrosées. -- Mais, mon petit docteur, je ne suis pas névrosée, murmura Mme Cottard. -- Comment, elle n′est pas névrosée? quand son fils est malade, elle présente des phénomènes d′insomnie. Mais enfin, je reconnais que Socrate, et le reste, c′est nécessaire pour une culture supérieure, pour avoir des talents d′exposition. Je cite toujours le [Greek: gnôthi seauton] à mes élèves pour le premier cours. Le père Bouchard, qui l′a su, m′en a félicité. -- Je ne suis pas des tenants de la forme pour la forme, pas plus que je ne thésauriserais en poésie la rime millionnaire, reprit Brichot. Mais, tout de même, la Comédie Humaine -- bien peu humaine -- est par trop le contraire de ces oeuvres où l′art excède le fond, comme dit cette bonne rosse d′Ovide. Et il est permis de préférer un sentier à mi-côte, qui mène à la cure de Meudon ou à l′Ermitage de Ferney, à égale distance de la Vallée-aux-Loups où René remplissait superbement les devoirs d′un pontificat sans mansuétude, et les Jardies où Honoré de Balzac, harcelé par les recors, ne s′arrêtait pas de cacographier pour une Polonaise, en apôtre zélé du charabia.   When M. de Charlus was not speaking of his admiration for Morel′s beauty, as though it had no connexion with an inclination — called a vice — he would refer to that vice, but as though he himself were in no way addicted to it. Sometimes indeed he did not hesitate to call it by its name. As after examining the fine binding of his volume of Balzac I asked him which was his favourite novel in the Comédie Humaine, he replied, his thoughts irresistibly attracted to the same topic: “Either one thing or the other, a tiny miniature like the Curé de Tours and the Femme abandonnée, or one of the great frescoes like the series of Illusions perdues. What! You′ve never read Illusions perdues? It′s wonderful. The scene where Carlos Herrera asks the name of the château he is driving past, and it turns out to be Rastignac, the home of the young man he used to love. And then the abbé falls into a reverie which Swann once called, and very aptly, the Tristesse d′Olympia of paederasty. And the death of Lucien! I forgot who the man of taste was who, when he was asked what event in his life had most distressed him, replied: ‘The death of Lucien de Rubempré in Splendeurs et Misères.′” “I know that Balzac is all the rage this year, as pessimism was last,” Brichot interrupted. “But, at the risk of distressing the hearts that are smitten with the Balzacian fever, without laying any claim, damme, to being a policeman of letters, or drawing up a list of offences against the laws of grammar, I must confess that the copious improviser whose alarming lucubrations you appear to me singularly to overrate, has always struck me as being an insufficiently meticulous scribe. I have read these Illusions perdues of which you are telling us, Baron, flagellating myself to attain to the fervour of an initiate, and I confess in all simplicity of heart that those serial instalments of bombastic balderdash, written in double Dutch — and in triple Dutch: Esther heureuse, Où mènent les mauvais chemins, A combien l′amour revient aux vieillards, have always had the effect on me of the Mystères de Rocambole, exalted by an inexplicable preference to the precarious position of a masterpiece.” “You say that because you know nothing of life,” said the Baron, doubly irritated, for he felt that Brichot would not understand either his aesthetic reasons or the other kind. “I quite realise,” replied Brichot, “that, to speak like Master François Rabelais, you mean that I am moult sorbonagre, sorbonicole et sorboniforme. And yet, just as much as any of the comrades, I like a book to give an impression of sincerity and real life, I am not one of those clerks. . . . ” “The quart d′heure de Rabelais,” the Doctor broke in, with an air no longer of uncertainty but of assurance as to his own wit. “ . . . who take a vow of literature following the rule of the Abbaye-aux-Bois, yielding obedience to M. le Vicomte de Chateaubriand, Grand Master of common form, according to the strict rule of the humanists. M. le Vicomte de Chateaubriand′s mistake. . . . ” “With fried potatoes?” put in Dr. Cottard. “He is the patron saint of the brotherhood,” continued Brichot, ignoring the wit of the Doctor, who, on the other hand, alarmed by the don′s phrase, glanced anxiously at M. de Charlus. Brichot had seemed wanting in tact to Cottard, whose pun had brought a delicate smile to the lips of Princess Sherbatoff. “With the Professor, the mordant irony of the complete sceptic never forfeits its rights,” she said kindly, to shew that the scientist′s witticism had not passed unperceived by herself. “The sage is of necessity sceptical,” replied the Doctor. “It′s not my fault. Gnothi seauton, said Socrates. He was quite right, excess in anything is a mistake. But I am dumbfoundered when I think that those words have sufficed to keep Socrates′s name alive all this time. What is there in his philosophy, very little when all is said. When one reflects that Charcot and others have done work a thousand times more remarkable, work which moreover is at least founded upon something, upon the suppression of the pupillary reflex as a syndrome of general paralysis, and that they are almost forgotten. After all, Socrates was nothing out of the common. They were people who had nothing better to do, and spent their time strolling about and splitting hairs. Like Jesus Christ: ‘Love one another!′ it′s all very pretty.” “My dear,” Mme. Cottard implored. “Naturally my wife protests, women are all neurotic.” “But, my dear Doctor, I am not neurotic,” murmured Mme. Cottard. “What, she is not neurotic! When her son is ill, she exhibits phenomena of insomnia. Still, I quite admit that Socrates, and all the rest of them, are necessary for a superior culture, to acquire the talent of exposition. I always quote his gnothi seauton to my pupils at the beginning of the course. Père Bouchard, when he heard of it, congratulated me.” “I am not one of those who hold to form for form′s sake, any more than I should treasure in poetry the rhyme millionaire,” replied Brichot. “But all the same the Comédie Humaine — which is far from human — is more than the antithesis of those works in which the art exceeds the matter, as that worthy hack Ovid says. And it is permissible to choose a middle course, which leads to the presbytery of Meudon or the hermitage of Ferney, equidistant from the Valley of Wolves, in which René superbly performed the duties of a merciless pontificate, and from les Jardies, where Honoré de Balzac, browbeaten by the bailiffs, never ceased voiding upon paper to please a Polish woman, like a zealous apostle of balderdash.”
-- Chateaubriand est beaucoup plus vivant que vous ne dites, et Balzac est tout de même un grand écrivain, répondit M. de Charlus, encore trop imprégné du goût de Swann pour ne pas être irrité par Brichot, et Balzac a connu jusqu′à ces passions que tout le monde ignore, ou n′étudie que pour les flétrir. Sans reparler des immortelles Illusions Perdues, Sarrazine,la Fille aux yeux d′or, Une passion dans le désert, même l′assez énigmatique Fausse Maîtresse, viennent à l′appui de mon dire. Quand je parlais de ce côté «hors de nature» de Balzac à Swann, il me disait: «Vous êtes du même avis que Taine.» Je n′avais pas l′honneur de connaître M. Taine, ajouta M. de Charlus (avec cette irritante habitude du «Monsieur» inutile qu′ont les gens du monde, comme s′ils croyaient, en taxant de Monsieur un grand écrivain, lui décerner un honneur, peut-être garder les distances, et bien faire savoir qu′ils ne le connaissent pas), je ne connaissais pas M. Taine, mais je me tenais pour fort honoré d′être du même avis que lui.» D′ailleurs, malgré ces habitudes mondaines ridicules, M. de Charlus était très intelligent, et il est probable que si quelque mariage ancien avait noué une parenté entre sa famille et celle de Balzac, il eût ressenti (non moins que Balzac d′ailleurs) une satisfaction dont il n′eût pu cependant s′empêcher de se targuer comme d′une marque de condescendance admirable.   “Chateaubriand is far more alive now than you say, and Balzac is, after all, a great writer,” replied M. de Charlus, still too much impregnated with Swann′s tastes not to be irritated by Brichot, “and Balzac was acquainted with even those passions which the rest of the world ignores, or studies only to castigate them. Without referring again to the immortal Illusions perdues; Sarrazine, La Fille aux yeux d′or, Une passion dans le désert, even the distinctly enigmatic Fausse Maîtresse can be adduced in support of my argument. When I spoke of this ‘unnatural′ aspect of Balzac to Swann, he said to me: ‘You are of the same opinion as Taine.′ I never had the honour of knowing Monsieur Taine,” M. de Charlus continued, with that irritating habit of inserting an otiose ‘Monsieur′ to which people in society are addicted, as though they imagine that by styling a great writer ‘Monsieur′ they are doing him an honour, perhaps keeping him at his proper distance, and making it evident that they do not know him personally. “I never knew Monsieur Taine, but I felt myself greatly honoured by being of the same opinion as he.” However, in spite of these ridiculous social affectations, M. de Charlus was extremely intelligent, and it is probable that if some remote marriage had established a connexion between his family and that of Balzac, he would have felt (no less than Balzac himself, for that matter) a satisfaction which he would have been unable to help displaying as a praiseworthy sign of condescension.
Parfois, à la station qui suivait Saint-Martin-du-Chêne, des jeunes gens montaient dans le train. M. de Charlus ne pouvait pas s′empêcher de les regarder, mais, comme il abrégeait et dissimulait l′attention qu′il leur prêtait, elle prenait l′air de cacher un secret, plus particulier même que le véritable; on aurait dit qu′il les connaissait, le laissait malgré lui paraître après avoir accepté son sacrifice, avant de se retourner vers nous, comme font ces enfants à qui, à la suite d′une brouille entre parents, on a défendu de dire bonjour à des camarades, mais qui, lorsqu′ils les rencontrent, ne peuvent se priver de lever la tête avant de retomber sous la férule de leur précepteur.   Now and again, at the station after Saint-Martin du Chêne, some young men would get into the train. M. de Charlus could not refrain from looking at them, but as he cut short and concealed the attention that he was paying them, he gave it the air of hiding a secret, more personal even than his real secret; one would have said that he knew them, allowed his acquaintance to appear in spite of himself, after he had accepted the sacrifice, before turning again to us, like children who, in consequence of a quarrel among their respective parents, have been forbidden to speak to certain of their schoolfellows, but who when they meet them cannot forego the temptation to raise their heads before lowering them again before their tutor′s menacing cane.
Au mot tiré du grec dont M. de Charlus, parlant de Balzac, avait fait suivre l′allusion à la Tristesse d′Olympio dans Splendeurs et Misères, Ski, Brichot et Cottard s′étaient regardés avec un sourire peut-être moins ironique qu′empreint de la satisfaction qu′auraient des dîneurs qui réussiraient à faire parler Dreyfus de sa propre affaire, ou l′Impératrice de son règne. On comptait bien le pousser un peu sur ce sujet, mais c′était déjà Doncières, où Morel nous rejoignait. Devant lui, M. de Charlus surveillait soigneusement sa conversation, et quand Ski voulut le ramener à l′amour de Carlos Herrera pour Lucien de Rubempré, le baron prit l′air contrarié, mystérieux, et finalement (voyant qu′on ne l′écoutait pas) sévère et justicier d′un père qui entendrait dire des indécences devant sa fille. Ski ayant mis quelque entêtement à poursuivre, M. de Charlus, les yeux hors de la tête, élevant la voix, dit d′un ton significatif, en montrant Albertine qui pourtant ne pouvait nous entendre, occupée à causer avec Mme Cottard et la princesse Sherbatoff, et sur le ton à double sens de quelqu′un qui veut donner une leçon à des gens mal élevés: «Je crois qu′il serait temps de parler de choses qui puissent intéresser cette jeune fille.» Mais je compris bien que, pour lui, la jeune fille était non pas Albertine, mais Morel; il témoigna, du reste, plus tard de l′exactitude de mon interprétation par les expressions dont il se servit quand il demanda qu′on n′eût plus de ces conversations devant Morel. «Vous savez, me dit-il, en parlant du violoniste, qu′il n′est pas du tout ce que vous pourriez croire, c′est un petit très honnête, qui est toujours resté sage, très sérieux.» Et on sentait à ces mots que M. de Charlus considérait l′inversion sexuelle comme un danger aussi menaçant pour les jeunes gens que la prostitution pour les femmes, et que, s′il se servait pour Morel de l′épithète de «sérieux», c′était dans le sens qu′elle prend appliquée à une petite ouvrière. Alors Brichot, pour changer la conversation, me demanda si je comptais rester encore longtemps à Incarville.   At the word borrowed from the Greek with which M. de Charlus in speaking of Balzac had ended his comparison of the Tristesse d′Olympio with the Splendeurs et Misères, Ski, Brichot and Cottard had glanced at one another with a smile perhaps less ironical than stamped with that satisfaction which people at a dinner-party would shew who had succeeded in making Dreyfus talk about his own case, or the Empress Eugénie about her reign. They were hoping to press him a little further upon this subject, but we were already at Doncières, where Morel joined us. In his presence, M. de Charlus kept a careful guard over his conversation and, when Ski tried to bring it back to the love of Carlos Herrera for Lucien de Rubempré, the Baron assumed the vexed, mysterious, and finally (seeing that nobody was listening to him) severe and judicial air of a father who hears people saying something indecent in front of his daughter. Ski having shewn some determination to pursue the subject, M. de Charlus, his eyes starting out of his head, raised his voice and said, in a significant tone, looking at Albertine, who as a matter of fact could not hear what we were saying, being engaged in conversation with Mme. Cottard and Princess Sherbatoff, and with the suggestion of a double meaning of a person who wishes to teach ill-bred people a lesson: “I think it is high time we began to talk of subjects that are likely to interest this young lady.” But I quite realised that, to him, the young lady was not Albertine but Morel; he proved, as it happened, later on, the accuracy of my interpretation by the expressions that he employed when he begged that there might be no more of such conversation in front of Morel. “You know,” he said to me, speaking of the violinist, “that he is not at all what you might suppose, he is a very respectable youth who has always behaved himself, he is very serious.” And one gathered from these words that M. de Charlus regarded sexual inversion as a danger as menacing to young men as prostitution is to women, and that if he employed the epithet ‘respectable,′ of Morel it was in the sense that it has when applied to a young shop-girl. Then Brichot, to change the conversation, asked me whether I intended to remain much longer at Incarville.
J′avais eu beau lui faire observer plusieurs fois que j′habitais non pas Incarville mais Balbec, il retombait toujours dans sa faute, car c′est sous le nom d′Incarville ou de Balbec-Incarville qu′il désignait cette partie du littoral. Il y a ainsi des gens qui parlent des mêmes choses que nous en les appelant d′un nom un peu différent. Une certaine dame du faubourg Saint-Germain me demandait toujours, quand elle voulait parler de la duchesse de Guermantes, s′il y avait longtemps que je n′avais vu Zéna, ou Oriane-Zéna, ce qui fait qu′au premier moment je ne comprenais pas. Probablement il y avait eu un temps où, une parente de Mme de Guermantes s′appelant Oriane, on l′appelait, elle, pour éviter les confusions, Oriane-Zéna. Peut-être aussi y avait-il eu d′abord une gare seulement à Incarville, et allait-on de là en voiture à Balbec. «De quoi parliez-vous donc? dit Albertine étonnée du ton solennel de père de famille que venait d′usurper M. de Charlus. -- De Balzac, se hâta de répondre le baron, et vous avez justement ce soir la toilette de la princesse de Cadignan, pas la première, celle du dîner, mais la seconde.» Cette rencontre tenait à ce que, pour choisir des toilettes à Albertine, je m′inspirais du goût qu′elle s′était formé grâce à Elstir, lequel appréciait beaucoup une sobriété qu′on eût pu appeler britannique s′il ne s′y était allié plus de douceur, de mollesse française. Le plus souvent, les robes qu′il préférait offraient aux regards une harmonieuse combinaison de couleurs grises, comme celle de Diane de Cadignan. Il n′y avait guère que M. de Charlus pour savoir apprécier à leur véritable valeur les toilettes d′Albertine; tout de suite ses yeux découvraient ce qui en faisait la rareté, le prix; il n′aurait jamais dit le nom d′une étoffe pour une autre et reconnaissait le faiseur. Seulement il aimait mieux -- pour les femmes -- un peu plus d′éclat et de couleur que n′en tolérait Elstir. Aussi, ce soir-là, me lança-t-elle un regard moitié souriant, moitié inquiet, en courbant son petit nez rose de chatte. En effet, croisant sur sa jupe de crêpe de chine gris, sa jaquette de cheviote grise laissait croire qu′Albertine était tout en gris. Mais me faisant signe de l′aider, parce que ses manches bouffantes avaient besoin d′être aplaties ou relevées pour entrer ou retirer sa jaquette, elle ôta celle-ci, et comme ces manches étaient d′un écossais très doux, rose, bleu pâle, verdâtre, gorge-de-pigeon, ce fut comme si dans un ciel gris s′était formé un arc-en-ciel. Et elle se demandait si cela allait plaire à M. de Charlus. I had pointed out to him more than once, but in vain, that I was staying not at Incarville but at Balbec, he always repeated the mistake, for it was by the name of Incarville or Balbec-Incarville that he described this section of the coast. There are people like that, who speak of the same things as ourselves but call them by a slightly different name. A certain lady of the Faubourg Saint-Germain used invariably to ask me, when she meant to refer to the Duchesse de Guermantes, whether I had seen Zéna lately, or Oriane-Zéna, the effect of which was that at first I did not understand her. Probably there had been a time when, some relative of Mme. de Guermantes being named Oriane, she herself, to avoid confusion, had been known as Oriane-Zéna. Perhaps, too, there had originally been a station only at Incarville, from which one went in a carriage to Balbec. “Why, what have you been talking about?” said Albertine, astonished at the solemn, paternal tone which M. de Charlus had suddenly adopted. “About Balzac,” the Baron hastily replied, “and you are wearing this evening the very same clothes as the Princesse de Cadignan, not her first gown, which she wears at the dinnerparty, but the second.” This coincidence was due to the fact that, in choosing Albertine′s clothes, I sought inspiration in the taste that she had acquired thanks to Elstir, who greatly appreciated a sobriety which might have been called British, had it not been tempered with a gentler, more flowing grace that was purely French. As a rule the garments that he chose offered to the eye a harmonious combination of grey tones like the dress of Diane de Cadignan. M. de Charlus was almost the only person capable of appreciating Albertine′s clothes at their true value; at a glance, his eye detected what constituted their rarity, justified their price; he would never have said the name of one stuff instead of another, and could always tell who had made them. Only he preferred — in women — a little more brightness and colour than Elstir would allow. And so this evening she cast a glance at me half smiling, half troubled, wrinkling her little pink cat′s nose. Indeed, meeting over her skirt of grey crêpe de chine, her jacket of grey cheviot gave the impression that Albertine was dressed entirely in grey. But, making a sign to me to help her, because her puffed sleeves needed to be smoothed down or pulled up, for her to get into or out of her jacket, she took it off, and as her sleeves were of a Scottish plaid in soft colours, pink, pale blue, dull green, pigeon′s breast, the effect was as though in a grey sky there had suddenly appeared a rainbow. And she asked herself whether this would find favour with M. de Charlus.
«Ah! s′écria celui-ci ravi, voilà un rayon, un prisme de couleur.Je vous fais tous mes compliments. -- Mais Monsieur seul en a mérité, répondit gentiment Albertine en me désignant, car elle aimait montrer ce qui lui venait de moi. -- Il n′y a que les femmes qui ne savent pas s′habiller qui craignent la couleur, reprit M. de Charlus. On peut être éclatante sans vulgarité et douce sans fadeur. D′ailleurs vous n′avez pas les mêmes raisons que Mme de Cadignan de vouloir paraître détachée de la vie, car c′était l′idée qu′elle voulait inculquer à d′Arthez par cette toilette grise.» Albertine, qu′intéressait ce muet langage des robes, questionna M. de Charlus sur la princesse de Cadignan. «Oh! c′est une nouvelle exquise, dit le baron d′un ton rêveur. Je connais le petit jardin où Diane de Cadignan se promena avec M. d′Espard. C′est celui d′une de mes cousines. -- Toutes ces questions du jardin de sa cousine, murmura Brichot à Cottard, peuvent, de même que sa généalogie, avoir du prix pour cet excellent baron. Mais quel intérêt cela a-t-il pour nous qui n′avons pas le privilège de nous y promener, ne connaissons pas cette dame et ne possédons pas de titres de noblesse?» Car Brichot ne soupçonnait pas qu′on pût s′intéresser à une robe et à un jardin comme à une oeuvre d′art, et que c′est comme dans Balzac que M. de Charlus revoyait les petites allées de Mme de Cadignan. Le baron poursuivit: «Mais vous la connaissez, me dit-il, en parlant de cette cousine et pour me flatter en s′adressant à moi comme à quelqu′un qui, exilé dans le petit clan, pour M. de Charlus sinon était de son monde, du moins allait dans son monde. En tout cas vous avez dû la voir chez Mme de Villeparisis. -- La marquise de Villeparisis à qui appartient le château de Baucreux? demanda Brichot d′un air captivé. -- Oui, vous la connaissez? demanda sèchement M. de Charlus. -- Nullement, répondit Brichot, mais notre collègue Norpois passe tous les ans une partie de ses vacances à Baucreux. J′ai eu l′occasion de lui écrire là.» Je dis à Morel, pensant l′intéresser, que M. de Norpois était ami de mon père. Mais pas un mouvement de son visage ne témoigna qu′il eût entendu, tant il tenait mes parents pour gens de peu et n′approchant pas de bien loin de ce qu′avait été mon grand-oncle chez qui son père avait été valet de chambre et qui, du reste, contrairement au reste de la famille, aimant assez «faire des embarras», avait laissé un souvenir ébloui à ses domestiques. “Ah!” he exclaimed in delight, “now we have a ray, a prism of colour. I offer you my sincerest compliments.” “But it is this gentleman who has earned them,” Albertine replied politely, pointing to myself, for she liked to shew what she had received from me. “It is only women who do not know how to dress that are afraid of colours,” went on M. de Charlus. “A dress may be brilliant without vulgarity and quiet without being dull. Besides, you have not the same reasons as Mme. de Cadignan for wishing to appear detached from life, for that was the idea which she wished to instil into d′Arthez by her grey gown.” Albertine, who was interested in this mute language of clothes, questioned M. de Charlus about the Princesse de Cadignan. “Oh! It is a charming tale,” said the Baron in a dreamy tone. “I know the little garden in which Diane de Cadignan used to stroll with M. d′Espard. It belongs to one of my cousins.” “All this talk about his cousin′s garden,” Brichot murmured to Cottard, “may, like his pedigree, be of some importance to this worthy Baron. But what interest can it have for us who are not privileged to walk in it, do not know the lady, and possess no titles of nobility?” For Brichot had no suspicion that one might be interested in a gown and in a garden as works of art, and that it was in the pages of Balzac that M. de Charlus saw, in his mind′s eye, the garden paths of Mme. de Cadignan. The Baron went on: “But you know her,” he said to me, speaking of this cousin, and, by way of flattering me, addressing himself to me as to a person who, exiled amid the little clan, was to M. de Charlus, if not a citizen of his world, at any rate a visitor to it. “Anyhow you must have seen her at Mme. de Villeparisis′s.” “Is that the Marquise de Villeparisis who owns the chateau at Baucreux?” asked Brichot with a captivated air. “Yes, do you know her?” inquired M. de Charlus dryly. “No, not at all,” replied Brichot, “but our colleague Norpois spends part of his holidays every year at Baucreux. I have had occasion to write to him there.” I told Morel, thinking to interest him, that M. de Norpois was a friend of my father. But not a movement of his features shewed that he had heard me, so little did he think of my parents, so far short did they fall in his estimation of what my great-uncle had been, who had employed Morel′s father as his valet, and, as a matter of fact, being, unlike the rest of the family, fond of not giving trouble, had left a golden memory among his servants.
«Il paraît que Mme de Villeparisis est une femme supérieure; mais je n′ai jamais été admis à en juger par moi-même, non plus, du reste, que mes collègues. Car Norpois, qui est d′ailleurs plein de courtoisie et d′affabilité à l′Institut, n′a présenté aucun de nous à la marquise. Je ne sais de reçu par elle que notre ami Thureau-Dangin, qui avait avec elle d′anciennes relations de famille, et aussi Gaston Boissier, qu′elle a désiré connaître à la suite d′une étude qui l′intéressait tout particulièrement. Il y a dîné une fois et est revenu sous le charme. Encore Mme Boissier n′a-t-elle pas été invitée.» A ces noms, Morel sourit d′attendrissement: «Ah! Thureau-Dangin, me dit-il d′un air aussi intéressé que celui qu′il avait montré en entendant parler du marquis de Norpois et de mon père était resté indifférent. Thureau-Dangin, c′était une paire d′amis avec votre oncle. Quand une dame voulait une place de centre pour une réception à l′Académie, votre oncle disait: «J′écrirai à Thureau-Dangin.» Et naturellement la place était aussitôt envoyée, car vous comprenez bien que M. Thureau-Dangin ne se serait pas risqué de rien refuser à votre oncle, qui l′aurait repincé au tournant. Cela m′amuse aussi d′entendre le nom de Boissier, car c′était là que votre grand-oncle faisait faire toutes ses emplettes pour les dames au moment du jour de l′an. Je le sais, car je connais la personne qui était chargée de la commission.» Il faisait plus que la connaître, c′était son père. Certaines de ces allusions affectueuses de Morel à la mémoire de mon oncle touchaient à ce que nous ne comptions pas rester toujours dans l′Hôtel de Guermantes, où nous n′étions venus loger qu′à cause de ma grand′mère. On parlait quelquefois d′un déménagement possible. Or, pour comprendre les conseils que me donnait à cet égard Charles Morel, il faut savoir qu′autrefois mon grand-oncle demeurait 40 bis boulevard Malesherbes. Il en était résulté que, dans la famille, comme nous allions beaucoup chez mon oncle Adolphe jusqu′au jour fatal où je brouillai mes parents avec lui en racontant l′histoire de la dame en rose, au lieu de dire «chez votre oncle», on disait «au 40 bis». Des cousines de maman lui disaient le plus naturellement du monde: «Ah! dimanche on ne peut pas vous avoir, vous dînez au 40 bis.» Si j′allais voir une parente, on me recommandait d′aller d′abord «au 40 bis», afin que mon oncle ne pût être froissé qu′on n′eût commencé par lui. Il était propriétaire de la maison et se montrait, à vrai dire, très difficile sur le choix des locataires, qui étaient tous des amis, ou le devenaient. Le colonel baron de Vatry venait tous les jours fumer un cigare avec lui pour obtenir plus facilement des réparations. La porte cochère était toujours fermée. Si à une fenêtre mon oncle apercevait un linge, un tapis, il entrait en fureur et les faisait retirer plus rapidement qu′aujourd′hui les agents de police. Mais enfin il n′en louait pas moins une partie de la maison, n′ayant pour lui que deux étages et les écuries. Malgré cela, sachant lui faire plaisir en vantant le bon entretien de la maison, on célébrait le confort du «petit hôtel» comme si mon oncle en avait été le seul occupant, et il laissait dire, sans opposer le démenti formel qu′il aurait dû. Le «petit hôtel» était assurément confortable (mon oncle y introduisant toutes les inventions de l′époque). Mais il n′avait rien d′extraordinaire. Seul mon oncle, tout en disant, avec une modestie fausse, mon petit taudis, était persuadé, ou en tout cas avait inculqué à son valet de chambre, à la femme de celui-ci, au cocher, à la cuisinière l′idée que rien n′existait à Paris qui, pour le confort, le luxe et l′agrément, fût comparable au petit hôtel. Charles Morel avait grandi dans cette foi. Il y était resté. Aussi, même les jours où il ne causait pas avec moi, si dans le train je parlais à quelqu′un de la possibilité d′un déménagement, aussitôt il me souriait et, clignant de l′oeil d′un air entendu, me disait: «Ah! ce qu′il vous faudrait, c′est quelque chose dans le genre du 40bis! C′est là que vous seriez bien! On peut dire que votre oncle s′y entendait. Je suis bien sûr que dans tout Paris il n′existe rien qui vaille le 40 bis “It appears that Mme. de Villeparisis is a superior woman; but I have never been allowed to judge of that for myself, nor for that matter have any of my colleagues. For Norpois, who is the soul of courtesy and affability at the Institute, has never introduced any of us to the Marquise. I know of no one who has been received by her except our friend Thureau-Dangin, who had an old family connexion with her, and also Gaston Boissier, whom she was anxious to meet because of an essay which interested her especially. He dined with her once and came back quite enthralled by her charm. Mme. Boissier, however, was not invited.” At the sound of these names, Morel melted in a smile. “Ah! Thureau-Dangin,” he said to me with an air of interest as great as had been his indifference when he heard me speak of the Marquis de Norpois and my father. “Thureau-Dangin; why, he and your uncle were as thick as thieves. Whenever a lady wanted a front seat for a reception at the Academy, your uncle would say: ‘I shall write to Thureau-Dangin.′ And of course he got the ticket at once, for you can understand that M. Thureau-Dangin would never have dared to refuse anything to your uncle, who would have been certain to pay him out for it afterwards if he had. I can′t help smiling, either, when I hear the name Boissier, for that was where your uncle ordered all the presents he used to give the ladies at the New Year. I know all about it, because I knew the person he used to send for them.” He had not only known him, the person was his father. Some of these affectionate allusions by Morel to my uncle′s memory were prompted by the fact that we did not intend to remain permanently in the Hôtel de Guermantes, where we had taken an apartment only on account of my grandmother. Now and again there would be talk of a possible move. Now, to understand the advice that Charlie Morel gave me in this connexion, the reader must know that my great-uncle had lived, in his day, at 40bis Boulevard Malesherbes. The consequence was that, in the family, as we were in the habit of frequently visiting my uncle Adolphe until the fatal day when I made a breach between my parents and him by telling them the story of the lady in pink, instead of saying ‘at your uncle′s′ we used to say ‘at 40bis.′ If I were going to call upon some kinswoman, I would be warned to go first of all ‘to 40bis,′ in order that my uncle might not be offended by my not having begun my round with him. He was the owner of the house and was, I must say, very particular as to the choice of his tenants, all of whom either were or became his personal friends. Colonel the Baron de Vatry used to look in every day and smoke a cigar with him in the hope of making him consent to pay for repairs. The carriage entrance was always kept shut. If my uncle caught sight of a cloth or a rug hanging from one of the windowsills he would dash into the room and have it removed in less time than the police would take to do so nowadays. All the same, he did let part of the house, reserving for himself only two floors and the stables. In spite of this, knowing that he was pleased when people praised the house, we used always to talk of the comfort of the ‘little mansion′ as though my uncle had been its sole occupant, and he allowed us to speak, without uttering the formal contradiction that might have been expected. The ‘little mansion′ was certainly comfortable (my uncle having installed in it all the most recent inventions). But there was nothing extraordinary about it. Only, my uncle, while saying with a false modesty ‘my little hovel,′ was convinced, or in any case had instilled into his valet, the latter′s wife, the coachman, the cook, the idea that there was no place in Paris to compare, for comfort, luxury, and general attractiveness, with the little mansion. Charles Morel had grown up in this belief. Nor had he outgrown it. And so, even on days when he was not talking to me, if in the train I mentioned to anyone else the possibility of our moving, at once he would smile at me and, with a wink of connivance, say: “Ah! What you want is something in the style of 40bis! That′s a place that would suit you down to the ground! Your uncle knew what he was about. I am quite sure that in the whole of Paris there′s nothing to compare with 40bis.”
A l′air mélancolique qu′avait pris, en parlant de la princesse de Cadignan, M. de Charlus, j′avais bien senti que cette nouvelle ne le faisait pas penser qu′au petit jardin d′une cousine assez indifférente. Il tomba dans une songerie profonde, et comme se parlant à soi-même: «Les Secrets de la princesse de Cadignan! s′écria-t-il, quel chef-d′oeuvre! comme c′est profond, comme c′est douloureux, cette mauvaise réputation de Diane qui craint tant que l′homme qu′elle aime ne l′apprenne! Quelle vérité éternelle, et plus générale que cela n′en a l′air! comme cela va loin!» M. de Charlus prononça ces mots avec une tristesse qu′on sentait pourtant qu′il ne trouvait pas sans charme. Certes M. de Charlus, ne sachant pas au juste dans quelle mesure ses moeurs étaient ou non connues, tremblait, depuis quelque temps, qu′une fois qu′il serait revenu à Paris et qu′on le verrait avec Morel, la famille de celui-ci n′intervînt et qu′ainsi son bonheur fût compromis. Cette éventualité ne lui était probablement apparue jusqu′ici que comme quelque chose de profondément désagréable et pénible. Mais le baron était fort artiste. Et maintenant que depuis un instant il confondait sa situation avec celle décrite par Balzac, il se réfugiait en quelque sorte dans la nouvelle, et à l′infortune qui le menaçait peut-être, et ne laissait pas en tout cas de l′effrayer, il avait cette consolation de trouver, dans sa propre anxiété, ce que Swann et aussi Saint-Loup eussent appelé quelque chose de «très balzacien». Cette identification à la princesse de Cadignan avait été rendue facile pour M. de Charlus grâce à la transposition mentale qui lui devenait habituelle et dont il avait déjà donné divers exemples. Elle suffisait, d′ailleurs, pour que le seul remplacement de la femme, comme objet aimé, par un jeune homme, déclanchât aussitôt autour de celui-ci tout le processus de complications sociales qui se développent autour d′une liaison ordinaire. Quand, pour une raison quelconque, on introduit une fois pour toutes un changement dans le calendrier, ou dans les horaires, si on fait commencer l′année quelques semaines plus tard, ou si l′on fait sonner minuit un quart d′heure plus tôt, comme les journées auront tout de même vingt-quatre heures et les mois trente jours, tout ce qui découle de la mesure du temps restera identique. Tout peut avoir été changé sans amener aucun trouble, puisque les rapports entre les chiffres sont toujours pareils. Ainsi des vies qui adoptent «l′heure de l′Europe Centrale» ou les calendriers orientaux. Il semble même que l′amour-propre qu′on a à entretenir une actrice jouât un rôle dans cette liaison-ci. Quand, dès le premier jour, M. de Charlus s′était enquis de ce qu′était Morel, certes il avait appris qu′il était d′une humble extraction, mais une demi-mondaine que nous aimons ne perd pas pour nous de son prestige parce qu′elle est la fille de pauvres gens. En revanche, les musiciens connus à qui il avait fait écrire -- même pas par intérêt, comme les amis qui, en présentant Swann à Odette, la lui avaient dépeinte comme plus difficile et plus recherchée qu′elle n′était -- par simple banalité d′hommes en vue surfaisant un débutant, avaient répondu au baron: «Ah! grand talent, grosse situation, étant donné naturellement qu′il est un jeune, très apprécié des connaisseurs, fera son chemin.» Et par la manie des gens qui ignorent l′inversion à parler de la beauté masculine: «Et puis, il est joli à voir jouer; il fait mieux que personne dans un concert; il a de jolis cheveux, des poses distinguées; la tête est ravissante, et il a l′air d′un violoniste de portrait.» Aussi M. de Charlus, surexcité d′ailleurs par Morel, qui ne lui laissait pas ignorer de combien de propositions il était l′objet, était-il flatté de le ramener avec lui, de lui construire un pigeonnier où il revînt souvent. Car le reste du temps il le voulait libre, ce qui était rendu nécessaire par sa carrière que M. de Charlus désirait, tant d′argent qu′il dût lui donner, que Morel continuât, soit à cause de cette idée très Guermantes qu′il faut qu′un homme fasse quelque chose, qu′on ne vaut que par son talent, et que la noblesse ou l′argent sont simplement le zéro qui multiplie une valeur, soit qu′il eût peur qu′oisif et toujours auprès de lui le violoniste s′ennuyât. Enfin il ne voulait pas se priver du plaisir qu′il avait, lors de certains grands concerts, à se dire: «Celui qu′on acclame en ce moment sera chez moi cette nuit.» Les gens élégants, quand ils sont amoureux, et de quelque façon qu′ils le soient, mettent leur vanité à ce qui peut détruire les avantages antérieurs où leur vanité eût trouvé satisfaction.   The melancholy air which M. de Charlus had assumed in speaking of the Princesse de Cadignan left me in no doubt that the tale in question had not reminded him only of the little garden of a cousin-to whom he was not particularly attached. He became lost in meditation, and, as though he were talking to himself: “The secrets of the Princesse de Cadignan!” he exclaimed, “What a masterpiece! How profound, how heartrending the evil reputation of Diane, who is afraid that the man she loves may hear of it. What an eternal truth, and more universal than might appear, how far it extends!” He uttered these words with a sadness in which nevertheless one felt that he found a certain charm. Certainly M. de Charlus, unaware to what extent precisely his habits were or were not known, had been trembling for some time past at the thought that when he returned to Paris and was seen there in Morel′s company, the latter′s family might intervene and so his future happiness be jeopardised. This eventuality had probably not appeared to him hitherto save as something profoundly disagreeable and painful. But the Baron was an artist to his finger tips. And now that he had begun to identify his own position with that described by Balzac, he took refuge, in a sense, in the tale, and for the calamity which was perhaps in store for him and did not in any case cease to alarm him, he had the consolation of finding in his own anxiety what Swann and also Saint-Loup would have called something ‘quite Balzacian.′ This identification of himself with the Princesse de Cadignan had been made easy for M. de Charlus by virtue of the mental transposition which was becoming habitual with him and of which he had already furnished several examples. It was enough in itself, moreover, to make the mere conversion of a woman, as the beloved object, into a young man immediately set in motion about him the whole sequence of social complications which develop round a normal love affair. When, for any reason, we introduce once and for all time a change in the calendar, or in the daily time-table, if we make the year begin a few weeks later, or if we make midnight strike a quarter of an hour earlier, as the days will still consist of twenty-four hours and the months of thirty days, everything that depends upon the measure of time will remain unaltered. Everything may have been changed without causing any disturbance, since the ratio of the figures is still the same. So it is with lives which adopt Central European time, or the Eastern calendar. It seems even that the gratification a man derives from keeping an actress played a part in these relations. When, after their first meeting, M. de Charlus had made inquiries as to Morel′s actual position, he must certainly have learned that he was of humble extraction, but a girl with whom we are in love does not forfeit our esteem because she is the child of poor parents. On the other hand, the well known musicians to whom he had addressed his inquiries, had — and not even from any personal motive, unlike the friends who, when introducing Swann to Odette, had described her to him as more difficult and more sought after than she actually was — simply in the stereotyped manner of men in a prominent position overpraising a beginner, answered the Baron: “Ah! Great talent, has made a name for himself, of course he is still quite young, highly esteemed by the experts, will go far.” And, with the mania which leads people who are innocent of inversion to speak of masculine beauty: “Besides, it is charming to watch him play; he looks better than anyone at a concert; he has lovely hair, holds himself so well; his head is exquisite, he reminds one of a violinist in a picture.” And so M. de Charlus, raised to a pitch of excitement moreover by Morel himself, who did not fail to let him know how many offers had been addressed to him, was flattered by the prospect of taking him home with him, of making a little nest for him to which he would often return. For during the rest of the time he wished him to enjoy his freedom, which was necessary to his career, which M. de Charlus meant him, however much money he might feel bound to give him, to continue, either because of the thoroughly ‘Guermantes′ idea that a man ought to do something, that he acquires merit only by his talent, and that nobility or money is simply the additional cypher that multiplies a figure, or because he was afraid lest, having nothing to do and remaining perpetually in his company, the violinist might grow bored. Moreover he did not wish to deprive himself of the pleasure which he found, at certain important concerts, in saying to himself: “The person they are applauding at this moment is coming home with me to-night.” Fashionable people, when they are in love and whatever the nature of their love, apply their vanity to anything that may destroy the anterior advantages from which their vanity would have derived satisfaction.
Morel me sentant sans méchanceté pour lui, sincèrement attaché à M. de Charlus, et d′autre part d′une indifférence physique absolue à l′égard de tous les deux, finit par manifester à mon endroit les mêmes sentiments de chaleureuse sympathie qu′une cocotte qui sait qu′on ne la désire pas et que son amant a en vous un ami sincère qui ne cherchera pas à le brouiller avec elle. Non seulement il me parlait exactement comme autrefois Rachel, la maîtresse de Saint-Loup, mais encore, d′après ce que me répétait M. de Charlus, lui disait de moi, en mon absence, les mêmes choses que Rachel disait de moi à Robert. Enfin M. de Charlus me disait: «Il vous aime beaucoup», comme Robert: «Elle t′aime beaucoup.» Et comme le neveu de la part de sa maîtresse, c′est de la part de Morel que l′oncle me demandait souvent de venir dîner avec eux. Il n′y avait, d′ailleurs, pas moins d′orages entre eux qu′entre Robert et Rachel. Certes, quand Charlie (Morel) était parti, M. de Charlus ne tarissait pas d′éloges sur lui, répétant, ce dont il était flatté, que le violoniste était si bon pour lui. Mais il était pourtant visible que souvent Charlie, même devant tous les fidèles, avait l′air irrité au lieu de paraître toujours heureux et soumis, comme eût souhaité le baron. Cette irritation alla même plus tard, par suite de la faiblesse qui poussait M. de Charlus à pardonner ses inconvenances d′attitude à Morel, jusqu′au point que le violoniste ne cherchait pas à la cacher, ou même l′affectait. J′ai vu M. de Charlus, entrant dans un wagon où Charlie était avec des militaires de ses amis, accueilli par des haussements d′épaules du musicien, accompagnés d′un clignement d′yeux à ses camarades. Ou bien il faisait semblant de dormir, comme quelqu′un que cette arrivée excède d′ennui. Ou il se mettait à tousser, les autres riaient, affectaient, pour se moquer, le parler mièvre des hommes pareils à M. de Charlus; attiraient dans un coin Charlie qui finissait par revenir, comme forcé, auprès de M. de Charlus, dont le coeur était percé par tous ces traits. Il est inconcevable qu′il les ait supportés; et ces formes, chaque fois différentes, de souffrance posaient à nouveau pour M. de Charlus le problème du bonheur, le forçaient non seulement à demander davantage, mais à désirer autre chose, la précédente combinaison se trouvant viciée par un affreux souvenir. Et pourtant, si pénibles que furent ensuite ces scènes, il faut reconnaître que, les premiers temps, le génie de l′homme du peuple de France dessinait pour Morel, lui faisait revêtir des formes charmantes de simplicité, de franchise apparente, même d′une indépendante fierté qui semblait inspirée par le désintéressement. Cela était faux, mais l′avantage de l′attitude était d′autant plus en faveur de Morel que, tandis que celui qui aime est toujours forcé de revenir à la charge, d′enchérir, il est au contraire aisé pour celui qui n′aime pas de suivre une ligne droite, inflexible et gracieuse. Elle existait de par le privilège de la race dans le visage si ouvert de ce Morel au coeur si fermé, ce visage paré de la grâce néo-hellénique qui fleurit aux basiliques champenoises. Malgré sa fierté factice, souvent, apercevant M. de Charlus au moment où il ne s′y attendait pas, il était gêné pour le petit clan, rougissait, baissait les yeux, au ravissement du baron qui voyait là tout un roman. C′était simplement un signe d′irritation et de honte. La première s′exprimait parfois; car, si calme et énergiquement décente que fût habituellement l′attitude de Morel, elle n′allait pas sans se démentir souvent. Parfois même, à quelque mot que lui disait le baron éclatait, de la part de Morel, sur un ton dur, une réplique insolente dont tout le monde était choqué. M. de Charlus baissait la tête d′un air triste, ne répondait rien, et, avec la faculté de croire que rien n′a été remarqué de la froideur, de la dureté de leurs enfants qu′ont les pères idolâtres, n′en continuait pas moins à chanter les louanges du violoniste. M. de Charlus n′était d′ailleurs pas toujours aussi soumis, mais ses rébellions n′atteignaient généralement pas leur but, surtout parce qu′ayant vécu avec des gens du monde, dans le calcul des réactions qu′il pouvait éveiller il tenait compte de la bassesse, sinon originelle, du moins acquise par l′éducation. Or, à la place, il rencontrait chez Morel quelque velléité plébéienne d′indifférence momentanée. Malheureusement pour M. de Charlus, il ne comprenait pas que, pour Morel, tout cédait devant les questions où le Conservatoire et la bonne réputation au Conservatoire (mais ceci, qui devait être plus grave, ne se posait pas pour le moment) entraient en jeu. Ainsi, par exemple, les bourgeois changent aisément de nom par vanité, les grands seigneurs par avantage. Pour le jeune violoniste, au contraire, le nom de Morel était indissolublement lié à son Ier prix de violon, donc impossible à modifier. M. de Charlus aurait voulu que Morel tînt tout de lui, même son nom. S′étant avisé que le prénom de Morel était Charles, qui ressemblait à Charlus, et que la propriété où ils se voyaient s′appelait les Charmes, il voulut persuader à Morel qu′un joli nom agréable à dire étant la moitié d′une réputation artistique, le virtuose devait sans hésiter prendre le nom de «Charmel», allusion discrète au lieu de leurs rendez-vous. Morel haussa les épaules. En dernier argument M. de Charlus eut la malheureuse idée d′ajouter qu′il avait un valet de chambre qui s′appelait ainsi. Il ne fit qu′exciter la furieuse indignation du jeune homme. «Il y eut un temps où mes ancêtres étaient fiers du titre de valet de chambre, de maîtres d′hôtel du Roi. -- Il y en eut un autre, répondit fièrement Morel, où mes ancêtres firent couper le cou aux vôtres.» M. de Charlus eût été bien étonné s′il eût pu supposer que, à défaut de «Charmel», résigné à adopter Morel et à lui donner un des titres de la famille de Guermantes desquels il disposait, mais que les circonstances, comme on le verra, ne lui permirent pas d′offrir au violoniste, celui-ci eût refusé en pensant à la réputation artistique attachée à son nom de Morel et aux commentaires qu′on eût faits à «la classe». Tant au-dessus du faubourg Saint-Germain il plaçait la rue Bergère. Force fut à M. de Charlus de se contenter, pour l′instant, de faire faire à Morel des bagues symboliques portant l′antique inscription: PLVS VLTRA CAROLVS. Certes, devant, un adversaire d′une sorte qu′il ne connaissait pas, M. de Charlus aurait dû changer de tactique. Mais qui en est capable? Du reste, si M. de Charlus avait des maladresses, il n′en manquait pas non plus à Morel. Bien plus que la circonstance même qui amena la rupture, ce qui devait, au moins provisoirement (mais ce provisoire se trouva être définitif), le perdre, auprès de M. de Charlus, c′est qu′il n′y avait pas en lui que la bassesse qui le faisait être plat devant la dureté et répondre par l′insolence à la douceur. Parallèlement à cette bassesse de nature, il y avait une neurasthénie compliquée de mauvaise éducation, qui, s′éveillant dans toute circonstance où il était en faute ou devenait à charge, faisait qu′au moment même où il aurait eu besoin de toute sa gentillesse, de toute sa douceur, de toute sa gaieté pour désarmer le baron, il devenait sombre, hargneux, cherchait à entamer des discussions où il savait qu′on n′était pas d′accord avec lui, soutenait son point de vue hostile avec une faiblesse de raisons et une violence tranchante qui augmentait cette faiblesse même. Car, bien vite à court d′arguments, il en inventait quand même, dans lesquels se déployait toute l′étendue de son ignorance et de sa bêtise. Elles perçaient à peine quand il était aimable et ne cherchait qu′à plaire. Au contraire, on ne voyait plus qu′elles dans ses accès d′humeur sombre, où d′inoffensives elles devenaient haî²³ables. Alors M. de Charlus se sentait excédé, ne mettait son espoir que dans un lendemain meilleur, tandis que Morel, oubliant que le baron le faisait vivre fastueusement, avec un sourire ironique de pitié supérieure, et disait: «Je n′ai jamais rien accepté de personne. Comme cela je n′ai personne à qui je doive un seul merci.»   Morel, feeling that I bore him no malice, being sincerely attached to M. de Charlus, and at the same time absolutely indifferent physically to both of us, ended by treating me with the same display of warm friendship as a courtesan who knows that you do not desire her and that her lover has a sincere friend in you who will not attempt to part him from her. Not only did he speak to me exactly as Rachel, Saint-Loup′s mistress, had spoken to me long ago, but what was more, to judge by what M. de Charlus reported to me, he used to say to him about me in my absence the same things that Rachel had said about me to Robert. In fact M. de Charlus said to me: “He likes you so much,” as Robert had said: “She likes you so much.” And just as the nephew on behalf of his mistress, so it was on Morel′s behalf that the uncle often invited me to come and dine with them. There were, for that matter, just as many storms between them as there had been between Robert and Rachel. To be sure, after Charlie (Morel) had left us, M. de Charlus would sing his praises without ceasing, repeating — the thought of it was flattering to him — that the violinist was so good to him. But it was evident nevertheless that often Charlie, even in front of all the faithful, wore an irritated expression, instead of always appearing happy and submissive as the Baron would have wished. This irritation became so violent in course of time, owing to the weakness which led M. de Charlus to forgive Morel his want of politeness, that the violinist made no attempt to conceal, if he did not even deliberately assume it. I have seen M. de Charlus, on entering a railway carriage in which Morel was sitting with some of his soldier friends, greeted with a shrug of the musician′s shoulders, accompanied by a wink in the direction of his comrades. Or else he would pretend to be asleep, as though this incursion bored him beyond words. Or he would begin to cough, and the others would laugh, derisively mimicking the affected speech of men like M. de Charlus; would draw Charlie into a corner, from which he would return, as though under compulsion, to sit by M. de Charlus, whose heart was pierced by all these cruelties. It is inconceivable how he can have put up with them; and these ever varied forms of suffering set the problem of happiness in fresh terms for M. de Charlus, compelled him not only to demand more, but to desire something else, the previous combination being vitiated by a horrible memory. And yet, painful as these scenes came to be, it must be admitted that at first the genius of the humble son of France traced for Morel, made him assume charming forms of simplicity, of apparent frankness, even of an independent pride which seemed to be inspired by disinterestedness. This was not the case, but the advantage of this attitude was all the more on Morel′s side since, whereas the person who is in love is continually forced to return to the charge, to increase his efforts, it is on the other hand easy for him who is not in love to proceed along a straight line, inflexible and graceful. It existed by virtue of the privilege of the race in the face — so open — of this Morel whose heart was so tightly shut, that face imbued with the neo-Hellenic grace which blooms in the basilicas of Champagne. Notwithstanding his affectation of pride, often when he caught sight of M. de Charlus at a moment when he was not expecting to see him, he would be embarrassed by the presence of the little clan, would blush, lower his eyes, to the delight of the Baron, who saw in this an entire romance. It was simply a sign of irritation and shame. The former sometimes found expression; for, calm and emphatically decent as Morel′s attitude generally was, it was not without frequent contradictions. Sometimes, indeed, at something which the Baron said to him, Morel would come out, in the harshest tone, with an insolent retort which shocked everybody. M. de Charlus would lower his head with a sorrowful air, make no reply, and with that faculty which doting fathers possess of believing that the coldness, the rudeness of their children has passed unnoticed, would continue undeterred to sing the violinist′s praises. M. de Charlus was not, indeed, always so submissive, but as a rule his attempts at rebellion proved abortive, principally because, having lived among people in society, in calculating the reactions that he might provoke he made allowance for the baser instincts, whether original or acquired. Now, instead of these, he encountered in Morel a plebeian tendency to spells of indifference. Unfortunately for M. de Charlus, he did not understand that, with Morel, everything else must give place when the Conservatoire (and the good reputation of the Conservatoire, but with this, which was to be a more serious matter, we are not at present concerned) was in question. Thus, for instance, people of the middle class will readily change their surnames out of vanity, noblemen for personal advantage. To the young violinist, on the contrary, the name Morel was inseparably linked with his first prize for the violin, and so impossible to alter. M. de Charlus would have liked Morel to take everything from himself, including a name. Going upon the facts that Morel′s other name was Charles, which resembled Charlus, and that the place where they were in the habit of meeting was called les Charmes, he sought to persuade Morel that, a pleasant name, easy to pronounce, being half the battle for artistic fame, the virtuoso ought without hesitation to take the name Charmel, a discreet allusion to the scene of their intimacy. Morel shrugged his shoulders. As a conclusive argument, M. de Charlus was unfortunately inspired to add that he had a footman of that name. He succeeded only in arousing the furious indignation of the young man. “There was a time when my ancestors were proud of the title of groom, of butler to the King.” “There was also a time,” replied Morel haughtily, “when my ancestors cut off your ancestors′ heads.” M. de Charlus would have been greatly surprised had he been told that even if, abandoning the idea of ‘Channel,′ he made up his mind to adopt Morel and to confer upon him one of the titles of the Guermantes family which were at his disposal but which circumstances, as we shall see, did not permit him to offer the violinist, the other would decline, thinking of the artistic reputation attached to the name Morel, and of the things that would be said about him in ‘the class.′ So far above the Faubourg Saint-Germain did he place the Rue Bergère. And so M. de Charlus was obliged to content himself with having symbolical rings made for Morel, bearing the antique device: PLVS VLTRA CAR′LVS. Certainly, in the face of an adversary of a sort with which he was unfamiliar, M. de Charlus ought to have changed his tactics. But which of us is capable of that? Moreover, if M. de Charlus made blunders, Morel was not guiltless of them either. Far more than the actual circumstance which brought about the rupture between them, what was destined, provisionally, at least (but this provisional turned out to be final), to ruin him with M. de Charlus was that his nature included not only the baseness which made him lie down under harsh treatment and respond with insolence to kindness. Running parallel to this innate baseness, there was in him a complicated neurasthenia of ill breeding, which, roused to activity on every occasion when he was in the wrong or was becoming a nuisance, meant that at the very moment when he had need of all his politeness, gentleness, gaiety, to disarm the Baron, he became sombre, petulant, tried to provoke discussions on matters where he knew that the other did not agree with him, maintained his own hostile attitude with a weakness of argument and a slashing violence which enhanced that weakness. For, very soon running short of arguments, he invented fresh ones as he went along, in which he displayed the full extent of his ignorance and folly. These were barely noticeable when he was in a friendly mood and sought only to please. On the contrary, nothing else was visible in his fits of sombre humour, when, from being inoffensive, they became odious. Whereupon M. de Charlus felt that he could endure no more, that his only hope lay in a brighter morrow, while Morel, forgetting that the Baron was enabling him to live in the lap of luxury, gave an ironical smile, of condescending pity, and said: “I have never taken anything from anybody. Which means that there is nobody to whom I owe a word of thanks.”
En attendant, et comme s′il eût eu affaire à un homme du monde, M. de Charlus continuait à exercer ses colères, vraies ou feintes, mais devenues inutiles. Elles ne l′étaient pas toujours cependant. Ainsi, un jour (qui se place d′ailleurs après cette première période) où le baron revenait avec Charlie et moi d′un déjeuner chez les Verdurin, croyant passer la fin de l′après-midi et la soirée avec le violoniste à Doncières, l′adieu de celui-ci, dès au sortir du train, qui répondit: «Non, j′ai à faire», causa à M. de Charlus une déception si forte que, bien qu′il eût essayé de faire contre mauvaise fortune bon coeur, je vis des larmes faire fondre le fard de ses cils, tandis qu′il restait hébété devant le train. Cette douleur fut telle que, comme nous comptions, elle et moi, finir la journée à Doncières, je dis à Albertine, à l′oreille, que je voudrais bien que nous ne laissions pas seul M. de Charlus qui me semblait, je ne savais pourquoi, chagriné. La chère petite accepta de grand coeur. Je demandai alors à M. de Charlus s′il ne voulait pas que je l′accompagnasse un peu. Lui aussi accepta, mais refusa de déranger pour cela ma cousine. Je trouvai une certaine douceur (et sans doute pour une dernière fois, puisque j′étais résolu de rompre avec elle) à lui ordonner doucement, comme si elle avait été ma femme: «Rentre de ton côté, je te retrouverai ce soir», et à l′entendre, comme une épouse aurait fait, me donner la permission de faire comme je voudrais, et m′approuver, si M. de Charlus, qu′elle aimait bien, avait besoin de moi, de me mettre à sa disposition. Nous allâmes, le baron et moi, lui dandinant son gros corps, ses yeux de jésuite baissés, moi le suivant, jusqu′à un café où on nous apporta de la bière. Je sentis les yeux de M. de Charlus attachés par l′inquiétude à quelque projet. Tout à coup il demanda du papier et de l′encre et se mit à écrire avec une vitesse singulière. Pendant qu′il couvrait feuille après feuille, ses yeux étincelaient d′une rêverie rageuse. Quand il eut écrit huit pages: «Puis-je vous demander un grand service? me dit-il. Excusez-moi de fermer ce mot. Mais il le faut. Vous allez prendre une voiture, une auto si vous pouvez, pour aller plus vite. Vous trouverez certainement encore Morel dans sa chambre, où il est allé se changer. Pauvre garçon, il a voulu faire le fendant au moment de nous quitter, mais soyez sûr qu′il a le coeur plus gros que moi. Vous allez lui donner ce mot et, s′il vous demande où vous m′avez vu, vous lui direz que vous vous étiez arrêté à Doncières (ce qui est, du reste, la vérité) pour voir Robert, ce qui ne l′est peut-être pas, mais que vous m′avez rencontré avec quelqu′un que vous ne connaissez pas, que j′avais l′air très en colère, que vous avez cru surprendre les mots d′envoi de témoins (je me bats demain, en effet). Surtout ne lui dites pas que je le demande, ne cherchez pas à le ramener, mais s′il veut venir avec vous, ne l′empêchez pas de le faire. Allez, mon enfant, c′est pour son bien, vous pouvez éviter un gros drame. Pendant que vous serez parti, je vais écrire à mes témoins. Je vous ai empêché de vous promener avec votre cousine. J′espère qu′elle ne m′en aura pas voulu, et même je le crois. Car c′est une âme noble et je sais qu′elle est de celles qui savent ne pas refuser la grandeur des circonstances. Il faudra que vous la remerciiez pour moi. Je lui suis personnellement redevable et il me plaît que ce soit ainsi.» J′avais grand′pitié de M. de Charlus; il me semblait que Charlie aurait pu empêcher ce duel, dont il était peut-être la cause, et j′étais révolté, si cela était ainsi, qu′il fût parti avec cette indifférence au lieu d′assister son protecteur. Mon indignation fut plus grande quand, en arrivant à la maison où logeait Morel, je reconnus la voix du violoniste, lequel, par le besoin qu′il avait d′épandre de la gaîté, chantait de tout coeur: «Le samedi soir, après le turrbin!» Si le pauvre M. de Charlus l′avait entendu, lui qui voulait qu′on crût, et croyait sans doute, que Morel avait en ce moment le coeur gros! Charlie se mit à danser de plaisir en m′apercevant. «Oh! mon vieux (pardonnez-moi de vous appeler ainsi, avec cette sacrée vie militaire on prend de sales habitudes), quelle veine de vous voir! Je n′ai rien à faire de ma soirée. Je vous en prie, passons-la ensemble. On restera ici si ça vous plaît, on ira en canot si vous aimez mieux, on fera de la musique, je n′ai aucune préférence.» Je lui dis que j′étais obligé de dîner à Balbec, il avait bonne envie que je l′y invitasse, mais je ne le voulais pas. «Mais si vous êtes si pressé, pourquoi êtes-vous venu? -- Je vous apporte un mot de M. de Charlus.» A ce moment toute sa gaîté disparut; sa figure se contracta. «Comment! il faut qu′il vienne me relancer jusqu′ici! Alors je suis un esclave! Mon vieux, soyez gentil. Je n′ouvre pas la lettre. Vous lui direz que vous ne m′avez pas trouvé. -- Ne feriez-vous pas mieux d′ouvrir? je me figure qu′il y a quelque chose de grave. -- Cent fois non, vous ne connaissez pas les mensonges, les ruses infernales de ce vieux forban. C′est un truc pour que j′aille le voir. Hé bien! je n′irai pas, je veux la paix ce soir. -- Mais est-ce qu′il n′y a pas un duel demain? demandai-je à Morel, que je supposais aussi au courant. -- Un duel? me dit-il d′un air stupéfait. Je ne sais pas un mot de ça. Après tout, je m′en fous, ce vieux dégoûtant peut bien se faire zigouiller si ça lui plaît. Mais tenez, vous m′intriguez, je vais tout de même voir sa lettre. Vous lui direz que vous l′avez laissée à tout hasard pour le cas où je rentrerais.» Tandis que Morel me parlait, je regardais avec stupéfaction les admirables livres que lui avait donnés M. de Charlus et qui encombraient la chambre. Le violoniste ayant refusé ceux qui portaient: «Je suis au baron, etc . . . » devise qui lui semblait insultante pour lui-même comme un signe d′appartenance, le baron, avec l′ingéniosité sentimentale où se complaît l′amour malheureux, en avait varié d′autres, provenant d′ancêtres, mais commandées au relieur selon les circonstances d′une mélancolique amitié. Quelquefois elles étaient brèves et confiantes, comme «Spes mea», ou comme «Exspectata non eludet». Quelquefois seulement résignées, comme «J′attendrai». Certaines galantes: «Mesmes plaisir du mestre», ou conseillant la chasteté, comme celle empruntée aux Simiane, semée de tours d′azur et de fleurs de lis et détournée de son sens: «Sustentant lilia turres». D′autres enfin désespérées et donnant rendez-vous au ciel à celui qui n′avait pas voulu de lui sur la terre: «Manet ultima coelo», et, trouvant trop verte la grappe qu′il ne pouvait atteindre, feignant de n′avoir pas recherché ce qu′il n′avait pas obtenu, M. de Charlus disait dans l′une: «Non mortale quod opto». Mais je n′eus pas le temps de les voir toutes.   In the meantime, and as though he had been dealing with a man of the world, M. de Charlus continued to give vent to his rage, whether genuine or feigned, but in either case ineffective. It was not always so, however. Thus one day (which must be placed, as a matter of fact, subsequent to this initial period) when the Baron was returning with Charlie and myself from a luncheon party at the Verdurins′, and expecting to spend the rest of the afternoon and the evening with the violinist at Doncières, the latter′s dismissal of him, as soon as we left the train, with: “No, I′ve an engagement,” caused M. de Charlus so keen a disappointment, that in spite of all his attempts to meet adversity with a brave face, I saw the tears trickling down and melting the paint beneath his eyes, as he stood helpless by the carriage door. Such was his grief that, since we intended, Albertine and I, to spend the rest of the day at Doncières, I whispered to her that I would prefer that we did not leave M. de Charlus by himself, as he seemed, I could not say why, to be unhappy. The dear girl readily assented. I then asked M. de Charlus if he would not like me to accompany him for a little. He also assented, but declined to put my ‘cousin′ to any trouble. I found a certain charm (and one, doubtless, not to be repeated, since I had made up my mind to break with her), in saying to her quietly, as though she were my wife: “Go back home by yourself, I shall see you this evening,” and in hearing her, as a wife might, give me permission to do as I thought fit, and authorise me, if M. de Charlus, to whom she was attached, needed my company, to place myself at his disposal. We proceeded, the Baron and I, he waddling obesely, his Jesuitical eyes downcast, and I following him, to a café where we were given beer. I felt M. de Charlus′s eyes turning uneasily towards the execution of some plan. Suddenly he called for paper and ink, and began to write at an astonishing speed. While he covered sheet after sheet, his eyes glittered with furious fancies. When he had written eight pages: “May I ask you to do me a great service?” he said to me. “You will excuse my sealing this note. I am obliged to do so. You will take a carriage, a motor-car if you can find one, to get there as quickly as possible. You are certain to find Morel in his quarters, where he has gone to change his clothes. Poor boy, he tried to bluster a little when we parted, but you may be sure that his heart is fuller than mine. You will give him this note, and, if he asks you where you met me, you will tell him that you stopped at Doncières (which, for that matter, is the truth) to see Robert, which is not quite the truth perhaps, but that you met me with a person whom you do not know, that I seemed to be extremely angry, that you thought you heard something about sending seconds (I am, as a matter of fact, fighting a duel to-morrow). Whatever you do, don′t say that I am asking for him, don′t make any effort to bring him here, but if he wishes to come with you, don′t prevent him from doing so. Go, my boy, it is for his good, you may be the means of averting a great tragedy. While you are away, I am going to write to my seconds. I have prevented you from spending the afternoon with your cousin. I hope that she will bear me no ill will for that, indeed I am sure of it. For hers is a noble soul, and I know that she is one of the people who are strong enough not to resist the greatness of circumstances. You must thank her on my behalf. I am personally indebted to her, and I am glad that it should be so.” I was extremely sorry for M. de Charlus; it seemed to me that Charlie might have prevented this duel, of which he was perhaps the cause, and I was revolted, if that were the case, that he should have gone off with such indifference, instead of staying to help his protector. My indignation was increased when, on reaching the house in which Morel lodged, I recognised the voice of the violinist, who, feeling the need of an outlet for his happiness, was singing boisterously: “Some Sunday morning, when the wedding-bells rrring!” If poor M. de Charlus had heard him, he who wished me to believe, and doubtless believed himself, that Morel′s heart at that moment was full! Charlie began to dance with joy when he caught sight of me. “Hallo, old boy I (excuse me, addressing you like that; in this damned military life, one picks up bad habits) what luck, seeing you. I have nothing to do all evening. Do let′s go somewhere together. We can stay here if you like, or take a boat if you prefer that, or we can have some music, it′s all the same to me.” I told him that I was obliged to dine at Balbec, he seemed anxious that I should invite him to dine there also, but I refrained from doing so. “But if you′re in such a hurry, why have you come here?” “I have brought you a note from M. de Charlus.” At that moment all his gaiety vanished; his face contracted. “What! He can′t leave me alone even here. So I′m a slave, am I? Old boy, be a sport. I′m not going to open his letter. You can tell him that you couldn′t find me.” “Wouldn′t it be better to open it, I fancy it contains something serious.” “No, certainly not, you don′t know all the lies, the infernal tricks that old scoundrel′s up to. It′s a dodge to make me go and see him. Very well! I′m not going, I want to have an evening in peace.” “But isn′t there going to be a duel to-morrow?” I asked Morel, whom I supposed to be equally well informed. “A duel?” he repeated with an air of stupefaction. “I never heard a word about it. After all, it doesn′t matter a damn to me, the dirty old beast can go and get plugged in the guts if he likes. But wait a minute, this is interesting, I′m going to look at his letter after all. You can tell him that you left it here for me, in case I should come in.” While Morel was speaking to me, I was looking with amazement at the beautiful books which M. de Charlus had given him, and which littered his room. The violinist having refused to accept those labelled: “I belong to the Baron” etc., a device which he felt to be insulting to himself, as a mark of vassalage, the Baron, with the sentimental ingenuity in which his ill-starred love abounded, had substituted others, originated by his ancestors, but ordered from the binder according to the circumstances of a melancholy friendship. Sometimes they were terse and confident, as Spes mea or Expectata non eludet. Sometimes merely resigned, as J′attendrai. Others were gallant: Mesmes plaisir du mestre, or counselled chastity, such as that borrowed from the family of Simiane, sprinkled with azure towers and lilies, and given a fresh meaning: Sustendant lilia turres. Others, finally, were despairing, and appointed a meeting in heaven with him who had spurned the donor upon earth: Manet ultima caelo, and (finding the grapes which he had failed to reach too sour, pretending not to have sought what he had not secured) M. de Charlus said in one: Non mortale quod opto. But I had not time to examine them all.
Si M. de Charlus, en jetant sur le papier cette lettre, avait paru en proie au démon de l′inspiration qui faisait courir sa plume, dès que Morel eut ouvert le cachet: Atavis et armis, chargé d′un léopard accompagné de deux roses de gueules, il se mit à lire avec une fièvre aussi grande qu′avait eue M. de Charlus en écrivant, et sur ces pages noircies à la diable ses regards ne couraient pas moins vite que la plume du baron. «Ah! mon Dieu! s′écria-t-il, il ne manquait plus que cela! mais où le trouver? Dieu sait où il est maintenant.» J′insinuai qu′en se pressant on le trouverait peut-être, encore à une brasserie où il avait demandé de la bière pour se remettre. «Je ne sais pas si je reviendrai», dit-il à sa femme de ménage, et il ajouta in petto: «Cela dépendra de la tournure que prendront les choses.» Quelques minutes après nous arrivions au café. Je remarquai l′air de M. de Charlus au moment où il m′aperçut. En voyant que je ne revenais pas seul, je sentis que la respiration, que la vie lui étaient rendues. Étant d′humeur, ce soir-là, à ne pouvoir se passer de Morel, il avait inventé qu′on lui avait rapporté que deux officiers du régiment avaient mal parlé de lui à propos du violoniste et qu′il allait leur envoyer des témoins. Morel avait vu le scandale, sa vie au régiment impossible, il était accouru. En quoi il n′avait pas absolument eu tort. Car pour rendre son mensonge plus vraisemblable, M. de Charlus avait déjà écrit à deux amis (l′un était Cottard) pour leur demander d′être ses témoins. Et si le violoniste n′était pas venu, il est certain que, fou comme était M. de Charlus (et pour changer sa tristesse en fureur), il les eût envoyés au hasard à un officier quelconque, avec lequel ce lui eût été un soulagement de se battre. Pendant ce temps, M. de Charlus, se rappelant qu′il était de race plus pure que la Maison de France, se disait qu′il était bien bon de se faire tant de mauvais sang pour le fils d′un maître d′hôtel, dont il n′eût pas daigné fréquenter le maître. D′autre part, s′il ne se plaisait plus guère que dans la fréquentation de la crapule, la profonde habitude qu′a celle-ci de ne pas répondre à une lettre, de manquer à un rendez-vous sans prévenir, sans s′excuser après, lui donnait, comme il s′agissait souvent d′amours, tant d′émotions et, le reste du temps, lui causait tant d′agacement, de gêne et de rage, qu′il en arrivait parfois à regretter la multiplicité de lettres pour un rien, l′exactitude scrupuleuse des ambassadeurs et des princes, lesquels, s′ils lui étaient malheureusement indifférents, lui donnaient malgré tout une espèce de repos. Habitué aux façons de Morel et sachant combien il avait peu de prise sur lui et était incapable de s′insinuer dans une vie où des camaraderies vulgaires, mais consacrées par l′habitude, prenaient trop de place et de temps pour qu′on gardât une heure au grand seigneur évincé, orgueilleux et vainement implorant, M. de Charlus était tellement persuadé que le musicien ne viendrait pas, il avait tellement peur de s′être à jamais brouillé avec lui en allant trop loin, qu′il eut peine à retenir un cri en le voyant. Mais, se sentant vainqueur, il tint à dicter les conditions de la paix et à en tirer lui-même les avantages qu′il pouvait. «Que venez-vous faire ici? lui dit-il. Et vous? ajouta-t-il en me regardant, je vous avais recommandé surtout de ne pas le ramener. -- Il ne voulait pas me ramener, dit Morel (en roulant vers M. de Charlus, dans la naîµ¥té de sa coquetterie, des regards conventionnellement tristes et langoureusement démodés, avec un air, jugé sans doute irrésistible, de vouloir embrasser le baron et d′avoir envie de pleurer), c′est moi qui suis venu malgré lui. Je viens au nom de notre amitié pour vous supplier à deux genoux de ne pas faire cette folie.» M. de Charlus délirait de joie. La réaction était bien forte pour ses nerfs; malgré cela il en resta le maître. «L′amitié, que vous invoquez assez inopportunément, répondit-il d′un ton sec, devrait au contraire me faire approuver de vous quand je ne crois pas devoir laisser passer les impertinences d′un sot. D′ailleurs, si je voulais obéir aux prières d′une affection que j′ai connue mieux inspirée, je n′en aurais plus le pouvoir, mes lettres pour mes témoins sont parties et je ne doute pas de leur acceptation. Vous avez toujours agi avec moi comme un petit imbécile et, au lieu de vous enorgueillir, comme vous en aviez le droit, de la prédilection que je vous avais marquée, au lieu de faire comprendre à la tourbe d′adjudants ou de domestiques au milieu desquels la loi militaire vous force de vivre quel motif d′incomparable fierté était pour vous une amitié comme la mienne, vous avez cherché à vous excuser, presque à vous faire un mérite stupide de ne pas être assez reconnaissant. Je sais qu′en cela, ajouta-t-il, pour ne pas laisser voir combien certaines scènes l′avaient humilié, vous n′êtes coupable que de vous être laissé mener par la jalousie des autres. Mais comment, à votre âge, êtes-vous assez enfant (et enfant assez mal élevé) pour n′avoir pas deviné tout de suite que votre élection par moi et tous les avantages qui devaient en résulter pour vous allaient exciter des jalousies? que tous vos camarades, pendant qu′ils vous excitaient à vous brouiller avec moi, allaient travailler à prendre votre place? Je n′ai pas cru devoir vous avertir des lettres que j′ai reçues à cet égard de tous ceux à qui vous vous fiez le plus. Je dédaigne autant les avances de ces larbins que leurs inopérantes moqueries. La seule personne dont je me soucie, c′est vous parce que je vous aime bien, mais l′affection a des bornes et vous auriez dû vous en douter.» Si dur que le mot de «larbin» pût être aux oreilles de Morel, dont le père l′avait été, mais justement parce que son père l′avait été, l′explication de toutes les mésaventures sociales par la «jalousie», explication simpliste et absurde, mais inusable et qui, dans une certaine classe, «prend» toujours d′une façon aussi infaillible que les vieux trucs auprès du public des théâtres, ou la menace du péril clérical dans les assemblées, trouvait chez lui une créance presque aussi forte que chez Françoise ou les domestiques de Mme de Guermantes, pour qui c′était la seule cause des malheurs de l′humanité. Il ne douta pas que ses camarades n′eussent essayé de lui chiper sa place et ne fut que plus malheureux de ce duel calamiteux et d′ailleurs imaginaire. «Oh! quel désespoir, s′écria Charlie. Je n′y survivrai pas. Mais ils ne doivent pas vous voir avant d′aller trouver cet officier? -- Je ne sais pas, je pense que si. J′ai fait dire à l′un d′eux que je resterais ici ce soir, et je lui donnerai mes instructions. -- J′espère d′ici sa venue vous faire entendre raison; permettez-moi seulement de rester auprès de vous», lui demanda tendrement Morel. C′était tout ce que voulait M. de Charlus. Il ne céda pas du premier coup. «Vous auriez tort d′appliquer ici le «qui aime bien châtie bien» du proverbe, car c′est vous que j′aimais bien, et j′entends châtier, même après notre brouille, ceux qui ont lâchement essayé de vous faire du tort. Jusqu′ici, à leurs insinuations questionneuses, osant me demander comment un homme comme moi pouvait frayer avec un gigolo de votre espèce et sorti de rien, je n′ai répondu que par la devise de mes cousins La Rochefoucauld: «C′est mon plaisir.» Je vous ai même marqué plusieurs fois que ce plaisir était susceptible de devenir mon plus grand plaisir, sans qu′il résultât de votre arbitraire élévation un abaissement pour moi.» Et dans un mouvement d′orgueil presque fou, il s′écria en levant les bras: «Tantus ab uno splendor! Condescendre n′est pas descendre, ajouta-t-il avec plus de calme, après ce délire de fierté et de joie. J′espère au moins que mes deux adversaires, malgré leur rang inégal, sont d′un sang que je peux faire couler sans honte. J′ai pris à cet égard quelques renseignements discrets qui m′ont rassuré. Si vous gardiez pour moi quelque gratitude, vous devriez être fier, au contraire, de voir qu′à cause de vous je reprends l′humeur belliqueuse de mes ancêtres, disant comme eux, au cas d′une issue fatale, maintenant que j′ai compris le petit drôle que vous êtes: «Mort m′est vie.» Et M. de Charlus le disait sincèrement, non seulement par amour pour Morel, mais parce qu′un goût batailleur, qu′il croyait naîµ¥ment tenir de ses ax, lui donnait tant d′allégresse à la pensée de se battre que, ce duel machiné d′abord seulement pour faire venir Morel, il eût éprouvé maintenant du regret à y renoncer. Il n′avait jamais eu d′affaire sans se croire aussitôt valeureux et identifié à l′illustre connétable de Guermantes, alors que, pour tout autre, ce même acte d′aller sur le terrain lui paraissait de la dernière insignifiance. «Je crois que ce sera bien beau, nous dit-il sincèrement, en psalmodiant chaque terme. Voir Sarah Bernhardt dans l′Aiglon, qu′est-ce que c′est? du caca. Mounet-Sully dans Oedipe? caca. Tout au plus prend-il une certaine pâleur de transfiguration quand cela se passe dans les Arènes de Nîmes. Mais qu′est-ce que c′est à côté de cette chose inou voir batailler le propre descendant du Connétable?» Et à cette seule pensée, M. de Charlus, ne se tenant pas de joie, se mit à faire des contre-de-quarte qui, rappelant Molière, nous firent rapprocher prudemment de nous nos bocks, et craindre que les premiers croisements de fer blessassent les adversaires, le médecin et les témoins. «Quel spectacle tentant ce serait pour un peintre! Vous qui connaissez M. Elstir, me dit-il, vous devriez l′amener.» Je répondis qu′il n′était pas sur la côte. M. de Charlus m′insinua qu′on pourrait lui télégraphier. «Oh! je dis cela pour lui, ajouta-t-il devant mon silence. C′est toujours intéressant pour un maître --à mon avis il en est un-de fixer un exemple de pareille reviviscence ethnique. Et il n′y en a peut-être pas un par siècle.»   If M. de Charlus, in dashing this letter down upon paper had seemed to be carried away by the demon that was inspiring his flying pen, as soon as Morel had broken the seal (a leopard between two roses gules, with the motto: atavis et armis) he began to read the letter as feverishly as M. de Charlus had written it, and over those pages covered at breakneck speed his eye ran no less rapidly than the Baron′s pen. “Good God!” he exclaimed, “this is the last straw! But where am I to find him? Heaven only knows where he is now.” I suggested that if he made haste he might still find him perhaps at a tavern where he had ordered beer as a restorative. “I don′t know whether I shall be coming back,” he said to his landlady, and added in petto, “it will depend on how the cat jumps.” A few minutes later we reached the café. I remarked M. de Charlus′s expression at the moment when he caught sight of me. When he saw that I did not return unaccompanied, I could feel that his breath, his life were restored to him. Feeling that he could not get on that evening without Morel, he had pretended that somebody had told him that two officers of the regiment had spoken evil of him in connexion with the violinist and that he was going to send his seconds to call upon them. Morel had foreseen the scandal, his life in the regiment made impossible, and had hastened to the spot. In doing which he had not been altogether wrong. For to make his falsehood more plausible, M. de Charlus had already written to two of his friends (one was Cottard) asking them to be his seconds. And, if the violinist had not appeared, we may be certain that, in the frantic state in which M. de Charlus then was (and to change his sorrow into rage), he would have sent them with a challenge to some officer or other with whom it would have been a relief to him to fight. During the interval, M. de Charlus, remembering that he came of a race that was of purer blood than the House of France, told himself that it was really very good of him to take so much trouble over the son of a butler whose employer he would not have condescended to know. On the other hand, if his only amusement, almost, was now in the society of disreputable persons, the profoundly ingrained habit which such persons have of not replying to a letter, of failing to keep an appointment without warning you beforehand, without apologising afterwards, aroused in him, since, often enough, his heart was involved, such a wealth of emotion and the rest of the time caused him such irritation, inconvenience and anger, that he would sometimes begin to regret the endless letters over nothing at all, the scrupulous exactitude of Ambassadors and Princes, who, even if, unfortunately, their personal charms left him cold, gave him at any rate some sort of peace of mind. Accustomed to Morel′s ways, and knowing how little hold he had over him, how incapable he was of insinuating himself into a life in which friendships that were vulgar but consecrated by force of habit occupied too much space and time to leave a stray hour for the great nobleman, evicted, proud, and vainly imploring, M. de Charlus was so convinced that the musician was not coming, was so afraid of losing him for ever if he went too far, that he could barely repress a cry of joy when he saw him appear. But feeling himself the victor, he felt himself bound to dictate the terms of peace and to extract from them such advantages as he might. “What are you doing here?” he said to him. “And you?” he went on, gazing at myself, “I told you, whatever you did, not to bring him back with you.” “He didn′t want to bring me,” said Morel, turning upon M. de Charlus, in the artlessness of his coquetry, a glance conventionally mournful and languorously old-fashioned, with an air, which he doubtless thought to be irresistible, of wanting to kiss the Baron and to burst into tears. “It was I who insisted on coming in spite of him. I come, in the name of our friendship, to implore you on my bended knees not to commit this rash act.” M. de Charlus was wild with joy. The reaction was almost too much for his nerves; he managed, however, to control them. “The friendship to which you appeal at a somewhat inopportune moment,” he replied in a dry tone, “ought, on the contrary, to make you support me when I decide that I cannot allow the impertinences of a fool to pass unheeded. However, even if I chose to yield to the prayers of an affection which I have known better inspired, I should no longer be in a position to do so, my letters to my seconds have been sent off and I have no doubt of their consent. You have always behaved towards me like a little idiot and, instead of priding yourself, as you had every right to do, upon the predilection which I had shewn for you, instead of making known to the mob of serjeants or servants among whom the law of military service compels you to live, what a source of incomparable satisfaction a friendship such as mine was to you, you have sought to make excuses for yourself, almost to make an idiotic merit of not being grateful enough. I know that in so doing,” he went on, in order not to let it appear how deeply certain scenes had humiliated him, “you are guilty merely of having let yourself be carried away by the jealousy of others. But how is it that at your age you are childish enough (and a child ill-bred enough) not to have seen at once that your election by myself and all the advantages that must result for you from it were bound to excite jealousies, that all your comrades while they egged you on to quarrel with me were plotting to take your place? I have not thought it necessary to tell you of the letters that I have received in that connexion from all the people in whom you place most confidence. I scorn the overtures of those flunkeys as I scorn their ineffective mockery. The only person for whom I care is yourself, since I am fond of you, but affection has its limits and you ought to have guessed as much.” Harsh as the word flunkey might sound in the ears of Morel, whose father had been one, but precisely because his father had been one, the explanation of all social misadventures by ‘jealousy,′ an explanation fatuous and absurd, but of inexhaustible value, which with a certain class never fails to ‘catch on′ as infallibly as the old tricks of the stage with a theatrical audience or the threat of the clerical peril in a parliament, found in him an adherence hardly less solid than in Françoise, or the servants of Mme. de Guermantes, for whom jealousy was the sole cause of the misfortunes that beset humanity. He had no doubt that his comrades had tried to oust him from his position and was all the more wretched at the thought of this disastrous, albeit imaginary duel. “Oh! How dreadful!” exclaimed Charlie. “I shall never hold up my head again. But oughtn′t they to see you before they go and call upon this officer?” “I don′t know, I suppose they ought. I′ve sent word to one of them that I shall be here all evening and can give him his instructions.” “I hope that before he comes I can make you listen to reason; you will, anyhow, let me stay with you,” Morel asked him tenderly. This was all that M. de Charlus wanted. He did not however yield at once. “You would do wrong to apply in this case the ‘Whoso loveth well, chasteneth well′ of the proverb, for it is yourself whom I loved well, and I intend to chasten even after our parting those who have basely sought to do you an injury. Until now, their inquisitive insinuations, when they dared to ask me how a man like myself could mingle with a boy of your sort, sprung from the gutter, I have answered only in the words of the motto of my La Rochefoucauld cousins: ‘′Tis my pleasure.′ I have indeed pointed out to you more than once that this pleasure was capable of becoming my chiefest pleasure, without there resulting from your arbitrary elevation any degradation of myself.” And in an impulse of almost insane pride he exclaimed, raising his arms in the air: “Tantus ab uno splendor! To condescend is not to descend,” he went on in a calmer tone, after this delirious outburst of pride and joy. “I hope at least that my two adversaries, notwithstanding their inferior rank, are of a blood that I can shed without reproach. I have made certain discreet inquiries in that direction which have reassured me. If you retained a shred of gratitude towards me, you ought on the contrary to be proud to see that for your sake I am reviving the bellicose humour of my ancestors, saying like them in the event of a fatal issue, now that I have learned what a little rascal you are: ‘Death to me is life.′” And M. de Charlus said this sincerely, not only because of his love for Morel, but because a martial instinct which he quaintly supposed to have come down to him from his ancestors filled him with such joy at the thought of fighting that this duel, which he had originally invented with the sole object of making Morel come to him, he could not now abandon without regret. He had never engaged in any affair of the sort without at once imagining himself the victor, and identifying himself with the illustrious Constable de Guermantes, whereas in the case of anyone else this same action of taking the field appeared to him to be of the utmost insignificance. “I am sure it will be a fine sight,” he said to us in all sincerity, dwelling upon each word. “To see Sarah Bernhardt in L′Aiglon, what is that but tripe? Mounet-Sully in Oedipus, tripe! At the most it assumes a certain pallid transfiguration when it is performed in the Arena of Nîmes. But what is it compared to that unimaginable spectacle, the lineal descendant of the Constable engaged in battle.” And at the mere thought of such a thing, M. de Charlus, unable to contain himself for joy, began to make passes in the air which recalled Molière, made us take the precaution of drawing our glasses closer, and fear that, when the swords crossed, the combatants, doctor and seconds would at once be wounded. “What a tempting spectacle it would be for a painter. You who know Monsieur Elstir,” he said to me, “you ought to bring him.” I replied that he was not in the neighbourhood. M. de Charlus suggested that he might be summoned by telegraph. “Oh! I say it in his interest,” he added in response to my silence. “It is always interesting for a master — which he is, in my opinion — to record such an instance of racial survival. And they occur perhaps once in a century.”
Mais si M. de Charlus s′enchantait à la pensée d′un combat qu′il avait cru d′abord tout fictif, Morel pensait avec terreur aux potins qui, de la «musique» du régiment, pouvaient être colportés, grâce au bruit que ferait ce duel, jusqu′au temple de la rue Bergère. Voyant déjà la «classe» informée de tout, il devenait de plus en plus pressant auprès de M. de Charlus, lequel continuait à gesticuler devant l′enivrante idée de se battre. Il supplia le baron de lui permettre de ne pas le quitter jusqu′au surlendemain, jour supposé du duel, pour le garder à vue et tâcher de lui faire entendre la voix de la raison. Une si tendre proposition triompha des dernières hésitations de M. de Charlus. Il dit qu′il allait essayer de trouver une échappatoire, qu′il ferait remettre au surlendemain une résolution définitive. De cette façon, en n′arrangeant pas l′affaire tout d′un coup, M. de Charlus savait garder Charlie au moins deux jours et en profiter pour obtenir de lui des engagements pour l′avenir en échange de sa renonciation au duel, exercice, disait-il, qui par soi-même l′enchantait, et dont il ne se priverait pas sans regret. Et en cela d′ailleurs il était sincère, car il avait toujours pris plaisir à aller sur le terrain quand il s′agissait de croiser le fer ou d′échanger des balles avec un adversaire. Cottard arriva enfin, quoique mis très en retard, car, ravi de servir de témoin mais plus ému encore, il avait été obligé de s′arrêter à tous les cafés ou fermes de la route, en demandant qu′on voulût bien lui indiquer «le n° 100» ou le «petit endroit». Aussitôt qu′il fut là, le baron l′emmena dans une pièce isolée, car il trouvait plus réglementaire que Charlie et moi n′assistions pas à l′entrevue, et il excellait à donner à une chambre quelconque l′affectation provisoire de salle du trône ou des délibérations. Une fois seul avec Cottard, il le remercia chaleureusement, mais lui déclara qu′il semblait probable que le propos répété n′avait en réalité pas été tenu, et que, dans ces conditions, le docteur voulût bien avertir le second témoin que, sauf complications possibles, l′incident était considéré comme clos. Le danger s′éloignant, Cottard fut désappointé. Il voulut même un instant manifester de la colère, mais il se rappela qu′un de ses maîtres, qui avait fait la plus belle carrière médicale de son temps, ayant échoué la première fois à l′Académie pour deux voix seulement, avait fait contre mauvaise fortune bon coeur et était allé serrer la main du concurrent élu. Aussi le docteur se dispensa-t-il d′une expression de dépit qui n′eût plus rien changé, et après avoir murmuré, lui, le plus peureux des hommes, qu′il y a certaines choses qu′on ne peut laisser passer, il ajouta que c′était mieux ainsi, que cette solution le réjouissait. M. de Charlus, désireux de témoigner sa reconnaissance au docteur de la même façon que M. le duc son frère eût arrangé le col du paletot de mon père, comme une duchesse surtout eût tenu la taille à une plébéienne, approcha sa chaise tout près de celle du docteur, malgré le dégoût que celui-ci lui inspirait. Et non seulement sans plaisir physique, mais surmontant une répulsion physique, en Guermantes, non en inverti, pour dire adieu au docteur il lui prit la main et la lui caressa un moment avec une bonté de maître flattant le museau de son cheval et lui donnant du sucre. Mais Cottard, qui n′avait jamais laissé voir au baron qu′il eût même entendu courir de vagues mauvais bruits sur ses moeurs, et ne l′en considérait pas moins, dans son for intérieur, comme faisant partie de la classe des «anormaux» (même, avec son habituelle impropriété de termes et sur le ton le plus sérieux, il disait d′un valet de chambre de M. Verdurin: «Est-ce que ce n′est pas la maîtresse du baron?»), personnages dont il avait peu l′expérience, il se figura que cette caresse de la main était le prélude immédiat d′un viol, pour l′accomplissement duquel il avait été, le duel n′ayant servi que de prétexte, attiré dans un guet-apens et conduit par le baron dans ce salon solitaire où il allait être pris de force. N′osant quitter sa chaise, où la peur le tenait cloué, il roulait des yeux d′épouvante, comme tombé aux mains d′un sauvage dont il n′était pas bien assuré qu′il ne se nourrît pas de chair humaine. Enfin M. de Charlus, lui lâchant la main et voulant être aimable jusqu′au bout: «Vous allez prendre quelque chose avec nous, comme on dit, ce qu′on appelait autrefois un mazagran ou un gloria, boissons qu′on ne trouve plus, comme curiosités archéologiques, que dans les pièces de Labiche et les cafés de Doncières. Un «gloria» serait assez convenable au lieu, n′est-ce pas, et aux circonstances, qu′en dites-vous? -- Je suis président de la ligue antialcoolique, répondit Cottard. Il suffirait que quelque médicastre de province passât, pour qu′on dise que je ne prêche pas d′exemple. Os homini sublime dedit coelumque tueri», ajouta-t-il, bien que cela n′eût aucun rapport, mais parce que son stock de citations latines était assez pauvre, suffisant d′ailleurs pour émerveiller ses élèves. M. de Charlus haussa les épaules et ramena Cottard auprès de nous, après lui avoir demandé un secret qui lui importait d′autant plus que le motif du duel avorté était purement imaginaire. Il fallait empêcher qu′il parvînt aux oreilles de l′officier arbitrairement mis en cause. Tandis que nous buvions tous quatre, Mme Cottard, qui attendait son mari dehors, devant la porte, et que M. de Charlus avait très bien vue, mais qu′il ne se souciait pas d′attirer, entra et dit bonjour au baron, qui lui tendit la main comme à une chambrière, sans bouger de sa chaise, partie en roi qui reçoit des hommages, partie en snob qui ne veut pas qu′une femme peu élégante s′asseye à sa table, partie en égoî²´e qui a du plaisir à être seul avec ses amis et ne veut pas être embêté. Mme Cottard resta donc debout à parler à M. de Charlus et à son mari. Mais peut-être parce que la politesse, ce qu′on a «à faire», n′est pas le privilège exclusif des Guermantes, et peut tout d′un coup illuminer et guider les cerveaux les plus incertains, ou parce que, trompant beaucoup sa femme, Cottard avait par moments, par une espèce de revanche, le besoin de la protéger contre qui lui manquait, brusquement le docteur fronça le sourcil, ce que je ne lui avais jamais vu faire, et sans consulter M. de Charlus, en maître: «Voyons, Léontine, ne reste donc pas debout, assieds-toi. -- Mais est-ce que je ne vous dérange pas?» demanda timidement Mme Cottard à M. de Charlus, lequel, surpris du ton du docteur, n′avait rien répondu. Et sans lui en donner cette seconde fois le temps, Cottard reprit avec autorité: «Je t′ai dit de t′asseoir.»   But if M. de Charlus was enchanted at the thought of a duel which he had meant at first to be entirely fictitious, Morel was thinking with terror of the stories that might be spread abroad by the regimental band and might, thanks to the stir that would be made by this duel, penetrate to the holy of holies in the Rue Bergère. Seeing in his mind′s eye the ‘class′ fully informed, he became more and more insistent with M. de Charlus, who continued to gesticulate before the intoxicating idea of a duel. He begged the Baron to allow him not to leave him until the day after the next, the supposed day of the duel, so that he might keep him within sight and try to make him listen to the voice of reason. So tender a proposal triumphed over M. de Charlus′s final hesitations. He said that he would try to find a way out of it, that he would postpone his final decision for two days. In this fashion, by not making any definite arrangement at once, M. de Charlus knew that he could keep Charlie with him for at least two days, and make use of the time to fix future engagements with him in exchange for his abandoning the duel, an exercise, he said, which in itself delighted him and which he would not forego without regret. And in saying this he was quite sincere, for he had always enjoyed taking the field when it was a question of crossing swords or exchanging shots with an adversary. Cottard arrived at length, although extremely late, for, delighted to act as second but even more upset by the prospect, he had been obliged to halt at all the cafés or farms by the way, asking the occupants to be so kind as to shew him the way to ‘No. 100′ or ‘a certain place.′ As soon as he arrived, the Baron took him into another room, for he thought it more correct that Charlie and I should not be present at the interview, and excelled in making the most ordinary room serve for the time being as throne-room or council chamber. When he was alone with Cottard he thanked him warmly, but informed him that it seemed probable that the remark which had been repeated to him had never really been made, and requested that, in view of this, the Doctor would be so good as let the other second know that, barring possible complications, the incident might be regarded as closed. Now that the prospect of danger was withdrawn, Cottard was disappointed. He was indeed tempted for a moment to give vent to anger, but he remembered that one of his masters, who had enjoyed the most successful medical career of his generation, having failed to enter the Academy at his first election by two votes only, had put a brave face on it and had gone and shaken hands with his successful rival. And so the Doctor refrained from any expression of indignation which could have made no difference, and, after murmuring, he the most timorous of men, that there were certain things which one could not overlook, added that it was better so, that this solution delighted him. M. de Charlus, desirous of shewing his gratitude to the Doctor, just as the Duke his brother would have straightened the collar of my father′s greatcoat or rather as a Duchess would put her arm round the waist of a plebeian lady, brought his chair close to the Doctor′s, notwithstanding the dislike that he felt for the other. And, not only without any physical pleasure, but having first to overcome a physical repulsion, as a Guermantes, not as an invert, in taking leave of the Doctor, he clasped his hand and caressed it for a moment with the affection of a rider rubbing his horse′s nose and giving it a lump of sugar. But Cottard, who had never allowed the Baron to see that he had so much as heard the vaguest rumours as to his morals, but nevertheless regarded him in his private judgment as one of the class of ‘abnormals′ (indeed, with his habitual inaccuracy in the choice of terms, and in the most serious tone, he said of one of M. Verdurin′s footmen: “Isn′t he the Baron′s mistress?”), persons of whom he had little personal experience; imagined that this stroking of his hand was the immediate prelude to an act of violence in anticipation of which, the duel being a mere pretext, he had been enticed into a trap and led by the Baron into this remote apartment where he was about to be forcibly outraged. Not daring to stir from his chair, to which fear kept him glued, he rolled his eyes in terror, as though he had fallen into the hands of a savage who, for all he could tell, fed upon human flesh. At length M. de Charlus, releasing his hand and anxious to be hospitable to the end, said: “Won′t you come and take something with us, as the saying is, what in the old days used to be called a mazagran or a gloria, drinks that are no longer to be found, as archaeological curiosities, except in the plays of Labiche and the cafés of Doncières. A gloria would be distinctly suitable to the place, eh, and to the occasion, what do you say?” “I am President of the Anti-Alcohol League,” replied Cottard. “Some country sawbones has only got to pass, and it will be said that I do not practise what I preach. Os homini sublime dedit coelumque tueri,” he added, not that this had any bearing on the matter, but because his stock of Latin quotations was extremely limited, albeit sufficient to astound his pupils. M. de Charlus shrugged his shoulders and led Cottard back to where we were, after exacting a promise of secrecy which was all the more important to him since the motive for the abortive duel was purely imaginary. It must on no account reach the ears of the officer whom he had arbitrarily selected as his adversary. While the four of us sat there drinking, Mme. Cottard, who had been waiting for her husband outside, where M. de Charlus could see her quite well, though he had made no effort to summon her, came in and greeted the Baron, who held out his hand to her as though to a housemaid, without rising from his chair, partly in the manner of a king receiving homage, partly as a snob who does not wish a woman of humble appearance to sit down at his table, partly as an egoist who enjoys being alone with his friends, and does not wish to be bothered. So Mme. Cottard remained standing while she talked to M. de Charlus and her husband. But, possibly because politeness, the knowledge of what ‘ought to be done,′ is not the exclusive privilege of the Guermantes, and may all of a sudden illuminate and guide the most uncertain brains, or else because, himself constantly unfaithful to his wife, Cottard felt at odd moments, as a sort of compensation, the need to protect her against anyone else who failed in his duty to her, the Doctor quickly frowned, a thing I had never seen him do before, and, without consulting M. de Charlus, said in a tone of authority: “Come, Léontine, don′t stand about like that, sit down.” “But are you sure I′m not disturbing you?” Mme. Cottard inquired timidly of M. de Charlus, who, surprised by the Doctor′s tone, had made no observation. Whereupon, without giving him a second chance, Cottard repeated with authority: “I told you to sit down.”
Au bout d′un instant on se dispersa et alors M. de Charlus dit à Morel: «Je conclus de toute cette histoire, mieux terminée que vous ne méritiez, que vous ne savez pas vous conduire et qu′à la fin de votre service militaire je vous ramène moi-même à votre père, comme fit l′archange Raphaël envoyé par Dieu au jeune Tobie.» Et le baron se mit à sourire avec un air de grandeur et une joie que Morel, à qui la perspective d′être ainsi ramené ne plaisait guère, ne semblait pas partager. Dans l′ivresse de se comparer à l′archange, et Morel au fils de Tobie, M. de Charlus ne pensait plus au but de sa phrase, qui était de tâter le terrain pour savoir si, comme il le désirait, Morel consentirait à venir avec lui à Paris. Grisé par son amour, ou par son amour-propre, le baron ne vit pas ou feignit de ne pas voir la moue que fit le violoniste car, ayant laissé celui-ci seul dans le café, il me dit avec un orgueilleux sourire: «Avez-vous remarqué, quand je l′ai comparé au fils de Tobie, comme il délirait de joie! C′est parce que, comme il est très intelligent, il a tout de suite compris que le Père auprès duquel il allait désormais vivre, n′était pas son père selon la chair, qui doit être un affreux valet de chambre à moustaches, mais son père spirituel, c′est-à-dire Moi. Quel orgueil pour lui! Comme il redressait fièrement la tête! Quelle joie il ressentait d′avoir compris! Je suis sûr qu′il va redire tous les jours: «O Dieu qui avez donné le bienheureux Archange Raphaël pour guide à votre serviteur Tobie, dans un long voyage, accordez-nous à nous, vos serviteurs, d′être toujours protégés par lui et munis de son secours.» Je n′ai même pas eu besoin, ajouta le baron, fort persuadé qu′il siégerait un jour devant le trône de Dieu, de lui dire que j′étais l′envoyé céleste, il l′a compris de lui-même et en était muet de bonheur!» Et M. de Charlus (à qui au contraire le bonheur n′enlevait pas la parole), peu soucieux des quelques passants qui se retournèrent, croyant avoir affaire à un fou, s′écria tout seul et de toute sa force, en levant les mains: «Alléluia!»   Presently the party broke up, and then M. de Charlus said to Morel: “I conclude from all this business, which has ended more happily than you deserved, that you are incapable of looking after yourself and that, at the expiry of your military service, I must lead you back myself to your father, like the Archangel Raphael sent by God to the young Tobias.” And the Baron began to smile with an air of grandeur, and a joy which Morel, to whom the prospect of being thus led home afforded no pleasure, did not appear to share. In the exhilaration of comparing himself to the Archangel, and Morel to the son of Tobit, M. de Charlus no longer thought of the purpose of his speech which had been to explore the ground and see whether, as he hoped, Morel would consent to come with him to Paris. Intoxicated with his love or with his self-love, the Baron did not see or pretended not to see the violinist′s wry grimace, for, leaving him by himself in the café, he said to me with a proud smile: “Did you notice how, when I compared him to the son of Tobit, he became wild with joy? That was because, being extremely intelligent, he at once understood that the Father in whose company he was henceforth to live was not his father after the flesh, who must be some horrible valet with moustaches, but his spiritual father, that is to say Myself. What a triumph for him! How proudly he reared his head! What joy he felt at having understood me. I am sure that he will now repeat day by day: ‘O God Who didst give the blessed Archangel Raphael as guide to thy servant Tobias, upon a long journey, grant to us, Thy servants, that we may ever be protected by him and armed with his succour.′ I had no need even,” added the Baron, firmly convinced that he would one day sit before the Throne of God, “to tell him that I was the heavenly messenger, he realised it for himself, and was struck dumb with joy!” And M. de Charlus (whom his joy, on the contrary, did not deprive of speech), regardless of the passers-by who turned to stare at him, supposing that he must be a lunatic, cried out by himself and at the top of his voice raising his hands in the air: “Alleluia!”
Cette réconciliation ne mit fin que pour un temps aux tourments de M. de Charlus; souvent Morel, parti en manoeuvres trop loin pour que M. de Charlus pût aller le voir ou m′envoyer lui parler, écrivait au baron des lettres désespérées et tendres, où il lui assurait qu′il lui en fallait finir avec la vie parce qu′il avait, pour une chose affreuse, besoin de vingt-cinq mille francs. Il ne disait pas quelle était la chose affreuse, l′eût-il dit qu′elle eût sans doute été inventée. Pour l′argent même, M. de Charlus l′eût envoyé volontiers s′il n′eût senti que cela donnait à Charlie les moyens de se passer de lui et aussi d′avoir les faveurs de quelque autre. Aussi refusait-il, et ses télégrammes avaient le ton sec et tranchant de sa voix. Quand il était certain de leur effet, il souhaitait que Morel fût à jamais brouillé avec lui, car, persuadé que ce serait le contraire qui se réaliserait, il se rendait compte de tous les inconvénients qui allaient renaître de cette liaison inévitable. Mais si aucune réponse de Morel ne venait, il ne dormait plus, il n′avait plus un moment de calme, tant le nombre est grand, en effet, des choses que nous vivons sans les connaître et des réalités intérieures et profondes qui nous restent cachées. Il formait alors toutes les suppositions sur cette énormité qui faisait que Morel avait besoin de vingt-cinq mille francs, il lui donnait toutes les formes, y attachait tour à tour bien des noms propres. Je crois que, dans ces moments-là, M. de Charlus (et bien qu′à cette époque, son snobisme, diminuant, eût été déjà au moins rejoint, sinon dépassé, par la curiosité grandissante que le baron avait du peuple) devait se rappeler avec quelque nostalgie les gracieux tourbillons multicolores des réunions mondaines où les femmes et les hommes les plus charmants ne le recherchaient que pour le plaisir désintéressé qu′il leur donnait, où personne n′eût songé à «lui monter le coup», à inventer une «chose affreuse» pour laquelle on est prêt à se donner la mort si on ne reçoit pas tout de suite vingt-cinq mille francs. Je crois qu′alors, et peut-être parce qu′il était resté tout de même plus de Combray que moi et avait enté la fierté féodale sur l′orgueil allemand, il devait trouver qu′on n′est pas impunément l′amant de coeur d′un domestique, que le peuple n′est pas tout à fait le monde, qu′en somme il «ne faisait pas confiance» au peuple comme je la lui ai toujours faite.   This reconciliation gave but a temporary respite to M. de Charlus′s torments; often, when Morel had gone out on training too far away for M. de Charlus to be able to go and visit him or to send me to talk to him, he would write the Baron desperate and affectionate letters, in which he assured him that he was going to put an end to his life because, owing to a ghastly affair, he must have twenty-five thousand francs. He did not mention what this ghastly affair was, and had he done so, it would doubtless have been an invention. As far as the money was concerned, M. de Charlus would willingly have sent him it, had he not felt that it would make Charlie independent of him and free to receive the favours of some one else. And so he refused, and his telegrams had the dry, cutting tone of his voice. When he was certain of their effect, he hoped that Morel would never forgive him, for, knowing very well that it was the contrary that would happen, he could not help dwelling upon all the drawbacks that would be revived with this inevitable tie. But, if no answer came from Morel, he lay awake all night, had not a moment′s peace, so great is the number of the things of which we live in ignorance, and of the interior and profound realities that remain hidden from us. And so he would form every conceivable supposition as to the enormity which put Morel in need of twenty-five thousand francs, gave it every possible shape, labelled it with, one after another, many proper names. I believe that at such moments M. de Charlus (in spite of the fact that his snobbishness, which was now diminishing, had already been overtaken if not outstripped by his increasing curiosity as to the ways of the lower orders) must have recalled with a certain longing the lovely, many-coloured whirl of the fashionable gatherings at which the most charming men and women sought his company only for the disinterested pleasure that it afforded them, where nobody would have dreamed of ‘doing him down,′ of inventing a ‘ghastly affair,′ on the strength of which one is prepared to take one′s life, if one does not at once receive twenty-five thousand francs. I believe that then, and perhaps because he had after all remained more ‘Combray′ at heart than myself, and had grafted a feudal dignity upon his Germanic pride, he must have felt that one cannot with impunity lose one′s heart to a servant, that the lower orders are by no means the same thing as society, that in short he did not ‘get on′ with the lower orders as I have always done.
La station suivante du petit train, Maineville, me rappelle justement un incident relatif à Morel et à M. de Charlus. Avant d′en parler, je dois dire que l′arrêt à Maineville (quand on conduisait à Balbec un arrivant élégant qui, pour ne pas gêner, préférait ne pas habiter la Raspelière) était l′occasion de scènes moins pénibles que celle que je vais raconter dans un instant. L′arrivant, ayant ses menus bagages dans le train, trouvait généralement le Grand Hôtel un peu éloigné, mais, comme il n′y avait avant Balbec que de petites plages aux villas inconfortables, était, par goût de luxe et de bien-être, résigné au long trajet, quand, au moment où le train stationnait à Maineville, il voyait brusquement se dresser le Palace dont il ne pouvait pas se douter que c′était une maison de prostitution. «Mais, n′allons pas plus loin, disait-il infailliblement à Mme Cottard, femme connue comme étant d′esprit pratique et de bon conseil. Voilà tout à fait ce qu′il me faut. A quoi bon continuer jusqu′à Balbec où ce ne sera certainement pas mieux? Rien qu′à l′aspect, je juge qu′il y a tout le confort; je pourrai parfaitement faire venir là Mme Verdurin, car je compte, en échange de ses politesses, donner quelques petites réunions en son honneur. Elle n′aura pas tant de chemin à faire que si j′habite Balbec. Cela me semble tout à fait bien pour elle, et pour votre femme, mon cher professeur. Il doit y avoir des salons, nous y ferons venir ces dames. Entre nous, je ne comprends pas pourquoi, au lieu de louer la Raspelière, Mme Verdurin n′est pas venue habiter ici. C′est beaucoup plus sain que de vieilles maisons comme la Raspelière, qui est forcément humide, sans être propre d′ailleurs; ils n′ont pas l′eau chaude, on ne peut pas se laver comme on veut. Maineville me paraît bien plus agréable. Mme Verdurin y eût joué parfaitement son rôle de patronne. En tout cas chacun ses goûts, moi je vais me fixer ici. Madame Cottard, ne voulez-vous pas descendre avec moi, en nous dépêchant, car le train ne va pas tarder à repartir. Vous me piloteriez dans cette maison, qui sera la vôtre et que vous devez avoir fréquentée souvent. C′est tout à fait un cadre fait pour vous.» On avait toutes les peines du monde à faire taire, et surtout à empêcher de descendre, l′infortuné arrivant, lequel, avec l′obstination qui émane souvent des gaffes, insistait, prenait ses valises et ne voulait rien entendre jusqu′à ce qu′on lui eût assuré que jamais Mme Verdurin ni Mme Cottard ne viendraient le voir là. «En tout cas je vais y élire domicile. Mme Verdurin n′aura qu′à m′y écrire.»   The next station upon the little railway, Maineville, reminds me of an incident in which Morel and M. de Charlus were concerned. Before I speak of it, I ought to mention that the halt of the train at Maineville (when one was escorting to Balbec a fashionable stranger, who, to avoid giving trouble, preferred not to stay at la Raspelière) was the occasion of scenes less painful than that which I am just about to describe. The stranger, having his light luggage with him in the train, generally found that the Grand Hotel was rather too far away, but, as there was nothing until one came to Balbec except small bathing places with uncomfortable villas, had, yielding to a preference for comfortable surroundings, resigned himself to the long journey when, as the train came to a standstill at Maineville, he saw the Palace staring him in the face, and never suspected that it was a house of ill fame. “But don′t let us go any farther,” he would invariably say to Mme. Cottard, a woman well-known for her practical judgment and sound advice. “There is the very thing I want. What is the use of going on to Balbec, where I certainly shan′t find anything better. I can tell at a glance that it has all the modern comforts; I can quite well invite Mme. Verdurin there, for I intend, in return for her hospitality, to give a few little parties in her honour. She won′t have so far to come as if I stay at Balbec. This seems to me the very place for her, and for your wife, my dear Professor. There are bound to be sitting rooms, we can have the ladies there. Between you and me, I can′t imagine why Mme. Verdurin didn′t come and settle here instead of taking la Raspelière. It is far healthier than an old house like la Raspelière, which is bound to be damp, and is not clean either, they have no hot water laid on, one can never get a wash. Now, Maineville strikes me as being far more attractive. Mme. Verdurin would have played the hostess here to perfection. However, tastes differ; I intend, anyhow, to remain here. Mme. Cottard, won′t you come along with me; we shall have to be quick, for the train will be starting again in a minute. You can pilot me through that house, which you must know inside out, for you must often have visited it. It is the ideal setting for you.” The others would have the greatest difficulty in making the unfortunate stranger hold his tongue, and still more in preventing him from leaving the train, while he, with the obstinacy which often arises from a blunder, insisted, gathered his luggage together and refused to listen to a word until they had assured him that neither Mme. Verdurin nor Mme. Cottard would ever come to call upon him there. “Anyhow, I am going to make my headquarters there. Mme. Verdurin has only to write, if she wishes to see me.”
Le souvenir relatif à Morel se rapporte à un incident d′un ordre plus particulier. Il y en eut d′autres, mais je me contente ici, au fur et à mesure que le tortillard s′arrête et que l′employé crie Doncières, Grattevast, Maineville, etc., de noter ce que la petite plage ou la garnison m′évoquent. J′ai déjà parlé de Maineville (media villa) et de l′importance qu′elle prenait à cause de cette somptueuse maison de femmes qui y avait été récemment construite, non sans éveiller les protestations inutiles des mères de famille. Mais avant de dire en quoi Maineville a quelque rapport dans ma mémoire avec Morel et M. de Charlus, il me faut noter la disproportion (que j′aurai plus tard à approfondir) entre l′importance que Morel attachait à garder libres certaines heures et l′insignifiance des occupations auxquelles il prétendait les employer, cette même disproportion se retrouvant au milieu des explications d′un autre genre qu′il donnait à M. de Charlus. Lui qui jouait au désintéressé avec le baron (et pouvait y jouer sans risques, vu la générosité de son protecteur), quand il désirait passer la soirée de son côté pour donner une leçon, etc., il ne manquait pas d′ajouter à son prétexte ces mots dits avec un sourire d′avidité: «Et puis, cela peut me faire gagner quarante francs. Ce n′est pas rien. Permettez-moi d′y aller, car, vous voyez, c′est mon intérêt. Dame, je n′ai pas de rentes comme vous, j′ai ma situation à faire, c′est le moment de gagner des sous.» Morel n′était pas, en désirant donner sa leçon, tout à fait insincère. D′une part, que l′argent n′ait pas de couleur est faux. Une manière nouvelle de le gagner rend du neuf aux pièces que l′usage a ternies. S′il était vraiment sorti pour une leçon, il est possible que deux louis remis au départ par une élève lui eussent produit un effet autre que deux louis tombés de la main de M. de Charlus. Puis l′homme le plus riche ferait pour deux louis des kilomètres qui deviennent des lieues si l′on est fils d′un valet de chambre. Mais souvent M. de Charlus avait, sur la réalité de la leçon de violon, des doutes d′autant plus grands que souvent le musicien invoquait des prétextes d′un autre genre, d′un ordre entièrement désintéressé au point de vue matériel, et d′ailleurs absurdes. Morel ne pouvait ainsi s′empêcher de présenter une image de sa vie, mais volontairement, et involontairement aussi, tellement enténébrée, que certaines parties seules se laissaient distinguer. Pendant un mois il se mit à la disposition de M. de Charlus à condition de garder ses soirées libres, car il désirait suivre avec continuité des cours d′algèbre. Venir voir après M. de Charlus? Ah! c′était impossible, les cours duraient parfois fort tard. «Même après 2 heures du matin? demandait le baron. -- Des fois. -- Mais l′algèbre s′apprend aussi facilement dans un livre. -- Même plus facilement, car je ne comprends pas grand′chose aux cours. -- Alors? D′ailleurs l′algèbre ne peut te servir à rien. -- J′aime bien cela. Ça dissipe ma neurasthénie.» «Cela ne peut pas être l′algèbre qui lui fait demander des permissions de nuit, se disait M. de Charlus. Serait-il attaché à la police?» En tout cas Morel, quelque objection qu′on fît, réservait certaines heures tardives, que ce fût à cause de l′algèbre ou du violon. Une fois ce ne fut ni l′un ni l′autre, mais le prince de Guermantes qui, venu passer quelques jours sur cette côte pour rendre visite à la duchesse de Luxembourg, rencontra le musicien, sans savoir qui il était, sans être davantage connu de lui, et lui offrit cinquante francs pour passer la nuit ensemble dans la maison de femmes de Maineville; double plaisir, pour Morel, du gain reçu de M. de Guermantes et de la volupté d′être entouré de femmes dont les seins bruns se montraient à découvert. Je ne sais comment M. de Charlus eut l′idée de ce qui s′était passé et de l′endroit, mais non du séducteur. Fou de jalousie, et pour connaître celui-ci, il télégraphia à Jupien, qui arriva deux jours après, et quand, au commencement de la semaine suivante, Morel annonça qu′il serait encore absent, le baron demanda à Jupien s′il se chargerait d′acheter la patronne de l′établissement et d′obtenir qu′on les cachât, lui et Jupien, pour assister à la scène. «C′est entendu. Je vais m′en occuper, ma petite gueule», répondit Jupien au baron. On ne peut comprendre à quel point cette inquiétude agitait, et par là même avait momentanément enrichi, l′esprit de M. de Charlus. L′amour cause ainsi de véritables soulèvements géologiques de la pensée. Dans celui de M. de Charlus qui, il y a quelques jours, ressemblait à une plaine si uniforme qu′au plus loin il n′aurait pu apercevoir une idée au ras du sol, s′étaient brusquement dressées, dures comme la pierre, un massif de montagnes, mais de montagnes aussi sculptées que si quelque statuaire, au lieu d′emporter le marbre, l′avait ciselé sur place et où se tordaient, en groupes géants et titaniques, la Fureur, la Jalousie, la Curiosité, l′Envie, la Haine, la Souffrance, l′Orgueil, l′Épouvante et l′Amour.   The incident that concerns Morel was of a more highly specialised order. There were others, but I confine myself at present, as the train halts and the porter calls out ‘Doncières,′ ‘Grattevast,′ ‘Maineville,′ etc., to noting down the particular memory that the watering-place or garrison town recalls to me. I have already mentioned Maineville (media villa) and the importance that it had acquired from that luxurious establishment of women which had recently been built there, not without arousing futile protests from the mothers of families. But before I proceed to say why Maineville is associated in my memory with Morel and M. de Charlus, I must make a note of the disproportion (which I shall have occasion to examine more thoroughly later on) between the importance that Morel attached to keeping certain hours free, and the triviality of the occupations to which he pretended to devote to them, this same disproportion recurring amid the explanations of another sort which he gave to M. de Charlus. He, who played the disinterested artist for the Baron′s benefit (and might do so without risk, in view of the generosity of his protector), when he wished to have the evening to himself, in order to give a lesson, etc., never failed to add to his excuse the following words, uttered with a smile of cupidity: “Besides, there may be forty francs to be got out of it. That′s always something. You will let me go, for, don′t you see it′s all to my advantage. Damn it all, I haven′t got a regular income like you, I have my way to make in the world, it′s a chance of earning a little money.” Morel, in professing his anxiety to give his lesson, was not altogether insincere. For one thing, it is false to say that money has no colour. A new way of earning them gives a fresh lustre to coins that are tarnished with use. Had he really gone out to give a lesson, it is probable that a couple of louis handed to him as he left the house by a girl pupil would have produced a different effect on him from a couple of louis coming from the hand of M. de Charlus. Besides, for a couple of louis the richest of men would travel miles, which become leagues when one is the son of a valet. But frequently M. de Charlus had his doubts as to the reality of the violin lesson, doubts which were increased by the fact that often the musician pleaded excuses of another sort, entirely disinterested from the material point of view, and at the same time absurd. In this Morel could not help presenting an image of his life, but one that deliberately, and unconsciously too, he so darkened that only certain parts of it could be made out. For a whole month he placed himself at M. de Charlus′s disposal, on condition that he might keep his evenings free, for he was anxious to put in a regular attendance at a course of algebra. Come and see M. de Charlus after the class? Oh, that was impossible, the classes went on, sometimes, very late. “Even after two o′clock in the morning?” the Baron asked. “Sometimes.” “But you can learn algebra just as easily from a book.” “More easily, for I don′t get very much out of the lectures.” “Very well, then! Besides, algebra can′t be of any use to you.” “I like it. It soothes my nerves.” “It cannot be algebra that makes him ask leave to go out at night,” M. de Charlus said to himself. “Can he be working for the police?” In any case Morel, whatever objection might be made, reserved certain evening hours, whether for algebra or for the violin. On one occasion it was for neither, but for the Prince de Guermantes who, having come down for a few days to that part of the coast, to pay the Princesse de Luxembourg a visit, picked up the musician, without knowing who he was or being recognised by him either, and offered him fifty francs to spend the night with him in the brothel at Maineville; a twofold pleasure for Morel, in the profit received from M. de Guermantes and in the delight of being surrounded by women whose sunburned breasts would be visible to the naked eye. In some way or other M. de Charlus got wind of what had occurred and of the place appointed, but did not discover the name of the seducer. Mad with jealousy, and in the hope of finding out who he was, he telegraphed to Jupien, who arrived two days later, and when, early in the following week, Morel announced that he would again be absent, the Baron asked Jupien if he would undertake to bribe the woman who kept the establishment, and make her promise to hide the Baron and himself in some place where they could witness what occurred. “That′s all right. I′ll see to it, dearie,” Jupien assured the Baron. It is hard to imagine to what extent this anxiety was agitating, and by so doing had momentarily enriched the mind of M. de Charlus. Love is responsible in this way for regular volcanic upheavals of the mind. In his, which, a few days earlier, resembled a plain so uniform that as far as the eye could reach it would have been impossible to make out an idea rising above the level surface, there had suddenly sprung into being, hard as stone, a chain of mountains, but mountains as elaborately carved as if some sculptor, instead of quarrying and carting his marble from them, had chiselled it on the spot, in which there writhed in vast titanic groups Fury, Jealousy, Curiosity, Envy, Hatred, Suffering, Pride, Terror and Love.
Cependant le soir où Morel devait être absent était arrivé. La mission de Jupien avait réussi. Lui et le baron devaient venir vers onze heures du soir et on les cacherait. Trois rues avant d′arriver à cette magnifique maison de prostitution (où on venait de tous les environs élégants), M. de Charlus marchait sur la pointe des pieds, dissimulait sa voix, suppliait Jupien de parler moins fort, de peur que, de l′intérieur, Morel les entendît. Or, dès qu′il fut entré à pas de loup dans le vestibule, M. de Charlus, qui avait peu l′habitude de ce genre de lieux, à sa terreur et à sa stupéfaction se trouva dans un endroit plus bruyant que la Bourse ou l′Hôtel des Ventes. C′est en vain qu′il recommandait de parler plus bas à des soubrettes qui se pressaient autour de lui; d′ailleurs leur voix même était couverte par le bruit de criées et d′adjudications que faisait une vieille «sous-maîtresse» à la perruque fort brune, au visage où craquelait la gravité d′un notaire ou d′un prêtre espagnol, et qui lançait à toutes minutes, avec un bruit de tonnerre, en laissant alternativement ouvrir et refermer les portes, comme on règle la circulation des voitures: «Mettez Monsieur au vingt-huit, dans la chambre espagnole.» «On ne passe plus.» «Rouvrez la porte, ces Messieurs demandent Mademoiselle Noémie. Elle les attend dans le salon persan.» M. de Charlus était effrayé comme un provincial qui a à traverser les boulevards; et, pour prendre une comparaison infiniment moins sacrilège que le sujet représenté dans les chapiteaux du porche de la vieille église de Corlesville, les voix des jeunes bonnes répétaient en plus bas, sans se lasser, l′ordre de la sous-maîtresse, comme ces catéchismes qu′on entend les élèves psalmodier dans la sonorité d′une église de campagne. Si peur qu′il eût, M. de Charlus, qui, dans la rue, tremblait d′être entendu, se persuadant que Morel était à la fenêtre, ne fut peut-être pas tout de même aussi effrayé dans le rugissement de ces escaliers immenses où on comprenait que des chambres rien ne pouvait être aperçu. Enfin, au terme de son calvaire, il trouva Mlle Noémie qui devait les cacher avec Jupien, mais commença par l′enfermer dans un salon persan fort somptueux d′où il ne voyait rien. Elle lui dit que Morel avait demandé à prendre une orangeade et que, dès qu′on la lui aurait servie, on conduirait les deux voyageurs dans un salon transparent. En attendant, comme on la réclamait, elle leur promit, comme dans un conte, que pour leur faire passer le temps elle allait leur envoyer «une petite dame intelligente». Car, elle, on l′appelait. La petite dame intelligente avait un peignoir persan, qu′elle voulait ôter. M. de Charlus lui demanda de n′en rien faire, et elle se fit monter du Champagne qui coûtait 40 francs la bouteille. Morel, en réalité, pendant ce temps, était avec le prince de Guermantes; il avait, pour la forme, fait semblant de se tromper de chambre, était entré dans une où il y avait deux femmes, lesquelles s′étaient empressées de laisser seuls les deux messieurs. M. de Charlus ignorait tout cela, mais pestait, voulait ouvrir les portes, fit redemander Mlle Noémie, laquelle, ayant entendu la petite dame intelligente donner à M. de Charlus des détails sur Morel non concordants avec ceux qu′elle-même avait donnés à Jupien, la fit déguerpir et envoya bientôt, pour remplacer la petite dame intelligente, «une petite dame gentille», qui ne leur montra rien de plus, mais leur dit combien la maison était sérieuse et demanda, elle aussi, du Champagne. Le baron, écumant, fit revenir Mlle Noémie, qui leur dit: «Oui, c′est un peu long, ces dames prennent des poses, il n′a pas l′air d′avoir envie de rien faire.» Enfin, devant les promesses du baron, ses menaces, Mlle Noémie s′en alla d′un air contrarié, en les assurant qu′ils n′attendraient pas plus de cinq minutes. Ces cinq minutes durèrent une heure, après quoi Noémie conduisit à pas de loup M. de Charlus ivre de fureur et Jupien désolé vers une porte entre-bâillée en leur disant: «Vous allez très bien voir. Du reste, en ce moment ce n′est pas très intéressant, il est avec trois dames, il leur raconte sa vie de régiment.» Enfin le baron put voir par l′ouverture de la porte et aussi dans les glaces. Mais une terreur mortelle le força de s′appuyer au mur. C′était bien Morel qu′il avait devant lui, mais, comme si les mystères pas et les enchantements existaient encore, c′était plutôt l′ombre de Morel, Morel embaumé, pas même Morel ressuscité comme Lazare, une apparition de Morel, un fantôme de Morel, Morel revenant ou évoqué dans cette chambre (où, partout, les murs et les divans répétaient des emblèmes de sorcellerie), qui était à quelques mètres de lui, de profil. Morel avait, comme après la mort, perdu toute couleur; entre ces femmes avec lesquelles il semblait qu′il eût dû s′ébattre joyeusement, livide, il restait figé dans une immobilité artificielle; pour boire la coupe de Champagne qui était devant lui, son bras sans force essayait lentement de se tendre et retombait. On avait l′impression de cette équivoque qui fait qu′une religion parle d′immortalité, mais entend par là quelque chose qui n′exclut pas le néant. Les femmes le pressaient de questions: «Vous voyez, dit tout bas Mlle Noémie au baron, elles lui parlent de sa vie de régiment, c′est amusant, n′est-ce pas? -- et elle rit -- vous êtes content? Il est calme, n′est-ce pas», ajouta-t-elle, comme elle aurait dit d′un mourant. Les questions des femmes se pressaient, mais Morel, inanimé, n′avait pas la force de leur répondre. Le miracle même d′une parole murmurée ne se produisait pas. M. de Charlus n′eut qu′un instant d′hésitation, il comprit la vérité et que, soit maladresse de Jupien quand il était allé s′entendre, soit puissance expansive des secrets confiés qui fait qu′on ne les garde jamais, soit caractère indiscret de ces femmes, soit crainte de la police, on avait prévenu Morel que deux messieurs avaient payé fort cher pour le voir, on avait fait sortir le prince de Guermantes métamorphosé en trois femmes, et placé le pauvre Morel tremblant, paralysé par la stupeur, de telle façon que, si M. de Charlus le voyait mal, lui, terrorisé, sans paroles, n′osant pas prendre son verre de peur de le laisser tomber, voyait en plein le baron.   Meanwhile the evening on which Morel was to be absent had come. Jupien′s mission had proved successful. He and the Baron were to be there about eleven o′clock, and would be put in a place of concealment. When they were still three streets away from this gorgeous house of prostitution (to which people came from all the fashionable resorts in the neighbourhood), M. de Charlus had begun to walk upon tiptoe, to disguise his voice, to beg Jupien not to speak so loud, lest Morel should hear them from inside. Whereas, on creeping stealthily into the entrance hall, M. de Charlus, who was not accustomed to places of the sort, found himself, to his terror and amazement, in a gathering more clamorous than the Stock Exchange or a sale room. It was in vain that he begged the girls who gathered round him to moderate their voices; for that matter their voices were drowned by the stream of announcements and awards made by an old ‘assistant matron′ in a very brown wig, her face crackled with the gravity of a Spanish attorney or priest, who kept shouting at every minute in a voice of thunder, ordering the doors to be alternately opened and shut, like a policeman regulating the flow of traffic: “Take this gentleman to twenty-eight, the Spanish room.” “Let no more in.” “Open the door again, these gentlemen want Mademoiselle Noémie. She′s expecting them in the Persian parlour.” M. de Charlus was as terrified as a countryman who has to cross the boulevards; while, to take a simile infinitely less sacrilegious than the subject represented on the capitals of the porch of the old church of Corleville, the voices of the young maids repeated in a lower tone, unceasingly, the assistant matron′s orders, like the catechisms that we hear school-children chanting beneath the echoing vault of a parish church in the country. However great his alarm, M. de Charlus who, in the street, had been trembling lest he should make himself heard, convinced in his own mind that Morel was at the window, was perhaps not so frightened after all in the din of those huge staircases on which one realised that from the rooms nothing could be seen. Coming at length to the end of his calvary, he found Mlle. Noémie, who was to conceal him with Jupien, but began by shutting him up in a sumptuously furnished Persian sitting-room from which he could see nothing at all. She told him that Morel had asked for some orangeade, and that as soon as he was served the two visitors would be taken to a room with a transparent panel. In the meantime, as some one was calling for her, she promised them, like a fairy godmother, that to help them to pass the time she was going to send them a ‘clever little lady.′ For she herself was called away. The clever little lady wore a Persian wrapper, which she proposed to remove. M. de Charlus begged her to do nothing of the sort, and she rang for champagne which cost 40 francs a bottle. Morel, as a matter of fact, was, during this time, with the Prince de Guermantes; he had, for form′s sake, pretended to go into the wrong room by mistake, had entered one in which there were two women, who had made haste to leave the two gentlemen undisturbed. M. de Charlus knew nothing of this, but was fidgeting with rage, trying to open the doors, sent for Mlle. Noémie, who, hearing the clever little lady give M. de Charlus certain information about Morel which was not in accordance with what she herself had told Jupien, banished her promptly, and sent presently, as a substitute for the clever little lady, a ‘dear little lady′ who exhibited nothing more but told them how respectable the house was and called, like her predecessor, for champagne. The Baron, foaming with rage, sent again for Mlle. Noémie, who said to them: “Yes, it is taking rather long, the ladies are doing poses, he doesn′t look as if he wanted to do anything.” Finally, yielding to the promises, the threats of the Baron, Mlle. Noémie went away with an air of irritation, assuring them that they would not be kept waiting more than five minutes. The five minutes stretched out into an hour, after which Noémie came and tiptoed in front of M. de Charlus, blind with rage, and Jupien plunged in misery, to a door which stood ajar, telling them: “You′ll see splendidly from here. However, it′s not very interesting just at present, he is with three ladies, he is telling them about life in his regiment.” At length the Baron was able to see through the cleft of the door and also the reflexion in the mirrors beyond. But a deadly terror forced him to lean back against the wall. It was indeed Morel that he saw before him, but, as though the pagan mysteries and Enchantments still existed, it was rather the shade of Morel, Morel embalmed, not even Morel restored to life like Lazarus, an apparition of Morel, a phantom of Morel, Morel ‘walking′ or ‘called up′ in that room (in which the walls and couches everywhere repeated the emblems of sorcery), that was visible a few feet away from him, in profile. Morel had, as though he were already dead, lost all his colour; among these women, with whom one might have expected him to be making merry, he remained livid, fixed in an artificial immobility; to drink the glass of champagne that stood before him, his arm, sapped of its strength, tried in vain to reach out, and dropped back again. One had the impression of that ambiguous state implied by a religion which speaks of immorality but means by it something that does not exclude annihilation. The women were plying him with questions. “You see,” Mlle. Noémie whispered to the Baron, “they are talking to him about his life in the regiment, it′s amusing, isn′t it?”— here she laughed —“You′re glad you came? He is calm, isn′t he,” she added, as though she were speaking of a dying man. The women′s questions came thick and fast, but Morel, inanimate, had not the strength to answer them. Even the miracle of a whispered word did not occur. M. de Charlus hesitated for barely a moment before he grasped what had really happened, namely that, whether from clumsiness on Jupien′s part when he had called to make the arrangements, or from the expansive power of a secret lodged in any breast, which means that no secret is ever kept, or from the natural indiscretion of these ladies, or from their fear of the police, Morel had been told that two gentlemen had paid a large sum to be allowed to spy on him, unseen hands had spirited away the Prince de Guermantes, metamorphosed into three women, and had placed the unhappy Morel, trembling, paralysed with fear, in such a position that if M. de Charlus had but a poor view of him, he, terrorised, speechless, not daring to lift his glass for fear of letting it fall, had a perfect view of the Baron.
L′histoire, au reste, ne finit pas mieux pour le prince de Guermantes. Quand on l′avait fait sortir pour que M. de Charlus ne le vît pas, furieux de sa déconvenue, sans soupçonner qui en était l′auteur, il avait supplié Morel, sans toujours vouloir lui faire connaître qui il était, de lui donner rendez-vous pour la nuit suivante dans la toute petite villa qu′il avait louée et que, malgré le peu de temps qu′il devait y rester, il avait, suivant la même maniaque habitude que nous avons autrefois remarquée chez Mme de Villeparisis, décoré de quantité de souvenirs de famille, pour se sentir plus chez soi. Donc le lendemain, Morel, retournant la tête à toute minute, tremblant d′être suivi et épié par M. de Charlus, avait fini, n′ayant remarqué aucun passant suspect, par entrer dans la villa. Un valet le fit entrer au salon en lui disant qu′il allait prévenir Monsieur (son maître lui avait recommandé de ne pas prononcer le nom de prince de peur d′éveiller des soupçons). Mais quand Morel se trouva seul et voulut regarder dans la glace si sa mèche n′était pas dérangée, ce fut comme une hallucination.Sur la cheminée, les photographies, reconnaissables pour le violoniste, car il les avait vues chez M. de Charlus, de la princesse de Guermantes, de la duchesse de Luxembourg, de Mme de Villeparisis, le pétrifièrent d′abord d′effroi. Au même moment il aperçut celle de M. de Charlus, laquelle était un peu en retrait. Le baron semblait immobiliser sur Morel un regard étrange et fixe. Fou de terreur, Morel, revenant de sa stupeur première, ne doutant pas que ce ne fût un guet-apens où M. de Charlus l′avait fait tomber pour éprouver s′il était fidèle, dégringola quatre à quatre les quelques marches de la villa, se mit à courir à toutes jambes sur la route et quand le prince de Guermantes (après avoir cru faire faire à une connaissance de passage le stage nécessaire, non sans s′être demandé si c′était bien prudent et si l′individu n′était pas dangereux) entra dans son salon, il n′y trouva plus personne. Il eut beau, avec son valet, par crainte de cambriolage, et revolver au poing, explorer toute la maison, qui n′était pas grande, les recoins du jardinet, le sous-sol, le compagnon dont il avait cru la présence certaine avait disparu. Il le rencontra plusieurs fois au cours de la semaine suivante. Mais chaque fois c′était Morel, l′individu dangereux, qui se sauvait comme si le prince l′avait été plus encore. Buté dans ses soupçons, Morel ne les dissipa jamais, et, même à Paris, la vue du prince de Guermantes suffisait à le mettre en fuite. Par où M. de Charlus fut protégé d′une infidélité qui le désespérait, et vengé sans l′avoir jamais imaginé, ni surtout comment.   The story moreover had no happier ending for the Prince de Guermantes. When he had been sent away, so that M. de Charlus should not see him, furious at his disappointment, without suspecting who was responsible for it, he had implored Morel, still without letting him know who he was, to make an appointment with him for the following night in the tiny villa which he had taken and which, despite the shortness of his projected stay in it, he had, obeying the same insensate habit which we have already observed in Mme. de Villeparisis, decorated with a number of family keepsakes, so that he might feel more at home. And so, next day, Morel, turning his head every moment, trembling with fear of being followed and spied upon by M. de Charlus, had finally, having failed to observe any suspicious passer-by, entered the villa. A valet shewed him into the sitting-room, telling him that he would inform ‘Monsieur′ (his master had warned him not to utter the word ‘Prince′ for fear of arousing suspicions). But when Morel found himself alone, and went to the mirror to see that his forelock was not disarranged, he felt as though he were the victim of a hallucination. The photographs on the mantelpiece (which the violinist recognised, for he had seen them in M. de Charlus′s room) of the Princesse de Guermantes, the Duchesse de Luxembourg, Mme. de Villeparisis, left him at first petrified with fright. At the same moment he caught sight of the photograph of M. de Charlus, which was placed a little behind the rest. The Baron seemed to be concentrating upon Morel a strange, fixed glare. Mad with terror, Morel, recovering from his first stupor, never doubting that this was a trap into which M. de Charlus had led him in order to put his fidelity to the test, sprang at one bound down the steps of the villa and set off along the road as fast as his legs would carry him, and when the Prince (thinking he had kept a casual acquaintance waiting sufficiently long, and not without asking himself whether it were quite prudent and whether the person might not be dangerous) entered the room, he found nobody there. In vain did he and his valet, afraid of burglary, and armed with revolvers, search the whole house, which was not large, every corner of the garden, the basement; the companion of whose presence he had been certain had completely vanished. He met him several times in the course of the week that followed. But on each occasion it was Morel, the dangerous person, who turned tail and fled, as though the Prince were more dangerous still. Confirmed in his suspicions, Morel never outgrew them, and even in Paris the sight of the Prince de Guermantes was enough to make him take to his heels. Whereby M. de Charlus was protected from a betrayal which filled him with despair, and avenged, without ever having imagined such a thing, still less how it came about.
Mais déjà les souvenirs de ce qu′on m′avait raconté à ce sujet sont remplacés par d′autres, car le B. C. N., reprenant sa marche de «tacot», continue de déposer ou de prendre les voyageurs aux stations suivantes. A Grattevast, où habitait sa soeur, avec laquelle il était allé passer l′après-midi, montait quelquefois M. Pierre de Verjus, comte de Crécy (qu′on appelait seulement le Comte de Crécy), gentilhomme pauvre mais d′une extrême distinction, que j′avais connu par les Cambremer, avec qui il était d′ailleurs peu lié. Réduit à une vie extrêmement modeste, presque misérable, je sentais qu′un cigare, une «consommation» étaient choses si agréables pour lui que je pris l′habitude, les jours où je ne pouvais voir Albertine, de l′inviter à Balbec. Très fin et s′exprimant à merveille, tout blanc, avec de charmants yeux bleus, il parlait surtout du bout des lèvres, très délicatement, des conforts de la vie seigneuriale, qu′il avait évidemment connus, et aussi de généalogies. Comme je lui demandais ce qui était gravé sur sa bague, il me dit avec un sourire modeste: «C′est une branche de verjus.» Et il ajouta avec un plaisir dégustateur: «Nos armes sont une branche de verjus -- symbolique puisque je m′appelle Verjus -- tigellée et feuillée de sinople.» Mais je crois qu′il aurait eu une déception si à Balbec je ne lui avais offert à boire que du verjus. Il aimait les vins les plus coûteux, sans doute par privation, par connaissance approfondie de ce dont il était privé, par goût, peut-être aussi par penchant exagéré. Aussi quand je l′invitais à dîner à Balbec, il commandait le repas avec une science raffinée, mais mangeait un peu trop, et surtout buvait, faisant chambrer les vins qui doivent l′être, frapper ceux qui exigent d′être dans de la glace. Avant le dîner et après, il indiquait la date ou le numéro qu′il voulait pour un porto ou une fine, comme il eût fait pour l′érection, généralement ignorée, d′un marquisat, mais qu′il connaissait aussi bien.   But already my memories of what I have been told about all this are giving place to others, for the B. A. G., resuming its slow crawl, continues to set down or take up passengers at the following stations. At Grattevast, where his sister lived with whom he had been spending the afternoon, there would sometimes appear M. Pierre de Verjus, Comte de Crécy (who was called simply the Comte de Crécy), a gentleman without means but of the highest nobility, whom I had come to know through the Cambremers, although he was by no means intimate with them. As he was reduced to an extremely modest, almost a penurious existence, I felt that a cigar, a ‘drink′ were things that gave him so much pleasure that I formed the habit, on the days when I could not see Albertine, of inviting him to Balbec. A man of great refinement, endowed with a marvellous power of self-expression, snow-white hair, and a pair of charming blue eyes, he generally spoke in a faint murmur, very delicately, of the comforts of life in a country house, which he had evidently known from experience, and also of pedigrees. On my inquiring what was the badge engraved on his ring, he told me with a modest smile: “It is a branch of verjuice.” And he added with a relish, as though sipping a vintage: “Our arms are a branch of verjuice — symbolic, since my name is Verjus — slipped and leaved vert.” But I fancy that he would have been disappointed if at Balbec I had offered him nothing better to drink than verjuice. He liked the most expensive wines, because he had had to go without them, because of his profound knowledge of what he was going without, because he had a palate, perhaps also because he had an exorbitant thirst. And so when I invited him to dine at Balbec, he would order the meal with a refinement of skill, but ate a little too much, and drank copiously, made them warm the wines that needed warming, place those that needed cooling upon ice. Before dinner and after he would give the right date or number for a port or an old brandy, as he would have given the date of the creation of a marquisate which was not generally known but with which he was no less familiar.
Comme j′étais pour Aimé un client préféré, il était ravi que je donnasse de ces dîners extras et criait aux garçons: «Vite, dressez la table 25», il ne disait même pas «dressez», mais «dressez-moi», comme si ç′avait été pour lui. Et comme le langage des maîtres d′hôtel n′est pas tout à fait le même que celui des chefs de rang, demi-chefs, commis, etc., au moment où je demandais l′addition, il disait au garçon qui nous avait servis, avec un geste répété et apaisant du revers de la main, comme s′il voulait calmer un cheval prêt à prendre le mors aux dents: «N′allez pas trop fort (pour l′addition), allez doucement, très doucement.»Puis, comme le garçon partait muni de cet aide-mémoire, Aimé, craignant que ses recommandations ne fussent pas exactement suivies, le rappelait: «Attendez, je vais chiffrer moi-même.» Et comme je lui disais que cela ne faisait rien: «J′ai pour principe que, comme on dit vulgairement, on ne doit pas estamper le client.» Quant au directeur, comme les vêtements de mon invité étaient simples, toujours les mêmes, et assez usés (et pourtant personne n′eût si bien pratiqué l′art de s′habiller fastueusement, comme un élégant de Balzac, s′il en avait eu les moyens), il se contentait, à cause de moi, d′inspecter de loin si tout allait bien, et d′un regard, de faire mettre une cale sous un pied de la table qui n′était pas d′aplomb. Ce n′est pas qu′il n′eût su, bien qu′il cachât ses débuts comme plongeur, mettre la main à la pâte comme un autre. Il fallut pourtant une circonstance exceptionnelle pour qu′un jour il découpât lui-même les dindonneaux. J′étais sorti, mais j′ai su qu′il l′avait fait avec une majesté sacerdotale, entouré, à distance respectueuse du dressoir, d′un cercle de garçons qui cherchaient, par là, moins à apprendre qu′à se faire bien voir et avaient un air béat d′admiration. Vus d′ailleurs par le directeur (plongeant d′un geste lent dans le flanc des victimes et n′en détachant pas plus ses yeux pénétrés de sa haute fonction que s′il avait dû y lire quelque augure) ils ne le furent nullement. Le sacrificateur ne s′aperçut même pas de mon absence. Quand il l′apprit, elle le désola. «Comment, vous ne m′avez pas vu découper moi-même les dindonneaux?» Je lui répondis que, n′ayant pu voir jusqu′ici Rome, Venise, Sienne, le Prado, le musée de Dresde, les Indes, Sarah dans Phèdre, je connaissais la résignation et que j′ajouterais son découpage des dindonneaux à ma liste. La comparaison avec l′art dramatique (Sarah dans Phèdre) fut la seule qu′il parut comprendre, car il savait par moi que, les jours de grandes représentations, Coquelin aîné avait accepté des rôles de débutant, celui même d′un personnage qui ne dit qu′un mot ou ne dit rien. «C′est égal, je suis désolé pour vous. Quand est-ce que je découperai de nouveau? Il faudrait un événement, il faudrait une guerre.» (Il fallut en effet l′armistice.) Depuis ce jour-là le calendrier fut changé, on compta ainsi: «C′est le lendemain du jour où j′ai découpé moi-même les dindonneaux.» «C′est juste huit jours après que le directeur a découpé lui-même les dindonneaux.» Ainsi cette prosectomie donna-t-elle, comme la naissance du Christ ou l′Hégire, le point de départ d′un calendrier différent des autres, mais qui ne prit pas leur extension et n′égala pas leur durée.   As I was in Airne′s eyes a favoured customer, he was delighted that I should give these special dinners and would shout to the waiters: “Quick, lay number 25”; he did not even say ‘lay′ but ‘lay me,′ as though the table were for his own use. And, as the language of head waiters is not quite the same as of that of sub-heads, assistants, boys, and so forth, when the time came for me to ask for the bill he would say to the waiter who had served us, making a continuous, soothing gesture with the back of his hand, as though he were trying to calm a horse that was ready to take the bit in its teeth: “Don′t go too fast” (in adding up the bill), “go gently, very gently.” Then, as the waiter was retiring with this guidance, Aimé, fearing lest his recommendations might not be carried out to the letter, would call him back: “Here, let me make it out.” And as I told him not to bother: “It′s one of my principles that we ought never, as the saying is, to sting a customer.” As for the manager, since my guest was attired simply, always in the same clothes, which were rather threadbare (albeit nobody would so well have practised the art of dressing expensively, like one of Balzac′s dandies, had he possessed the means), he confined himself, out of respect for me, to watching from a distance to see that everything was all right, and ordering, with a glance, a wedge to be placed under one leg of the table which was not steady. This was not to say that he was not qualified, though he concealed his early struggles, to lend a hand like anyone else. It required some exceptional circumstance nevertheless to induce him one day to carve the turkey-poults himself. I was out, but I heard afterwards that he carved them with a sacerdotal majesty, surrounded, at a respectful distance from the service-table, by a ring of waiters who were endeavouring thereby not so much to learn the art as to make themselves conspicuously visible, and stood gaping in open-mouthed admiration. Visible to the manager, for that matter (as he plunged a slow gaze into the flanks of his victims, and no more removed his eyes, filled with a sense of his exalted mission, from them than if he had been expected to read in them some augury), they were certainly not. The hierophant was not conscious of my absence even. When he heard of it, he was distressed: “What, you didn′t see me carving the turkey-poults myself?” I replied that having failed, so far, to see Rome, Venice, Siena, the Prado, the Dresden gallery, the Indies, Sarah in Phèdre, I had learned to resign myself, and that I would add his carving of turkey-poults to my list. The comparison with the dramatic art (Sarah in Phèdre) was the only one that he seemed to understand, for he had already been told by me that on days of gala performances the elder Coquelin had accepted a beginner′s parts, even that of a character who says but a single line or nothing at all. “It doesn′t matter, I am sorry for your sake. When shall I be carving again? It will need some great event, it will need a war.” (It did, as a matter of fact, need the armistice.) From that day onwards, the calendar was changed, time was reckoned thus: “That was the day after the day I carved the turkeys myself.” “That′s right, a week after the manager carved the turkeys himself.” And so this prosectomy furnished, like the Nativity of Christ or the Hegira, the starting point for a calendar different from the rest, but neither so extensively adopted nor so long observed.
La tristesse de la vie de M. de Crécy venait, tout autant que de ne plus avoir de chevaux et une table succulente, de ne voisiner qu′avec des gens qui pouvaient croire que Cambremer et Guermantes étaient tout un. Quand il vit que je savais que Legrandin, lequel se faisait maintenant appeler Legrand de Méséglise, n′y avait aucune espèce de droit, allumé d′ailleurs par le vin qu′il buvait, il eut une espèce de transport de joie. Sa soeur me disait d′un air entendu: «Mon frère n′est jamais si heureux que quand il peut causer avec vous.» Il se sentait en effet exister depuis qu′il avait découvert quelqu′un qui savait la médiocrité des Cambremer et la grandeur des Guermantes, quelqu′un pour qui l′univers social existait. Tel, après l′incendie de toutes les bibliothèques du globe et l′ascension d′une race entièrement ignorante, un vieux latiniste reprendrait pied et confiance dans la vie en entendant quelqu′un lui citer un vers d′Horace. Aussi, s′il ne quittait jamais le wagon sans me dire: «A quand notre petite réunion?» c′était autant par avidité de parasite, par gourmandise d′érudit, et parce qu′il considérait les agapes de Balbec comme une occasion de causer, en même temps, des sujets qui lui étaient chers et dont il ne pouvait parler avec personne, et analogues en cela à ces dîners où se réunit à dates fixes, devant la table particulièrement succulente du Cercle de l′Union, la Société des bibliophiles. Très modeste en ce qui concernait sa propre famille, ce ne fut pas par M. de Crécy que j′appris qu′elle était très grande et un authentique rameau, détaché en France, de la famille anglaise qui porte le titre de Crécy. Quand je sus qu′il était un vrai Crécy, je lui racontai qu′une nièce de Mme de Guermantes avait épousé un Américain du nom de Charles Crécy et lui dis que je pensais qu′il n′avait aucun rapport avec lui. «Aucun, me dit-il. Pas plus -- bien, du reste, que ma famille n′ait pas autant d′illustration -- que beaucoup d′Américains qui s′appellent Montgommery, Berry, Chandos ou Capel, n′ont de rapport avec les familles de Pembroke, de Buckingham, d′Essex, ou avec le duc de Berry.» Je pensai plusieurs fois à lui dire, pour l′amuser, que je connaissais Mme Swann qui, comme cocotte, était connue autrefois sous le nom d′Odette de Crécy; mais, bien que le duc d′Alençon n′eût pu se froisser qu′on parlât avec lui d′Émilienne d′Alençon, je ne me sentis pas assez lié avec M. de Crécy pour conduire avec lui la plaisanterie jusque-là. «Il est d′une très grande famille, me dit un jour M. de Montsurvent. Son patronyme est Saylor.» Et il ajouta que sur son vieux castel au-dessus d′Incarville, d′ailleurs devenu presque inhabitable et que, bien que né fort riche, il était aujourd′hui trop ruiné pour réparer, se lisait encore l′antique devise de la famille. Je trouvai cette devise très belle, qu′on l′appliquât soit à l′impatience d′une race de proie nichée dans cette aire, d′où elle devait jadis prendre son vol, soit, aujourd′hui, à la contemplation du déclin, à l′attente de la mort prochaine dans cette retraite dominante et sauvage. C′est en ce double sens, en effet, que joue avec le nom de Saylor cette devise qui est: «Ne sçais l′heure.»   The sadness of M. de Crécy′s life was due, just as much as to his no longer keeping horses and a succulent table, to his mixing exclusively with people who were capable of supposing that Cambremers and Guermantes were one and the same thing. When he saw that I knew that Legrandin, who had now taken to calling himself Legrand de Méséglise, had no sort of right to that name, being moreover heated by the wine that he was drinking, he broke out in a transport of joy. His sister said to me with an understanding air: “My brother is never so happy as when he has a chance of talking to you.” He felt indeed that he was alive now that he had discovered somebody who knew the unimportance of the Cambremers and the greatness of the Guermantes, somebody for whom the social universe existed. So, after the burning of all the libraries on the face of the globe and the emergence of a race entirely unlettered, an old Latin scholar would recover his confidence in life if he heard somebody quoting a line of Horace. And so, if he never left the train without saying to me: “When is our next little gathering?”, it was not so much with the hunger of a parasite as with the gluttony of a savant, and because he regarded our symposia at Balbec as an opportunity for talking about subjects which were precious to him and of which he was never able to talk to anyone else, and analogous in that way to those dinners at which assemble on certain specified dates, round the particularly succulent board of the Union Club, the Society of Bibliophiles. He was extremely modest, so far as his own family was concerned, and it was not from M. de Crécy that I learned that it was a very great family indeed, and a genuine branch transplanted to France of the English family which bears the title of Crecy. When I learned that he was a true Crécy, I told him that one of Mme. de Guermantes′s nieces had married an American named Charles Crecy, and said that I did not suppose there was any connexion between them. “None,” he said. “Any more than — not, of course, that my family is so distinguished — heaps of Americans who call themselves Montgomery, Berry, Chandos or Capel have with the families of Pembroke, Buckingham or Essex, or with the Duc de Berry.” I thought more than once of telling him, as a joke, that I knew Mme. Swann, who as a courtesan had been known at one time by the name Odette de Crécy; but even if the Duc d′Alencon had shewn no resentment when people mentioned in front of him Émilienne d′Alencon, I did not feel that I was on sufficiently intimate terms with M. de Crécy to carry a joke so far. “He comes of a very great family,” M. de Montsurvent said to me one day. “His family name is Saylor.” And he went on to say that on the wall of his old castle above Incarville, which was now almost uninhabitable and which he, although born to a great fortune, was now too much impoverished to put in repair, was still to be read the old motto of the family. I thought this motto very fine, whether applied to the impatience of a predatory race niched in that eyrie from which its members must have swooped down in the past, or at the present day, to its contemplation of its own decline, awaiting the approach of death in that towering, grim retreat. It is, indeed, in this double sense that this motto plays upon the name Saylor, in the words: “Ne sçais l′heure.”
A Hermenonville montait quelquefois M. de Chevrigny, dont le nom, nous dit Brichot, signifiait, comme celui de Mgr de Cabrières, «lieu où s′assemblent les chèvres». Il était parent des Cambremer et, à cause de cela et par une fausse appréciation de l′élégance, ceux-ci l′invitaient souvent à Féterne, mais seulement quand ils n′avaient pas d′invités à éblouir. Vivant toute l′année à Beausoleil, M. de Chevrigny était resté plus provincial qu′eux. Aussi, quand il allait passer quelques semaines à Paris, il n′y avait pas un seul jour de perdu pour tout ce qu′«il y avait à voir»; c′était au point que parfois, un peu étourdi par le nombre de spectacles trop rapidement digérés, quand on lui demandait s′il avait vu une certaine pièce il lui arrivait de n′en être plus bien sûr. Mais ce vague était rare, car il connaissait les choses de Paris avec ce détail particulier aux gens qui y viennent rarement. Il me conseillait les «nouveautés» à aller voir («Cela en vaut la peine»), ne les considérant, du reste, qu′au point de vue de la bonne soirée qu′elles font passer, et ignorant du point de vue esthétique jusqu′à ne pas se douter qu′elles pouvaient en effet constituer parfois une «nouveauté» dans l′histoire de l′art. C′est ainsi que, parlant de tout sur le même plan, il nous disait: «Nous sommes allés une fois à l′Opéra-Comique, mais le spectacle n′est pas fameux. Cela s′appelle Pelléas et Mélisande. C′est insignifiant. Périer joue toujours bien, mais il vaut mieux le voir dans autre chose. En revanche, au Gymnase on donne La Châtelaine. Nous y sommes retournés deux fois; ne manquez pas d′y aller, cela mérite d′être vu; et puis c′est joué à ravir; vous avez Frévalles, Marie Magnier, Baron fils»; il me citait même des noms d′acteurs que je n′avais jamais entendu prononcer, et sans les faire précéder de Monsieur, Madame ou Mademoiselle, comme eût fait le duc de Guermantes, lequel parlait du même ton cérémonieusement méprisant des «chansons de Mademoiselle Yvette Guilbert» et des «expériences de Monsieur Charcot». M. de Chevrigny n′en usait pas ainsi, il disait Cornaglia et Dehelly, comme il eût dit Voltaire et Montesquieu. Car chez lui, à l′égard des acteurs comme de tout ce qui était parisien, le désir de se montrer dédaigneux qu′avait l′aristocrate était vaincu par celui de paraître familier qu′avait le provincial.   At Hermenonville there would get in sometimes M. de Chevregny, whose name, Brichot told us, signified like that of Mgr. de Cabrières, a place where goats assemble. He was related to the Cambremers, for which reason, and from a false idea of what was fashionable, the latter often invited him to Féterne, but only when they had no other guests to dazzle. Living all the year round at Beausoleil, M. de Chevregny had remained more provincial than they. And so when he went for a few weeks to Paris, there was not a moment to waste if he was to ‘see everything′ in the time; so much so that occasionally, a little dazed by the number of spectacles too rapidly digested, when he was asked if he had seen a particular play he would find that he was no longer sure. But this uncertainty was rare, for he had that detailed knowledge of Paris only to be found in people who seldom go there. He advised me which of the ‘novelties′ I ought to see (“It′s worth your while”), regarding them however solely from the point of view of the pleasant evening that they might help to spend, and so completely ignoring the aesthetic point of view as never to suspect that they might indeed constitute a ‘novelty′ occasionally in the history of art. So it was that, speaking of everything in the same tone, he told us: “We went once to the Opéra-Comique, but the show there is nothing much. It′s called Pelléas et Mélisande. It′s rubbish. Périer always acts well, but it′s better to see him in something else. At the Gymnase, on the other hand, they′re doing La Châtelaine. We went again to it twice; don′t miss it, whatever you do, it′s well worth seeing; besides, it′s played to perfection; you have Frévalles, Marie Magnier, Baron fils”; and he went on to quote the names of actors of whom I had never heard, and without prefixing Monsieur, Madame or Mademoiselle, like the Duc de Guermantes, who used to speak in the same ceremoniously contemptuous tone of the ‘songs of Mademoiselle Yvette Guilbert′ and the ‘experiments of Monsieur Charcot.′ This was not M. de Chevregny′s way, he said “Cornaglia and Dehelly,” as he might have said “Voltaire and Montesquieu.” For in him, with regard to actors as to everything that was Parisian, the aristocrat′s desire to shew his scorn was overcome by the desire to appear on familiar terms of the provincial.
Dès après le premier dîner que j′avais fait à la Raspelière avec ce qu′on appelait encore à Féterne «le jeune mariage», bien que M. et Mme de Cambremer ne fussent plus, tant s′en fallait, de la première jeunesse, la vieille marquise m′avait écrit une de ces lettres dont on reconnaît l′écriture entre des milliers. Elle me disait: «Amenez votre cousine délicieuse -- charmante -- agréable. Ce sera un enchantement, un plaisir», manquant toujours avec une telle infaillibilité la progression attendue par celui qui recevait sa lettre que je finis par changer d′avis sur la nature de ces diminuendos, par les croire voulus, et y trouver la même dépravation du goût -- transposée dans l′ordre mondain -- qui poussait Sainte-Beuve à briser toutes les alliances de mots, à altérer toute expression un peu habituelle. Deux méthodes, enseignées sans doute par des maîtres différents, se contrariaient dans ce style épistolaire, la deuxième faisant racheter à Mme de Cambremer la banalité des adjectifs multiples en les employant en gamme descendante, en évitant de finir sur l′accord parfait. En revanche, je penchais à voir dans ces gradations inverses, non plus du raffinement, comme quand elles étaient l′oeuvre de la marquise douairière, mais de la maladresse toutes les fois qu′elles étaient employées par le marquis son fils ou par ses cousines. Car dans toute la famille, jusqu′à un degré assez éloigné, et par une imitation admirative de tante Zélia, la règle des trois adjectifs était très en honneur, de même qu′une certaine manière enthousiaste de reprendre sa respiration en parlant. Imitation passée dans le sang, d′ailleurs; et quand, dans la famille, une petite fille, dès son enfance, s′arrêtait en parlant pour avaler sa salive, on disait: «Elle tient de tante Zélia», on sentait que plus tard ses lèvres tendraient assez vite à s′ombrager d′une légère moustache, et on se promettait de cultiver chez elle les dispositions qu′elle aurait pour la musique. Les relations des Cambremer ne tardèrent pas à être moins parfaites avec Mme Verdurin qu′avec moi, pour différentes raisons. Ils voulaient inviter celle-ci. La «jeune» marquise me disait dédaigneusement: «Je ne vois pas pourquoi nous ne l′inviterions pas, cette femme; à la campagne on voit n′importe qui, ça ne tire pas à conséquence.» Mais, au fond, assez impressionnés, ils ne cessaient de me consulter sur la façon dont ils devaient réaliser leur désir de politesse. Je pensais que, comme ils nous avaient invités à dîner, Albertine et moi, avec des amis de Saint-Loup, gens élégants de la région, propriétaires du château de Gourville et qui représentaient un peu plus que le gratin normand, dont Mme Verdurin, sans avoir l′air d′y toucher, était friande, je conseillai aux Cambremer d′inviter avec eux la Patronne. Mais les châtelains de Féterne, par crainte (tant ils étaient timides) de mécontenter leurs nobles amis, ou (tant ils étaient na) que M. et Mme Verdurin s′ennuyassent avec des gens qui n′étaient pas des intellectuels, ou encore (comme ils étaient imprégnés d′un esprit de routine que l′expérience n′avait pas fécondé) de mêler les genres et de commettre un «impair», déclarèrent que cela ne corderait pas ensemble, que cela ne «bicherait» pas et qu′il valait mieux réserver Mme Verdurin (qu′on inviterait avec tout son petit groupe) pour un autre dîner. Pour le prochain -- l′élégant, avec les amis de Saint-Loup -- ils ne convièrent du petit noyau que Morel, afin que M. de Charlus fût indirectement informé des gens brillants qu′ils recevaient, et aussi que le musicien fût un élément de distraction pour les invités, car on lui demanderait d′apporter son violon. On lui adjoignit Cottard, parce que M. de Cambremer déclara qu′il avait de l′entrain et «faisait bien» dans un dîner; puis que cela pourrait être commode d′être en bons termes avec un médecin si on avait jamais quelqu′un de malade. Mais on l′invita seul, pour ne «rien commencer avec la femme». Mme Verdurin fut outrée quand elle apprit que deux membres du petit groupe étaient invités sans elle à dîner à Féterne «en petit comité». Elle dicta au docteur, dont le premier mouvement avait été d′accepter, une fière réponse où il disait: «Nous dînons ce soir-là chez Mme Verdurin», pluriel qui devait être une leçon pour les Cambremer et leur montrer qu′il n′était pas séparable de Mme Cottard. Quant à Morel, Mme Verdurin n′eut, pas besoin de lui tracer une conduite impolie, qu′il tint spontanément, voici pourquoi. S′il avait, à l′égard de M. de Charlus, en ce qui concernait ses plaisirs, une indépendance qui affligeait le baron, nous avons vu que l′influence de ce dernier se faisait sentir davantage dans d′autres domaines et qu′il avait, par exemple, élargi les connaissances musicales et rendu plus pur le style du virtuose. Mais ce n′était encore, au moins à ce point de notre récit, qu′une influence. En revanche, il y avait un terrain sur lequel ce que disait M. de Charlus était aveuglément cru et exécuté par Morel. Aveuglément et follement, car non seulement les enseignements de M. de Charlus étaient faux, mais encore, eussent-ils été valables pour un grand seigneur, appliqués à la lettre par Morel ils devenaient burlesques. Le terrain où Morel devenait si crédule et était si docile à son maître, c′était le terrain mondain. Le violoniste, qui, avant de connaître M. de Charlus, n′avait aucune notion du monde, avait pris à la lettre l′esquisse hautaine et sommaire que lui en avait tracée le baron: «Il y a un certain nombre de familles prépondérantes, lui avait dit M. de Charlus, avant tout les Guermantes, qui comptent quatorze alliances avec la Maison de France, ce qui est d′ailleurs surtout flatteur pour la Maison de France, car c′était à Aldonce de Guermantes et non à Louis le Gros, son frère consanguin mais puîné, qu′aurait dû revenir le trône de France. Sous Louis XIV, nous drapâmes à la mort de Monsieur, comme ayant la même grand′mère que le Roi; fort au-dessous des Guermantes, on peut cependant citer les La Trémoe, descendants des rois de Naples et des comtes de Poitiers; les d′Uzès, peu anciens comme famille mais qui sont les plus anciens pairs; les Luynes, tout à fait récents mais avec l′éclat de grandes alliances; les Choiseul, les Harcourt, les La Rochefoucauld. Ajoutez encore les Noailles, malgré le comte de Toulouse, les Montesquieu, les Castellane et, sauf oubli, c′est tout. Quant à tous les petits messieurs qui s′appellent marquis de Cambremerde ou de Vatefairefiche, il n′y a aucune différence entre eux et le dernier pioupiou de votre régiment. Que vous alliez faire pipi chez la comtesse Caca, ou caca chez la baronne Pipi, c′est la même chose, vous aurez compromis votre réputation et pris un torchon breneux comme papier hygiénique. Ce qui est malpropre.» Morel avait recueilli pieusement cette leçon d′histoire, peut-être un peu sommaire; il jugeait les choses comme s′il était lui-même un Guermantes et souhaitait une occasion de se trouver avec les faux La Tour d′Auvergne pour leur faire sentir, par une poignée de main dédaigneuse, qu′il ne les prenait guère au sérieux. Quant aux Cambremer, justement voici qu′il pouvait leur témoigner qu′ils n′étaient pas «plus que le dernier pioupiou de son régiment». Il ne répondit pas à leur invitation, et le soir du dîner s′excusa à la dernière heure par un télégramme, ravi comme s′il venait d′agir en prince du sang. Il faut, du reste, ajouter qu′on ne peut imaginer combien, d′une façon plus générale, M. de Charlus pouvait être insupportable, tatillon, et même, lui si fin, bête, dans toutes les occasions où entraient en jeu les défauts de son caractère. On peut dire, en effet, que ceux-ci sont comme une maladie intermittente de l′esprit. Qui n′a remarqué le fait sur des femmes, et même des hommes, doués d′intelligence remarquable, mais affligés de nervosité? Quand ils sont heureux, calmes, satisfaits de leur entourage, ils font admirer leurs dons précieux; c′est, à la lettre, la vérité qui parle par leur bouche. Une migraine, une petite pique d′amour-propre suffit à tout changer. La lumineuse intelligence, brusque, convulsive et rétrécie, ne reflète plus qu′un moi irrité, soupçonneux, coquet, faisant tout ce qu′il faut pour déplaire.   Immediately after the first dinner-party that I had attended at la Raspelière with what was still called at Féterne ‘the young couple,′ albeit M. and Mme. de Cambremer were no longer, by any means, in their first youth, the old Marquise had written me one of those letters which one can pick out by their handwriting from among a thousand. She said to me: “Bring your delicious — charming — nice cousin. It will be a delight, a pleasure,” always avoiding, and with such unerring dexterity, the sequence that the recipient of her letter would naturally have expected, that I finally changed my mind as to the nature of these diminuendoes, decided that they were deliberate, and found in them the same corruption of taste — transposed into the social key — that drove Sainte-Beuve to upset all the normal relations between words, to alter any expression that was at all conventional. Two methods, taught probably by different masters, came into conflict in this epistolary style, the second making Mme. de Cambremer redeem the monotony of her multiple adjectives by employing them in a descending scale, by avoiding an ending upon the perfect chord. On the other hand, I was inclined to see in these inverse gradations, not an additional refinement, as when they were the handiwork of the Dowager Marquise, but an additional clumsiness whenever they were employed by the Marquis her son or by his lady cousins. For throughout the family, to quite a remote degree of kinship and in admiring imitation of aunt Zélia, the rule of the three adjectives was held in great honour, as was a certain enthusiastic way of catching your breath when you were talking. An imitation that had passed into the blood, moreover; and whenever, in the family circle, a little girl, while still in the nursery, stopped short while she was talking to swallow her saliva, her parents would say: “She takes after aunt Zélia,” would feel that as she grew up, her upper lip would soon tend to hide itself beneath a faint moustache, and would make up their minds to cultivate her inherited talent for music. It was not long before the Cambremers were on less friendly terms with Mme. Verdurin than with myself, for different reasons. They felt, they must invite her to dine. The ‘young′ Marquise said to me contemptuously: “I don′t see why we shouldn′t invite that woman, in the country one meets anybody, it needn′t involve one in anything.” But being at heart considerably impressed, they never ceased to consult me as to the way in which they should carry out their desire to be polite. I thought that as they had invited Albertine and myself to dine with some friends of Saint-Loup, smart people of the neighbourhood, who owned the château of Gourville, and represented a little more than the cream of Norman society, for which Mme. Verdurin, while pretending never to look at it, thirsted, I advised the Cambremers to invite the Mistress to meet them. But the lord and lady of Féterne, in their fear (so timorous were they) of offending their noble friends, or (so simple were they) that M. and Mme. Verdurin might be bored by people who were not intellectual, or yet again (since they were impregnated with a spirit of routine which experience had not fertilised) of mixing different kinds of people, and making a social blunder, declared that it would not be a success, and that it would be much better to keep Mme. Verdurin (whom they would invite with all her little group) for another evening. For this coming evening — the smart one, to meet Saint-Loup′s friends — they invited nobody from the little nucleus but Morel, in order that M. de Charlus might indirectly be informed of the brilliant people whom they had in their house, and also that the musician might help them to entertain their guests, for he was to be asked to bring his violin. They threw in Cottard as well, because M. de Cambremer declared that he had ‘a go′ about him, and would be a success at the dinner-table; besides, it might turn out useful to be on friendly terms with a doctor, if they should ever have anybody ill in the house. But they invited him by himself, so as not to ‘start any complications with the wife.′ Mme. Verdurin was furious when she heard that two members of the little group had been invited without herself to dine at Féterne ‘quite quietly.′ She dictated to the doctor, whose first impulse had been to accept, a stiff reply in which he said: “We are dining that evening with Mme. Verdurin,” a plural which was to teach the Cambremers a lesson, and to shew them that he was not detachable from Mme. Cottard. As for Morel, Mme. Verdurin had no need to outline a course of impolite behaviour for him, he found one of his own accord, for the following reason. If he preserved, with regard to M. de Charlus, in so far as his pleasures were concerned, an independence which distressed the Baron, we have seen that the latter′s influence was making itself felt more and more in other regions, and that he had for instance enlarged the young virtuoso′s knowledge of music and purified his style. But it was still, at this point in our story, at least, only an influence. At the same time there was one subject upon which anything that M. de Charlus might say was blindly accepted and put into practice by Morel. Blindly and foolishly, for not only were M. de Charlus′s instructions false, but, even had they been justifiable in the case of a great gentleman, when applied literally by Morel they became grotesque. The subject as to which Morel was becoming so credulous and obeyed his master with such docility was that of social distinction. The violinist, who, before making M. de Charlus′s acquaintance, had had no conception of society, had taken literally the brief and arrogant sketch of it that the Baron had outlined for him. “There are a certain number of outstanding families,” M. de Charlus had told him, “first and foremost the Guermantes, who claim fourteen alliances with the House of France, which is flattering to the House of France if anything, for it was to Aldonce de Guermantes and not to Louis the Fat, his consanguineous but younger brother, that the Throne of France should have passed. Under Louiv XIV, we ‘draped′ at the death of Monsieur, having the same grandmother as the king; a long way below the Guermantes, one may however mention the families of La Trémoe, descended from the Kings of Naples and the Counts of Poitiers; of d′Uzès, scarcely old as a family, but the premier peers; of Luynes, who are of entirely recent origin, but have distinguished themselves by good marriages; of Choiseul, Harcourt, La Rochefoucauld. Add to these the family of the Noailles (notwithstanding the Comte de Toulouse), Montesquieu and Castellane, and, I think I am right in saying, those are all. As for all the little people who call themselves Marquis de Cambremerde or de Vatefairefiche, there is no difference between them and the humblest private in your regiment. It doesn′t matter whether you go and p—— at Comtesse S——t′s or s——t at Baronne P——′s, it′s exactly the same, you will have compromised yourself and have used a dirty rag instead of toilet paper. Which is not nice.” Morel had piously taken in this history lesson, which was perhaps a trifle cursory, and looked upon these matters as though he were himself a Guermantes and hoped that he might some day have an opportunity of meeting the false La Tour d′Auvergnes in order to let them see, by the contemptuous way in which he shook hands, that he did not take them very seriously. As for the Cambremers, here was his very chance to prove to them that they were no better than ‘the humblest private in his regiment.′ He did not answer their invitation, and on the evening of the dinner declined at the last moment by telegram, as pleased with himself as if he had behaved like a Prince of Blood. It must be added here that it is impossible to imagine how intolerable and interfering M. de Charlus could be, in a more general fashion, and even, he who was so clever, how stupid, on all occasions when the flaws in his character came into play. We may say indeed that these flaws are like an intermittent malady of the mind. Who has not observed the fact among women, and even among men, endowed with remarkable intelligence but afflicted with nerves, when they are happy, calm, satisfied with their surroundings, we cannot help admiring their precious gifts, the words that fall from their lips are the literal truth. A touch of headache, the slightest injury to their self-esteem is enough to alter everything. The luminous intelligence, become abrupt, convulsive and narrow, reflects nothing but an irritated, suspicious, teasing self, doing everything that it can to give trouble.
La colère des Cambremer fut vive; et, dans l′intervalle, d′autres incidents amenèrent une certaine tension dans leurs rapports avec le petit clan. Comme nous revenions, les Cottard, Charlus, Brichot, Morel et moi, d′un dîner à la Raspelière et que les Cambremer, qui avaient déjeuné chez des amis à Harambouville, avaient fait à l′aller une partie du trajet avec nous: «Vous qui aimez tant Balzac et savez le reconnaître dans la société contemporaine, avais-je dit à M. de Charlus, vous devez trouver que ces Cambremer sont échappés des Scènes de la vie de Province.» Mais M. de Charlus, absolument comme s′il avait été leur ami et si je l′eusse froissé par ma remarque, me coupa brusquement la parole: «Vous dites cela parce que la femme est supérieure au mari, me dit-il d′un ton sec. -- Oh! je ne voulais pas dire que c′était la Muse du département, ni Madame de Bargeton bien que . . . » M. de Charlus m′interrompit encore: «Dites plutôt Mme de Mortsauf.» Le train s′arrêta et Brichot descendit. «Nous avions beau vous faire des signes, vous êtes terrible. -- Comment cela? -- Voyons, ne vous êtes-vous pas aperçu que Brichot est amoureux fou de Mme de Cambremer?» Je vis par l′attitude des Cottard et de Charlie que cela ne faisait pas l′ombre d′un doute dans le petit noyau. Je crus qu′il y avait de la malveillance de leur part. «Voyons, vous n′avez pas remarqué comme il a été troublé quand vous avez parlé d′elle», reprit M. de Charlus, qui aimait montrer qu′il avait l′expérience des femmes et parlait du sentiment qu′elles inspirent d′un air naturel et comme si ce sentiment était celui qu′il éprouvait lui-même habituellement. Mais un certain ton d′équivoque paternité avec tous les jeunes gens -- malgré son amour exclusif pour Morel -- démentit par le ton les vues d′homme à femmes qu′il émettait: «Oh! ces enfants, dit-il, d′une voix aiguë, mièvre et cadencée, il faut tout leur apprendre, ils sont innocents comme l′enfant qui vient de naître, ils ne savent pas reconnaître quand un homme est amoureux d′une femme. A votre âge j′étais plus dessalé que cela», ajouta-t-il, car il aimait employer les expressions du monde apache, peut-être par goût, peut-être pour ne pas avoir l′air, en les évitant, d′avouer qu′il fréquentait ceux dont c′était le vocabulaire courant. Quelques jours plus tard, il fallut bien me rendre à l′évidence et reconnaître que Brichot était épris de la marquise. Malheureusement il accepta plusieurs déjeuners chez elle. Mme Verdurin estima qu′il était temps de mettre le holà. En dehors de l′utilité qu′elle voyait à une intervention, pour la politique du petit noyau, elle prenait à ces sortes d′explications et aux drames qu′ils déchaînaient un goût de plus en plus vif et que l′oisiveté fait naître, aussi bien que dans le monde aristocratique, dans la bourgeoisie. Ce fut un jour de grande émotion à la Raspelière quand on vit Mme Verdurin disparaître pendant une heure avec Brichot, à qui on sut qu′elle avait dit que Mme de Cambremer se moquait de lui, qu′il était la fable de son salon, qu′il allait déshonorer sa vieillesse, compromettre sa situation dans l′enseignement. Elle alla jusqu′à lui parler en termes touchants de la blanchisseuse avec qui il vivait à Paris, et de leur petite fille. Elle l′emporta, Brichot cessa d′aller à Féterne, mais son chagrin fut tel que pendant deux jours on crut qu′il allait perdre complètement la vue, et sa maladie, en tout cas, avait fait un bond en avant qui resta acquis. Cependant les Cambremer, dont la colère contre Morel était grande, invitèrent une fois, et tout exprès, M. de Charlus, mais sans lui. Ne recevant pas de réponse du baron, ils craignirent d′avoir fait une gaffe et, trouvant que la rancune est mauvaise conseillère, écrivirent un peu tardivement à Morel, platitude qui fit sourire M. de Charlus en lui montrant son pouvoir. «Vous répondrez pour nous deux que j′accepte», dit le baron à Morel. Le jour du dîner venu, on attendait dans le grand salon de Féterne. Les Cambremer donnaient en réalité le dîner pour la fleur de chic qu′étaient M. et Mme Féré. Mais ils craignaient tellement de déplaire à M. de Charlus que, bien qu′ayant connu les Féré par M. de Chevrigny, Mme de Cambremer se sentit la fièvre quand, le jour du dîner, elle vit celui-ci venir leur faire une visite à Féterne. On inventa tous les prétextes pour le renvoyer à Beausoleil au plus vite, pas assez pourtant pour qu′il ne croisât pas dans la cour les Féré, qui furent aussi choqués de le voir chassé que lui honteux. Mais, coûte que coûte, les Cambremer voulaient épargner à M. de Charlus la vue de M. de Chevrigny, jugeant celui-ci provincial à cause de nuances, qu′on néglige en famille, mais dont on ne tient compte que vis-à-vis des étrangers, qui sont précisément les seuls qui ne s′en apercevraient pas. Mais on n′aime pas leur montrer les parents qui sont restés ce que l′on s′est efforcé de cesser d′être. Quant à M. et Mme Féré, ils étaient au plus haut degré ce qu′on appelle des gens «très bien». Aux yeux de ceux qui les qualifiaient ainsi, sans doute les Guermantes, les Rohan et bien d′autres étaient aussi des gens très bien, mais leur nom dispensait de le dire. Comme tout le monde ne savait pas la grande naissance de la mère de Mme Féré, et le cercle extraordinairement fermé qu′elle et son mari fréquentaient, quand on venait de les nommer, pour expliquer on ajoutait toujours que c′était des gens «tout ce qu′il y a de mieux». Leur nom obscur leur dictait-il une sorte de hautaine réserve? Toujours est-il que les Féré ne voyaient pas des gens que des La Trémoe auraient fréquentés. Il avait fallu la situation de reine du bord de la mer, que la vieille marquise de Cambremer avait dans la Manche, pour que les Féré vinssent à une de ses matinées chaque année. On les avait invités à dîner et on comptait beaucoup sur l′effet qu′allait produire sur eux M. de Charlus. On annonça discrètement qu′il était au nombre des convives. The Cambremers were extremely angry; and in the interval other incidents brought about a certain tension in their relations with the little clan. As we were returning, the Cottards, Charlus, Brichot, Morel and I, from a dinner at la Raspelière, one evening after the Cambremers who had been to luncheon with friends at Harambouville had accompanied us for part of our outward journey: “You who are so fond of Balzac, and can find examples of him in the society of to-day,” I had remarked to M. de Charlus, “you must feel that those Cambremers come straight out of the Scènes de la Vie de Province.” But M. de Charlus, for all the world as though he had been their friend, and I had offended him by my remark, at once cut me short: “You say that because the wife is superior to the husband,” he informed me in a dry tone. “Oh, I wasn′t suggesting that she was the Muse du département, or Mme. de Bargeton, although. . . . ” M. de Charlus again interrupted me: “Say rather, Mme. de Mortsauf.” The train stopped and Brichot got out. “Didn′t you see us making signs to you? You are incorrigible.” “What do you mean?” “Why, have you never noticed that Brichot is madly in love with Mme. de Cambremer?” I could see from the attitude of Cottard and Charlie that there was not a shadow of doubt about this in the little nucleus. I felt that it shewed a trace of malice on their part. “What, you never noticed how distressed he became when you mentioned her,” went on M. de Charlus, who liked to shew that he had experience of women, and used to speak of the sentiment which they inspire with a natural air and as though this were the sentiment which he himself habitually felt. But a certain equivocally paternal tone in addressing all young men — notwithstanding his exclusive affection for Morel — gave the lie to the views of a woman-loving man which he expressed. “Oh! These children,” he said in a shrill, mincing, sing-song voice, “one has to teach them everything, they are as innocent as a newborn babe, they can′t even tell when a man is in love with a woman. I wasn′t such a chicken at your age,” he added, for he liked to use the expressions of the underworld, perhaps because they appealed to him, perhaps so as not to appear, by avoiding them, to admit that he consorted with people whose current vocabulary they were. A few days later, I was obliged to yield to the force of evidence, and admit that Brichot was enamoured of the Marquise. Unfortunately he accepted several invitations to luncheon with her. Mme. Verdurin decided that it was time to put a stop to these proceedings. Quite apart from the importance of such an intervention to her policy in controlling the little nucleus, explanations of this sort and the dramas to which they gave rise caused her an ever increasing delight which idleness breeds just as much in the middle classes as in the aristocracy. It was a day of great emotion at la Raspelière when Mme. Verdurin was seen to disappear for a whole hour with Brichot, whom (it was known) she proceeded to inform that Mme. de Cambremer was laughing at him, that he was the joke of her drawing-room, that he would end his days in disgrace, having forfeited his position in the teaching world. She went so far as to refer in touching terms to the laundress with whom he was living in Paris, and to their little girl. She won the day, Brichot ceased to go to Féterne, but his grief was such that for two days it was thought that he would lose his sight altogether, while in any case his malady increased at a bound and held the ground it had won. In the meantime, the Cambremers, who were furious with Morel, invited M. de Charlus on one occasion, deliberately, without him. Receiving no reply from the Baron, they began to fear that they had committed a blunder, and, deciding that malice made an evil counsellor, wrote, a little late in the day, to Morel, an ineptitude which made M. de Charlus smile, as it proved to him the extent of his power. “You shall answer for us both that I accept,” he said to Morel. When the evening of the dinner came, the party assembled in the great drawing-room of Féterne. In reality, the Cambremers were giving this dinner for those fine flowers of fashion M. and Mme. Féré. But they were so much afraid of displeasing M. de Charlus, that although she had got to know the Férés through M. de Chevregny, Mme. de Cambremer went into a fever when, on the afternoon before the dinner, she saw him arrive to pay a call on them at Féterne. She made every imaginable excuse for sending him back to Beausoleil as quickly as possible, not so quickly, however, that he did not pass, in the courtyard, the Férés, who were as shocked to see him dismissed like this as he himself was ashamed. But, whatever happened, the Cambremers wished to spare M. de Charlus the sight of M. de Chevregny, whom they judged to be provincial because of certain little points which are overlooked in the family circle and become important only in the presence of strangers, who are the last people in the world to notice them. But we do not like to display to them relatives who have remained at the stage which we ourselves have struggled to outgrow. As for M. and Mme. Féré, they were, in the highest sense of the words, what are called ‘really nice people.′ In the eyes of those who so defined them, no doubt the Guermantes, the Rohans and many others were also really nice people, but their name made it unnecessary to say so. As everybody was not aware of the exalted birth of Mme. Féré‘s mother, and the extraordinarily exelusive circle in which she and her husband moved, when you mentioned their name, you invariably added by way of explanation that they were ‘the very best sort.′ Did their obscure name prompt them to a sort of haughty reserve? However that may be, the fact remains that the Férés refused to know people on whom a La Trémoe would have called. It needed the position of queen of her particular stretch of coast, which the old Marquise de Cambremer held in the Manche, to make the Férés consent to come to one of her afternoons every year. The Cambremers had invited them to dinner and were counting largely on the effect that would be made on them by M. de Charlus. It was discreetly announced that he was to be one of the party.
Par hasard Mme Féré ne le connaissait pas. Mme de Cambremer en ressentit une vive satisfaction, et le sourire du chimiste qui va mettre en rapport pour la première fois deux corps particulièrement importants erra sur son visage. La porte s′ouvrit et Mme de Cambremer faillit se trouver mal en voyant Morel entrer seul. Comme un secrétaire des commandements chargé d′excuser son ministre, comme une épouse morganatique qui exprime le regret qu′a le prince d′être souffrant (ainsi en usait Mme de Clinchamp à l′égard du duc d′Aumale), Morel dit du ton le plus léger: «Le baron ne pourra pas venir. Il est un peu indisposé, du moins je crois que c′est pour cela . . . Je ne l′ai pas rencontré cette semaine», ajouta-t-il, désespérant, jusque par ces dernières paroles, Mme de Cambremer qui avait dit à M. et Mme Féré que Morel voyait M. de Charlus à toutes les heures du jour. Les Cambremer feignirent que l′absence du baron était un agrément de plus à la réunion et, sans se laisser entendre de Morel, disaient à leurs invités: «Nous nous passerons de lui, n′est-ce pas, ce ne sera que plus agréable.» Mais ils étaient furieux, soupçonnèrent une cabale montée par Mme Verdurin, et, du tac au tac, quand celle-ci les réinvita à la Raspelière, M. de Cambremer, ne pouvant résister au plaisir de revoir sa maison et de se retrouver dans le petit groupe, vint, mais seul, en disant que la marquise était désolée, mais que son médecin lui avait ordonné de garder la chambre. Les Cambremer crurent, par cette demi-présence, à la fois donner une leçon à M. de Charlus et montrer aux Verdurin qu′ils n′étaient tenus envers eux qu′à une politesse limitée, comme les princesses du sang autrefois reconduisaient les duchesses, mais seulement jusqu′à la moitié de la seconde chambre. Au bout de quelques semaines ils étaient à peu près brouillés. M. de Cambremer m′en donnait ces explications: «Je vous dirai qu′avec M. de Charlus c′était difficile. Il est extrêmement dreyfusard . . . -- Mais non! -- Si . . ., en tout cas son cousin le prince de Guermantes l′est, on leur jette assez la pierre pour ça. J′ai des parents très à l′oeil là-dessus. Je ne peux pas fréquenter ces gens-là, je me brouillerais avec toute ma famille. -- Puisque le prince de Guermantes est dreyfusard, cela ira d′autant mieux, dit Mme de Cambremer, que Saint-Loup, qui, dit-on, épouse sa nièce, l′est aussi. C′est même peut-être la raison du mariage. -- Voyons, ma chère, ne dites pas que Saint-Loup, que nous aimons beaucoup, est dreyfusard. On ne doit pas répandre ces allégations à la légère, dit M. de Cambremer. Vous le feriez bien voir dans l′armée! -- Il l′a été, mais il ne l′est plus, dis-je à M. de Cambremer. Quant à son mariage avec Mlle de Guermantes-Brassac, est-ce vrai? -- On ne parle que de ça, mais vous êtes bien placé pour le savoir. -- Mais je vous répète qu′il me l′a dit à moi-même qu′il était dreyfusard, dit Mme de Cambremer. C′est, du reste, très excusable, les Guermantes sont à moitié allemands. -- Pour les Guermantes de la rue de Varenne, vous pouvez dire tout à fait, dit Cancan. Mais Saint-Loup, c′est une autre paire de manches; il a beau avoir toute une parenté allemande, son père revendiquait avant tout son titre de grand seigneur français, il a repris du service en 1871 et a été tué pendant la guerre de la plus belle façon. J′ai beau être très à cheval là-dessus, il ne faut pas faire d′exagération ni dans un sens ni dans l′autre. In medio . . . virtus, ah! je ne peux pas me rappeler. C′est quelque chose que dit le docteur Cottard. En voilà un qui a toujours le mot. Vous devriez avoir ici un petit Larousse.» Pour éviter de se prononcer sur la citation latine et abandonner le sujet de Saint-Loup, où son mari semblait trouver qu′elle manquait de tact, Mme de Cambremer se rabattit sur la Patronne, dont la brouille avec eux était encore plus nécessaire à expliquer. «Nous avons loué volontiers la Raspelière à Mme Verdurin, dit la marquise. Seulement elle a eu l′air de croire qu′avec la maison et tout ce qu′elle a trouvé le moyen de se faire attribuer, la jouissance du pré, les vieilles tentures, toutes choses qui n′étaient nullement dans le bail, elle aurait en plus le droit d′être liée avec nous. Ce sont des choses absolument distinctes. Notre tort est de n′avoir pas fait faire les choses simplement par un gérant ou par une agence. A Féterne ça n′a pas d′importance, mais je vois d′ici la tête que ferait ma tante de Ch′nouville si elle voyait s′amener, à mon jour, la mère Verdurin avec ses cheveux en l′air. Pour M. de Charlus, naturellement, il connaît des gens très bien, mais il en connaît aussi de très mal.» Je demandai lesquels. Pressée de questions, Mme de Cambremer finit par dire: «On prétend que c′est lui qui faisait vivre un monsieur Moreau, Morille, Morue, je ne sais plus. Aucun rapport, bien entendu, avec Morel, le violoniste, ajouta-t-elle en rougissant. Quand j′ai senti que Mme Verdurin s′imaginait que, parce qu′elle était notre locataire dans la Manche, elle aurait le droit de me faire des visites à Paris, j′ai compris qu′il fallait couper le câble.» As it happened, Mme. Féré had never met him. Mme. de Cambremer, on learning this, felt a keen satisfaction, and the smile of the chemist who is about to bring into contact for the first time two particularly important bodies hovered over her face. The door opened, and Mme. de Cambremer almost fainted when she saw Morel enter the room alone. Like a private secretary charged with apologies for his Minister, like a morganatic wife who expresses the Prince′s regret that he is unwell (so Mme. de Clinchamp used to apologise for the Duc d′Aumale), Morel said in the airiest of tones: “The Baron can′t come. He is not feeling very well, at least I think that is why, I haven′t seen him this week,” he added, these last words completing the despair of Mme. de Cambremer, who had told M. and Mme. Féré that Morel saw M. de Charlus at every hour of the day. The Cambremers pretended that the Baron′s absence gave an additional attraction to their party, and without letting Morel hear them, said to their other guests: “We can do very well without him, can′t we, it will be all the better.” But they were furious, suspected a plot hatched by Mme. Verdurin, and, tit for tat, when she invited them again to la Raspelière, M. de Cambremer, unable to resist the pleasure of seeing his house again and of mingling with the little group, came, but came alone, saying that the Marquise was so sorry, but her doctor had ordered her to stay in her room. The Cambremers hoped by this partial attendance at once to teach M. de Charlus a lesson, and to shew the Verdurins that they were not obliged to treat them with more than a limited politeness, as Princesses of the Blood used in the old days to ‘shew out′ Duchesses, but only to the middle of the second saloon. After a few weeks, they were scarcely on speaking terms. M. de Cambremer explained this to me as follows: “I must tell you that with M. de Charlus it was rather difficult. He is an extreme Dreyfusard. . . . ” “Oh, no!” “Yes. . . . Anyhow his cousin the Prince de Guermantes is, they′ve come in for a lot of abuse over that. I have some relatives who are very particular about that sort of thing. I can′t afford to mix with those people, I should quarrel with the whole of my family.” “Since the Prince de Guermantes is a Dreyfusard, that will make it all the easier,” said Mme. de Cambremer, “for Saint-Loup, who is said to be going to marry his niece, is one too. Indeed, that is perhaps why he is marrying her.” “Come now, my dear, you mustn′t say that Saint-Loup, who is a great friend of ours, is a Dreyfusard. One ought not to make such allegations lightly,” said M. de Cambremer. “You would make him highly popular in the army!” “He was once, but he isn′t any longer,” I explained to M. de Cambremer. “As for his marrying Mlle. de Guermantes-Brassac, is there any truth in that?” “People are talking of nothing else, but you should be in a position to know.” “But I repeat that he told me himself, he was a Dreyfusard,” said Mme. de Cambremer. “Not that there isn′t every excuse for him, the Guermantes are half German.” “The Guermantes in the Rue de Varenne, you can say, are entirely German,” said Cancan. “But Saint-Loup is a different matter altogether; he may have any amount of German blood, his father insisted upon maintaining his title as a great nobleman of France, he rejoined the service in 1871 and was killed in the war in the most gallant fashion. I may take rather a strong line about these matters, but it doesn′t do to exaggerate either one way or the other. In medio . . . virtus, ah, I forget the exact words. It′s a remark Doctor Cottard made. Now, there′s a man who can always say the appropriate thing. You ought to have a small Larousse in the house.” To avoid having to give an opinion as to the Latin quotation, and to get away from the subject of Saint-Loup, as to whom her husband seemed to think that she was wanting in tact, Mme. de Cambremer fell back upon the Mistress whose quarrel with them was even more in need of an explanation. “We were delighted to let la Raspelière to Mme. Verdurin,” said the Marquise. “The only trouble is, she appears to imagine that with the house, and everything else that she has managed to tack on to it, the use of the meadow, the old hangings, all sorts of things which weren′t in the lease at all, she should also be entitled to make friends with us. The two things are entirely distinct. Our mistake lay in our not having done everything quite simply through a lawyer or an agency. At Féterne it doesn′t matter, but I can just imagine the face my aunt de Ch′nouville would make if she saw old mother Verdurin come marching in, on one of my days, with her hair streaming. As for M. de Charlus, of course, he knows some quite nice people, but he knows some very nasty people too.” I asked for details. Driven into a corner, Mme. de Cambremer finally admitted: “People say that it was he who maintained a certain Monsieur Moreau, Morille, Morue, I don′t remember. Nothing to do, of course, with Morel, the violinist,” she added, blushing. “When I realised that Mme. Verdurin imagined that because she was our tenant in the Manche, she would have the right to come and call upon me in Paris, I saw that it was time to cut the cable.”
Malgré cette brouille avec la Patronne, les Cambremer n′étaient pas mal avec les fidèles, et montaient volontiers dans notre wagon quand ils étaient sur la ligne. Quand on était sur le point d′arriver à Douville, Albertine, tirant une dernière fois son miroir, trouvait quelquefois utile de changer ses gants ou d′ôter un instant son chapeau et, avec le peigne d′écaille que je lui avais donné et qu′elle avait dans les cheveux, elle en lissait les coques, en relevait le bouffant, et, s′il était nécessaire, au-dessus des ondulations qui descendaient en vallées régulières jusqu′à la nuque, remontait son chignon. Une fois dans les voitures qui nous attendaient, on ne savait plus du tout où on se trouvait; les routes n′étaient pas éclairées; on reconnaissait au bruit plus fort des roues qu′on traversait un village, on se croyait arrivé, on se retrouvait en pleins champs, on entendait des cloches lointaines, on oubliait qu′on était en smoking, et on s′était presque assoupi quand, au bout de cette longue marge d′obscurité qui, à cause de la distance parcourue et des incidents caractéristiques de tout trajet en chemin de fer, semblait nous avoir portés jusqu′à une heure avancée de la nuit et presque à moitié chemin d′un retour vers Paris, tout à coup, après que le glissement de la voiture sur un sable plus fin avait décelé qu′on venait d′entrer dans le parc, explosaient, nous réintroduisant dans la vie mondaine, les éclatantes lumières du salon, puis de la salle à manger, où nous éprouvions un vif mouvement de recul en entendant sonner ces huit heures que nous croyions passées depuis longtemps, tandis que les services nombreux et les vins fins allaient se succéder autour des hommes en frac et des femmes à demi décolletées, en un dîner rutilant de clarté comme un véritable dîner en ville et qu′entourait seulement, changeant par là son caractère, la double écharpe sombre et singulière qu′avaient tissée, détournées par cette utilisation mondaine de leur solennité première, les heures nocturnes, champêtres et marines de l′aller et du retour. Celui-ci nous forçait, en effet, à quitter la splendeur rayonnante et vite oubliée du salon lumineux pour les voitures, où je m′arrangeais à être avec Albertine afin que mon amie ne pût être avec d′autres sans moi, et souvent pour une autre cause encore, qui est que nous pouvions tous deux faire bien des choses dans une voiture noire où les heurts de la descente nous excusaient, d′ailleurs, au cas où un brusque rayon filtrerait, d′être cramponnés l′un à l′autre. Quand M. de Cambremer n′était pas encore brouillé avec les Verdurin, il me demandait: «Vous ne croyez pas, avec ce brouillard-là, que vous allez avoir vos étouffements? Ma soeur en a eu de terribles ce matin. Ah! vous en avez aussi, disait-il avec satisfaction. Je le lui dirai ce soir. Je sais qu′en rentrant elle s′informera tout de suite s′il y a longtemps que vous ne les avez pas eus.» Il ne me parlait, d′ailleurs, des miens que pour arriver à ceux de sa soeur, et ne me faisait décrire les particularités des premiers que pour mieux marquer les différences qu′il y avait entre les deux. Mais malgré celles-ci, comme les étouffements de sa soeur lui paraissaient devoir faire autorité, il ne pouvait croire que ce qui «réussissait» aux siens ne fût pas indiqué pour les miens, et il s′irritait que je n′en essayasse pas, car il y a une chose plus difficile encore que de s′astreindre à un régime, c′est de ne pas l′imposer aux autres. «D′ailleurs, que dis-je, moi profane, quand vous êtes ici devant l′aréopage, à la source. Qu′en pense le professeur Cottard?» Je revis, du reste, sa femme une autre fois parce qu′elle avait dit que ma «cousine» avait un drôle de genre et que je voulus savoir ce qu′elle entendait par là. Elle nia l′avoir dit, mais finit par avouer qu′elle avait parlé d′une personne qu′elle avait cru rencontrer avec ma cousine. Elle ne savait pas son nom et dit finalement que, si elle ne se trompait pas, c′était la femme d′un banquier, laquelle s′appelait Lina, Linette, Lisette, Lia, enfin quelque chose de ce genre. Je pensais que «femme d′un banquier» n′était mis que pour plus de démarquage. Je voulus demander à Albertine si c′était vrai. Mais j′aimais mieux avoir l′air de celui qui sait que de celui qui questionne. D′ailleurs Albertine ne m′eût rien répondu ou un non dont le «n» eût été trop hésitant et le «on» trop éclatant. Albertine ne racontait jamais de faits pouvant lui faire du tort, mais d′autres qui ne pouvaient s′expliquer que par les premiers, la vérité étant plutôt un courant qui part de ce qu′on nous dit et qu′on capte, tout invisible qu′il soit, que la chose même qu′on nous a dite. Ainsi, quand je lui assurai qu′une femme qu′elle avait connue à Vichy avait mauvais genre, elle me jura que cette femme n′était nullement ce que je croyais et n′avait jamais essayé de lui faire faire le mal. Mais elle ajouta un autre jour, comme je parlais de ma curiosité de ce genre de personnes, que la dame de Vichy avait une amie aussi, qu′elle, Albertine, ne connaissait pas, mais que la dame lui avait «promis de lui faire connaître». Pour qu′elle le lui eût promis, c′était donc qu′Albertine le désirait, ou que la dame avait, en le lui offrant, su lui faire plaisir. Mais si je l′avais objecté à Albertine, j′aurais eu l′air de ne tenir mes révélations que d′elle, je les aurais arrêtées aussitôt, je n′eusse plus rien su, j′eusse cessé de me faire craindre. D′ailleurs, nous étions à Balbec, la dame de Vichy et son amie habitaient Menton; l′éloignement, l′impossibilité du danger eut tôt fait de détruire mes soupçons. Souvent, quand M. de Cambremer m′interpellait de la gare, je venais avec Albertine de profiter des ténèbres, et avec d′autant plus de peine que celle-ci s′était un peu débattue, craignant qu′elles ne fussent pas assez complètes. «Vous savez que je suis sûre que Cottard nous a vus; du reste, même sans voir il a bien entendu notre voix étouffée, juste au moment où on parlait de vos étouffements d′un autre genre», me disait Albertine en arrivant à la gare de Douville où nous reprenions le petit chemin de fer pour le retour. Mais ce retour, de même que l′aller, si, en me donnant quelque impression de poésie, il réveillait en moi le désir de faire des voyages, de mener une vie nouvelle, et me faisait par là souhaiter d′abandonner tout projet de mariage avec Albertine, et même de rompre définitivement nos relations, me rendait aussi, et à cause même de leur nature contradictoire, cette rupture plus facile. Car, au retour aussi bien qu′à l′aller, à chaque station montaient avec nous ou nous disaient bonjour du quai des gens de connaissance; sur les plaisirs furtifs de l′imagination dominaient ceux, continuels, de la sociabilité, qui sont si apaisants, si endormeurs. Déjà, avant les stations elles-mêmes, leurs noms (qui m′avaient tant fait rêver depuis le jour où je les avais entendus, le premier soir où j′avais voyagé avec ma grand′mère) s′étaient humanisés, avaient perdu leur singularité depuis le soir où Brichot, à la prière d′Albertine, nous en avait plus complètement expliqué les étymologies. J′avais trouvé charmant la fleur qui terminait certains noms, comme Fiquefleur, Honfleur, Flers, Barfleur, Harfleur, etc., et amusant le boeuf qu′il y a à la fin de Bricqueboeuf. Mais la fleur disparut, et aussi le boeuf, quand Brichot (et cela, il me l′avait dit le premier jour dans le train) nous apprit que fleur veut dire «port» (comme fiord) et que boeuf, en normand budh, signifie «cabane». Comme il citait plusieurs exemples, ce qui m′avait paru particulier se généralisait: Bricqueboeuf allait rejoindre Elbeuf, et même, dans un nom au premier abord aussi individuel que le lieu, comme le nom de Pennedepie, où les étrangetés les plus impossibles à élucider par la raison me semblaient amalgamées depuis un temps immémorial en un vocable vilain, savoureux et durci comme certain fromage normand, je fus désolé de retrouver le pen gaulois qui signifie «montagne» et se retrouve aussi bien dans Pennemarck que dans les Apennins. Comme, à chaque arrêt du train, je sentais que nous aurions des mains amies à serrer, sinon des visites à recevoir, je disais à Albertine: «Dépêchez-vous de demander à Brichot les noms que vous voulez savoir. Vous m′aviez parlé de Marcouville l′Orgueilleuse. -- Oui, j′aime beaucoup cet orgueil, c′est un village fier, dit Albertine. -- Vous le trouveriez, répondit Brichot, plus fier encore si, au lieu de se faire française ou même de basse latinité, telle qu′on la trouve dans le cartulaire de l′évêque de Bayeux, Marcouvilla superba, vous preniez la forme plus ancienne, plus voisine du normand Marculphivilla superba, le village, le domaine de Merculph. Dans presque tous ces noms qui se terminent enville, vous pourriez voir, encore dressé sur cette côte, le fantôme des rudes envahisseurs normands. A Harambouville, vous n′avez eu, debout à la portière du wagon, que notre excellent docteur qui, évidemment, n′a rien d′un chef norois. Mais en fermant les yeux vous pourriez voir l′illustre Herimund (Herimundivilla). Bien que je ne sache pourquoi on aille sur ces routes-ci, comprises entre Loigny et Balbec-Plage, plutôt que sur celles, fort pittoresques, qui conduisent de Loigny au vieux Balbec, Mme Verdurin vous a peut-être promenés de ce côté-là en voiture. Alors vous avez vu Incarville ou village de Wiscar, et Tourville, avant d′arriver chez Mme Verdurin, c′est le village de Turold. D′ailleurs il n′y eut pas que des Normands. Il semble que des Allemands soient venus jusqu′ici (Auménancourt, Alemanicurtis); ne le disons pas à ce jeune officier que j′aperçois; il serait capable de ne plus vouloir aller chez ses cousins. Il y eut aussi des Saxons, comme en témoigne la fontaine de Sissonne (un des buts de promenade favoris de Mme Verdurin et à juste titre), aussi bien qu′en Angleterre le Middlesex, le Wessex. Chose inexplicable, il semble que des Goths, des «gueux» comme on disait, soient venus jusqu′ici, et même les Maures, car Mortagne vient de Mauretania. La trace en est restée à Gourville (Gothorumvilla). Quelque vestige des Latins subsiste d′ailleurs aussi, Lagny (Latiniacum). -- Moi je demande l′explication de Thorpehomme, dit M. de Charlus. Je comprends «homme», ajouta-t-il, tandis que le sculpteur et Cottard échangeaient un regard d′intelligence. Mais Thorph? --«Homme» ne signifie nullement ce que vous êtes naturellement porté à croire, baron, répondit Brichot, en regardant malicieusement Cottard et le sculpteur. «Homme» n′a rien à voir ici avec le sexe auquel je ne dois pas ma mère. «Homme» c′est Holm, qui signifie «îlot», etc . . . Quant à Thorph, ou «village», on le retrouve dans cent mots dont j′ai déjà ennuyé notre jeune ami. Ainsi dans Thorpehomme il n′y a pas de nom de chef normand, mais des mots de la langue normande. Vous voyez comme tout ce pays a été germanisé. -- Je crois qu′il exagère, dit M. de Charlus. J′ai été hier à Orgeville. -- Cette fois-ci je vous rends l′homme que je vous avais ôté dans Thorpehomme, baron. Soit dit sans pédantisme, une charte de Robert Ier nous donne pour Orgeville Otgervilla, le domaine d′Otger. Tous ces noms sont ceux d′anciens seigneurs. Octeville la Venelle est pour l′Avenel. Les Avenel étaient une famille connue au moyen âge. Bourguenolles, où Mme Verdurin nous a emmenés l′autre jour, s′écrivait «Bourg de Môles», car ce village appartint, au XIe siècle, à Baudoin de Môles, ainsi que la Chaise-Baudoin; mais nous voici à Doncières. -- Mon Dieu, que de lieutenants vont essayer de monter, dit M. de Charlus, avec un effroi simulé. Je le dis pour vous, car moi cela ne me gêne pas, puisque je descends. -- Vous entendez, docteur? dit Brichot. Le baron a peur que des officiers ne lui passent sur le corps. Et pourtant, ils sont dans leur rôle en se trouvant massés ici, car Doncières, c′est exactement Saint-Cyr, Dominus Cyriacus.Il y a beaucoup de noms de villes oùsanctus et sancta sont remplacés par dominus et par domina. Du reste, cette ville calme et militaire a parfois de faux airs de Saint-Cyr, de Versailles, et même de Fontainebleau.»   Notwithstanding this quarrel with the Mistress, the Cambremers were on quite good terms with the faithful, and would readily get into our carriage when they were travelling by the train. Just before we reached Douville, Albertine, taking out her mirror for the last time, would sometimes feel obliged to change her gloves, or to take off her hat for a moment, and, with the tortoiseshell comb which I had given her and which she wore in her hair, would smooth the plaits, pull out the puffs, and if necessary, over the undulations which descended in regular valleys to the nape of her neck, push up her chignon. Once we were in the carriages which had come to meet us, we no longer had any idea where we were; the roads were not lighted; we could tell by the louder sound of the wheels that we were passing through a village, we thought we had arrived, we found ourselves once more in the open country, we heard bells in the distance, we forgot that we were in evening dress, and had almost fallen asleep when, at the end of this wide borderland of darkness which, what with the distance we had travelled and the incidents characteristic of all railway journeys, seemed to have carried us on to a late hour of the night and almost half way back to Paris, suddenly after the crunching of the carriage wheels over a finer gravel had revealed to us that we had turned into the park, there burst forth, reintroducing us into a social existence, the dazzling lights of the drawing-room, then of the dining-room where we were suddenly taken aback by hearing eight o′clock strike, that hour which we supposed to have so long since passed, while the endless dishes and vintage wines followed one another round men in black and women with bare arms, at a dinner-party ablaze with light like any real dinner-party, surrounded only, and thereby changing its character, by the double veil, sombre and strange, that was woven for it, with a sacrifice of their first solemnity to this social purpose, by the nocturnal, rural, seaside hours of the journey there and back. The latter indeed obliged us to leave the radiant and soon forgotten splendour of the lighted drawing-room for the carriages in which I arranged to sit beside Albertine so that my mistress might not be left with other people in my absence, and often for another reason as well, which was that we could both do many things in a dark carriage, in which the jolts of the downward drive would moreover give us an excuse, should a sudden ray of light fall upon us, for clinging to one another. When M. de Cambremer was still on visiting terms with the Verdurins, he would ask me: “You don′t think that this fog will bring on your choking fits? My sister was terribly bad this morning. Ah! You have been having them too,” he said with satisfaction. “I shall tell her that to-night. I know that, as soon as I get home, the first thing she will ask will be whether you have had any lately.” He spoke to me of my sufferings only to lead up to his sister′s, and made me describe mine in detail simply that he might point out the difference between them and hers. But notwithstanding these differences, as he felt that his sister′s choking fits entitled him to speak with authority, he could not believe that what ‘succeeded′ with hers was not indicated as a cure for mine, and it irritated him that I would not try these remedies, for if there is one thing more difficult than submitting oneself to a regime it is refraining from imposing it upon other people. “Not that I need speak, a mere outsider, when you are here before the areopagus, at the fountainhead of wisdom. What does Professor Cottard think about them?” I saw his wife once again, as a matter of fact, because she had said that my ‘cousin′ had odd habits, and I wished to know what she meant by that. She denied having said it, but finally admitted that she had been speaking of a person whom she thought she had seen with my cousin. She did not know the person′s name and said faintly that, if she was not mistaken, it was the wife of a banker, who was called Lina, Linette, Lisette, Lia, anyhow something like that. I felt that ‘wife of a banker′ was inserted merely to put me off the scent. I decided to ask Albertine whether this were true. But I preferred to speak to her with an air of knowledge rather than of curiosity. Besides Albertine would not have answered me at all, or would have answered me only with a ‘no′ of which the ‘n′ would have been too hesitating and the ‘o′ too emphatic. Albertine never related facts that were capable of injuring her, but always other facts which could be explained only by them, the truth being rather a current which flows from what people say to us, and which we apprehend, invisible as it may be, than the actual thing that they say. And so when I assured her that a woman whom she had known at Vichy had a bad reputation, she swore to me that this woman was not at all what I supposed, and had never attempted to make her do anything improper. But she added, another day, when I was speaking of my curiosity as to people of that sort, that the Vichy lady had a friend, whom she, Albertine, did not know, but whom the lady had ‘promised to introduce to her.′ That she should have promised her this, could only mean that Albertine wished it, or that the lady had known that by offering the introduction she would be giving her pleasure. But if I had pointed this out to Albertine, I should have appeared to be depending for my information upon her, I should have put an end to it at once, I should never have learned anything more, I should have ceased to make myself feared. Besides, we were at Balbec, the Vichy lady and her friend lived at Menton; the remoteness, the impossibility of the danger made short work of my suspicions. Often when M. de Cambremer hailed me from the station I had been with Albertine making the most of the darkness, and with all the more difficulty as she had been inclined to resist, fearing that it was not dark enough. “You know, I′m sure Cottard saw us, anyhow, if he didn′t, he must have noticed how breathless we were from our voices, just when they were talking about your other kind of breathlessness,” Albertine said to me when we arrived at the Douville station where we were to take the little train home. But this homeward, like the outward journey, if, by giving me a certain poetical feeling, it awakened in me the desire to travel, to lead a new life, and so made me decide to abandon any intention of marrying Albertine, and even to break off our relations finally, also, and by the very fact of their contradictory nature, made this bleach more easy. For, on the homeward journey just as much as on the other, at every station there joined us in the train or greeted us from the platform people whom we knew; the furtive pleasures of the imagination were outweighed by those other, continual pleasures of sociability which are so soothing, so soporific. Already, before the stations themselves, their names (which had suggested so many fancies to me since the day on which I first heard them, the evening on which I travelled down to Balbec with my grandmother), had grown human, had lost their strangeness since the evening when Brichot, at Albertine′s request, had given us a more complete account of their etymology. I had been charmed by the ‘flower′ that ended certain names, such as Fiquefleur, Ronfleur, Fiers, Barfleur, Harfleur, etc., and amused by the beef that comes at the end of Bricqueboeuf. But the flower vanished, and also the beef, when Brichot (and this he had told me on the first day in the train) informed us that fleur means a harbour (like fiord), and that boeuf, in Norman budh, means a hut. As he cited a number of examples, what had appeared to me a particular instance became general, Bricqueboeuf took its place by the side of Elbeuf, and indeed in a name that was at first sight as individual as the place itself, like the name Pennedepie, in which the obscurities most impossible for the mind to elucidate seemed to me to have been amalgamated from time immemorial in a word as coarse, savoury and hard as a certain Norman cheese, I was disappointed to find the Gallic pen which means mountain and is as recognisable in Pennemarck as in the Apennines. As at each halt of the train I felt that we should have friendly hands to shake if not visitors to receive in our carriage, I said to Albertine: “Hurry up and ask Brichot about the names you want to know. You mentioned to me Marcouville l′Orgueilleuse.” “Yes, I love that orgueil, it′s a proud village,” said Albertine. “You would find it,” Brichot replied, “prouder still if, instead of turning it into French or even adopting a low Latinity, as we find in the Cartulary of the Bishop of Bayeux, Marcouvilla superba, you were to take the older form, more akin to the Norman, Marculplinvilla superba, the village, the domain of Merculph. In almost all these names which end in ville, you might see still marshalled upon this coast, the phantoms of the rude Norman invaders. At Hermenonville, you had, standing by the carriage door, only our excellent Doctor, who, obviously, has nothing of the Nordic chief about him. But, by shutting your eyes, you might have seen the illustrious Hérimund (Herimundivilla). Although I can never understand why people choose those roads, between Loigny and Balbec-Plage, rather than the very picturesque roads that lead from Loigny to Old Balbec, Mme. Verdurin has perhaps taken you out that way in her carriage. If so, you have seen Incarville, or the village of Wiscar; and Tourville, before you come to Mme. Verdurin′s, is the village of Turold. And besides, there were not only the Normans. It seems that the Germans (Alemanni) came as far as here: Aumenancourt, Alemanicurtis — don′t let us speak of it to that young officer I see there; he would be capable of refusing to visit his cousins there any more. There were also Saxons, as is proved by the springs of Sissonne” (the goal of one of Mme. Verdurin′s favourite excursions, and quite rightly), “just as in England you have Middlesex, Wessex. And what is inexplicable, it seems that the Goths, miserable wretches as they are said to have been, came as far as this, and even the Moors, for Mortagne comes from Mauretania. Their trace has remained at Gourville — Gothorunvilla. Some vestige of the Latins subsists also, Lagny (Latiniacum).” “What I should like to have is an explanation of Thorpehomme,” said M. de Charlus. “I understand homme,” he added, at which the sculptor and Cottard exchanged significant glances. “But Thorpe?” “Homme does not in the least mean what you are naturally led to suppose, Baron,” replied Brichot, glancing maliciously at Cottard and the sculptor. “Homme has nothing to do, in this instance, with the sex to which I am not indebted for my mother. Homme is holm which means a small island, etc. . . . As for Thorpe, or village, we find that in a hundred words with which I have already bored our young friend. Thus in Thorpehomme there is not the name of a Norman chief, but words of the Norman language. You see how the whole of this country has been Germanised.” “I think that is an exaggeration,” said M. de Charlus. “Yesterday I was at Orgeville.” “This time I give you back the man I took from you in Thorpehomme, Baron. Without wishing to be pedantic, a Charter of Robert I gives us, for Orgeville, Otgervilla, the domain of Otger. All these names are those of ancient lords. Octeville la Venelle is a corruption of l′Avenel. The Avenels were a family of repute in the middle ages. Bourguenolles, where Mme. Verdurin took us the other day, used to be written Bourg de Môles, for that village belonged in the eleventh century to Baudoin de Môles, as also did la Chaise-Baudoin, but here we are at Doncières.” “Heavens, look at all these subalterns trying to get in,” said M. de Charlus with feigned alarm. “I am thinking of you, for it doesn′t affect me, I am getting out here.” “You hear, Doctor?” said Brichot. “The Baron is afraid of officers passing over his body. And yet they have every right to appear here in their strength, for Doncières is precisely the same as Saint-Cyr, Dominus Cyriacus. There are plenty of names of towns in which Sanctus and Sancta are replaced by Dominus and Domina. Besides, this peaceful military town has sometimes a false air of Saint-Cyr, of Versailles, and even of Fontainebleau.”
Pendant ces retours (comme à l′aller), je disais à Albertine de se vêtir, car je savais bien qu′à Amnancourt, à Doncières, à Épreville, à Saint-Vast, nous aurions de courtes visites à recevoir. Elles ne m′étaient d′ailleurs pas désagréables, que ce fût, à Hermenonville (le domaine d′Herimund), celle de M. de Chevrigny, profitant de ce qu′il était venu chercher des invités pour me demander de venir le lendemain déjeuner à Montsurvent, ou, à Doncières, la brusque invasion d′un des charmants amis de Saint-Loup envoyé par lui (s′il n′était pas libre) pour me transmettre une invitation du capitaine de Borodino, du mess des officiers au Coq Hardi, ou des sous-officiers au Faisan Doré. Saint-Loup venait souvent lui-même, et pendant tout le temps qu′il était là, sans qu′on pût s′en apercevoir, je tenais Albertine prisonnière sous mon regard, d′ailleurs inutilement vigilant. Une fois pourtant j′interrompis ma garde. Comme il y avait un long arrêt, Bloch, nous ayant salué, se sauva presque aussitôt pour rejoindre son père, lequel venait d′hériter de son oncle et, ayant loué un château qui s′appelait, la Commanderie, trouvait grand seigneur de ne circuler qu′en une chaise de poste, avec des postillons en livrée. Bloch me pria de l′accompagner jusqu′à la voiture. «Mais hâte-toi, car ces quadrupèdes sont impatients; viens, homme cher aux dieux, tu feras plaisir à mon père.» Mais je souffrais trop de laisser Albertine dans le train avec Saint-Loup, ils auraient pu, pendant que j′avais le dos tourné, se parler, aller dans un autre wagon, se sourire, se toucher; mon regard adhérent à Albertine ne pouvait se détacher d′elle tant que Saint-Loup serait là. Or je vis très bien que Bloch, qui m′avait demandé comme un service d′aller dire bonjour à son père, d′abord trouva peu gentil que je le lui refusasse quand rien ne m′en empêchait, les employés ayant prévenu que le train resterait encore au moins un quart d′heure en gare, et que presque tous les voyageurs, sans lesquels il ne repartirait pas, étaient descendus; et ensuite ne douta pas que ce fût parce que décidément -- ma conduite en cette occasion lui était une réponse décisive -- j′étais snob. Car il n′ignorait pas le nom des personnes avec qui je me trouvais. En effet, M. de Charlus m′avait dit, quelque temps auparavant et sans se souvenir ou se soucier que cela eût jadis été fait pour se rapprocher de lui: «Mais présentez-moi donc votre ami, ce que vous faites est un manque de respect pour moi», et il avait causé avec Bloch, qui avait paru lui plaire extrêmement au point qu′il l′avait gratifié d′un «j′espère vous revoir». «Alors c′est irrévocable, tu ne veux pas faire ces cent mètres pour dire bonjour à mon père, à qui ça ferait tant de plaisir?» me dit Bloch. J′étais malheureux d′avoir l′air de manquer à la bonne camaraderie, plus encore de la cause pour laquelle Bloch croyait que j′y manquais, et de sentir qu′il s′imaginait que je n′étais pas le même avec mes amis bourgeois quand il y avait des gens «nés». De ce jour il cessa de me témoigner la même amitié, et, ce qui m′était plus pénible, n′eut plus pour mon caractère la même estime. Mais pour le détromper sur le motif qui m′avait fait rester dans le wagon, il m′eût fallu lui dire quelque chose --à savoir que j′étais jaloux d′Albertine -- qui m′eût été encore plus douloureux que de le laisser croire que j′étais stupidement mondain. C′est ainsi que, théoriquement, on trouve qu′on devrait toujours s′expliquer franchement, éviter les malentendus. Mais bien souvent la vie les combine de telle manière que pour les dissiper, dans les rares circonstances où ce serait possible, il faudrait révéler ou bien -- ce qui n′est pas le cas ici -- quelque chose qui froisserait encore plus notre ami que le tort imaginaire qu′il nous impute, ou un secret dont la divulgation -- et c′était ce qui venait de m′arriver -- nous paraît pire encore que le malentendu. Et d′ailleurs, même sans expliquer à Bloch, puisque je ne le pouvais pas, la raison pour laquelle je ne l′avais pas accompagné, si je l′avais prié de ne pas être froissé je n′aurais fait que redoubler ce froissement en montrant que je m′en étais aperçu. Il n′y avait rien à faire qu′à s′incliner devant ce fatum qui avait voulu que la présence d′Albertine empêchât de le reconduire et qu′il pût croire que c′était au contraire celle de gens brillants, laquelle, l′eussent-ils été cent fois plus, n′aurait eu pour effet que de me faire occuper exclusivement de Bloch et réserver pour lui toute ma politesse. Il suffit, de la sorte, qu′accidentellement, absurdement, un incident (ici la mise en présence d′Albertine et de Saint-Loup) s′interpose entre deux destinées dont les lignes convergeaient l′une vers l′autre pour qu′elles soient déviées, s′écartent de plus en plus et ne se rapprochent jamais. Et il y a des amitiés plus belles que celle de Bloch pour moi, qui se sont trouvées détruites, sans que l′auteur involontaire de la brouille ait jamais pu expliquer au brouillé ce qui sans doute eût guéri son amour-propre et ramené sa sympathie fuyante. Amitiés plus belles que celle de Bloch ne serait pas, du reste, beaucoup dire. Il avait tous les défauts qui me déplaisaient le plus. Ma tendresse pour Albertine se trouvait, par accident, les rendre tout à fait insupportables. Ainsi, dans ce simple moment où je causai avec lui tout en surveillant Robert de l′oeil, Bloch me dit qu′il avait déjeuné chez Mme Bontemps et que chacun avait parlé de moi avec les plus grands éloges jusqu′au «déclin d′Hélios». «Bon, pensai-je, comme Mme Bontemps croit Bloch un génie, le suffrage enthousiaste qu′il m′aura accordé fera plus que ce que tous les autres ont pu dire, cela reviendra à Albertine. D′un jour à l′autre elle ne peut manquer d′apprendre, et cela m′étonne que sa tante ne lui ait pas déjà redit, que je suis un homme «supérieur». «Oui, ajouta Bloch, tout le monde a fait ton éloge. Moi seul j′ai gardé un silence aussi profond que si j′eusse absorbé, au lieu du repas, d′ailleurs médiocre, qu′on nous servait, des pavots, chers au bienheureux frère de Tanathos et de Léthé, le divin Hypnos, qui enveloppe de doux liens le corps et la langue. Ce n′est pas que je t′admire moins que la bande de chiens avides avec lesquels on m′avait invité. Mais moi, je t′admire parce que je te comprends, et eux t′admirent sans te comprendre. Pour bien dire, je t′admire trop pour parler de toi ainsi au public, cela m′eût semblé une profanation de louer à haute voix ce que je porte au plus profond de mon coeur. On eut beau me questionner à ton sujet, une Pudeur sacrée, fille du Kronion, me fit rester muet.» Je n′eus pas le mauvais goût de paraître mécontent, mais cette Pudeur-là me sembla apparentée -- beaucoup plus qu′au Kronion --à la pudeur qui empêche un critique qui vous admire de parler de vous parce que le temple secret où vous trônez serait envahi par la tourbe des lecteurs ignares et des journalistes; à la pudeur de l′homme d′État qui ne vous décore pas pour que vous ne soyez pas confondu au milieu de gens qui ne vous valent pas; à la pudeur de l′académicien qui ne vote pas pour vous, afin de vous épargner la honte d′être le collègue de X . . . qui n′a pas de talent; à la pudeur enfin, plus respectable et plus criminelle pourtant, des fils qui nous prient de ne pas écrire sur leur père défunt qui fut plein de mérites, afin d′assurer le silence et le repos, d′empêcher qu′on entretienne la vie et qu′on crée de la gloire autour du pauvre mort, qui préférerait son nom prononcé par les bouches des hommes aux couronnes, fort pieusement portées, d′ailleurs, sur son tombeau.   During these homeward (as on the outward) journeys I used to tell Albertine to put on her things, for I knew very well that at Aumenancourt, Doncières, Epreville, Saint-Vast we should be receiving brief visits from friends. Nor did I at all object to these, when they took the form of (at Hermenonville — the domain of Herimund) a visit from M. de Chevregny, seizing the opportunity, when he had come down to meet other guests, of asking me to come over to luncheon next day at Beausoleil, or (at Doncières) the sudden irruption of one of Saint-Loup′s charming friends sent by him (if he himself was not free) to convey to me an invitation from Captain de Borodino, from the officers′ mess at the Cocq-Hardi, or the serjeants′ at the Faisan Doré. If Saint-Loup often came in person, during the whole of the time that he was stationed there, I contrived, without attracting attention, to keep Albertine a prisoner under my own watch and ward, not that my vigilance was of any use. On one occasion however my watch was interrupted. When there was a long stop, Bloch, after greeting us, was making off at once to join his father, who, having just succeeded to his uncle′s fortune, and having leased a country house by the name of La Commanderie, thought it befitting a country gentleman always to go about in a post chaise, with postilions in livery. Bloch begged me to accompany him to the carriage. “But make haste, for these quadrupeds are impatient, come, O man beloved of the gods, thou wilt give pleasure to my father.” But I could not bear to leave Albertine in the train with Saint-Loup; they might, while my back was turned, get into conversation, go into another compartment, smile at one another, touch one another; my eyes, glued to Albertine, could not detach themselves from her so long as Saint-Loup was there. Now I could see quite well that Bloch, who had asked me, as a favour, to go and say how d′ye do to his father, in the first place thought it not very polite of me to refuse when there was nothing to prevent me from doing so, the porters having told us that the train would remain for at least a quarter of an hour in the station, and almost all the passengers, without whom it would not start, having alighted; and, what was more, had not the least doubt that it was because quite decidedly — my conduct on this occasion furnished him with a definite proof of it — I was a snob. For he was well aware of the names of the people in whose company I was. In fact M. de Charlus had said to me, some time before this and without remembering or caring that the introduction had been made long ago: “But you must introduce your friend to me, you are shewing a want of respect for myself,” and had talked to Bloch, who had seemed to please him immensely, so much so that he had gratified him with an: “I hope to meet you again.” “Then it is irrevocable, you won′t walk a hundred yards to say how d′ye do to my father, who would be so pleased,” Bloch said to me. I was sorry to appear to be wanting in good fellowship, and even more so for the reason for which Bloch supposed that I was wanting, and to feel that he imagined that I was not the same towards my middle class friends when I was with people of ‘birth.′ From that day he ceased to shew me the same friendly spirit and, what pained me more, had no longer the same regard for my character. But, in order to undeceive him as to the motive which made me remain in the carriage, I should have had to tell him something — to wit, that I was jealous of Albertine — which would have distressed me even more than letting him suppose that I was stupidly worldly. So it is that in theory we find that we ought always to explain ourselves frankly, to avoid misunderstandings. But very often life arranges these in such a way that, in order to dispel them, in the rare circumstances in which it might be possible to do so, we must reveal either — which was not the case here — something that would annoy our friend even more than the injustice that he imputes to us, or a secret the disclosure of which — and this was my predicament — appears to us even worse than the misunderstanding. Besides, even without my explaining to Bloch, since I could not, my reason for not going with him, if I had begged him not to be angry with me, I should only have increased his anger by shewing him that I had observed it. There was nothing to be done but to bow before the decree of fate which had willed that Albertine′s presence should prevent me from accompanying him, and that he should suppose that it was on the contrary the presence of people of distinction, the only effect of which, had they been a hundred times more distinguished, would have been to make me devote my attention exclusively to Bloch and reserve all my civility for him. It is sufficient that accidentally, absurdly, an incident (in this case the juxtaposition of Albertine and Saint-Loup) be interposed between two destinies whose lines have been converging towards one another, for them to deviate, stretch farther and farther apart, and never converge again. And there are friendships more precious than Bloch′s for myself which have been destroyed without the involuntary author of the offence having any opportunity to explain to the offended party what would no doubt have healed the injury to his self-esteem and called back his fugitive affection. Friendships more precious than Bloch′s is not, for that matter, saying very much. He had all the faults that most annoyed me. It so happened that my affection for Albertine made them altogether intolerable. Thus in that brief moment in which I was talking to him, while keeping my eye on Robert, Bloch told me that he had been to luncheon with Mme. Bontemps and that everybody had spoken about me with the warmest praise until the ‘decline of Helios.′ “Good,” thought I, “as Mme. Bontemps regards Bloch as a genius, the enthusiastic support that he must have given me will do more than anything that the others can have said, it will come round to Albertine. Any day now she is bound to learn, and I am surprised that her aunt has not repeated it to her already, that I am a ‘superior person.′” “Yes,” Bloch went on, “everybody sang your praises. I alone preserved a silence as profound as though I had absorbed, in place of the repast (poor, as it happened) that was set before us, poppies, dear to the blessed brother of Thanatos and Lethe, the divine Hypnos, who enwraps in pleasant bonds the body and the tongue. It is not that I admire you less than the band of hungry dogs with whom I had been bidden to feed. But I admire you because I understand you, and they admire you without understanding you. To tell the truth, I admire you too much to speak of you thus in public, it would have seemed to me a profanation to praise aloud what I carry in the profoundest depths of my heart. In vain might they question me about you, a sacred Pudor, daughter of Kronion, made me remain mute.” I had not the bad taste to appear annoyed, but this Pudor seemed to me akin — far more than to Kronion — to the modesty that prevents a critic who admires you from speaking of you because the secret temple in which you sit enthroned would be invaded by the mob of ignorant readers and journalists — to the modesty of the statesman who does not recommend you for a decoration because you would be lost in a crowd of people who are not your equals, to the modesty of the academician who refrains from voting for you in order to spare you the shame of being the colleague of X—— who is devoid of talent, to the modesty in short, more respectable and at the same time more criminal, of the sons who implore us not to write about their dead father who abounded in merit, so that we shall not prolong his life and create a halo of glory round the poor deceased who would prefer that his name should be borne upon the lips of men to the wreaths, albeit laid there by pious hands, upon his tomb.
Si Bloch, tout en me désolant en ne pouvant comprendre la raison qui m′empêchait d′aller saluer son père, m′avait exaspéré en m′avouant qu′il m′avait déconsidéré chez Mme Bontemps (je comprenais maintenant pourquoi Albertine ne m′avait jamais fait allusion à ce déjeuner et restait silencieuse quand je lui parlais de l′affection de Bloch pour moi), le jeune Israélite avait produit sur M. de Charlus une impression tout autre que l′agacement.   If Bloch, while he distressed me by his inability to understand the reason that prevented me from going to speak to his father, had exasperated me by confessing that he had depreciated me at Mme. Bontemps′s (I now understood why Albertine had never made any allusion to this luncheon-party and remained silent when I spoke to her of Bloch′s affection for myself), the young Israelite had produced upon M. de Charlus an impression that was quite the opposite of annoyance.
Certes, Bloch croyait maintenant que non seulement je ne pouvais rester une seconde loin de gens élégants, mais que, jaloux des avances qu′ils avaient pu lui faire (comme M. de Charlus), je tâchais de mettre des bâtons dans les roues et de l′empêcher de se lier avec eux; mais de son côté le baron regrettait de n′avoir pas vu davantage mon camarade. Selon son habitude, il se garda de le montrer. Il commença par me poser, sans en avoir l′air, quelques questions sur Bloch, mais d′un ton si nonchalant, avec un intérêt qui semblait tellement simulé, qu′on n′aurait pas cru qu′il entendait les réponses. D′un air de détachement, sur une mélopée qui exprimait plus que l′indifférence, la distraction, et comme par simple politesse pour moi: «Il a l′air intelligent, il a dit qu′il écrivait, a-t-il du talent?» Je dis à M. de Charlus qu′il avait été bien aimable de lui dire qu′il espérait le revoir. Pas un mouvement ne révéla chez le baron qu′il eût entendu ma phrase, et comme je la répétai quatre fois sans avoir de réponse, je finis par douter si je n′avais pas été le jouet d′un mirage acoustique quand j′avais cru entendre ce que M. de Charlus avait dit. «Il habite Balbec?» chantonna le baron, d′un air si peu questionneur qu′il est fâcheux que la langue française ne possède pas un signe autre que le point d′interrogation pour terminer ces phrases apparemment si peu interrogatives. Il est vrai que ce signe ne servirait guère pour M. de Charlus. «Non, ils ont loué près d′ici «la Commanderie». Ayant appris ce qu′il désirait, M. de Charlus feignit de mépriser Bloch. «Quelle horreur! s′écria-t-il, en rendant à sa voix toute sa vigueur claironnante. Toutes les localités ou propriétés appelées «la Commanderie» ont été bâties ou possédées par les Chevaliers de l′Ordre de Malte (dont je suis), comme les lieux dits le Temple ou la Cavalerie par les Templiers. J′habiterais la Commanderie que rien ne serait plus naturel. Mais un Juif! Du reste, cela ne m′étonne pas; cela tient à un curieux goût du sacrilège, particulier à cette race. Dès qu′un Juif a assez d′argent pour acheter un château, il en choisit toujours un qui s′appelle le Prieuré, l′Abbaye, le Monastère, la Maison-Dieu. J′ai eu affaire à un fonctionnaire juif, devinez où il résidait? à Pont-l′Évêque. Mis en disgrâce, il se fit envoyer en Bretagne, à Pont-l′Abbé. Quand on donne, dans la Semaine Sainte, ces indécents spectacles qu′on appelle la Passion, la moitié de la salle est remplie de Juifs, exultant à la pensée qu′ils vont mettre une seconde fois le Christ sur la Croix, au moins en effigie. Au concert Lamoureux, j′avais pour voisin, un jour, un riche banquier juif. On joua l′Enfance du Christ, de Berlioz, il était consterné. Mais il retrouva bientôt l′expression de béatitude qui lui est habituelle en entendant l′Enchantement du Vendredi-Saint. Votre ami habite la Commanderie, le malheureux! Quel sadisme! Vous m′indiquerez le chemin, ajouta-t-il en reprenant l′air d′indifférence, pour que j′aille un jour voir comment nos antiques domaines supportent une pareille profanation. C′est malheureux, car il est poli, il semble fin. Il ne lui manquerait plus que de demeurer à Paris, rue du Temple!» M. de Charlus avait l′air, par ces mots, de vouloir seulement trouver à l′appui de sa théorie, un nouvel exemple; mais il me posait en réalité une question à deux fins, dont la principale était de savoir l′adresse de Bloch. «En effet, fit remarquer Brichot, la rue du Temple s′appelait rue de la Chevalerie-du-Temple. Et à ce propos, me permettez-vous une remarque, baron? dit l′universitaire. -- Quoi? Qu′est-ce que c′est? dit sèchement M. de Charlus, que cette observation empêchait d′avoir son renseignement. -- Non, rien, répondit Brichot intimidé. C′était à propos de l′étymologie de Balbec qu′on m′avait demandée. La rue du Temple s′appelait autrefois la rue Barre-du-Bac, parce que l′Abbaye du Bac, en Normandie, avait là à Paris sa barre de justice.» M. de Charlus ne répondit rien et fit semblant de ne pas avoir entendu, ce qui était chez lui une des formes de l′insolence. «Où votre ami demeure-t-il à Paris? Comme les trois quarts des rues tirent leur nom d′une église ou d′une abbaye, il y a chance pour que le sacrilège continue. On ne peut pas empêcher des Juifs de demeurer boulevard de la Madeleine, faubourg Saint-Honoré ou place Saint-Augustin. Tant qu′ils ne raffinent pas par perfidie, en élisant domicile place du Parvis-Notre-Dame, quai de l′Archevêché, rue Chanoinesse, ou rue de l′Ave-Maria, il faut leur tenir compte des difficultés.» Nous ne pûmes renseigner M. de Charlus, l′adresse actuelle de Bloch nous étant inconnue. Mais je savais que les bureaux de son père étaient rue des Blancs-Manteaux. «Oh! quel comble de perversité, s′écria M. de Charlus, en paraissant trouver, dans son propre cri d′ironique indignation, une satisfaction profonde. Rue des Blancs-Manteaux, répéta-t-il en pressurant chaque syllabe et en riant. Quel sacrilège! Pensez que ces Blancs-Manteaux pollués par M. Bloch étaient ceux des frères mendiants, dits serfs de la Sainte-Vierge, que saint Louis établit là. Et la rue a toujours été à des ordres religieux. La profanation est d′autant plus diabolique qu′à deux pas de la rue des Blancs-Manteaux, il y a une rue, dont le nom m′échappe, et qui est tout entière concédée aux Juifs; il y a des caractères hébreux sur les boutiques, des fabriques de pains azymes, des boucheries juives, c′est tout à fait la Judengasse de Paris. C′est là que M. Bloch aurait dû demeurer. Naturellement, reprit-il sur un ton assez emphatique et fier et pour tenir des propos esthétiques, donnant, par une réponse que lui adressait malgré lui son hérédité, un air de vieux mousquetaire Louis XIII à son visage redressé en arrière, je ne m′occupe de tout cela qu′au point de vue de l′art. La politique n′est pas de mon ressort et je ne peux pas condamner en bloc, puisque Bloch il y a, une nation qui compte Spinoza parmi ses enfants illustres. Et j′admire trop Rembrandt pour ne pas savoir la beauté qu′on peut tirer de la fréquentation de la synagogue. Mais enfin un ghetto est d′autant plus beau qu′il est plus homogène et plus complet. Soyez sûr, du reste, tant l′instinct pratique et la cupidité se mêlent chez ce peuple au sadisme, que la proximité de la rue hébraî°µe dont je vous parle, la commodité d′avoir sous la main les boucheries d′Israël a fait choisir à votre ami la rue des Blancs-Manteaux. Comme c′est curieux! C′est, du reste, par là que demeurait un étrange Juif qui avait fait bouillir des hosties, après quoi je pense qu′on le fit bouillir lui-même, ce qui est plus étrange encore puisque cela a l′air de signifier que le corps d′un Juif peut valoir autant que le corps du Bon Dieu. Peut-être pourrait-on arranger quelque chose avec votre ami pour qu′il nous mène voir l′église des Blancs-Manteaux. Pensez que c′est là qu′on déposa le corps de Louis d′Orléans après son assassinat par Jean sans Peur, lequel malheureusement ne nous a pas délivrés des Orléans. Je suis, d′ailleurs, personnellement très bien avec mon cousin le duc de Chartres, mais enfin c′est une race d′usurpateurs, qui a fait assassiner Louis XVI, dépouiller Charles X et Henri V. Ils ont, du reste, de qui tenir, ayant pour ancêtres Monsieur, qu′on appelait sans doute ainsi parce que c′était la plus étonnante des vieilles dames, et le Régent et le reste. Quelle famille!» Ce discours antijuif ou prohébreu -- selon qu′on s′attachera à l′extérieur des phrases ou aux intentions qu′elles recelaient -- avait été comiquement coupé, pour moi, par une phrase que Morel me chuchota et qui avait désespéré M. de Charlus. Morel, qui n′avait pas été sans s′apercevoir de l′impression que Bloch avait produite, me remerciait à l′oreille de l′avoir «expédié», ajoutant cyniquement: «Il aurait voulu rester, tout ça c′est la jalousie, il voudrait me prendre ma place. C′est bien d′un youpin!» «On aurait pu profiter de cet arrêt, qui se prolonge, pour demander quelques explications rituelles à votre ami. Est-ce que vous ne pourriez pas le rattraper? me demanda M. de Charlus, avec l′anxiété du doute. -- Non, c′est impossible, il est parti en voiture et d′ailleurs fâché avec moi. -- Merci, merci, me souffla Morel. -- La raison est absurde, on peut toujours rejoindre une voiture, rien ne vous empêcherait de prendre une auto», répondit M. de Charlus, en homme habitué à ce que tout pliât devant lui. Mais remarquant mon silence: «Quelle est cette voiture plus ou moins imaginaire? me dit-il avec insolence et un dernier espoir. -- C′est une chaise de poste ouverte et qui doit être déjà arrivée à la Commanderie.» Devant l′impossible, M. de Charlus se résigna et affecta de plaisanter. «Je comprends qu′ils aient reculé devant le «coupé» superfétatoire. C′aurait été un recoupé.» Enfin on fut avisé que le train repartait et Saint-Loup nous quitta. Mais ce jour fut le seul où, en montant dans notre wagon, il me fit, à son insu, souffrir par la pensée que j′eus un instant de le laisser avec Albertine pour accompagner Bloch. Les autres fois sa présence ne me tortura pas. Car d′elle-même Albertine, pour m′éviter toute inquiétude, se plaçait, sous un prétexte quelconque, de telle façon qu′elle n′aurait pas, même involontairement, frôlé Robert, presque trop loin pour avoir même à lui tendre la main; détournant de lui les yeux, elle se mettait, dès qu′il était là, à causer ostensiblement et presque avec affectation avec l′un quelconque des autres voyageurs, continuant ce jeu jusqu′à ce que Saint-Loup fût parti. De la sorte, les visites qu′il nous faisait à Doncières ne me causant aucune souffrance, même aucune gêne, ne mettaient pas une exception parmi les autres qui toutes m′étaient agréables en m′apportant en quelque sorte l′hommage et l′invitation de cette terre. Déjà, dès la fin de l′été, dans notre trajet de Balbec à Douville, quand j′apercevais au loin cette station de Saint-Pierre-des-Ifs, où le soir, pendant un instant, la crête des falaises scintillait toute rose, comme au soleil couchant la neige d′une montagne, elle ne me faisait plus penser, je ne dis pas même à la tristesse que la vue de son étrange relèvement soudain m′avait causée le premier soir en me donnant si grande envie de reprendre le train pour Paris au lieu de continuer jusqu′à Balbec, au spectacle que, le matin, on pouvait avoir de là, m′avait dit Elstir, à l′heure qui précède le soleil levé, où toutes les couleurs de l′arc-en-ciel se réfractent sur les rochers, et où tant de fois il avait réveillé le petit garçon qui, une année, lui avait servi de modèle pour le peindre tout nu, sur le sable. Le nom de Saint-Pierre-des-Ifs m′annonçait seulement qu′allait apparaître un quinquagénaire étrange, spirituel et fardé, avec qui je pourrais parler de Chateaubriand et de Balzac. Et maintenant, dans les brumes du soir, derrière cette falaise d′Incarville, qui m′avait tant fait rêver autrefois, ce que je voyais comme si son grès antique était devenu transparent, c′était la belle maison d′un oncle de M. de Cambremer et dans laquelle je savais qu′on serait toujours content de me recueillir si je ne voulais pas dîner à la Raspelière ou rentrer à Balbec. Ainsi ce n′était pas seulement les noms des lieux de ce pays qui avaient perdu leur mystère du début, mais ces lieux eux-mêmes. Les noms, déjà vidés à demi d′un mystère que l′étymologie avait remplacé par le raisonnement, étaient encore descendus d′un degré. Dans nos retours à Hermenonville, à Saint-Vast, à Harambouville, au moment où le train s′arrêtait, nous apercevions des ombres que nous ne reconnaissions pas d′abord et que Brichot, qui n′y voyait goutte, aurait peut-être pu prendre dans la nuit pour les fantômes d′Hérimund, de Wiscar, et d′Herimbald. Mais elles approchaient du wagon. C′était simplement M. de Cambremer, tout à fait brouillé avec les Verdurin, qui reconduisait des invités et qui, de la part de sa mère et de sa femme, venait me demander si je ne voulais pas qu′il «m′enlevât» pour me garder quelques jours à Féterne où allaient se succéder une excellente musicienne qui me chanterait tout Gluck et un joueur d′échecs réputé avec qui je ferais d′excellentes parties qui ne feraient pas tort à celles de pêche et de yachting dans la baie, ni même aux dîners Verdurin, pour lesquels le marquis s′engageait sur l′honneur à me «prêter», en me faisant conduire et rechercher pour plus de facilité, et de sûreté aussi. «Mais je ne peux pas croire que ce soit bon pour vous d′aller si haut. Je sais que ma soeur ne pourrait pas le supporter. Elle reviendrait dans un état! Elle n′est, du reste, pas très bien fichue en ce moment . . . Vraiment, vous avez eu une crise si forte! Demain vous ne pourrez pas vous tenir debout!» Et il se tordait, non par méchanceté, mais pour la même raison qu′il ne pouvait sans rire voir dans la rue un boiteux qui s′étalait, ou causer avec un sourd. «Et avant? Comment, vous n′en avez pas eu depuis quinze jours? Savez-vous que c′est très beau. Vraiment vous devriez venir vous installer à Féterne, vous causeriez de vos étouffements avec ma soeur.» A Incarville c′était le marquis de Montpeyroux qui, n′ayant pas pu aller à Féterne, car il s′était absenté pour la chasse, était venu «au train», en bottes et le chapeau orné d′une plume de faisan, serrer la main des partants et à moi par la même occasion, en m′annonçant, pour le jour de la semaine qui ne me gênerait pas, la visite de son fils, qu′il me remerciait de recevoir et qu′il serait très heureux que je fisse un peu lire; ou bien M. de Crécy, venu faire sa digestion, disait-il, fumant sa pipe, acceptant un ou même plusieurs cigares, et qui me disait: «Hé bien! vous ne me dites pas de jour pour notre prochaine réunion à la Lucullus? Nous n′avons rien à nous dire? permettez-moi de vous rappeler que nous avons laissé en train la question des deux familles de Montgommery. Il faut que nous finissions cela. Je compte sur vous.» D′autres étaient venus seulement acheter leurs journaux.   Certainly Bloch now believed not only that I was unable to remain for a second out of the company of smart people, but that, jealous of the advances that they might make to him (M. de Charlus, for instance), I was trying to put a spoke in his wheel and to prevent him from making friends with them; but for his part the Baron regretted that he had not seen more of my friend. As was his habit, he took care not to betray this feeling. He began by asking me various questions about Bloch, but in so casual a tone, with an interest that seemed so assumed, that one would have thought he did not hear the answers. With an air of detachment, an intonation that expressed not merely indifference but complete distraction, and as though simply out of politeness to myself: “He looks intelligent, he said he wrote, has he any talent?” I told M. de Charlus that it had been very kind of him to say that he hoped to see Bloch again. The Baron made not the slightest sign of having heard my remark, and as I repeated it four times without eliciting a reply, I began to wonder whether I had not been the dupe of an acoustic mirage when I thought I heard M. de Charlus utter those words. “He lives at Balbec?” intoned the Baron, with an air so far from questioning that it is a nuisance that the written language does not possess a sign other than the mark of interrogation with which to end these speeches which are apparently so little interrogative. It is true that such a sign would scarcely serve for M. de Charlus. “No, they have taken a place near here, La Commanderie.” Having learned what he wished to know, M. de Charlus pretended to feel a contempt for Bloch. “How appalling,” he exclaimed, his voice resuming all its clarion strength. “All the places or properties called La Commanderie were built or owned by the Knights of the Order of Malta (of whom I am one), as the places called Temple or Cavalerie were by the Templars. That I should live at La Commanderie would be the most natural thing in the world. But a Jew! However, I am not surprised; it comes from a curious instinct for sacrilege, peculiar to that race. As soon as a Jew has enough money to buy a place in the country he always chooses one that is called Priory, Abbey, Minster, Chantry. I had some business once with a Jewish official, guess where he lived: at Pont-l′Evêque. When he came to grief, he had himself transferred to Brittany, to Pont-l′Abbé. When they perform in Holy Week those indecent spectacles that are called ‘the Passion,′ half the audience are Jews, exulting in the thought that they are going to hang Christ a second time on the Cross, at least in effigy. At one of the Lamoureux concerts, I had a wealthy Jewish banker sitting next to me. They played the Boyhood of Christ by Berlioz, he was quite shocked. But he soon recovered his habitually blissful expression when he heard the Good Friday music. So your friend lives at the Commanderie, the wretch! What sadism! You shall shew me the way to it,” he went on, resuming his air of indifference, “so that I may go there one day and see how our former domains endure such a profanation. It is unfortunate, for he has good manners, he seems to have been well brought up. The next thing I shall hear will be that his address in Paris is Rue du Temple!” M. de Charlus gave the impression, by these words, that he was seeking merely to find a fresh example in support of his theory; as a matter of fact he was aiming at two birds with one stone, his principal object being to find out Bloch′s address. “You are quite right,” put in Brichot, “the Rue du Temple used to be called Rue de la Chevalerie-du-Temple. And in that connexion will you allow me to make a remark, Baron?” said the don. “What? What is it?” said M. de Charlus tartly, the proffered remark preventing him from obtaining his information. “No, it′s nothing,” replied Brichot in alarm. “It is with regard to the etymology of Balbec, about which they were asking me. The Rue du Temple was formerly known as the Rue Barre-du-Bac, because the Abbey of Bac in Normandy had its Bar of Justice there in Paris.” M. de Charlus made no reply and looked as if he had not heard, which was one of his favourite forms of insolence. “Where does your friend live, in Paris? As three streets out of four take their name from a church or an abbey, there seems every chance of further sacrilege there. One can′t prevent Jews from living in the Boulevard de la Madeleine, Faubourg Saint-Honoré or Place Saint-Augustin. So long as they do not carry their perfidy a stage farther, and pitch their tents in the Place du Parvis Notre-Dame, Quai de l′Archevêché, Rue Chanoinesse or Rue de l′Avemaria, we must make allowance for their difficulties.” We could not enlighten M. de Charlus, not being aware of Bloch′s address at the time. But I knew that his father′s office was in the Rue des Blancs-Manteaux. “Oh! Is not that the last word in perversity?” exclaimed M. de Charlus, who appeared to find a profound satisfaction in his own cry of ironical indignation. “Rue des Blancs-Manteaux!” he repeated, dwelling with emphasis upon each syllable and laughing as he spoke. “What sacrilege! Imagine that these White Mantles polluted by M. Bloch were those of the mendicant brethren, styled Serfs of the Blessed Virgin, whom Saint Louis established there. And the street has always housed some religious Order. The profanation is all the more diabolical since within a stone′s throw of the Rue des Blancs-Manteaux there is a street whose name escapes me, which is entirely conceded to the Jews, there are Hebrew characters over the shops, bakeries for unleavened bread, kosher butcheries, it is positively the Judengasse of Paris. That is where M. Bloch ought to reside. Of course,” he went on in an emphatic, arrogant tone, suited to the discussion of aesthetic matters, and giving, by an unconscious strain of heredity, the air of an old musketeer of Louis XIII to his backward-tilted face, “I take an interest in all that sort of thing only from the point of view of art. Politics are not in my line, and I cannot condemn wholesale, because Bloch belongs to it, a nation that numbers Spinoza among its illustrious sons. And I admire Rembrandt too much not to realise the beauty that can be derived from frequenting the synagogue. But after all a ghetto is all the finer, the more homogeneous and complete it is. You may be sure, moreover, so far are business instincts and avarice mingled in that race with sadism, that the proximity of the Hebraic street of which I was telling you, the convenience of having close at hand the fleshpots of Israel will have made your friend choose the Rue des Blancs-Manteaux. How curious it all is! It was there, by the way, that there lived a strange Jew who used to boil the Host, after which I think they boiled him, which is stranger still, since it seems to suggest that the body of a Jew can be equivalent to the Body of Our Lord. Perhaps it might be possible to arrange with your friend to take us to see the church of the White Mantles. Just think that it was there that they laid the body of Louis d′Orléans after his assassination by Jean sans Peur, which unfortunately did not rid us of the Orléans. Personally, I have always been on the best of terms with my cousin the Duc de Chartres; still, after all, they are a race of usurpers who caused the assassination of Louis XVI and dethroned Charles X and Henri V. One can see where they get that from, when their ancestors include Monsieur, who was so styled doubtless because he was the most astounding old woman, and the Regent and the rest of them. What a family!” This speech, anti-Jew or pro-Hebrew — according as one regards the outward meaning of its phrases or the intentions that they concealed — had been comically interrupted for me by a remark which Morel whispered to me, to the fury of M. de Charlus. Morel, who had not failed to notice the impression that Bloch had made, murmured his thanks in my ear for having ‘given him the push,′ adding cynically: “He wanted to stay, it′s all jealousy, he would like to take my place. Just like a yid!” “We might have taken advantage of this halt, which still continues, to ask your friend for some explanations of his ritual. Couldn′t you fetch him back?” M. de Charlus asked me, with the anxiety of uncertainty. “No, it′s impossible, he has gone away in a carriage, and besides, he is vexed with me.” “Thank you, thank you,” Morel breathed. “Your excuse is preposterous, one can always overtake a carriage, there is nothing to prevent your taking a motor-car,” replied M. de Charlus, in the tone of a man accustomed to see everyone yield before him. But, observing my silence: “What is this more or less imaginary carriage?” he said to me insolently, and with a last ray of hope. “It is an open post chaise which must by this time have reached La Commanderie.” Before the impossible, M. de Charlus resigned himself and made a show of jocularity. “I can understand their recoiling from the idea of a new brougham. It might have swept them clean.” At last we were warned that the train was about to start, and Saint-Loup left us. But this was the only day when by getting into our carriage he, unconsciously, caused me pain, when I thought for a moment of leaving him with Albertine in order to go with Bloch. The other times his presence did not torment me. For of her own accord Albertine, to save me from any uneasiness, would upon some pretext or other place herself in such, a position that she could not even unintentionally brush against Robert, almost too far away to have to hold out her hand to him, and turning her eyes away from him would plunge, as soon as he appeared, into ostentatious and almost affected conversation with any of the other passengers, continuing this make-believe until Saint-Loup had gone. So that the visits which he paid us at Doncières, causing me no pain, no inconvenience even, were in no way discordant from the rest, all of which I found pleasing because they brought me so to speak the homage and invitation of this land. Already, as the summer drew to a close, on our journey from Balbec to Douville, when I saw in the distance the watering-place at Saint-Pierre des Ifs where, for a moment in the evening, the crest of the cliffs glittered rosy pink as the snow upon a mountain glows at sunset, it no longer recalled to my mind, I do not say the melancholy which the sight of its strange, sudden elevation had aroused in me on the first evening, when it filled me with such a longing to take the train back to Paris instead of going on to Balbec, but the spectacle that in the morning, Elstir had told me, might be enjoyed from there, at the hour before sunrise, when all the colours of the rainbow are refracted from the rocks, and when he had so often wakened the little boy who had served him, one year, as model, to paint him, nude, upon the sands. The name Saint-Pierre des Ifs announced to me merely that there would presently appear a strange, intelligent, painted man of fifty with whom I should be able to talk about Chateaubriand and Balzac. And now in the mists of evening, behind that cliff of Incarville, which had filled my mind with so many dreams in the past, what I saw, as though its old sandstone wall had become transparent, was the comfortable house of an uncle of M. de Cambremer in which I knew that I should always find a warm welcome if I did not wish to dine at la Raspelière or to return to Balbec. So that it was not merely the place-names of this district that had lost their initial mystery, but the places themselves. The names, already half-stripped of a mystery which etymology had replaced by reason, had now come down a stage farther still. On our homeward journeys, at Hermenonville, at Incarville, at Harambouville, as the train came to a standstill, we could make out shadowy forms which we did not at first identify, and which Brichot, who could see nothing at all, might perhaps have mistaken in the darkness for the phantoms of Herimund, Wiscar and Herimbald. But they came up to our carriage. It was merely M. de Cambremer, now completely out of touch with the Verdurins, who had come to see off his own guests and, as ambassador for his wife and mother, came to ask me whether I would not let him ‘carry me off′ to keep me for a few days at Féterne where I should find successively a lady of great musical talent, who would sing me the whole of Gluck, and a famous chess-player, with whom I could have some splendid games, which would not interfere with the fishing expeditions and yachting trips on the bay, nor even with the Verdurin dinner-parties, for which the Marquis gave me his word of honour that he would ‘lend′ me, sending me there and fetching me back again, for my greater convenience and also to make sure of my returning. “But I cannot believe that it is good for you to go so high up. I know my sister could never stand it. She would come back in a fine state! She is not at all well just now. Indeed, you have been as bad as that! To-morrow you won′t be able to stand up!” And he shook with laughter, not from malevolence but for the same reason which made him laugh whenever he saw a lame man hobbling along the street, or had to talk to a deaf person. “And before this? What, you haven′t had an attack for a fortnight. Do you know, that is simply marvellous. Really, you ought to come and stay at Féterne, you could talk about your attacks to my sister.” At Incarville it was the Marquis de Montpeyroux who, not having been able to go to Féterne, for he had been away shooting, had come ‘to meet the train′ in top boots, with a pheasant′s feather in his hat, to shake hands with the departing guests and at the same time with myself, bidding me expect, on the day of the week that would be most convenient to me, a visit from his son, whom he thanked me for inviting, adding that he would be very glad if I would make the boy read a little; or else M. de Crécy, come out to digest his dinner, he explained, smoking his pipe, accepting a cigar or indeed more than one, and saying to me: “Well, you haven′t named a day for our next Lucullus evening? We have nothing to discuss? Allow me to remind you that we left unsettled the question of the two families of Montgomery. We really must settle it. I am relying upon you.” Others had come simply to buy newspapers.
Et aussi beaucoup faisaient la causette avec nous que j′ai toujours soupçonnés ne s′être trouvés sur le quai, à la station la plus proche de leur petit château, que parce qu′ils n′avaient rien d′autre à faire que de retrouver un moment des gens de connaissance. Un cadre de vie mondaine comme un autre, en somme, que ces arrêts du petit chemin de fer. Lui-même semblait avoir conscience de ce rôle qui lui était dévolu, avait contracté quelque amabilité humaine; patient, d′un caractère docile, il attendait aussi longtemps qu′on voulait les retardataires, et, même une fois parti, s′arrêtait pour recueillir ceux qui lui faisaient signe; ils couraient alors après lui en soufflant, en quoi ils lui ressemblaient, mais différaient de lui en ce qu′ils le rattrapaient à toute vitesse, alors que lui n′usait que d′une sage lenteur. Ainsi Hermenonville, Harambouville, Incarville, ne m′évoquaient même plus les farouches grandeurs de la conquête normande, non contents de s′être entièrement dépouillés de la tristesse inexplicable où je les avais vus baigner jadis dans l′humidité du soir. Doncières! Pour moi, même après l′avoir connu et m′être éveillé de mon rêve, combien il était resté longtemps, dans ce nom, des rues agréablement glaciales, des vitrines éclairées, des succulentes volailles! Doncières! Maintenant ce n′était plus que la station où montait Morel: Égleville (Aquiloevilla), celle où nous attendait généralement la princesse Sherbatoff; Maineville, la station où descendait Albertine les soirs de beau temps, quand, n′étant pas trop fatiguée, elle avait envie de prolonger encore un moment avec moi, n′ayant, par un raidillon, guère plus à marcher que si elle était descendue à Parville (Paterni villa). Non seulement je n′éprouvais plus la crainte anxieuse d′isolement qui m′avait étreint le premier soir, mais je n′avais plus à craindre qu′elle se réveillât, ni de me sentir dépaysé ou de me trouver seul sur cette terre productive non seulement de châtaigniers et de tamaris, mais d′amitiés qui tout le long du parcours formaient une longue chaîne, interrompue comme celle des collines bleuâtres, cachées parfois dans l′anfractuosité du roc ou derrière les tilleuls de l′avenue, mais déléguant à chaque relais un aimable gentilhomme qui venait, d′une poignée de main cordiale, interrompre ma route, m′empêcher d′en sentir la longueur, m′offrir au besoin de la continuer avec moi. Un autre serait à la gare suivante, si bien que le sifflet du petit tram ne nous faisait quitter un ami que pour nous permettre d′en retrouver d′autres. Entre les châteaux les moins rapprochés et le chemin de fer qui les côtoyait presque au pas d′une personne qui marche vite, la distance était si faible qu′au moment où, sur le quai, devant la salle d′attente, nous interpellaient leurs propriétaires, nous aurions presque pu croire qu′ils le faisaient du seuil de leur porte, de la fenêtre de leur chambre, comme si la petite voie départementale n′avait été qu′une rue de province et la gentilhommière isolée qu′un hôtel citadin; et même aux rares stations où je n′entendais le «bonsoir» de personne, le silence avait une plénitude nourricière et calmante, parce que je le savais formé du sommeil d′amis couchés tôt dans le manoir proche, où mon arrivée eût été saluée avec joie si j′avais eu à les réveiller pour leur demander quelque service d′hospitalité. Outre que l′habitude remplit tellement notre temps qu′il ne nous reste plus, au bout de quelques mois, un instant de libre dans une ville où, à l′arrivée, la journée nous offrait la disponibilité de ses douze heures, si une par hasard était devenue vacante, je n′aurais plus eu l′idée de l′employer à voir quelque église pour laquelle j′étais jadis venu à Balbec, ni même à confronter un site peint par Elstir avec l′esquisse que j′en avais vue chez lui, mais à aller faire une partie d′échecs de plus chez M. Féré. C′était, en effet, la dégradante influence, comme le charme aussi, qu′avait eue ce pays de Balbec de devenir pour moi un vrai pays de connaissances; si sa répartition territoriale, son ensemencement extensif, tout le long de la côte, en cultures diverses, donnaient forcément aux visites que je faisais à ces différents amis la forme du voyage, ils restreignaient aussi le voyage à n′avoir plus que l′agrément social d′une suite de visites. Les mêmes noms de lieux, si troublants pour moi jadis que le simple Annuaire des Châteaux, feuilleté au chapitre du département de la Manche, me causait autant d′émotion que l′Indicateur des chemins de fer, m′étaient devenus si familiers que cet indicateur même, j′aurais pu le consulter, à la page Balbec-Douville par Doncières, avec la même heureuse tranquillité qu′un dictionnaire d′adresses. Dans cette vallée trop sociale, aux flancs de laquelle je sentais accrochée, visible ou non, une compagnie d′amis nombreux, le poétique cri du soir n′était plus celui de la chouette ou de la grenouille, mais le «comment va?» de M. de Criquetot ou le «Kairé» de Brichot. L′atmosphère n′y éveillait plus d′angoisses et, chargée d′effluves purement humains, y était aisément respirable, trop calmante même. Le bénéfice que j′en tirais, au moins, était de ne plus voir les choses qu′au point de vue pratique. Le mariage avec Albertine m′apparaissait comme une folie. And many others came and chatted with us who, I have often suspected, were to be found upon the platform of the station nearest to their little mansion simply because they had nothing better to do than to converse for a moment with people of their acquaintance. A scene of social existence like any other, in fact, these halts on the little railway. The train itself appeared conscious of the part that had devolved upon it, had contracted a sort of human kindliness; patient, of a docile nature, it waited as long as they pleased for the stragglers, and even after it had started would stop to pick up those who signalled to it; they would then run after it panting, in which they resembled itself, but differed from it in that they were running to overtake it at full speed whereas it employed only a wise slowness. And so Hermenonville, Harambouville, Incarville no longer suggested to me even the rugged grandeurs of the Norman Conquest, not content with having entirely rid themselves of the unaccountable melancholy in which I had seen them steeped long ago in the moist evening air. Doncières! To me, even after I had come to know it and had awakened from my dream, how much had long survived in that name of pleasantly glacial streets, lighted windows, succulent flesh of birds. Doncières! Now it was nothing more than the station at which Morel joined the train, Egleville (Aquilae villa) that at which we generally found waiting for us Princess Sherbatoff, Maineville, the station at which Albertine left the train on fine evenings, when, if she was not too tired, she felt inclined to enjoy a moment more of my company, having, if she took a footpath, little if any farther to walk than if she had alighted at Parville (Paterni villa). Not only did I no longer feel the anxious dread of isolation which had gripped my heart the first evening, I had no longer any need to fear its reawakening, nor to feel myself a stranger or alone in this land productive not only of chestnut trees and tamarisks, but of friendships which from beginning to end of the journey formed a long chain, interrupted like that of the blue hills, hidden here and there in the anfractuosity of the rock or behind the lime trees of the avenue, but delegating at each stage an amiable gentleman who came to interrupt my course with a cordial handclasp, to prevent me from feeling it too long, to offer if need be to continue the journey with me. Another would be at the next station, so that the whistle of the little tram parted us from one friend only to enable us to meet others. Between the most isolated properties and the railway which skirted them almost at the pace of a person who is walking fast, the distance was so slight that at the moment when, from the platform, outside the waiting-room, their owners hailed us, we might almost have imagined that they were doing so from their own doorstep, from their bedroom window, as though the little departmental line had been merely a street in a country town and the isolated mansion-house the town residence of a family; and even at the few stations where no ‘good evening′ sounded, the silence had a nourishing and calming fulness, because I knew that it was formed from the slumber of friends who had gone to bed early in the neighbouring manor, where my arrival would have been greeted with joy if I had been obliged to arouse them to ask for some hospitable office. Not to mention that a sense of familiarity so fills up our time that we have not, after a few months, a free moment in a town where on our first arrival the day offered us the absolute disposal of all its twelve hours, if one of these had by any chance fallen vacant, it would no longer have occurred to me to devote it to visiting some church for the sake of which I had come to Balbec in the past, nor even to compare a scene painted by Elstir with the sketch that I had seen of it in his studio, but rather to go and play one more game of chess at M. Féré‘s. It was indeed the degrading influence, as it was also the charm that this country round Balbec had had, that it should become for me in the true sense a friendly country; if its territorial distribution, its sowing, along the whole extent of the coast, with different forms of cultivation, gave of necessity to the visits which I paid to these different friends the form of a journey, they also reduced that journey to nothing more than the social amusement of a series of visits. The same place-names, so disturbing to me in the past that the mere Country House Year Book, when I turned over the chapter devoted to the Department of the Manche, caused me as keen an emotion as the railway time-table, had become so familiar to me that, in the time-table itself, I could have consulted the page headed: Balbec to Douville via Doncières, with the same happy tranquillity as a directory of addresses. In. this too social valley, along the sides of which I felt assembled, whether visible or not, a numerous company of friends, the poetical cry of the evening was no longer that of the owl or frog, but the ‘How goes it?′ of M. de Criquetot or the ‘Chaire!′ of Brichot. Its atmosphere no longer aroused my anguish, and, charged with effluvia that were purely human, was easily breathable, indeed unduly soothing. The benefit that I did at least derive from it was that of looking at things only from a practical point of view. The idea of marrying Albertine appeared to me to be madness.





II. Chapitre Quatrième

Brusque revirement vers Albertine. Désolation au lever du soleil.Je pars immédiatement avec Albertine pour Paris.

CHAPTER FOUR

  Sudden revulsion in favour of Albertine. — Agony at sunrise. — I set off at once with Albertine for Paris.
Je n′attendais qu′une occasion pour la rupture définitive. Et, un soir, comme maman partait le lendemain pour Combray, où elle allait assister dans sa dernière maladie une soeur de sa mère, me laissant pour que je profitasse, comme grand′mère aurait voulu, de l′air de la mer, je lui avais annoncé qu′irrévocablement j′étais décidé à ne pas épouser Albertine et allais cesser prochainement de la voir. J′étais content d′avoir pu, par ces mots, donner satisfaction à ma mère la veille de son départ. Elle ne m′avait pas caché que c′en avait été en effet une très vive pour elle. Il fallait aussi m′en expliquer avec Albertine. Comme je revenais avec elle de la Raspelière, les fidèles étant descendus, tels à Saint-Mars-le-Vêtu, tels à Saint-Pierre-des-Ifs, d′autres à Doncières, me sentant particulièrement heureux et détaché d′elle, je m′étais décidé, maintenant qu′il n′y avait plus que nous deux dans le wagon, à aborder enfin cet entretien. La vérité, d′ailleurs, est que celle des jeunes filles de Balbec que j′aimais, bien qu′absente en ce moment ainsi que ses amies, mais qui allait revenir (je me plaisais avec toutes, parce que chacune avait pour moi, comme le premier jour, quelque chose de l′essence des autres, était comme d′un race à part), c′était Andrée. Puisqu′elle allait arriver de nouveau, dans quelques jours, à Balbec, certes aussitôt elle viendrait me voir, et alors, pour rester libre, ne pas l′épouser si je ne voulais pas, pour pouvoir aller à Venise, mais pourtant l′avoir d′ici là toute à moi, le moyen que je prendrais ce serait de ne pas trop avoir l′air de venir à elle, et dès son arrivée, quand nous causerions ensemble, je lui dirais: «Quel dommage que je ne vous aie pas vue quelques semaines plus tôt! Je vous aurais aimée; maintenant mon coeur est pris. Mais cela ne fait rien, nous nous verrons souvent, car je suis triste de mon autre amour et vous m′aiderez à me consoler.» Je souriais intérieurement en pensant à cette conversation, car de cette façon je donnerais à Andrée l′illusion que je ne l′aimais pas vraiment; ainsi elle ne serait pas fatiguée de moi et je profiterais joyeusement et doucement de sa tendresse. Mais tout cela ne faisait que rendre plus nécessaire de parler enfin sérieusement à Albertine afin de ne pas agir indélicatement, etpuisque j′étais décidé à me consacrer à son amie, il fallait qu′elle sût bien, elle, Albertine, que je ne l′aimais pas. Il fallait le lui dire tout de suite, Andrée pouvant venir d′un jour à l′autre. Mais comme nous approchions de Parville, je sentis que nous n′aurions pas le temps ce soir-là et qu′il valait mieux remettre au lendemain ce qui maintenant était irrévocablement résolu. Je me contentai donc de parler avec elle du dîner que nous avions fait chez les Verdurin. Au moment où elle remettait son manteau, le train venant de quitter Incarville, dernière station avant Parville, elle me dit: «Alors demain, re-Verdurin, vous n′oubliez pas que c′est vous qui venez me prendre.» Je ne pus m′empêcher de répondre assez sèchement: «Oui, à moins que je ne «lâche», car je commence à trouver cette vie vraiment stupide. En tout cas, si nous y allons, pour que mon temps à la Raspelière ne soit pas du temps absolument perdu, il faudra que je pense à demander à Mme Verdurin quelque chose qui pourra m′intéresser beaucoup, être un objet d′études, et me donner du plaisir, car j′en ai vraiment bien peu cette année à Balbec. -- Ce n′est pas aimable pour moi, mais je ne vous en veux pas, parce que je sens que vous êtes nerveux. Quel est ce plaisir? -- Que Mme Verdurin me fasse jouer des choses d′un musicien dont elle connaît très bien les oeuvres. Moi aussi j′en connais une, mais il paraît qu′il y en a d′autres et j′aurais besoin de savoir si c′est édité, si cela diffère des premières. -- Quel musicien? -- Ma petite chérie, quand je t′aurai dit qu′il s′appelle Vinteuil, en seras-tu beaucoup plus avancée?» Nous pouvons avoir roulé toutes les idées possibles, la vérité n′y est jamais entrée, et c′est du dehors, quand on s′y attend le moins, qu′elle nous fait son affreuse piqûre et nous blesse pour toujours. «Vous ne savez pas comme vous m′amusez, me répondit Albertine en se levant, car le train allait s′arrêter. Non seulement cela me dit beaucoup plus que vous ne croyez, mais, même sans Mme Verdurin, je pourrai vous avoir tous les renseignements que vous voudrez. Vous vous rappelez que je vous ai parlé d′une amie plus âgée que moi, qui m′a servi de mère, de soeur, avec qui j′ai passé à Trieste mes meilleures années et que, d′ailleurs, je dois dans quelques semaines retrouver à Cherbourg, d′où nous voyagerons ensemble (c′est un peu baroque, mais vous savez comme j′aime la mer), hé, bien! cette amie (oh! pas du tout le genre de femmes que vous pourriez croire!), regardez comme c′est extraordinaire, est justement la meilleure amie de la fille de ce Vinteuil, et je connais presque autant la fille de Vinteuil. Je ne les appelle jamais que mes deux grandes soeurs. Je ne suis pas fâchée de vous montrer que votre petite Albertine pourra vous être utile pour ces choses de musique, où vous dites, du reste avec raison, que je n′entends rien.» A ces mots prononcés comme nous entrions en gare de Parville, si loin de Combray et de Montjouvain, si longtemps après la mort de Vinteuil, une image s′agitait dans mon coeur, une image tenue en réserve pendant tant d′années que, même si j′avais pu deviner, en l′emmagasinant jadis, qu′elle avait un pouvoir nocif, j′eusse cru qu′à la longue elle l′avait entièrement perdu; conservée vivante au fond de moi -- comme Oreste dont les Dieux avaient empêché la mort pour qu′au jour désigné il revînt dans son pays punir le meurtre d′Agamemnon -- pour mon supplice, pour mon châtiment, qui sait? d′avoir laissé mourir ma grand′mère, peut-être; surgissant tout à coup du fond de la nuit où elle semblait à jamais ensevelie et frappant comme un Vengeur, afin d′inaugurer pour moi une vie terrible, méritée et nouvelle, peut-être aussi pour faire éclater à mes yeux les funestes conséquences que les actes mauvais engendrent indéfiniment, non pas seulement pour ceux qui les ont commis, mais pour ceux qui n′ont fait, qui n′ont cru, que contempler un spectacle curieux et divertissant, comme moi, hélas! en cette fin de journée lointaine à Montjouvain, caché derrière un buisson où (comme quand j′avais complaisamment écouté le récit des amours de Swann) j′avais dangereusement laissé s′élargir en moi la voie funeste et destinée à être douloureuse du Savoir. Et dans ce même temps, de ma plus grande douleur j′eus un sentiment presque orgueilleux, presque joyeux, d′un homme à qui le choc qu′il aurait reçu fait faire un bond tel qu′il serait parvenu à un point où nul effort n′aurait pu le hisser. Albertine amie de Mlle Vinteuil et de son amie, pratiquante professionnelle du Sapphisme, c′était, auprès de ce que j′avais imaginé dans les plus grands doutes, ce qu′est au petit acoustique de l′Exposition de 1889, dont on espérait à peine qu′il pourrait aller du bout d′une maison à une autre, les téléphones planant sur les rues, les villes, les champs, les mers, reliant les pays. C′était une «terra incognita» terrible où je venais d′atterrir, une phase nouvelle de souffrances insoupçonnées qui s′ouvrait. Et pourtant ce déluge de la réalité qui nous submerge, s′il est énorme auprès de nos timides et infimes suppositions, il était pressenti par elles. C′est sans doute quelque chose comme ce que je venais d′apprendre, c′était quelque chose comme l′amitié d′Albertine et Mlle Vinteuil, quelque chose que mon esprit n′aurait su inventer, mais que j′appréhendais obscurément quand je m′inquiétais tout en voyant Albertine auprès d′Andrée. C′est souvent seulement par manque d′esprit créateur qu′on ne va pas assez loin dans la souffrance. Et la réalité la plus terrible donne, en même temps que la souffrance, la joie d′une belle découverte, parce qu′elle ne fait que donner une forme neuve et claire à ce que nous remâchions depuis longtemps sans nous en douter. Le train s′était arrêté à Parville, et comme nous étions les seuls voyageurs qu′il y eût dedans, c′était d′une voix amollie par le sentiment de l′inutilité de la tâche, par la même habitude qui la lui faisait pourtant remplir et lui inspirait à la fois l′exactitude et l′indolence, et plus encore par l′envie de dormir que l′employé cria: «Parville!» Albertine, placée en face de moi et voyant qu′elle était arrivée à destination, fit quelques pas du fond du wagon où nous étions et ouvrit la portière. Mais ce mouvement qu′elle accomplissait ainsi pour descendre me déchirait intolérablement le coeur comme si, contrairement à la position indépendante de mon corps que, à deux pas de lui, semblait occuper celui d′Albertine, cette séparation spatiale, qu′un dessinateur véridique eût été obligé de figurer entre nous, n′était qu′une apparence et comme si, pour qui eût voulu, selon la réalité véritable, redessiner les choses, il eût fallu placer maintenant Albertine, non pas à quelque distance de moi, mais en moi. Elle me faisait si mal en s′éloignant que, la rattrapant, je la tirai désespérément par le bras. «Est-ce qu′il serait matériellement impossible, lui demandai-je, que vous veniez coucher ce soir à Balbec? -- Matériellement, non. Mais je tombe de sommeil. -- Vous me rendriez un service immense . . . -- Alors soit, quoique je ne comprenne pas; pourquoi ne l′avez-vous pas dit plus tôt? Enfin je reste.» Ma mère dormait quand, après avoir fait donner à Albertine une chambre située à un autre étage, je rentrai dans la mienne. Je m′assis près de la fenêtre, réprimant mes sanglots pour que ma mère, qui n′était séparée de moi que par une mince cloison, ne m′entendît pas. Je n′avais même pas pensé à fermer les volets, car à un moment, levant les yeux, je vis, en face de moi, dans le ciel, cette même petite lueur d′un rouge éteint qu′on voyait au restaurant de Rivebelle dans une étude qu′Elstir avait faite d′un soleil couché. Je me rappelai l′exaltation que m′avait donnée, quand je l′avais aperçue du chemin de fer, le premier jour de mon arrivée à Balbec, cette même image d′un soir qui ne précédait pas la nuit, mais une nouvelle journée. Mais nulle journée maintenant ne serait plus pour moi nouvelle, n′éveillerait plus en moi le désir d′un bonheur inconnu, et prolongerait seulement mes souffrances, jusqu′à ce que je n′eusse plus la force de les supporter. La vérité de ce que Cottard m′avait dit au casino de Parville ne faisait plus doute pour moi. Ce quej′avais redouté, vaguement soupçonné depuis longtemps d′Albertine, ce que mon instinct dégageait de tout son être, et ce que mes raisonnements dirigés par mon désir m′avaient peu à peu fait nier, c′était vrai! Derrière Albertine je ne voyais plus les montagnes bleues de la mer, mais la chambre de Montjouvain où elle tombait dans les bras de Mlle Vinteuil avec ce rire où elle faisait entendre comme le son inconnu de sa jouissance. Car, jolie comme était Albertine, comment Mlle Vinteuil, avec les goûts qu′elle avait, ne lui eût-elle pas demandé de les satisfaire? Et la preuve qu′Albertine n′en avait pas été choquée et avait consenti, c′est qu′elles ne s′étaient pas brouillées, mais que leur intimité n′avait pas cessé de grandir. Et ce mouvement gracieux d′Albertine posant son menton sur l′épaule de Rosemonde, la regardant en souriant et lui posant un baiser dans le cou, ce mouvement qui m′avait rappelé Mlle Vinteuil et pour l′interprétation duquel j′avais hésité pourtant à admettre qu′une même ligne tracée par un geste résultât forcément d′un même penchant, qui sait si Albertine ne l′avait pas tout simplement appris de Mlle Vinteuil? Peu à peu le ciel éteint s′allumait. Moi qui ne m′étais jusqu′ici jamais éveillé sans sourire aux choses les plus humbles, au bol de café au lait, au bruit de la pluie, au tonnerre du vent, je sentis que le jour qui allait se lever dans un instant, et tous les jours qui viendraient ensuite ne m′apporteraient plus jamais l′espérance d′un bonheur inconnu, mais le prolongement de mon martyre. Je tenais encore à la vie; je savais que je n′avais plus rien que de cruel à en attendre. Je courus à l′ascenseur, malgré l′heure indue, sonner le lift qui faisait fonction de veilleur de nuit, et je lui demandai d′aller à la chambre d′Albertine, lui dire que j′avais quelque chose d′important à lui communiquer, si elle pourrait me recevoir. «Mademoiselle aime mieux que ce soit elle qui vienne, vint-il me répondre. Elle sera ici dans un instant.» Et bientôt, en effet, Albertine entra en robe de chambre, «Albertine, lui dis-je très bas et en lui recommandant de ne pas élever la voix pour ne pas éveiller ma mère, de qui nous n′étions séparés que par cette cloison -- dont la minceur, aujourd′hui importune et qui forçait à chuchoter, ressemblait jadis, quand s′y peignirent si bien les intentions de ma grand′mère, à une sorte de diaphanéité musicale -- je suis honteux de vous déranger. Voici. Pour que vous compreniez, il faut que je vous dise une chose que vous ne savez pas. Quand je suis venu ici, j′ai quitté une femme que j′ai dû épouser, qui était prête à tout abandonner pour moi. Elle devait partir en voyage ce matin, et depuis une semaine, tous les jours je me demandais si j′aurais le courage de ne pas lui télégraphier que je revenais. J′ai eu ce courage, mais j′étais si malheureux que j′ai cru que je me tuerais. C′est pour cela que je vous ai demandé hier soir si vous ne pourriez pas venir coucher à Balbec. Si j′avais dû mourir, j′aurais aimé vous dire adieu.» Et je donnai libre cours aux larmes que ma fiction rendait naturelles. «Mon pauvre petit, si j′avais su, j′aurais passé la nuit auprès de vous», s′écria Albertine, à l′esprit de qui l′idée que j′épouserais peut-être cette femme et que l′occasion de faire, elle, un «beau mariage» s′évanouissait ne vint même pas, tant elle était sincèrement émue d′un chagrin dont je pouvais lui cacher la cause, mais non la réalité et la force. «Du reste, me dit-elle, hier, pendant tout le trajet depuis la Raspelière, j′avais bien senti que vous étiez nerveux et triste, je craignais quelque chose.» En réalité, mon chagrin n′avait commencé qu′à Parville, et la nervosité, bien différente mais qu′heureusement Albertine confondait avec lui, venait de l′ennui de vivre encore quelques jours avec elle. Elle ajouta: «Je ne vous quitte plus, je vais rester tout le temps ici.» Elle m′offrait justement -- et elle seule pouvait me l′offrir -- l′unique remède contre le poison qui me brûlait, homogène à lui d′ailleurs; l′un doux, l′autre cruel, tous deux étaient également dérivés d′Albertine. En ce moment Albertine -- mon mal -- se relâchant de me causer des souffrances, me laissait -- elle, Albertine remède -- attendri comme un convalescent. Mais je pensais qu′elle allait bientôt partir de Balbec pour Cherbourg et de là pour Trieste. Ses habitudes d′autrefois allaient renaître. Ce que je voulais avant tout, c′était empêcher Albertine de prendre le bateau, tâcher de l′emmener à Paris. Certes, de Paris, plus facilement encore que de Balbec, elle pourrait, si elle le voulait, aller à Trieste, mais à Paris nous verrions; peut-être je pourrais demander à Mme de Guermantes d′agir indirectement sur l′amie de Mlle Vinteuil pour qu′elle ne restât pas à Trieste, pour lui faire accepter une situation ailleurs, peut-être chez le prince de . . . que j′avais rencontré chez Mme de Villeparisis et chez Mme de Guermantes même. Et celui-ci, même si Albertine voulait aller chez lui voir son amie, pourrait, prévenu par Mme de Guermantes, les empêcher de se joindre. Certes, j′aurais pu me dire qu′à Paris, si Albertine avait ces goûts, elle trouverait bien d′autres personnes avec qui les assouvir. Mais chaque mouvement de jalousie est particulier et porte la marque de la créature -- pour cette fois-ci l′amie de Mlle Vinteuil -- qui l′a suscité. C′était l′amie de Mlle Vinteuil qui restait ma grande préoccupation. La passion mystérieuse avec laquelle j′avais pensé autrefois à l′Autriche parce que c′était le pays d′où venait Albertine (son oncle y avait été conseiller d′ambassade), que sa singularité géographique, la race qui l′habitait, ses monuments, ses paysages, je pouvais les considérer ainsi que dans un atlas, comme dans un recueil de vues, dans le sourire, dans les manières d′Albertine, cette passion mystérieuse, je l′éprouvais encore mais, par une interversion des signes, dans le domaine de l′horreur. Oui, c′était de là qu′Albertine venait. C′était là que, dans chaque maison, elle était sûre de retrouver, soit l′amie de Mlle Vinteuil, soit d′autres. Les habitudes d′enfance allaient renaître, on se réunirait dans trois mois pour la Noël, puis le 1er janvier, dates qui m′étaient déjà tristes en elles-mêmes, de par le souvenir inconscient du chagrin que j′y avais ressenti quand, autrefois, elles me séparaient, tout le temps des vacances du jour de l′an, de Gilberte. Après les longs dîners, après les réveillons, quand tout le monde serait joyeux, animé, Albertine allait avoir, avec ses amies de là-bas, ces mêmes poses que je lui avais vu prendre avec Andrée, alors que l′amitié d′Albertine pour elle était innocente; qui sait? peut-être celles qui avaient rapproché devant moi Mlle Vinteuil poursuivie par son amie, à Montjouvain. A Mlle Vinteuil maintenant, tandis que son amie la chatouillait avant de s′abattre sur elle, je donnais le visage enflammé d′Albertine, d′Albertine que j′entendis lancer en s′enfuyant, puis en s′abandonnant, son rire étrange et profond. Qu′était, à côté de la souffrance que je ressentais, la jalousie que j′avais pu éprouver le jour où Saint-Loup avait rencontré Albertine avec moi à Doncières et où elle lui avait fait des agaceries? celle aussi que j′avais éprouvée en repensant à l′initiateur inconnu auquel j′avais pu devoir les premiers baisers qu′elle m′avait donnés à Paris, le jour où j′attendais la lettre de Mlle de Stermaria? Cette autre jalousie, provoquée par Saint-Loup, par un jeune homme quelconque, n′était rien. J′aurais pu, dans ce cas, craindre tout au plus un rival sur lequel j′eusse essayé de l′emporter. Mais ici le rival n′était pas semblable à moi, ses armes étaient différentes, je ne pouvais pas lutter sur le même terrain, donner à Albertine les mêmes plaisirs, ni même les concevoir exactement. Dans bien des moments de notre vie nous troquerions tout l′avenir contre un pouvoir en soi-même insignifiant. J′aurais jadis renoncé à tous les avantages de la vie pour connaître Mme Blatin, parce qu′elle était une amie de Mme Swann. Aujourd′hui, pour qu′Albertine n′allât pas à Trieste, j′aurais supporté toutes les souffrances, et si c′eût été insuffisant, je lui en aurais infligé, je l′aurais isolée, enfermée, je lui eusse pris le peu d′argent qu′elle avait pour que le dénuement l′empêchât matériellement de faire le voyage. Comme jadis quand je voulais aller à Balbec, ce qui me poussait à partir c′était le désir d′une église persane, d′une tempête à l′aube, ce qui maintenant me déchirait le coeur en pensant qu′Albertine irait peut-être à Trieste, c′était qu′elle y passerait la nuit de Noël avec l′amie de Mlle Vinteuil: car l′imagination, quand elle change de nature et se tourne en sensibilité, ne dispose pas pour cela d′un nombre plus grand d′images simultanées. On m′aurait dit qu′elle ne se trouvait pas en ce moment à Cherbourg ou à Trieste, qu′elle ne pourrait pas voir Albertine, comme j′aurais pleuré de douceur et de joie! Comme ma vie et son avenir eussent changé! Et pourtant je savais bien que cette localisation de ma jalousie était arbitraire, que si Albertine avait ces goûts elle pouvait les assouvir avec d′autres. D′ailleurs, peut-être même ces mêmes jeunes filles, si elles avaient pu la voir ailleurs, n′auraient pas tant torturé mon coeur. C′était de Trieste, de ce monde inconnu où je sentais que se plaisait Albertine, où étaient ses souvenirs, ses amitiés, ses amours d′enfance, que s′exhalait cette atmosphère hostile, inexplicable, comme celle qui montait jadis jusqu′à ma chambre de Combray, de la salle à manger où j′entendais causer et rire avec les étrangers, dans le bruit des fourchettes, maman qui ne viendrait pas me dire bonsoir; comme celle qui avait rempli, pour Swann, les maisons où Odette allait chercher en soirée d′inconcevables joies. Ce n′était plus comme vers un pays délicieux où la race est pensive, les couchants dorés, les carillons tristes, que je pensais maintenant à Trieste, mais comme à une cité maudite que j′aurais voulu faire brûler sur-le-champ et supprimer du monde réel. Cette ville était enfoncée dans mon coeur comme une pointe permanente. Laisser partir bientôt Albertine pour Cherbourg etTrieste me faisait horreur; et même rester à Balbec. Car maintenant que la révélation de l′intimité de mon amie avec Mlle Vinteuil me devenait une quasi-certitude, il me semblait que, dans tous les moments où Albertine n′était pas avec moi (et il y avait des jours entiers où, à cause de sa tante, je ne pouvais pas la voir), elle était livrée aux cousines de Bloch, peut-être à d′autres. L′idée que ce soir même elle pourrait voir les cousines de Bloch me rendait fou. Aussi, après qu′elle m′eût dit que pendant quelques jours elle ne me quitterait pas, je lui répondis: «Mais c′est que je voudrais partir pour Paris. Ne partiriez-vous pas avec moi? Et ne voudriez-vous pas venir habiter un peu avec nous à Paris?» A tout prix il fallait l′empêcher d′être seule, au moins quelques jours, la garder près de moi pour être sûr qu′elle ne pût voir l′amie de Mlle Vinteuil. Ce serait, en réalité, habiter seule avec moi, car ma mère, profitant d′un voyage d′inspection qu′allait faire mon père, s′était prescrit comme un devoir d′obéir à une volonté de ma grand′mère qui désirait qu′elle allât quelques jours à Combray auprès d′une de ses soeurs. Maman n′aimait pas sa tante parce qu′elle n′avait pas été pour grand′mère, si tendre pour elle, la soeur qu′elle aurait dû. Ainsi, devenus grands, les enfants se rappellent avec rancune ceux qui ont été mauvais pour eux. Mais maman, devenue ma grand′mère, elle était incapable de rancune; la vie de sa mère était pour elle comme une pure et innocente enfance où elle allait puiser ces souvenirs dont la douceur ou l′amertume réglait ses actions avec les uns et les autres. Ma tante aurait pu fournir à maman certains détails inestimables, mais maintenant elle les aurait difficilement, sa tante était tombée très malade (on disait d′un cancer), et elle se reprochait de ne pas être allée plus tôt pour tenir compagnie à mon père, n′y trouvait qu′une raison de plus de faire ce que sa mère aurait fait et, comme elle, allait, à l′anniversaire du père de ma grand′mère, lequel avait été si mauvais père, porter sur sa tombe des fleurs que ma grand′mère avait l′habitude d′y porter. Ainsi, auprès de la tombe qui allait s′entr′ouvrir, ma mère voulait-elle apporter les doux entretiens que ma tante n′était pas venue offrir à ma grand′mère. Pendant qu′elle serait à Combray, ma mère s′occuperait de certains travaux que ma grand′mère avait toujours désirés, mais si seulement ils étaient exécutés sous la surveillance de sa fille. Aussi n′avaient-ils pas encore été commencés, maman ne voulant pas, en quittant Paris avant mon père, lui faire trop sentir le poids d′un deuil auquel il s′associait, mais qui ne pouvait pas l′affliger autant qu′elle. «Ah! ça ne serait pas possible en ce moment, me répondit Albertine. D′ailleurs, quel besoin avez-vous de rentrer si vite à Paris, puisque cette dame est partie? -- Parce que je serai plus calme dans un endroit où je l′ai connue, plutôt qu′à Balbec qu′elle n′a jamais vu et que j′ai pris en horreur.» Albertine a-t-elle compris plus tard que cette autre femme n′existait pas, et que si, cette nuit-là, j′avais parfaitement voulu mourir, c′est parce qu′elle m′avait étourdiment révélé qu′elle était liée avec l′amie de Mlle Vinteuil? C′est possible. Il y a des moments où cela me paraît probable. En tout cas, ce matin-là, elle crut à l′existence de cette femme. «Mais vous devriez épouser cette dame, me dit-elle, mon petit, vous seriez heureux, et elle sûrement aussi serait heureuse.» Je lui répondis que l′idée que je pourrais rendre cette femme heureuse avait, en effet, failli me décider; dernièrement, quand j′avais fait un gros héritage qui me permettrait de donner beaucoup de luxe, de plaisirs à ma femme, j′avais été sur le point d′accepter le sacrifice de celle que j′aimais. Grisé par la reconnaissance que m′inspirait la gentillesse d′Albertine si près de la souffrance atroce qu′elle m′avait causée, de même qu′on promettrait volontiers une fortune au garçon de café qui vous verse un sixième verre d′eau-de-vie, je lui dis que ma femme aurait une auto, un yacht; qu′à ce point de vue, puisque Albertine aimait tant faire de l′auto et du yachting, il était malheureux qu′elle ne fût pas celle que j′aimasse; que j′eusse été le mari parfait pour elle, mais qu′on verrait, qu′on pourrait peut-être se voir agréablement. Malgré tout, comme dans l′ivresse même on se retient d′interpeller les passants, par peur des coups, je ne commis pas l′imprudence (si c′en était une), comme j′aurais fait au temps de Gilberte, en lui disant que c′était elle, Albertine, que j′aimais. «Vous voyez, j′ai failli l′épouser. Mais je n′ai pas osé le faire pourtant, je n′aurais pas voulu faire vivre une jeune femme auprès de quelqu′un de si souffrant et de si ennuyeux. -- Mais vous êtes fou, tout le monde voudrait vivre auprès de vous, regardez comme tout le monde vous recherche. On ne parle que de vous chez Mme Verdurin, et dans le plus grand monde aussi, on me l′a dit. Elle n′a donc pas été gentille avec vous, cette dame, pour vous donner cette impression de doute sur vous-même? Je vois ce que c′est, c′est une méchante, je la déteste, ah! si j′avais été à sa place . . . -- Mais non, elle est très gentille, trop gentille. Quant aux Verdurin et au reste, je m′en moque bien. En dehors de celle que j′aime et à laquelle, du reste, j′ai renoncé, je ne tiens qu′à ma petite Albertine, il n′y a qu′elle, en me voyant beaucoup -- du moins les premiers jours, ajoutais-je pour ne pas l′effrayer et pouvoir demander beaucoup ces jours-là-- qui pourra un peu me consoler.» Je ne fis que vaguement allusion à une possibilité de mariage, tout en disant que c′était irréalisable parce que nos caractères ne concorderaient pas. Malgré moi, toujours poursuivi dans ma jalousie par le souvenir des relations de Saint-Loup avec «Rachel quand du Seigneur» et de Swann avec Odette, j′étais trop porté à croire que, du moment que j′aimais, je ne pouvais pas être aimé et que l′intérêt seul pouvait attacher à moi une femme. Sans doute c′était une folie de juger Albertine d′après Odette et Rachel. Mais ce n′était pas elle, c′était moi; c′étaient les sentiments que je pouvais inspirer que ma jalousie me faisait trop sous-estimer. Et de ce jugement, peut-être erroné, naquirent sans doute bien des malheurs qui allaient fondre sur nous. «Alors, vous refusez mon invitation pour Paris? -- Ma tante ne voudrait pas que je parte en ce moment. D′ailleurs, même si plus tard je peux, est-ce que cela n′aurait pas l′air drôle que je descende ainsi chez vous? A Paris on saura bien que je ne suis pas votre cousine. -- Hé bien! nous dirons que nous sommes un peu fiancés. Qu′est-ce que cela fait, puisque vous savez que cela n′est pas vrai?» Le cou d′Albertine, qui sortait tout entier de sa chemise, était puissant, doré, à gros grains. Je l′embrassai aussi purement que si j′avais embrassé ma mère pour calmer un chagrin d′enfant que je croyais alors ne pouvoir jamais arracher de mon coeur. Albertine me quitta pour aller s′habiller. D′ailleurs son dévouement fléchissait déjà; tout à l′heure, elle m′avait dit qu′elle ne me quitterait pas d′une seconde. (Etje sentais bien que sa résolution ne durerait pas puisque je craignais, si nous restions à Balbec, qu′elle vît ce soir même, sans moi, les cousines de Bloch.) Or elle venait maintenant de me dire qu′elle voulait passer à Maineville et qu′elle reviendrait me voir dans l′après-midi. Elle n′était pas rentrée la veille au soir, il pouvait y avoir des lettres pour elle; de plus, sa tante pouvait être inquiète. J′avais répondu: «Si ce n′est que pour cela, on peut envoyer le lift dire à votre tante que vous êtes ici et chercher vos lettres.» Et désireuse de se montrer gentille mais contrariée d′être asservie, elle avait plissé le front puis, tout de suite, très gentiment, dit: «C′est cela», et elle avait envoyé le lift. Albertine ne m′avait pas quitté depuis un moment que le lift vint frapper légèrement. Je ne m′attendais pas à ce que, pendant que je causais avec Albertine, il eût eu le temps d′aller à Maineville et d′en revenir. Il venait me dire qu′Albertine avait écrit un mot à sa tante et qu′elle pouvait, si je voulais, venir à Paris le jour même. Elle avait, du reste, eu tort de lui donner la commission de vive voix, car déjà, malgré l′heure matinale, le directeur était au courant et, affolé, venait me demander si j′étais mécontent de quelque chose, si vraiment je partais, si je ne pourrais pas attendre au moins quelques jours, le vent étant aujourd′hui assez craintif (à craindre). Je ne voulais pas lui expliquer que je voulais à tout prix qu′Albertine ne fût plus à Balbec à l′heure où les cousines de Bloch faisaient leur promenade, surtout Andrée, qui seule eût pu la protéger, n′étant pas là, et que Balbec était comme ces endroits où un malade qui n′y respire plus est décidé, dût-il mourir en route, à ne pas passer la nuit suivante. Du reste, j′allais avoir à lutter contre des prières du même genre, dans l′hôtel d′abord, où Marie Gineste et Céleste Albaret avaient les yeux rouges. Marie, du reste, faisait entendre le sanglot pressé d′un torrent. Céleste, plus molle, lui recommandait le calme; mais Marie ayant murmuré les seuls vers qu′elle connût: Ici-bas tous les lilas meurent, Céleste ne put se retenir et une nappe de larmes s′épandit sur sa figure couleur de lilas; je pense, du reste, qu′elles m′oublièrent dès le soir même. Ensuite, dans le petit chemin de fer d′intérêt local, malgré toutes mes précautions pour ne pas être vu, je rencontrai M. de Cambremer qui, à la vue de mes malles, blêmit, car il comptait sur moi pour le surlendemain; il m′exaspéra en voulant me persuader que mes étouffements tenaient au changement de temps et qu′octobre serait excellent pour eux, et il me demanda si, en tout cas, «je ne pourrais pas remettre mon départ à huitaine», expression dont la bêtise ne me mit peut-être en fureur que parce que ce qu′il me proposait me faisait mal. Et tandis qu′il me parlait dans le wagon, à chaque station je craignais de voir apparaître, plus terribles qu′Heribald ou Guiscard, M. de Crécy implorant d′être invité, ou, plus redoutable encore, Mme Verdurin tenant à m′inviter. Mais cela ne devait arriver que dans quelques heures. Je n′en étais pas encore là. Je n′avais à faire face qu′aux plaintes désespérées du directeur. Je l′éconduisis, car je craignais que, tout en chuchotant, il ne finît par éveiller maman. Je restai seul dans la chambre, cette même chambre trop haute de plafond où j′avais été si malheureux à la première arrivée, où j′avais pensé avec tant de tendresse à Mlle de Stermaria, guetté le passage d′Albertine et de ses amies comme d′oiseaux migrateurs arrêtés sur la plage, où je l′avais possédée avec tant d′indifférence quand je l′avais fait chercher par le lift, où j′avais connu la bonté de ma grand′mère, puis appris qu′elle était morte; ces volets, au pied desquels tombait la lumière du matin, je les avais ouverts la première fois pour apercevoir les premiers contreforts de la mer (ces volets qu′Albertine me faisait fermer pour qu′on ne nous vît pas nous embrasser). Je prenais conscience de mes propres transformations en les confrontant à l′identité des choses. On s′habitue pourtant à elles comme aux personnes et quand, tout d′un coup, on se rappelle la signification différente qu′elles comportèrent, puis, quand elles eurent perdu toute signification, les événements bien différents de ceux d′aujourd′hui qu′elles encadrèrent, la diversité des actes joués sous le même plafond, entre les mêmes bibliothèques vitrées, le changement dans le coeur et dans la vie que cette diversité implique, semblent encore accrus par la permanence immuable du décor, renforcés par l′unité du lie   I was only waiting for an opportunity for a final rupture. And, one evening, as Mamma was starting next day for Combray, where she was to attend the deathbed of one of her mother′s sisters, leaving me behind so that I might get the benefit, as my grandmother would have wished, of the sea air, I had announced to her that I had irrevocably decided not to marry Albertine and would very soon stop seeing her. I was glad to have been able, by these words, to give some satisfaction to my mother on the eve of her departure. She had not concealed from me that this satisfaction was indeed extreme. I had also to come to an understanding with Albertine. As I was on my way back with her from la Raspelière, the faithful having alighted, some at Saint-Mars le Vêtu, others at Saint-Pierre des Ifs, others again at Doncières, feeling particularly happy and detached from her, I had decided, now that there were only our two selves in the carriage, to embark at length upon this subject. The truth, as a matter of fact, is that the girl of the Balbec company whom I really loved, albeit she was absent at that moment, as were the rest of her friends, but who was coming back there (I enjoyed myself with them all, because each of them had for me, as on the day when I first saw them, something of the essential quality of all the rest, as though they belonged to a race apart), was Andrée. Since she was coming back again, in a few days′ time, to Balbec, it was certain that she would at once pay me a visit, and then, to be left free not to marry her if I did not wish to do so, to be able to go to Venice, but at the same time to have her, while she was at Balbec, entirely to myself, the plan that I would adopt would be that of not seeming at all eager to come to her, and as soon as she arrived, when we were talking together, I would say to her: “What a pity it is that I didn′t see you a few weeks earlier. I should have fallen in love with you; now my heart is bespoke. But that makes no difference, we shall see one another frequently, for I am unhappy about my other love, and you will help to console me.” I smiled inwardly as I thought of this conversation, by this stratagem I should be giving Andrée the impression that I was not really in love with her; and so she would not grow tired of me and I should take a joyful and pleasant advantage of her affection. But all this only made it all the more necessary that I should at length speak seriously to Albertine, so as not to behave indelicately, arid, since I had decided to consecrate myself to her friend, she herself must be given clearly to understand that I was not in love with her. I must tell her so at once, as Andrée might arrive any day. But as we were getting near Parville, I felt that we should not have time that evening and that it was better to put off until the morrow what was now irrevocably settled. I confined myself, therefore, to discussing with her our dinner that evening at the Verdurins′. As she put on her cloak, the train having just left Incarville, the last station before Parville, she said to me: “To-morrow then, more Verdurin, you won′t forget that you are coming to call for me.” I could not help answering rather sharply: “Yes, that is if I don′t ‘fail′ them, for I am beginning to find this sort of life really stupid. In any case, if we go there, so that my time at la Raspelière may not be absolutely wasted, I must remember to ask Mme. Verdurin about something that may prove of great interest to myself, provide me with a subject for study, and give me pleasure as well, for I have really had very little this year at Balbec.” “You are not very polite to me, but I forgive you, because I can see that your nerves are bad. What is this pleasure?” “That Mme. Verdurin should let me hear some things by a musician whose work she knows very well. I know one of his things myself, but it seems there are others and I should like to know if the rest of his work is printed, if it is different from what I know.” “What musician?” “My dear child, when I have told you that his name is Vinteuil, will you be any the wiser?” We may have revolved every possible idea in our minds, and yet the truth has never occurred to us, and it is from without, when we are least expecting it, that it gives us its cruel stab and wounds us for all time. “You can′t think how you amuse me,” replied Albertine as she rose, for the train was slowing down. “Not only does it mean a great deal more to me than you suppose, but even without Mme. Verdurin I can get you all the information that you require. You remember my telling you about a friend older than myself, who has been a mother, a sister to me, with whom I spent the happiest years of my life at Trieste, and whom for that matter I am expecting to join in a few weeks at Cherbourg, when we shall start on our travels together (it sounds a little odd, but you know how I love the sea), very well, this friend (oh! not at all the type of woman you might suppose!), isn′t this extraordinary, she is the dearest and most intimate friend of your Vinteuil′s daughter, and I know Vinteuil′s daughter almost as well as I know her. I always call them my two big sisters. I am not sorry to let you see that your little Albertine can be of use to you in this question of music, about which you say, and quite rightly for that matter, that I know nothing at all.” At the sound of these words, uttered as we were entering the station of Parville, so far from Combray and Montjouvain, so long after the death of Vinteuil, an image stirred in my heart, an image which I had kept in reserve for so many years that even if I had been able to guess, when I stored it up, long ago, that it had a noxious power, I should have supposed that in the Course of time it had entirely lost it; preserved alive in the depths of my being — like Orestes whose death the gods had prevented in order that, on the appointed day, he might return to his native land to punish the murderer of Agamemnon — as a punishment, as a retribution (who can tell?) for my having allowed my grandmother to die, perhaps; rising up suddenly from the black night in which it seemed for ever buried, and striking, like an Avenger, in order to inaugurate for me a novel, terrible and merited existence, perhaps also to making dazzlingly clear to my eyes the fatal consequences which evil actions indefinitely engender, not only for those who have committed them, but for those who have done no more, have thought that they were doing no more than look on at a curious and entertaining spectacle, like myself, alas, on that afternoon long ago at Montjouvain, concealed behind a bush where (as when I complacently listened to an account of Swann′s love affairs), I had perilously allowed to expand within myself the fatal road, destined to cause me suffering, of Knowledge. And at the same time, from my bitterest grief I derived a sentiment almost of pride, almost joyful, that of a man whom the shock he has just received has carried at a bound to a point to which no voluntary effort could have brought him. Albertine the friend of Mlle. Vinteuil and of her friend, a practising and professional Sapphist, was, compared to what I had imagined when I doubted her most, as are, compared to the little acousticon of the 1889 Exhibition with which one barely hoped to be able to transmit sound from end to end of a house, the telephones that soar over streets, cities, fields, seas, uniting one country to another. It was a terrible terra incognita this on which I had just landed, a fresh phase of undreamed-of sufferings that was opening before me. And yet this deluge of reality that engulfs us, if it is enormous compared with our timid and microscopic suppositions, was anticipated by them. It was doubtless something akin to what I had just learned, something akin to Albertine′s friendship with Mlle. Vinteuil, something which my mind would never have been capable of inventing, but which I obscurely apprehended when I became uneasy at the sight of Albertine and Andrée together. It is often simply from want of the creative spirit that we do not go to the full extent of suffering. And the most terrible reality brings us, with our suffering, the joy of a great discovery, because it merely gives a new and clear form to what we have long been ruminating without suspecting it. The train had stopped at Parville, and, as we were the only passengers in it, it was in a voice lowered by a sense of the futility of his task, by the force of habit which nevertheless made him perform it, and inspired in him simultaneously exactitude and indolence, and even more by a longing for sleep, that the porter shouted: “Parville!” Albertine, who stood facing me, seeing that she had arrived at her destination stepped across the compartment in which we were and opened the door. But this movement which she was making to alight tore my heart unendurably, just as if, notwithstanding the position independent of my body which Albertine′s body seemed to be occupying a yard away from it, this separation in space, which an accurate draughtsman would have been obliged to indicate between us, was only apparent, and anyone who wished to make a fresh drawing of things as they really were would now have had to place Albertine, not at a certain distance from me, but inside me. She distressed me so much by her withdrawal that, overtaking her, I caught her desperately by the arm. “Would it be materially impossible,” I asked her, “for you to come and spend the night at Balbec?” “Materially, no. But I′m dropping with sleep.” “You would be doing me an immense service. . . . ” “Very well, then, though I don′t in the least understand; why didn′t you tell me sooner? I′ll come, though.” My mother was asleep when, after engaging a room for Albertine on a different floor, I entered my own. I sat down by the window, suppressing my sobs, so that my mother, who was separated from me only by a thin partition, might not hear me. I had not even remembered to close the shutters, for at one moment, raising my eyes, I saw facing me in the sky that same faint glow as of a dying fire which one saw in the restaurant at Rivebelle in a study that Elstir had made of a sunset effect. I remembered how thrilled I had been when I had seen from the railway on the day of my first arrival at Balbec, this same image of an evening which preceded not the night but a new day. But no day now would be new to me any more, would arouse in me the desire for an unknown happiness; it would only prolong my sufferings, until the point when I should no longer have the strength to endure them. The truth of what Cottard had said to me in the casino at Parville was now confirmed beyond a shadow of doubt. What I had long dreaded, vaguely suspected of Albertine, what my instinct deduced from her whole personality and my reason controlled by my desire had gradually made me deny, was true! Behind Albertine I no longer saw the blue mountains of the sea, but the room at Montjouvain where she was falling into the arms of Mlle. Vinteuil with that laugh in which she gave utterance to the strange sound of her enjoyment. For, with a girl as pretty as Albertine, was it possible that Mlle. Vinteuil, having the desires she had, had not asked her to gratify them? And the proof that Albertine had not been shocked by the request but had consented, was that they had not quarrelled, indeed their intimacy had steadily increased. And that graceful movement with which Albertine laid her chin upon Rosemonde′s shoulder, gazed at her smilingly, and deposited a kiss upon her throat, that movement which had reminded me of Mlle. Vinteuil, in interpreting which I had nevertheless hesitated to admit that an identical line traced by a gesture must of necessity be due to an identical inclination, for all that I knew, Albertine might simply have learned it from Mlle. Vinteuil. Gradually, the lifeless sky took fire. I who until then had never awakened without a smile at the humblest things, the bowl of coffee and milk, the sound of the rain, the thunder of the wind, felt that the day which in a moment was to dawn, and all the days to come would never bring me any more the hope of an unknown happiness, but only the prolongation of my martyrdom. I clung still to life; I knew that I had nothing now that was not cruel to expect from it. I ran to the lift, regardless of the hour, to ring for the liftboy who acted as night watchman, and asked him to go to Albertine′s room, and to tell her that I had something of importance to say to her, if she could see me there. “Mademoiselle says she would rather come to you,” was his answer. “She will be here in a moment.” And presently, sure enough, in came Albertine in her dressing-gown. “Albertine,” I said to her in a whisper, warning her not to raise her voice so as not to arouse my mother, from whom we were separated only by that partition whose thinness, to-day a nuisance, because it confined us to whispers, resembled in the past, when it so clearly expressed my grandmother′s intentions, a sort of musical transparency, “I am ashamed to have disturbed you. Listen. To make you understand, I must tell you something which you do not know. When I came here, I left a woman whom I ought to have married, who was ready to sacrifice everything for me. She was to start on a journey this morning, and every day for the last week I have been wondering whether I should have the courage not to telegraph to her that I was coming back. I have had that courage, but it made me so wretched that I thought I would kill myself. That is why I asked you last night if you could not come and sleep at Balbec. If I had to die, I should have liked to bid you farewell.” And I gave free vent to the tears which my fiction rendered natural. “My poor boy, if I had only known, I should have spent the night beside you,” cried Albertine, to whom the idea that I might perhaps marry this woman, and that her own chance of making a ‘good marriage′ was thus vanishing, never even occurred, so sincerely was she moved by a grief the cause of which I was able to conceal from her, but not its reality and strength. “Besides,” she told me, “last night, all the time we were coming from la Raspelière, I could see that you were nervous and unhappy, I was afraid there must be something wrong.” As a matter of fact my grief had begun only at Parville, and my nervous trouble, which was very different but which fortunately Albertine identified with it, arose from the boredom of having to spend a few more days in her company. She added: “I shan′t leave you any more, I am going to spend all my time here.” She was offering me, in fact — and she alone could offer me — the sole remedy for the poison that was burning me, a remedy akin, as it happened, to the poison, for, though one was sweet, the other bitter, both were alike derived from Albertine. At that moment, Albertine — my malady — ceasing to cause me to suffer, left me — she, Albertine the remedy — as weak as a convalescent. But I reflected that she would presently be leaving Balbec for Cherbourg, and from there going to Trieste. Her old habits would be reviving. What I wished above all things was to prevent Albertine from taking the boat, to make an attempt to carry her off to Paris. It was true that from Paris, more easily even than from Balbec, she might, if she wished, go to Trieste, but at Paris we should see; perhaps I might ask Mme. de Guermantes to exert her influence indirectly upon Mlle. Vinteuil′s friend so that she should not remain at Trieste, to make her accept a situation elsewhere, perhaps with the Prince de ——, whom I had met at Mme. de Villeparisis′s and, indeed, at Mme. de Guermantes′s. And he, even if Albertine wished to go to his house to see her friend, might, warned by Mme. de Guermantes, prevent them from meeting. Of course I might have reminded myself that in Paris, if Albertine had those tastes, she would find many other people with whom to gratify them. But every impulse of jealousy is individual and bears the imprint of the creature — in this instance Mlle. Vinteuil′s friend — who has aroused it. It was Mlle. Vinteuil′s friend who remained my chief preoccupation. The mysterious passion with which I had thought in the past about Austria because it was the country from which Albertine came (her uncle had been a Counsellor of Embassy there), because its geographical peculiarities, the race that inhabited it, its historical buildings, its scenery, I could study, as in an atlas, as in an album of photographs, in Albertine′s smile, her ways; this mysterious passion I still felt but, by an inversion of symbols, in the realm of horror. Yes, it was from there that Albertine came. It was there that, in every house, she could be sure of finding, if not Mlle. Vinteuil′s friend, others of the sort. The habits of her childhood would revive, they would be meeting in three months′ time for Christmas, then for the New Year, dates which were already painful to me in themselves, owing to an instinctive memory of the misery that I had felt on those days when, long ago, they separated me, for the whole of the Christmas holidays, from Gilberte. After the long dinner-parties, after the midnight revels, when everybody was joyous, animated, Albertine would adopt the same attitudes with her friends there that I had seen her adopt with Andrée, albeit her friendship for Andrée was innocent, the same attitudes, possibly, that I had seen Mlle. Vinteuil adopt, pursued by her friend, at Montjouvain. To Mlle. Vinteuil, while her friend titillated her desires before subsiding upon her, I now gave the inflamed face of Albertine, of an Albertine whom I heard utter as she fled, then as she surrendered herself, her strange, deep laugh. What, in comparison with the anguish that I was now feeling, was the jealousy that I might have felt on the day when Saint-Loup had met Albertine with myself at Doncières and she had made teasing overtures to him, or that I had felt when I thought of the unknown initiator to whom I was indebted for the first kisses that she had given me in Paris, on the day when I was waiting for a letter from Mme. de Stermaria? That other kind of jealousy provoked by Saint-Loup, by a young man of any sort, was nothing. I should have had at the most in that case to fear a rival over whom I should have attempted to prevail. But here the rival was not similar to myself, bore different weapons, I could not compete upon the same ground, give Albertine the same pleasures, nor indeed conceive what those pleasures might be. In many moments of our life, we would barter the whole of our future for a power that in itself is insignificant. I would at one time have foregone all the good things in life to make the acquaintance of Mme. Blatin, because she was a friend of Mme. Swann. To-day, in order that Albertine might not go to Trieste, I would have endured every possible torment, and if that proved insufficient, would have inflicted torments upon her, would have isolated her, kept her under lock and key, would have taken from her the little money that she had so that it should be materially impossible for her to make the journey. Just as long ago, when I was anxious to go to Balbec, what urged me to start was the longing for a Persian church, for a stormy sea at daybreak, so what was now rending my heart as I thought that Albertine might perhaps be going to Trieste, was that she would be spending the night of Christmas there with Mlle. Vinteuil′s friend: for imagination, when it changes its nature and turns to sensibility, does not for that reason acquire control of a larger number of simultaneous images. Had anyone told me that she was not at that moment either at Cherbourg or at Trieste, that there was no possibility of her seeing Albertine, how I should have wept for joy. How my whole life and its future would have been changed! And yet I knew quite well that this localisation of my jealousy was arbitrary, that if Albertine had these desires, she could gratify them with other girls. And perhaps even these very girls, if they could have seen her elsewhere, would not have tortured my heart so acutely. It was Trieste, it was that unknown world in which I could feel that Albertine took a delight, in which were her memories, her friendships, her childish loves, that exhaled that hostile, inexplicable atmosphere, like the atmosphere that used to float up to my bedroom at Combray, from the dining-room in which I could hear talking and laughing with strangers, amid the clatter of knives and forks, Mamma who would not be coming upstairs to say good-night to me; like the atmosphere that had filled for Swann the houses to which Odette went at night in search of inconceivable joys. It was no longer as of a delicious place in which the people were pensive, the sunsets golden, the church bells melancholy, that I thought now of Trieste, but as of an accursed city which I should have liked to see go up in flames, and to eliminate from the world of real things. That city was embedded in my heart as a fixed and permanent point. The thought of letting Albertine start presently for Cherbourg and Trieste filled me with horror; as did even that of remaining at Balbec. For now that the revelation of my mistress′s intimacy with Mlle. Vinteuil became almost a certainty, it seemed to me that at every moment when Albertine was not with me (and there were whole days on which, because of her aunt, I was unable to see her), she was giving herself to Bloch′s sister and cousin, possibly to other girls as well. The thought that that very evening she might be seeing the Bloch girls drove me mad. And so, after she had told me that for the next few days she would stay with me all the time, I replied: “But the fact is, I want to go back to Paris. Won′t you come with me? And wouldn′t you like to come and stay with us for a while in Paris?” At all costs I must prevent her from being by herself, for some days at any rate, I must keep her with me, so as to be certain that she could not meet Mlle. Vinteuil′s friend. She would as a matter of fact be alone in the house with myself, for my mother, taking the opportunity of a tour of inspection which my father had to make, had taken it upon herself as a duty, in obedience to my grandmother′s wishes, to go down to Combray and spend a few days there with one of my grandmother′s sisters. Mamma had no love for her aunt, because she had not been to my grandmother, who was so loving to her, what a sister should be. So, when they grow up, children remember with resentment the people who have been unkind to them. But Mamma, having become my grandmother, was incapable of resentment; her mother′s life was to her like a pure and innocent childhood from which she would extract those memories whose sweetness or bitterness regulated her actions towards other people. Our aunt might have been able to furnish Mamma with certain priceless details, but now she would have difficulty in obtaining them, her aunt being seriously ill (they spoke of cancer), and she reproached herself for not having gone sooner, to keep my father company, found only an additional reason for doing what her mother would have done, just as she went on the anniversary of the death of my grandmother′s father, who had been such a bad parent, to lay upon his grave the flowers which my grandmother had been in the habit of taking there. And so, to the side of the grave which was about to open, my mother wished to convey the kind words which my aunt had not come to offer to my grandmother. While she was at Combray, my mother would busy herself with certain things which my grandmother had always wished to be done, but only if they were done under her daughter′s supervision. So that they had never yet been begun, Mamma not wishing, by leaving Paris before my father, to make him feel too keenly the burden of a grief in which he shared, but which could not afflict him as it afflicted her. “Ah! That wouldn′t be possible just at present,” Albertine assured me. “Besides, why should you need to go back to Paris so soon, if the lady has gone?” “Because I shall feel more at my ease in a place where I have known her than at Balbec, which she has never seen and which I have begun to loathe.” Did Albertine realise later on that this other woman had never existed, and that if that night I had really longed for death, it was because she had stupidly revealed to me that she had been on intimate terms with Mlle. Vinteuil′s friend? It is possible. There are moments when it appears to me probable. Anyhow, that morning, she believed in the existence of this other woman. “But you ought to marry this lady,” she told me, “my dear boy, it would make you happy, and I′m sure it would make her happy as well.” I replied that the thought that I might be making the other woman happy had almost made me decide; when, not long since, I had inherited a fortune which would enable me to provide my wife with ample luxury and pleasures, I had been on the point of accepting the sacrifice of her whom I loved. Intoxicated by the gratitude that I felt for Albertine′s kindness, coming so soon after the atrocious suffering that she had caused me, just as one would think nothing of promising a fortune to the waiter who pours one out a sixth glass of brandy, I told her that my wife would have a motor-car, a yacht, that from that point of view, since Albertine was so fond of motoring and yachting, it was unfortunate that she was not the woman I loved, that I should have been the perfect husband for her, but that we should see, we should no doubt be able to meet on friendly terms. After all, as even when we are drunk we refrain from addressing the passers-by, for fear of blows, I was not guilty of the imprudence (if such it was) that I should have committed in Gilberte′s time, of telling her that it was she, Albertine, whom I loved. “You see, I came very near to marrying her. But I did not dare do it, after all, I should not like to make a young woman live with anyone so sickly and troublesome as myself.” “But you must be mad, anybody would be delighted to live with you, just look how people run after you. They′re always talking about you at Mme. Verdurin′s, and in high society too, I′m told. She can′t have been at all nice to you, that lady, to make you lose confidence in yourself like that. I can see what she is, she′s a wicked woman, I detest her. I′m sure, if I were in her shoes!” “Not at all, she is very kind, far too kind. As for the Verdurins and all that, I don′t care a hang. Apart from the woman I love, whom moreover I have given up, I care only for my little Albertine, she is the only person in the world who, by letting me see a great deal of her — that is, during the first few days,” I added, in order not to alarm her and to be able to ask anything of her during those days, “— can bring me a little consolation.” I made only a vague allusion to the possibility of marriage, adding that it was quite impracticable since we should never agree. Being, in spite of myself, still pursued in my jealousy by the memory of Saint-Loup′s relations with ‘Rachel, when from the Lord,′ and of Swann′s with Odette, I was too much inclined to believe that, from the moment that I was in love, I could not be loved in return, and that pecuniary interest alone could attach a woman to me. No doubt it was foolish to judge Albertine by Odette and Rachel. But it was not she; it was myself; it was the sentiments that I was capable of inspiring that my jealousy made me underestimate. And from this judgment, possibly erroneous, sprang no doubt many of the calamities that were to overwhelm us. “Then you decline my invitation to Paris?” “My aunt would not like me to leave just at present. Besides, even if I can come, later on, wouldn′t it look rather odd, my staying with you like that? In Paris everybody will know that I′m not your cousin.” “Very well, then. We can say that we′re practically engaged. It can′t make any difference, since you know that it isn′t true.” Albertine′s throat which emerged bodily from her nightgown, was strongly built, sunburned, of coarse grain. I kissed her as purely as if I had been kissing my mother to charm away a childish grief which as a child I did not believe that I would ever be able to eradicate from my heart. Albertine left me, in order to go and dress. Already, her devotion was beginning to falter; a moment ago she had told me that she would not leave me for a second. (And I felt sure that her resolution would not last long, since I was afraid, if we remained at Balbec, that she would that very evening, in my absence, be seeing the Bloch girls.) Now, she had just told me that she wished to call at Maineville and that she would come back and see me in the afternoon. She had not looked in there the evening before, there might be letters lying there for her, besides, her aunt might be anxious about her. I had replied: “If that is all, we can send the lift-boy to tell your aunt that you are here and to call for your letters.” And, anxious to shew herself obliging but annoyed at being tied down, she had wrinkled her brow, then, at once, very sweetly, said: “All right” and had sent the lift-boy. Albertine had not been out of the room a moment before the boy came and tapped gently on my door. I had not realised that, while I was talking to Albertine, he had had time to go to Maineville and return. He came now to tell me that Albertine had written a note to her aunt and that she could, if I wished, come to Paris that day. It was unfortunate that she had given him this message orally, for already, despite the early hour, the manager was about, and came to me in a great state to ask me whether there was anything wrong, whether I was really leaving; whether I could not stay just a few days longer, the wind that day being rather ‘tiring′ (trying). I did not wish to explain to him that the one thing that mattered to me was that Albertine should have left Balbec before the hour at which the Bloch girls took the air, especially since Andrée, who alone might have protected her, was not there, and that Balbec was like one of those places in which a sick man who has difficulty in breathing is determined, should he die on the journey, not to spend another night. I should have to struggle against similar entreaties, in the hotel first of all, where the eyes of Marie Gineste and Céleste Albaret were red. (Marie, moreover, was giving vent to the swift sob of a mountain torrent. Céleste, who was gentler, urged her to keep calm; but, Marie having murmured the only poetry that she knew: “Down here the lilacs die,” Céleste could contain herself no longer, and a flood of tears spilled over her lilac-hued face; I dare say they had forgotten my existence by that evening.) After which, on the little local railway, despite all my precautions against being seen, I met M. de Cambremer who, at the sight of my boxes, turned pale, for he was counting upon me for the day after the next; he infuriated me by trying to persuade me that my choking fits were caused by the change in the weather, and that October would do them all the good in the world, and asked me whether I could not ‘postpone my departure by a week,′ an expression the fatuity of which enraged me perhaps only because what he was suggesting to me made me feel ill. And while he talked to me in the railway carriage, at each station I was afraid of seeing, more terrible than Heribald or Guiscard, M. de Crécy imploring me to invite him, or, more dreadful still, Mme. Verdurin bent upon inviting me. But this was not to happen for some hours. I had not got there yet. I had to face only the despairing entreaties of the manager. I shut the door on him, for I was afraid that, although he lowered his voice, he would end by disturbing Mamma. I remained alone in my room, that room with the too lofty ceiling in which I had been so wretched on my first arrival, in which I had thought with such longing of Mme. de Stermaria, had watched for the appearance of Albertine and her friends, like migratory birds alighting upon the beach, in which I had enjoyed her with so little enjoyment after I had sent the lift-boy to fetch her, in which I had experienced my grandmother′s kindness, then realised that she was dead; those shutters at the foot of which the morning light fell, I had opened the first time to look out upon the first ramparts of the sea (those shutters which Albertine made me close in case anybody should see us kissing). I became aware of my own transformations as I compared them with the identity of my surroundings. We grow accustomed to these as to people and when, all of a sudden, we recall the different meaning that they used to convey to us, then, after they had lost all meaning, the events very different from those of to-day which they enshrined, the diversity of actions performed beneath the same ceiling, between the same glazed bookshelves, the change in our heart and in our life that diversity implies, seem to be increased still further by the unalterable permanence of the setting, reinforced by the unity of scene.
Deux ou trois fois, pendant un instant, j′eus l′idée que le monde où était cette chambre et ces bibliothèques, et dans lequel Albertine était si peu de chose, était peut-être un monde intellectuel, qui était la seule réalité, et mon chagrin quelque chose comme celui que donne la lecture d′un roman et dont un fou seul pourrait faire un chagrin durable et permanent et se prolongeant dans sa vie; qu′il suffirait peut-être d′un petit mouvement de ma volonté pour atteindre ce monde réel, y rentrer en dépassant ma douleur comme un cerceau de papier qu′on crève, et ne plus me soucier davantage de ce qu′avait fait Albertine que nous ne nous soucions des actions de l′héroî­¥ imaginaire d′un roman après que nous en avons fini la lecture. Au reste, les maîtresses que j′ai le plus aimées n′ont coî­£idé jamais avec mon amour pour elles. Cet amour était vrai, puisque je subordonnais toutes choses à les voir, à les garder pour moi seul, puisque je sanglotais si, un soir, je les avais attendues. Mais elles avaient plutôt la propriété d′éveiller cet amour, de le porter à son paroxysme, qu′elles n′en étaient l′image. Quand je les voyais, quand je les entendais, je ne trouvais rien en elles qui ressemblât à mon amour et pût l′expliquer. Pourtant ma seule joie était de les voir, ma seule anxiété de les attendre. On aurait dit qu′une vertu n′ayant aucun rapport avec elles leur avait été accessoirement adjointe par la nature, et que cette vertu, ce pouvoir simili-électrique avait pour effet sur moi d′exciter mon amour, c′est-à-dire de diriger toutes mes actions et de causer toutes mes souffrances. Mais de cela la beauté, ou l′intelligence, ou la bonté de ces femmes étaient entièrement distinctes. Comme par un courant électrique qui vous meut, j′ai été secoué par mes amours, je les ai vécus, je les ai sentis: jamais je n′ai pu arriver à les voir ou à les penser. J′incline même à croire que dans ces amours (je mets de côté le plaisir physique, qui les accompagne d′ailleurs habituellement, mais ne suffit pas à les constituer), sous l′apparence de la femme, c′est à ces forces invisibles dont elle est accessoirement accompagnée que nous nous adressons comme à d′obscures divinités. C′est elles dont la bienveillance nous est nécessaire, dont nous recherchons le contact sans y trouver de plaisir positif. Avec ces déesses, la femme, durantle rendez-vous, nous met en rapport et ne fait guère plus. Nous avons, comme des offrandes, promis des bijoux, des voyages, prononcé des formules qui signifient que nous adorons et des formules contraires qui signifient que nous sommes indifférents. Nous avons disposé de tout notre pouvoir pour obtenir un nouveau rendez-vous, mais qui soit accordé sans ennui. Or, est-ce pour la femme elle-même, si elle n′était pas complétée de ces forces occultes, que nous prendrions tant de peine, alors que, quand elle est partie, nous ne saurions dire comment elle était habillée et que nous nous apercevons que nous ne l′avons même pas regardée?   Two or three times it occurred to me, for a moment, that the world in which this room and these bookshelves were situated and in which Albertine counted for so little, was perhaps an intellectual world, which was the sole reality, and my grief something like what we feel when we read a novel, a thing of which only a madman would make a lasting and permanent grief that prolonged itself through his life; that a tiny movement of my will would suffice, perhaps, to attain to that real world, to re-enter it, passing through my grief, as one breaks through a paper hoop, and to think no more about what Albertine had done than we think about the actions of the imaginary heroine of a novel after we have finished reading it. For that matter, the mistresses whom I have loved most passionately have never coincided with my love for them. That love was genuine, since I subordinated everything else to the need of seeing them, of keeping them to myself, and would weep aloud if, one evening, I had waited for them in vain. But it was more because they had the faculty of arousing that love, of raising it to a paroxysm, than because they were its image. When I saw them, when I heard their voices, I could find nothing in them which resembled my love and could account for it. And yet my sole joy lay in seeing them, my sole anxiety in waiting for them to come. One would have said that a virtue that had no connexion with them had been attached to them artificially by nature, and that this virtue, this quasi-electric power had the effect upon me of exciting my love, that is to say of controlling all my actions and causing all my sufferings. But from this, the beauty, or the intelligence, or the kindness of these women was entirely distinct. As by an electric current that gives us a shock, I have been shaken by my love affairs, I have lived them, I have felt them: never have I succeeded in arriving at the stage of seeing or thinking them. Indeed I am inclined to believe that in these love affairs (I leave out of account the physical pleasure which is their habitual accompaniment but is not enough in itself to constitute them), beneath the form of the woman, it is to those invisible forces which are attached to her that we address ourselves as to obscure deities. It is they whose goodwill is necessary to us, with whom we seek to establish contact without finding any positive pleasure in it. With these goddesses, the woman, during our assignation with her, puts us in touch and does little more. We have, by way of oblation, promised jewels, travels, uttered formulas which mean that we adore and, at the same time, formulas which mean that we are indifferent. We have used all our power to obtain a fresh assignation, but on condition that no trouble is involved. Now would the woman herself, if she were not completed by these occult forces, make us give ourselves so much trouble, when, once she has left us, we are unable to say how she was dressed and realise that we never even looked at her?
Comme la vue estun sens trompeur, un corps humain, même aimé, comme était celui d′Albertine, nous semble, à quelques mètres, à quelques centimètres, distant de nous. Et l′âme qui est à lui de même. Seulement, que quelque chose change violemment la place de cette âme par rapport à nous, nous montre qu′elle aime d′autres êtres et pas nous, alors, aux battements de notre coeur disloqué, nous sentons que c′est, non pas à quelques pas de nous, mais en nous, qu′était la créature chérie. En nous, dans des régions plus ou moins superficielles. Mais les mots: «Cette amie, c′est Mlle Vinteuil» avaient été le Sésame, que j′eusse été incapable de trouver moi-même, qui avait fait entrer Albertine dans la profondeur de mon coeur déchiré. Et la porte qui s′était refermée sur elle, j′aurais pu chercher pendant cent ans sans savoir comment on pourrait la rouvrir.   As our vision is a deceiving sense, a human body, even when it is loved as Albertine′s was, seems to us to be at a few yards′, at a few inches′ distance from us. And similarly with the soul that inhabits it. But something need only effect a violent change in the relative position of that soul to ourselves, to shew us that she is in love with others and not with us, then by the beating of our dislocated heart we feel that it is not a yard away from us but within us that the beloved creature was. Within us, in regions more or less superficial. But the words: ‘That friend is Mlle. Vinteuil′ had been the Open sesame which I should have been incapable of discovering by myself, which had made Albertine penetrate to the depths of my shattered heart. And the door that had closed behind her, I might seek for a hundred years without learning how it might be opened.
Ces mots, j′avais cessé de les entendre un instant pendant qu′Albertine était auprès de moi tout à l′heure. En l′embrassant comme j′embrassais ma mère, à Combray, pour calmer mon angoisse, je croyais presque à l′innocence d′Albertine ou, du moins, je ne pensais pas avec continuité à la découverte que j′avais faite de son vice. Mais maintenant que j′étais seul, les mots retentissaient à nouveau, comme ces bruits intérieurs de l′oreille qu′on entend dès que quelqu′un cesse de vous parler. Son vice maintenant ne faisait pas de doute pour moi. La lumière du soleil qui allait se lever, en modifiant les choses autour de moi, me fit prendre à nouveau, comme en me déplaçant un instant par rapport à elle, conscience plus cruelle encore de ma souffrance. Je n′avais jamais vu commencer une matinée si belle ni si douloureuse. En pensant à tous les paysages indifférents qui allaient s′illuminer et qui, la veille encore, ne m′eussent rempli que du désir de les visiter, je ne pus retenir un sanglot quand, dans un geste d′offertoire mécaniquement accompli et qui me parut symboliser le sanglant sacrifice que j′allais avoir à faire de toute joie, chaque matin, jusqu′à la fin de ma vie, renouvellement, solennellement célébré à chaque aurore, de mon chagrin quotidien et du sang de ma plaie, l′oeuf d′or du soleil, comme propulsé par la rupture d′équilibre qu′amènerait au moment de la coagulation un changement de densité, barbelé de flammes comme dans les tableaux, creva d′un bond le rideau derrière lequel on le sentait depuis un moment frémissant et prêt à entrer en scène et à s′élancer, et dont il effaça sous des flots de lumière la pourpre mystérieuse et figée. Je m′entendis moi-même pleurer. Mais à ce moment, contre toute attente, la porte s′ouvrit et, le coeur battant, il me sembla voir ma grand′mère devant moi, comme en une de ces apparitions que j′avais déjà eues, mais seulement en dormant. Tout cela n′était-il donc qu′un rêve? Hélas, j′étais bien éveillé. «Tu trouves que je ressemble à ta pauvre grand′mère», me dit maman -- car c′était elle -- avec douceur, comme pour calmer mon effroi, avouant, du reste, cette ressemblance, avec un beau sourire de fierté modeste qui n′avait jamais connu la coquetterie. Ses cheveux en désordre, où les mèches grises n′étaient point cachées et serpentaient autour de ses yeux inquiets, de ses joues vieillies, la robe de chambre même de ma grand′mère qu′elle portait, tout m′avait, pendant une seconde, empêché de la reconnaître et fait hésiter si je dormais ou si ma grand′mère était ressuscitée. Depuis longtemps déjà ma mère ressemblait à ma grand′mère bien plus qu′à la jeune et rieuse maman qu′avait connue mon enfance. Mais je n′y avais plus songé. Ainsi, quand on est resté longtemps à lire, distrait, on ne s′est pas aperçu que passait l′heure, et tout d′un coup on voit autour de soi le soleil, qu′il y avait la veille à la même heure, éveiller autour de lui les mêmes harmonies, les mêmes correspondances qui préparent le couchant. Ce fut en souriant que ma mère me signala à moi-même mon erreur, car il lui était doux d′avoir avec sa mère une telle ressemblance. «Je suis venue, me dit ma mère, parce qu′en dormant il me semblait entendre quelqu′un qui pleurait. Cela m′a réveillée. Mais comment se fait-il que tu ne sois pas couché? Et tu as les yeux pleins de larmes. Qu′y a-t-il?» Je pris sa tête dans mes bras: «Maman, voilà, j′ai peur que tu me croies bien changeant. Mais d′abord, hier je ne t′ai pas parlé très gentiment d′Albertine; ce que je t′ai dit était injuste. -- Mais qu′est-ce que cela peut faire?» me dit ma mère, et, apercevant le soleil levant, elle sourit tristement en pensant à sa mère, et pour que je ne perdisse pas le fruit d′un spectacle que ma grand′mère regrettait que je ne contemplasse jamais, elle me montra la fenêtre. Mais derrière la plage de Balbec, la mer, le lever du soleil, que maman me montrait, je voyais, avec des mouvements de désespoir qui ne lui échappaient pas, la chambre de Montjouvain où Albertine, rose, pelotonnée comme une grosse chatte, le nez mutin, avait pris la place de l′amie de Mlle Vinteuil et disait avec des éclats de son rire voluptueux: «Eh bien! si on nous voit, ce n′en sera que meilleur. Moi! je n′oserais pas cracher sur ce vieux singe?» C′est cette scène que je voyais derrière celle qui s′étendait dans la fenêtre et qui n′était sur l′autre qu′un voile morne, superposé comme un reflet. Elle semblait elle-même, en effet, presque irréelle, comme une vue peinte. En face de nous, à la saillie de la falaise de Parville, le petit bois où nous avions joué au furet inclinait en pente jusqu′à la mer, sous le vernis encore tout doré de l′eau, le tableau de ses feuillages, comme à l′heure où souvent, à la fin du jour, quand j′étais allé y faire une sieste avec Albertine, nous nous étions levés en voyant le soleil descendre. Dans le désordre des brouillards de la nuit qui traînaient encore en loques roses et bleues sur les eaux encombrées des débris de nacre de l′aurore, des bateaux passaient en souriant à la lumière oblique qui jaunissait leur voile et la pointe de leur beaupré comme quand ils rentrent le soir: scène imaginaire, grelottante et déserte, pure évocation du couchant, qui ne reposait pas, comme le soir, sur la suite des heures du jour que j′avais l′habitude de voir le précéder, déliée, interpolée, plus inconsistante encore que l′image horrible de Montjouvain qu′elle ne parvenait pas à annuler, à couvrir, à cacher -- poétique et vaine image du souvenir et du songe. «Mais voyons, me dit ma mère, tu ne m′as dit aucun mal d′elle, tu m′as dit qu′elle t′ennuyait un peu, que tu étais content d′avoir renoncé à l′idée de l′épouser. Ce n′est pas une raison pour pleurer comme cela. Pense que ta maman part aujourd′hui et va être désolée de laisser son grand loup dans cet état-là. D′autant plus, pauvre petit, que je n′ai guère le temps de te consoler. Car mes affaires ont beau être prêtes, on n′a pas trop de temps un jour de départ. -- Ce n′est pas cela.» Et alors, calculant l′avenir, pesant bien ma volonté, comprenant qu′une telle tendresse d′Albertine pour l′amie de Mlle Vinteuil, et pendant si longtemps, n′avait pu être innocente, qu′Albertine avait été initiée, et, autant que tous ses gestes me le montraient, était d′ailleurs née avec la prédisposition du vice que mes inquiétudes n′avaient que trop de fois pressenti, auquel elle n′avait jamais dû cesser de se livrer (auquel elle se livrait peut-être en ce moment, profitant d′un instant où je n′étais pas là), je dis à ma mère, sachant la peine que je lui faisais, qu′elle ne me montra pas et qui se trahit seulement chez elle par cet air de sérieuse préoccupation qu′elle avait quand elle comparait la gravité de me faire du chagrin ou de me faire du mal, cet air qu′elle avait eu à Combray pour la première fois quand elle s′était résignée à passer la nuit auprès de moi, cet air qui en ce moment ressemblait extraordinairement à celui de ma grand′mère me permettant de boire du cognac, je dis à ma mère: «Je sais la peine que je vais te faire. D′abord, au lieu de rester ici comme tu le voulais, je vais partir en même temps que toi. Mais cela n′est encore rien. Je me porte mal ici, j′aime mieux rentrer. Mais écoute-moi, n′aie pas trop de chagrin. Voici. Je me suis trompé, je t′ai trompée de bonne foi hier, j′ai réfléchi toute la nuit. Il faut absolument, et décidons-le tout de suite, parce que je me rends bien compte maintenant, parce que je ne changerai plus, et que je ne pourrais pas vivre sans cela, il faut absolument que j′épouse Albertine.»   I had ceased for a moment to hear these words ringing in my ears while Albertine was with me just now. While I was kissing her, as I used to kiss my mother, at Combray, to calm my anguish, I believed almost in Albertine′s innocence, or at least did not think continuously of the discovery that I had made of her vice. But now that I was alone the words began to sound afresh like those noises inside the ear which we hear as soon as the other person stops talking. Her vice now seemed to me to be beyond any doubt. The light of the approaching sunrise, by altering the appearance of the things round me, made me once again, as though it shifted my position for a moment, yet even more painfully conscious of my suffering. I had never seen the dawn of so beautiful or so painful a morning. And thinking of all the nondescript scenes that were about to be lighted up, scenes which, only yesterday, would have filled me simply with the desire to visit them, I could not repress a sob when, with a gesture of oblation mechanically performed which appeared to me to symbolise the bloody sacrifice which I should have to make of all joy, every morning, until the end of my life, a solemn renewal, celebrated as each day dawned, of my daily grief and of the blood from my wound, the golden egg of the sun, as though propelled by the breach of equilibrium brought about at the moment of coagulation by a change of density, barbed with tongues of flame as in a painting, came leaping through the curtain behind which one had felt that it was quivering with impatience, ready to appear on the scene and to spring aloft, the mysterious, ingrained purple of which it flooded with waves of light. I heard the sound of my weeping. But at that moment, to my astonishment, the door opened and, with a throbbing heart, I seemed to see my grandmother standing before me, as in one of those apparitions that had already visited me, but only in my sleep. Was all this but a dream, then? Alas, I was wide awake. “You see a likeness to your poor grandmother,” said Mamma, for it was she, speaking gently to calm my fear, admitting moreover the resemblance, with a fine smile of modest pride which had always been innocent of coquetry. Her dishevelled hair, the grey locks in which were not hidden and strayed about her troubled eyes, her ageing cheeks, my grandmother′s own dressing-gown which she was wearing, all these had for a moment prevented me from recognising her and had made me uncertain whether I was still asleep or my grandmother had come back to life. For a long time past my mother had resembled my grandmother, far more than the young and smiling Mamma that my childhood had known. But I had ceased to think of this resemblance. So, when we have long been sitting reading, our mind absorbed, we have not noticed how the time was passing, and suddenly we see round about us the sun that shone yesterday at the same hour call up the same harmonies, the same effects of colour that precede a sunset. It was with a smile that my mother made me aware of my mistake, for it was pleasing to her that she should bear so strong a resemblance to her mother. “I came,” said my mother, “because when I was asleep I thought I heard some one crying. It wakened me. But how is it that you aren′t in bed? And your eyes are filled with tears. What is the matter?” I took her head in my arms: “Mamma, listen, I′m afraid you′ll think me very changeable. But first of all, yesterday I spoke to you not at all nicely about Albertine; what I said was unfair.” “But what difference can that make?” said my mother, and, catching sight of the rising sun, she smiled sadly as she thought of her own mother, and, so that I might not lose the benefit of a spectacle which my grandmother used to regret that I never watched, she pointed to the window. But beyond the beach of Balbec, the sea, the sunrise, which Mamma was pointing out to me, I saw, with movements of despair which did not escape her notice, the room at Montjouvain where Albertine, rosy and round like a great cat, with her rebellious nose, had taken the place of Mlle. Vinteuil′s friend and was saying amid peals of her voluptuous laughter: “Well! If they do see us, it will be all the better. I? I wouldn′t dare to spit upon that old monkey?” It was this scene that I saw, beyond the scene that was framed in the open window and was no more than a dim veil drawn over the other, superimposed upon it like a reflexion. It seemed indeed almost unreal, like a painted view. Facing us, where the cliff of Parville jutted out, the little wood in which we had played ‘ferret′ thrust down to the sea′s edge, beneath the varnish, still all golden, of the water, the picture of its foliage, as at the hour when often, at the close of day, after I had gone there to rest in the shade with Albertine, we had risen as we saw the sun sink in the sky. In the confusion of the night mists which still hung in rags of pink and blue over the water littered with the pearly fragments of the dawn, boats were going past smiling at the slanting light which gilded their sails and the point of their bowsprits as when they are homeward bound at evening: a scene imaginary, chilling and deserted, a pure evocation of the sunset which did not rest, as at evening, upon the sequence of the hours of the day which I was accustomed to see precede it, detached, interpolated, more unsubstantial even than the horrible image of Montjouvain which it did not succeed in cancelling, covering, concealing — a poetical, vain image of memory and dreams. “But come,” my mother was saying, “you said nothing unpleasant about her, you told me that she bored you a little, that you were glad you had given up the idea of marrying her. There is no reason for you to cry like that. Remember, your Mamma is going away to-day and can′t bear to leave her big baby in such a state. Especially, my poor boy, as I haven′t time to comfort you. Even if my things are packed, one has never any time on the morning of a journey.” “It is not that.” And then, calculating the future, weighing well my desires, realising that such an affection on Albertine′s part for Mlle. Vinteuil′s friend, and one of such long standing, could not have been innocent, that Albertine had been initiated, and, as every one of her instinctive actions made plain to me, had moreover been born with a predisposition towards that vice which in my uneasiness I had only too often dreaded, in which she could never have ceased to indulge (in which she was indulging perhaps at that moment, taking advantage of an instant in which I was not present), I said to my mother, knowing the pain that I was causing her, which she did not shew, and which revealed itself only by that air of serious preoccupation which she wore when she was weighing the respective seriousness of making me unhappy or making me unwell, that air which she had assumed at Combray for the first time when she had resigned herself to spending the night in my room, that air which at this moment was extraordinarily like my grandmother′s when she allowed me to drink brandy, I said to my mother: “I know how what I am going to say will distress you. First of all, instead of remaining here as you wished, I want to leave by the same train as you. But that is nothing. I am not feeling well here, I would rather go home. But listen to me, don′t make yourself too miserable. This is what I want to say. I was deceiving myself, I deceived you in good faith, yesterday, I have been thinking over it all night. It is absolutely necessary, and let us decide the matter at once, because I am quite clear about it now in my own mind, because I shall not change again, and I could not live without it, it is absolutely necessary that I marry Albertine.”